L'étoile de son destin littéraire émerge le 4 avril 1908 lorsqu'il rencontre Edouard de Max et tombe sous son charme. Celui-ci lui offre une scène pour la lecture de ses premiers poèmes publiés en 1909 dans un recueil "la lampe d'Aladin" dédié à sa mère. Il devient une des figures à la mode du Tout-Paris et des salons que fréquentent les Daudet, la comtesse de Noailles ou encore Marcel Proust
A cette époque, les ballets russes conduits par Serge Diaghilev font leur entrée dans Paris. Jean Cocteau se damnerait pour travailler avec cet homme, précurseur du renouveau artistique qui lui lance le célèbre "étonnez-moi". Et Cocteau l'étonne quelques années plus tard avec le Potomac, une œuvre hybride, alternant dessins et textes, d’une liberté absolue de forme.
Au moment où la guerre fait rage entre surréalistes et écrivains, la rencontre avec Raymond Radiguet va être déterminante pour Jean Cocteau. En dépit de son jeune âge, il le considère comme son maître absolu et l'amène à réviser ses conceptions sur la poésie. Pour Jean Cocteau, "Miser sur le numéro Radiguet au plus fort du modernisme poétique, au temps de l'écriture automatique...c'était une fois de plus choisir la solitude, l'incompréhension,...Apprenez qu'un bon livre doit vous hérisser de points d'interrogation".
Ce que m’a dit la minute
La minute m’a dit :
« Presse-moi dans ta main ;
Tu ne sais aujourd’hui si tu seras demain ;
Ainsi prends tout le suc qui m’enfle comme une outre,
Ne tourne pas la tête et ne passe pas outre,
Vis-moi !…dans un instant, je serai du passé !
Mais tu ne sais peut-être au juste ce que c’est
Qu’éteindre dans ses bras la minute qui passe,
Si tu comprends la splendeur grave de l’espace
Qui te laissait jadis indifférent et froid, Si tu sais accepter la douleur sans effroi,
Si tu sais jouir d’un très subtil parfum de rose,
Si pour toi le couchant est une apothéose,
Si tu pleures d’amour, si tu sais voir le beau
Alors suis sans trembler la route du tombeau.
Tu vivras de chansons, de splendeurs, de murmures,
Le chemin n’est plus long si l’on cueille ses mûres,
Et je suis près de toi la mûre du chemin ! »
La minute m’a dit : « Presse-moi dans ta main. »
Batterie
Soleil, je t’adore comme les sauvages, à plat ventre sur le rivage.
Soleil, tu vernis tes chromos, tes paniers de fruits, tes animaux.
Fais-moi le corps tanné, salé ; fais ma grande douleur s’en aller.
Le nègre, dont brillent les dents, est noir dehors, rose dedans.
Moi je suis noir dedans et rose dehors, fais la métamorphose.
Change-moi d’odeur, de couleur, comme tu as changé Hyacinthe en fleur.
Fais braire la cigale en haut du pin, fais-moi sentir le four à pain.
L’arbre à midi rempli de nuit la répand le soir à côté de lui.
Fais-moi répandre mes mauvais rêves, soleil, boa d’Adam et d’Eve.
Fais-moi un peu m’habituer, à ce que mon pauvre ami Jean soit tué.
Loterie, étage tes lots de vases, de boules, de couteaux.
Tu déballes ta pacotille sur les fauves, sur les Antilles.
Chez nous, sors ce que tu as de mieux, pour ne pas abîmer nos yeux.
Baraque de la Goulue, manège en velours, en miroirs, en arpèges.
Arrache mon mal, tire fort, charlatan au carrosse d’or.
Ce que j’ai chaud ! C’est qu’il est midi. Je ne sais plus bien ce que je dis.
Je n’ai plus mon ombre autour de moi soleil ! ménagerie des mois.
Soleil, Buffalo Bill, Barnum, tu grises mieux que l’opium.
Tu es un clown, un toréador, tu as des chaînes de montre en or.
Tu es un nègre bleu qui boxe les équateurs, les équinoxes.
Soleil, je supporte tes coups ; tes gros coups de poing sur mon cou.
C’est encore toi que je préfère, soleil, délicieux enfer.