Samedi 25 janvier 2025, Coyhaique, jour 102, 15h.
Dernière en avant de l'aviron bayonnais et c'est l'USAP qui gagne.
Aujourd'hui changement de tactique, c'est un départ canapé, je quitte la ville à pied. Le chemin de traverse jusqu'au parc national est long mais il y aura des rencontres. 5 jours de vivres dans mon vieux backpack, il craque un peu mais moi aussi. Il faudra tenir sagement jusqu'à la prochaine épicerie, nous sommes dans le sud du continent, pour la première fois en trois mois la terre fournit une eau minérale en abondance mais pour la nourriture les distances s'espacent de plus en plus.
Au bout de deux heures de marche. Je longe toujours une route en construction en ligne droite. Je me déteste. Encore une brillante initiative. Un couple de retraités me ramasse et m'avance quelques kilomètres plus loin dans un décors signature. Il va faire nuit tard je prolonge un peu la marche en direction des grandes tours du château : le parc national du cerro Castillo.
Je jette la tente dans un champ de vache et fais chauffer un peu d'eau. La température des nuits en Patagonie me surprendra toujours, un vrai massage pour le corps et l'âme.
10h du matin je reprends la route au milieu de gros lapins et des lupins en fleurs. La Patagonie se réveil et je défie la montagne au loin, je marche droit devant moi avec un sourire niais. Perdu sur le gravier au bout du monde avec ma canne à pêche sur le dos, entouré de glaciers célèbres et de lacs à truites... C'est la photo finale. Le voyage est terminé. Plus personnes autour. Rien de plus beau au monde que le théâtre dans lequel j'ai amené mes souliers. Je m'arrête là et je contemple. Longtemps. Je pose le retardateur et tente de me rappeler dans mes rêves les plus fous, si le dessin que j'avais en tête ressemblait à ces lieux.
Sur les chemins de la bohème j'ai croisé le bout du monde, une fille qui m'a dit je t'aime, un soir où elle n'avait pas sommeil. Avant de partir, le pouce en l'air, à l'autre bout, du bout du monde...
Un gros fourgon s'approche. 4 chiliens de la capitale fraîchement retraités sont en exploration. Ils m'invitent à bord. Ils sont ici pour construire une maison en pleine nature, à partager à quatre. Pour passer du temps ensemble. Se retrouver. Partager. En les voyant je me dit que l'humanité à louper certaines personnes.
Le départ de mon trek est un lieu qu'ils voulaient visiter, le lac Monreal, ils décident de m'amener. Puis ils chantent la Marseillaise.
Très bon choix ce chemin de traverse puisque je vais attaquer les pics du cerro Castillo loin des touristes, en itinéraire nord-sud par la vallée de Las Horquetas, c'est vraiment trop beau.
A l'idée de terminer ce voyage par l'été patagon je voyage seulement avec un coupe vent et une petite polaire mi saison assortie assez tendance. On m'avait dit tu vas voir, le trek du cerro Castillo c'est un des podiums absolus c'est de toute beauté. J'ai fait un pas sur le sentier, il a neigé pendant 2 jours. Et la nuit entre les deux est désormais tatoué dans ma mémoire. J'ai croisé madame la mort à 3,62 mètres. "Hey salut le gnals !! T'aimes tu ça l'aventure ??"
Non merci madame.
Effectivement j'avais acheté des noodles goût épicé mais je n'avais pas regardé la météo.
Le deuxième soir j'ai allumé un petit feu au campement pour exposer l'intégralité de mon sac. La nuit fut reposante, merci la nuit. Le lendemain départ imposé après midi, mon corps est en charpie.
Acte 2, le soleil revient à sa place on change de mélodie. C'est le passage carte postale du parc naturel. Je vous épargne les photos j'en ai pris treize millions, nous sommes là dans ce que la nature a de plus beau a offrir. Le sommet du château est une montagne qui se termine par deux pics rocheux qui emprisonnent un glacier turquoise surplombant une falaise étrangement verticale contre laquelle coule une farandole de cascade argentées qui ondulent joyeusement jusqu'à se jeter dans un lac d'un bleu sans nom. Le tableau est d'une puissance phénoménale on n'entend pas un bruit à cent kilomètres. Les remparts veillent sur la cordillère. Après une longue étape j'ai décidé de pousser jusqu'à la dernière montagne, elle permet de voir la forteresse de plus haut. Le cerro Castillo a petit à petit pris ses couleurs de soirées. Face à moi le château et en me retournant je vois la plaine, en contrebas la petite ville, au loin des lacs émeraudes. Sur la gauche le cône enneigé d'un volcan paisible, au milieu serpente le rio Ibáñez et tout au bout, c'est l'Argentine. Le soleil se couche. J'entends le clic de la jauge du bonheur qui vient de se déclencher. Ça y est. Vient d'être atteinte ma capacité maximale à être heureux et émerveillé. C'est le plafond émotionnel et physique, la récompense ultime... dans exactement dix secondes je vais hurler face au vent les yeux remplis de larmes en me rappelant que le chemin fut long mais que devant cette apothéose on oublie la pluie. Généralement je braille une chanson de Léo Ferré et je sens que tout jaillit en tout sens par tous les pores. L'important est de faire durer ce moment le plus possible.
Et puis les minutes passent et le calme revient. Me voilà totalement exorcisé. Vide. Laver. Neuf. La version nue de moi même, sans les accessoires. En paix. Se sont envolés dans la nature les frustrations, les rancoeurs, les craintes, les regrets, les boudineries. Reste désormais à savoir que faire de cet état de légèreté ?
J'aperçois en contrebas le campement au bord d'une petite rivière. Il est temps de redescendre. Il y a un moment où ça redescend.
Le lendemain, sifflotant au bord de la carretera australe, le gros bus en direction de Cochrane s'arrête mais il est plein. Le chauffeur est buena onda il me propose le siège du copilote. Vue panoramique sur les montagnes enneigées et les rivières fluo, on est devenu ami. Toute la journée à faire des commentaires sur les villes traversées et à boire du maté en écoutant de quartet argentin. Moment privilégié.
Dans la ville de Puerto Tranquilo il m'a semblé voir Théo monter dans le bus. Le bel apollon des Andes australes, responsable de la production des films chez Pathé. C'est un sublime, je l'avais rencontré sur la rando d'un glacier plus au nord, on avait parlé rugby.
En arrivant tous les deux chez la vieille dame dans la ville de Cochrane nous rencontrons Floriane, autostoppeuse. La personne qui l'a ramassé est un militaire de la région, il propose d'aller s'assoir en terrasse pour goûter les bières locales. Nous cheminons. Le soleil se couche sur la ville, petit nid douillet aux larges rues avec ses jardins fleuris, ses maisons en bois ambiance village de montagne qui sent bon la gaufre au Nutella et la pêche à la mouche. Décidément cette journée aura été le panthéon de la pure beauté de la nature, les 200 derniers kilomètres de la carretera australe depuis Puerto Tranquilo et le lac Carrera vous font entrer dans une autre dimension de glace, de relief, de couleurs.
Au réveil je décide de changer les plans, nous allons rester une nuit de plus dans ce petit paradis, j'en informe la vieille dame, elle n'est pas d'accord. Elle n'a pas beaucoup dormi et elle est de mauvaise humeur, tout comme la plupart des hôtes qui ont le regard fuyant. Elle n'a pas apprécié le boucan et m'accuse d'avoir couru dans le couloir toute la nuit et d'être rentré dans chaque chambre des autres voyageurs. Nous sommes priés de faire nos sacs et de partir. Mais les souvenirs se dérobent il me faut faire un effort.
Après les bières hier nous avons été escortés par les militaires jusqu'à la caserne pour prolonger la fête sur le thème du Pisco Sour, un doux breuvage local qui permet d'avoir le même regard que le sibérien de ma soeur. Je me souviens d'une soirée bienveillante pleine de rires et un retour à pied très joyeux sous le ciel étoilé de Cochrane et le besoin désormais de réserver une autre nuit puisque les militaires nous invitaient le lendemain à un barbecue... ça reste correct. Je pars donc réveiller Théo, qui, à ma grande surprise ne dort pas dans le même lit. Théo mon lapin, pourquoi as-tu changé de lit ? Oh mince je suis désolé ! Quand je suis brassé je fais du somnambulisme, quelle chance que je sois resté dans cette chambre pas vrai !?
Il s'est excusé, on s'est fait viré et on est parti monter nos tentes au camping pour se reposer un peu et reprendre des forces, ce soir il y a un asado à la caserne.
Peut être la plus belle du voyage Des montagnes et des cuivresCouleur Patagonie