Carnet de voyage

Break a leg ! Chapitre 1 : Ultreïa ! :)

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"Tous les matins nous prenons le chemin, Tous les matins nous allons plus loin, Jour après jour, la route nous appelle, C’est la voix de Compostelle". Départ de Bordeaux prévu le 15/04!
Avril 2019
6 semaines
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Break a leg! Se casser une jambe... C'est ce que j'ai fait en novembre dernier, et c'est aussi souhaiter bonne chance à un comédien en anglais. Cette petite mésaventure a été pour moi la chance d'avoir quelques jours d'arrêt de travail, à ne pas trop pouvoir bouger, pour réfléchir à ce projet un peu fou, d'une petite parenthèse professionnelle de 6 mois...

Et le premier temps fort de cette parenthèse, ce sera Compostelle ! Bien sûr, j'y avais déjà pensé il y a quelques années. Mais je n'avais jamais pris le temps de l'envisager sérieusement, et surement quelques craintes à entreprendre un tel périple. Mais d'être ainsi immobilisé m'a donné encore plus envie de marcher, et ayant le temps d'y penser j'ai réalisé que c'était tout à fait possible, une fois la fracture disparue. Je pose un congé sans solde, et je me renseigne sur l'organisation d'une telle aventure, qui devrait déjà m'occuper 1.5 mois environ 😀

Départ prévu le 15 avril!

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Passer du projet à sa réalisation ... le sentiment de faire un truc un peu dingue au moment de mettre la lettre de demande de congés sans solde dans la boite aux lettres... je me rassure en me rappelant qu'il n'y a que les folies que l'on ne regrette jamais ! 😀

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Publié le 26 mars 2019

L'heure de la liberté et du grand départ approche, il est temps de se préparer sérieusement !

Préparation du matériel, mais aussi préparation du marcheur ! Premier test de ma forme après l'épisode malheureux de novembre dernier. Je rejoins les amis des Saint Jacques de Compostelle pour leur marche dominicale (http://www.compostelle.asso.fr/fr/marches), pour un petit parcours d'un peu plus de 16 km de Mormant à Verneuil l'Etang, entouré de futurs et anciens pèlerins dont j'écoute attentivement les recommandations dans la bonne humeur générale (amis marcheurs, je recommande!)

La roche couvée à Courtomer (77) 
Eglise de Courtomer et à droite notre guide qui ouvre le chemin  
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Voilà, première semaine de congés sans solde bouclée! 😊

Premier constat: le boulot ne m'a absolument pas manqué! J'ai même oublié le concept "d'aller au travail"😄

Deuxième constat: je n'ai jamais autant été débordé que depuis que je suis en congés! Course à l'équipement (en particulier les chaussures, le bon modèle dans la bonne pointure ...), Et tout les proches et amis avec qui je suis heureux de prendre rdv pour passer un moment avec eux avant mon départ. Enfin et surtout, l'entraînement! Ça fait quoi, 20 bornes en chaussures de grande randonnee avec une dizaine de kg sur le dos? Mieux vaut tester avant le camino. Du coup j'ai parcouru Paris dans toutes les directions pendant 5 jours... Et l'apprentissage a commencé: connaître ses chaussures et le lacage adéquat, apprendre le rythme de marche qui convient pour une telle distance: soutenu mais pas en mode contre la montre! Apprendre à écouter son corps quand il demande à boire ou quelques graines pour se relancer après 10 ou 12 km, apprendre à faire des pauses pour tenir plus facilement la distance etc.

Bref la semaine est passée très vite, et à ce jour, je suis à 1 semaine seulement du grand départ vers l'aventure et l'inconnu! 😊

A suivre...

Parcours d'entraînement du 2 avril 
Parcours du jeudi 4 avril, tour du Lac Daumesnil
Église de st Germain des Prés , parcours du 7 avril
Petite pause bien méritée au parc Montsouris ce 7 avril 
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Bah voilà, le projet devient réalité, hop! Au pied du mur. Me voici dans ce bus de nuit qui me déposera à Bordeaux dans 6 heures.

Jusqu'au dernier moment avant le départ, toujours 1000 questions d'organisation, pour faire un sac complet pour environ 2 mois sans en faire une enclume qui m'abimerai le dos, pour prévoir (un peu) l'itinéraire et les étapes, pour rester en contact avec vous 😊 pour trouver ma Credentiale et ma coquille st Jacques, quelques derniers équipements...

Merci aux proches et amis qui ont assuré (Par exemple Elise, 600 km pour me rapporter un large choix de coquilles St Jacques fraîchement pêchées et me les livrer au pied du bus devant des voyageurs intrigués 😄 opération coquilla de Santiago réussie!)

Bref, un bon départ!

Quelques images de ces dernières 48h :

Mon fils, toujours de bonnes idées, m'a donné ce sifflet qu' il a imprimé en 3D au cas j'en aurai besoin. Il marche super bien! 😀
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Mardi 16, me voilà bien arrivé chez Marie-Jo en ce début d'après-midi pour faire étape. Mais commençons par le commencement: hier lundi.

La nuit en bus pour arriver à Bordeaux fut aussi mauvaise (peut-être pire) que ce que j'avais imaginé. En tout, j'ai dormi environ 2 heures. Impossible de trouver une position un peu confortable pour dormir, allumage des lumières et pause du chauffeur toutes les 2 heures, début de mal de dos... Mais c'est pas cher. Et ça me permet de démarrer mon aventure de bonne heure : arrivé à 6h30, petit déjeuner rapide sur un banc avec des vivres tirés du sac (aucun commerce autour de cet arrêt gare routière st Jean). Puis en route!

J'essaie d'abord de suivre le parcours préparé par Odile: j'y réussirai à peu près malgré quelques problèmes d'orientation 😄 Bordeaux est bien plus belle et agréable que dans mon souvenir! 7h je trouve un marché qui s'installe et un café ouvert, l'idée bien sûr est de boire un café. Mais pas que! Il y a un jeu sympa quand on est pèlerin, c'est de trouver au moins 2 tampons par jour à apposer sur la Credentiale! En mode pokemon go 😄

Au moment de payer je presente ma Credentiale à la patronne du bar et lui demande si elle peut la tamponner: en réponse, un air un peu surpris et un : "ah ben non j'ai pas de tampon". Pas grave, premier tampon obtenu à la boulangerie ou je prends des cannelés 😋 puis dans un autre café l'après midi.

Une fois le circuit terminé, direction Gradignan. Environ 8 km, j'ai l'impression de me traîner, mon sac me fait mal au dos, le décor mi-cité mi-zone commerciale aux restos dont tous les noms copient celui de KFC ne stimule pas franchement le marcheur.

Mais la récompense est au bout du chemin! Le Prieuré de Cayac où je passerai la nuit est vraiment un bel endroit, chargé d'histoire, entouré d'un beau parc et les hospitaliers qui m'accueillent sont d'une grande gentillesse 😊

Pour cette première soirée et nuit en dortoir, nous serons quatre pèlerins. Dans le lot, je suis le seul non-breton 😄 eh oui quand on descend de la Bretagne c'est par cette voie (voie de Tours). L'un d'eux prend beaucoup de photos y compris de nous et note soigneusement les noms de chacun pour se souvenir.

Nous apprenons, abasourdis l'incendie de la cathédrale Notre-Dame, quelques minutes d'écoute de la radio, quelques mots échangés, puis premiers départs pour aller dormir.

Un pèlerin se couche tôt. A 21h je suis tout seul dans la pièce commune. Un pèlerin se lève tôt, à 6h du matin je suis le dernier à me lever, mais ça c'est létape suivante 😉

Début du circuit dans Bordeaux, place st Michel 
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7h30, je suis le dernier à quitter le gîte. Je referme la porte à clé et cache la clé comme me l'ont indiqué les hospitaliers qui nous ont accueilli la veille, les hospitaliers n'étant présents que de 15 à 19h. Totale confiance donc, un peu déroutant à notre époque, tu es un étranger mais tu fais comme à la maison 😄Comme à la maison à l'exception que lorsqu'on va prendre sa douche, il faut aussi sortir sa serviette du sac, resté dans le dortoir. Ma serviette ne m'attendait pas dans la salle de bain comme à la maison. Ce que je réalise une fois mouillé ... impossible de traverser la pièce commune à moitié nu pour aller la chercher, et difficile de demander à des personnes rencontrées 1h auparavant d'aller retourner mon sac pour la trouver et me la ramener 😄 bref, moment de solitude, créativité.

Après la mauvaise nuit passée "on the road", cette nuit au prieuré m'a permis de recharger les batteries! Je pars inquiet pour cette première vraie étape (23 km), mais reposé et de bonne humeur! La pluie qui est tombée toute la nuit s'est arrêtée juste à temps.

Je me demandais s'il serait facile de suivre le chemin avec le balisage, n'ayant pas de guide ni de plan détaillé: c'est le cas, la voie vers Santiago est toujours bien indiquée: marquage coquille jaune sur fond bleu, parfois des autocollants apposés par des pèlerins invitant à aller voir le site de leurs pérégrinations. Je trouve même un panneau directionnel indiquant "Espagne". C'Est bon, je suis dans la bonne direction! 😊

Le soleil s'affirme de plus en plus, les oiseaux chantent, le chemin défile sous mes pas, je me sens en forme et tout est calme... Un sentiment de liberté sans borne (excepté celle du mal de pied 😄) s'installe! I'm happy.

En chemin je ramasse un caillou pour un ami, mais ça j'en reparlerai en Espagne.

Ce matin là, je ramasse aussi dans une haie mon bâton de pèlerin, je le casse à la bonne longueur, et avec la lame de mon couteau suisse je rabote tout ce qui gêne la main.

Après la forêt: les vignes, le Lac Bleu (un peu à sec) puis un chemin blanc. Blanc et rectiligne. Une ligne droite qui se perd dans l'horizon. Maudits chasseurs: impossible de sortir de cette longue ligne droite pour faire une pause à l'ombre, la forêt des 2 côtés étant clôturée avec panneaux "Réserve de chasse".

Enfin sorti de ce chemin interminable, je ne tarde pas à rattraper Jeanine qui a dormi également à Cayac. Elle était partie une demi-heure avant moi, mais je la rattrape pendant sa pause déjeuner. Tiens... j'ai oublié de déjeuner.

Nous avons réservé au même gîte pour l'étape à Le Barp, nous finissons donc ensemble les 5 derniers km. Infirmière et pompier retraitée, Jeanine pense que dans sa vie passée elle a consacré beaucoup (trop) de son temps à aider les autres et pas assez à elle même. Elle est contre les vaccins (marrant pour une infirmière 😄), et contre Internet. Lire, et recevoir des appels au téléphone de ses 2 enfants lui suffisent.

Mal au dos (Je porte mal mon sac me dit-elle, tout le poids du sac doit reposer sur les hanches non sur les épaules), mal aux jambes, aux pieds, nous arrivons au gîte de la Belle Biste (il faut que je demande ce que ça veut dire), accueillis par poules, chien, et chats. Des oeufs frais, des légumes bio cultivés par Marie-Jo et du pain fait maison nous attendent pour le dîner, Je n'en demandais pas tant!😊

Je dois être dans la bonne direction... 
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6h, heure adoptée pour mon réveil pélerin! Parfois c'est même à 5h que le Camino m'appelle. Se lever tôt quand je le choisi, et juste pour le plaisir de m'élancer sur les chemins en éprouvant une liberté sans borne ne me pose aucun problème! 😊C'est très différents si c'est pour aller au boulot ou pour tout autre obligation. Là, je suis toujours réveillé avant la sonnerie, je me sens en forme et de bonne humeur. 😊

Je prends le petit déjeuner à la table de Marie-Jo, en compagnie de Jeanine qui a décidé aujourd'hui d'accélérer le pas pour pouvoir parcourir plusieurs étapes. Nous devrions donc ne plus nous revoir après cette matinée, car je lui dit de ne pas m'attendre afin de pouvoir marcher à son rythme. De plus l'hébergement qu'elle a réservé se situe 12 km plus avant que le mien. Bref, à chacun son chemin, chacun son rythme, chacun ses étapes.😊

Nous quittons Marie-Jo qui est un personnage très attachant. La veille nous avons eu une conversation qui m'a beaucoup touchée dont je ne peux pas donner le détail ici pour le respect de la vie privée de chacun. Mais c'est une première leçon sur ce qu' on trouve sur le Chemin: des personnes attachantes qu'on découvre très vite et qu'il faut quitter tout aussi vite pour continuer d'avancer vers Santiago, et des fenêtres ouvertes sur certaines de leurs joies ou de leurs épreuves, nous invitant à réfléchir à notre propre existence.

Son gîte se situant à quelques km à l'Ouest du Camino, sa soeur nous propose de nous déposer en voiture au village de Le Barp, ce sera donc notre point de départ du jour!

Arrivé au village, j'imite ma collègue pélerine qui passe à la banque retirer de l'argent, puis fait quelques courses à l'épicerie et enfin s'achète un sandwich à la boulangerie pour la pause du midi. Et c'est effectivement un bon exemple pour le débutant que je suis: j'apprends que du cash il en faut toujours! Car c'est avec du liquide qu'on règle les hospitaliers qui nous accueillent. De la nourriture aussi! car à chaque étape défilent des km de forêts, de bord de départementales, de champs... Bref, on est pas à Paris, si tu n'as pas le réflexe de faire tes emplettes quand tu en as l'occasion, ben il y a de grandes chances que tu n'aies rien à manger aujourd'hui! J'affirmerai donc qu' on a toujours beaucoup à apprendre de nos aînés ! 😊

Vers 8h, nous nous séparons sur la place de l'Église. Moi je dois encore préparer mes pieds avant de partir avec la pommade pour éviter l'apparition des ampoules, et je ne veux de toute façon pas la ralentir. Nous nous disons au revoir comme on se dit adieu. Avant de partir, elle me dit qu'elle avait apprécié marcher avec moi et que c'est comme si elle avait été avec son fils, à qui je ressemble. Ça semble sincère et ça me touche également. Après son départ et les conversations de la veille, je me rends compte que le chemin est lourd en émotions. Et sur un temps très court.

En fin de matinée, alors que je la croyais à des km devant moi, j'aperçois sa silhouettes et son sac à dos rouge au loin. Nous nous sommes fait nos adieux, mais il se pourrait que nous nous croisions à nouveau. Je n'essaie pas de la rattraper pour les raisons expliquées plus haut.

On ne sait donc jamais sur le chemin de Saint Jacques quand nous disons réellement adieu à quelqu'un. Il est toujours possible si la personne ralenti de la retrouver a une prochaine étape ou en marchant.

Sur les km parcourus ce mercredi, rien à signaler si ce n'est que je commence à mieux porter mon sac à dos et les douleurs liées à son portage sont proportionnellement de moins en moins présentes. Le paysage est assez identique à celui de la veille. Finalement, l'intérêt de cette journée n'est pas le chemin parcouru, mais la rencontre qui m'attend à l'étape...

Arrivé à Mons, la porte du gîte communale est ouverte, j'entre et j'aperçoit un monsieur d'un certain âge, que je prends d'abord pour un hospitalier. C'est en fait un pèlerin comme moi, il me montre son téléphone et me dit en anglais qu'il n'a pas le numéro de la" lady". Je comprends finalement qu'il cherche le numéro de l'employée communale qu' il faut contacter pour signaler son arrivée.

Je découvre ainsi ce qu' est le gîte communal: tu arrives, tu cherches la personne à qui demander la clé du gîte (ici la "lady"), une fois entré, tu te débrouilles mon grand! Une kitchenette, un coin repas, une salle de bain, un dortoir: tout est à ta disposition: prépare ton repas, choisis ton lit et n'oublies pas de ranger ton bazar avant de partir. Personne ne reste sur place pour tenir le gite. Encore une fois, totale confiance, et comme à la maison!

Roye (c'est son nom) était déjà entré dans le gîte quand je suis arrivé car c'est son 2e passage ici, il savait où la lady cachait la clé.

C'est une fois installé que je réalise le côté autogestion du gîte, et que dans ce "village" (2 maisons, 1 église, 1 fontaine miraculeuse dont l'eau soigne les yeux) il n'y a aucun commerce ni restaurant. J'avais été prévoyant pour le midi en achetant un sandwich, mais je découvre qu' il faut aussi l'être pour le soir 😄 Roye ayant peut-être perçu ce moment de flottement me propose de partager le repas qu'il est en train de cuisiner: j'apprend que le chemin c'est aussi le partage.

Durant ce repas partagé, Roye va déployer une belle énergie à me faire comprendre malgré mon faible niveau en anglais, en répétant et en cherchant des synonymes, ses choix de vie, voilà ce que j'en ai compris: Roye est irlandais, vegan, et est contre les avions et les voitures parce qu'ils contribuent au réchauffement climatique. Roye a une fille marriée à un portugais et qui vit au Portugal. Du coup Roye en est à son quatrième voyage à vélo de l'Irlande au Portugal pour aller voir sa fille et ses petits enfants. Il est parti de chez lui pour ce 4e voyage depuis le mois d'août dernier! Respect. Peut on mieux incarner la citation de Gandhi "sois le changement que tu souhaites voir dans le monde" ?

Départ pour l'étape du jour à Le Barp 
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4h20 du matin de la nuit... Ça fait la troisième ou quatrième fois que je suis réveillé... Roye m'avait prévenu, he's "an old man, a broken man", il m'a expliqué le plus possible avec nos niveaux de français et d'anglais respectifs ses soucis de santé notamment respiratoires qui le contraignent à effectuer à plusieurs reprises dans la nuit des exercices pour réguler sa respiration. Nous dormons donc avec la lumière de la kitchenette allumée et Roye se lève à de multiples reprises pour s'asseoir à la table de la cuisine et effectuer ces exercices durant lesquels il fixe les aiguilles de sa montre.

Bref, il n'est pas 5h, mais je n'ai plus sommeil et j'entends en moi l'appel du Camino! 😊 Une fois levé je le retrouve à la cuisine, mon bonjour reste sans réponse, je n'en prend pas ombrage en me rappelant qu'il m'avait prévenu la veille qu'à cause de ses soucis respiratoires il devait dormir un scotch sur la bouche car il devait impérativement respirer par le nez. A la fin de mon petit déjeuner, il retire le scotch et s'excuse de ne jamais parler le matin.

Je suis presque prêt à partir, j'ouvre les volets, surprise: il fait encore nuit noire! Après quelques instants je me rappelle que j'ai emporté la frontale, et après un chaleureux au revoir, j'ouvre la porte et m'élance pour cette première marche dans la nuit, il est autour de 6h. Après seulement 10 pas, je fais demi-tour ayant oublié mon bâton de pèlerin 😄

Marcher à la lueur de la frontale est très différent: j'ai peur de manquer un balisage qui ne serait pas dans le faisceau, lorsque je tourne la tête ayant entendu un bruit dans un fossé, apparaissent les miroirs des yeux d'un chat qui n'ose plus bouger, ou vers la cime d'un arbre la lumière fait s'envoler un oiseau de nuit.

A cette heure-ci et dans cette campagne tout est calme, les véhicules rares et repérables à leurs feux. Seulement le bruit lointain de l'autoroute. Quoi qu'il en soit j'applique à la lettre la consigne de marcher sur le côté opposé au sens de la circulation, "face au danger". L'obscurité laisse vite place au fameux "entre chiens et loups", j'y vois assez pour marcher sans la frontale, mais par sécurité, pour être bien vu des véhicules, je la garde allumée encore un bon moment.

Lors de cette étape qui sera de plus de 20 km, je quitte la Gironde pour les Landes, et arrive à Le Muret, où, bonheur, je trouve le restaurant d'un hôtel qui m'offre enfin de prendre un vrai petit déjeuner avec, surtout, du café! Partir sur le Camino c'est certes rompre avec ses habitudes, mais celle du café le matin... bref, dans mon cas on peut parler d'addiction 😄 Durant cette pause bien méritée, je m'aperçois que faute de trouver le temps d'alimenter le blog, des proches commencent à s’inquiéter de ne pas avoir de mes nouvelles: je rassure donc tout le monde, photo du bon petit-déjeuner à l'appui.

Je ne suis plus qu'à 8 km environ du village qui sera le terme de cette étape, et pour la première (et non la dernière) fois depuis mon départ de Bordeaux, je perds le chemin de Compostelle. Depuis un trop long moment déjà je ne repère plus aucun balisage, je consulte Google Map: j'aurai en effet dû tourner à gauche à Le Muret. Toutefois plutôt que de faire demi-tour, je suis sûr de pouvoir rejoindre la bonne direction 800m plus loin. 800m plus loin : la bifurcation à gauche que je comptais prendre est depuis belle-lurette coupée par une 2 fois 2 voies entourée de murs infranchissables ... je retourne sur Google Map, je zoome : en effet en agrandissant on voit qu'il n'y a ni carrefour ni pont... bien joué. Une lueur d'espoir: il y a un pont 600m plus loin en longeant l'autoroute, a priori il devrait être possible de gravir le talus et y passer. En effet, arrivé au bout de l'allée j'aperçois le pont, mais les habitants de la dernière maison ont mis de la rubalise en travers de la route et un panneau "Défense d'entrer". Refaire 3 km en sens inverse puis 3 dans le bon sens? hors de quest! Et la route est à tout le monde, je franchis donc la rubalise, sans précipitation pour que les autochtones aient le temps de me voir approcher et de m'identifier comme un simple passant un peu borné 😄 Je n'ai pas fait 2 pas qu'un chien fonce dans ma direction en aboyant, je choisis de ne pas bouger plutôt que me mettre à courir, et lorsque le cerbère arrive à ma hauteur je lui parle calmement. Une voix le rappelle, j'aperçois sa maîtresse et lui montre avec le bâton la direction que je souhaite prendre: tout droit vers le pont, elle acquiesce, je remercie, le chien repart et j'avance calmement ... jusqu'à ce nouveau petit moment de solitude où mon gros sac reste accroché dans les rubalises qui marquent la sortie de la parcelle où j'ai risqué laisser un mollet 😄

Une fois démêlé je grimpe le talus: il n'y a pas de trottoir pour les piétons sur ce pont, mais il y a la place pour passer dans les herbes hautes sans avoir à marcher sur la route. Le pont traversé, je revérifie la carte et la situation du petit point bleu qui me symbolise: C'est bon, j'ai repris la bonne direction! Ma première erreur de direction m'a imposé un grand détour sur une étape déjà conséquente, j'ai soif et ma poche à eau est à présent vide, je décide d'essayer de demander de l'eau au village voisin. Je connais l'astuce de se rendre dans les cimetières où il y a toujours un point d'eau, mais je n'en ai pas vu un seul depuis mon départ. En traversant Castelnau, j'aperçois une dame devant sa maison, je lui fais signe pour lui demander la permission de traverser son jardin, puis lui demande s'il est possible de remplir ma réserve d'eau. D'abord un peu surprise, elle me demande de où je suis parti, jusqu'où je vais... Son mari se charge de remplir ma poche à eau pendant que nous discutons: il semble que la surprise ait laissé place à de l'admiration, j'aurai ensuite du mal à terminer la discussion car les questions s’enchaînent. Il me semble que de m'entendre expliquer mon projet fait écho en elle avec une envie de rompre avec le quotidien et entreprendre, elle aussi, quelque chose de ce type.

Rafraîchi et ayant parcouru les derniers KM, j'arrive enfin à Moustey, charmant village aux 2 églises l'une à côté de l'autre, à la borne "Compostelle 1000 km", et surtout au gîte situé dans un petit coin de paradis: l'Arial de Lavigne. Là, un monsieur à la moustache blanche presque nietzschéenne m'accueille. L'oeil rieur, l'humour taquin, "Tiens, voilà le pèlerin!" Il appose fièrement le tampon de son établissement sur ma crédentiale, me fait visiter rapidement le gîte, il est débordé par les dizaines d'activités qui l'occupent accueillant simultanément un groupe d'enfants pour une randonnée à cheval. Il m'informe qu'il y a également une dame qui dort dans le gîte. J'entendrai bien en effet une porte s'ouvrir durant la nuit, et je verrai un peu de lumière au dessus de la cloison de ma chambre, mais pas une fois je ne verrai cette "dame", s'agissait-il d'un fantôme ? 😄 après plusieurs soirées bien accompagné, celle-ci sera solitaire, contrastant avec celle de la veille en compagnie de Roye.

L'arial est une prairie au milieu de la forêt regroupant quelques fermes et maisons. Mon logement est situé dans une maison landaise traditionnelle, partout gambadent paons, poules, à quelques mètres un enclos avec chevaux, vaches, cochons... Tout est beau et paisible, un paon entre dans le gîte puis se sauve en m'apercevant, un cheval broute à quelques mètres de ma table pendant mon dîner sur la terrasse... Un petit coin de paradis!

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J'avais prévu de partir tôt car l'étape d'aujourd'hui doit être la plus longue que j'ai jamais faite: un peu plus de 27 km (en fait plus de 28 km car l'arial de Lavigne est lui-même situé à 1 km du point de départ dans Moustey, ce que je n'avais pas pris en compte).

Visiblement je suis le seul réveillé dans le gîte, le fantôme de la chambre d'à côté dort encore. Je fais donc le moins de bruit possible en me preparant. J'emmène une chaise dans la cuisine pour pouvoir y prendre mon petit déjeuner confortablement et en toute discrétion. Il y a du café à disposition pour "le pauvre pèlerin" comme m'a dit le gérant la veille. Il y a tout ce qu' il faut, comme à la maison, je m'attable face à la fenêtre et voie le jour se lever sur l'arial.

Lorsque je regarde l'heure en reprenant le chemin, il est presque 8h! Je comptais partir 1 heure plus tôt. Je ne comprends d'abord pas comment j'ai pu prendre ce retard sur mon programme, puis me dit que j'ai un peu traîné car il y a peut-être des endroits où on se sent plus chez soi que d'autres. Je réalise que c'était le cas ici et que je le quitte avec regret.

Il me semble qu' à cette heure tout dort encore, les bêtes de la ferme (hormis quelques chevaux qui me regardent passer), la forêt, les hommes... Seule la Leyre coule paisiblement lorsque je franchis le pont de la route menant au village.

Arrivé à Moustey, suivant les enseignements de Jeanine je guette les commerces déjà ouverts pour m'approvisionner avant de quitter la civilisation. La boulangerie est ouverte, je prends un pain au cho... Pardon, une CHOCOLATINE 😄 que je peux manger immédiatement en plus du bon petit déjeuner déjà pris tellement j'ai toujours faim depuis que je vagabonde toute la journée. J'en profite pour commander un sandwich pour la pause de midi et je pars m'asseoir en terrasse en attendant qu'ils le prépare. Une golf flambant neuve se gare. En sort un quadra jean-polo, bien coiffé bien rasé, faisant tinter les clés de sa voiture. Il ne faut pas juger sur les apparences: en ressortant de la boulangerie il s'adresse à moi. Il a fait le pèlerinage en 2013, presque en entier un problème familial l'ayant contraint à rentrer avant les 100 derniers km. Il me confie avec émotion que le pèlerinage avait vraiment changé sa vie et qu'il aimerait le refaire quand cela serait possible. Nous nous quittons, il me souhaite "bon chemin".

Cette journée a bien été aussi difficile, et même plus, que prévu. La marche me parut interminable! Et, coup de chance, je n'avais pas vérifié la météo, mais j'apprends le soir à l'étape que les températures ont avoisiné les 28℃! Pas mal pour un mois d'avril. Ce qui m'a amené par la suite à revoir la quantité d'eau à prévoir pour partir, car elle fut bien insuffisante ce jour là. J'ai également perdu mes lunettes de soleil depuis Mons, or je suis en plein soleil sur des chemins de sable qui m'éblouissent. Bref pas l'étape dont je garderai le meilleur souvenir. Je me souviendrai juste qu' étant a court d'eau depuis des km, la pomme que j'ai sorti du sac cet après midi là, fut la meilleure et la plus rafraichissante de toute ma vie.

En chemin me vient l'idée d'écrire en grand dans le sable en travers du passage "Ultreïa!", le cri d'encouragement des pèlerins, pour ceux qui me suivront. Après une courte hésitation je trace en grand les lettres à l'aide de mon bâton. J'en entendrai bientôt parler ! 😊

Depuis quelques jours la grande solitude du chemin landais me permet de laisser libre cours à mes talents de chanteur de salle de bain. Tout mon répertoire y passe au fil des km. Les longues marches sont vraiment propices à s'exercer la voix, et chanter aide à parcourir ces grandes distances.

Vers 19h, littéralement epuisé j'arrive enfin à Labouheyre comme un homme ayant traversé le désert arrive dans une oasis, après plus de 10h dehors en plein soleil. Je sonne à la porte du gîte que j'avais réservé, personne ne répond! J'appelle le propriétaire sur son portable: il revient dans 15 minutes. "15 minutes!" C'est sorti tout seul, il comprend mon désarroi et m'indique comment entrer chez lui en faisant le tour de la maison pour m'installer et me rafraichir sans attendre qu' il soit revenu. Encore une fois je suis étonné de la confiance dont je bénéficie.

Sur mon itinéraire, j'ai également traversé Pissos. Je le précise juste pour vous laisser l'opportunité de faire des jeux de mots avec ce nom de commune comme j'ai pu en lire sur des graffitis durant la journée 😄


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Durant l'étape interminable jusqu'à Labouheyre, j'ai eu tout le loisir de repenser au petit paradis que je venais de quitter. Je m'interroge sur ce qui me motive à rester à Paris et sur mes aspirations professionnelles. Par ailleurs depuis le debut de l´aventure, j'apprécie l'accueil que je recois et j'aimerais pouvoir l'offrir en retour a d´autres pelerins. Pourquoi ne pas envisager moi aussi d'ouvrir un jour un accueil pèlerin? Mais où? Pourquoi pas dans l'Oise, c'est dans ma région d'origine, il y a un parc naturel, et ça reste très près de Paris. Bon ça fait un projet à travailler si à mon retour de Santiago je décide de changer de vie professionnelle. Mais il reste encore 1000km à parcourir donc encore beaucoup de temps pour trouver d'autres idées.

Le hasard faisant bien les choses la veille à Labouheyre, je dîne en compagnie d'un autre pèlerin qui a déjà franchi le pas d'ouvrir son propre gîte. Patrice te tutoie dès les premiers mots, et si t'es pas content c'est le même tarif 😄Il se dit fils d'ouvrier et fier de l'être. Il a commencé sa carrière au bas de l'échelle puis à atteint en quelques années un poste de cadre avec des responsabilités importantes. Apres quelques annees, les choses ont changé dans son entreprise, il va au boulot "la boule au ventre". S'ensuit arrêts maladie de longue durée puis dépression. Apres le pèlerinage, rupture conventionnelle, bonne prime de départ, qu´il investit pour ouvrir son propre gîte: je lui parle de mon idée d'accueil pèlerin en Picardie, il m'avertit que ce n'est pas le bon endroit, mieux vaut s'établir dans une région où plusieurs voies de pèlerinage convergent. C'est pertinent, et après vérification, même la voie de Tours que j'emprunte moi-même debute officiellement à Paris. Pas avant. Cependant une rapide recherche sur Google m'apprend qu'une association picarde oeuvre à faire reconnaître 2 voies traversées par les pèlerins venant du Nord de l'Europe. A voir donc.

Mon problème de ce samedi 20 avril, c'est que pour avancer de 25 km dans la direction de Saint Jacques, il n'y a qu' une seule possibilité, une auberge à Onesse. Mais celle-ci est actuellement fermée pour des raisons de santé de la personne qui s'en occupe. Si je choisis de marcher jusqu'à l´etape suivante, je devrais marcher 38 km... Je ne m'en sens pas prêt, surtout après les 30 km de la veille. Une seule alternative: Escource, mais qui n'est pas sur le chemin, mais à 9 km en diagonale vers l'ouest. Donc ça ne me fera avancer que de quelques km, mais c'est finalement mieux que de rester sur place, et je rallierai plus facilement le lendemain Lesperon en suivant une départementale qui y file en ligne droite sur ma carte Michelin vintage.

Du coup, n'ayant que peu de km à parcourir ce jour, le monsieur qui m'a hébergé et qui connaît bien la région me propose un itinéraire qui musarde dans les environs et qui me permettra de rendre visite à un chêne 8 fois centenaire. Bon ok, des arbres ca fait une semaine que j'en vois, mais il m'assure que ça vaut le détour, je lui fais confiance. En effet, arrivé devant arrive devant, je dois reconnaître qu´il en impose. Un panneau explique l'histoire de cet arbre remarquable, indique qu'il est creux et que peuvent y tenir jusqu'à 3 personnes en même temps. Sans blague? Je fais le tour de l'arbre, en effet il y a une petite ouverture en bas, il faut ramper pour passer mais il est possible d'y entrer et de s'y tenir debout, même à 3 sans probleme. Je me fais la reflexion que j'avais dejà grimpé sur des arbres, mais que je ne m'étais jamais retrouvé à l'intérieur d'un arbre! Bref ça valait bien quelques km de plus 😊

Arrivé à Escource, je découvre, après le gîte communal, le gîte facon chambre d'hôte de la Belle Biste et le gîte privé, "l'accueil pèlerin". Il s'agit plutôt de particuliers qui mettent à la disposition des pèlerins une dépendance de leur maison. A l'accueil pélerin d'Escource, je suis très bien accueilli par une dame nonagenaire, qui me présente le local, qui à ma grande surprise est un abri de jardin! Oui, vous savez du style où on range la tondeuse à gazon. Décidément les journées se suivent mais ne se ressemblent pas, et je crois qu' à la fin de mon périple j'aurais vraiment tout vu! 😄 Bon pas vraiment le choix, et l'accueil est chaleureux. L'abri est tout de même bien aménagé avec 2 lits et une carte illustrée du Camino Francés accrochée au mur. De grosses couvertures bien chaudes sont à disposition. Dans une remise adjacente est aménagée une petite salle de bain très correcte. Aller, je pose mon sac, après tout je ne suis pas parti pour retrouver chaque soir mon petit confort douillet de sédentaire, I'm on the road et ça risque d'être une expérience ! 😄

La bière que m'offre la gentille mamie fini de me convaincre et de me faire sentir comme à la maison. Bon en vérité je ne vais dormir que 4 heures environ avant d'être réveillé par le froid, puis l'appel du Camino finira de me tirer du lit. Mais pour l'heure je profite de cette bière bienvenue après une journée de marche, confortablement installé dans leur salon de jardin, quand la mamie m'apporte le livre d'or de la maison. Comme dans beaucoup d'endroits il s'agit d'y noter un petit mot sympa, mais il y a une tradition supplémentaire: tout le monde a le droit à sa photo! Ainsi je peux voir les visages de tous les pèlerins qui, avant moi y ont séjourné. Le côté passage obligé devant le photographe est un peu gênant. Mais je dois bien admettre que c'est une idée intéressante, la mamie me demande si je reconnais quelqu'un sur les photos, puisque nous pouvons nous croiser sur le chemin. Je n'en suis qu'à mes débuts et je croise peu de monde sur cette voie, aucun ne m'est familier. Je me prête au jeu de la photo et leur demande de me l'envoyer par mail, histoire de voir quand même à quoi je ressemble pour la postérité

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Pour commencer la journée, une bonne et une mauvaise nouvelle: j'ai retrouvé mes lunettes de soleil que je pensais avoir perdu depuis Mons! Au fond du sac. Sac dont je tasse le contenu chaque matin pour que tout y entre: elles sont en miettes... 😔 Heureusement j'en avais déjà acheté d'autres et j'en tire l'enseignement qu'il ne faut pas s'attacher aux choses matérielles... et que ça pourrait être une bonne idée de défaire entièrement mon sac de temps en temps pour faire un inventaire du contenu et le ranger.

Il est autour de 5h il fait donc encore nuit et le jardin dans lequel se trouve mon cabanon n'est pas éclairé: je ressors donc la frontale pour éviter les embûches (séchoir, salon de jardin...) et rejoindre le local où doit m'attendre le petit déjeuner déposé la veille pendant que je dormais. Arrivé à bon port, je ne prends pas la peine de chercher l'interrupteur et experimente mon premier petit déjeuner à la frontale 😊 tout m'attend comme prévu: le café dans un thermos, le pain, la confiture maison et le jus d'orange. Week-end de pâques oblige, il y a aussi un petit bol d'oeufs en chocolat: lapin ou cloches sont passés.

La veille avant de dormir j'avais échangé sur Messenger avec la team de proches et amis qui me suivent dans l'aventure, et j'avais expliqué le "planté du bâton" tel que je le pratique: je le lance bien en avant et ai le temps de faire 4 pas avant de le relancer. Ce matin, tout en marchant à la lueur de la frontale, je fais une petite vidéo très dynamique pour illustrer mon explication de la veille, que je poste immédiatement. Bizarrement il n'y a pas de réactions à ma vidéo. Quelques minutes après je reçois de la part d'une amie un: "ça va Robert?" D'abord un peu surpris de cette réponse, je réalise tout à coup qu' il est à peine 7h du matin, et que nous sommes un dimanche! Évidemment personne n'est connecté à cette heure là un dimanche... Et mon amie doit se poser des questions sur ma santé mentale 😄 bref j'avoue avoir un peu perdu les repères temporels de mon ancienne vie.

Cette journée est aussi la première sous la pluie, qui s'invite au bout de 2h de marche. Pas méchante mais qui nécessite quand même de sortir la ridicule cape de pluie et s'entraîner à la passer avec le gros sac à dos, de manière à ce qu' il soit aussi protégé de la pluie. C'est tellement galère que je ne ferai aucune pause tant qu'il pleuvra pour ne pas avoir à tout recommencer.

La pluie s'arrête, je découvre en passant près d'un champ qu'on cultive les asperges dans la région. Un peu plus loin je trouve un peu de ficelle sur la route, je la mets de côté, ça peut servir pour un lacet cassé ou quelque chose de moins prévisible, et puis, je dois encore oeuvrer pour accrocher ma coquille de jacquet à mon sac, cette ficelle fera parfaitement l'affaire!

A nouveau je ne perds pas trop de temps en route car il faut arriver avant la fermeture du bar à Lesperon pour y récupérer la clé, et il n'est ouvert que le matin. La veille j'avais essayé d'appeler pour prévenir de mon arrivée mais aucun appel n'avait abouti.

Après une trentaine de km, un peu au pas de course, avec beaucoup de départementales, j'arrive enfin à Lesperon, j'ai soif, mal aux pieds, mal au dos, hâte de trouver ce bar et pour y retirer le précieux sésame. Ah! C'est ici! Mince les rideaux sont déjà baissés! Peut-être qu'en sonnant? Inutile: une affichette m'apprend que les rideaux sont baissés depuis une semaine déjà! Les gérants de l'établissement sont partis en congés une dizaine de jours! Rien n'indique comment faire pour accéder au gîte en leur absence! Tout près il y a un hôtel, c'est sûrement beaucoup plus cher, mais au moins je ne dormirai pas dehors: Il est également fermé! Personne dans les rues. Je repère par moi-même le gîte près de l'église (comme le sont souvent les gîtes communaux dédiés aux pèlerins) avec l'espoir qu'il soit déjà occupé et donc ouvert, comme ce fut le cas avec Roye. Non tout est clos, je frappe quand même aux volets pas de réponse. Je fais le tour pour m'assurer qu'il n'y a pas d'autre entrée, je trouve de l'eau c'est déjà ça. Je sonne a toutes les portes des maisons proches du gîte, aucune reponse, ville fantôme. Un dernier espoir: il y a un affichage sur l'église: non plus, mais il y a les noms et téléphones de correspondants par village pour commander des cérémonies.

Une bonne heure se passe à chercher une solution et essayer de rester zen, enfin je croise un habitant: il est incapable de me renseigner. J'ai une idée: avant de me résigner à aller sonner chez tous les habitants pour demander l'hospitalité, je pourrais tenter d'appeler les personnes dont les numéros de téléphone sont affichés sur l'église. C'est le dimanche de pâques et ce sont des numéros de téléphone fixe. J'ai l'impression d'être un gros relou mais tant pis j'appelle celui indiqué pour Lesperon, en m'attendant à recevoir un accueil plutôt froid. Surprise: une dame très gentille et patiente me répond, elle ne sait pas qui a la clé, elle va se renseigner et me rappelle. 20 minutes après, j'étais enfin entré dans le gîte. 😊

Ne sachant pas si je pouvais laisser grandes ouvertes les portes du gîte alors qu'il n'y a personne de la commune pour vérifier les pièces d'identité et encaisser les paiements, je referme derrière moi: grande erreur.

Vers 18h les volets de l'entrée tremblent et j'entends des voix, je vais donc ouvrir la porte, Paolo, un autre pèlerin est là, accompagné d'un habitant et passablement énervé. Je pense qu' une bonne partie de la soirée il m'en voudra de ne pas avoir laissé les portes du gîte ouvertes, et il m'apprendra que l'accueil du pèlerin est inconditionnel, qu'à ma place il aurait pris le risque de laisser le gîte ouvert aux 4 vents. Je peux comprendre son agacement car il vient de connaître la même galère que moi quelques heures avant.

En début de soirée l'atmosphère se détend, nous nous proposons mutuellement des denrées tirées de nos sacs pour préparer le dîner et nous échangeons sur nos caminos et nos vies. Paolo a 76 ans et parle avec un fort accent portugais, il fait seul le Camino à vélo car il se dit trop vieux pour le faire à pieds. Il était parti en duo avec un ami qui était son "pilote": il préparait les cartes, les itinéraires pour chaque étape. Depuis qu'il voyage seul il semble se perdre encore plus souvent que moi 😄 son pilote a du arrêter le pèlerinage après une hospitalisation pour une sérieuse entaille à la main. Dans un précédent gîte, ils discutaient, son ami épluchait une pomme tout en marchant, il n'a pas vu une marche dans laquelle il a buté et s'est ouvert la main entre le pouce et l'index. Bête accident, comme tous les accidents.

Ancien commercial international maîtrisant beaucoup de langues, il a un jour pris conscience de son potentiel et en a eu assez du manque de reconnaissance dans son travail. Il a donc créé sa propre société qui a très bien marché.

Paolo me semble peu pudique, durant la soirée il restera un long moment en slip tshirt dans la cuisine à me parler et insistera pour me montrer les endroits où sa selle de vélo lui fait mal 😄 Lorsque nous évoquons nos âges, Paolo me dit qu'il a eu tort de se croire vieux à 40 ans qu'on est encore au moins à 80% de sa forme à cet âge la et que les soucis ont commencé à 60 ans. Pour ma part, meme si je fais peut-être un peu ma crise de la quarantaine en laissant mon boulot pour aller marcher 1000 km, j'avoue que pour le moment je me sens en pleine forme pour cette quarantième année 😊

Réveillé tôt par le froid, je quitte Escource avant l'aube 
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Ce matin Paolo quitte le premier le gîte communal de Lesperon. Nous nous faisons nos adieux car il est peu probable qu'on se revoie un jour sur le camino: il est à vélo, il parcourt des distances de 40 km minimum par jour, contre une vingtaine seulement pour moi. Je pars un quart d'heure plus tard, après avoir dit bonjour à un chat venu me saluer et faire quelques roulades à la porte d'entrée. Heureux de reprendre mon chemin, je réalise que ça fait déjà 1 semaine aujourd'hui que je suis parti de Bordeaux! Moi qui me demandais le 1er jour si j'allais être capable de marcher plusieurs jours d'affilée de telles distances avec le poids du sac et le mal de dos qu'il m'avait occasionné... la première semaine s'est finalement passée sans encombre!

Après seulement 10 minutes de marche, un cycliste arrive derrière moi et s'arrête à ma hauteur. A ma grande surprise, c'est Paolo ! je ne l'avais d'abord pas reconnu avec le casque et les lunettes de soleil. Il est pourtant parti 15 minutes avant moi, et sa vitesse de croisière est bien plus élevée que la mienne, comment peut-il me rattraper maintenant alors qu'il devrait être loin devant à présent? Je traverse la route en lui lançant un "déjà de retour de St Jacques? Tu as fait vite!" Il m'avoue qu'il s'est simplement trompé de direction, il a pédalé très vite pendant 15 minutes... mais dans le mauvais sens, avant de se rendre compte de son erreur, en apercevant le nom des villes sur les panneaux directionnels au premier carrefour. Décidément, son pilote lui manque. Avant que l'on se quitte pour la 2e fois il ajoute:"quand je me suis rendu compte de mon erreur j'étais en colère, et puis après j'ai pensé: au moins, je reverrai encore une fois mon pèlerin!" 😊

Compte tenu des 30 km de la veille et du mode "hors piste" dans l'immense forêt landaise que j'ai dû adopter après avoir perdu le chemin, je suis content que le programme de ce jour ne soit pas trop ambitieux: seulement 12km. J'arrive donc assez tôt dans le petit village de Taller, l'ambiance y est très festive. La plupart des habitants semblent réunis dans et aux environs d'une salle des fêtes, qui fait face au café-épicerie où je dois me rendre pour retirer la clé du gîte communal. Le café semble fermé mais l'épicerie attenante, elle, semble "moins" fermée. Je m'y aventure et je demande si le bar est ouvert aujourd'hui, une dame me répond "ils vont revenir ils sont à l'omelette de Pâques". Évidemment... j'ai pas compris sa réponse :D Je lui fais répéter, et j'apprends ce qui pour cette dame est une évidence: à pâques on se réunit autour d'une grande omelette. En voyant sur la terrasse du café deux enfants qui jouent en tenue de torero, mimant une corrida, je pense que l'Espagne se rapproche à présent.

Le patron du café et quelques clients sont revenus de "l'omelette de Pâques". Je récupère les clés au comptoir et en profite pour commander un café. L'établissement se rempli doucement, l'ambiance est restée festive et bon enfant. En ressortant du café, l'un des petits toreros arrête sa corrida imaginaire pour me laisser passer et me regarder avec je crois un peu d'admiration pour mon look de baroudeur. Une fois entré dans le gîte je trouve en "libre service" dans l'entrée le tampon pour la crédentiale, la caisse où mettre l'argent pour payer l'hébergement, et le registre à compléter avec date d'arrivée, nom, prénom, ville de départ etc. C'est là que je retrouve la trace de Jeanine que j'avais rencontré au début de mon pèlerinage: il y a son nom dans le registre, elle a dormi ici il y a 2 jours. Oui, là c'est sûr elle a accéléré le pas, et les chances de la recroiser s'amenuisent.

Dans l'après-midi je reviens passer un peu de temps à la terrasse du café, petite boulette, je m'installe à la place que le patron a l'habitude d'occuper lorsqu'il n'a pas de client à servir, il ne s'en offusque pas et s'assoit à ma table (qui est sa table :D ) après m'avoir servi. Nous échangeons un peu sur le pèlerinage. A la fin de notre discussion il me rapporte les viennoiseries qu'il lui reste du jour et me les offre pour le petit-déjeuner du lendemain. Arrivent deux pèlerins, Anna et Nicole, que je reconnais immédiatement à leur look et leurs gros sac à dos. Je les invite à me rejoindre à ma table et les informe que nous avons déjà les viennoiseries pour le petit déjeuner! 😀 Anna est suédoise et a travaillé dans le journalisme mais souhaite se réorienter. Elle espère continuer son Camino jusqu'à St Jacques. Nicole est aide-soignante, à la retraite à présent, elle ne regrette pas d'avoir dû s'arrêter étant donné la dégradation de ses conditions de travail ces dernières années. Elle pensait s'arrêter à St Jean Pied de Port pour cette année, mais tout le monde lui a conseillé d'aller jusqu'à Roncevaux, afin de franchir la difficile étape des Pyrénées dans la lancée, plutôt que de redémarrer l'année prochaine par cette étape exigeante. Durant nos échanges, je m'applique tout en les écoutant, à faire dans ma coquille 2 petits trous avec mon couteau suisse, afin de pouvoir y passer la corde que j'ai récupéré en chemin, et pouvoir, enfin, accrocher ce signe de reconnaissance des jacquets à mon sac.

Nous décidons de partager notre dîner au gîte, Le minuscule restaurant qui propose des pizzas devrait être ouvert mais ne l'est pas, après renseignements nous apprenons que le propriétaire va surement revenir, qu'il a des horaires "plutôt variables". Il n'arrive pas, nous décidons donc de retourner à l’épicerie où face à un choix et des possibilités de cuisiner assez limités, nous choisissons 2 boites de tartiflette, une bouteille de vin et des chocolats, car c'est pâques 😀. C'est Anna qui parviendra à ouvrir la bouteille de vin avec le tire bouchon trouvé dans le gîte, elle nous dit en plaisantant honte à nous, Nicole et moi, qui sommes français de ne pas avoir su ouvrir une bouteille de vin rouge et que ce soit une suédoise qui y arrive ! :D Durant le repas, elle me demande: "est-ce que c'est toi qui a écrit en grand Ultreïa sur le chemin?" je suis surpris d'être ainsi démasqué et lui demande comment elle l'a deviné ? Est ce qu'elle m'aurait aperçu en train de tracer les lettres dans le sable ? Non, tout simplement, elle me le demande parce que je suis le premier pèlerin qu'elle croise depuis, il y avait donc de fortes chances que ce soit moi. Je suis content que quelqu'un l'ait vu - et ait compris le sens. Elle me dit qu'elle avait trouvé ça bien, que ça l'avait encouragée, et qu'elle en avait posté la photo sur Facebook. Nous passons un agréable moment jusqu'à ce qu'au cours d'une discussion nous ne trouvions pas la réponse à une question, et que Nicole dise: "ça mon fils pourrait nous le dire", ce à quoi je réponds "tu devrais l'appeler pour lui demander?" Elle semble tout à coup un peu triste et en colère et me répond "Il est un peu loin maintenant pour que je puisse lui demander!" S'ensuit un silence pesant et gêné. Elle ne donnera pas d'explications sur cette réponse et nous n'oserons pas lui en demander.

Ce soir je dors en compagnie de graffitis laissés par les précédents pèlerins sur les lattes du sommier du lit du dessus et qui me font sourire: "L'homme jeune marche plus vite que l'ancien, mais l'ancien connait le chemin" :D "You got the answer", "Je suis en marche" signé E. Macron, "Que tous ceux qui aiment la Danette se lèvent"... j'admets qu'elle n'ont pas toute la même valeur philosophique 😀


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Il est autour de 6h, je suis sur le perron de notre gîte où dorment encore Anna et Nicole. Du moins je l'espère: réveillé tôt et bien avant l'alarme de mon portable, je n'ai pas pu m'empêcher de répondre une nouvelle fois à l'appel du Camino à une heure indue. J'ai essayé de me faire aussi discret que possible pour quitter le lieu. A Taller il n'y a pas de dortoir, les lits sont dans la même pièce que l'espace cuisine. J'ai donc rassemblé le plus silencieusement possible toutes mes affaires dans la salle de bain et refermé la porte, pour me préparer et refaire mon sac. Avant de m'élancer depuis ce perron, frontale allumée, en guise de petit déjeuner un des croissants donnés la veille par le patron du bar, et un peu d'eau. Je ferai je l'espère un meilleur petit-déjeuner en chemin, lorsque les cafés et boulangeries auront ouvert leurs portes.

Aujourd'hui je dois absolument rejoindre Dax, pour la simple et chouette raison que je vais y retrouver mon fiston dans l'après-midi à la gare ! 😀 C'est les vacances pour lui, je lui ai proposé de me rejoindre pour quelques jours afin de partager un peu de cette aventure! Pour cela je dois parcourir 25 km. Pour le pèlerin novice que je suis, c'est déjà pas mal. Mais bien évidemment, je réussi une nouvelle fois à me perdre, alors que je suis certain d'avoir bien prêté attention au balisage, et il est fort possible que celui-ci ait été dégradé. Je fini par rejoindre une départementale qui d'après Google Map rejoint Dax, je décide donc de renoncer à rechercher le "vrai" Camino et de la suivre docilement. C'était évidemment choisir la simplicité et la sécurité, mais une nouvelle fois suivre une route comme celle-ci rend l'étape interminable et m'a certainement allongé le trajet de quelques km.

Un peu avant de toucher au but, j'aperçois des panneaux indiquant "Berceau Saint Vincent de Paul". Ce n'était a priori pas sur mon parcours initial, mais ce petit détour que m'offre le hasard (certains disent que c'est l'autre nom de Dieu :D ) m'y a conduit. Poussé par la curiosité - et la faim car il y aurait des magasins - je bifurque vers cette destination au bord du chemin. Je ne trouverai pas les magasins au milieu des ronds-points et des pavillons qui étalent la ville, mais en revanche j'arrive au fameux berceau annoncé par les panneaux: il s'agit du lieu où naquit et vécut Saint Vincent de Paul, alors simple berger. Il y a la maison où il a grandi, un chêne 8 fois centenaire, une église assez imposante, et un centre qui lui est consacré. Avant toute velléité de visiter ce lieu, je dois me reposer et manger, je me rends à l'accueil du centre pour savoir s'il existe une restauration sur place: il n'y en a pas mais on m'indique gentiment des tables disposées dehors et on m'invite à y pique-niquer si je le souhaite. Ce que je ferai, pas tout à fait à l'aise de sortir toute la quincaillerie et de déjeuner ainsi dans ce lieu que je ressens empli de spiritualité et de recueillement... C'est un peu comme sortir un sandwich assis sur le banc d'une église pendant une cérémonie :D Toutefois ce calme m'aide à reprendre des forces, et personne ne me fait sentir que mon attitude est déplacée, au contraire les employés et les soeurs qui passent me saluent, avec le sourire. Un groupe d'enfants passe, l'un d'eux parle de moi à un accompagnateur qui lui répond "c'est un pèlerin".

L'arrivée à Dax me demandera encore environ 2h de marche, le long d'une route très fréquentée par les poids lourds, et dont les bas-côtés ne sont pas fauchés... Courage ! et énergie ! Je ne dois pas être en retard pour récupérer mon fils à la gare !

En entrant enfin dans Dax un peu avant 15h, je repère la direction de la gare, et file chercher notre hôtel situé prés de la cathédrale. Je découvre une ville très agréable, coupée par un très large fleuve qui ménage de larges pelouses de chaque côté pour se promener en le longeant. Dans le centre historique les ruelles sont agréables, et invitent à flâner un peu. Arrivé devant l'hôtel je lis sur la porte qu'il n'ouvrira ses portes qu'à 17h30! Je suis fatigué et sale après cette dure marche et ces passages dans les herbes folles le long de la route, je veux ma chambre ! Je tente le coup de les appeler en expliquant que j'ai réservé, que je suis un pèlerin et que je suis fatigué, la dame au bout du fil ne me fait aucun problème et me répond qu'on va descendre m'ouvrir 😀

Après un peu de repos et une bonne douche, il me reste une petite heure avant d'aller à la gare. En admirant les tours de la cathédrale depuis ma fenêtre, pour la première fois depuis mon départ, l'envie de dessiner revient. Gros avantage : depuis mon perchoir je n'ai que les tours à dessiner, le reste de l'édifice m'est dissimulé par de la verdure que je peux esquisser en quelques coups de crayon. Le résultat du gribouillis au bout de 30/40 minutes me semble satisfaisant, je file à la gare.

En arrivant à la gare, je le repère dans le hall, mais j'ai l'impression que lui ne me voit pas: avec le chapeau les lunettes et mes habits de randonneur, il ne m'avait pas reconnu de loin ! :D Je suis vraiment très heureux de le revoir et de l'embarquer pour quelques jours dans l'aventure.

Nous passerons 2 belles journées de complicité, et marcherons en tout une vingtaine de km qui me laisseront le temps d'admirer la rapidité avec laquelle il comprend le fonctionnement du Camino, repère le balisage, et comme il est habile à décorer son bâton de marche avec son couteau suisse 😀 2 anecdotes sur ces moments partagés: le serveur du restaurant italien où nous avons mangé qui était très admiratif quand il a appris que je faisais le pèlerinage. Au point que mon fils l'a remarqué et m'en a reparlé plus tard. Aussi notre visite de la cathédrale de Dax où les bénévoles de l'association des amis de St Jacques de Compostelle m'ont reconnu comme pèlerin, et nous ont invité à entrer dans une partie interdite au public, et offert jus de pomme et "merveilles" 😀

Mais 2 jours (1ere nuit à Dax donc,et 2e au gîte communal de Saint Pandélon), ça passe très vite, beaucoup trop vite, et le moment de revenir à la gare pour que le fiston reparte à Paris est vite arrivé. Gros, gros coup de blues.

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Après avoir raccompagné mon fils à la gare de Dax et être retourné au gîte communal de St Pandelon, le coup de blues se confirme 😦 Dans ce gîte à 5 km seulement de Dax où nous avions dormi la veille, ça me fait bizarre d'y revenir seul. Aucun autre pèlerin n'y a posé son sac, cette portion de la Voie de Tours est décidément peu fréquentée. Vers 21h30, coupure de courant : je me retrouve seul, dans le noir, avec l'orage qui gronde à l'extérieur et une alarme stridente qui se déclenche ... ambiance...

Le lendemain matin je reprends la route vers 7h, après avoir remis en ordre le gîte et laissé la moitié des dosettes de café achetées la veille en faisant les courses à Dax, pour partager un peu avec les futurs pèlerins qui passeront. Ils seront surement content de les trouver pour se donner du courage avant de reprendre le Camino au petit matin (il n'y a aucun café ou commerce à plusieurs km à la ronde), et d'autre part, cela me permet d'alléger un peu mon sac. Comme depuis la veille, ce matin le moral n'est pas au beau fixe... ça ne va pas s'arranger.

Génial ! Je sors juste au moment où une averse prend fin. Quelques pas en direction de la mairie pour rendre les clés puis l'aventure reprend ! ... Au bout de 5 minutes seulement, l'averse elle aussi reprend! et devient de plus en plus forte: pas le choix, je dois ressortir la cape de pluie qui est tout au fond du sac, la déplier et réussir à la passer de manière à ce qu'elle protège également mon gros sac à dos... difficile de rester zen sous cette pluie battante. Une fois réussie l'opération, je ne suis pas sûr de ne pas déjà être totalement trempé sous ma cape. Ainsi paré, je m'élance en espérant faire étape à Sorde l'Abbaye située à 21 km. Las, je pensais que la cape suffirait à me protéger, celle-ci étant très large et bien imperméable, et mes chaussures étant également imperméables. Mais après seulement une heure de marche sous une pluie toujours plus forte, et un vent qui soulève des pans de ma cape et laisse ainsi passer la pluie, mon pantalon est trempé et je réalise que l'intérieur de mes chaussures se remplit d'eau inexorablement...

Les pèlerins croisés le premier soir m'avaient dit que pour éviter les ampoules aux pieds, il fallait éviter l'humidité dans les chaussures. A présent, mes pieds sont carrément dans l'eau! A priori, les chaussures se sont remplies par le contact avec le pantalon qui ruisselle: je comprends à présent l'importance d'avoir dans son équipement de pèlerin des guêtres, ce dont j'ai négligé de m'équiper. Le moral chute encore plus, et la peur d'abimer mes pieds que je dois maintenir en bonne condition pour pouvoir aller au bout de l'aventure s'installe. J'arrive au village de Cagnotte au bout de 8km et 2 petites heures de marches, je sors ma liste d'hébergements: il y a un gîte communal ici, à regret, je prend la décision d'y faire étape.

Voyant mon air abattu, l'employée de la mairie qui m'accueille et me remet les clés du gîte me dit que c'est déjà héroïque d'avoir marché 2 heures sous cette pluie battante et ce vent! 😀 Je pars prendre possession des lieux, je suis de nouveau tout seul, la grande pièce commune est désespérément vide, le grand dortoir à l'étage également. Au rdc, il y a également une petite chambre avec un seul lit, qu'un papier scotché sur la porte baptise "Chambre du ronfleur" ! :D Etant tout seul, je choisi de m'y établir. Le lieu est agréable, le coin cuisine bien équipé et les placard ont été rempli de produits alimentaires de bases par la mairie: biscottes, confiture, épices... vraiment super sympa! Après la douche j'allume le radiateur de ma chambre et place mes chaussures au dessus après en avoir vidé l'eau qui les inondait. Il est à peine 11h, que vais-je faire de ma journée? Je n'ai fait que 8 km aujourd'hui, dehors la tempête continue de déverser ses trombes d'eau, le coup de blues de la veille est à présent un terrible coup de cafard et j'ai à présent l'impression de ne pas avancer et que je ne terminerai jamais le Camino 😦 Qu'est ce que je fais là ? Pourquoi ne pas rentrer et retrouver mes proches et mon chez moi au lieu de vivre ces galères?

12h sonnent, je profite d'une accalmie pour retourner dans le centre où j'avais repéré une supérette et me choisis de quoi déjeuner. Après déjeuner, la pluie cogne toujours aux vitres, enfermé et désœuvré, ayant déjà réfléchi à mon étape du lendemain et avancé dans la lecture des "Quatres accords Toltéques", je décide de me rendre utile et de faire un peu de ménage pour rendre le gîte encore plus agréable.

Vers 15h je profite d'un rayon de soleil pour retourner à l'épicerie: j'avais noté qu'elle accueillait un "coin bar" : près de l'entrée 2 ou 3 tables, quelques bouteilles d'apéritifs derrière la caisse et possibilité de boire sa canette de bière achetée sur place. Le caissier m'expliquera qu'à la fermeture du dernier café existant dans ce petit village, la mairie avait fait le maximum pour pouvoir conserver la licence (Licence IV?) et la transférer sur cette petite épicerie afin de garder un peu d’activité et de vie. Dans l'après-midi, j'y retrouve attablés un couple de retraités, pèlerins eux aussi... trempés, exténués et patientant. J'engage la conversation avec eux comme il est si facile de le faire dans la communauté des Jacquets 😀 : ils sont partis ce matin de Dax et prévoyaient de faire étape ce soir à Peyrehorade soit 22km. Ayant comme moi souffert du vent et de la pluie battante tout au long de leur marche, ils ont également jeté l'éponge en arrivant à Cagnotte, mais n'y passeront pas la nuit : ils attendent un taxi pour rejoindre leur étape du jour. J'aurai plaisir à les revoir 2 fois encore sur la voie de Tours, puis les perdrai de vue un peu avant la frontière espagnole. Je suis d'abord choqué d'apprendre que des pèlerins parcourent des parties du Camino en taxi. Mais c'en est un nouvel aspects que je découvre: même en empruntant le même chemin, personne ne le vit de la même manière, d'où l'expression que j'entendrai cent fois par la suite : "à chacun son chemin ! " Chacun son rythme, chacun ses capacités, chacun ses décisions, ses ressentis, ses joies, ses peines, ses rencontres etc...

En fin d'après-midi le soleil revient, je descends jusqu'à l'église du village qui avait attiré mon regard par sa construction très symétrique, que je ne peux m'empêcher de dessiner dans mon journal de bord. L'envie de dessiner et d'illustrer mon voyage est bien là, et aujourd'hui ce n'est pas le temps qui manque! 😀

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Voilà une étape qui promettait d'être tranquille: 12 km seulement sur le papier ! 😀 Je me dis qu'aujourd'hui encore je ne vais pas beaucoup avancer. Impossible de toute façon d'aller plus loin: pour le seul gîte à l'étape suivante mentionné dans ma liste, Arancou, il est précisé "Réserver auprès de Valérie". Or Valérie, je n'ai pas réussi à la joindre la veille pour réserver. Je ne le sens pas de faire une trentaine de km sans savoir si j'aurai un lit à l'arrivée.

Après environ 200km à arpenter les Landes, je m'arrêterai donc ce soir à la limite des Pyrénées-Atlantiques. Le paysage change, s'en est bien fini du sable, du plat et des forêts de pins, maintenant ça monte, ça descend, feuillus, des champs et des prés, et dans un chemin creux que je parcours, la roche affleure, je commence déjà à marcher sur les pieds de la montagne ! 😀 ça en revanche ça me donne l'impression d'enfin avancer un peu et me redonne la motivation.

Je me crois proche de la fin de mon étape lorsque j'arrive à Peyrehorade (nom qui me semble un peu compliqué à prononcer, retenir, orthographier correctement... :D ) en traversant un parking situé à l'entrée de cette ville, un passant me lance avec le sourire "bon chemin!" C'est peut-être seulement la 2e ou la 3e fois depuis que je suis parti que cela arrive.

Je m'installe ensuite à une terrasse en centre ville un peu en hauteur, et commande un café pour une pause bien méritée en profitant de la vue. Je félicite le serveur pour cette terrasse agréable et sa vue, ce à quoi il répond "Ah! pour la vue sur les 2 gaves ?" Ben là, c'est comme pour l'omelette de Pâques de Taller, j'ai pas compris ce que me disait l'autochtone :D Après un petit tour sur la toile, j'apprends que les gaves sont 2 cours d'eau qui arrosent les terres de la commune, le gave de Pau et le gave d'Oloron. Voyager, c'est se cultiver ! A la table juste derrière moi, c'est l’effervescence, des jeunes gens ont reçu une bonne nouvelle par téléphone, du type accord de crédit pour démarrer leur affaire, leur joie est communicative et on aimerait se retourner et la partager avec eux tant ils semblent sympathiques. Une fois reparti et ayant fait quelques pas dans la ville, je m'aperçois que j'ai oublié mon compagnon de route, mon précieux bâton de pèlerin à la terrasse du café! Je me dépêche d'y retourner, de peur que quelqu'un ne voyant pas l'utilité de cette branche sur la terrasse ne s'en débarrasse. Surprise! pas besoin de remonter les marches de la terrasse pour le récupérer, les jeunes gens qui étaient à la table derrière moi sont descendus et cherchaient déjà après moi pour me le rendre 😀 Ils me demandent si je suis pèlerin, et jusqu'où je compte marcher: je leur dis d'abord Saint Jean Pied de Port, puis Saint Jacques de Compostelle si tout va bien. Leurs regards sont admiratifs, ce projet un peu fou les interpelle, nous échangeons quelques mots, et je reçois leurs encouragements, puis je reprends la route.

Avant de franchir le pont qui enjambe les "Gaves réunis" j'aperçois quelques Gilets Jaunes déclamant leurs slogans, quelques automobilistes klaxonnent en signe de soutien. Personnellement je me sens comme un peu hors du temps et je suis centré sur moi-même et mes propres réflexions, bien aidé par les immenses forêts désertes que j'ai traversé ces dernières semaines. Mais ces manifestants me rappellent qu'on est samedi, et que le monde ne s'est pas arrêté en mon absence.

Normalement, je ne suis plus qu'à une poignée de km de Sorde l'Abbaye, ma ligne d'arrivée. Après le pont, je retrouve le balisage mais après plus d'une heure et demie à marcher en pleine nature, je commence à douter d'avoir pris le bon chemin, et effectivement, c'est un cultivateur qui passait sur une portion de route que je longeais qui m'indique le chemin pour rejoindre ma destination : j'ai emprunté une variante du chemin qui évite de passer par Sorde, et si j'avais continuer de la suivre, j'étais parti pour 15 km de marche supplémentaires !

Arrivé enfin à l'étape après avoir certainement parcouru bien plus de 12 km à cause de cette fichue variante, j'arpente les très belles et authentiques rues pour trouver le gîte. Arrivé devant la porte, je lis l'affichage présent à l'entrée, l'hospitalière me rejoint aussitôt pour me renseigner et m'accueillir. C'est une petite dame très énergique et très présente qui a à coeur de s'occuper de tout, et même du repas du pèlerin pour le soir et du petit déjeuner le lendemain matin. C'est un Donativo: pour le gîte et le couvert, le pèlerin donne en fonction de ses moyens et de la qualité dont il juge l'accueil qu'il a reçu. Même pour mon linge, l'hospitalière sera là pour me donner des conseils et m'apprendre à l'accrocher de manière à ce qu'il sèche au plus vite. Nous échangeons un peu sur l'organisation, et sympathisons, je lui demande s'il serait possible que je revienne, après mon pèlerinage pour être à mon tour hospitalier. Je souhaite rendre le bon accueil que je reçois à d'autres pèlerins, et cela me permettrait de mieux connaitre le fonctionnement d'un gîte et m'assurer qu'en ouvrir un pourrait me plaire. Il y aurait peut-être une possibilité pour le mois d'août, je lui communique mes coordonnées pour qu'elle puisse me recontacter.

En bonne hospitalière, elle m'informe également des visites culturelles à faire: l'Abbaye se visite, et c'est gratuit pour les pèlerins, je prends donc un peu de temps pour la découvrir, ainsi que l'église du village. A l'heure du repas un autre pèlerin nous a rejoint. Nous évoquons après ces jours de pluie la technique du papier journal dans les chaussures, et qu'il faut renouveler plusieurs fois afin de les faire sécher. Nous parlons aussi de récits illustrés de pèlerinage, ce qui m'encourage à montrer mes premiers dessins, je promets à l'hospitalière de lui envoyer par mail celui que je viens de faire de l'église de Sorde l'Abbaye, village qu'elle porte depuis longtemps dans son coeur. Une fois au dortoir, je découvre que mon voisin est un ronfleur de compétition... la nuit sera courte...

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Mal dormi... pendant quelques temps j'avais pris l'habitude d'avoir les dortoirs pour moi tout seul, ça n'a pas été le cas cette nuit et je ne risquais pas de l'oublier vu les ronflements incessants de mon voisin. Petit déjeuner à l'auberge, gentiment préparé par notre hospitalière. Nous l'aidons à débarrasser et faire la vaisselle puis nous glissons l'argent dans la petite tirelire (donativo), remplissons l'habituelle feuille où il faut préciser notre ville de départ, motif du pèlerinage etc... puis nous nous disons au revoir. Je pars seul car l'autre pèlerin part un quart d'heure avant moi et a priori aurait un rythme incompatible avec le mien puisqu'il dit faire à peu près 30 à 35 km par jour.

Les premiers pas longent le Gave d'Oloron puis empruntent un pont qui le traverse, et dès l'autre rive, je retrouve de curieux "champs de vignes" que j'avais aperçus la veille, en tout cas ça y ressemble un peu, mais ce n'est pas de la vigne. J'en ai parlé hier à notre hospitalière, elle fut surprise que je n'ai pas reconnu là le fameux "Kiwi de l'Adour" ! Eh bien oui mais moi, je n'avais jamais vu encore de champs de kiwis! :D Toutefois, elle ne m'en fera pas l'article, en fervente adepte du bio, elle me prévient que ces champs sont surtraités, et qu'elle n'en mangera jamais.

Sans m'en rendre compte, je quitte pour de bon les Landes. Je traverse de beaux paysages vallonnés, au Camino bien balisé (fini de se perdre au milieu d'immenses forêts ou de longer des départementales pendant des heures pour retrouver sa route! 😀 ). Le chemin est même parsemé par endroits d'arbres fruitiers plantés par les bénévoles de l'association des amis de Saint Jacques de St Jean Pied de Port, et dont les fruits sont destinés aux pèlerins de passage. Quelques bancs improvisés avec quelques bouts de bois ou quelques pierres sont également disposés sous l'ombre d'arbres anciens.

Tout cela est génial, mais en revanche, quel calme! Je ne croise pas âme qui vive même lorsque je traverse les petits villages, excepté quelques pèlerins au gîte d'Arancou à mi-parcours de mon étape. L'angoisse monte car il y a peu d'hébergements, et depuis ce matin j'essaie de joindre "Roselyne" et laisse des messages sur répondeur pour réserver le studio que propose la mairie de Bergouey aux pèlerins. Mais Roselyne ne répond pas. C'est vrai qu'on est dimanche, ce qui explique surement l'absence de réponse. Arrivé au bout de 19km dans ce petit village, rien ne bouge. Il semble désert, je passe devant la mairie qui est bien évidemment fermée. Roselyne reste injoignable et ne me rappelle pas. Un autre gîte est indiqué sur ma feuille à 1.5 km, j'appelle et je suis accueilli d'abord froidement car la personne m'informe que son gîte n'existe plus depuis 1 an et demi, qu'elle l'a déjà signalé plusieurs fois... Donc pour le moment pas de lit pour ce soir. J'ai faim, je vois une affiche sur la porte cochère d'une ferme qui propose un plateau repas avec les produits de la ferme, bonne idée! J'appelle le numéro indiqué : pas de réponse. Bref je suis seul au monde, sans hébergement et sans repas. Je me souviens que dans les quelques documents que j'ai embarqués, j'ai également la liste des hébergements que m'a remis l'asso parisienne et je décide de la comparer avec celle que m'a remise celle de Gradignan. Bonne surprise ! Celle de Paris mentionne d'autres gîtes qui ne figurent pas sur la liste que j'utilise depuis mon départ. Le gîte le plus proche est à 6 km, je me sens fatigué mais il n'y a pas le choix, avant de me lancer je décide de les appeler histoire de ne pas avancer pour rien s'il était fermé lui aussi. Une dame me répond, c'est 40e la nuit ! Aïe ! Le pauvre pèlerin que je suis cherche plutôt un lit pour 6 à 10 euros environ, je réponds que je vais réfléchir et je raccroche.

Je décide de chercher un lieu où me poser pour déjeuner en utilisant ma "ration de secours" que j'ai toujours dans mon sac, ce qui me permettra de reprendre des forces et prendre une décision. Je trouve un ancien lavoir un peu à l'écart du village, son toit m'abrite des rayons du soleil, quelques pierres m'offrent une assises et le bruit de l'eau claire qui s'écoule est agréable. A en juger par les traces dans la poussière, des pèlerins s'arrêtent souvent ici et même y dorment. Une fois reposé et repu, ma décision est prise, je rappelle le gîte pour le réserver, quel que soit le prix je n'ai pas le choix, et les 6 km supplémentaires m'avanceront pour demain. De plus le repas du soir et petit déjeuner sont compris, or je n'ai plus beaucoup de vivres et aucun commerces à des km à la ronde. Je refais le plein de ma poche à eau au point d'eau du cimetière et c'est reparti.

Pour ces km supplémentaires, j'apprécie la beauté des lieux que je traverse, aussi bien la nature que le vieux pont de Viellenave. Arrivé au gîte de Labet Biscay, j'y découvre une ferme qui propose un gîte dans "l'aile gauche" de sa demeure. C'est au milieu de nulle part, ça sent vraiment la ferme 😀 mais je suis bien accueilli et le gîte vaut vraiment le coup, c'est grand, il y a une petite terrasse privative, un coin salon avec la tv, une cuisine, 2 chambres, une salle de bain, et ô bonheur ! Une machine à laver !! Aujourd'hui pas de corvée de lessive à la main et au savon de Marseille! Durant le lavage la machine fait un drôle de bruit: j'avais oublié de retirer le caillou ramassé à Gradignan le 1er jour, et celui-ci est sorti de ma poche puis cogné dans le tambour tout le long du programme. Le repas servi le soir surement avec les produits de la ferme est excellent, il y a de la bière au frigo 😀 une bouteille de rouge à ma disposition, du café, le petit déjeuner complet également. Bref, le prix demandé est tout à fait justifié.

Avant d'aller au lit, quelques pas dans la campagne, au loin la ferme qui m'accueille, je prends le temps de la dessiner un peu rapidement car la nuit tombe, et ici, pas d'éclairage public. Ce fut une journée encore une fois très solitaire... mais ça ne va pas durer !


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Tout est encore calme lorsque je quitte la ferme Malgoria au petit matin. Je rencontre seulement la dame qui m'a accueilli la veille, elle vient de réussir après quelques difficultés à démarrer sa voiture, et laisse à présent chauffer le moteur avant le départ. Avec simplicité et son sourire qui ne la quitte jamais, elle me demande si tout s'est bien passé. Je la rassure sur ce point, j'ai très bien dormi, et au réveil j'avais à ma disposition absolument tout ce qu'il me fallait pour me préparer un petit déjeuner parfait avant cette nouvelle journée de marche. J'emporte même dans mon sac un peu de pain (et une bière 😀 ) que je n'avais réussi à finir et que je serai content de retrouver plus tard.

Mon objectif du jour : Ostabat ! Parait que c'est un très beau village... je n'aurai malheureusement pas le temps de le visiter car quelques surprises m'attendent. Après quelques pas sur la petite route qui quitte la ferme, à travers une nature luxuriante et une légère brume, un véhicule me dépasse avec un petit coup de klaxon. Déjà parti loin dans mes pensées, je n'ai pas réalisé que ce devait être mon hôte qui me saluait une dernière fois.

Nous somme lundi... ça fait donc 2 semaines aujourd'hui que j'ai démarré l'aventure depuis Bordeaux! Moi qui avait quelques craintes sur ma capacité à "tenir le coup" dans la durée, je commence à m'autoriser l'espoir d'arriver dans quelques semaines au but de mon périple! 😀 Tenir le coup physiquement, ne pas perdre la motivation, ne pas regretter son petit confort ? Tout va bien, et même mieux, je mesure à quel point je suis en train de vivre quelque chose d'extra-ordinaire, d'à part, d'exceptionnel et quelle joie cela apporte.

Au bout de quelques heures, j'arrive à Saint Palais, les premiers toits et le clocher apparaissent après la lisière d'une forêt, le son des cloches de l'église retentissent. Il est 12h, j'ai faim, et en traversant la ville, pour la première fois, je passe devant un restaurant qui propose une "assiette du pèlerin". Carrément ! L'établissement propose un plat spécial pour le jacquet. Ce qui le compose a l'air bon, je pose mon sac et passe commande. Et je fais bien: il y a des produits régionaux comme le fromage, et c'est très "riche", parfait pour reprendre des forces! Tant mieux, Ostabat est encore à 11km.

Après ce copieux déjeuner, première surprise de la journée: ici à Donapaleu (Saint Palais en basque), à un carrefour, la Voie de Tours que j'emprunte depuis le départ, rencontre une des trois autres grandes voies françaises, la Voie de Vézelay! Je comprends mieux à présent pourquoi ici on trouve une offre de restauration spécifique: avec la réunion de ces 2 grandes voies, il doit y avoir beaucoup plus de pèlerins ici que dans les villes précédentes. Et effectivement je commence à en croiser. Pour autant je ne m'inquiète pas trop d'avoir un lit pour ce soir, Ostabat en propose 65 en tout, ce qui est beaucoup plus qu'aux étapes précédentes, et je ne vois toujours pas de foule sur le Camino.

2e surprise: à la sortie de la ville, une montée dantesque et interminable surgit. Jusqu'à maintenant ça avait été plutôt cool mais là ! ça grimpe dur, et mon sac à dos est plein à craquer et bien pesant car je viens juste de refaire les courses. Petite consolation, le sommet nous conduit dans une très belle et ombragée forêt. Puis après quelques petites grimpettes supplémentaires, nous offre une vue magnifique sur l'horizon pré-montagneux, juste avant d’entamer une descente aussi conséquente que la première montée. De ce promontoire, j'aperçois un petit trait brillant qui gravit la colline d'en face depuis le fond de la vallée que je vais rejoindre. Quelque chose me dit que ça doit être la suite de mon chemin... malheureusement 😀 Et ce sera le cas. Une fois arrivé je découvre ce qui de loin donnait cet aspect brillant à ce chemin: il n'est ni en terre, ni goudronné, cimenté ou recouvert de gravier, c'est tout simplement une plaque rocheuse à nue. A présent, je vois de plus en plus de pèlerins, et en groupes. J'échange quelques mots avec un monsieur qui se promenait et qui avait déjà fait le pèlerinage par le passé, il me demande si j'ai réservé mon lit pour ce soir, et lorsque je réponds non, sa réaction de surprise m'angoisse :o Il me prévient qu'en plus de la voie du Vézelay, une troisième voie y arrive. Et pas des moindre, celle du Puy en Velay! L'angoisse est maintenant bien installée après cette nouvelle surprise/découverte. Tout en marchant, je sors mon téléphone pour appeller un premier gîte: complet ! Je parcours à présent le Camino au pas de course, que ça monte ou que ça descende, tout en essayant de téléphoner aux autres gîtes dont j'ai les numéros sur ma fiche: tous complets ou ne répondant pas. Quelques km avant Ostabat, une dame a l'honnêteté de répondre que je ne trouverai aucune place pour ce soir, et me conseille quand même lorsque j'arriverai de demander à son amie qui tient l'épicerie si elle propose toujours des chambres.

Enfin arrivé à Ostabat, je fais le tour des gîtes et auberges au cas où. L'une d'elle est fermée pour travaux. Puis je me résigne à suivre le conseil qu'on m'a donné: me rendre à l’épicerie. A présent, dans ce petit village, il y a foule! Ainsi que dans l'épicerie, mais malgré le stress j'attends poliment mon tour. La caissière me confirme ce que m'a dit son amie au téléphone: plus aucun lit dispo ! Et elle même n'en a pas à me proposer, elle me confie qu'il y a quelques jours seulement, j'aurais trouvé sans problème, c'était calme, et que là d'un coup il y a eu comme une vague "on ne sait pas d'où ils sortent tous ces pèlerins!" dit-elle pleine de compassion pour moi. En évoquant les 23 km qui me séparent encore de la prochaine étape elle me répond: "ah! bah si vous pouvez encore marcher, il y a un hôtel à 4 ou 5 km": lueur d'espoir, elle me donne le numéro, j'appelle et réserve ma chambre. Sauvé! 😀

Ces 4 km supplémentaires passeront finalement assez vite car le paysage est très beau, et je suis débarrassé du stress qui m'a empêché d'en profiter une bonne partie de la journée. En tout cas, aujourd'hui tout a basculé dans ma paisible existence de pèlerin. Le paysage a radicalement changé, sur le chemin je ne suis plus seul, il y a régulièrement devant ou derrière moi des groupes, les "Bon chemin!" pleuvent à chaque rencontre et les longues heures de silence que j'ai connues sont de l'histoire ancienne. Et puis maintenant, je dois reprendre l'habitude de réserver mon lit pour le lendemain, ce que je ferai pour l'étape suivante.

En arrivant à l'hôtel Espellet, je retrouve en terrasse, appréciant leur bière, le couple de retraités qui avaient comme moi, échoué à l'épicerie/bar de Cagnotte le jour de l'orage, et qui avait pris un taxi pour finir leur étape. Ils sont content de me revoir et semblent bien plus en forme. Comme la veille, le budget hébergement initialement prévu est largement dépassé. Mais j'apprécie ce confort après une si dure journée, et je me suis déjà avancé de 4 km pour mon étape de demain: celle que j'espère atteindre -et dépasser- depuis mes premiers pas sur le Camino: la mythique ville de départ de milliers de candidats au pèlerinage de Santiago, la dernière étape avant les Pyrénées et l'Espagne : Saint Jean Pied de Port ! 😀


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Saint-Jean-Pied-de-Port! La célèbre ville point de départ pour de nombreux pèlerins! Dernière étape avant le redouté passage des Pyrénées et les premiers pas en terre ibérique... de l'autre côté des montagnes et de la frontière. "SJPDP", pour moi c'est pour aujourd'hui ! 😀 Une étape importante, qui marquera la fin de la partie française de mon Camino. Si j'y arrive, ce sera une première petite victoire dans ce défi un peu fou que je me suis lancé!

Cette journée aura été une bonne introduction aux prochaines semaines que je vais vivre en Espagne. Dés les premiers pas, je trouve devant une maison sur le bord du chemin, une table avec une carafe d'eau fraîche, des verres et des chaises disposés là par les habitants pour le repos du pèlerin. Un peu plus loin, une ferme nous invite à venir y passer un moment en prenant un café, déguster ses produits: yaourts, confitures... en donativo. Je ne suis quasiment plus jamais seul, mes congénères sont nombreux, et la plupart sont en groupes et parlent beaucoup et assez fort. La bonne humeur est de mise. Le chemin est parfaitement balisé. La petite vingtaine de km que j'ai à faire aujourd'hui me semble passer très vite, il fait beau et les paysages me plaisent. Seul inconvénient bien sûr, je ne peux plus que rarement me retrouver dans ma bulle, dans mes pensées. Je découvre aussi le nombre incroyable de "bon chemin" qu'il faut distribuer. Ceci dit, on en distribue autant qu'on en reçoit, et c'est comme un perpétuel échange d'encouragements qu'il n'est pas désagréable de recevoir. C'est aussi un peu un signe de reconnaissance entre individus qui savent qu'ils sont embarqués dans la même aventure.

Un panneau annonce déjà SJPDP à moins d'1 km ! J'imaginais la ville bien plus haut perchée que ça et donc le chemin bien plus éprouvant! Tant mieux, et de toute façon le passage des Pyrénées demain risque de ne pas me décevoir sur le plan physique. Seul petit bémol: les ampoules. Pour autant que je m'en souvienne, je n'en ai jamais eu, il m'est donc difficile de savoir quels sont les signes de leur apparition et à quoi ça ressemble, mais depuis un jour ou deux, j'ai l'impression quelles sont sur le point d'apparaître. Un pèlerin plus expérimenté m'expliquera plus tard que les changements d'appuis favorisent leur apparition. En effet, arpenter les plats chemins sablonneux des Landes, et arpenter les montées et descentes de ces derniers jours, ne sollicitent pas les pieds de la même manière. Pour le terrain plat, ma préparation en douceur dans Paris avant mon départ m'a surement aidé à ne pas voir apparaître ces calamités tant redoutées des marcheurs. Mais depuis quelques jours, ce n'est plus la même marche donc plus les mêmes zones des pieds qui sont en contact avec les chaussures.

Tout ça est vite mis de côté car j'aperçois, puis me trouve devant la célèbre Porte Saint Jacques de SJPDP. Je suis très ému d'y être enfin arrivé! Après 2 semaines + 1 journée de marche, alors que les premiers jours, je doutais tellement d'y arriver, "Je l'ai fait!" 😀 Je prends mon temps avant de passer cette porte si symbolique... porte du départ pour le pèlerinage de Saint Jacques, mais aussi porte d'arrivée pour bon nombre de pèlerins qui ayant démarré depuis le commencement d'une des voies françaises comme le Puy en Velay ou Vézelay, décident de s'arrêter là. Provisoirement: ils espèrent continuer le Camino l'année prochaine en Espagne, ou définitivement: le chemin leur a déjà apporté ce dont ils avaient besoin. Tous les pèlerins avec qui j'en ai parlé et les écrits que j'ai pu lire à ce sujet sont unanimes: le plus important dans ce pèlerinage n'est pas forcément d'arriver au bout. Le plus important, c'est de décider un jour de partir et le chemin qu'on parcourt, quel que soit le point de départ et quel que soit le point d'arrivée qu'on se choisit.

Une amie m'avait dépeint SJPDP comme une sorte de Disneyland ou de Monmartre du pèlerin. En effet, une fois passée avec émotion la porte Saint Jacques, la rue principale par laquelle j'entre (et par laquelle je sortirai demain à l'autre bout de la ville pour reprendre le Camino) est bordée de commerces. Des cartes postales, des sucreries, des produits artisanaux/ spécialités du coin, des restaurants, des souvenirs, des coquilles, des bâtons, des bourdons de pèlerin... et bien sûr, une bonne quantité d'auberges pour faire étape. En effet aussi, il n'y a pas que des pèlerins, il y a aussi beaucoup de simples touristes, en couple, en famille... et en effet enfin, alors que je parcours cette artère, en piteux état après cette journée de marche, toujours avec mon chapeau, mon sac à dos et mon bâton, je surprend l'un de ces touristes qui vient de me prendre en photo et qui crie à sa femme quelque chose comme ; "honey, I've take a picture of the pilrim in the street!" 😀

Mais toute touristique qu'elle soit, c'est avant tout un lieu qui a une "âme", une beauté et une histoire, des hébergements bien réservés aux seuls pèlerins, et dont les boutiques permettent également de trouver un équipement de randonnée sérieux: après l'étape catastrophique sous l'orage où mes chaussures se sont remplies d'eau, je prends la sage décision d'y acheter des guêtres qui devraient m'éviter de revivre cette expérience désagréable. La vendeuse me confie que pour sa part elle les porte en permanence sur le camino Francés pour éviter d'avoir des petits cailloux qui entrent dans les chaussures. Il y a aussi le bureau des pèlerins qui propose conseils, écoute, plans, documentation... et même une balance pour peser son sac à dos... pas le temps et peut-être pas trop envie de savoir finalement 😀 Il accueille des pèlerins d'un nombre incroyable de nationalités différentes (à voir ici: http://pelerinsdecompostelle.com/category/infos-pratiques/statistiques/ ).

Arrivé à l'auberge que j'avais réservé la veille, je suis accueilli avec du gâteau préparé par les hospitaliers bénévoles, du jus de fruit et du café. Sur le papier, c'était indiqué "donativo" en fait ce sera 20e... Le repas du soir et le petit déjeuner étant compris, en plus de l'accueil chaleureux, ce n'est finalement pas très grave. J'ai bien fait de réserver: de nombreux pèlerins se présentent en vain pour demander un lit, nous sommes au complet, et le bruit court que nous battons des records d'affluence pour un 30 avril. Au repas du soir, j'ai la bonne surprise d'y retrouver Nicole, perdue de vue depuis le gîte de Taller! J'apprends qu'elle a déjà franchi les Pyrénées, jusqu'à Roncevaux... Mais alors que fait-elle là ? Comment a-t-elle pu faire l'aller-retour en si peu de temps? Elle a tout simplement continué d'avancer quand moi je suis resté 2.5 jours à Dax avec mon fils, et une fois arrivée à Roncevaux, elle a pris un bus pour revenir ici. Elle a perdu de vue son acolyte, Anna la suédoise, qui avait souhaité passer quelques jours à Dax. Elle semble très heureuse du chemin qu'elle a parcouru, et souhaite repartir sur le Camino Francés l'année prochaine depuis Roncevaux, toutefois un peu échaudée car elle trouve que du côté espagnol, le pèlerin représente un business. Je ne sais pas quoi en penser... on verra.

Au gîte je retrouve aussi une maman qui marche le temps des vacances scolaires avec son petit Maxime, 12 ans, fan de cookies. Elle m'avait vu dans la panade, à l'épicerie d'Ostabat en train de chercher un hébergement, et m'a reconnu ce midi lorsque nous avons pris notre pause à la même terrasse de restaurant. Le hasard fait que nous nous retrouvons également au même gîte ce soir, alors qu'il y en a tant d'autres ici. ça me fait bizarre pour une fois de passer la soirée en compagnie de personnes que je connais déjà un peu, plutôt que seul. Une fois à table, il nous est demandé de nous présenter, et de dire si l'on veut, nos motivations pour le pèlerinage. C'est un accueil "chrétien": on demande ensuite un volontaire pour dire le bénédicité... heureusement un monsieur un peu âgé se dévoue et nous parle d'une famille en difficultés vers laquelle vont ses pensées. Pour ma part j'en aurai été bien incapable, et à voir les mines des autres autour de la table, je ne devais pas être le seul! 😀 Je fais également la connaissance d'une pèlerine qui débute demain son chemin, nous essayons de la prévenir qu'attaquer directement par le passage des Pyrénées sans aucun entrainement risque d'être difficile, sans trop insister pour ne pas la décourager non plus. En fin de repas, petite surprise juste pour moi : les hospitaliers m'apportent une petite assiette avec un pain au chocolat décoré de 3 bougies allumées et me demandent un petit discours: je n'y avais pas du tout pensé! Nous sommes le 30 avril, le jour de la Saint Robert ! 😀

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Petit-déjeuner au gîte de SJPDP, pas très bien réveillé car pas trop bien dormi. L'adrénaline peut-être, avant de s'attaquer aux montagnes 😀 aussi très surement le fait de dormir, pour la première fois dans un dortoir bien rempli ce à quoi la solitude de la Voie de Tours en cette fin avril ne m'avait pas habitué. Je m'étais imaginé ces dortoirs comme celui qu'on voit au début du célèbre film "The Way", une sorte de pièce immense avec de grandes rangées de lits superposés. Franchement, ce n'est pas du tout le cas ici, la pièce doit faire environ 20/25 m2, avec une quinzaine de couchages. Mais moi qui ai le sommeil léger, je découvre l'ambiance de ces petits dortoirs dont les bruits me réveillent pas intermittence: un lit qui grince un peu, 2 ou 3 ronfleurs qui se répondent, 1 personne qui se lève puis se recouche, un téléphone qui chute, un bruit peu convenable que je ne nommerai pas ici ! :o un peu surpris d'entendre ça, mais c'est ça la vie en communauté!😀

Nous sommes 2 ou 3 réveillés à prendre place autour de la grande table, les hospitaliers sont là pour nous apporter tout ce dont on a besoin. J'apprends que nous ne sommes pas les premiers, quelques-uns ont déjà quitté la communauté et commencé l'ascension. Je pensais réussir à partir dans les premiers en me levant tôt... finalement il y a toujours un pèlerin qui part plus tôt que soi! 😀 je souhaite en effet faire cette étape assez physique "à la fraîche", je me dépêche de me préparer. Avant de partir je croise Nicole, nous nous faisons nos adieux: de son côté elle a terminé son Camino pour cette année et rentre chez elle.

En sortant de SJPDP, ça monte gentiment. Je rattrape un premier pèlerin avec qui j'engage la conversation sur ce qui nous attend à la fin de l'étape: la descente vers Roncevaux. ça faisait partie des sujets de discussion hier soir au repas: il y a une descente paraît-il très raide plutôt déconseillée, et une variante un peu plus longue, avec un peu de route et de voitures, mais beaucoup plus facile. Il faudra choisir.

Au fur et à mesure de la grimpette vers la campagne environnant SJPDP le jour se lève et la beauté des paysages se dévoile. Des photos, je vais en faire beaucoup aujourd'hui! Chaque pause va être l'occasion d'en faire, et chaque envie de faire une photo sera l'occasion d'une pause bien méritée. La beauté des lieux augmente proportionnellement au degré de la pente 😀 ça va, les jambes suivent. Je suis soudain surpris en me laissant dépasser par un groupe de 3 dames d'un certain âge qui grimpent d'un bon pas, avec seulement un petit sac à dos qui semble presque vide. Elles papotent à voix haute, un peu comme si elles se promenaient dans un centre commercial, alors qu'autour de moi nombreux sont les marcheurs qui se concentrent sur l'effort, ou restent silencieux et méditatifs devant ce magnifique paysage. Une sorte d'anachronisme qui me fait sourire et m'interroge: a priori, après en avoir échangé, il s'agit de "locaux", bien habitués de cette grimpette faisant leur promenade habituelle, et non de pèlerins en direction de Santiago. Surpris aussi, sur les parties goudronnées, de me faire dépasser par des voitures et des minibus...

L'arrivée à SJPDP marquait aussi pour moi le début d'une nouvelle organisation: fini les étapes un peu improvisées juste avec un feuille volante contenant les adresses des gîtes. A présent, je ferai la lecture quotidienne du guide "Miam miam dodo" (oui il s'appelle vraiment comme çà 😀 ) où l'on trouve des informations et commentaires sur les lieux que l'on va découvrir, toutes les localités et hébergements existants km par km. Je l'ai donc lu la veille, et dans l'effort des grimpettes je repense à cette phrase de l'auteur du guide pour illustrer cette étape qu'il déconseille aux fumeurs : "de l'utilité d'avoir 2 poumons" 😀 J'ai lu aussi qu'au cours de cette étape, le pèlerin pourra trouver repos et réconfort au refuge Orisson. Il en a été question aussi à table hier: Le petit Maxime et sa maman doivent y passer la nuit suivante, et ce serait leur dernière étape avant de rentrer, fin des vacances scolaires oblige. Du coup après quelques temps, puis après chaque montée, je m'apprête à voir enfin surgir cette "oasis" promise, mais pendant (trop) longtemps, point de gîte. Jusqu'à ce qu'enfin, il apparaisse, un peu dissimulé dans un virage.

Le refuge Orisson étant donc le seul vrai point de ravitaillement et de pause, il y a foule. j'hésite à me poser en terrasse, puis me décide à entrer pour prendre un café et acheter un sandwich: trop de monde, et trop cher, je ressors au bout de quelques minutes. J'espère pouvoir au moins utiliser les toilettes: il y a aussi la queue... bref après avoir tant espéré cette oasis, je n'aurai fait que la traverser sans même m'y arrêter. De toute façon les carrés de pelouse ou les rochers où s'asseoir, avec des vues à couper le souffle ne manquent pas, et des terrasses, il y en a assez à Paris ! 😀

Après le refuge Orisson le paysage évolue peu à peu, la végétation se fait plus rare et les montées plus douces. Là encore la difficulté pour moi est moins physique que "psychologique" car je dois lutter contre cette impatience d'atteindre le "sommet", le col de Lepoeder (1430m), et le chemin me semble interminable, de lignes droites en virages. A plusieurs reprises, j'admire sur ces pelouses d'altitude les chevaux pottocks qui paissent en toute liberté. Une énième pause aux pieds de la Vierge de Biakorri, puis j'arriverai au fameux "food truck" dont j'ai également entendu parler la veille. Eh oui! Le bruit a couru parmi les pèlerins qu'il y avait tout là haut un food truck! Ma fierté de pèlerin me disait que je ne m'y arrêterai pas comme un vulgaire touriste 😀.... Mais une fois arrivé, je constate qu'il ne s'agit pas ici d'une banale street food sans âme, mais de quelques produits de la ferme comme le fromage de brebis, et ce que je trouverai généralement par la suite sur le bord du chemin: fruits, bouteilles d'eau, café etc... des choses assez simples pour se retaper sur le Camino. Le food truck est aussi l'occasion d'ajouter à sa crédentiale le dernier tampon français avant le passage en Espagne.

Passé la croix Thibaud et la frontière, je prends enfin ma pause déjeuner, à l'ombre d'une arête rocheuse, dégustation du fromage de brebis acheté au food truck. Je trouve ensuite une bonne eau bien fraîche à la Fontaine de Roland, et un peu plus loin de la neige ! Oui bon, quelques mètres carrés sur le bord du chemin 😀

J'arrive enfin devant la fameuse descente vers Roncevaux. Un panneau indique qu'elle est interdite en cas de pluie ou de brouillard. Je repère également la variante qui est recommandée pour plus de sécurité. Après quelques instants de réflexion, ma décision est prise: cette pente raide est le plus court chemin, je me lance! Et c'est vrai qu'avec la fatigue accumulée durant la journée, cette descente est assez difficile, et que par temps de pluie, ça doit être boueux et se descendre sur le cul! 😀 S'ensuit une pente un peu moins raide et une belle forêt qui nous amène jusqu'à l'entrée de Roncevaux. Il me semble moins difficile de se laisser un peu aller à courir dans la descente, plutôt que d'essayer de freiner son allure, et à quelques distances de l'arrivée je dépasse ainsi au pas de course un groupe de coréens qui descend au contraire très prudemment, plutôt synchrones, petit pas par petit pas en plantant soigneusement leur bâtons: 2 cultures et 2 approches différentes de la descente qui se croisent! 😀

Harassé par cette journée à part dans le Camino, je me dirige vers l'unique auberge de Roncevaux avec l'espoir d'y avoir un lit... le guide indique qu'il y en a 183 en tout. En y entrant, un hospitalier essaye de me faire comprendre en espagnol puis avec quelques mots d'anglais que je dois rejoindre une file d'attente. En patientant j'y découvre un système de don et d'échange que je trouve génial: sur une table on peut déposer ce dont on a pas ou plus besoin, et dont on souhaite se délester, et prendre gratuitement ce dont on a besoin et qu'un autre pèlerin y aura abandonné. Misère ! il reste encore 5 personnes devant moi dans la file quand l'hospitalier bien embarrassé annonce qu'il n'y a plus de lits disponibles. Pas le choix je file sans trop y croire vers les 2 ou 3 hôtels que compte cette historique mais petite localité. J'avais appelé la veille mais tous avaient répondu complet. Premier hostal effectivement complet, puis 2e hostal... après un temps d'hésitation la réceptionniste m'annonce qu'il lui reste une chambre! L'angoisse se dissipe et je rêve déjà de la bonne douche qui m'attend. Problème: ce n'est plus les 8e que j'aurais payé à l'auberge qu'on me demande, mais 65e! Espérons que ça reste exceptionnel, sinon je serai à sec avant d'arriver à Saint Jacques! Hors budget certes, mais confortable, je découvre dans ma chambre une vraie salle de bain, avec une grande baignoire où je vais rapidement m'endormir une bonne demie-heure 😀

Ayant payé pour le diner, je me retrouve le soir au milieu d'une grande tablée avec à mes côtés une néozélandaise, 2 italiens, et 1 américain. Je me rends compte qu'il n'y a pas que les français qui maîtrisent mal la langue de Shakespeare, et que les anglophones, de leur côté, ne semblent pas se préoccuper de parler une autre langue que la leur (cette impression va se renforcer tout au long de mon camino). Bref, nos échanges seront chaleureux mais un peu compliqués. C'est le début pour moi des primero et segundo plato, et du vin à chaque repas... après l'effort le réconfort, ça a du bon le pèlerinage ! 😀 Bien mérité après environ 26 km parcourus et 1200m de dénivelé... une étape qui restera dans mon souvenir l'une des 2 plus belles de mon camino!

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J'y pensais depuis le départ. Sortir du territoire, et visiter au rythme de mes pas l'Espagne, un pays que je connais si peu excepté Barcelone, faisait partie de mes motivations à suivre ce magnétique Camino. Ce matin je m'y réveille enfin. J'ouvre les volets intérieurs (pourquoi diable se complique t-on la vie à les fixer à l'extérieur en France ? 😀 ) de ma chambre d'hôtel: ce n'est pas le soleil espagnol que j'imaginais depuis des semaines qui m'attend: il pleut!

Après le petit-déjeuner, ayant bouclé mon sac et poussé la porte de l'hôtel, je m'apprêtais à mettre la cape de pluie, mais il ne pleut plus vraiment. Je décide de ne pas m'en embarrasser, on tente sans, et on verra bien.

Je ne vois d'abord aucun balisage, mais un peu plus loin au bord de la route qui passe devant l'hôtel, un panneau de signalisation indique "Santiago de Compostela 790". Renseignement pris auprès d'autres pèlerins il n'y a pas d'autres sentiers, il faut commencer par suivre cette route goudronnée. Des petits groupes se prennent en photo devant ce panneau dans une bonne humeur communicative. 790... je me rends compte que bien qu'ayant "vaincu" l'étape des Pyrénées, la ligne d'arrivée est encore loin... 790 km... un peu la même impression que lorsque j'ai vu le panneau "1000 km" à Moustey. Je me répète intérieurement "pas de stress, un pas après l'autre", que le tout est d'avancer un peu chaque jour. Et justement, en dépit de la difficulté physique de l'étape d'hier, je me sens en forme ce matin! J'ai l'impression de marcher d'un pas rapide et léger, et je dépasse de nombreux pèlerins.

Tout au long de la journée la météo est capricieuse, des averses modérées s'invitent quelques dizaines de minutes, puis s'arrêtent. J'observe les uns et les autres qui successivement s'arrêtent pour mettre, puis retirer leur cape de pluie. Pour ma part j'ai décidé de continuer à m'en passer en protégeant seulement mon sac à dos afin d'avoir des vêtements secs pour ce soir et ne pas risquer d'abimer ma crédentiale et autres docs importants. Heureusement une bonne partie du chemin est couvert par de la forêt, ce qui protège un peu de la pluie. Je me mets un peu la pression pour ne pas arriver trop tard à l'étape et m'assurer de trouver facilement un lit pour ce soir, donc pas de temps à perdre! En chemin je retrouve Chantal, c'est elle qui m'a reconnu (comme dans la plupart des autres retrouvailles 😀 ) et c'est elle qui avait le projet de démarrer son Camino depuis SJPDP sans s'être préparée physiquement pour ça. Elle m'avoue qu'après en avoir échangé au bureau des pèlerins elle a finalement choisi de monter en minibus jusqu'au refuge Orisson, et de s'élancer de là. Eh bien voilà, c'était donc ça les voitures que je croisais hier dans les belles mais terribles montées: ce n'étaient pas forcément des touristes. Pour diverses raisons, des pèlerins montent au refuge, ou en redescendent vers SJPDP en navettes.

Ayant bien forcé l'allure, j'arrive un peu après 11h à Zubiri après environ 22 km. J'admire avant de le franchir le beau "puente medieval" puis commence à comparer les prix des différentes auberges... pensant que j'aurais le choix... Mais lorsque je décide de franchir la porte de l'une d'elles, c'est la douche froide: Full, complet, et la réceptionniste me fait comprendre qu'elle a déjà appelé toutes les auberges: il n'y a plus un seul lit de libre ! Toujours en espagnol, elle essaie de me faire comprendre qu'il devrait y avoir une solution: je ne suis pas le seul à la rue, la mairie prendra surement la décision ce soir d'ouvrir les portes du gymnase municipal où je pourrai dormir à même le sol. Pendant un bon moment j'accuse le coup: avoir été si rapide sur le chemin, en en profitant si peu pour finalement ne pas trouver d'hébergement, avec un plan aussi incertain et inconfortable pour passer la nuit! Je fais quand même le tour de quelques auberges et hôtels, recevant toujours la même réponse. Mais petit à petit je comprends mieux ce que la réceptionniste essayait de me dire, avec en plus cette nouvelle info: ce problème vient d'un afflux inhabituel de pèlerins, et de la fermeture de l'auberge municipale pour rénovation (soit 44 lits en moins!).

Il n'y a pas d'alternative. Et j'ai faim. Restaurant bondé, la serveuse me demande si ça ne me dérange pas de m'installer à la table d'un autre pèlerin, je fais ainsi la connaissance d'un hongrois, dont je n'arriverai pas à comprendre le prénom malgré plusieurs répétitions. Il en est à son 3e Camino Francés et est surpris de cette affluence qu'il n'avait jamais vue auparavant. Il réalise des étapes plus longues que moi car il dispose de moins de temps, ayant dû négocier une absence exceptionnelle avec son employeur. Il est très sympathique et je regrette de maîtriser si mal l'anglais et de ne pas pouvoir le comprendre davantage. En parcourant les rues après déjeuner, je trouve le gymnase, tout beau tout neuf, avec sur le côté l'office de tourisme. Je me dis que là, il doivent être au courant de cette histoire d'hébergement exceptionnel: le jeune homme au guichet semble ne rien comprendre, et de mon côté je ne comprends pas mieux ce qu'il me dit, ni en anglais, ni en espagnol. Même la "langue des signes" à la Antoine De Maximy ne donne rien. Je pousse la porte du gymnase à côté: là on comprend et se fait comprendre. Avec le sourire en plus: il faut patienter devant l'entrée du gymnase qu'un employé municipal vienne ouvrir. Ah. Mais... j'y suis déjà non ? Non, l'accueil exceptionnel se fait au VIEUX gymnase, ici c'est le nouveau gymnase. Ok. Je retourne donc sur mes pas et repère quelques personnes qui attendent sur des bancs devant l'auberge municipales fermée pour travaux, ce qui est étonnant puisqu'elle est fermée. Je traverse la cour: le vieux gymnase est au fond. La porte est fermée pour l'instant, mais un pèlerin m'informe que les douches elles, sont déjà ouvertes et des serviettes de bain sèchent déjà sur une corde à linge: je ne sais pas encore si je dormirai dehors cette nuit, mais au moins je serai propre ! 😀

Après la douche, j'entre dans un bar pour commander una cerveza et fais la connaissance d'un couple de retraités partis il y a 3 jours de SJPDP. Ils m'ont invité à leur table, comme ils l'ont fait pour une coréenne qui me disent-ils a dormi la veille elle aussi dans un gymnase et a eu très froid: ils sont énervés de voir que le Camino est surfréquenté, que des "vrais pèlerins" se retrouvent ainsi sans solution d'hébergement digne de ce nom. Mais aussi que le pèlerinage se transforme en compétition pour arriver le premier et avoir un lit. Pour eux la majorité des personnes qui occupent les hébergements sont des personnes en balade le temps d'un we prolongé, qui ont réservé les places longtemps à l'avance. Leur décision est prise, ils ne dormiront pas au gymnase, ils arrêtent là leur Camino ! Une amie leur avait promis de venir les chercher s'ils avaient besoin, le mari l'a appelé et elle est en route. Ils habitent Bayonne, contrairement à moi ce n'est pas trop compliqué pour eux de rebrousser chemin. Ils pensent repartir dans 15 jours en empruntant le Camino del Norte, beaucoup moins fréquenté normalement que le Francés. Au cours de nos discussions, je leur fais part de mon projet naissant de gîte ou d'accueil pèlerin, de préférence dans ma région natale: la Picardie. Leur honnêteté les pousse à me prévenir que c'est un projet qui a peu de chance d'aboutir, car contrairement au sud de le France, il y a très peu de pèlerins qui passent par là. Même la Voie de Tours que j'ai emprunté commence officiellement à Paris. Pas avant. Lorsque leur amie se gare enfin devant le café, il est l'heure de dîner. Ils me présentent à elle et m'invitent à rester pour manger avec eux, ils m'offrent une autre bière et une tortilla. Ce sont de vrais anges gardiens, car en plus de cette invitation, ils essaient de m'aider à réserver un lit pour l'étape du lendemain et me donnent un peu de vocabulaire en espagnol pour pouvoir appeler moi-même. Ils me donneront également des pansements contre les ampoules, bref, même sans avoir rien demandé, ils essaient de me donner tout ce dont je pourrais avoir besoin.

Leur amie est une personne très sympathique et "à la cool", ils lui parlent de mon projet de gîte: elle m'encourage avec beaucoup d'enthousiasme et me raconte que ça avait été un vrai bonheur de s'être mise un jour à son compte. Et qu'elle répète à ses enfants de ne jamais travailler pour quelqu'un d'autre! Je lui fait part de l'objection de ses amis concernant le peu de fréquentation des chemins picards: elle me suggère d'essayer de créer en parallèle une résidence d'artiste. Je trouve son idée très intéressante, et avant de nous quitter, elle me demande de lui promettre que je réaliserai mon projet.

Après leur départ, je retourne au gymnase: la porte est enfin ouverte. Il y avait à disposition une dizaine de tapis de sport bien moelleux, mais déjà tous pris par d'autres pèlerins et dispersés sur le sol. Certains dorment déjà. Pas très grave, j'ai mon tapis de sol, il va enfin servir. Je me choisis un coin pour le disposer, à bonne distance d'une pèlerine qui semble perdue dans ses pensées à ma gauche, et un couple qui roucoule à ma droite. Mon sac à dos me servira d'oreiller, après en avoir sorti mon duvet. Il fait encore jour, je retourne jusqu'au pont pour essayer de le dessiner avant de me coucher. Comme prévu, le gymnase n'est pas chauffé, je dormirai donc tout habillé (gain de temps pour demain matin! 😀 ), avec gants et bonnet, et en redoutant de passer une mauvaise nuit sur ce sol en ciment et avec l'éclairage plutôt tamisé mais qui reste allumé. Mais quelles que soient les conditions, la fatigue d'une bonne journée de vagabondage l'emporte toujours, accompagnée par le calme qui règne et les murmures des autres naufragés du Camino qui me bercent...

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4h30/5h du matin... le vieux gymnase de Zubiri s'éveille doucement... d'abord une faible rumeur qui ne me tire pas complétement de mon sommeil. ça parle à voix basse, la porte s'ouvre et se ferme avec précaution. Puis elle se fait un peu plus plus présente quoique toujours discrète. Les premiers naufragés quittent les lieux. Je n'ai pas si mal dormi, voire même un peu mieux que dans certains dortoirs... je profite encore un peu de ce demi-sommeil et de la chaleur de mon duvet. Le bruit qui me tire définitivement de mon sommeil est celui des matelas de gym qu'on empile avant de partir.

Ce matin je n'ai presque rien en réserve pour le petit déjeuner, c'est donc avec bonheur que je trouve sur une table quelques paquets de biscuits secs que personne autour de moi ne semble revendiquer: surement un pèlerin obligé d'abandonner là une partie des victuailles achetées la veille pour ne pas trop se charger... après une nuit d'hôtel très chère à Roncevaux, mon passage à Zubiri aura été très économique! 2 employés municipaux sont là pour veiller à l'évacuation et au rangement du lieu.

Ce matin après environ 2h de marche, je découvre pour mon plus grand plaisir un de ces petits cafés que je rencontrerai désormais tout le long du Camino, parfois au milieu de nulle part, dont la clientèle semble exclusivement composée de peregrinos. Lesquels ont surement permis leur émergence, depuis ces quelques décennies de regain de fréquentation de la voie de Compostelle. Alors que je me défait de ma cape de pluie et de mon sac sur la terrasse couverte, j'aperçois le Hongrois avec qui j'ai diné la veille. Je lui fais signe pensant qu'il me rejoindrait, il répond à mon salut, mais continue sa route. Nous ne nous recroiserons plus par la suite. 1h avant de m'arrêter ici, je l'avais retrouvé en chemin et il m'avait demandé comment s'était passée cette nuit un peu spéciale. Bref, c'est l'heure du réconfort avec une pâtisserie dont je ne connais pas le nom, et un grand café.

En route je dépasse également la Néo-Zélandaise (dont je n'ai pas plus retenu le prénom) qui faisait partie des convives à la table de l'hôtel de Roncevaux, et qui semble avoir trouvé son binôme de marche. Je ne ralentit pas pour engager la conversation, celle-ci étant très difficile en anglais pour l'un comme pour l'autre, nous communiquons juste par un échange de sourire et un rituel "buen camino!".

Et puis, surprise ! Depuis une hauteur, j'aperçois un peu plus loin Pampelune, la première grande ville espagnole que je traverserai, mon étape du jour. Il me semble pourtant ne pas avoir marché si longtemps que ça... C'est une bonne surprise, je descends vers la ville, ravi de ce cadeau du ciel 😀 puis en y entrant, je recherche l'adresse de l'auberge que j'ai réservé la veille, ayant craint de me retrouver sans hébergement une 2e fois. Elle se trouve à Villava. En regardant un plan, j'avais cru comprendre que c'était le nom d'un des quartiers de Pamplona... arrivé à la réception, j'apprends qu'en réalité la ville se situe à encore un peu plus de 5 km de marche ! Voilà qui explique cette impression d'arriver si rapidement: au lieu d'avoir marché 21 km, je n'en ai fait que 16! Donc, Villava est une localité proche de Pampelune, mais pas un de ses quartiers. Autre désagréments: une odeur étrange et désagréable, et la frustration de ne pas être dans la ville souhaitée pour pouvoir y faire quelques pas. Dans cette auberge, j'apprécierai aussi les cabines de douches où on ne peut entrer avec ses vêtements sans les tremper, obligeant donc à y entrer et en ressortir nu... heureusement je serai seul au moment de la douche :D et enfin le linge propre qu'on met à sécher à l'extérieur et qui s'imprègne de la drôle d'odeur qui règne dans le quartier.

Renseignements pris auprès de la réception, je décide de rejoindre le centre ville de Pamplona en bus. J'y passe quelques heures agréables à visiter et m'imprégner de son ambiance très marquée par les fêtes de la Saint Firmin où sont lâchés dans les rues des taureaux. Dans toutes les boutiques de souvenirs on retrouve le costume blanc et foulard rouge, ainsi que des petits taureaux en céramique et des mugs humoristiques à leur effigie. Un autre type de boutique retient mon attention: celles qui vendent des bonbons. Que des bonbons et rien d'autre! Et évidemment une grande variété dont je n'ai jamais entendu parler avant.

Je m'arrête dans un café pour prendre una cerveza et écrire quelques cartes postales. Au dos de l'une d'elle, un détail me renvoie à 1000km de là, dans ma région natale: à Amiens! Le fameux Saint Firmin que les espagnols célèbrent ici, évêque d'Amiens ? Wikipédia confirme, il y a connu son martyr, et un portail de la belle cathédrale d'Amiens lui est consacré. Le monde est petit 😀

De retour à Villava, je comprends enfin d'où vient cette odeur désagréable: à quelques rues de l'auberge se trouve un bâtiment industriel qui ressemble fort à un incinérateur de déchets. A l'auberge, je suis un des derniers à me coucher, après avoir désespérément cherché mes lunettes de soleil que j'avais laissé sur mon lit en partant. Bon, 2e paire de lunettes de soleil disparue depuis le début de l'aventure... Dans le lit du dessous, une pèlerine anglaise marmonne et se plaint. Elle est arrivée dans cette auberge il y a une semaine après s'être foulé la cheville et a toujours mal. J'espère ne pas me retrouver un jour ainsi immobilisé sur le Camino. Enfin, quelque chose me fait sourire: j'entends dans le couloir des ados allemands, que j'avais vus aux sanitaires se coiffer et se laquer avec soin, venir frapper à la porte du dortoirs des filles de leur groupe. ça rigole, ça crie, ça fanfaronne ... pas besoin de parler la langue de Goethe pour comprendre les jeux de séduction qui se trament... ils mettent le bazar c'est vrai, mais à leur âge on peut leur pardonner car on a surement tous fait pareil par le passé. Je décide de tester enfin les bouchons d'oreille que je trimballe depuis le début sans m'en être encore servi... ça atténue bien les plaintes de ma voisine et le chahut des parades amoureuses adolescentes! 😀

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Je quitte l'auberge de Villava non sans avoir une dernière fois recherché mes lunettes de soleil, je vérifie même à travers la vitrine du resto attenant où j'ai diné la veille (fermé à cette heure matinale) si je les aperçois à l'intérieur. Je dois me résigner à laisser là tout espoir de retrouver la 2e paire de lunettes de ce périple, et affronter le soleil espagnol sans protection. Fidèle à l'habitude prise en suivant les conseils de Jeanine, je passe à la boulangerie acheter quelque chose à manger, même si je viens juste de prendre mon "desayuno": tant qu'il y a des commerces à portée de main, faire des provisions ! J'y découvre mon premier "napolitana", le pain au chocolat espagnol! Plus gros et gourmand que le nôtre, souvent servi dans une assiette avec parfois une sauce chocolat dessus, chaud, et avec couteau et fourchette pour le dévorer 😀

Aujourd'hui, je pars pour 25 km de marche, en traversant tout d'abord Pampelune que j'ai visité la veille et qui est à 5km. Un peu avant d'y arriver, je remarque devant moi un autre pèlerin. Il semble avoir le même âge que moi, silhouette débonnaire, un peu "nounours", marche d'un pas décidé. Nous établissons le contact à l'entrée de la ville car le balisage est peu clair. Je lui suggère de prendre comme direction la cathédrale pour rattraper le Camino que nous venons de perdre. C'est un point de repère infaillible puisque le but de ce chemin de foi et de nous faire passer par les lieux de cultes les plus importants. Arrivés sur le parvis nous engageons à nouveau la conversation sur la direction à suivre, que nous trouvons grâce aux indications d'une pèlerine allemande qui attendait là ses amis. A partir de là, nous débutons un bout de chemin, et une conversation très intéressante d'environ 2h... le Camino c'est beaucoup de rencontres, et le partage spontané, entre individus qui ne se connaissaient pas 5 minutes avant !

Olivier n'en est pas à son premier pèlerinage. Pour ma part je compte m'arrêter aujourd'hui à Obanos, mais lui veut s'arrêter plus loin, car il dispose de moins de temps que moi. Il a femme et enfant qui l'attendent, et qui ont eu la gentillesse de lui laisser ce temps privilégié d'aventure et d'introspection. Durant nos échanges, je lui parle du gîte de Moustey, sorte de ferme au milieu de la forêt, qui m'a donné l'envie d'ouvrir un gîte semblable sur le Camino. Mais j'hésite encore un peu à bouleverser ma vie et quitter Paris. Il me confie alors qu'il y a quelques années, avec sa femme ils ont décidé de revendre leur appartement francilien pour aller s'installer à un peu plus de 80 km au sud. Le regrettent-ils ? Pas du tout! Avec l'argent de la vente de leur appartement en IDF, ils ont eu un budget suffisant pour une belle maison avec un grand jardin et y ont trouvé une qualité de vie au top! Et le boulot ? Il a gardé le même boulot en IDF, et vient travailler en voiture! Ne devient-il pas fou dans les embouteillage? Non plus! il s'est organisé: sur une semaine, il a 1, parfois 2 journées de télétravail, et quand il se rend à son boulot, il part très tôt de chez lui pour éviter les bouchons, et repart le plus tôt possible en direction de sa province. Il privilégie aussi les mercredis (journée des mamans -ou des papas😀 ) et les lundis (week-end prolongés) pour venir travailler en ayant moins de circulation à affronter. Voilà un exemple concret qui apporte de l'eau à mon moulin, pour moi qui hésite depuis des années à quitter la ville pour retrouver un peu de nature.

Au bout d'environ 2 heures donc, j'éprouve le besoin de faire une pause pour prendre un café. Olivier lui, préfère continuer à marcher, on se souhaite buen camino. Dommage de le perdre de vue, mais j'aime aussi ma solitude et je crois qu'après ces presque 3 semaines, j'avais perdu l'habitude de parler autant 😀

Ma marche solitaire reprend, pour croiser l'un des sites les plus inspirants du Camino Francès: "l'Alto del perdon". Après une petite montée (770m d'altitude), je découvre ce lieu avec plaisir et un peu de surprise car je le croyais bien plus loin sur le chemin... la célèbre sculpture de fer symbolisant les pèlerins qui cheminent depuis le Moyen Age, ajoute à la beauté de ce lieu qui surplombe la nature et les villages alentours. La rangée d'éoliennes juste à côté, un peu moins... Sur une pancarte je lis que ce lieu doit son nom au fait que tout pèlerin qui viendrait à périr sur le Camino se verrait pardonné de tout ses péchés s'il a au moins atteint ce point. Quelle que soit la suite des événements, me voilà donc déjà assuré de mon salut ! Mais bon, je vais quand même continuer encore un peu😀 Le vent souffle fort, les pèlerins affichent tous un sourire en arrivant, quelques mots s'échangent, on se prend en photo devant le convoi métallique éternellement en chemin mais immobile depuis 1996. C'est un endroit que j'ai du mal à quitter, mais il faut avancer.

La descente vers Obanos se fait par un chemin littéralement recouvert de pierres, un peu comme des galets, qui me rappelle que depuis quelques jours les ampoules aux pieds sont à vif. Il va falloir que je finisse par m'en occuper, car en plus de l'effort pour parcourir l'étape, il faut réussir à faire abstraction de la douleur à chaque pas et continuer d'avancer.

Enfin arrivé à Obanos, il y a le choix entre 3 ou 4 auberges, j'en choisis une qui me parait la plus simple et "authentique" et suis accueilli par un vieux monsieur moyennement aimable. Mais ça semble correct et le petit-déjeuner est compris. Le dortoir est une très grande pièce remplie de lits superposés. La parcourant pour choisir mon lit et enfin poser mon sac, j'entends mon prénom! Je me retourne, c'est Olivier! C'est une belle surprise, car il n'avait pas prévu de s'arrêter dans ce village, et c'est un hasard que nous ayons choisi la même auberge tous les deux. Le lit voisin au sien est libre, je m'y installe donc, et nous échangeons quelques mots pendant qu'il effectue des étirements allongé sur son lit, en appuyant ses pieds sur le sommier du lit du dessus. Une technique que je ne connaissais pas 😀

Après la douche, je sors dans la petite cours où sèche le linge, avec une chaise et le nécessaire pour essayer de régler leur compte aux ampoules. Difficile de trouver un peu d'intimité pour ce genre de soin, mais il y a peu de passage à cet endroit. Je vous passe les détails de la technique de l'aiguille et du fil, si ça vous dit vous trouverez sur internet! Une allemande passe en grimaçant, je m'excuse pour le spectacle, elle me rassure, c'est surtout qu'elle avait cru voir du sang, mais ce n'était en fait qu'un peu de bétadine 😀

Dans ce gîte je rencontre également une pèlerine anglaise très âgée, qui parcourt la plupart du temps les étapes du chemin en transports en commun ou en taxi. Je n'avais d'abord pas accroché avec elle puisqu'elle hurlait qu'on ferme la porte de la cour dés qu'on l'ouvrait. Mais après être allé l'aider à se relever d'une petite chute, je fais la connaissance d'une personne plutôt attachante. Quand elle apprend que je suis français, elle me raconte qu'elle ne sait pas parler français, sauf quand elle est en France, et qu'elle a beaucoup trop bu! 😀 Elle se souvient qu'enfant elle a eu une nourrice française, ce qui explique peut-être que l'alcool aidant, elle se mette à parler français quand elle est en France.

Au moment de l'extinction des feux, plusieurs pèlerins regardent une chaussure féminine posée dans l'ouverture d'une fenêtre. Je comprends que les lits près de cette fenêtre ont froid et voudraient bien la fermer complétement mais n'osent pas. Je m'avance pour retirer la chaussure, une jeune femme m’interpelle avec agressivité du haut de son lit du dessus. J'essaie de lui faire comprendre que visiblement les gens ont froid et souhaitent fermer cette fenêtre. Elle demande à la ronde si quelqu'un a froid, personne n'ose lui répondre, et elle finit par me dire qu'elle se relèvera dans 45 minutes/1h pour fermer elle-même... N'étant pas directement concerné car à 4 rangées de lits de cette fenêtre, n'ayant pas eu de soutien des principaux intéressés, et n'ayant pas envie de déclencher d'hostilités, je passe mon chemin.

De retour dans mon duvet, nous échangeons encore quelques mots à voix basse avec mon voisin que j'ai eu la chance de retrouver ici. Il me souhaite bonne nuit, et je lui réponds "bonne nuit Oliv!" comme si nous étions amis depuis toujours.

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Petit-déjeuner au réfectoire de l'auberge. A ma table, des pèlerins qui semblent se connaître déjà un peu discutent, l'un semble taquiner son voisin au sujet de son chemin et celui-ci répond "le plus dur ça va être de dire "buen camino!" Je suis étonné de cette réponse, étant convaincu que tout le monde avait intégré ce rituel depuis longtemps, cette formule qu'on prononce plus que "bonjour" dans une journée. Je comprends mieux quand il précise: "Moi je fais comme les saumons, je remonte le courant, toute la journée je croise tous les pèlerins et tous me disent "buen camino", je suis bien obligé de leur répondre!" ... Je découvre alors avec un peu de surprise, car je n'y avais jamais pensé, que le Camino se parcoure dans les 2 sens ! Et en effet, durant ces quelques semaines, je croiserai de temps en temps des pèlerins qui marchent en sens opposé. Moi qui marche en direction de Saint Jacques, je n'ai à dire "buen camino!" que lorsque je dépasse un jacquet, ou quand je fais une pause et que d'autres me dépassent. Mais celui qui marche en sens opposé, se retrouve face à une foule de pèlerins toute la journée. Je peux comprendre que le rituel puisse devenir lassant et qu'on se sente obligé de répondre quand même à chacun.

Une fois "celui qui marche en tournant le dos à Santiago" parti, arrive à ma table l'allemand que j'avais essayé d'aider la veille à fermer cette fenêtre mystérieusement entravée par une chaussure... Malgré quelques difficultés à nous comprendre en anglais, je lui demande s'il a bien dormi: Pas du tout! il a passé une très mauvaise nuit car il a eu froid, et son voisin aussi. La fenêtre est restée entrouverte toute la nuit! il a même peur de s'être enrhumé me confie t'il, sur un ton d'agacement et en même temps d'une retenue que lui impose surement son éducation... S'il avait froid, pourquoi ne s'est-il pas levé pour tout simplement fermer cette fenêtre? Ma question semble le surprendre, et il ne sait pas trop quoi répondre. Il finit par avouer qu'il ne voulait pas faire d'histoire. C'est parfois ça la vie en communauté ! 😀 La journée, tout le monde s'aime sur le chemin! on se sourie, on s'encourage, on partage et s'entraide à la première occasion. Mais le soir des tensions peuvent apparaître, quand les électrons libres que nous sommes se retrouvent contraints de partager le même espace.

De retour au dortoir pour ramasser mes affaires et me mettre en chemin, plus de trace d'Olivier. Il a dû partir un peu avant moi, il m'avait dit la veille qu'il ne prendrait pas le desayuno ici. Pas de soucis, il y a de grandes chances pour qu'on se recroise à une prochaine étape! ( c'est ce que je pensais, mais je ne le reverrai pas).

Dans l'entrée où je récupère mes chaussures, la vieille dame anglaise qui ne parle français qu'avec l'aide d'un peu de vin rouge est là. Nous échangeons quelques mots, et avant que je ne parte, elle arrange un peu la protection contre la pluie de mon sac à dos, un geste maternel et touchant, un peu comme on s'assure que son enfant a bien boutonné son manteau avant qu'il ne sorte 😀

Me voilà reparti à travers la Navarre. A la sortie d'Obanos, une grande plaque métallique se dresse, trouée de ce qui doit être une silhouette de pèlerin. Manifestement le sentier invite à la traverser, ce que je fais sans être toutefois sûr d'en comprendre toute la symbolique. S'ensuit de beaux paysages de campagne sous le soleil du petit matin, quelques collines, des coquelicots, des oliviers, des vignes... Tout en profitant de cette beauté, j'avance en faisant l'inventaire des douleurs dues aux ampoules: pied gauche ça fait beaucoup moins mal, presque plus en fait. Pied droit toujours la même douleur qu'hier mais uniquement au talon. 1 pied de sauvé donc, et le 2e à moitié guéris, l'intervention à l'aiguille et au fil de la veille a porté ses fruits, reste à désinfecter soigneusement les plaies pendant quelques jours.

Avant cela, j'ai franchi le très beau, très grand, et ancien pont roman de Puente la Reina. Le "Miam-miam Dodo" précise que c'est dans ce village que se rejoignent tous les chemins venant de France, avec ce dernier: le chemin d'Arles.

Rapidement, le Camino croise une oasis de beauté et de poésie. Par un petit sentier sur la droite, on entre dans un magnifique champ d'oliviers, en avançant un peu on y trouve, au milieu des plants une petite bibliothèque, un meuble où poser ce qui ne nous sert plus et prendre ce qui pourrait nous servir, un bureau, quelques bancs et tables improvisés qui invitent à faire une pause et profiter de l'instant présent. Le tout baigné de soleil. Il y a aussi en redescendant sur le sentier, un donativo. Je ne voulais pas faire de pause maintenant, trop tôt, mais après tout ce n'est pas une compétition. "Carpe Diem". Et c'est un endroit si particulier qu'il serait dommage de ne pas s'y arrêter. Je prends un fruit, et me laisse convaincre par la jeune femme qui tient le donativo de goûter un verre de vino tinto de la région, malgré l'heure encore matinale 😀 Elle me conseille aussi d’apposer le tampon de ce lieu magique sur ma crédentiale. J'hésite un peu car il y a un moment que j'ai abandonné le jeu des 2 tampons journaliers obligatoires, d'une part parce qu'au début en France c'était compliqué de les trouver et que les tampons "Magasin Champion" ça fait pas rêver, et d'autre part parce que ma crédentiale se remplissait beaucoup trop vite et que j'avais peur de ne plus avoir de place pour tous ceux des auberges à venir. Effectivement, le tampon est très original, et je suis content d'emporter ce souvenir pour la suite.

A Cirauqui, très beau village qui semble couvrir une colline, je retrouve le pèlerin français qui au petit-déjeuner discutait avec celui qui marchait "à contre-courant". Nous cheminons une petite heure ensemble, il est à la retraite mais en pleine forme et j'aurais même parfois un peu de mal à suivre son rythme. J'aurai l'occasion de le revoir à de multiples reprises, le reconnaissant de loin par sa grande silhouette et son sac à dos toujours accroché un peu de travers. Très rapidement il tient des propos amers sur son frère avec qui il est brouillé de manière irrémédiable pour une histoire d'héritage. Difficile de savoir quoi répondre si ce n'est essayer de relativiser un peu sur le côté uniquement matériel de la chose... On sent une personne d'une grande gentillesse mais un peu sur la défensive et qui garde en lui de la colère... surement une très bonne raison de faire le chemin!

Après 22 km de marche, j'arrive au village de Villatuerta. Passé un petit pont médiéval, ça grimpe un peu, et puis, face à un café-restaurant, une "casa rural", sorte de chambre d'hôtes. C'est ici que j'avais réservé la veille par téléphone. Grand luxe aujourd'hui, je suis prêt à mettre 15e pour avoir ma chambre individuelle et passer une bonne nuit !😀 Bon à ce prix là, la salle de bain reste commune. Mais à 3 chambres seulement et non pour tout un dortoir! Je peux profiter aussi de la machine à laver et d'une petite cuisine pour me préparer un petit dèj le lendemain avec mes provisions et le café mis à disposition. Après la douche, séance dessin, puis direction le bar, cerveza puis diner: ici on sait ce qu'il faut au pèlerin pour reprendre des forces: en entrée une assiette de frites mélangées avec omelette et lardons... hyper diététique ! 😀 et en plat... une bonne paella!

De retour à la casa rural, 2 couples de français qui font le chemin ensemble sont arrivés en mon absence et ont pris possession des 2 autres chambres. Ils semblent très sympathiques et vouloir lier connaissance. Mais ce soir je me sens asocial, je n'aspire qu'à profiter de la tranquillité de ma chambre, et dormir le plus possible. Après tout les vrais moments de solitude sont devenus très rares. Je réponds poliment à leurs salutations et m'enferme dans ma cellule douillette, pour profiter du calme et d'une nuit de repos sans ronflements, toux, lumière des sanitaires qui s'allume, ou objets qui dégringolent d'un lit superposé au beau milieu de la nuit... et dans un vrai lit 2 personnes fait comme il se doit, au lieu de mon duvet déroulé chaque soir sur un simple matelas recouvert d'un drap jetable... un peu de confort ne nuit pas au pèlerinage ! 😀

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Au moment de glisser dans la boite aux lettres la clé de la chambre, avant de repartir sur le chemin, je n'ai encore croisé âme qui vive. Ni mon hôte, ni les autres occupants. Le réveil, les rapides préparatifs de la journée, et le 1er café, furent marqués par le calme et la solitude. Ce que je peux apprécier, tout autant que j'apprécie les tablées matinales et chaleureuses comme celle de la veille à Obanos. Jusqu'à présent, le chemin est tout sauf routinier.

J'aperçois les premières silhouettes humaines après quelques pas... on pourrait croire que le Camino Frances n'est jamais tout à fait désert, quelle que soit l'heure... et c'est peut-être effectivement le cas puisque la nuit qui tombe, ou le jour qui n'est pas encore levé, n'arrêtent pas les pèlerins pourvus d'une frontale et d'une solide motivation pour avancer. En parlant de motivation, ça fait aujourd'hui 3 semaines que je marche ! Tout va bien. 3 semaines que je suis parti de chez moi, quittant mes habitudes et mon confort.

Les 25 km de cette étape passeront assez vite, et ne me laissent que le souvenir d'un paysage assez insolite, avec sa terre rouge, ses collines comme de petites montagnes qu'entourent parfois complétement des champs cultivés sur lesquels le vent dessine des vagues en faisant onduler les cultures, les rendant vivants, animés... Je garde surtout le souvenir de ma pause-déjeuner: Lorsque je traverse Azqueta, je n'ai pas encore envie de m'arrêter mais j'y prends quand même un sandwich pour être sûr de l'avoir quand je déciderai de m'arrêter. Cependant, la suite du chemin n'offrira pas de lieu propice à s'arrêter, jusqu'à ce que se profile les ruines d'un ancien bâtiment agricole, surplombant légèrement le chemin et entouré d'oliviers. Arrivé à sa hauteur, je grimpe le petit chemin enherbé qui y mène... ces murets de pierres devraient m'offrir une halte ombragée pour mon déjeuner. Hélas non, une fois sur place je constate que ces ruines servent davantage de toilettes que d'aire de pique-nique... Il est vrai qu'il n'y a ni haies, ni bosquets durant des km... En regardant les champs d'oliviers me vient une idée: prendre ma pause déjeuner à l'ombre de ces vénérables arbres! La pause fut agréable, assis à même le sol, légèrement protégé du soleil par les rameaux d'oliviers, à contempler le paysage. Mais elle fut de courte durée, à "mi-sandwich", une R19 grimpe à fond de 1ére le chemin enherbé, écrase avec fracas un petit tas de branchages disposé à l'entrée du champ avant de s'arrêter. Un homme âgé en sort, je suis prêt à lever le camps s'il me le demande mais il fait comme s'il ne me voyait pas. Il sort ensuite de son coffre du matériel dont, je crois, un pulvérisateur. Après quelques minutes à l'observer à la tâche je me décide à rompre notre silence et m'approche, il ne parle qu'espagnol. Je lui demande (comme je peux) si ma présence dérange: je comprend approximativement sa réponse: si je ne veux pas qu'il m'asperge du produit qu'il s'apprête à pulvériser sur son champ je ferai mieux de déguerpir! 😀 je remballe donc au plus vite mes affaires et finirai mon repas en marchant.

Arrivé à Los Arcos, je m'arrête à la première auberge ayant "una cama" pour m'accueillir. Elle me laissera un très bon souvenir. Le mot qui me vient pour la qualifier est: authentique. C'est une vieille bâtisse, on y entre par une sorte de patio, au rez de chaussée passé l'accueil, un lieu de vie où est servi le petit-déjeuner, une guitare est à disposition, des livres, des canapés... cette salle s'ouvre sur un 2e patio où sèche le linge des peregrinos. A mi-palier les sanitaires... pas très grands, 3 ou 4 douches 2 lavabos, et ambiance virile 😀 comme il n'y a pas d'espace où se déshabiller avant d'entrer dans la petite douche, il ne faut pas avoir peur de la nudité... ou comment rester naturel quand on pousse la porte des sanitaires pour regarder à quoi ressemblent les douches, et qu'on tombe sur un pèlerin nu qui en sort et qu'on se salue 😀

A l'étage 4 dortoirs, 1 cuisine, 1 espace de vie et une petite terrasse. On m'indique mon lit, je pose mes affaires, puis après la douche, je constate que dans mon dortoir plusieurs pèlerins font la sieste, et que le silence y règne, paradoxalement bien plus que la nuit. Compte-tenu de l'effort de marche imposé quotidiennement au corps, des mauvaises nuits que je passe en dortoir, et qu'il est encore tôt dans la journée, je comprends que la sieste est vraiment une bonne idée et je décide d'essayer. Elle ne sera pour ce premier essai que d'une quarantaine de minutes, mais cette habitude va maintenant s'installer jusqu'au bout de l'aventure.

Se confirme aussi l'habitude de la cerveza à la fin de chaque marche, si bonne après l'effort. Si possible en terrasse et dans un cadre inspirant. Et toujours, écouter sa gourmandise! Avec les calories brulées quotidiennement pas de soucis pour se le permettre, et c'est comme s'accorder une récompense après l'effort. Los Arcos est une belle petite ville dont l'église vaut vraiment la visite. J'y retrouve le pèlerin allemand qui par diplomatie n'avait pas osé fermer la fenêtre la nuit à Los Arcos bien qu'il ait froid. Je lui confie qu'aujourd'hui des locaux m'avaient pris pour un allemand. Il me demande si c'est du racisme. De la part des autochtones je ne le pense pas, juste le besoin de mettre "dans des cases", et ça n'en est pas de ma part bien entendu. Et nous sommes des peuples voisins, avec une longue histoire en commun (même mon nom de famille d'ailleurs, serait d'origine germanique 😀 ). Il ajoute très justement qu'à l'époque de Charlemagne, la France et l'Allemagne étaient même réunies dans un seul et même empire.

En fin d'après-midi à l'auberge, installé sur la petite terrasse pour profiter des derniers rayons du soleil, alors que je note mes souvenirs dans mon journal de bord, un italien m'apporte un verre de vin rouge de la région qu'il m'offre pour trinquer avec moi. Le partage est vraiment une des belles valeurs du pèlerinage de Compostelle. Dans la rue en bas, passe lentement un monsieur très âgé, très digne, béret basque, s'appuyant sur sa canne et sur le bras d'une dame pouvant être sa fille. Au bout de la rue, une petite fontaine et derrière, un mur en ruine laisse apparaître la campagne environnante. A l'intérieur un repas improvisé bât son plein dans la bonne humeur, dans la cuisine se mélangent les nationalités, les cultures, les langues qu'on y parle et les odeurs des différentes spécialités... l'authentique "auberge espagnole"! 😀

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Je suis dans les premiers à quitter le dortoir et prendre place à la table du petit déjeuner. J'ai bien justifié en arrivant que j'avais réglé la veille pour le petit-déjeuner, mais... rien sur les tables ... nous nous regardons avec un autre pèlerin aussi matinal que moi, puis je demande à l'hospitalier qui s'active sans nous avoir adressé la parole ni même un regard depuis notre arrivée, si nous sommes au bon endroit. Il me répond en espagnol, je crois comprendre que nous sommes en fait arrivés trop tôt! Il semblait d'abord un peu agacé de nous voir arriver avant l'heure, puis nous apporte finalement du café qu'il vient juste de préparer. J'aperçois où sont disposés les couverts et vais les chercher pour ma tablée, dans le but de l'aider et toujours dans l'esprit qu'un pèlerin n'est pas un simple touriste qui attend d'être servi. Il est accueilli pour une somme modeste et il est d'usage qu'il participe. A peine 10 minutes après, surement l'heure officielle de début du petit-déjeuner, la salle se remplit rapidement, et je comprends la tension que j'avais ressentie chez notre hôte: il est seul la plupart du temps pour s'occuper de tout ces jacquets affamés et bien souvent pressés de reprendre la route.

Aujourd'hui c'est parti pour une étape de 28 km, jusqu'à la ville de Logrono! J'ai l'impression d'avancer d'un bon pas, longeant d'abord des petits murets de pierres recouverts d'innombrables coquelicots. La première localité que je traverse est Torres del Rio. En parcourant les belles rues anciennes je me fais la réflexion que je ne passe pas assez de temps à visiter les villes et leurs édifices, je décide donc de ralentir pour aller visiter l'église que j'aperçois... arrivé à quelques pas, une femme refoule sans ménagement deux personnes qui voulaient y entrer et en ferme la porte! Je n'ai pas compris ce qu'elle leur disait, je passe ma route. Je traverse une très belle place aux nombreuses terrasses de cafés très attrayantes, j'hésite à m'y arrêter... non, l'envie de continuer à avancer est trop grande, pas de fringale et si nécessaire encore assez de vivres dans mon sac.

Poursuivant mon chemin, je rallie la petite ville de Viana. Toujours ce même élan qui me pousse à la traverser sans trop m'y attarder jusqu'à ce que j'aperçoive... l'enseigne d'un Correos ! Je sais qu'il me reste encore une douzaine de km à faire mais je décide de m'y arrêter quand même: depuis mon passage à Saint Jean Pied de Port, j'ai pour projet de renvoyer en France tout ce qui ne me sert plus depuis que j'ai passé la frontière pour alléger au maximum mon sac à dos. J'ai aussi glané quelques cartes postales et petits souvenirs pour mon fils. J'entre et après quelques longues minutes à essayer de comprendre le fonctionnement et les tarifs proposés avec une interlocutrice qui ne parle qu'espagnol, je choisis une sorte de grande enveloppe plastifiée verte dans laquelle je glisse mes cartes routières du Sud Ouest, mes listes d'hébergements de la Voie de Tours, les timbres, tickets resto, chèques vacances etc. inutilisables ici, plus donc les cartes postales en retard et les souvenirs. J'avais bien trouvé un autre Correos à Pampelune, mais c'était grand, avec beaucoup de monde aux guichets et... surprise pour le français habitué que je suis à les utiliser à la Poste: pas de guichets automatiques ! Pas de distributeurs automatiques de timbres ou d'affranchissement, aucune machine ! L'impression de retrouver les bureaux de poste de mon enfance. Espérons que cela signifie que les emplois y ont été davantage préservés, car chez nous il n'y a en général plus qu'un ou deux guichets ouverts, et à côté une ou deux rangées d'automates... A Viana c'est un tout petit bureau, très calme, pas plus de 2 clients présents à la fois, où j'ai pu m'asseoir à une table et faire tranquillement le tri dans mon sac pour remplir mon colis.

Je repars plus léger de toutes ces affaires que j'ai confiées à la Poste espagnole, puis pause obligée au "donativo artistique" de "l'alto del Poyo": des dizaines (des centaines?) de monticules de pierres, comme des sculptures abstraites en équilibre, quelques chaises, et quelques victuailles offertes aux pèlerins contre la somme qu'ils pourront mettre dans la caisse. Après un long moment de marche où le paysage commençait à me paraître monotone et sans charme particulier, quelque chose me sort de ma torpeur... je crois d'abord entendre quelques sons sans pouvoir vraiment les identifier, puis il me semble reconnaître de la musique. Puis enfin j'en suis sûr, c'est de la musique, et du rock des 70' même! 😀 ça vient de devant moi sur le chemin mais j'ai peu de visibilité du à un passage en forêt et quelques dénivelés. Mais je finis enfin par apercevoir, puis rattraper un pèlerin qui marche seul (comme JJG 😀). De petite taille, avec une enceinte bluetooth accrochée à son sac qui diffuse de la très bonne musique... à un très bon niveau sonore! Après un moment à le suivre je force un peu l'allure pour le rattraper et lui confier que j'aime beaucoup sa musique, mais aussi que ça m'a surpris, car c'est bien la première fois que je vois un pèlerin marcher en musique, un peu comme on écoute l'autoradio en voiture. En général c'est une démarche qui se nourrit plus de silences méditatifs ou de calmes échanges entre pairs vagabonds? Il me confie qu'il aime marcher en écoutant sa musique mais qu'il lui arrive aussi de la couper pendant des heures. Et selon son humeur il n'écoute pas forcément du rock, mais parfois aussi de la musique classique. Ayant partagé une bonne trentaine de minutes ensemble et la communication en anglais "du camino" n'étant pas toujours aisée (il est italien), je prends congé pour reprendre la marche à mon rythme. Je n'ai pas retenu son prénom, mais repensant à lui plus tard ou le recroisant, je le baptise pour moi "Musicman", l'homme qui marche avec sa musique en bandoulière et qu'on entend avant de voir 😀

Quelques km avant l'arrivée, je croise la route de Sarah qui me demande un renseignement que je ne saurai malheureusement pas lui donner, mais nous marcherons ensemble jusqu'à l'étape. Elle est canadienne, et ne parle que quelques mots de français: eh oui, tous les canadiens ne parlent pas français, je l'avais un peu oublié. Devant mon étonnement, elle me rappelle que bien sûr on parle notre langue au Québec, mais que le Québec n'est qu'une petite partie du Canada. Depuis la veille, j'ai pris la décision de ne pas passer une mauvaise nuit de plus dans une auberge mais de chercher un hôtel: Logrono est une assez grande ville, ça ne devrait pas être compliqué de trouver une chambre. A l'arrivée j'informe donc Sarah de ma quête d'un hôtel que je souhaite mener au plus vite, pour éviter qu'il n'y en ait plus de libres lorsque tous les pèlerins seront arrivés. Elle, souhaiterait plutôt que l'on visite ensemble la ville. Elle essaie pendant quelques instants de me convaincre de venir d'abord découvrir la cité. Rien à faire, ma priorité est de me trouver de bonnes conditions pour récupérer cette nuit. Je lui dis que nous nous retrouverons surement un peu plus tard en ville, ou sur le Camino (je ne la reverrai en fait jamais). Elle semble surprise de la fermeté de ma décision, et alors que nous échangeons nos dernières paroles, à 2 reprises, elle baisse ses lunettes de soleil pour me regarder droit dans les yeux avec insistance. Je suis un peu surpris à mon tour, ne comprenant pas ces signes... en y repensant un peu plus tard: peut-être une technique de drague canadienne? :D Probablement, mais je pense que je n'ai d'abord pas compris car nos échanges étaient plutôt sur un mode amical que de séduction.

Dès l'entrée de la ville, j'aperçois quelques hôtels sur lesquels je fonce! Oups! En approchant, il me semble que ce sont des hôtels "haut de gamme", je n'ose même pas en pousser la porte avec mes vêtements poussiéreux et mon bâton de pèlerin... j'approche du centre, à un carrefour je cherche du regard si j'aperçois l'enseigne d'un hôtel modeste quand tout à coup une femme se dirige vers moi et m'interpelle. Elle me demande si je suis perdu. Elle a compris que j'étais un jacquet, et elle tient à m'aider. Elle habite la ville et pourra me guider. Je lui explique ce que je cherche, elle réfléchit puis débute un sprint en me demandant de la suivre. Bien qu'elle porte des talons, le marcheur pro que je suis devenu a du mal à suivre, surtout après 28km et 12 kg sur le dos, mais je jette mes dernières forces dans cet effort pour la suivre à son rythme, et ne pas nuire à la réputation de mes semblables 😀. Nous tournons en rond quelques minutes car elle croit connaître un hôtel mais ne sait plus exactement dans quelle rue il se situe. Enfin elle le trouve, je la remercie pour sa gentillesse qui m'a vraiment surpris et beaucoup touché. Super! cet hôtel a une "habitacion" disponible, et correspond à ce que je cherchais. C'est un peu plus cher que prévu car c'est avec salle de bain privative mais tant pis, j'avais décidé que j'aurai ma chambre ce soir, je prends!

En sortant de la douche, ayant pu profiter du luxe de mettre de la musique dans ma salle de bain privative, et youtube ayant enchainé sur du Johnny, j'entends par la fenêtre des voisins qui donne comme la mienne sur la cours, qu'ils n'ont pas apprécié mes prouesses vocales 😀

Petite visite de la ville et notamment de "La calle del Laurel" dont j'apprends l'existence sur les cartes postales des boutiques de souvenirs de la place de la cathédrale. C'est manifestement le quartier pour se faire un bon resto.

J'ai vérifié ça 😀 et après quelques tapas et un verre de vino tinto de la Rioja, je pars à la recherche d'un sujet pour un nouveau dessin. Je pose mon journal de bord sur la rambarde de l'impressionnant pont de fer, pour croquer l'étonnant cube rose de la "casa de las ciencias", avant d'aller enfin me reposer.

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Au sortir de Logrono, le "Frances" traverse le beau parc de La Grajera qui me permet de débuter cette journée en compagnie des écureuils que j'aperçois un instant sur le tronc des pins, agiles et rapides. D'abord l'impression d'avoir rêvé, puis certitudes d'avoir vu quelque chose bouger, puis on l'identifie avant qu'il ne disparaisse dans les cimes. Leur apparition puis la vue du lac que l'on longe ensuite, me sortent un peu de la morosité de ce matin: grosses contrariétés personnelles la veille après des échanges houleux avec Paris... petit déjeuner plus que médiocre ayant du improviser dans ma chambre d'hôtel avec le contenu du sac et n'ayant pas encore trouvé de commerces ouverts pour corriger ça... et le temps est couvert, gris.

Heureusement donc, la nature est là pour me distraire de mes petits soucis. Sur le bord du lac, un pavillon avec une terrasse et un point d'eau, j'y marque une courte pause contemplative. J'aimerais beaucoup m'y attarder plus longtemps mais je n'ai fait que quelques km, il faut avancer.

Ce cadre privilégié disparait à la faveur d'une petite grimpette pour laisser place à un sentier longeant une autoroute, et quelques bâtiments d'une zone d'activité. Pas génial après ce magnifique parc. Mais d'assez loin on aperçoit sur la gauche, avant de la dépasser, plantée au sommet d'une colline, la silhouette sombre et imposante d'un taureau (le célèbre "taureau Osborne" que l'on peut encore trouver en plusieurs endroits en Espagne). Et l'attention se porte tout autant sur le grillage qui protège sur la droite du sentier, de la chute sur l'autoroute en contrebas. Et cela pour le rappel de la foi qui anime nombre de ceux qui empruntent le Camino, et leur créativité: Sur une distance d'un bon km, ce grillage est recouvert de petites croix chrétiennes improvisées avec tout ce que peut avoir sous la main le pèlerin: des brindilles, de la ficelle, un morceau de chambre à air, du ruban, des lacets, du plastique, un bout de chaine de vélo ...

Juste après se trouve Navarette, où je peux enfin déguster une bonne napolitana de chocolate, devenue rituelle, avant de repartir pour les 7 km restants. A l'entrée de la localité un panneau annonce Santiago à 576 km, j'avance j'avance... Rapidement, le chemin rejoint à nouveau le bord d'une autoroute, avec cette fois-ci absolument rien d'intéressant à voir, et une longue ligne droite sur laquelle un vent de face règne en tyran et soulève des rafales de poussière. Puisqu'il n'y a rien à voir, que le chemin est large et que c'est tout droit, j'avance un peu à l'aveugle, en me protégeant les yeux avec le rebord de mon chapeau.

Après encore quelques efforts j'arrive à l'étape, qui porte bien son nom: Ventosa. Bien que le cadre soit à présent agréable et verdoyant, le vent y est encore plus fort sur cette petite colline, et tout particulièrement où semble être le point culminant du village: l'église, où je me demande comment aucune tuile ou pierre ne se décroche sous sa force.

Arrivé 2h avant l'ouverture de l'auberge, j'ai eu le temps de déjeuner dans l'un des rares restaurants de cette petite ville avant de revenir poser mon sac devant l'entrée. Un quart d'heure avant l'ouverture nous commençons à être nombreux et chacun espère avoir une place. Une petite jeunette arrive, qui je ne sais pourquoi, me semble d'abord peu sympathique (ne le prend pas mal, je sais que tu me lis !!! 😀 ) . Quand les portes de l'auberge s'ouvrent, j'ai même l'impression qu'elle va essayer de dépasser quelques pèlerins arrivés avant, ce qui m'amènerait à confirmer ce sentiment d'antipathie. Ce ne sera finalement pas le cas. Et même, le hasard ayant fait que nous partageons le même dortoir, cette jeune femme va involontairement me donner une leçon de courtoisie et de gentillesse. En effet, étant le premier à entrer dans le dortoir, je me dépêche de choisir mon lit et d'y poser mes affaires, en mode "premier arrivé, premier servi". Puis quelques instants après, je l'entends demander à un pèlerin "senior" qui a dû se contenter d'un lit en hauteur étant entré en dernier, s'il souhaitait échanger de lit avec elle: le sien est en bas, et il est potentiellement plus pénible pour un senior que pour un jeune d'escalader la petite échelle pour accéder à son lit, et il devra peut-être se lever la nuit. J'avoue ne pas y avoir pensé en réservant égoïstement mon lit en entrant le premier. A présent elle se retrouve dans le lit au dessus du mien, étant inspiré par son bon exemple, je lui propose à mon tour par galanterie que nous échangions nos lits. Elle refuse, mais nous échangeons quelques mots, même si mon anglais est toujours ce qu'il est, et faisons connaissance.

Le soir venu, elle propose que nous dinions ensemble: il y a une cuisine à la disposition des pèlerins dans l'auberge, elle se propose de nous préparer une spécialité italienne. Une mini épicerie se tient à l'entrée de l'auberge, nous allons y acheter ce dont nous avons besoin...enfin... ce qu'on y trouve 😀 . Pendant qu'elle cuisine, 2 couples de retraités italiens discutent avec elle et échangent des conseils de cuisine. Ne sachant que faire, étant touché par sa démarche et voulant la remercier pour ce repas qu'elle prépare, je lui propose d'aller nous chercher une bouteille de vin de la région que nous traversons (la Rioja) à la petite boutique.

Ce diner reste pour moi parmi les meilleurs moments de partage de cette aventure, et me donna l'occasion de lui redemander une énième fois son prénom que je ne comprends pas. Je finis par comprendre "comme la pierre précieuse, le jade", mais prononcé en italien, donc pour moi, transcrivant comme je peux: "Jada". J'apprends qu'elle vient de la région de Venise. Elle vient de terminer ses études et à son retour du Camino, commencera sa recherche d'emploi.

Après quelques temps, nous nous apercevons qu'à l'autre bout de la grande table de l'auberge, il y a un jeune homme qui mange seul sa boite de nouilles micro-onde. De la même manière qu'un pèlerin à Los Arcos a eu la gentillesse de m'offrir un verre de vin alors que j'étais seul, je lui propose un verre de notre bouteille. Il me réponds avec humour "devrais-je?", je lui réponds "comme il veut". Il accepte, puis la conversation tourne autour de lui: il est coréen et son surnom est Lee (son vrai prénom serait trop compliqué). Il a la trentaine, ancien enseignant il a quitté la profession et écrit maintenant pour la télévision. Il voyage pour écrire un scenario avant de chercher un financeur pour son projet, et le camino n'est pas son premier voyage dans cette démarche. Autant que j'ai pu comprendre nos échanges en anglais (et il n'y a pas que les français qui le maîtrisent mal! 😀 ) il me semble voir un peu d'agacement quand les questions tournent autour de la Corée du Nord et des relations entre les 2 Corées, et les réponses ne me semblent pas claires. Sauf une: son pays, la Corée du Sud, est comme une île: au Nord une frontière infranchissable, et de tout autre côté, la mer. Nous apprenons aussi avec lui pourquoi il y a tant de coréens sur le Camino : le christianisme est la principale religion de la Corée du Sud. Mais cet engouement ferait plus particulièrement suite à un journaliste connu qui aurait fait le pèlerinage il y a quelques années, portant ce chemin à la connaissance du grand public. Au cours de nos échanges lorsque j'évoque le nom de mon blog "Break a leg", nous apprenons aussi que si en France on dit "toucher du bois" pour se porter chance, en Italie on dit "toucher du fer". Et en Corée? On ne dit rien! 😀 selon Lee une telle expression n'existe pas chez lui! pourquoi vouloir provoquer la chance ou se prémunir de la malchance en touchant quelque chose, le concept lui parait étrange 😀

Journée très riche, commencée seul dans la grisaille intérieure et du ciel, mais qui se termine dans la bonne humeur, par un bon repas et de belles personnes... ascenseur émotionnel du Camino 😀

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Ce matin lors du rituel de préparation dans le hall de l'auberge (retrouver sa paire de chaussures parmi les dizaines d'autres dans les casiers, son bâton de pèlerin parmi les dizaines d'autres emmêlés ensembles, finir de tout remettre en place dans le sac, faire ses lacets patiemment et quelques étirements ...) je retrouve Jada. Nous nous mettons en marche en même temps et décidons de cheminer ensemble après un bon petit déjeuner que nous prenons au restaurant du village où je suis déjà allé diner la veille.

Aujourd'hui je souhaite faire 24 km jusqu'à Ciruena. La présence à mes côtés de cette jeune pèlerine va rendre cette journée vraiment particulière pour moi: c'est la première fois depuis le début de l'aventure, depuis mon départ de Bordeaux il y a presque 1 mois, que je ne cheminerai pas seulement accompagné de ma solitude et mes pensées, mais à 2 toute une journée!

Nous mettons en commun nos caminos respectifs, tant que cela nous conviendra bien sûr. Dès que l'un souhaitera s'arrêter et rester seul un certain temps, ou même "casser" le duo pour reprendre la marche en solo, nous respecterons son choix. C'est le deal. C'est donc une grande première pour moi, et une expérience très positive. Au fil de nos discussions, les Km passent vite, on mélange de l'anglais, du français, de l'italien et même des gestes pour nous comprendre. On en apprend plus sur nos vies, on rit et on se consulte mutuellement, en quête de de réponses aux questions qui nous accompagnent dans cette aventure. On se raconte aussi nos anecdotes du Camino et les personnes que nous avons croisées et qui nous ont marquées: elle évoque un couple de pèlerins qui fait le chemin avec leur petite fille, Maria, qui fait craquer tout le monde 😀 Je les ai en effet aperçus à plusieurs reprises, elle m'apprend leur histoire: le papa est espagnol, la maman est italienne. Ils se sont rencontrés lors de leur premier pèlerinage il y a quelques années, sont tombés amoureux, se sont mariés, ont eu cette petite fille et ont décidé aujourd'hui de refaire le chemin avec elle.

A un carrefour peu après l'entrée dans Najera, nous n'arrivons pas à retrouver le balisage, et nous hésitons sur la direction à prendre. Je sors mon téléphone pour essayer de trouver un plan de la localité mais mon attention est attirée par de nouvelles notifications FB: depuis mes premiers pas, de nouvelles demandes d'amis apparaissent sur le réseau social. Je suppose que ma décision de quitter temporairement mon travail et de partir pour une marche de plus de 1000 km éveillent l'intérêt, attirent l'attention sur moi et que certains souhaitent avoir des nouvelles de moi et de l'évolution de cette démarche. Jada me sort de mes réflexions et me fait quitter des yeux mon smartphone pour me faire comprendre qu'elle a trouvé la bonne direction! Une habitante de la ville a deviné que nous étions perdus et la lui a indiqué.

Peu avant la sortie de Najera, nous partageons l'impression de nous retrouver dans un décors de western! Un peu par l'architecture des maisons alignées, mais surtout par la petite montagne rouge ocre qui impose sa présence au bout cette rue toute droite, et qui semble la barrer. Alors que nous nous faisons cette réflexion, 2 cavaliers (2 cowboys 😀), coiffés de leurs chapeaux, nous dépassent au pas, paisibles, rendant l'illusion parfaite!

J'étais un pèlerin solitaire, puis ce matin nous avons commencé à marcher à 2. Mais cette journée fait vraiment tout pour être exceptionnelle, car nous voici à 3 à présent ! 😀 Juste après ce décors de Lucky Luke, nous avons rattrapé Lee avec qui nous avons partagé le Rioja tinto la veille. Il était parti avant nous ce matin, mais de son propre aveux il marche moins vite que nous ce qui explique que nous l'ayons ainsi rattrapé. Nous devons d’ailleurs à plusieurs reprises ralentir notre allure pour pouvoir partager ce bout de chemin avec lui.

Nous prenons notre pause du midi tous les 3 à la terrasse d'un café, puis après quelques nouveaux km, Lee insiste pour que nous reprenions la marche à notre rythme sans l'attendre. Il dit ne pas vouloir nous ralentir, mais nous supposons qu'il souhaite reprendre la marche en solo, sans peut-être oser nous l'avouer. Le droit à la solitude du jacquet étant souverain, nous obtempérons. De nouveau à deux, nous évoquons nos situations amoureuses. Pour elle une séparation il y a quelques temps, pour moi une rencontre peu avant mon départ, et donc une relation nouvelle et "à distance" pas évidente, qui a connu quelques remous la veille. Je l'informe que je devrais d'ailleurs une fois l'auberge trouvée et les affaires déposées, m'isoler pour l'appeler pour de nouvelles explications.

Enfin nous arrivons à Ciruena, nous traversons des quartiers sans charmes, des lotissements inachevés, puis apercevons l'auberge, impossible à manquer! murs recouverts de couleurs vives qui se veulent joyeuses... mais qui sont surtout vives :D Mon ressenti à l'approche de cette bâtisse est bizarre, ambiance presque angoissante. Nous décidons de toquer. Un vieil homme ouvre la porte, nous fait entrer et nous parle espagnol avec une amabilité tout relative, nous comprenons qu'il nous demande d'attendre. Il retourne auprès d'autres pèlerins pour leur expliquer comment ça se passe ici, où poser les affaires... sur un ton assez autoritaire et parfois sarcastique... pour tout dire, il semble même un peu cinglé. Le malaise ici est palpables, ceux arrivés avant nous font une drôle de tête. La propreté et le sérieux des installations semblent douteux. Jada que je remercie pour sa présence d'esprit se tourne vers moi, et me demande "tu es sûr que tu veux rester? " après une bref hésitation m'ayant laissé le temps de contempler un peu plus cette bizarrerie, je réponds "non". Nous ramassons nos affaires pour partir, l'hospitalier revient à nous et nous demande si nous partons et pourquoi, Jada, dont j'admire alors la répartie lui répond: "finalement nous ne sommes pas si fatigués, nous avons décidés de marcher encore un peu", et nous quittons ce lieu avec soulagement. Très vite nous y repenserons en riant.

Plan B, il y a une 2e auberge. Mais il faut que celle-ci soit normale et qu'il y reste deux places libres car il n'y en a pas de 3e. A contrario de la première, c'est une bâtisse toute banale d'un quartier pavillonnaire, face à un paysage plat et vide. L'ambiance y est bien plus normale et familiale. Nos 2 lits seront dans le dortoir du 2e et dernier étage, qui a un balcon plutôt agréable. Nouvelle bonne idée de ma coéquipière : nous mettons en commun nos affaires pour avoir assez de linge pour remplir une machine à laver à notre disposition, et diviser par 2 le prix de ce service en faisant moitié/moitié. Puis finalement par 3: le temps que ce soit notre tour, Lee arrive comme par miracle dans notre dortoir! 😀 et veut aussi s'associer à l'entreprise ménagère. C'est une chance qu'il ait fait étape dans la même localité et ait choisi la même auberge que nous.

Nous y faisons la connaissance de 2 pèlerins français ayant une belle histoire: eux aussi marchent ensembles, et pourtant ils avaient la ferme intention de faire St Jacques en solo, n'aimant pas faire les concessions parfois nécessaires quand on marche à plusieurs. Ils ne se connaissaient pas avant le pèlerinage. Tous les 2 sont partis à la même date de leur point de départ et ont parcouru la même distance, mais ils ne sont pas partis ensemble ni de la même ville! Ils ont en fait emprunté 2 chemins différents en France, l'un partant du Puy en Velay, l'autre d'Arles. Et lorsque ces 2 chemins se sont croisés en Espagne, ils se sont rencontrés, ont sympathisé, et à leur grand étonnement se sont appréciés, ont aimé marcher en binôme, et ces deux solitaires sont à présent inséparables.

Fin d'après-midi, je me suis isolé comme prévu pour appeler Paris. Une fois raccroché, j'entre dans le seul bar du village pour la bière rituelle de fin d'étape: j'aperçois au fond de la salle un ordinateur à disposition, le patron m'autorise à l'allumer, chouette! je vais pouvoir écrire un nouvel article de mon blog! C'est un (très) vieil ordinateur, dont une affiche m'apprend qu'il est financé par la région... lorsque je parviens à le démarrer, une petite musique retentit, un client lève le nez de son verre, se retourne, et dit avec un mélange d'étonnement et de nostalgie: "Windows XP" :D

De retour à l'auberge, Jada me demande comment s'est passé mon appel, je l'informe que nous nous sommes expliqués avec ma moitié, et que les choses semblent rentrer dans l'ordre. Le diner payé en même temps que le lit à l'auberge est moins copieux que les marcheurs auraient pu l’espérer, mais il se fait en grande tablée dans une bonne humeur générale et un beau moment de partage.

Après diner, Jada m'informe qu'elle souhaite poursuivre seule son chemin le lendemain. A tout moment, c'est le deal, on peut retourner dans sa bulle. Je lui réponds donc que c'est entendu, qu'il n'y a pas de problème. Mais je ressens de la tristesse à cette nouvelle.

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Quelqu'un range le plus discrètement possible ses affaires pour ne pas déranger les autres, je l'entends quand même du fond de mon sommeil. J'arrive à entrouvrir les yeux pour m'apercevoir qu'il s'agit de Jada, récupérant ses affaires dans le lit au dessus du mien, puis je referme les yeux pour quelques minutes...

Je descends ensuite au grand salon pour m'asseoir à la table du petit déjeuner, sûr d'y retrouver Jada et de pouvoir la saluer à présent que j'arrive à garder les yeux ouverts. Elle n'y est pas. Je me dis qu'elle arrivera sûrement dans quelques minutes. Nous sommes 5 ou 6 à prendre des forces pour l'étape qui nous attend. je reconnais un couple de pèlerins français avec qui nous avons beaucoup échangé lors du repas la veille, et qui arrêtent aujourd'hui même leur Camino pour 2019. Je leur demande s'ils ont vu ma coéquipière. Visiblement ma question les surprend... Après une courte hésitation, ils m'apprennent un peu embarrassés qu'il y a déjà un moment qu'elle a quitté l'auberge, et qu'ils pensaient que j'étais au courant. Émotions du Camino... de cette expérience si particulière qui éprouve notre endurance physique au quotidien, nous met à l'épreuve des imprévus et des surprises, hors de nos repères, jouant avec nos sentiments comme avec de la pâte à modeler! Je ne m'attendais pas à ce qu'elle soit déjà partie, sans que nous nous soyons dit au revoir... à ma grande surprise je sens les larmes me monter aux yeux et les réprime immédiatement. Mais l'auditoire qui s'est focalisé sur moi n'est pas dupe, tout le monde semble avoir compris mon émotion et je ressens l'empathie qui m'entoure. Visiblement, tout le monde croit que nous étions "ensembles" en arrivant hier à l'auberge. J'avoue ma surprise qu'elle soit déjà partie, mais rassure la tablée sur le fait qu'il était convenu entre nous qu'aujourd'hui nous ne marcherions pas ensemble.

Au moment de remettre mes chaussures, j'aperçois sur le banc d'à côté l'un des 2 compères partis seuls chacun de leur côté, et à présents inséparables dans cette aventure... tout en mettant ses chaussures, il grommelle, il râle tout seul sans que je puisse comprendre exactement ce qu'il dit, à la manière de l'acteur François Cluzet, avec qui la ressemblance est à présent évidente 😀

Une fois dehors, je ne croise pas âme qui vive, ni même de borne ou de marquage pour reprendre le chemin, jusqu'à un rond point où je finis par retrouver un indice à force d'observation. Après la journée d'hier bien remplie en partages, rires, confidences, tout me parait brusquement trop calme et un peu vide, le paysage plat et le ciel gris. Point positif: je retrouve ma solitude, mes pensées, et je peux recommencer à chanter ! 😀

Après environ 1h de marche, je traverse la ville de Santo Domingo de la Calzada. Cette petite localité mérite de ralentir et de zigzaguer un peu dans ses petites ruelles pour la visiter, ce que je fais si bien que nous nous recroisons avec Jada!... j'en profite alors pour la saluer enfin, la rassurer sur le fait que je respecte toujours sa décision de marcher seule, et lui souhaiter le meilleur pour la suite de son chemin. Après ce petit coup de théâtre, je décide d’accélérer le pas pour mettre de la distance entre nous. De toute façon, la journée a été tellement remplie la veille que je n'avais pas vraiment eu le temps de préparer mon étape, et ne m'étais donc pas fixé de ville précise à atteindre. Je vais donc avancer le plus loin possible, et je ne m'arrêterai que lorsque je serai trop fatigué pour continuer.

Lancé à pleine vitesse sur le sillon jacquaire et ses gravillons, je traverse soudain un paysage fantastique, où s'opposent sur la moitié basse de l'horizon les couleurs du chemin, les champs baignés de soleil, et sur la moitié supérieure, un ciel noir orageux. Ce contraste si fort accentue la beauté et la vivacité des couleurs de la nature.

Je fais enfin halte sur un banc de la place de l'église de Viloria de Rioja, à l'architecture simple, pour la pause déjeuner. Au menu un sandwich acheté en route, que je déguste en observant quelques habitants qui semblent préparer une fête sur cette place: il y a une estrade, des fanions et on s'affaire à dresser ce qui ressemble à un mât. Mon repas terminé, je me sens encore en pleine forme pour continuer... jusqu'au 29e km, à Belorado.

Belorado... pour moi ce nom ressemble trop à Eldorado pour ne pas s'y arrêter 😀 Justement, l'auberge où je pose mon sac et mon duvet et où je peux enfin retirer mes chaussures, expose au dessus du comptoir une fresque, une peinture murale étonnante, plutôt réussie. Onirique, mythologique à la limite du kitch, où je suppose, un pèlerin endormi rêve de Santiago et de licornes au bout du chemin... La ville est inspirante, et je retiens surtout l'église Santa Maria La Mayor, comme adossée à une montagne de far west. En fait de montagne, il s'agit d'une petite colline surmontée des ruines d'un château. Un sentier permet d'y grimper et prenant de la hauteur, d'admirer la vue sur la ville et les cigognes qui nichent sur les marches du pignon de façade de l'église. J'y fais mon dessin du jour tout en admirant le coucher du soleil.

De retour à l'auberge, je retrouve au comptoir la responsable, moyennement aimable, qui ne parle que l'espagnol, et 2 françaises qui ne le comprennent pas du tout. L'agacement se ressent de part et d'autres, l'une des deux prononce quelques mots plus ou moins inventés en espagnol, pour essayer de répondre à la question qu'elle n'est même pas sûre d'avoir bien comprise 😀 Comme je passe à côté et que j'ai compris ce que la responsable leur demande, je leur traduis... je viens sans le savoir de faire la connaissance de 2 pèlerines que je recroiserai sans cesse sur le chemin jusqu'à son terme. Toujours ensembles, inséparables, d'une grande gentillesse, l'une venant du Nord, l'autre de la Bourgogne, devenues amies sur une première portion du Camino l'an dernier, et que je finirai par appeler "Les copines" chaque fois que je les croiserai 😀

Ici on ne plaisante pas avec le couvre-feu, alors que je suis en communication avec Paris dans "los banos" où je me suis réfugié pour ne pas déranger le dortoir, la responsable entre, éteint la lumière sans sommation et me demande avec autorité de regagner mon lit... je raccroche rapidement et m'exécute, le règlement c'est le règlement ! 😀 et le repos est important pour repartir de bonne heure et en forme pour une nouvelle journée de marche, de rencontres et d'imprévus.

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La nuit fut incroyablement calme et je pense que je n'aurais pas mieux dormi dans une chambre individuelle... je ne me souviens pas d'avoir entendu de ronflements, d'insomniaques noctambules, ou de bruits un peu trop "familiers" comme il est coutume d'en entendre en communauté. Quoi qu'il en soit je suis une nouvelle fois parmi les premiers à avoir plié mon duvet et rangé mon sac, le plus silencieusement possible. En sortant du dortoir pour aller chercher mes chaussures au casier prévu à cet effet à l'extérieur, je rencontre la maîtresse des lieux. Sachant que je ne trouverai aucun commerce ouvert à une heure aussi matinale et n'ayant pas réservé le desayuno la veille, je lui demande s'il est quand même possible d'avoir un café. Elle accepte et m'indique la salle où les petits déjeuners sont servis. J'y retrouve les 2 pèlerines rencontrées hier que j’appellerai bientôt "Les copines". Elles m'invitent à leur table et me racontent leur expérience de ce gîte en partageant avec moi leurs tartines. En les écoutant je réalise à quel point les attentes sur le plan du confort peuvent varier entre nous: dans "l'imagerie" du chemin il y a le peregrino humble, sorte de vagabond sans le sou, qui vit cette aventure grâce à la générosité des personnes qu'il croise, qui dort sous le porche d'une église (et j'en ai vu un le faire d'ailleurs) ou dans le foin d'une étable. Je m'estime déjà être un pèlerin un peu "privilégié", n'ayant jamais faim, étant correctement habillé et ne dormant jamais dans le froid et l'humidité d'un bivouac improvisé. Mais en écoutant les copines, je découvre qu'en plus d'avoir bénéficié d'un logement individuel, elles avaient eues des attentes en terme de confort qu'elles n'ont pas trouvé, et qui moi me semblent tout à fait superflues dans ce contexte, relevant plus de ce qu'on recherche en vacances.

Pour les premiers pas de cette journée, je repense à ce couple d'américains originaire de la Caroline du Nord avec qui j'ai marché une petite heure la veille. Nous avons plaisanté sur le fait que la bière était la boisson officielle des pèlerins et qu'un médecin avait affirmé qu'elle était recommandée car permettant la récupération après l'effort. Le mari m'apprend qu'avec la bière, ils prennent en plus tous les soirs du paracétamol pour diminuer la douleur, notamment aux genoux! Je pensais qu'il plaisantait mais non, et devant mon air incrédule, il m'explique pourquoi: ils n'ont que 2 semaines en Europe pour pouvoir vivre cette expérience, alors ils s'imposent des étapes d'au moins 35 km tous les jours à un rythme soutenu. Faire ainsi le Camino au pas de course, s'imposer un rythme au dessus de ses capacités, mélanger alcool et médicaments pour calmer la douleur... là aussi c'est une façon de le vivre que je n'avais pas imaginé. Nous nous sommes quittés car ils devaient accélérer le pas pour respecter l'étape qu'ils s'étaient fixé, et moi bien sûr, j'ai à coeur de vivre mon périple à mon rythme et de ménager mes forces.

La pluie s'invite, je ressors ma cape de pluie. Avec mes grosses chaussures de randonnée, mes guêtres, mon short, ma cape de pluie qui ressemble un peu à un sac poubelle et la carapace dans le dos qu'elle forme en couvrant mon sac à dos, et enfin mon chapeau militaire, je souris en pensant que je dois avoir un look d'enfer. Mais comme je l'avais lu sur un forum en préparant cette aventure: don't worry ! le pèlerinage n'est pas un défilé de mode! Et en regardant autour de moi, je peux constater que les autres ont tous ce style sac poubelle, tenues moches et souvent flashies mais confortables et pratiques, alors tant pis ! 😀

Au début de l'averse, je croise les 2 couples de français qui marchent toujours ensembles, que parfois je rattrape et qui parfois me rattrapent, depuis l'étape à Villatuerta où nous avons logé dans la même casa rural. Ils semblent beaucoup m'apprécier. Pourtant la première fois que nous nous sommes croisés j'étais assez distant, je n'avais comme but que de profiter de la solitude et du calme de ma chambre, et nous n'avons jamais eu de grandes discussions. Mais à chaque fois que nous nous sommes revus nous avons échangé quelques mots, des sourires et des buen camino. A force de nous retrouver à différents moments du chemin, je suis persuadé que ces retrouvailles d'aujourd'hui sont parmi d'autres et que le chemin étant loin d'être terminé, ce ne sont pas les dernières. Mais non, ces quelques mots et plaisanteries que nous échangeons avant de continuer chacun à notre rythme sont les derniers, je ne les recroiserai plus ensuite. Il n'avaient pas prévu d'aller jusqu'à Saint Jacques pour cette année, ils se sont donc probablement arrêtés quelques temps après.

Juste avant de les voir pour la dernière fois, au pied d'une petite montée, j'ai également échangé quelques mots avec "les copines" avec qui j'ai partagé le petit déjeuner. Je les retrouve s'abritant de la pluie sous le porche d'une église, elles sont contrariées par l'humidité de cette météo. Pour relativiser, je leur raconte mon étape après Dax, sous une pluie d'orage qui avait en quelques dizaines de minutes remplies d'eau mes chaussures 😀 En comparaison, là, c'était rien du tout.

Arrivé en haut de la montée, le chemin devient plus large et file tout droit, loin devant en traversant une forêt de pins. D'ici, il semble descendre à pic dans une faille, puis on suppose que la grande montée au loin en face est la suite de ce chemin qu'on avait perdu de vue dans le creux. Il me semble que plusieurs peregrinos autour de moi s’exclament et soufflent devant ce panorama qui promet aux mollets une belle descente puis une raide montée... dans la boue et sous la pluie. Passé la faille et parvenu en haut de la montée, ça ne m'a pas semblé si terrible finalement... j'arrive à un petit donativo/halte artistique et spirituelle comme on en trouve parsemés de-ci de-là sur le camino... des troncs d'arbres peints, des pancartes dirigées vers tous les azimuts indiquant des villes proches et des destinations lointaines, et bien sûr, "Santiago 532 km". Eh bien à présent plus de doutes, j'ai passé depuis quelques km la ligne symbolique de la moitié de mon chemin ! (de 1100km au départ).

En face des arbres bariolés, le donativo qu'une femme est en train de réapprovisionner en victuailles. J'y prends une pomme, j'avance vers la tirelire où l'on donne ce que l'on veut en échange, et je vois avec surprise la pèlerine juste devant moi se faire incendier par la dame car elle n'a donné que 20 centimes pour les bananes qu'elle vient de prendre. Elle se rebiffe, mais se fait enguirlander de plus belle, puis part, vaincue, le rouge aux joues... après ce spectacle terrible dans cette bulle bisounours où je vis depuis quelques semaines, je m'avance humblement pour donner ma pièce pour la pomme que je viens de prendre, je montre bien la somme que je mets dans la tirelire en demandant timidement "esta bien ?" 😀 C'est une vraie surprise, bien souvent il n'y a personne aux donativos. Cette institution reposant sur la générosité et la confiance, et sur le principe de donner en fonction de ses moyens et de la reconnaissance que tu veux manifester pour l'hospitalité que tu reçois. Mais là, pour la première fois il y a eu recadrage, il y a des limites à ce concept et à la générosité visiblement.

Fin d'étape vers 13h à San Juan de Ortega. J'ai fait 24 km et je n'ai plus envie d'avancer, une file de sac à dos débutant contre une porte, et se prolongeant jusqu'au milieu de la place, indique l'entrée de l'albergue communale. Je complète la file en y ajoutant le mien, il reste à attendre l'ouverture pour prendre un peu de repos. Celle-ci est tout près de l'église, ses bâtiments sont surement des annexes, et une fois entré j'y admire la beauté et la simplicité de l'architecture dont la cours, qui ressemble à la fois à un cloître et un patio sur plusieurs étages, qui se remplit progressivement du linge à sécher des pèlerins.

Après avoir déjeuné dans un des rares restaurants du village d'une nourriture sans âme, soit-disant pizza artisanale probablement industrielle et décongelée, j'appelle mon fils pour prendre de ses nouvelles. Il me manque, nous sommes samedi, et le samedi c'est le jour que nous passions toujours ensemble dans la "vraie" vie. Le revoir au plus tôt est une réelle motivation pour continuer à avancer!

De retour sur la place, surprise ! Assise sur un banc juste à côté de l'entrée de l'auberge, Jada m'accueille avec le sourire! Bon, je n'ai pas réussi à mettre suffisamment de distance entre nous 😀 elle m'invite à m'asseoir entre elle et un papi italien dont malheureusement je ne comprends pas un mot de ce qu'il me raconte. En quelques minutes la fatigue de l'étape du jour me tombe dessus, je prends congé pour la sieste devenue rituelle. Puis après la sieste, la cerveza elle aussi rituelle, écriture du journal de bord et préparation de l'étape du lendemain.

Je termine la journée en dessinant l'église dont la beauté simple et géométrique a tout de suite attiré mon regard. J'ai attendu que la plupart des pèlerins soient partis se coucher pour être au calme pour gribouiller. Mais du coup je dois me dépêcher de finir mon oeuvre car la lumière du jour décline, il fait froid, et je crains que la porte de l'auberge ne soit verrouillée avant que je ne sois rentré. Toutefois je ne suis pas complétement seul dans ce crépuscule, sur la place, à droite de l'église, assise sur un muret Jada et un de ses amis discutent et rigolent. Si j'avais eu la place sur ma feuille, j'aurai aimé ajouter leurs silhouettes... malheureusement mauvais cadrage, c'est tout le bas de l'église que je ne pourrais inscrire sur ce modeste dessin. A défaut d'avoir le bas de l'édifice, j'ai sur ma feuille une bonne portion du ciel infini, où je peux suggérer par quelques traits le passage de deux oiseaux, comme moi libres et en voyage.

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Publié le 23 décembre 2020

Réveil en sursaut ! 1, puis 2, puis 4, 5 ... et puis difficile de dire combien finalement... il est 5h du mat' et un chapelet de téléphones portables en charge sur des multiprises le long d'un des murs du dortoirs se met à sonner, biper, vibrer... punaise! 5h du mat'... et bizarrement aucun des propriétaires de ces malédictions électroniques ne se lèvent pour aller les éteindre...incompréhensible, et ça dure plusieurs minutes. Ça râle un peu, mais je crois qu'on est tous trop dans le cirage pour vraiment réagir... jusqu'à ce qu'une bonne partie d'entre nous, dont je fait partie, se lève sans chercher plus à comprendre ce qui se passe ...

Mal réveillé et le ventre vide (l'auberge ne proposait pas de petit déjeuner ou l'heure en était trop tardive), je me concentre sur le laçage de mes chaussures, assis sur l'un des bancs au bas du grand escalier qui mène aux dortoirs. Soudain une voix douce et souriante, pleine de bonne humeur, me lance un "Hello!" qui me sort de mes pensées. Je relève la tête, c'est Jada. Je la salue à mon tour et étant prêt, je lui souhaite buen camino et sors dans la fraîcheur matinale qui me saisit et termine de me réveiller.

Avant de m'élancer, étirements rituels du matin (et des moments où parfois je ressens de la fatigue dans les jambes en cours de journée). Puis je sors un napolitana de mon sac à dos. Et finalement 2 car comme je pouvais m'y attendre le seul café de ce tout petit village, situé à quelques mètres de l'auberge, n'est pas encore ouvert.

Alors que j'entame mon 1er napolitana, Jada sort à son tour de l'auberge. Arrivée à ma hauteur elle m'avoue en découvrant à son tour que le café est fermé qu'elle a faim. Je lui tend naturellement le 2e napolitana que j'avais mis dans la poche de ma veste: "take", et insiste pour qu'elle le prenne sans hésiter. Nous débutons finalement cette étape ensemble. Pour ma part j'ai prévu aujourd'hui de m'arrêter à Burgos, qui, si j'ai bien interprété le tableau des distances dans mon guide, se trouve à 26 km d'ici. Après quelques pas elle me confie qu'elle a un peu froid aux mains, je lui propose alors d'essayer mes gants qui sont vraiment appréciables ce matin. Je me fais alors la réflexion que je veille sur elle, un peu comme un grand frère. Finalement nous ne marchons pas au même rythme, et comme nous tenons à ce que chacun puisse faire son camino à son propre pas nous nous séparons. J'avoue presser un peu le pas aujourd'hui car je ne veux pas arriver trop tard à Burgos, afin de pouvoir découvrir la ville.

Après presque 2h de marche, enfin la promesse de ma dose de caféine, c'est comme un chalet ou une petite ferme au bord du chemin. En approchant ça semble très calme devant et je ne vois personne. Je suppose que l'établissement est juste en train d'ouvrir et que l'entrée se situe derrière. Je m'aventure donc à faire le tour du bâtiment, et je vois qu'un pèlerin s'intéresse à ma démarche et me suit timidement. Arrivé à l'arrière du bâtiment, ça semble tout aussi calme et vide. Nous nous lançons un regard réciproque d'interrogation... je m'apprête à rebrousser chemin et finalement, mon entêtement me pousse à entrer sur la terrasse (le portillon est ouvert) pour aller voir à l'une des fenêtres s'il y a quelqu'un et là, surprise, il y a de la vie ! Une dizaine de pèlerins se restaurent à l'intérieur, je pousse donc la porte et en entrant je constate qu'il y a même de la musique et une bonne ambiance. Pourtant de l'extérieur pas un bruit et pas un signe de vie... ne pas se fier aux apparences et persévérer!

Cette pause bien méritée terminée, je ressors du café "fantôme" et tout en replaçant mon sac sur mes épaules j'aperçois une pèlerine que j'ai déjà remarqué il y a quelques jours, et qui a dormi dans le même grand dortoir que moi la nuit dernière. Elle est facile à repérer: c'est la seule qui porte une veste rose et surtout un élégant panama blanc, quand tout le monde porte des vêtements "techniques", très pratiques mais dont l'élégance ne fait pas partie du cahier des charges. Lorsque je passe à côté d'elle, nous nous saluons puis elle me demande confirmation sur le chemin à prendre et les prochaines étapes. Nous avançons finalement ensembles, nous nous perdrons et retrouverons à plusieurs reprises au cours de la vingtaine de km restante. Heloisa, c'est son prénom, est brésilienne. Elle précise immédiatement que ça ne se voit pas, car son père était polonais et sa mère italienne. Mais elle est née au Brésil, y a grandi et toujours vécu, elle se sent donc à 100% brésilienne. Elle a la trentaine et est enseignante dans une école d'infirmière (si j'ai correctement compris son anglais), et veut aller jusqu'à St Jacques, puis ira visiter Paris pendant quelques jours avant de rentrer au Brésil. Elle avait simplement une trentaine de jours à prendre à force d'accumuler des heures supplémentaires dans son travail dont elle a du mal à "décrocher". Elle semble avoir un fort caractère mais aussi une grande gentillesse sous la carapace. Contrairement à beaucoup d'autres pèlerins, j'apprendrai très vite beaucoup sur sa vie, mais jamais les motivations profondes de son pèlerinage.

C'était juste avant le café qui se situait en contrebas, il me semble. Une portion du chemin légèrement en hauteur sur un plateau, comme des pâturages sans la moindre clôture pour arrêter le regard, et le soleil levant qui affleurait l'herbe et des centaines de cercles concentriques de cailloux sur le sol... avec une légère brume de lever du jour... ça interpelle un peu comme Stonehenge... la prairie, la lumière, le minéral, les cercles et leurs ombres rasantes... évidemment ce ne peut être que la main de l'homme qui a, patiemment créé ce paysage poétique cailloux après cailloux, mais ça évoque quelque chose de mystique, primitif, d'extraordinaire... ou d'intervention extraterrestre pourquoi pas? 😀

Peu après avoir perdu de vue Heloïsa, j'arrive en haut d'une montée rocailleuse où se dresse une grande croix, avec à son pied une accumulation de pierres... je crois y reconnaître l'un des maillons incontournables du chemin spirituel de Saint Jacques, la "Cruz de ferro". Mais non, ça ne me semble pas encore "assez grand", pas assez inspirant, et puis si elle avait été ici, je l'aurai appris dans le "Miam miam dodo" en préparant mon étape la veille.

Après la succession de petites collines franchies dans la matinée, le camino redevient plat. Puis on rattrape une départementale qu'il va falloir longer à présent: Burgos ne doit plus être très loin! Dans le premier virage, un panneau de signalisation devant lequel passent les pèlerins en file indienne porte le graffiti "Walking dead". Cette inscription sarcastique me fait d'abord sourire puis me plonge dans la méditation: au fond, ça fait presque 1 mois que je vis dans une bulle, un enthousiasme partagé par des centaines de jacquets avec qui je poursuis basiquement le même but, et c'est chouette. Mais vu de l'extérieur? Pour un autochtone qui voit presque toute l'année passer ces cortèges de marcheur parfois harassés, parfois boitant, portant parfois des bandages ou genouillères, et avançant en s'appuyant sur des bâtons sans relâche, comme les papillons vers la lumière... de quoi avons-nous l'air vu de l'extérieur? certains nous voient peut-être comme des cortèges de zombies ! 😀

Autre source de réflexion: le chemin se divise à présent en 2, et les flèches jaunes indiquent indifféremment les 2 directions. Comme je l'avais lu la veille, 2 itinéraires sont possibles. Tout droit: on suit le chemin originel, mais qui est devenu aujourd'hui une zone industrielle de Burgos. A gauche une variante à peine plus longue, qui suit un cours d'eau et qui est beaucoup plus bucolique... il faut faire un choix: ce sera la zone industrielle, je fais le choix de "l'authentique" chemin, celui des origines, peu importe ce qu'il est devenu, et puis comme le suggère mon guide, c'est l'occasion de méditer sur notre modernité...

Souhaitons que l'histoire retiendra autre chose de notre modernité que ce paysage rendu anodin, sans intérêt, désenchanté... et qui fait paraître plus longs les km parcourus. Puis la zone industrielle se mue en zone commerciale, un café, je prends une pause en commandant un zumo de naranja (pas facile à prononcer mais j'essaie quand même 😀 ). A peine reparti je tombe sur Héloïsa, qui a visiblement fait le même choix authentique que moi, et qui n'en peut plus. Elle est assise sur un banc et semble à bout d'énergie. Elle me confirme son épuisement et me confie que ses pieds la font souffrir, le découragement se lit sur son visage. Je m'assois à mon tour et reste une dizaine de minutes à lui parler, puis finalement au moment de repartir je l'encourage à continuer, le centre ville ne doit plus être très loin!

En fait il était encore loin. Mais nous avons papoté de tout et de rien, par exemple des marques des concessions automobiles devant lesquelles nous passions qu'elle ne connaissait pas, car surement pas importées au Brésil, ce qui a fait passer un peu plus vite ces derniers km. Et finalement victoire! arrivée à l'étape. Je laisse Héloïsa qui a réservé dans une auberge municipale et je file poser mes affaires au modeste hôtel que j'ai réservé la veille par téléphone, près du centre ville. Je reçois un bon accueil à la réception, on prend le temps de m'expliquer en me remettant un plan de la ville, le quartier le plus sympa pour se restaurer et les points d'intérêts historiques incontournables. Après la sieste je pars donc à la découverte de la ville du Cid (sa statue n'est pas loin de mon hôtel), c'est un vrai coup de coeur, la plupart des quartiers me plaisent beaucoup, sa cathédrale également, son cours d'eau et les ruines du château sur les hauteurs qui offrent un panorama inoubliable (dur d'y grimper avec la fatigue de l'étape du jour, mais on est récompensé par le spectacle). A l'heure du diner je m'aventure dans le quartier que le réceptionniste a entouré sur le plan de la ville qu'il m'a remis: ça semble en effet être le quartier où sortent les autochtones: pas de dizaines de "menus pèlerins" affichés dans la rue, mais de vraies tapas, et je ne repère pas aux tables voisines d'autres pèlerins... c'est une petite respiration de sortir pour quelques heures de la confrérie des jacquets.

Je profite d'être dans une grande ville pour -enfin- rechercher une nouvelle paire de lunettes de soleil... j'avais perdu la dernière à Logrono... j'ai donc parcouru un plus de 120 km à pieds sous le soleil espagnol sans cette protection bien utile pour mes yeux clairs. Ceci dit, le pèlerin qui chemine vers Saint-Jacques, marche vers l'Ouest, dos au soleil, ça doit aider. Comme souvent, beaucoup de commerces sont fermés, mais je trouve quand même un bazar ouvert en ce dimanche, où je déniche de magnifiques "Royo Bom" 😀 (c'est écrit dessus comme les Ray Ban auxquelles elles ressemblent indéniablement) pour 4euros, que je paye avec l'envie d'éclater de rire en me répétant intérieurement ce nom plagiat: Royo bom. En passant devant l'un des nombreux magasins de bonbons me vient une idée: j'entre et je fais avec l'aide du vendeur une sélection des bonbons les plus prisés des enfants espagnols, pour les envoyer à mon fils dans le prochain colis. Je suis quasiment sûr qu'il ne connaît aucun de tout ceux que nous choisissons, et ça lui fera surement encore plus plaisir qu'une carte postale! 😀

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Sorti de l'hôtel, je passe devant la vitrine du café où j'avais pris un bocadillo la veille, et où j'avais demandé à quelle heure ils ouvraient le matin. Le serveur semblait avoir compris à mon expression que c'était trop tard pour moi, même si je n'avais pas osé le dire. Il est un peu plus de 7h, et je n'arrive pas à dire si c'est vraiment ouvert ou si les employés débutent la mise en place. Le serveur m'aperçoit à travers la vitrine, semble me reconnaître et me fait signe de rentrer bien qu'ils ne soient pas tout à fait prêts: une nouvelle fois je bénéficie de la grande gentillesse de la plupart des espagnols envers les pèlerins de Compostelle.

Aujourd'hui est une journée spéciale, à au moins 2 titres. D'abord, d'après le "Miam-miam dodo", c'est en sortant de Burgos que débutera la fameuse et immense "Meseta" dont j'ai tant entendu parler lorsque je me suis renseigné sur le chemin avant mon départ. J'ai lu et entendu dans divers témoignages que c'est une sorte de désert: un paysage plutôt plat, à la végétation rare d'où une absence d'ombre l'été, alors qu'il peut y faire très chaud. Chaleur de l'après-midi qui pousserait les pèlerins à partir très tôt, voir même de nuit, pour arriver à l'étape avant d'avoir à la subir en marchant. C'est en partie cette description qui m'a décidé à éviter de partir en été pour ce périple, ça et la fréquentation plus soutenue en période estivale.

Le 2e "titre", c'est le jour lui-même: j'en suis à mon 4e lundi matin depuis celui de Bordeaux et de mes premiers pas! ça veut dire... que ça fait maintenant 1 mois que je marche sans m'arrêter, jours après jours! "Etat des lieux": je ne me sens pas fatigué et c'est passé très vite, pas eu le temps de m'ennuyer une minute. Mais je ne peux m'empêcher de repenser aux inévitables doutes que je portais en me lançant dans cette aventure, avant même mon départ, et après ma première journée de marche qui m'avait semblé difficile, en particulier pour mon dos: je me souviens que je me demandais si je tiendrai même juste une semaine sur le camino. Et finalement, 1 mois après je suis toujours là! Et sans soucis. Et toujours l'envie intacte de continuer !

J'avais repéré la veille la direction à prendre, mais plutôt que de suivre la première longue rue, je décide de descendre sur le sentier qui longe la rivière Arlanzon, car elle prend la même direction sur une bonne distance, et cet écrin de verdure au bord de l'eau et au coeur de la ville constitue une belle alternative pour cheminer tout en apercevant une dernière fois à travers le feuillage des arbres la dentelle des flèches de la cathédrale de Santa Maria. lorsque la rivière bifurque, je remonte quelques marche pour me retrouver à nouveau dans la rue. Comme souvent dans les quelques grandes villes que je traverse, j'ai du mal à retrouver le Camino et son marquage. J'essaie de repérer la direction à prendre avec la carte présente dans mon guide et le gps, quand un couple de pèlerins m'indique la direction qu'ils comptent suivre. Comme j'exprime des doutes, la femme se retourne et s'adresse à un passant dans un espagnol parfait, il confirme le chemin à prendre. Je leur fait part de mon admiration pour sa maîtrise de la langue, ils sourient, elle est espagnole 😀 Nous marchons ensemble une demie-heure, lui est français, ils sont mariés depuis longtemps et reprennent aujourd'hui même leur camino ici, à Burgos. Ils l'avaient commencé il y a quelques années mais des problèmes de santé pour lui les avaient contraint à arrêter depuis 2 ans... il me confie que son médecin lui avait déconseillé de repartir et surtout de porter lui-même son sac à dos, ce qu'il est bien déterminé à faire quand même, et jusqu'au bout. Il lui a été conseillé de faire porter son sac par des transporteurs d'étapes en étapes, comme beaucoup d'autres le font. Mais il semble prendre cela comme un déshonneur, ou une trahison de l'esprit du chemin. Il me demande ce que j'en pense: j'en pense que ce serait surement plus sage de suivre l'avis de son médecin pour se donner toutes les chances de pouvoir arriver sans encombre à Compostelle, et que le portage du sac est de toute façon une pratique vraiment courante. Il ne sourit plus et son épouse garde un silence résigné... avec le recul je comprends que ma réponse n'était pas celle qu'il voulait entendre, qu'ils avaient dû en débattre tous les 2 des heures durant, mais qu'il devait s'entêter à vouloir terminer cette aventure, et que le faire en portant lui-même son sac, était une question d'honneur et non négociable.

Comme ils souhaitaient faire une pause et moi continuer, je leur souhaite un buen camino et reprends ma route solo. Après quelques pas, je découvre enfin cette mythique Meseta, par un beau soleil, le chemin court loin devant moi.... pas tout droit, pas tout plat comme je l'imaginais... point d'arbres élevant leurs cimes au plus près du ciel, mais à perte de vue, des champs de céréales, encore bien verts. Quelques tas de cailloux parfois et de petites collines nues. Y a pas à dire, oui, ça évoque le désert. Mais c'est un paysage malgré tout bien vivant, beau et inspirant. On ne peut plus vivant, car une vision accapare mon attention et mon imagination depuis un moment: le vent moyen qui parcourt ces grandes étendues fait des vagues dans les champs qui semblent prendre vie. Ils se transforment alors en océan agités, ou en pelage d'une bête immense qu'un frisson parcourt...

Je goûte ces premières visions et ces premiers pas, tout absorbé dans mes pensées, l'effort de marche, et la contemplation. Tout à coup une poussette à grandes roues arrêtée sur le bord du chemin et la plus petite pèlerine que j'ai jamais vue (environ 5 ans ?) apparaît, entourée de pèlerins bien plus âgés qu'elle et gagas, lui parlant en italien.

Sans avoir vu le temps passer, j'arrive à Hornillos del camino, village-rue situé à 21 km de mon point de départ. Peu après l'entrée de la localité, 2 auberges s'alignent à quelques mètres l'une de l'autre. La 2e, privée, m'inspire davantage, mais la porte est verrouillée: un pèlerin réussit à me faire comprendre en anglais que le propriétaire va revenir. J'attends un peu, puis il arrive, en speed: il est tout seul et je m'aperçois très vite qu'il s'occupe d'absolument tout tout seul dans cette grande auberge. Il semble fatigué mais reste dynamique et s'efforce de rester accueillant et souriant aussi. Il y a plusieurs dortoirs de tailles différentes, le mien ne compte que 4 lits, ce qui est assez rare. Une grande douche pour moi tout seul et du gel douche! Un plaisir de trouver ça à disposition pour changer des douches avec juste un bout de savon de Marseille 😀 Il me présente la grande cuisine que je peux utiliser librement. Tout en me parlant, il a répondu à quelques autres personnes, passé la serpillère là où un seau avait été renversé, répondu à un appel téléphonique, tamponné ma crédentiale et amassé du linge pour lancer une lessive... et en terminant la visite, me demande si j'ai du linge à lui donner car il a encore de la place dans sa machine! Il ne pouvait pas me faire plus plaisir que de m'épargner la corvée de linge à la main, après cette journée de marche. Je suis admiratif de son énergie, de sa capacité à tout prendre en charge et de sa gentillesse.

Dans mon guide est mentionné que Hornillos veut dire "petit four" car l'armée de Charlemagne y aurait trouvé un four pour y cuire son pain... l'église qui s'y trouve m'inspire et je m'installe sur un muret pour la dessiner, le soleil tape fort malgré mon chapeau qui ne me quitte jamais, et m'incite à accélérer un peu le processus artistique. Ici il n'y a pas grand chose et le calme règne. Lorsque je rentre de mon exploration de la localité, une nouvelle surprise m'attend: mon linge, tout propre à présent, est déjà étendu sur les cordes du petit jardin de l'auberge, et presque sec! Surement l'étape la plus reposante jusqu'à maintenant. Mais en voyant cet hôte parfait se démener, je me demande si mon projet d'ouvrir un jour, moi aussi un gîte sur le chemin est pertinent. Est-ce que ça me plairait vraiment ça, comme boulot à temps complet ?

Pour le diner, je profite de la belle cuisine du gîte pour cuire ce qu'il me restait de mon paquet de pâtes acheté à Dax, et qui a voyagé au fond de mon sac pendant des semaines, j'y ajoute une tomate achetée à l'épicerie d'en face, et j'assaisonne avec ce qui est à ma disposition. Un jacquet m'offre un verre de vin pour aller avec, et nous profitons de la terrasse pour déguster tout ça, avant de rejoindre nos lits assez tôt afin de ne pas déranger ultérieurement les premiers partis vers les dortoirs... comme il n'y a que 4 lits dans celui-ci, je m'endors sur la perspective d'une nuit calme et propice à la récupération... encore bercé par les ondulations des champs sous le vent et son murmure...

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On apprend toujours de ses erreurs; je pensais que notre micro-dortoir de 4 lits seulement avec banos privés serait celui où je passerai l'une de mes meilleures nuits: ce fut tout l'inverse. Autant dans un vaste espace le bruit de fond des insomniaques et ronfleurs, même s'ils sont en nombre, peut paraître lointain, et ne pas me réveiller tout à fait, autant dans cette minuscule chambre je dus réussir à me rendormir un nombre incalculable de fois. Deux d'entre nous n'ont cessé de se lever pour aller aux sanitaires, avec les grincements de portes et les flashs lumineux après les clics d'interrupteur que cela implique... jusqu'à ce que ces somnambules décident carrément de ne plus éteindre cette satanée lumière et de laisser la porte simplement entrouverte toute la nuit... Vive les dortoirs géants ! 😀

A ma table au petit déjeuner, une pèlerine coréenne, qui semble vouloir parler mais qui ne parle pas anglais, pas plus que français ou espagnol. Nous essayons d'échanger quelques mots sans beaucoup de succès et je masque ma mauvaise humeur après cette mauvaise nuit, un peu adoucie par la grande gentillesse de notre hôte qui nous sert le café. Je regarde une nouvelle fois l'affiche du film "The way" dont tant de pèlerins parlent sur le chemin et sur les forums, accrochée au mur non loin de ma table, quand un détail attire mon attention: il me semble que quelque chose est écrit au stylo en bas de l'affiche, un peu effacé. Je m'approche pour découvrir qu'il s'agit d'une dédicace et d'une signature de l'acteur principal de ce film si célèbre dans notre communauté! Waw ! Mais est-ce authentique ? ais-je bien compris le sens de ces quelques mots anglais de dédicace presque effacés? Je vais voir notre hôte dans la cuisine pour lui demander s'il est possible d'avoir encore quelques tartines, et j'en profite pour lui demander s'il s'agit bien de la signature de l'acteur Martin Sheen sur l'affiche? Il me répond essentiellement en espagnol que oui mais je ne comprends pas tout. Je crois comprendre qu'il peut me le prouver et qu'il parle d'une photo. Je retourne à ma table, où il me rejoint quelques minutes après pour me montrer sur l'écran de son téléphone une photo de lui, au côté de l'acteur. Si je comprends bien ses paroles, ils se connaissent bien car sa soeur est mariée à l'un des fils de l'acteur. Je n'aurais jamais pu deviner qu'un hôte si humble et discret était si proche d'un acteur aussi connu de tous les pèlerins qu'il héberge dans son auberge.

Aujourd'hui je reprends ma découverte de la meseta, où contrairement à ce que j'avais lu, le paysage peut-être changeant, parfois tout plat, parfois vallonné, parfois aride puis verdoyant. Il fait chaud. J'arrive surtout enfin à un lieu que je m'attendais à voir avant même d'avoir parcouru mon 1er km il y a un mois: les ruines du monastère de San Anton. Fiorella avec qui j'ai cheminé lors de la randonnée de préparation en IDF avant mon départ m'en avait parlé. Ce lieu l'a particulièrement marqué par son authenticité et une atmosphère particulière. Elle m'a recommandé d'y passer la nuit, et même redemandé par SMS il y a quelques jours si j'y étais arrivé. Malheureusement ce lieu historique qui accueille les pèlerins depuis tant de siècles, arrive beaucoup trop tôt sur mon itinéraire du jour. Je prends le temps d'en faire le tour, de visiter, mais je ne peux pas y faire escale, je dois encore avancer, après en avoir envoyé une photo à Fiorella .

Rapidement après ce lieu marquant, on aperçoit un lointain rocher, une colline qu'on devine couronnée de quelque ruine qui semble encore minuscule vue d'ici... et à ses pieds peut-être un village. On tire tout droit, ça ne semble pas si loin que ça... et pourtant on n'y arrive pas. Il faut continuer à marcher, marcher, tout droit en longeant une route bitumée, dans un sillon que le passage régulier des hommes a créé dans l'herbe du bas-côté... Avancer encore, avec en ligne de mire ce phare immanquable dans le panorama. ça se précise enfin, oui il y a bien une ruine de château vers le sommet, et une agglomération en bas: cela ressemble à Castrojeriz, là où j'ai prévu de m'arrêter aujourd'hui... mais je n'y suis pas encore, la colline recule t'elle à mesure qu'on s'avance vers elle ? 😀 J'ai retenu de l'encart historique de mon guide que "ce village est mentionné dans le 1er guide du pèlerin datant du XIIe siècle sous le nom de "Quatre Souris", traduction phonétique et approximative du nom espagnol par le français Aimeri Picaud."

Après avoir encore longé cette route un moment en profitant de l'ombre des arbres plantés tout au long, j'arrive enfin après 19 km de marche, au panneau du village, et son église à l'entrée. Je commence par trouver un lit dans une auberge, puis je m'offre une pizza en terrasse, d'où je peux admirer la colline et son château fantomatique, que je dessine en prenant mon café.

Une fois le lit et la lessive faits, je souhaite faire quelques courses et retirer un peu d'argent. Je vérifie vite, comme je l'ai lu dans le guide, que le village s'étend en longueur et à pieds je ne trouve rien à proximité. Dans le guide il est écrit qu'il s'étire au pied de la colline sur près de 4 km! Je me renseigne auprès du couple qui tient l'auberge: c'est loin, tout au bout du village. Je suis fatigué de la marche d'aujourd'hui et ses 20 km... je n'ai pas envie de marcher 8 km de plus en comptant le retour. Il me vient une idée, j'avais vu un vélo dans la cour en arrivant: je retourne les voir et leur demande s'ils louent des vélos. Un peu surpris de ma question ils réfléchissent un instant puis me répondent qu'ils vont m'en prêter un, me voilà parti à l'assaut de Castrojeriz en 2 roues ! 😀 me permettant de rallier avec moins de difficulté et de temps la petite épicerie et le distributeur de billets.

ça montait un peu à l'aller, quel plaisir au retour de se laisser glisser dans la descente. Et après plus d'1 mois de marche, de retrouver cette sensation propre au vélo et cette vitesse de déplacement à laquelle je ne suis plus accoutumé. Quelques pèlerins au passage semblent me reconnaître (je ne passe pas inaperçu dans la communauté avec mon chapeau militaire et mes séances de dessin) et être surpris de me voir à vélo 😀

Le soir avant de rejoindre mon lit, passage par los banos qui, chose assez rare, sont mixtes, pour me brosser les dents. A la vasque d'à côté une pèlerine allemande accomplit le même rituel. La lumière s'éteint à intervalle régulier, il faut se manifester auprès du détecteur de mouvements pour qu'elle se rallume. A chaque coupure d'éclairage, nous effectuons le même geste agacé en levant le bras gauche pour rallumer la lumière. Lorsque nous nous apercevons dans le miroir en face de nous qu'à chaque coupure nous réalisons ensemble la même chorégraphie tout en nous brossant les dents nous échangeons un regard et rions de la scène. C'est sympa de rire avec des inconnus dont par définition on ne connait rien, dont on ne parle même pas la langue... le comique de situation est surement quelque chose d'universel 😀

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"Arrivé à 11h à Fromista, debout à 5h ce matin, je ne supportais plus mes compagnons de dortoir": voilà la 1ère phrase que j'ai noté dans mon journal de bord le 15 mai. Après plusieurs réveils j'ai préféré me lever et prendre la route en grommelant, parcourant de nuit la longue rue rectiligne de Castrojeriz. Puis après avoir bifurqué sur la gauche comme l'indiquait une flèche jaune, m'en éloignant à peine, au crépuscule, je devine au loin une colline. Et juste à côté de mon chemin, un pont. Enfin, il m'a fallu un peu de temps pour comprendre que c'en était un. Un pont extrêmement long mais sans eau qui passe en dessous, et dont les 3 quarts de la hauteur doivent se situer sous le niveau actuel du sol... une belle illustration de la pensée d'Héraclite "tout n'est qu'impermanence" : là où il fut un jour nécessaire de bâtir un ouvrage d'art imposant pour franchir un fleuve, il n'y a aujourd'hui plus d'eau et l'on ne passe plus sur le pont, mais à côté de ce fantôme d'une lointaine époque presque entièrement enseveli dans le sable.

Arrivant au sommet de la colline, je suis frappé par la beauté du site: sur un fond de couleurs rougeoyantes du lever du jour, de chaque côtés du chemin des formes spirituelles se découpent en ombres chinoises; à droite la croix penchée d'un calvaire sur laquelle sont accrochés des colliers ou chapelets, à gauche une petite colonne dont j'ignore la signification. Un peu plus loin un petit refuge pour les pèlerins exténués par la montée. Puis de l'autre côté de la colline: la descente en forte pente, que je négocie finalement en courant comme j'ai pris l'habitude de le faire dans la plupart des descentes 😀

Fiorella que j'avais rencontrée lors de la marche de préparation en Ile de France m'avait parlé du refuge de San Nicolas, comme de son 2e lieu préféré après San Anton. Je pense que c'est cette bâtisse que j'aperçois au milieu de nulle part, après une dizaine de km parcourus. Je ralentis le pas pour finalement m'arrêter devant l'entrée. La porte est ouverte, un hospitalier m'interpelle et m'invite à prendre un café à l'intérieur ce que j'accepte avec plaisir, ayant eu une si bonne presse sur l'endroit avant même mon 1er pas sur le chemin. D'un âge vénérable, d'une évidente bonhommie et la barbe blanche, mon hôte italien parle parfaitement français et me pose la question habituelle entre pèlerins: d'où suis-je parti? Beaucoup ne connaissent pas Bordeaux, les points de départ français mondialement connus étant le Puy et Saint Jean Pied de Port. Mais lui, il connaît, il a fait dit-il durant des années tous les chemins imaginables de Compostelle, dont la Voie de Tours que j'ai emprunté. Il s'enquiert de savoir comment j'avais trouvé la traversée des Landes: lui, il avait détesté devoir marcher ainsi dans le sable durant d'interminables km, il est surpris que je n'en garde pas le même mauvais souvenir. Pour moi les Landes riment avec les vacances d'été, ce qui change surement ma vision de l'épreuve. Le refuge en lui-même ne me semble pas très grand, mais il respire l'authenticité de ces bâtisses en pierre qui ont peut-être toujours été là depuis la naissance du chemin, ou peu s'en faut.

Ayant pris congés, et me retournant une dernière fois sur ce lieu après quelques pas, j'aperçois une pèlerine qui semble devoir bientôt me rattraper... une future belle rencontre. Lorsque nous marchons enfin côte à côte nous évoquons ce refuge, et très rapidement une amitié se lie entre nous, nous parcourons ensembles la totalité du chemin restant. Elle vit au Canada et parle peu le français, elle essaie de se souvenir de quelques mots de l'époque où elle a vécu en Suisse, mais nous échangeons finalement surtout en anglais. Avec son mari elle a vécu 12 ans à l'étranger, en Suisse donc, mais aussi en Corée, et est revenue depuis 12 ans au Canada. Lorsque nous échangeons nos prénoms, je ne comprends pas le sien, mais je fini par comprendre de l'anglais les mots "comme les coquillages" et "la mer," et son prénom finit en "i": je hasarde sans trop y croire Shelly? elle me confirme avec joie que c'est son prénom (Merci à la compagnie pétrolière Shell qui utilise un coquillage pour logo 😀 ). Son mari n'a pas pris le chemin avec elle car il se consacre beaucoup à son travail dans une société informatique mondialement connue, et peut-être aussi parce qu'il en a moins la motivation. De son côté, elle a décidé de vivre cette expérience coûte que coûte. Elle a le sentiment d'avoir consacré toute sa vie jusqu'à présent aux autres, à sa famille, ses enfants, et qu'elle doit maintenant penser à elle, et faire ce chemin qui est important pour elle.

Nos échanges fort intéressants nous donnent de l'énergie pour avancer, elle marche vite et j'essaie de m'adapter à son rythme, les km passent rapidement. Elle a un avantage sur moi: elle ne porte pas son sac à dos, il lui est livré tous les jours à son point d'arrivée, programmé depuis des mois avant son départ. Elle me confie que c'est parfois frustrant car certains jours elle aimerait continuer à avancer, ou au contraire s'arrêter avant la ville où son sac l'attend, mais elle ne peut improviser ainsi. Au fil de la discussion nous évoquons la difficulté de l'étape avant Roncevaux, puis quand elle me demande si je suis croyant, je lui confie que le chemin invite souvent à se poser la question de Dieu et de la foi...peut-être un Dieu présent en toute chose? J'évoque les champs sous le vent qui me paraissaient vivants il y a quelques jours. Ce qui l'amène à me parler de ses lectures pour préparer le chemin: la dernière portion du chemin inviterait encore plus au sentiment du religieux par la beauté des paysages de la Galice, et l'on aurait coutume de dire du Camino Frances (si j'ai bien traduit de l'anglais) que le premier tiers du chemin avec le passage des Pyrénées est pour les jambes (l'effort physique), le deuxième avec la Meseta désertique est pour la tête (la réflexion), et que le troisième avec les beaux paysages de la Galice est pour le spirituel, le religieux. Pendant un moment de notre marche, Shelly reste silencieuse, semble sourire et être absorbée dans ses pensées. Intrigué par ce silence soudain, je finis par lui demander ce qui occupe ses pensées, elle me confie qu'elle remerciait "l'Univers" que nos chemins se soient rencontrés, et qu'elle ait pu marcher ce jour en si bonne compagnie 😀

Après 25 km de marche, j'arrive à Fromista. Je pensais m'arrêter quelques km avant, mais Shelly qui a planifié ses étapes et réservé ses hébergements des mois à l'avance devait avancer jusqu'ici, et comme il était facile de marcher en sa compagnie, je l'ai accompagnée jusque là. Nous nous quittons à l'entrée de la ville, un peu plus loin je trouve un restaurant pour reprendre quelques forces en terrasse et consulter la listes des auberges pour poser mon sac et mon duvet. Mon choix se portera sur l'auberge municipale, mais il est encore trop tôt lorsque j'arrive et je trouve porte close. Avec un couple de jeunes pèlerins allemands déjà présents, je m'assois par terre en attendant l'ouverture, à côté de l'entrée qui fait face à la belle église de Fromista. C'est elle que je dessinerai le soir venu, sous le regard de 2 confrères dont la coréenne avec qui j'avais pris mon petit déjeuner à Hornillos del Camino. Elle me félicite pour mes dessins, et prend une photo de ma silhouette coiffée du chapeau de pèlerin, assis en tailleur sur un muret pour dessiner. Cela m'amuse de jouer le personnage de l'artiste vagabond, et de constater que certains commencent à me reconnaitre par ce passe-temps. Et ça me permet surtout d'agrémenter mon journal de bord de quelque chose de plus personnel que toutes les photos que je pourrais prendre, et d'une certaine façon, de m'approprier certains lieux marquants de ce périple.

L'auberge est très correcte, et j'ai la bonne surprise d'y retrouver... Giada! Cela nous fait plaisir de nous revoir et nous partageons ensemble le repas du soir. Malheureusement, elle me confie qu'elle commence à souffrir de blessures aux pieds, un peu plus sérieuses que de simples ampoules et que le chemin devient difficile pour elle. Je sens qu'elle commence à douter de sa capacité à aller jusqu'à Compostelle, j'essaie de trouver les mots pour la rassurer et l'encourager. Pour ma part, même si la route est encore longue, il y a bien longtemps que je n'imagine plus baisser les bras et faire demi-tour en raison de douleurs physiques. Mais après cette mauvaise nouvelle, je dois bien admettre que c'est effectivement une angoisse que partagent tous les jacquets, si ce n'est la première de toutes: ne plus pouvoir avancer. Devoir renoncer et rentrer chez soi sans être allé au bout.

Sous le sable, le pont
Au sommet
Puis la redescente
San Nicolas
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De ma succession de pas de ce 16 mai, je n'ai pas gardé de souvenirs marquants. Même dans mes notes, je passe du 15 au 17 mai directement. Je n'ai donc pas pris la peine d'écrire ce jour là, ou peut-être n'en ais-je pas eu le temps. L'étape n'était pas très longue non plus: environ 19 km.

En revoyant les rares photos de cette journée, je revois avec plaisir que c'est ce jour là que j'ai fait une pause dans un lieu particulier. On pourrait me dire que cette halte sur le chemin ressemble à beaucoup d'autres, mais j'y vois et y ressens quelque chose. Perdue en rase campagne dans un petit village, un panneau discret indique l'entrée du lieu qui accueille le pèlerin par le portail d'un grand jardin. Sur une infime partie de cet espace végétal, à gauche en entrant, un espace restauration avec une petite terrasse couverte. Plus au centre sur la pelouse, une table et quelques chaises, et tout à droite quelques grands arbres qui tendent entre eux des hamacs pour les voyageurs éreintés. Ici tout semble artisanal, récup, bricolé, humble et le plus possible "eco friendly". Loin des multitudes de cafés présentant chaises et tables plastiques publicitaires aux couleurs criardes, sur une terrasse exigüe en bord "d'autoroute" jacquaire. L'accueil est bon et pas mercantile. Installé à la terrasse sur un simple banc et accoudé à la table en bois de réemploi, une poule puis une 2e, passent à mes pieds, cherchant de quoi picorer. Il me semble ne pas avoir côtoyé d'aussi près cet animal depuis mon enfance, passé la surprise, je retrouve une présence familière. Le calme règne. A quelques pas une clôture derrière laquelle on aperçoit ânes et chevaux. Quelques tipis et chalets aussi. Je me dis que c'est quelque chose comme ça que j'aimerai créer à mon retour. Cela me rappelle aussi l'airial de Moustey sur la voie de Tours, où je m'étais senti "à ma place".

Mes souvenirs de ce 16 mai sont donc moins dans la poussière, les gravillons ou les pavés du chemin, que dans cette ville où je m'arrête: Carrion de los Condes. J'ai choisi parmi les hébergements cités dans mon guide, le Monastère de Santa Clara, vénérable édifice fondé au XIIe siècle, ayant une longue tradition d'accueil des pèlerins et aujourd'hui encore tenu par des religieux. En entrant dans la ville, il est indiqué par plusieurs panneaux directionnels, je le trouve donc sans difficultés. Arrivé devant sa façade, j'avoue être un peu intimidé. ça ne ressemble pas aux bâtiments modestes mais chaleureux, types auberges espagnoles où je m'arrête le plus souvent. Cette belle bâtisse en impose et il faut la longer un peu avant d'en trouver l'entrée. On sent le poids de l'histoire et la rigueur inhérente à un bâtiment religieux. Y serais-je bien accueilli ? pas sûr d'y être à ma place, pauvre pêcheur n'ayant pas encore trouvé la foi 😀 Je me décide à entrer, il faut traverser une cour qu'il convient surement d'appeler un cloître, pour accéder à l'accueil. Là, un saint homme de petite taille et au regard rusé, parlant peu français, me fait comprendre que le dortoir est complet. Toutefois il y a également des chambres individuelles à louer. C'est évidemment beaucoup plus cher qu'un simple lit dans le dortoir, mais ça reste raisonnable, je me sens plutôt bien parmi ces vieilles pierres, et n'ai pas envie de chercher plus loin, je m'offre ce "luxe". Ce mot n'est pas mal choisi, car je découvre une chambre très confortable, pour laquelle il faut plusieurs clés afin de franchir les portes des couloirs et enfin celle de la chambre. La propreté des lieux est impeccable. Et le personnel que je croise me traite avec une (trop?) grande gentillesse, un peu comme un hôte de marque. Sur le lit m'attendent une serviette de bain et une sympathique trousse contenant brosse à dent, échantillon de dentifrice, savon et même un peigne gravé du nom du monastère. Ayant comme tout bon jacquet le soucis de voyager léger, je n'emporterai pas tout ça.

Carrion est une ville agréable. Au détour d'une rue, une sonnette de vélo retentit. C'est bien à moi que cette sonnette s'adresse, un personnage à la Don Camillo sur son vélo croise ma route, en me faisant signe... c'est le saint homme qui m'a accueilli au monastère, que je n'avais d'abord pas reconnu et qui me souhaite une bonne fin d'après-midi lorsqu'il passe à ma hauteur.

Le soir, après quelques courses dans un magasin hard-discount, j'entre dans la cuisine commune pour me préparer à manger. Les 2 seules casseroles disponibles sont déjà prises, j'attends que l'une d'elle soit libérée, ce qui me laisse le temps de faire la connaissance de la plus jeune pèlerine que j'ai croisé sur le chemin: Giulia. Je l'ai déjà aperçue à plusieurs reprises sur le camino, et c'est une star dans notre communauté car elle n'a que quelques années, ses parents la transportent à vélo. Elle me demande comment je me "chiama" (c'est surement la seule chose que je comprends en italien ayant arrêté la "méthode Victor" à cette 1ere leçon il y a une vingtaine d'années), je lui réponds, mais elle ne semble pas comprendre mon prénom, ses parents le lui répètent en italien. Puis une pèlerine m'interpelle pour me passer la casserole qu'elle a fini d'utiliser et qu'elle vient de laver. J'y mets de l'eau à bouillir, puis à ébullition, les pâtes. Je vois que les italiennes qui continuent à cuisiner à côté de moi, gardent un oeil discret sur ce que je bricole. Lorsque je jette à même l'eau des pâtes en train de cuire mes quartiers de tomates, je sens une fraction de seconde où leur souffle se coupe 😀 Sans aucun doute mes talents culinaires viennent de créer un choc, un léger malaise, ce qui me surprend d'abord. Puis je me dis que réserver un tel traitement à ces ingrédients devant des italiens, c'est peut-être l'équivalent de napper un camembert de sirop de fraise avant de le passer au micro-onde devant des français 😀

A peine ce crime commis, entrent deux anglaises qui font le chemin ensemble, et que j'avais rencontrées quelques jours plus tôt, puis reconnues dans le cloître l'après-midi. Elles semblent très contrariées, et autant que je comprenne, elles demandent si quelqu'un parle espagnol car elles ont besoin qu'on appelle pour elles la police, on leur a dérobé un téléphone portable. Je suis un peu hésitant, mon niveau d'espagnol étant encore moins bon que mon anglais, mais elles ont l'air tellement en panique que je m'accorde les 10 minutes de cuisson des pâtes pour faire un essai. Avant d'appeler, j'essaie de comprendre et recueillir un maximum de détails en anglais auprès d'elles, puis je prépare dans ma tête un maximum de vocabulaire en espagnol. ça décroche rapidement, et la policière au bout du fil fait preuve d'écoute et de patience lorsque elle comprend que je suis pèlerin et français. Globalement je m'en sors bien pour expliquer la situation, quelques mots en espagnol me manquent, mais elle les devine rapidement. Mission accomplie, une patrouille va venir au monastère. Une bonne semaine plus tard je les rencontrerai de nouveaux sur le chemin, et j'apprendrai que le téléphone volé était réapparu tout seul sur leur lit après le passage de la police et l'interrogatoire des compagnons de chambrée.

En traversant le dédale de couloirs pour regagner ma chambre, une employée de ménage toujours avec gentillesse et un grand sourire, me pose une question en espagnol que je pense avoir compris, je veux lui répondre dans sa langue mais les mots sortent en anglais. Son air surpris m'indique que je me suis emmêlé les pinceaux et qu'elle n'a rien compris. Je réessaie du tac au tac mais cette fois je réponds en français 😀 je veux réessayer une dernière fois d'attraper mon vocabulaire espagnol mais rien ne vient, nous finissons par en rire et elle me fait signe que ce n'est pas grave et nous prenons congés... il est temps de dormir 😀

Euh... donc, à gauche ou à droite ? :D
Pause poulettes :)
Une partie de la façade de Santa Clara (gauche)
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8h ont déjà sonné quand je tourne enfin la clé qui ouvre ma porte afin de répondre à l'appel du Camino. C'est un horaire tardif dans la confrérie, surtout qu'aujourd'hui je m'élance pour une étape de 24 km (plan initial). Le "Miam miam dodo" prévient: devant moi s'étend le tronçon du Camino sans villages, donc sans ravitaillement ni services, le plus long: 17 km de solitude. C'est beaucoup, mais à la fois pas assez pour une étape convenable, je continuerai donc surement jusqu'à Ledigos.

A peine ais-je franchi la sortie de Carrion de los Condes, que j'aperçois au loin une peregrina qui semble perdue, déboussolée. Plus je m'approche, plus la silhouette m'est familière... Pas de doutes, c'est Jada !! Arrivant à sa hauteur, je la salue et m'enquiert de ce qui peut la perturber ainsi: elle souffre de douleurs aux pieds, chaque pas lui est très pénible. Mais elle veut quand même avancer. Je lui propose de porter son sac à dos pour que ce soit moins difficile en lui retirant ce poids, elle refuse. Nous avançons lentement, mais ensemble, pendant 30 à 45 minutes, jusqu'à ce qu'elle me dise qu'elle ne peut plus avancer tellement elle a mal. Nous faisons une pause, puis Jada me demande de ne plus l'attendre, d'aller à mon rythme, elle ne veut pas me retarder. Elle reprendra elle aussi à son rythme lorsqu'elle se sentira en mesure de repartir. Bien embêté de la laisser là dans ces conditions, et parce que j'ai le pressentiment qu'avec cet incident de santé il y a peu de chance qu'on se revoie ensuite, je lui propose de lui donner mon numéro de portable. Elle pourra me contacter en cas de besoin, et nous pourrons garder a minima le contact si nous ne nous rattrapons pas. Lorsqu'à son tour elle me donne son numéro et qu'elle me voit écrire son prénom, elle s'exclame en italien, quelques mots que je ne comprends pas 😀 Après quelques explications de sa part, j'apprends que son prénom ne s'écrit pas comme ça!... ce n'est pas Jada mais Giada ! Le "J" en italien, ça n'existe pas ! Nous avons tant de choses à apprendre au cours d'une existence 😀

Au fil de mes pas j'observe le paysage qui s'étire au long du chemin: j'ai dit dans le récit d'hier que je n'avais pas gardé de souvenir spécial de ma journée de marche. Mais j'avais oublié ce fait qu'en pleine meseta, réputée aride, je retrouve en ce moment les paysages verdoyants picards qui me sont si familiers. ça y ressemble vraiment, et il arrive que comme par chez moi on longe un canal et franchisse une écluse.

Comme attendu, le chemin file tout droit, avec de rares dénivelés, longeant des champs et pâtures durant des km et des km "désertiques", presque monotones. A de rares exceptions: une caravane installée sur un terrain devant proposer rafraichissement et douceurs pour les pèlerins (mais fermée quand je passe). Non loin d'une intersection, un bâtiment que je suppose être un ancien garage, abandonné aux herbes folles, avec dans la cour l'épave d'une vieille Fiat 500 rouillant paisiblement, et reposant à l'envers, sur son toit.

Après avoir trouvé un foodtruck m'ayant permis de faire la pause déjeuner avec un sandwich et une pomme sortie du sac, je traverse la petite localité de Calzadillas de la Cueza, et continue encore 6 km jusqu'à Ledigos, où j'hésite à m'arrêter. J'y pousse la porte d'une auberge pour y prendre un café. Au moment de payer alors que j"attends la serveuse, un autre pèlerin français s'adresse d'abord à moi pour, gentiment, me proposer de partager les tapas qu'elle lui a offert. Il semble très sympathique mais probablement la fatigue du chemin parcouru depuis ce matin, l'état d'esprit du jour, et finalement l'envie d'avancer encore jusqu'à la prochaine ville située à moins de 3 km, me rendent peu causant. Et tout en le remerciant et manifestant mon souhait de le recroiser sur le chemin, je repars. Le chemin me fera le cadeau de le revoir plus d'une fois, au point d'en faire l'un des "personnages" de mon chemin.

Arrivé à Terradillos avec 27 km au compteur, je découvre un petit village dont le pouls semble battre au ralenti. Pas de vie apparente et scrutant la plupart des façades, je ne saurais dire si ces maisons sont toujours habitées et modestes, ou si elles sont abandonnées. Lorsque j'entre dans le jardin clos de murs et verdoyant de l'auberge, j'y retrouve la vie. Un petit écosystème bien vivant qui sur une surface raisonnable inclut des dortoirs, une pelouse et sa corde à linge, un restaurant, un bar, une terrasse de plain pied et une autre sur un toit, le tout rempli d'hommes et de femmes parlant espagnol, anglais, italien... L'accueil est un peu abrupt mais bienveillant. Bref, je m'y sens bien, nul doute que je veux y faire étape. On me montre mon dortoir et mon lit, tout me va très bien. Après les douche, lessive et sieste rituelles, l'heure de diner. Je franchis le rideau de la porte que je crois être celle du restaurant et me retrouve dans les cuisines interdites au public, je suis accueilli par un grand OOllléééééé! de la part des cuisinières, ni une ni deux "lo siento" je rebrousse chemin 😀 Ce cri qui mêle étrangement surprise et lassitude me laisse à penser que je ne suis ni le premier ni le dernier à faire irruption par erreur dans cet endroit privé... d'autant que la porte du restaurant est juste à côté, à droite de celle-ci. Une fois servi, je monte avec mon plateau sur la terrasse sur le toit, pour profiter d'un peu de calme, de la vue et de la brise qui parcourt ce lieu.

Dans la soirée, j'y fais la connaissance d'un pèlerin français dont les connaissances sur le pèlerinage de Compostelle m'impressionnent... un vrai wikipédia du Camino sur pattes! Il n'en est pas à son 1er chemin, et autour d'une bière, il m'enseigne entre autres qu'historiquement, le pèlerinage qui était une peine infligée aux hommes ayant commis des fautes, ou que l'on choisissait de plein gré après en avoir commis, était une façon de tuer l'homme mauvais que l'on avait été, pour renaître et revenir en homme nouveau et meilleur. Pour le comprendre, il faut envisager qu'à l'origine, le pèlerinage se faisait à pieds de chez soi jusqu'à St Jacques comme aujourd'hui, mais aussi le retour de St Jacques jusqu'à chez soi toujours à pieds, ce qui se pratique rarement de nos jours. Il faut envisager aussi que partant de SJPDP ou Roncevaux à l'aller, il marchait toujours vers l'Ouest, et au retour, toujours vers l'Est. Ainsi la symbolique est que le pèlerin à l'aller marche vers le soleil couchant (l'Ouest) en repensant à ses fautes pour tuer l'homme mauvais, et au retour en allant vers le soleil levant (l'Est) marche pour renaître et progressant à la seule vitesse de ses pas, a tout le temps de réfléchir à l'homme nouveau qu'il sera une fois rentré chez lui. Je n'avais jamais entendu cette philosophie du chemin pourtant très inspirante. Il me confie que lui a éprouvé à plusieurs reprises dans sa vie ce besoin de "tuer l'homme qu'il était", raison pour laquelle il se mettait en route. D'après lui, cette symbolique est reprise lors de la cérémonie dédiée aux pèlerins dans la cathédrale du Puy en Velay, départ majeur du chemin en France : pour assister à cette cérémonie, on entre dans la cathédrale en passant sous un blason sculptés des lettres alpha et oméga ( = du début à la fin). On descend ensuite un grand escalier pour atteindre un espace sous la cathédrale, comme une descente au tombeau. A la fin de la cérémonie, on passe par une autre porte du niveau inférieur pour en ressortir, et au dessus de cette porte sont également sculptés ces lettres grecques, mais cette fois inversées: oméga et alpha ( = de la fin à un nouveau début).

J'évoque aussi avec lui mon projet d'ouvrir un gîte pour les pèlerins en Picardie à mon retour: après une courte réflexion, il m'annonce que ce n'est pas original, que durant ses nombreux chemins, il avait rencontré un nombre incalculable de jacquets qui avaient eu ce projet. De plus il lui semble que d'après les chiffres qu'il avait lu, il ne devait pas y avoir plus d'une trentaine de pèlerins qui avaient été recensés sur cette voie l'an passé, ce qui ne serait pas économiquement viable. Le départ officiel le plus au Nord en France se fait depuis la tour Saint Jacques à Paris, et le plus important est le Puy en Velay. Donc plus au Nord que Paris, la fréquentation est peu élevée. Pour ma part je sais que si je quitte Paris, ce ne sera pas pour descendre plus au sud... nous quittons la table, moi assommé par la fatigue et cet uppercut fracassant mes projets, lui, en pleine forme et ne cessant de parler, jusqu'à m'interpeler une dernière fois du haut de l'escalier qui le conduit à son dortoir, mais je ne comprends plus trop ses explications... heureusement que nous ne partageons pas le même dortoir, sinon je ne suis pas sûr que j'aurais pu fermer l'oeil de la nuit 😀


Le vert et le désert.
Arrivant à Ledigos?
Maison à Terradillos
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On a beau être un 18 mai et en Espagne, il est 7h quand je reprends mon chemin et... j'ai vraiment froid! A peine dehors, je m'assois sur un banc pour réajuster mes lacets que je ne trouve pas assez serrés, et là j'ai confirmation de mon ressenti: l'herbe est givrée.

Dans la matinée je rattrape plusieurs petits groupes sur le chemin et ressens soudainement une certaine effervescence dans l'air, il me semble que le nom d'une étape est sur toutes les lèvres. Ce nom j'ai dû le survoler hier dans mon guide, je finis par le comprendre, c'est Sahagun. L'importance de cette étape m'a échappé jusqu'ici et je me demande bien ce qui lui confère cet attrait.

Alors que j'entre à peine dans cette petite ville objet de nombreuses discussions, juste après avoir passé l'angle d'une rue, une apparition! ...une hallucination ? qui me fait ralentir, puis m'arrêter tout à fait: là, devant moi, sur un banc se trouve Giada! Je l'avais pourtant laissée la veille à 25 ou 30 km d'ici, ne pouvant plus marcher! Je suis évidemment content de la revoir, mais mon esprit cartésien ne comprend pas comment elle a pu arriver ici avant moi, dans ces conditions. Aucun miracle finalement. Elle me raconte qu'hier, ne pouvant plus avancer, elle a appelé un taxi qui l'a déposée ici, où elle a trouvé un hébergement et des soins pour ses pieds très abimés qui ne lui permettent plus de poursuivre plus loin. Évidement son moral est au plus bas. Ce matin elle a parlé longuement au téléphone avec sa mère, car elle pense qu'elle n'aura pas la force d'aller au bout son pèlerinage, et cela lui fait beaucoup de peine. Je crois que c'est une des plus grandes peurs que nous transportons avec nous à partir du moment où nous prenons ce chemin: devoir renoncer. Sa mère lui a dit qu'elle savait qu'elle avait les ressources nécessaires pour aller au bout de son périple, je lui dit qu'elle a raison, je le crois sincèrement aussi et j'essaie de l'en convaincre.

Ma dernière pause était peu avant d'arriver en ville, mais je n'ai pas envie de repartir tout de suite, en la laissant seule dans ce mauvais mood. Et puis ça me fait toujours plaisir de la revoir. Les portes de son auberge n'ouvrent que dans 2 heures et je n'ai plus qu'une dizaine de km à parcourir. Je lui propose donc que nous allions prendre un verre dans le café qui est juste en face de son banc, ce qu'elle accepte après que je lui ai assuré que ça ne m'embêtait pas du tout de "casser ma moyenne". Une fois attablés, elle me raconte sa rencontre hier avec la petite Giulia (la plus jeune des pèlerines rencontrée sur mon chemin, et vue pour ma part la dernière fois à Carrion). Elle a pu parler longuement avec ses parents qui lui ont raconté leur belle histoire: le papa est espagnol, la maman est italienne. Ils se sont rencontrés lors de leur premier pèlerinage pour Saint Jacques il y a quelques années. Refaire aujourd'hui ce chemin avec Giulia, née de cette rencontre qu'il a rendu possible, est pour eux riche de sens et d'émotions, un pèlerinage dans le pèlerinage en quelque sorte. Ils lui ont raconté également leur rencontre: pour leur première soirée ensemble dans la même auberge, elle a cuisiné pour lui, et lui, a apporté une bouteille de vin achetée à l'épicerie à l'entrée de l'auberge, "exactement comme ça s'est passé pour nous!" ajoute Giada. J'ai parfaitement traduit ses paroles et je partage un moment son étonnement, et mon sourire répond à son beau sourire. Puis je réalise. Un silence s'installe. Silence que je me décide à rompre: "tu veux dire que notre rencontre est comme la leur? que notre histoire pourrait se poursuivre comme pour eux ?" Elle acquiesce. Je suis cueilli et un peu confus, je ne m'attendais pas à ce tournant de la conversation. Je finis par répondre que même si les ressemblances entre notre rencontre et celle des parents de la petite Giulia sont en effet troublantes, cela ne veut pas dire que notre histoire sera forcément identique. Après un court silence elle me demande "you're engaged?" je réponds oui (j'avoue que je ne savais pas que ce mot avait ce sens aussi fort de "fiancé"). Nous ne nous quittons pas immédiatement, nous parlons encore un bon moment de nos vies respectives. La porte du bar s'ouvre soudain, des personnes déguisées (en quelle occasion? ) entrent, ainsi apparaissent Homer Simpson, et le robot Bender (Futurama) 😀 qui viennent s'accouder au bar et réchauffer un peu l'ambiance de leurs rires et exclamations et nous faire sourire. Avant de partir je lui répète que pour elle le Camino n'est pas fini et qu'il reste encore beaucoup de belles rencontres à venir.

En traversant la ville perdu dans mes pensées, je comprends soudain la raison de cet intérêt marqué chez les pèlerins pour cette étape: sur le bord de la rue, une pierre porte une plaque qui indique que je suis arrivé à la moitié du Camino (Francés). J'apprendrai plus tard par Shelly qu'il est possible d'y demander une "demie-compostella" en récompense de cette première moitié de Camino parcouru. Évidemment pour moi qui suis parti de Bordeaux, ce n'est pas la moitié, mais environ les deux tiers de mon chemin. ça fait plaisir de tomber sur ce point symbolique du parcours, surtout qu'il arrive souvent qu'un sentiment tenace de "ne pas avancer" se manifeste dans mon esprit, à chaque fois qu'une borne indique le nombre de centaines de km restant encore à parcourir.

Après ces 25 km de marche, j'arrive à Bercianos del real camino. En avançant un peu dans ce petit village ancien, je trouve dans une petite cour l'entrée d'une auberge très modeste: 2 modestes chambres avec leur rangée unique contre le mur de lits superposés, dans un rez de chaussée. La première est réservée aux hommes, la seconde réservée aux femmes, ils y aurait eu quelques histoires par le passé ayant mené à cette organisation non mixte. Une salle à manger de taille moyenne est à notre disposition dans une pièce adjacente en retraversant la petite cours. J'y fais la connaissance d'un anglais qui après quelques temps à discuter avec moi, me dit que je parle très bien anglais, même mieux que lui qui vient du nord de l’Angleterre... l'humour anglais n'a donc pas de limite 😀

Près du petit restaurant où je dine, une ruine dresse un dernier pan de mur, je demande au restaurateur ce que c'était. Celui-ci me répond sur le ton de l'évidence bien naturel quand on est d'ici: c'est l'ancienne église qui a brulé il y a plusieurs dizaines d'années. Le village possède maintenant une nouvelle église que pour lui, j'avais forcément déjà vue (mais qu'en réalité je n'ai jamais trouvé 😀).

Encore...
Apéro :)
l'ancienne église de Berciano