Dalaba, à une trentaine de kilomètres de notre bivouac, petite bourgade à 1300 m d'altitude dans le Fouta-Djalon, était, parait-il, un paradis avec des jardins fleuris. Les malades et convalescents y venaient se reposer. Un français était venu s'y installer, avait créé " Le jardin Chevalier" et planté une multitude d'arbres tous répertoriés. Hélas, Dalaba, comme le reste de la Guinée, depuis quelques années est dans un état de délabrement qui fait mal au coeur. Les rues sont défoncées, les poubelles ont remplacé les fleurs et le jardin Chevalier est tellement envahi par la végétation qu'on ne distingue même plus ses essences rares.....
Or donc, vers 10h 30, nous voilà avec notre 4x4 entrain de cahoter dans la rue qui mène au marché afin de trouver quelques tomates, quand derrière nous : "S'il vous plaît, s'il vous plaît, les Toulousains"... avec un fort accent du sud-ouest. Stop, et par la vitre apparait un guinéen, le sourire jusqu'aux oreilles. Il s'agit d'Abdulye Bah vrai toulousain de Guinée, ou l'inverse. Nous apprendrons par la suite que ses parents ayant été assassinés par le régime de Sékou Touré, il s'est retrouvé à l'âge de 8 ans à Toulouse, y est resté une cinquantaine d'années et y a sa famille et ses enfants. Donc, on parle quelques instants pays et arrive une voiture avec chauffeur à notre hauteur " je vous présente mon oncle le Colonel", homme de grande prestance, souriant, qui nous invite pour le déjeuner. Après avoir garé le 4x4 à l'ombre, nous embarquons dans la 205 d'Abdulye qui tient à nous faire visiter la ville fondée par son grand-père. Vers 12h30 : "le Colonel aime manger tôt" on y va. Belle maison, beau jardin derrière les murs.
Et voici l'histoire du colonel qui porte haut et fort ses 80 printemps : Enfant de troupe dans son pays, il s'engage dans l'armée française à la veille de la décolonisation, gravit les échelons, fait la guerre d'Algérie, se marie avec une bretonne et passe par de nombreux régiments : Vannes, Caen, Alençon, Nouvelle-Calédonie etc... Il termine donc Colonel avec la Légion d'honneur, l'ordre National du Mérite et la Médaille militaire.
Ancien parachutiste lui aussi, il entreprend avec Alain une longue "remontée du Mékong". C'est un personnage haut en couleurs, un des fils du fondateur de Dalaba, patriarche d'une grande famille, dont les membres sont répartis dans le monde entier et mariés avec chinois, américains, turcs, français ... j'en oublie certainement. Il fait de nombreux va-et-viens avec la France : "...Le 12 mars je vais en cure à Dax .." " Allez passons à table, Mohamed (son chauffeur) tu peux servir ".
Souleymane (le Colonel) va chercher dans une petite cave à vins réfrigérée un Bordeaux Côte de Blaye que nous dégustons avec un grand plat de crudités, suivi de spaghettis-boeuf en sauce et papaye au citron.
L'électricité est fournie par un groupe électrogène qui fait un boucan permanent.
"Si ce n'est pas malheureux", nous explique-t-il, " l'eau qui est à profusion dans le Fouta, n'arrive même pas dans les maisons, l'électricité, quelques heures le soir, et les chutes d'eau ne servent à rien, les crédits acquis pour le goudronnage de la ville ont été détournés deux fois, la corruption stoppe tout progrès ! Un pays si riche : Or, diamants, bauxite, des fruits et légumes à profusion, des tonnes de mangues pourrissent à la saison, les bananes également, elles ne sont pas exportées..." Il est désespéré et nous aussi. Tant que les routes seront dans cet état lamentable, rien ne pourra se faire, pas plus le commerce que le tourisme. Et comment mettre un frein à cette corruption endémique?
" Les présidents élus", continue-t-il, " s'empressent de s'entourer de leur ethnie, souvent des incapables qui ne pensent qu'à profiter de leur fonction."
Le président a été réélu et donc rien ne changera dans les prochaines années.
Nous allons remercier le cuisinier et faisons le tour du jardin dont il est si fier. Tout pousse là-bas : bananiers, citronniers, mandariniers, orangers, manguiers, avocatiers, corrossols, fruits de la passion...
Nous prenons congé après avoir échangé nos adresses mail, il nous propose de bivouaquer dans la "Concession familiale", là où son père à établi sa famille dans les années 30. C'est sur la route de Labé, notre prochaine étape. Un endroit fermé et calme. "D'accord, merci beaucoup de votre accueil".
Abdulaye le Toulousain, nous fait visiter la Maison du Gouverneur et la magnifique Case à Palabres où se réunissaient les chefs coutumiers. Mais depuis Ebola plus aucun touristes ne la visite .... Le Grand Hôtel de la ville et sa magnifique terrasse, s'endorment sous les soleils de la saison sèche et se délabrent sous les pluies diluviennes d'été.
La journée s'achève avec une dernière recommandation de notre guide : " Quand vous allez à Toulouse, allez voir mon beau-frère, il tient "Le petit Troquet", sur les quais de la Garonne, à côté de la maison de Nougaro."
Au-revoir Abdulaye, nous nous reverrons certainement en France car " nous ne reviendrons en Guinée que lorsque les routes seront refaites". " Pas refaites", réplique-t-il, "faites". Et c'est sur cette boutade que nous quittons notre guinéen de Toulouse, ou l'inverse.