Carnet de voyage

Arabike

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Une traversée à vélo d'Amman en Jordanie jusqu'à Abha en Arabie Saoudite pour ce début d'hiver 2023
Du 30 décembre 2022 au 9 février 2023
6 semaines
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Fin 2019, j'étais parti de Los Angeles aux États-Unis à vélo pour rejoindre le Panama trois mois et demi plus tard. L'hiver dernier, j'ai visité la Colombie, en me gorgeant inlassablement des cols et reliefs taillés au couteau de ce pays merveilleux, qui a marqué mon cœur. À vrai dire, je comptais y revenir dès le début de cet automne pour deux ou trois mois mais différentes choses en ont décidé autrement. Nostalgique de ces longues journées à pédaler libre comme l'air, je voulais quand même repartir un peu mais je n'arrivais à rien décider dernièrement, comme si le temps s'était suspendu.

J'ai longuement hésité entre un nouveau tour en Colombie, la Carretera Austral en Patagonie, le Laos, le Maroc ou tout simplement rester à la maison. Je ne sais pas trop pourquoi, en un après-midi tout est devenu plus limpide et c'est finalement vers une région à laquelle je n'avais pas trop pensé que "El Caminante" (mon vélo) et moi allons passer ce début d'hiver : en Arabie Saoudite. En regardant d'assez près les cartes, la chaîne de montagne qui longue la Mer Rouge (nommée les Monts Sarawat), m'a vraiment attiré car elle semble sillonnée de nombreuses petites routes et pistes sur lesquelles on doit pouvoir être tranquille, l'idée étant de vivre dans la nature en bivouaquant le soir autant que possible.

Nous verrons bien, en tout cas le pays s'ouvre depuis peu au tourisme et il a été simple d'obtenir un visa en quelques clics (et une quantité non négligeable d'euros tout de même). Le vélo ne semble pas y être le sport national et j'ai trouvé bien peu d'infos de cyclistes ayant traversé la péninsule arabique. Ce sera une belle découverte quoiqu'il arrive et au moins, c'est un pays où je ne devrais pas être embarrassé de ne pas savoir danser la salsa, comme ça a pu arriver en Colombie lorsque d’intimidantes créatures s’approchaient de moi avec un déhanchement diabolique. Quoique va savoir... il y a généralement un gap entre l'image qu'on se fait d'un pays, celle qu'on nous relaye, et la vraie vie.

Le départ est prévu le 30 décembre et je rentrerai six semaines plus tard, mi-février. J'avais très envie depuis longtemps de débarquer en vélo à Wadi Rum où je grimpe souvent. Voilà toute trouvée l'occasion de le faire puisque je partirai d'Amman pour descendre la Jordanie avant de passer voir mon ami Atayek et sa famille à Wadi Rum. J'entrerai ensuite en Arabie, où ma route devrait se terminer à Abha, ville proche de la frontière du Yémen. Grosso modo, selon la quantité de zigs et des zags que je ferai dans les reliefs des Monts Sarawat, ce sont 2500 km qui nous attendent avec El Caminante.

Le parcours envisagé
Mon chargement lors d'un essai en vallée d'Ossau 

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, je m'attends à avoir froid. Par exemple pour la Jordanie en ce moment par là où je vais passer, les maximales sont de 10 ° en journée et les températures négatives la nuit. Cependant le soleil est généreux dans ces contrées quand il n'y a pas de vent. C'est donc un peu le casse-tête pour emporter des vêtements chauds mais ne point trop en prendre quand même... L'heure est aux choix cornéliens !

L'autre point qui génère un peu plus de poids dans mes bagages que pour les voyages précédents (et aussi pas mal de choix délicats à faire) est la trousse à outils, car je ne m'attends pas à trouver des magasins de cycle à chaque coin de rue comme en Colombie. J'ai entre autres pris un petit pneu de rechange, ce que je n'avais jamais fait auparavant. Mon kit de réparation est assez lourd et conséquent mais je devrais ainsi être complètement autonome pour bidouiller. Cette année, normalement, je ne devrais pas être ennuyé par mes freins comme l'an passé, pour ceux qui ont suivi la saga du freinage en Colombie, car j'ai installé de nouveaux étriers (TRP Spyre), censé être le must en freins à câble et que j'ai déjà largement éprouvé cet été, afin de partir la conscience tranquille. Au total, je pars avec 12 kg de bagages.

Voilà donc de nouvelles aventures en perspective pour El Caminante, qui frétille de joie dans son carton, prêt à embarquer qu'il est... J'ai créé ce blog qui permettra de me suivre mais contrairement à Colombike l'année dernière, je vais essayer de ne pas passer ma vie sur le téléphone. Les news seront donc certainement plus espacées.

Enfin, joyeuses fêtes à tous !

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Avions pas tombés, vélo pas cabossé, premières rencontres après quelques coups de pédales… Welcome to Jordan !

Amman Airport - Madaba : 22 km / 1h05 / D+ 200 m

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On peut pas dire que j’ai souffert de chaleur aujourd’hui, je me suis même caillé sévère par moments, avec un ciel bas et surtout du vent fort, qui devrait encore durer demain. Plusieurs fois, des voitures ont ralenti pour me proposer de m’embarquer et presque tout le monde sur la route y va de son salut amical, petit coup de klaxon ou de l’incontournable et tellement agréable « Welcome to Jordan ».

Il n’y a que les chiens qui sont pas hyper-sympathiques, la plupart n’appartiennent à personne et quand ils débarquent en meutes c’est toujours un peu inquiétant. D’autant plus qu’on peut pas toujours les anticiper car ils sont souvent de la même couleur que le paysage ! J’ai pensé à essayer la bienveillance à leur égard, la communication non-violente ou à leur proposer une séance de cohérence cardiaque mais ce sont bel et bien de virulents « allez, dégage » et surtout de prendre tout de suite le dessus qui continuent à fonctionner le mieux. J’en croise aussi plein qui sont pacifiques quand même.

Hier soir à Madaba je suis descendu voir s’il se passait quelque chose dans la rue. À minuit autour du grand sapin de Noël (il y a une communauté chrétienne à Madaba) une petite foule s’est mise à siffler, pour accueillir le nouvelle année. Sous forte présence policière d’ailleurs… Il y a eu récemment des émeutes dans le pays rapport au coût de l’énergie et en entrant dans la ville hier soir j’étais surpris du nombre de policiers, un peu tendus, ce qui n’est habituellement pas le cas en Jordanie, pour ce que j’en connais en tout cas.

Cette soirée était assez diffente de celle sur laquelle j’etais tombé par hasard l’an passé le même jour dans une campagne colombienne, dont je remets les images ici tellement j’avais adoré ce moment

Je souhaite à tout le monde de la joie, de l’amour et une belle santé pour cette nouvelle année…

Madaba - Al-Karak : 87 km / 5h20 / D+ 1640 m

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Parti d’Al Karak à 13 h seulement à cause de la pluie qui a duré toute la matinée, je suis arrivé un peu « à l’arrache » presque 100 km plus loin, à Dana, village touristique en ruine à 1600 m d’altitude, battu, par les vents et où j’étais bien content de trouver un hôtel après avoir roulé les deux dernières heures de nuit, pendant lesquelles rien ne m’a été épargné : côtes les plus raides de la journée, une déviation conséquente cause travaux, un vent à coucher un cycliste, un automobiliste que je sentais pas du tout qui m’a pris le choux pendant 1 km en me disant qu’il était de la police et que je devais monter avec lui car j’arriverais jamais à destination, un brouillard à couper au couteau et la seconde attaque majeure de chiens de la journée. Il a fallu appuyer fort et longtemps sur les pédales pour redémarrer après les avoir intimidé. Heureusement, le chien finit par s’épuiser quand il lance un sprint et j’ai eu de la chance que ce soit plat et pas en côte. Des fois, on rêve d’un flingue pour leur échapper ! D’ailleurs ici, en tout cas à Wadi Rum, quand il commence à y avoir trop de chiens errants, les habitants font une opération radicale.

Bref, me voilà à Dana Tower Hotel où des touristes sont rassemblés autour du feu, chacun le nez dans son téléphone, comme moi ! Rien que Wadi Rum, à 160 km d’ici me parait loin, il va falloir se mettre au rythme de la météo, qui semble quand même plus capricieuse que la moyenne ces jours-ci, de ce que j’ai compris… En tout cas le matériel de bivouac, les lunettes et la crème solaire restent au fond des sacoches pour le moment.

Al-Karak - Dana : 96 km / 6h30 / D+ 2200 m

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J’ai pédalé longtemps, quitté le vent et les nuages des plateaux, retrouvé le soleil du désert et surtout Atayek.

Dana - Wadi Musa - Wadi Rum : 170 km / 8h05 / 1540 m

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Le problème avec Wadi Rum c’est que quand j’y suis je n’ai plus envie d’en repartir. Cet automne j’étais venu grimper pour une semaine et j’y suis finalement resté presque trois. Si ça se trouve ça va me faire pareil là.

Aujourd’hui chez Atayek c’était travaux sur le toit pour changer l’installation de production d’eau chaude, par une entreprise qui se déplaçait depuis Amman. Voilà la maison équipée d’un matériel de compétition, dorénavant même les grimpeurs les plus tardifs pourront encore se doucher douillettement à point d’heure.

J’ai nettoyé mon vélo qui avait bien reçu sur les routes sableuses et humides, au cas où je déciderais de le vendre à un bédouin mais tous ceux à qui j’en ai parlé m’ont dit qu’ils n’étaient jamais montés sur un vélo et ils n’en veulent surtout pas contre un dromadaire.

Merci Atayek, Aouda et Ali, les trois frangins, pour cette belle journée.

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Atayek tenait à m’emmener à la frontière avec l’Arabie Saoudite, située à une centaine de kilomètres de Wadi Rum. Ça me faisait plaisir aussi d’y aller avec lui, on a toujours pleins de trucs à se raconter, parfois même nos histoires de cœur et il dit toujours qu’il aime rentrer seul dans sa voiture après avoir conduit des gens, pépère à son rythme en s’arrêtant quand bon lui semble dans le désert pour prier ou faire le point sur sa vie, ce qui est peut-être la même chose.

On fait deux ou trois images à quelques encablures de la frontière pour rigoler et voilà le moment de se dire à très bientôt, inschallah. Les au revoir avec Atayek sont toujours pleins d’émotions. Celui-ci est tout particulier. Je ne fais pas le malin en tendant mon passeport aux premiers officiels d’une longue série de bureaux et contrôles, autant coté jordanien que saoudien.

À peu près tous les 100 mètres, quelqu’un s’empare de mon passeport, le garde au moins un quart d’heure, faisant mine que ça va être compliqué, disparaît quelque part, le rend enfin, me procurant à chaque fois le sensation d’avoir gagné au loto. Bien qu’ayant la conscience tranquille, j’ai l’impression d’être dans Midnight Express, livré que je suis au bon vouloir d’un officiel au milieu de ce no man’s land étrange.

Ça coince au bureau qui estampille le tampon saoudien, malgré un accueil avec le thé, des grands sourires, et toujours le football qui rapproche les peuples : l’Arabie Saoudite a battu l’Argentine en poule, qui elle-même a battu la France : ça fait un sujet d’entente mais ça suffit pas. On me demande une immatriculation pour le vélo et je suis bien ennuyé de n’avoir rien à proposer qui ressemble à ça, ni à une facture, mais je fais remarquer que je suis déjà entré en Arabie Saoudite avec « El Caminante » sans problème, puisque j’ai atterri à Riyad il y a quelques jours et passé la frontière, avant de reprendre un vol pour Amman. C’est un argument semble t’il, puis je fais aussi remarquer que je n’ai pas de moteur, un détail qui semblait leur avoir échappé et ça débloque définitivement la situation, non sans l’approbation d’un supérieur.

L’autre point clef est ma pharmacie. Je savais qu’il est officiellement interdit d’entrer avec des médicaments en Arabie. Ça ne manque pas, on me fait tout vider, mais avec le sourire, et les rares voitures présentes sont aussi passées au peigne fin : chien, démontage des pneus, etc. Pour les quelques médicaments que j’ai, je les montre tout de suite. J’avais compris que le Tramadole en particulier pose soucis. C’est effectivement la première chose qu’on me demande et je montre directement les trois comprimés que j’ai, en disant au préposé qu’il peut les garder s’il veut car j’en aurai pas besoin, mais il me les laisse.

Enfin, deux heures plus tard et après qu’à chacun de ces contrôles on se soit intéressé de près à mon compteur kilométrique suscitant intérêt ou suspicion, la route toute droite et plate filant vers Tabuk s’ouvre enfin. Je suis un peu interloqué, ému et intimidé de pédaler au Royaume d’Arabie Saoudite… surtout avec une voiture suiveuse de police discrètement calée 500 m derrière moi, dès la frontière et pendant tout le trajet…

Pour cette première nuit, c’est la famille de la sœur d’Atayek qui me reçoit… et je suis tout aussi intimidé dans cette grande maison et cette ville fort calme.

Palabres autour d’un compteur avec la vidéo laissée par inadvertance 

Saudia Border (Halat Hammat) - Bir Bin Hirmas : 53 km / 2h25 / D+ 120 m

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Des grands plats hypnotiques jusqu’à Tabuk, une grande ville, aujourd’hui assez calme car le vendredi est jour de repos. J’ai pu y faire quelques courses pour être autonome en eau et nourriture au moins un jour et demi puis j’ai continué sur une cinquantaine de kilomètres vers le sud. À priori pendant un petit moment maintenant je devrais trouver des station-services (qui font aussi superette) à peu près tous les 100 km pour me ravitailler. Je commence à retrouver du relief et les lumières de fin de journée sont sublimes. Pour trouver un bivouac, il n’y a que l’embarras du choix. Ce soir c’est sous un acacia à quelques encablures de la route. Une ou deux fois aujourd’hui, des automobilistes m’ont arrêté pour me prendre en photo et j’ai souvent droit à des petits coups de klaxon avec des grands bonjour.

Bir Bin Hirmas - UTM 37R 267138 3099989 (route 8900) : 115 km / 5h20 / D+ 300 m

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Un paysage s’ouvre au détour d’un virage, ou lorsque le relief bascule. Il appartient au futur pendant un certain temps. Le futur se rapproche. Puis il vient se fondre dans le présent, devient un instant, passe, s’évanouit et on l’abandonne, sûrement à jamais…

Petit clin d’œil aux grimpeurs de Disah…

Quand un bled apparaît…

Un cadeau sur la route…

Et le bivouac du jour, une cabane de bergers…

UTM 37R 267138 3099989 (route 8900) - 37R 281880 3038965 (route 8900) : 91 km / 5h20 / D+ 1300 m

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Ce soir, après un nouveau défilé de paysages somptueux, ponctué d’une raide descente qui m’a déposé à 250 m d’altitude, je cherchais un plan pour mettre ma tente à l’abri car de la pluie est annoncée pour cette nuit et demain.

En arrivant près d’un village, un gars qui me voyait tourner par là le nez au vent m’a demandé ce que je cherchais. Je lui ai expliqué (merci google trad) et j’ai entendu plusieurs fois dans sa réponse en arabe le mot police, ce qui m’a un peu inquiété. Finalement, c’était pour me dire qu’il travaillait pour la police et qu’il m’invitait là où il crèche, une sorte de bâtiment administratif, mais qui n’a rien à voir avec un poste de police. Ceci m’a conduit à passer une soirée merveilleuse car nous avons été rendre visite et manger avec ses amis fermiers, riches propriétaires terriens, qui étaient en réunion de travail pour un projet de mise en commun des moyens de production.

J’ai eu la chance de visiter la propriété où, grâce à un gisement d’eau présent 30 m sous le sol, on cultive de la luzerne, des figuiers, des bananes, des piments, de la salade, des radis… Au menu, du mouton délicieusement cuit, un plat de fête. Je n’en mène pas large avec les traditions : bien manger avec la main droite, tous assis autour d’un énorme plat commun et installés dans une position académique, genou gauche plié au sol, l’autre vers le haut… Merci Ali et tes amis pour cet accueil, auquel je ne trouve pas de qualificatif.


UTM 37R 281880 3038965 (route 8900) - Abu Al Gazaz (route 8776) : 114 km / 5h30 / D+ 300 m

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À rien ne sert d’appuyer fort sur les pédales. Aujourd’hui, il suffit de se tenir bien droit, les épaules larges et relevées, afin que le corps offre la prise au vent la plus généreuse possible et ainsi se laisser dériver en douceur vers le sud, entre deux houles de montagnes aux teintes vives.

À rien ne sert de se presser. Ce soir, je pourrai accoster où bon me semble. Là, ou là, ou encore là. Il suffira, au soleil couchant, d’élire un acacia, une crique rocheuse, une petite mosquée ou un abri de fortune.

Abu Al Gazaz - UTM 37R 329417 2901813 : 115 km / 5h / D+ 450 m

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Un début de journée à suivre les méandres d’une vallée verte, toujours poussé par une belle brise. Vers midi, aux abords du seul village traversé dans la journée, une voiture m’arrête. C’est une invitation à aller boire le café chez eux. Tous les trois sont instituteurs au village. Une belle collation m’est offerte, on rigole en parlant de foot, puis ils mettent une chaîne câblée sur laquelle passe Conan le Barbare et Je sens que les actrices en petites tenues de guerrières sont un sujet d’émoustillement général. Ils me disent aussi que je devrais faire attention en dormant dehors car apparemment, il y a des loups dans les montagnes. Je leur dis que j’ai survécu à l’ours des Pyrénées, alors le loup…

Il est temps de partir car l’heure de la fermeture de l’épicerie approche et je dois faire des provisions. En y arrivant, je provoque une grande excitation et beaucoup d’hilarité parmi les collégiens qui viennent de sortir des cours. Pour l’après-midi, c’est un vent soutenu de face qui m’attend, de grandes lignes droites, toujours de belles montagnes autour et quelques rares voitures qui passent. Comme hier, à quelques exceptions près, tout le monde ralenti pour me filmer. Je vais finir par devenir un héros d’Instagram en Arabie.

À deux ou trois reprises, on me dit que la route est coupée plus loin car elle a été emportée par une crue mais j’ai du mal à comprendre à quel niveau exactement et sur quelle distance, donc je continue et nous verrons bien. En arrivant près d’Al Marameh, je fais un tour à l’écart du goudron pour voir où mettre ma tente à l’abri du vent entre deux monticules, mais peu convaincu par l’endroit, je reviens sur la route, où passent 4 jeunes (Bassam et les trois Ahmed). Ils font demi-tour direct et à vrai dire ne me laissent pas trop d’autre choix que de monter avec eux, tellement il se marrent de cette rencontre insolite. On embarque mon vélo dans le coffre et nous voilà parti pour aller boire le thé et le café assez loin dans le désert, au soleil couchant, là où l’un d’eux a ses dromadaires. Ça y va encore à fond avec les téléphones pour faire des photos et des vidéos, qui partent directement sur les réseaux sociaux.

En revenant au village, je suis évidemment convié à manger et dormir chez l’un d’eux et puis ce qui tombe bien, c’est que la route était finalement coupée juste après l’endroit où je les rencontré. Comme ils habitent de l’autre côté, on a franchi l’obstacle en 4x4 par les chemins de traverse… et ça c’est fait comme dirait l’autre.

UTM 37R 329417 2901813 - Al Marameh : 110 km / 5h45 / D+ 430 m

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Al Marameh - UTM 37R 424969 2792374 (18 km au sud de Murraba’a, route 328) : 102 km / 5h50 / D+ 500 m

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Cela fait maintenant sept jours que je pédale en Arabie Saoudite. D’ailleurs je vais essayer de moins pédaler car j’ai déjà fait un bon bout de chemin par rapport à ce qu’il me reste à faire jusqu’à Abha où je dois arriver le 8 février au plus tard. C’est toujours difficile de bien se caler par rapport à une date butoir. Comme ces jours-ci il fait très beau et que les saoudiens me parlent à chaque fois du mauvais temps dans les montagnes en cette saison, j’ai tendance à avancer tant que ça avance.

Dans tous les cas, je ne vais pas me plaindre de la météo qui est vraiment propice à l’altitude où je me trouve depuis 3 ou 4 jours (autour de 500 m). Il fait 25° au soleil et en roulant, un petit air frais idéal se crée. Je ne pouvais pas rêver plus confortable. Je me pose souvent au bivouac vers 16h30 au plus tard, alors qu’il reste une heure et demi de jour, le temps d’installer la tente, de se doucher puis de faire des étirements et de la relaxation face au soleil couchant, toujours généreux et magnifique. Une petite laine suffit à passer la soirée, avant de rejoindre le duvet au plus tard à 20h… c’est vraiment les vacances. Il y a même souvent un grillon par-là pour me bercer. Le matin, le temps de laisser le soleil se lever, de divaguer sur les cartes et de tout plier, je quitte rarement le camp avant 9h30 ou 10h.

Cet après-midi, la circulation s’est un peu densifiée. Il faut dire que j’approche de Yanbu (sur la Mer Rouge), l’un des principaux ports du pays. Heureusement que j’ai toujours une bonne bande d’un mètre sur le bord, théoriquement laissée libre par les voitures, car d’une manière générale ça roule très très vite… pas vu de radars sur cette route. Il me tarde demain matin pour obliquer à l’est par une route de montagne que je suppose plus tranquille, qui passe à 1700 mètres et qui devrait occuper les deux prochaines journées.

En sept jours sur les routes d’Arabie Saoudite, j’ai vu trois femmes. Presque quatre. Toutes portaient le Niqab. La première était la sœur d’Atayek qui a fait une brève apparition pour me saluer le soir où j’étais chez elle, son mari et leur fils Naïf, lors de ma première nuit en Arabie. La seconde et la troisième étaient en voiture, en couple (des gens qui ont ralenti ou se sont arrêtés pour m’encourager et m’offrir un petit quelque chose). Dans ces deux cas, elle me regardaient et me parlaient de la même manière que le faisait leur mari. Pour la presque quatrième, c’était la même situation, mais bien qu’elle soit en train de me filmer pendant que son mari, ou son frère, ou son père me parlait, elle avait intégralement caché ses yeux.

Une petite anecdote que je n’avais pas encore racontée : en quittant la Jordanie, je me suis fait reprendre par un policier, m’indiquant que j’avais mes tongues (fixées chacune sur le haut d’une sacoche) avec les semelles orientées vers le ciel, donc vers Allah. Si ça paraissait déjà ennuyeux côté jordanien (lui-même était choqué et je me suis confondu en excuses), il m’a clairement fait comprendre en m’indiquant le côté saoudien que là-bas, ce serait perçu comme une véritable offense.

Enfin, pour parler de codes entres les hommes, ici ils se saluent, selon le degré d’intimité j’imagine, ou peut-être le statut social, soit par une poignée de main, soit en approchant le visage à une dizaine de centimètres tout en mimant deux bises, soit on se faisant vraiment la bise.

UTM 37R 424969 2792374 (18 km qu sud de Murraba’a, route 328) - Khef Hussain : 118 km / 5h15 / D+ 400 m

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Un vendredi 13 qui pour l’anecdote a commencé par une bouteille d’huile mal revissée hier soir (ou alors un génie est passé pendant la nuit pour me faire une blague), qui s’est vidée dans une sacoche pendant la nuit. Dégâts limités, puis une autre petite route enchanteresse toute la journée, serpentant au bon vouloir d’un oued entre les montagnes.

Ce coin semble être la sortie du vendredi des citadins de Yanbu et ça se comprend tellement la région est reposante. En arrivant à l’intersection d’une route que je devais prendre pour franchir un col, mais qui semble fermée (j’irai quand même voir ça de près demain), j’ai été invité par cinq gars de Médine qui faisaient le pic-nic quelques kilomètres plus loin le long d’une autre route. J’ai encore été reçu de la plus belle des manières, avec du mouton et du riz cuit sur place, du café délicieux, des dates de compétition, du maïs grillé et surtout des sourires permanents. On a passé la soirée ensemble, à se laisser porter, discuter, somnoler de temps en temps. L’un d’eux parlait bien anglais, il est ingénieur dans le domaine électrique. J’ai même été invité à participer à la prière, au coucher du soleil.

De ce que je vois, les saoudiens vivent beaucoup la nuit. Eux sont repartis à minuit vers chez eux, à deux heures de route et lorsque j’ai été invité ailleurs, j’ai noté que dehors, ça parlait, jouait aux cartes ou aux dominos et qu’il y avait de la visite toute la nuit. En revanche, il n’y a pas grand monde dehors le matin, tous semblent dormir. Un rythme de vie issue j’imagine des chaleurs accablantes qui règnent le reste de l’année.

L’affaire du moment ici, je viens de le comprendre alors que ça fait plusieurs jours qu’on me le dit, c’est le transfert de Ronaldo au club de Riyad, Al Nassr. Ils m’ont demandé quels seraient les mots qui pour un français imageraient l’Arabie Saoudite. J’ai répondu : pétrole, roi, désert et naissance de l’islam. De leur côté pour la France, ils m’ont dit : Mbappé, Macron et Tour Eiffel.

Khef Hussain - Al Sudayrah : 78 km / 4h / D+ 400

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Hier avant de trouver ces gars pour le pic-nic j’avais vu que la route que je voulais prendre était indiquée comme étant fermée. Ce matin, je voulais quand même aller jeter un œil car c’était pas très loin de là où j’ai dormi. Finalement j’ai pu passer, mais c’était tellement raide que j’ai quasiment tout fait en poussant le vélo.

Je suis ainsi passé à 1700 m d’altitude avant de me laisser glisser versant est sans pédaler sur une trentaine de kilomètres

Après un bref passage sur l’autoroute où il semble raisonnable de rouler car il y a une large bande d’arrêt d’urgence (demain je vais y être un petit moment, pas trop d’autres alternatives), j’étais content de retrouver une petite route pour finir la journée.

Désillusion, j’ai eu très peur sur celle-ci, car elle était étroite, sans bas-côté, et ça circulait vraiment beaucoup. Cette fois j’ai senti que le cycliste voyageur était sympathique tant qu’il n’empêche pas d’appuyer à fond sur le champignon, de se doubler et se croiser avec prise de risque maximale, l’idée étant de voir qui a la plus grosse, voiture, le tout avec un téléphone à la main.

Je me suis rendu compte que j’étais sur une route où les médinois et médinoises (2 millions d’habitants à Médine) viennent pique-niquer en famille ou entre amis, d’où ce traffic inattendu, d’autant plus que nous ne sommes plus en week-end, mais je viens de voir qu’aujourd’hui était le dernier jour des vacances de janvier. Les femmes pique-niquent donc aussi Régine, cette fois j’en ai vu plein installée sous les acacias, parfois juste entre elles, et j’en ai aussi vu des seules au volant.

Pour finir, je voulais préciser que dans mes vidéos, quand je filme les gens, je leur demande toujours avant et je ne filme que si on a déjà fait connaissance. De plus je vois qu’ici tout le monde filme tout et tout le monde pour mettre ça direct sur les réseaux sociaux sans se poser des questions, ça se fait donc beaucoup. Je ne compte plus les fois où je suis moi-même filmé sans qu’on me demande quoi que ce soit, c’est toute la journée en fait.

Al Sudayrah - Al Ghzlan : 103 km / 5h10 / D+ 1300 m

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Le loup (d’Arabie)

L’autre nuit, campant à proximité d’un village, j’ai entendu pas mal d’agitation de chiens pas très loin de ma tente. À un moment, j’ai noté qu’un de ces chiens devait être jeune car il n’aboyait pas vraiment mais hurlait plutôt bizarrement. Puis des pas se sont approchés de la tente. J’ai alors dit à ce supposé chien de s’en aller, sans m’émouvoir pour autant. À mon étonnement, il est parti sans moufter alors que je pensais qu’il resterait là autour de la tente à me casser les pieds le reste de la nuit.

Au matin, un berger est passé par là avec ses brebis pendant que je pliais la tente. Bien qu’on ne se comprennent pas, il m’a montré des traces dans le sable, en faisant des grands hoooo, haaaa, et en me disant un mot en arabe que j’aurais dû retenir. La veille en m’installant à cet endroit, j’ai vu passer comme un chien qui se baladait seul une centaine de mètre au-dessus de l’emplacement, ce qui m’a étonné mais au-travers de tout cet épisode, je ne me suis jamais dit qu’il s’agissait du loup.

Ce n’est que le lendemain, en roulant, que j’ai fait le rapprochement et regardé sur Internet à quoi ressemblait les loups d’ici dont on m’a déjà parlé depuis le début du voyage. Ils semblent être plutôt des sortes de chiens sauvages, se déplaçant de manière solitaire et rôdant la nuit pas loin des villages, un peu comme le renard.

Photo du web

Le policier

Après cette nuit, je devais emprunter la highway reliant Médine à Djeddah, sans autre alternative sur une trentaine de kilomètres. Cependant ça s’y prête bien car la bande d’arrêt d’urgence est large et, une fois lancée un peu de musique (colombienne), on s’isole du bruit des camions et ce n’est finalement pas si désagréable (hormis le risque accru de crevaison à cause des bouts d’acier de pneus éclatés).

À un moment, une voiture de police sur le voie inverse m’a klaxonné avec un son un peu bizarre et je l’ai saluée joyeusement. Quelques minutes plus tard, le policier avait fait demi-tour et s’est mis en travers de mon chemin d’une façon assez radicale. Ça n’a pas été un moment très agréable car il n’était pas sympathique du tout et je n’ai finalement jamais compris ce que je faisais de mal. Ce n’était pas le fait de rouler sur l’autoroute, parce que je lui ai tout de suite dit (enfin, Google Trad lui a dit) que j’allais le quitter 10 km plus loin, ce dont il avait l’air de se fiche éperdument. Peut-être s’agissait t’il du fait que je pédale les jambes non entièrement couvertes ? Je me suis renseigné sur ce point, personne ne m’a dit que ça posait soucis, cependant quand je m’arrête faire des courses, j’enfile un pantalon pour être plus à l’aise. Lui montrer mon short et que je pouvais mettre un pantalon n’avait pas l’air de l’émouvoir non plus.

Peut-être était-il entrain de découvrir que l’Arabie Saoudite était ouverte au tourisme et qu’on pouvait y faire du vélo ? À ce sujet, depuis que je suis ici, j’ai vu seulement un gars du coin sur un vieux vélo grinçant entre deux villages et deux enfants qui en avaient un, devant l’épicerie d’une bourgade.

Toujours est-il qu’il m’a gardé 30 minutes sans décrocher un sourire, à controlé mon passeport bien-sûr, qu’il a gardé en main tout au long de l’épisode, et après moultes coups de fils probablement à des supérieurs, il m’a laissé repartir.

Un épisode qui m’a un peu mis sous tension par la suite, surtout qu’à partir de ce moment-là, quand j’ai rencontré des gens, ils me demandaient tous sur l’air des lampions si mon passeport était en règle, ce qui n’était jamais arrivé avant.


Les cadeaux

Je ne compte plus le nombre de fois où l’on m’offre de l’eau, des fruits, une barre chocolatée ou autre. Maintenant, on se met même à me donner de l’argent, ce qui est extrêmement gênant mais ne peut absolument pas se refuser sans risquer de vexer douloureusement les gens. Il s’agit quand même à chaque fois de 7 ou 8 €, finalement de quoi faire les courses pour une journée.

Hier un gars qui m’avait vu à l’épicerie m’attendait à la sortie d’un village. Ça tombait bien car il a pu me renseigner sur l’état de la route que je m’apprêtais à prendre (elle s’annonçait fermée, en travaux). Par contre, il voulait absolument m’emmener pour qu’on fasse un bout de chemin ensemble… mais moi je suis bien sur mon vélo, ce qui n’est pas toujours facile à expliquer. Il est longtemps resté en vue dans mon rétroviseur, d’ailleurs je me suis demandé si ce n’était pas un policier en civil. Puis il a disparu mais 45 minutes plus tard il revenait, m’expliquant qu’il était reparti au village acheter de la nourriture pour qu’on mange ensemble au bord de la route. Ce que nous avons fait. Le repas fini, il m’a dit qu’il n’avait plus d’energie dans son téléphone. Il m’a demandé de lui prêter une batterie et un câble, qu’il me rendrait plus loin, ce que j’ai fait en toute confiance.

Ainsi vont mes journées, souvent arrêté toutes les dix minutes pour juste faire la vidéo Facebook qui va bien ou m’offrir quelque chose ou discuter un peu plus longtemps quand les gens parlent anglais. Les paysages défilent et ne se ressemblent pas. Je peux passer en l’espace d’une heure de grands plateaux sans relief, dans une ambiance un peu hors du temps, presque glauque, face au vent, à une petite vallée verte où l’eau permanente permet un maraîchage fructueux. Je commence à voir plus de oueds alimentés…

La communauté pakistanaise et afghane de Almwared

Hier je roulais un peu tard, la nuit n’était plus très loin et je cherchais plus ou moins un coin pour me poser. Un gars est passé, a ralenti puis a continué mais quelques minutes plus tard il revenait alors que je faisais une photo depuis un col. Invitation directe à dormir chez lui, 20 km plus loin, vers là où je me dirigeais. Rendez-vous est pris à son travail, un garage auto. Abraar est pakistanais, vit dans la même pièce avec 4 compatriotes qui travaillent ici aussi comme mécaniciens. En soirée, une bande d’une quinzaine de copains pakistanais et afghans a débarqué pour le repas. On sent qu’ils sont ensemble tous les soirs et il y avait une ambiance joyeuse.

J’ai encore été très gêné qu’eux aussi veuillent me donner de l’argent mais cette fois j’ai pu refuser. Bien que Google Trad propose l’échange en pachtou et ourdou, ce n’est pas facile de comprendre le parcours de ces hommes. Toujours est-il qu’ils gagnent suffisamment d’argent ici pour rentrer régulièrement voir leur famille et revenir, en tout cas pour certains d’entre eux qui me l’ont dit. En arrivant au garage hier soir, ils avaient l’air de se marrer avec leur patron saoudien, mais je ne vois les choses que de l’extérieur.

Une question revient toujours : comment aller en France, qui semble être le graal ? Je sens comme l’illusion d’un pays merveilleux où il est facile de venir travailler et où il fait bon vivre pour quelqu’un d’origine étrangère. Je suis bien désarmé de ne pas savoir quoi leur répondre sur une Europe qui ferme ses esprits comme ses frontières…

Aujourd’hui je suis resté ici, de toutes façons ils ne voulaient pas me laisser partir ce matin. C’est bien agréable de prendre une journée de repos, ça faisait 12 jours que je pédalais, mais tranquillement, sans me lasser. J’en ai profité pour faire un petit check-up d’El Caminante, qui se porte très bien et ici c’est une bonne chose vue la rareté du magazin de vélo !

Al Ghzlan - UTM 37Q 576165 2596515 (Musaith) : 92 km / 4h30 / D+ 700 m

UTM 37Q 576165 2596515 (Musaith) - Almwared : 112 km / 6h20 / D+ 900 m

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J’hésitais à quitter mes amis pakistanais car j’étais bien avec eux et Abraar insistait pour que je ne parte pas. Je ne savais pas trop comme faire pour continuer ma route sans le vexer. Aussi, dehors c’était le tempête de vent annoncée pour deux jours alors je me demandais si ça valait la peine de bouger. En même temps, comme dirait l’autre, j’étais un peu impatient d’en finir avec cette partie entre Médine et Taïf que je trouvais longuette, je ne sais pas trop pourquoi. Je ne pensais pas qu’elle me prendrait presque 6 jours, je n’avais pas bien regardé.

J’ai finalement pris la route en me disant que j’avancerai petit à petit face au vent et c’est à peu près ce que j’ai fait, mais il a été souvent plus clément que prévu. J’ai commencé par voir une colonie de babouins sur la highway, puis j’ai emprunté des grands plateaux caillouteux et monotones, sur des routes désertes de circulation.

J’ai aussi éprouvé des sentiments contradictoires avec les gens dans cette partie. Un gars qui paye mes courses à l’épicerie puis quelques minutes plus tard, des gamins (ici on en voit conduire à 10 ans) qui me foncent dessus pour rigoler en me croisant, font demi-tour, me frôlent par la droite, le refont, jusqu’à ce que j’ai l’idée de les filmer pour qu’ils abandonnent. Une autre personne qui fait mine de m’arracher ma boucle d’oreille (je découvre que le Coran l’interdit pour les hommes), une autre qui veut savoir si je suis musulman sans même me dire bonjour (on me le demande très souvent) et qui me tourne le dos méchamment quand je réponds que non.

Décidé à la base à passer complètement au nord de La Mecque pour arriver à Taïf, qui marque la suite de ma route, j’ai finalement cédé à la tentation de me laisser pousser par le vent, plutôt que de lutter contre pendant 100 km. Je me suis ainsi laisser déporter bien à l’ouest, pour arriver entre Jeddah et La Mecque. Le contournement de cette dernière par des grands axes me faisait un peu peur pour l’intensité du trafic et aussi parce que je ne savais pas vraiment si j’aurais le droit de les prendre en vélo.

De fil en aiguille, je me suis laissé faire, avec une circulation assez calme en ce vendredi jour de repos et ainsi j’ai finalement traversé la ville par son centre, en m’arrêtant longtemps à quelques encablures de la grande mosquée où se trouve la Kaaba et la Pierre Noire.

J’avoue avoir été submergé par l’émotion d’être ici, une drôle d’énergie et des ondes de frissons se sont emparées de moi.

Ce soir je suis au pied de la longue montée vers Taïf, qu’il me tarde de parcourir. Puis des montagnes plus hautes et prononcées devraient accompagner mon voyage jusqu’à la fin.

Cette nuit comme les deux dernières, mes bivouacs sont infestés de moustiques. Je prends un malin plaisir à les narguer, bien protégé à l’intérieur de ma tente alors qu’ils tapent des crises de nerf à l’extérieur à sentir si loin si proche ce bon sang de sportif à la peau tendre.

Almwared - UTM 37Q 604569 2486176 : 93 km / 4h45 / D+ 700 m

UTM 37Q 604569 2486176 - Ar Rudaymah (route 4710) : 127 km / 6h05 / D+ 800 m

Ar Rudaymah (route 4710) - Al Hasasinah (route 15, pied de la montée d’Al Hada) : 110 km / 5h20 / D+ 500 m

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Étonnante highway à 2x2 voies hier, serpentant sur ce qui ressemble de loin à un mur. C’est la montée d’Al Hada, 1400 m de dénivelé, bordée de troupes de babouins. Elle permet de passer des plaines de La Mecque, avec ses chaleurs lourdes, à Taïf, ville de taille moyenne, 1700 m d’altitude, où règne un bon air frais et une ambiance paisible dans le quartier du souk.

C’est ici que commence, jusqu’à Abha fin du périple, 700 km plus loin environ, le cœur des Monts Sarawat. Je vais être à des altitudes plus élevées, avoir plus de reliefs à franchir et aussi être dans des coins qui, d’après l’application IOverlander sur laquelle j’ai jeté un œil, ont déjà vu passer une poignée de touristes étrangers. Toutes proportions gardées, le pays étant ouvert depuis 2019 seulement, Covid inclus donc.

Je fais une pause ici aujourd’hui, dimanche jour du seigneur. Oups pardon je blasphème. Premier hôtel en Arabie Saoudite… Le moins cher trouvé, une chambre luxueuse de 55 m2 à 0.90 € le m2, c’est raisonnable.

Hier en arrivant ici, ça m’a fait plaisir de voir que quelques saoudiens se déplacent en vélo dans la ville. J’ai pu trouver du premier coup, dans un des deux magazins de réparation de cycles (les premiers que je vois dans le pays), la chambre à air qu’il me fallait pour continuer. En effet au dernier gonflage avant la montée d’Al Hada, j’ai eu la surprise de constater que la valve de l’une d’entre elle, pourtant neuve au départ, ne tenait plus la pression. J’en avais une de rechange, que j’ai utilisé pour finir d’arriver ici, mais c’est plus reposant de savoir qu’on a toujours un joker pour la suite. J’en ai même pris deux, chat échaudé, et tant qu’à y être, acheté une petite pompe à pied pas très lourde au cas où ce problème de valve viendrait de ma pompe minimaliste qui pourrait les endommager… Je dois psychoter un peu.

J’ai aussi réglé quelques problèmes de batteries annexes de téléphone qui semblent défectueuses. Encore une fois des commerçants super gentils, faisant des réductions et des cadeaux alors qu’on a rien demandé. Je fais aussi un peu de couture de sacoches, le thermo-collage de chez Vaude souffrant quelques approximations. Enfin, hier j’ai passé les 2000 km depuis le départ.

Al Hasasinah (route 15, pied de la montée d’Al Hada) - Taïf : 45 km / 3h15 / D+ 1420 m

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Taïf sera sûrement la seule ville où je me serai arrêté en Arabie. Je ne souhaitais pas vraiment rentrer dans des villes, peu attiré par les rocades et boulevards, à jongler avec la conduite saoudienne quand même effrayante dès que la circulation s’intensifie un peu. Mais j’ai finalement traversé La Mecque sans encombre et Taïf m’a bien plus. Un million d’habitants quand même mais on ne dirait pas.

Je m’y suis à vrai dire surtout reposé, à bouquiner toute la journée après avoir réglé trois affaires courantes en ville. Je conseille d’ailleurs « Ainsi résonne l’écho infini des montagnes » de Khaled Hosseini. L’Afghanistan au fil des décennies, à travers différents personnages. J’aime beaucoup.

J’en ai aussi profité pour manger au resto, ce que je n’avais pas encore fait, car dans les campagnes je n’en voyais pas. Je me suis régalé pour un prix modique et j’ai été servi par des gars encore super gentils et souriants.

Je suis reparti en début d’aprem après avoir papauter un bon moment avec du personnel de l’hôtel et Iqbal, un homme d’affaire indien. Une petite crevaison en sortant de la ville puis j’ai commencé à trouver du relief au fil de la route 205, qui suit pour le moment plus ou moins la crête faîtière de la chaîne, vers 2000 m d’altitude. On sent que les hameaux rencontrés sont plus anciens, plus intégrés, agricoles. Le paysage est fait de gros blocs cuivrés. Je peux suivre cette route assez longtemps sans trop varier d’altitude, mais je peux aussi d’ici Abha faire des grands plongeons versant ouest puis des bonnes grimpettes pour revenir à cette route principale et ainsi de suite…

Je profite de ce post pour répondre aux questions du commentaire de Régine. Oui c’est étonnant de voir tous ces magasins fermés. C’est le cas aux heures de prière surtout. Les ouvertures peuvent être sporadiques, ou pas, selon le type de commerce, la région. Je ne comprends pas tout. Par exemple souvent à 12h30 les magazins et restaurants ferment précipitamment, presque dans la panique à 12h29 car c’est l’appel à la prière, puis réouvrent 20 ou 30 minutes plus tard, jusqu’au prochain appel vers 15h30 mais souvent les magasins restent fermés jusqu’à ce que l’appel et la prière de 18h soient passés. Certains font le pont, quoi. C’est par contre ouvert tard le soir, 22h semblant être la norme, en ville en tout cas.

Sinon, la mondialisation est bien présente ici aussi. D’ailleurs elle a finalement commencé bien avant l’heure, avec la vente du pétrole, qui a mis le reste du monde sous perfusion. Il y a aussi une forte présence de main d’œuvre étrangère, essentiellement pour le travail dit “non qualifié”. On trouve de gros centres commerciaux en ville, énormément de produits sont importés et ressemblent aux nôtres. Les voitures sont plutôt japonaises dans les campagnes et américaines pour les citadins, qui se promènent avec des 4x4… plus gros tu meures. Des villes comme Jeddah sont des sortes de Dubaï mettant en exergue la pointe de la technologie

Enfin, pour les rencontres avec des touristes, je n’ai vu aucun occidental pour le moment…

Taïf - UTM 37Q 683289 2320553 (route 205) : 65 km / 3h30 / D+ 880 m

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Cette fois je suis bien au cœur des Monts Sarawat. C’est vallonné, c’est tourmenté, ça monte, ça descend, ça casse les pattes et il y a eu à un moment des kilomètres carrés de blocs. Ça rappellera quelques chose à ceux qui connaissent Tafraoute au Maroc. Des petites aiguilles et parois aussi, pas très hautes, une centaine de mètres sûrement.

Une journée passée entre 2000 et 2600 m, avec toujours un petit vent de face soutenu et finalement une température frisquette. Demain peut-être un peu de pluie sur la crête faîtière de la chaîne, où je pouvais continuer. J’ai eu envie de descendre versant ouest pour me mettre un peu au chaud, échapper sûrement à cette pluie et aussi pouvoir observer avec du recul ce versant des Monts Sarawat, au cas où une ou deux parois y montreraient le bout de leur nez. J’ai donc eu le plaisir de faire un grand plongeon de 2000 mètres en fin d’après-midi. Il faudra bien remonter là-haut, mais quand on aime… bien qu’il me manque quelques dents à l’arrière pour mieux apprécier, vue la raideur des routes ici.

UTM 37Q 683289 2320553 (route 205) - UTM 37Q 690416 2266903 (avant Almohdar) : 104 km / 5h40 / D+ 1580 m

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Départ à la cool aujourd’hui après un chouette bivouac et un réveil bercé par une foultitude de chants d’oiseaux. Quelques kilomètres, puis une invitation à manger à midi s’est présentée. Comme ici les gens te disent d’entrée que tu peux rester un mois si tu veux, j’ai finalement décidé de passer également la nuit chez Ahmed, prof de chimie au collège d’Al Jaizad. Une invitation qui est bien tombée car il a pas mal plu. Petite balade en voiture en fin d’aprem pour visiter le wadi du coin alimenté par la nouvelle pluie et soirée avec les nombreux enfants, frères, neveux et cousins. Merci Ahmed et tout le monde. J’ai aussi appris qu’un cycliste allemand est passé ici il y a deux jours. C’est en tout cas ce que dit le téléphone arabe.

UTM 37Q 690416 2266903 - Al Jaizah : 35 km / 1h50 / D+ 300 m

Tiens et pour Philippe, photo de la trousse à outils au départ. Variable selon pays visités, chances de trouver des magasins sur place, durée du voyage… Bonne reconversion à toi !

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Étranges sensations d’insécurité aujourd’hui dans un endroit pourtant fabuleux… Nuit en haut du Jabal Shada, quel silence ce soir, ça fait du bien.

Al Jaizah - Jabal Shada : 110 km / 6h10 / D+ 1850 m

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… Façon de parler dans un pays musulman.

Me voilà définitivement protégé, quoique que je fasse, où que j’aille. Ce matin, dès la sortie de mon bivouac, mes anges gardiens, souvent sympathiques au demeurant, étaient là. Repérables très facilement, ils ont été sur ce coup bien habiles pour voir où je m’installais hier soir alors que j’étais dans l’illusion de m’être débarrassé d’eux dans l’après-midi. À moins que j’ai hérité d’un traceur avec mon téléphone.

Une paranoïa, mal placée sûrement, me gagne parfois avec ces gars qui se relayent toute la journée pour assurer ma protection contre « les singes, les chiens, les accidents de la route… et les africains ».

Je n’ose plus parler avec les gens qui ralentissent sur la route, ni accepter une bouteille d’eau de peur qu’on me tende un piège avec un produit illégal. Ces citoyens avec qui j’échangeais quelques mots ou coopérais pour leur vidéo Facebook repartent fâchés de mon attitude austère et je suis désolé pour la mauvaise image que je laisse en tant que touriste. Jusqu’ici, je ne regardais jamais mon vélo en faisant une course à l’épicerie. Maintenant je le piste en permanence. On ne sait jamais ce qui pourrait apparaître comme par enchantement dans une sacoche. Je psychote.

Mais au moins, je suis en sécurité. Sauf quand ces policiers me suivent à un mètre au risque de me rouler dessus si je tombe, mais c’est un détail difficile à faire entendre, et c’est bien normal, à quelqu’un qui n’est jamais monté sur un vélo. Je dois reconnaître qu’ils ont pris leur distances et sont plus discrets depuis que je le leur ai demandé.

Ces vacances ont donc pris une autre tournure, s’apprêtent probablement à se conclure très vite alors que je devais reprendre l’avion le 9 février. J’ai l’impression de foncer tête baissée et assez bêtement vers Abha, qui n’est plus qu’à 150 km si j’y vais au plus direct.

L’aventure c’est l’aventure, après tout personne ne m’a demandé de venir ici, je me suis invité tout seul et il y a déjà eu tellement de bonnes choses vécues. J’ai eu beaucoup de chance pendant trois semaines. Est-il trop tôt pour voyager en vélo dans ce pays ? Ou déjà trop tard ? J’ai sûrement eu un bon créneau en tout cas… Aujourd’hui j’ai profité d’une belle grimpette sur une route aux 65 épingles, remontant une croupe comme on y ferait une trace de ski de randonnée.

Finalement, ces discussions avec mes nouveaux amis (grace à Google toujours) sont intéressantes, tant ils pensent sincèrement bien faire. Et moi de leur dire que je vais quitter plus tôt que prévu leur magnifique pays à cause de leur présence. Ce qui leur fait autant de peine qu’à moi semble t’il. Ce soir j’ai finalement pris un hôtel au dernier moment. Ils voulaient savoir à quelle heure je partais demain. Je me suis permis de répondre que pour ça, c’était eux les spécialistes. Ce qui les a fait rigoler.

Un petit lien sur la vie des babouins : https://www.dailymotion.com/video/x8bjee

Jabal Shada - Sabt Shamram : 96 km / 4h35 / D+ 690 m

Sabt Shamram - Al Namas : 103 km / 7h / D+ 3100 m

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Ma foi, du vélo avec un policier dans le rétroviseur toute la journée, ça peut se faire, si le paysage est beau, la route sinueuse et à condition bien entendu de ne pas regarder dans le rétroviseur…

Je dis policier mais à quels services de l’état ou société privée plus ou moins légale appartiennent ces types au demeurant sympathiques, qui supportent de suivre un autre mec louche sur un vélo, le moteur calé à 15 ou 20 km/h pendant 135 km, sous un soleil de plomb ?

Dommage, plus grand monde ne me parle. Qui s’adresserait à un individu clairement talonné par un moustachu patibulaire ? Si, quand même, à une épicerie j’ai passé un chouette moment avec une bande de travailleurs immigrés rigolos.

Aujourd’hui j’ai replongé… Et demain je repousse un grand coup sur le fond de la vallée et je passerai à 3000 m, pour arriver à Abha, à 80 km de mon bivouac de ce soir. Tranquille et silencieux, idéal, avec les moustiques à l’extérieur qui pêtent un câble, après m’avoir bien dévoré quand même le temps de me faire mon bol de lentilles corail et ma boîte de thon. Je n’ai pas trop réussi à voir si un pot de glue avait aussi investi les parages.

Al Namas - UTM 38Q 201979 2030033 (route 211) : 135 km / 6h20 / D+ 1170 m

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Dernière journée hier, sous pression totale de mes protecteurs, présents dès la fin de ma platrée de porridge puis calés dans ma roue toute la journée, sûrement pour profiter de mon aspiration.

Raide et dure remontée sur Abha, sans trop de plaisir ni motivation cette fois vu le contexte. Parfois avec ce poids derrière son dos, on finit par se demander si on a le droit de sourire ou siffloter. Ça peut sembler être un détail, mais comment s’arrêter faire pipi sur la terre d’Allah sans se dire qu’on va peut-être finir avec des menottes aux poignets pour cet acte malveillant ? Et encore, je dis un homme. En plaine, ça allait, car on trouve une mosquée et ses wc tous les deux tours de pédalier mais hier matin avec une mosquée chaque 1000 mètres de dénivelé seulement, l’affaire s’est compliquée.

Deux personnes avec qui j’ai pu discuter lors de pauses ont bien été demander à ces suiveurs très propres sur eux qui ils étaient, pourquoi importunaient-ils un touriste et quels étaient leurs documents officiels ? Dans ce cas, le suiveur s’excuse, s’éclipse et un autre rapplique en un laps de temps incroyablement court, se pensant à chaque fois plus malin que son prédécesseur au niveau discrétion. Par la même occasion ces deux saoudiens ont découvert l’existence de ces services et ne comprenaient rien à ce qu’il se passait.

Enfin bon, au moins ils travaillent bien pour la police puisque le matin à un carrefour, il y avait à la fois un agent 007 à moustaches et voiture blanche et un véhicule officiel de police, beige mais à moustaches aussi, avec qui j’ai discuté simultanément.

J’ai l’impression parfois de subir un épuisement mental, destiné à me faire quitté le pays au plus vite, le tout avec des grands sourires, le sempiternel et horripilant « want help you », les trois mots d’anglais qu’on leur a enseigné pendant leur formation et la bouteille d’eau tendue avec un grand sourire, comme si j’avais attendu 3000 km pour me désaltérer.

Je me dis tout le temps que cette situation est dure à vivre car je suis seul. À plusieurs on doit juste en rire.

En fin de journée j’ai fini par appeler le numéro d’urgence de l’Ambassade de France (la veille j’avais envoyé un mail pour laisser une trace). Je suis tombé sur un monsieur très gentil qui m’a dit que oui, tous les touristes étaient « protégés » ici, surtout surveillés on était bien d’accord, de manière plus ou moins discrète et légère.

Alors on se refait le film et un tas de détails reviennent : ce 4x4 passant furtivement alors que je suis installé loin au fond d’un talweg, caché de la route par des bosquets ou un autre soir dans ma cabane de berger alors que personne à priori ne m’a vu prendre le chemin qui s’y rend. Souvent un gars qui me regarde de loin m’installer. Une voiture qui apparaît comme ça le matin…

Une ou deux invitations un peu trop fortuites par des gens exercant prétendument tel ou tel métier mais finalement incohérents dans leur discours quand on cherche à entrer dans les détails de leur travail et leurs horaires.

Cette quasi-obligation de faire ce pic-nic au bord d’une route, accompagné de questions un peu intrusives : es-tu musulman ? Pourquoi pas ? Bois-tu ? Es-tu marié ? Par un gars qui prétend travailler pour le ministère des transports, avec lequel je suis cependant resté très évasif car je le sentais pas trop.

Je suis de toutes manières toujours resté très discret sur tous les aspects de ma vie : je suis marié, j’ai un enfant, je ne bois jamais d’alcool, je déteste les gens qui se droguent. Par contre j’ai pu dire que j’étais athée, en précisant que l’Islam était pour moi la plus belle religion si je devais en chosir une. Ici, dites plutôt que vous êtes chrétien, ce sera plus simple. Enfin, quand vous viendrez ici.

Cette obsession quotidienne chez certains conducteurs tout joyeux de me rencontrer de savoir où je vais, là tout de suite, maintenant…

Une vidéo de mon blog, illustrant la journée du lendemain d’un pic-nic super avec quatre gars de Médine dont deux travaillaient dans la police (ils me l’ont dit), qui prend 360 vues alors que le moyenne est plutôt à un peu plus de 100...

Dès la frontière, cette voiture de police qui me suit puis qui, de façon incohérente, me lâche au moment où je commence à entrer dans les quartiers pour chercher la maison de Naïf… et ce dernier qui apparaît en voiture exactement au moment où mes roues touchent son portail. Pas si naïf Naïf qui m’a quand même dit, lorsque je lui ai demandé ce qu’il faisait dans la vie, à part avoir assuré la logistique pour trois copains grimpeurs récemment, travailler de nuit à Tabuk pour une sorte de police secrète mais pas tout à fait mais un peu « same same » comme ils disent ici.

En tout cas toujours très pros, propres et pas dérangeants, jusqu’à cette semaine où il y a du y avoir quelques failles dans le cursus de formation ou un ordre d’harcèlement.

J’aimerais bien trouver ce cycliste allemand qui apparement me devançait pour savoir ce qu’il a vécu. Donc voilà, l’arrivée à Abha c’était pas aussi disco que le groupe de musique du même nom et je n’ai éprouvé aucune joie particulière.

J’ai neuf jours d’avance sur mon vol retour. En voyant ça je m’étais dit que j’allais occuper le temps en faisant une boucle jusqu’à la frontière du Yémen ou aller sur l’île de Farasan à la Mer Rouge. Maintenant je sais plus trop. Il faut aussi que je trouve un carton pour mettre le vélo dans l’avion. Je m’en suis occupé directement en arrivant hier et l’affaire est plutôt bien engagée avec un marocain sympa (et faisant partie de l’équipe nationale du Maroc) qui travaille dans le magazin de vélo que j’ai trouvé ici. Il en cherche un et sinon il me donnera le sien le temps d’en trouver un autre pour lui m’a t’il dit.

Hier j’ai dit à un des gars qui me harcelait que s’il voulait me rendre service, il pouvait filer à ce magazin leur demander un carton et qu’on s’y retrouvait, comme ça je roulais mes derniers 30 kilomètres tranquille et je lui ai aussi donné l’adresse de mon hôtel. Il a accepté, fait mine de s’intéresser aux dimensions du carton, a pris mon numéro Whattapps et je me suis senti un peu libre… une minute car une autre voiture est immédiatement apparue. En arrivant au magazin, il n’y était jamais passé.

Dans le cadre du développement touristique ici, l’objectif est que ce secteur atteigne 10 % du PIB d’ici 2030. Un lien vers le projet Neom :

https://amp.france24.com/fr/20190727-arabie-saoudite-mohammed-ben-salmane-mbs-neom-ville-futur


UTM 38Q 201979 2030033 (route 211) - Abha : 81 km / 5h40 / D+ 2650

Note d’humour de Google Map 
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Le lendemain de mon arrivée à Abha, j’ai observé que deux voitures avec deux personnes dans chacunes restaient postées en permanence devant l’hôtel. Quand j’ai été manger en ville, elles m’ont suivi. Quand j’ai été chercher un carton pour mon vélo en taxi, elles m’ont suivi, de très près comme si j’allais m’échapper, puis le temps que je reste au magazin de vélo, une voiture officielle de police les a remplacé.

J’ai décidé de rentrer au bled, impossible de continuer des vacances ainsi, stressé et en dette de sommeil. Un coup à avoir un accident de la route à cause d’un manque de vigilance et surtout de finir par en prendre un pour assommer l’autre. J’ai donc racheté un billet et écourté mon voyage de 10 jours.

Les gars sont restés devant l’hôtel toute la nuit et quand le taxi m’a emmené à l’aéroport d’Abha, ils nous collaient on ne peut plus près. Saïf, yéménite, qui faisait le taxi sûrement un peu comme ça au black, s’en est aperçu. Je lui ai dit que j’étais suivi et le pauvre est entré en stress aussi. J’espère qu’il n’a pas eu de problème après, je m’en suis inquiété mais je n’ai pas eu de réponse. Quand on s’est garé, une voiture de police a pris le relais de mes moustachus patibulaires.

Une fois dans l’aéroport un gars qui passait les contrôles de sécurité en tapant sur l’épaule de tout le monde a suivi chacun de mes gestes, y compris quand j’allais aux toilettes. Il m’a regardé jusqu’à ce que je monte dans l’avion.

Autant dire que je m’attendais à un comité d’accueil à Riyadh, pensant qu’on devait me reprocher quelque chose que j’avais écrit sur mon blog, d’être entrer dans La Mecque, d’être athée, d’avoir une calvitie, trop de poils au nez ou de porter des chaussures pas de la bonne couleur.

Cependant, dans l’aérogare de Riyadh j’ai vite vu que j’étais un passager lambda en transit et la pression est retombée. J’ai bien soupçonné Farad, un canadien d’origine pakistanaise qui est venu brancher son ordinateur à côté de moi, d’être là pour aspirer les données de mon téléphone mais nous avons très vite sympathisé. Puis en changeant de terminal on a rencontré Christopher, allemand et après avoir laissé nos bagages à une consigne, nous sommes partis manger en ville.

L’occasion pour moi de découvrir brièvement un tout autre pays, dans une sorte de quartier commercial très moderne où pleins de femmes étaient de sortie entre copines, voilées ou pas. À l’aéroport où beaucoup travaillent, on a passé un bon moment à plaisanter et discuter avec celle qui s’occupait de la consigne. Un contraste saisissant avec les ombres furtives aperçues dans mes campagnes des Monts Sarawat.

Je ferai sûrement plus tard un petit article sur les femmes et ce que j’ai observé sans vouloir le dire sur le blog. J’ai reçu pendant le voyage un mot d’une amie pour me dire qu’elle ne suivrait pas mon blog, en soutien à le cause féminine en Arabie Saoudite. D’autres se demandent si ce voyage serait possible pour une femme. Je ne voulais pas aborder ce sujet tant que j’étais dans le pays mais ça a bien occupé mes pensées pendant les heures de pédalage. Les questionnements restent en suspens.

En voyant cet aéroport rempli de gens du monde entier, ces policiers souriants au passage de frontière, je me suis dit que je n’avais pas eu de chance dans la région d’Abha. Je suis sûrement tombé sous les ordres d’un responsable de secteur un peu trop zélé, un peu trop flippé, parfois ça peut se jouer à pas grand chose. On m’a aussi dit que cette région d’Abha était très conservatrice. Étant sûrement un des premiers à faire du vélo en itinérance dans le coin, je comprends que ça puisse surprendre de voir passer un occidental rabougri qui ici serait à la retraite depuis longtemps, en short moulant, seul sur son vélo, s’amusant de surcroît â faire des détours par des montées et descentes improbables alors qu’il pourrait aller tout droit du point A au point B comme tout bon automobiliste qui se respecte.

Imaginons la gendarmerie ossaloise tombant sur un saoudien et son dromadaire, un chèche sur la tête et vêtu d’une belle robe qui remonterait la vallée tout en s’arrêtant près de la fontaine de Laruns à 18h30 pour faire sa quatrième prière de la journée pendant que les autochtones dont je pourrais faire partie s’attaquent à la troisième tournée de Ricard… Peut-être que quelques coups de fils à la sécurité intérieure seraient passés !

J’ai vécu cet encadrement policier comme du harcèlement pour me faire fuir la région mais ne me suis nourri que d’interprétations et de suppositions. C’est une nouvelle expérience vécue, toujours intéressante, même si je regrette un peu de ne pas avoir pu continuer jusqu’à la frontière du Yémen où les montagnes ont l’air d’être encore plus belles.

Mes coéquipiers de soirée riaient bien quand je leur racontais mon périple. Ils bossent ici sur le délire futuriste de Neom et c’est une facette de l’Arabie Saoudite qu’ils ne connaissent pas du tout. J’ai passé mon voyage dans les campagnes profondes, très traditionnelles, presque obscures du pays. La vie en ville semble radicalement différente.

Enfin désolé, j’ai supprimé des commentaires sur le blog quand j’étais à Abha, dans mon délire paranoïaque !

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Il me faudra du temps pour explorer intérieurement et digérer cette expérience saoudienne.

J’étais parti, comme à chacun de mes voyages, en me disant que l’image que l’on a d’un pays depuis notre occident, si fier et sûr de lui, est toujours tronquée. Je crois en effet qu’il est assez pratique pour nos élites auto-déclarées de montrer du doigt « les autres » pour nous ancrer dans certaines certitudes, quitte à entretenir la haine afin de préserver un système économique devenu absurde, qui ne profite plus qu’à une poignée d’individus totalement hors-sol. Pardon pour ceux que je choque en disant cela. Je ne crois pas que l’humanité soit capable d’inventer un autre système économique sans qu’il fasse aussi des ravages. Je rêve juste d’un capitalisme plus sage et partageur, avec des biens communs qui ne puissent appartenir à des entreprises privées : l’eau, l’éducation, la santé, l’énergie, les transports. Un capitalisme comme il était il y a seulement 40 ans en fait, avant qu’on se mette à élire des gens prêts à tailler en pièce notre vivre–ensemble pour refiler des parts de marché à leurs petits copains. Fermons la parenthèse.

Le déplacement en vélo est un formidable moyen pour explorer « la vraie vie ». Cela s’est particulièrement vérifié en Iran en 2000 (pas en vélo mais pour grimper), au Mexique en 2019 et en Colombie en 2022. Cette fois, je ne sais pas trop quoi dire sur ce gap supposé entre l’image et la réalité. Ma réalité en tout cas, qui reste très subjective. Parfois je me demande si je ne rentre pas de ce pays avec une idée bien pire que celle que ma culture occidentale m’en donnait au départ.

En descendant la chaîne des Monts Sarawat sur environ 2500 km, je n’ai vu qu’une toute petite partie de l’Arabie Saoudite. Celle, je pense, des campagnes « profondes », très traditionnelles, conservatrices, ancrées dans un dogmatisme religieux… qui m’a dépassé. De ce que j’ai pu lire, avant, pendant et après mon voyage, et que j’ai brièvement vu à Riyad, la vie en ville est très différente, avec des évolutions notables vers le « modernisme ». Ce dernier reposant par exemple sur le fait que la police qui surveillait que les gens fassent bien la prière cinq fois par jour a été supprimée en 2016 ; ou qu’une des dernières réformes fut d’autoriser les cabines d’essayage pour les femmes.

Mon regard est subjectif et clafi de certitudes occidentales. Pourtant, j’essaye de ne croire que ce que je vois. Dès mon entrée dans le pays, j’ai été marqué par l’absence de vie sociale. Des villes de taille moyenne traversées sans apercevoir la moindre possibilité de lien entre les gens. Si ce n’est celle du livreur de l’épicerie avec l’épicier lui-même. Des villes fantômes, faîtes de résidences énormes sans y apercevoir signe de vie. Les théâtres et les cinémas sont interdits. Dans les endroits que j’ai traversé, un café ou un thé ne se boit pas dans un espace commun mais seulement sous forme de drive dans les stations-services. Je n’ai pas entendu une seule note de musique ni observé quelque forme d’expression artistique que ce soit dans les régions où « El Caminante » m’a mené.

Dès le début, bien avant que la police ne me « protège » en m’harcelant jusqu’à ce que je finisse par partir, et malgré mon envie de détruire tous les clichés que je pouvais avoir sur ce pays, le premier mot qui me venait à l’esprit était « obscurantisme », sans trop savoir ce que cela signifiait exactement. En cherchant sa définition, on tombe sur : « attitude de ceux qui s'opposent à la diffusion de l'instruction, de la culture ». Le second mot qui me venait en observant était « fondamentalisme » : « se manifeste par un engagement envers des doctrines radicales et peu nuancées ».

Selon la version officielle des attentats de septembre 2001, 14 des 19 terroristes étaient saoudiens. Suite à cela, la communauté internationale a demandé à l’Arabie Saoudite de faire des efforts concernant l’éducation de son peuple. Ce qui a été fait, d’après ce que j’ai lu. Je me suis notamment plongé avant et pendant mon voyage dans le livre « Arabie Saoudite, Islam et Pétrole » d’Alan Philowitz. Pourtant, 20 ans plus tard, tant de personnes rencontrées, si sympathiques, avenantes, aidantes, joyeuses, arborant une magnifique voiture, une tenue très digne de notable… mais ne sachant absolument pas lire ou restant comme si je leur parlais de la planète Mars quand je leur disais que j’étais parti de Jordanie, pays pourtant limitrophe.

J’ai souvent été invité et je remercie tous les gens qui l’ont fait, même si je sais avec le recul que certaines invitations venaient de policiers en civil. J’ai passé d’excellents moments avec eux, vraiment. À partir du jour où je me suis aperçu que j’étais suivi, j’ai constaté, en observant toutes les voitures garées innocemment avec quelqu’un dedans, ou tous ces gars portant des lunettes noires, les yeux artificiellement rivés sur leur téléphone, à quel point tout le monde surveillait tout le monde.

Parmi toutes ces rencontres, innocentes ou non, aucun sujet autre que le football, unique préoccupation géopolitique m’a t’il semblé dans ce pays, n’a été abordé.

Plusieurs fois, on m’a demandé, de manière plus ou moins directive de me couper les cheveux. Souvent, on a regardé ma boucle d’oreille de manière suspecte avec un geste brusque pour l’enlever. Porter un bijou pour un homme ne se fait pas, à part, de ce que j’ai lu, une bague en argent après le mariage. Il est arrivé que des gars en voiture la voit, ralentissent pour revenir à ma hauteur et qu’ils me fassent des grands signes un peu inquiétant concernant celle-ci. J’ai fini par la retirer, par respect des traditions locales mais surtout pour éviter les ennuis. Une personne rencontrée sur trois commençait la discussion en voulant savoir si j’étais musulman et on m’a parfois tourné le dos quand je répondais que non, en m’excusant la main sur le cœur. J'ai souvent entendu aussi que ce n’était pas un problème, qu’il y avait de la place pour tout le monde dans l’humanité, à condition que chacun respecte l’autre. Pour ma part, je suis athée, croyant cependant en la puissance de la nature et que nos avons tous un destin, contre lequel à rien de sert de lutter. Une fois seulement, une personne m’a fait peur. Alors que ma traque policière avait commencé, un gars aux yeux exorbités, comme possédés, m’a apostrophé, me demandant ce que je faisais dans son pays sans être musulman. Ça semblait le dépasser complètement. Je lui ai répété plusieurs fois que l'Islam était la plus belle religion et il est finalement parti.

Ce qui m’a beaucoup marqué en rapport au poids de la religion, c’est cette terreur permanente pour les magasins de ne pas avoir fermé leurs portes à l’heure précise de l’appel à la prière. Une peur panique, observée plusieurs fois.

Et les femmes ? Je suis resté discret à ce propos sur mon blog, de peur qu’il ne soit suivi par les services saoudiens et bien que recevant des injonctions à m’exprimer ou des interrogations légitimes de la part d’amies.

Je me méfie de la bien-pensance occidentale à ce sujet. Un président des États-Unis démocratiquement élu à priori, n’a t’il pas déclaré qu’avec les femmes « vous pouvez faire ce que vous voulez, les attraper par la chatte » ? En France, le droit de vote des femmes n’est pas si ancien, comme celui d’avoir un compte en banque. La réalité de beaucoup de femmes occidentales est d’être moins payées que les hommes pour une fonction équivalente, de majoritairement assumer toutes les tâches du quotidien dans la famille, de faire tourner la boutique en assurant des emplois souvent précaires et peu valorisant, qu’elles devront supporter jusqu’aux portes du caveau au rythme où s’enchaînent les réformes de la retraite. Le tout avec l’injonction de rester séduisantes, mais pas trop quand même, on ne sait jamais.

Je ne suis pas musulman, je n’ai pas grandi en Arabie Saoudite, je ne connais pas les codes de ce pays, je ne sais pas si les femmes sont plus ou moins heureuses et épanouies amoureusement et sexuellement dans leur couple que chez nous. Je ne prétendrais pas avoir compris quoi que ce soit sur cet aspect.

Je peux juste dire ce que j’ai vu. C’est d’abord une jeune saoudienne dans l’avion entre Amsterdam et Riyad faire du « rentre dedans » à un bel américain à côté duquel elle s’est retrouvée assise. Ils ont fini avec des mains baladeuses sous les couvertures de KLM, collés l’un à l’autre et bien tristes m’a t’il semblé que l’un continue jusqu’à Damman alors que l’autre descendait à Riyad.

Ensuite, la dame qui s’occupait d’enregistrer mes bagages pour prendre mon vol vers Amman, m’a parlé pendant 15 minutes tout naturellement, s’intéressant à mon voyage, à la vie en France, à ma vie, sans que je ne sente aucune gène ni censure.

Les deux fois où j’ai dormi à l’hôtel, la réception était tenue par des femmes, portant un niqab et un chador mais plutôt en mode décontracté, ouvert, laissant paraître une tenue de ville à l’occidentale dessous et n’hésitant pas à discuter longtemps de tout et de rien, me demandant si elles pouvaient me prendre en photo. À Riyad, j’ai vu des bandes de copines sortir manger ensemble, certaines sans voile.

99,9 % de mon voyage s’est passé dans les campagnes et montagnes. Là, je n’ai aperçu des femmes que très furtivement, toujours avec le chador et le niqab, vêtements qui étaient portés, rappelons le quand même, avant la naissance de l’Islam. J’y ai vu uniquement des femmes avec leurs maris en voiture, s’arrêtant pour m’encourager, discuter ou m’offrir une bouteille d’eau ou quelque chose à manger. Elles n’hésitaient pas à me regarder dans les yeux, parler un peu, très rarement quand même, ou me prendre en photo, très souvent par contre.

Dans les rues et épiceries de ces campagnes, je ne voyais presque que des hommes. Je n’ai été invité que par des personnes masculines et chez eux, j’ai parfois vu leurs enfants, rarement, mais jamais leurs femmes. La plupart du temps, je mangeais seul, avec un repas que mon hôte allait acheter au restaurant du coin.

Lors de ma dernière invitation, je jouais avec les enfants et leurs vélos devant les maisons du cercle familial, frères et sœurs habitants souvent la même rue. Par inadvertance, je suis apparu devant une maison alors qu’une dame, cheveux non voilés, étaient sur le pas de sa porte pour regarder ce que les enfants faisaient. Quand elle m’a vu, elle est rentrée à la vitesse de la lumière, j’ai senti qu’un drame venait de se jouer. Plus tard, la même ou une autre de ces sœurs ou belles-sœurs est sortie devant les maisons alors que je m’y trouvais encore. Elle avait rajouté à son niqab un voile devant ses yeux, finissant par marcher en titubant avec son bébé dans les bras, bien que je me sois éclipsé au plus vite pour bien lui montrer que je ne souhaitais pas la déranger.

Pendant ce temps, le gars qui me recevait n’arrêtait pas de me montrer qu’il était en tchat avec des filles un peu partout dans différents pays, que celle-ci ou celle-ci il pouvait l’avoir pour telle ou telle somme, qu’il avait été passer des vacances en Azerbaïdjan où des prostituées l’avaient obligé à faire du sexe et que son frère était son modèle car il avait 4 femmes et 20 enfants, grâce à une « bite bien dure », littéralement dans le texte. Le lendemain je suis parti le plus tôt possible de chez ce gars, auquel je me suis bien gardé de donner mon avis sur quoi que ce soit pendant la soirée, mais c'est après l’avoir visité que ma traque policière a commencé, coïncidence ou pas, je ne le saurai jamais. Toujours est-il qu’il m’a harcelé de messages jusqu’à la fin pour savoir vers où j’allais.

On m’a parfois demandé si ce voyage serait possible pour une femme. Je pense sincèrement que oui, à la seule condition de pédaler avec des vêtements amples couvrant les jambes. Elle serait abordée et invitée par les hommes comme je l’ai été, car presque seuls les hommes sont dehors, de manière respectueuse j’en suis sûr et elle aurait par contre la possibilité de vraiment rentrer dans le cercle familial car une fois à la maison, elle serait avec les femmes. Je pense aussi que si elle devait subir une surveillance policière, elle serait plus discrète que ce que j’ai vécu. Voici le lien vers le podcast d’une jeune voyageuse qui a parcouru le Moyen-Orient seule récemment :

https://art19.com/shows/je-t-emmene-en-voyage/episodes/8f3988f1-f967-4535-b387-45c0d2c126b0

C’est en grande partie en l’écoutant que j’ai décidé de prendre un billet pour ce pays.

Ce qui m’a frappé aussi, c’est que le simple fait de naître saoudiens semble suffire à toucher de la part de l’état un revenu minimal très confortable, permettant de vivre dans l’oisiveté, de conduire une belle voiture et d’habiter une grande maison. Un système communiste en fait, inscrit sur les marchés mondiaux du capitalisme le plus abouti. Tout travail manuel est mal considéré, il est donc réalisé par une immigration massive venue du Pakistan, du Bangladesh, d’Inde et d’Afghanistan. De ce que j’ai vu, ces travailleurs obtiennent des salaires et conditions de vie correctes. Par contre j’ai souvent entendu des propos racistes ou de "mise en garde" à leur égard. Pour ma part, c’est avec ces nationalités que les échanges ont été les plus riches et que j’ai eu moyen de parler d’autres choses que de savoir si Messi ou Mbappé était le meilleur joueur du monde.

Au vu de ce que m’a répondu le ministère du tourisme saoudien quand je leur ai fait part de mon expérience policière, tout en leur expliquant que leur pays était fantastique pour développer le cyclotourisme, je sais que je ne reviendrai pas là-bas de si tôt. Le tourisme que j’ai pratiqué en pensant aller et venir librement dérange trop les autorités, pour le moment. Ce que ces dernières souhaitent développer, il me semble, est un tourisme de masse, de luxe si possible, encadré par des tour-operators ou structures qui montreront ce qu’il faut montrer et feront penser ce qu’il faut penser. La ville "futuriste" de Néon sera probablement un grand succès, avides que nous sommes de mondes parfaits, si artificiels soient-ils, dopés au fake et au story-telling…

Pour conclure, de manière abrupte sûrement : j’ai le sentiment d’avoir voyagé dans une dictature coranique féodale cherchant à améliorer artificiellement son image à l’internationale. J'en reste pas moins ravi d'avoir vécu cette expérience aux multiples facettes, souvent envoutante grâce aux paysages, au plaisir de pédaler dans ces wadis serpentant à l'infini, à la gentillesse des gens... tout en ayant en permanence un arrière-goût bizarre, comme si je n'avais rien à faire là. Je remercie finalement la police de m'avoir poussé prématurément vers la sortie, car je suis rentré au début d'un magnifique créneau pour faire de la cascade de glace et me suis régalé de cette activité que j'avais moins eu l'occasion de pratiquer ces derniers hivers.

Tout ce, tous ceux, qui m'a, qui m'ont, fait vibrer

Le parcours total si ça intéresse de futurs cyclistes...

J 1. 31/12/22 : Amman Airport - Madaba . 22 km / 1h05 / D+ 200 m. Nuit : Madaba Hotel. 9 JD avec pt déj

J 2. 01/01/23 : Madaba - Al-Karak . 87 km / 5h20 / D+ 1640 m. Nuit : Cairwan Hotel. 14 JD avec pt déj

J 3. 02/01/23 : Al-Karak - Dana. 96 km / 6h30 / D+ 2200 m. Nuit : Dana Tower Hotel. 25 JD demi-pension

J 4. 03/01/23 : Dana - Wadi Rum. 170 km / 8h05 / D+ 1540 m. Nuit : chez Atayek

J 5. 04/01/23 : repos à Wadi Rum

J 6. 05/01/23 : Wadi Rum - Bir Bin Hirmas. 53 km / 2h25 / D+ 30 m. Nuit : chez Naïf

J 7. 06/01/23 : Bir Bin Hirmas - UTM 37R 267138 3099989 (route 8900). 115 km / 5h20 / D+ 300 m. Nuit : bivouac

J 8. 07/01/23. UTM 37R 267138 3099989 (route 8900) - 37R 281880 3038965 (route 8900). 91 km / 5h20 / D+ 1300 m. Nuit : dans un abris de bergers

J 9. 08/01/23. UTM 37R 281880 3038965 (route 8900) - Abu Al Gazaz (route 8776). 114 km / 5h30 / D+ 300 m. Nuit : invité chez Ali

J 10. 09/01/23. Abu Al Gazaz - UTM 37R 329417 2901813. 115 km / 5h / D+ 450 m. Nuit : bivouac

J 11. 10/01/23. UTM 37R 329417 2901813 - Al Marameh. 110 km / 5h45 / D+ 430 m. Nuit : invité chez Ahmed

J 12. 11/01/23. Al Marameh - UTM 37R 424969 2792374 (18 km qu sud de Murraba’a, route 328). 102 km / 5h50 / D+ 500 m. Nuit : bivouac

J 13. 12/01/23. UTM 37R 424969 2792374 (18 km qu sud de Murraba’a, route 328) - Khef Hussain . 118 km / 5h15 / D+ 400 m. Nuit : bivouac

J 14. 13/01/23. Khef Hussain - Al Sudayrah. 78 km / 4h / D+ 400 m. Nuit : bivouac

J 15. 14/01/23. Al Sudayrah - Al Ghzlan. 103 km / 5h10 / D+ 1300 m. Nuit : bivouac

J 16. 15/01/23. Al Ghzlan - UTM 37Q 576165 2596515 (Musaith). 92 km / 4h30 / D+ 700 m. Nuit : bivouac

J 17. 16/01/23. UTM 37Q 576165 2596515 (Musaith) - Almwared. 112 km / 6h20 / D+ 900 m. Nuit : invité chez Abraar et Ismael

J 18. 17/01/23. Repos Almwared . Nuit : invité chez Abraar et Ismael

J 19. 18/01/23. Almwared - UTM 37Q 604569 2486176 . 93 km / 4h45 / D+ 700 m. Nuit : bivouac

J 20. 19/01/23. UTM 37Q 604569 2486176 - Ar Rudaymah (route 4710). 127 km / 6h05/ D+ 800 m. Nuit : bivouac

J 21. 20/01/23. Ar Rudaymah (route 4710) - Al Hasasinah (route 15, pied de la montée d’Al Hada). 110 km / 5h20 / D+ 500 m. Nuit : bivouac

J 22. 21/01/23. Al Hasasinah (route 15, pied de la montée d’Al Hada) - Taïf. 45 km / 3h15 / D+ 1420 m. Nuit : hotel Swiss Style. 200 Rials

J 23. 22/01/23. Repos Taïf. Nuit : hotel Swiss Style. 200 Rials

J 24. 23/01/23. Taïf - UTM 37Q 683289 2320553 (route 205). 65 km / 3h30 / D+ 880 m. Nuit : bivouac

J 25. 24/01/23. UTM 37Q 683289 2320553 (route 205) - UTM 37Q 690416 2266903 (avant Almohdar). 104 km / 5h40 / D+ 1580 m. Nuit : bivouac

J 26. 25/01/23. UTM 37Q 690416 2266903 - Al Jaizah . 35 km / 1h50 / D+ 300 m. Nuit : invité chez Ahmed

J 27. 26/01/23. Al Jaizah - Jabal Shada. 110 km / 6h10 / D+ 1850 m. Nuit : bivouac

J 28. 27/01/23. Jabal Shada - Sabt Shamram. 96 km / 4h35 / D+ 690 m. Nuit : bivouac

J 29. 28/01/23. Sabt Shamram - Al Namas. 103 km / 7h / D+ 3100 m. Nuit : hotel Taj Alnamas. 120 Rials

J 30. 29/01/23. Al Namas - UTM 38Q 201979 2030033 (route 211). 135 km / 6h20 / D+ 1170 m. Nuit : bivouac

J 31. 30/01/23. UTM 38Q 201979 2030033 (route 211) - Abha. 81 km / 5h40 / D+ 2650. Nuit : hotel King Khalid Road. 100 Rials