14.07.2020
Étape 2 • 66 km • Cumul 123 km
A Évian, notre deuxième journée de voyage commence tranquillement et symboliquement par le remplissage de nos gourdes cyclistes à la source Cachat, la plus célèbre des nombreuses sources d'Évian, pour avoir été à l’origine de la commercialisation des eaux minérales de la ville. Un Évianais dénommé Gabriel Cachat hébergeait à la fin du XVIIIe siècle un comte auvergnat, réfugié dans cette terre savoyarde du Royaume de Sardaigne pour fuir la Révolution française. Buvant chaque jour à la source du jardin, il est rapidement guéri de ses problèmes de calculs rénaux. L'eau commence alors son chemin vers la gloire: Cachat enclôt sa source et se met à vendre le précieux liquide. Les médecins la prescrive en cure. C'est les prémices de la future Société anonyme des eaux minérales d’Évian-les-Bains, désormais contrôlée par Danone.
A partir dÉvian, notre expérience de voyage est très différente de la veille. La route est beaucoup plus proche du lac – la plupart du temps carrément en bordure directe. Les Alpes sont ici aussi plus proches de la rive, avec le massif du Chablais dont les premiers sommets se dressent juste au-dessus des falaises qui tombent dans le Léman. La montagne franco-suisse des Cornettes de Bise domine tout ce bassin à 2431 mètres, soit 2059 mètres au-dessus de la surface de l'eau!
C'est le tronçon le moins construit des côtes du lac, le seul où l'on se trouve en dehors de la zone d'influence de l'une des agglomérations lémaniques. Peu de trafic donc, ce qui est agréable sur ces routes sans échappatoire cyclable. Nous sommes poussés par une conjonction d'éléments motivants, entre l'air pur et naturel descendu des montagnes, la route silencieuse pour nous tous seuls, la belle vue au large sur le lac et les Préalpes vaudoises et fribourgeoises, le temps au beau fixe et, facteur déterminent selon les lois de la physique cycliste, un vent favorable! De quoi arriver rapidement à Saint-Gingolph, la sympathique station binationale coupée par la rivière Morge qui fait office de frontière. Retour en Suisse donc, en Valais cette fois pour le court tronçon de rive appartenant à ce canton.
Au Bouveret, nous voilà arrivés à l'embouchure du Rhône. A cet endroit, les chemins s'écartent à nouveau du lac, provisoirement. La passerelle des Grangettes permet quand même aux cyclistes d'éviter un détour par le premier pont routier en remontant le Rhône, celui de la "H144" à 4 km en amont. La passerelle nous envoie dans le canton de Vaud, entité qui s'octroie la majorité absolue du pourtour du lac avec 51% des kilomètres de rive. Le parcours cyclable n°46 emprunte alors des chemins très agréables dans l'une des rares zones naturelles lémaniques, la petite réserve des Grangettes, site humide d'importance mondiale, qui est un petit reste des marais du Rhône qui recouvraient la plaine il y a 150 ans.
Nous retrouvons ensuite dès Villeneuve, à l'extrémité orientale du lac, une civilisation urbaine et toutes les infrastructures que cela suppose: nombreux carrefours, voies et arrêts de trolleybus, chemin de fer et route qui se disputent l'espace serré contre le lac, autoroute en surplomb. Mais tout cela est ingénieusement intégré au paysage et à la topographie compliquée et les points de vue sont magnifiques. C'est l'agglomération Vevey-Montreux de la Riviera vaudoise, avec près de 90'000 habitants. Elle offre de multiples occasions de s'arrêter pour profiter du paysage, de ses monuments historiques, des parcs et terrasses de ses villes, de ses plages, ports et pontons.
L'élément le plus emblématique est sans aucun doute le château de Chillon, monument historique le plus visité de Suisse. Il occupe un promontoire hautement stratégique, entre Vaud et Valais mais plus globalement entre le nord des Alpes (notamment Paris) et les accès aux cols vers l'Italie (Grand-Saint-Bernard et Simplon), le tout avec un point de vue et de contrôle incomparable sur la côte savoyarde en face. C'est donc un emplacement militaire de premier choix, également commercial pour appliquer des droits de péage, qui fut occupé par différentes constructions dès le Xe siècle. On voit encore sur les façades de la forteresse actuelle les blasons de ses occupants successifs, d'abord la maison de Savoie jusqu'en 1536 puis les Bernois jusqu'en 1798.
Ensuite c'est le cœur de la Riviera.
Montreux et ses quais très animés à l’atmosphère méditerranéenne. Et évidemment son Montreux Jazz Festival, qui devait se dérouler actuellement, comme chaque année en juillet, mais annulé par la pandémie de Covid-19. Fondé en 1967, il est un rendez-vous musical de classe mondiale qui a généré des performances incroyables par des légendes du jazz, blues mais aussi rock voire pop ou electro. Sa collection unique d’archives audiovisuelles numérisées est aujourd'hui inscrite au Registre de la Mémoire du Monde de l’UNESCO.
Vevey et sa vaste place du Marché, banal parking qui devient presque le centre du monde une fois par génération avec sa Fête des Vignerons, organisée par la Confrérie des Vignerons de Vevey depuis 1797. L'événement scénographique est, lui aussi, inscrit au patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO. Si vous avez raté l'édition 2019, rendez-vous vers 2040 pour la treizième édition.
Après la Riviera, c'est Lavaux, un intermède terrien avant la prochaine agglomération, Lausanne. Probablement le plus beau paysage du Léman. Au bord du lac, le spectacle visuel est souvent le panorama vers la rive d'en face. Ici, on est en plein dans le spectacle lui-même. Cette région viticole qui présente ses vignobles en terrasses a, elle aussi, droit à son classement au patrimoine mondial de l'humanité de l'UNESCO! Elle jouit d'une grande richesse de sols, ainsi que de micro-climats pour lesquels les vignerons ont développé un savoir-faire qui leur permet d'offrir au raisin les meilleures conditions, avec un ensoleillement amplifié par le soleil réfléchi sur le lac, et les murs de pierre qui apportent chaleur et abri aux plants. Quant au parcours à vélo, il est très agréable sur la route cantonale, ex-2x2 voies désormais redimensionnée et bordée de larges bandes cyclables. Pour rouler en sécurité, plus nécessaire donc de suivre la voie "La Suisse à vélo" qui surplombe la route du Lac à environ 150 mètres de dénivelé plus haut, qui offre une expérience du terroir encore plus bucolique, mais bien moins rapide et directe.
Et donc finalement, dans une transition assez directe entre vignes et urbanité à hauteur de Lutry, voici l'agglomération lausannoise. Quatrième zone urbaine la plus peuplée de Suisse puisqu'elle a récemment dépassé la capitale Berne avec plus de 420'000 habitants, elle concentre une bonne moitié de la population du canton de Vaud. Nous entrons en ville par le quai d'Ouchy, belle promenade lacustre qui mène vers les réalisations prestigieuses que sont l'Hôtel Beau-Rivage Palace et le Château d'Ouchy pour le XIXe siècle, le Musée Olympique pour le XXe siècle et le métro automatique M2 avec sa station terminus Ouchy-Olympique pour le XXIe siècle.
C'est au bout du quai, sur la place du Vieux-Port que nous jouissons de l'arrivée de cette splendide étape, avec une glace artisanale de chez Veneta, "Glaciers de père en fils depuis 1935", d'abord en Toscane puis depuis 1977 à cet endroit. Depuis la baraque à glaces pieds dans l'eau, nous pouvons admirer presque tout notre parcours du jour dans un panorama grandiose avec Évian juste en face de nous – à 12 km à vol d'oiseau, mais cinq fois plus par le tour du lac.
Il nous reste encore assez de temps pour profiter d'un bon bain, à choix dans le lac ou dans les bassins adjacents de la piscine de Bellerive. Nous voilà aux deux-tiers du projet et tout se passe merveilleusement bien!