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Deuxième acte d'un voyage à vélo de la Suisse à l'Écosse. De Londres, traversée de l'Angleterre, destination Glasgow puis les Highlands et une fin dans les Hébrides, archipel ouvert sur l'Atlantique.
Mai 2025
12 jours
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Publié le 26 mai 2025

Londres - Stornoway, 12 jours, 1'370 km

Un récit de voyage par Emmanuel Fankhauser, alias manubybike

Voici la suite de mon cinquième voyage à vélo de la Suisse aux confins de l'Europe. Après Genève - Londres en 2023, je reprends la route là où je m'étais arrêté, sur les rives de la Tamise. Le projet se poursuit sur un horizon écossais.

Destination Glasgow puis les Highlands, et une fin dans les Hébrides, archipel ouvert sur l'Atlantique. Des îles qui sont un peu aux îles britanniques, ce que les îles britanniques sont à l'Europe: des terres détachées, isolées, aux coutumes étranges…

Je prévois de finir en beauté sur l'île perdue de Lewis et Harris, avec une arrivée finale à Stornoway sa capitale. Tout un symbole: il s'agit de la ville du Royaume-Uni la plus éloignée des côtes européennes, et en même temps la plus proche des côtes américaines. Là-bas on parle encore majoritairement le gaélique et on mange fièrement le black pudding local.

C'est parti, en douze jours de route, pour un voyage solitaire à travers un Royaume multiple qui reste Uni entre modernité et traditions. Une immersion insulaire dans l'héritage des Celtes et leurs envahisseurs successifs que furent les Romains, les Angles, les Saxons et les Vikings.

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J10
J10
Publié le 27 mai 2025

26.05.2025

Étape 10 • 115 km • Cumul 1'166

London > Watford > Hemel Hempstead > Leighton Buzzard > Milton Keynes > Northampton

Je m'étais arrêté à Londres le 9 juillet 2023, après huit étapes en France et une première étape sur territoire britannique. C'est donc reparti sur ce cap au nord-ouest de la Suisse.

Départ de Londres sur la Tamise, Blackfriars Bridge.

Lancement du compteur là où il s'était arrêté, à 1'151 kilomètres de Genève, pour franchir la Tamise et rejoindre Oxford Street. Plus connue comme shopping avenue qu'en tant que véloroute... mais voilà une manière originale de redécouvrir Londres! Au 6ème kilomètre, Marble Arch. Je prends ici mon cap nord-ouest sur la route A5, une ligne droite interminable de 10 miles. Des milliers de boutiques en tout genre et snacks de tous les pays du monde y ont pignon sur rue, de la chic City of Westminster jusqu'aux boroughs suburbains du Outer London.

Au 25ème kilomètre, la fin de cette ligne coïncide avec la sortie des limites de la Greater London Authority. Voici le comté de Hertfordshire. Au 35ème kilomètre, je franchis le grand périphérique London Orbital Motorway M25. Encore une dernière ville satellite et la rase campagne commence. Au 51ème kilomètre je vois les premiers moutons! Je suis définitivement sorti de la zone d'influence londonienne, à moi l'Angleterre profonde.

Sur les routes du Hertfordshire. 

Entre verdure, villages isolés et vastes domaines de fermes-manoirs, J'enchaîne les contrastes avec la ville historique de Leighton Buzzard et la ville nouvelle de Milton Keynes. Et au 100ème kilomètre me voilà dans la grande région centrale des Midlands. Fin d'étape à Northampton, sous une toute petite pluie qui n'a jamais été trop méchante aujourd'hui.

Une ville à ne pas confondre avec Southampton, qui se trouve à peu près à la même distance de Londres, mais au sud-ouest, sur la côte de La Manche. Les deux villes ont la même population, 250'000 habitants qui vibrent pour leur équipe, qui portent les deux le même nom, The Saints. La comparaison s'arrête là: c'est du rugby au nord et du football au sud. Mais surtout, la consœur du nord n'a pas le charme maritime de celle du midi, et il n'y a pas grand-chose à y faire. Si ce n'est d'aller faire réparer ses chaussures dans cette capitale britannique de la coordonnerie, qui a fait du cuir sa principale ressource. Ses manufactures ont équipé en milliers de bottes de cavalerie l'armée révolutionnaire lors de la guerre civile au 17e siècle. Au 21e siècle, on trouve heureusement toujours un pub pour passer un bout de soirée parmi les locaux, fiers descendants de cordonniers.

Northamton.
J11
J11
Publié le 28 mai 2025

27.05.2025

Étape 11 • 101 km • Cumul 1'267

Northampton - Leicester - Nottingham

Cette étape traverse le cœur géographique de l'Angleterre. Le midland des Midlands... Une région provinciale et agricole, "The heart of rural England" comme le dit la devise du Leicestershire. C'est le comté que je traverse du sud au nord, après avoir quitté Northampton et avant d'atteindre Nottingham. En passant par la ville de Leicester à mi-route. Entre ces grandes aires urbaines, c'est vraiment la rase campagne. Un contexte plutôt agréable pour rouler. Si ce n'est l'élément météorologique. Et aujourd'hui c'était bien arrosé!

Je ne m'attarde donc pas trop en route si ce n'est pour me sécher un peu quand un abri se présente.

 Entre Northampton et Leicester.
 Leicester.

Robin des Bois (ou sa statue) m'accueille à Nottingham: c'est ici que s'est construite la légende de ce justicier des pauvres qui s'en prend au shérif de Nottingham. Tradition orale née au 13e siècle, elle évoluera pour s'adapter aux époques, sous forme de contes, ballades, théâtres, romans, films et dessins animés. Mais même ici tout le monde est d'accord: c'est bien une légende, ce brave Robin n'a jamais existé!

Pour le reste, Nottingham est une ville bien britannique, qui coche toutes les cases dont peu d'autres peuvent se targuer de manière aussi complète: un héritage médiéval encore bien présent dans le centre; un passé pré-industriel marquant; une prospérité liée à la révolution industrielle, grâce aux textiles; une croissance anarchique de ses banlieues; un renouveau urbanistique marqué par un nouveau tram construit en 2004; une scène musicale bien vivante; une université réputée et une vie étudiante bien présente; et bien sûr, la reconnaissance footballistique éternelle avec deux titres de champion d'Europe pour le Nottingham Forest FC (1979 & 1980).

 Nottingham.
 Nottingham, Old Market Square.
Nottingham Council House. 
J12
J12
Publié le 29 mai 2025

28.05.2025

Etape 12 • 118 km • Cumul 1’385

Nottingham > Sheffield > Barnsley > Wakefield > Leeds 

Après deux étapes assez peu accidentées depuis Londres, je vais me confronter aujourd’hui à la topographie sournoise entre Midlands et Yorkshire. Et aussi au trafic compliqué dans trois agglomérations qui figurent parmi les dix plus grandes du Royaume Uni.

Sortie de Nottingham pour commencer. J’ai droit à une insulte d’un automobiliste pour le simple fait de… rouler à vélo sur SA route à lui. Il est vrai qu’on n’en voit pas beaucoup par ici, des cyclistes. Au moins ça me permet d’instaurer un bref échange social dans ma journée solitaire ! Sinon, difficile de trouver un parcours cohérent une fois sorti du centre. Pour suivre mon cap nord-ouest sans faire trop de détours, je fais donc du collage de tronçons en tous genres, entre route express, route improbable de quartier en zigzag, route de campagne, et quelques bouts de chemins cyclables. Dont un petit emprunt à la Route 6 du National Cycle Network, que j’aurais pu suivre depuis Londres si j’avais envie de passer mon temps à rouler au milieu de nulle part… Ici elle n’a de nationale que le nom, c’est un sentier boueux d’un mètre de large. Expérience inutile si ce n’est d’avoir évité des voies rapides et pour une fois permis un raccourci. J’interromps ce méli-mélo qui nécessite de nombreuses vérifications sur GPS, pertes de temps à la clé, pour rejoindre enfin des routes plus roulantes.

 Entre East Midlands et West Yorkshire...

Je quitte les Midlands et fais mon entrée dans la région du Yorkshire, du nom de la cité historique de York, plus à l’Est. Je reste dans le West Yorkshire pour un passage à Sheffield, ville au passé marqué par la sidérurgie et au déclin qui en suivi. Et au présent relancé par des projets de régénération urbaine, dont les effets sont bien visibles, et qui rend la découverte du centre ville très agréable. Grandes zones piétonnes, bâtiments historiques mis en valeur, architectures modernes audacieuses… Entourée de collines, de verdure et de rivières, Sheffield profite de cet environnement qui en fait la ville la plus verte et arborisée d’Europe.

Entrée de Sheffield. 
Sheffield.
 Sortie de Sheffield.

Et les collines, ça en fait aussi une étape ardue, en marge des reliefs du Peak District National Park situé juste à l'Ouest de la ville. Jamais plus haut que 200 mètres d’altitude, mais bosse après bosse, ça me donnera un cumul de 1'500 mètres de dénivelé positif. Et ça continue jusqu’à Leeds. En passant par deux charmantes villes moyennes, bien accueillantes pour une pause entre ces bosses. Barnsley et Wakefield feront mon bonheur. Je découvre que cette dernière est jumelée avec Konin (Pologne) et Castres (France): hasard étonnant puisque je suis aussi passé par ces deux villes à vélo - remémoration de mes voyages passés vers Gdansk et Lisbonne.

Leeds enfin, arrivée d’étape dans la plus grande des trois agglomérations du jour. 800'000 habitants en ville, et près de 2 millions dans toute cette aire urbaine du West Yorkshire. La 4ème du pays derrière Londres, Manchester et Birmingham. Et alors que Nottingham et Sheffield ont leur tram, il n’y a ici ni tram ni métro. A la place, on y mesure les pires bouchons de tout le royaume… Mais la ville a du charme avec un centre ville bien vivant et largement piétonnier. Sans une grande histoire médiévale, elle doit son essor aux métiers de la laine, puis à sa reconversion plus récente dans le domaine des services (droit, finances et assurances). En plus d'être une ville universitaire, ça donne beaucoup de clients pour les pubs. Je suis arrivé tard ce soir mais j'ai encore l'embarras du choix pour une pint.

Leeds, ciel bleu du soir. 
Leeds, ciel gris du matin.
J13
J13
Publié le 30 mai 2025

29.05.2025

Etape 13 • 114 km • Cumul 1’499

Leeds > Skipton > Settle > Kirkby Lonsdale > Kendal

J’ai derrière moi trois étapes marquées par une succession de moyennes et grandes villes reliées entre elles par l’autoroute M1, la plus ancienne du pays, entre Londres et Leeds. De là je pars pour trois étapes beaucoup plus sauvages, dans le ventre mou de la Grande-Bretagne, entre le nord de l’Angleterre et le sud de l’Ecosse. De Leeds à Glasgow, le tiers central de l’île, presque pas une ville. Sauf sur la côte est, où Newcastle s’ouvre sur la mer du Nord. Mais je vais m’imprégner de la nature de l’intérieur et de l’ouest, côté mer d’Irlande.

En sortant de Leeds je passe devant les ruines impressionnantes de l’abbaye de Kirkstall. On trouve ce genre de monuments fantômes un peu partout sur les îles britanniques. C’est le roi Henri VIII, au 16e siècle, qui a décidé « la dissolution des monastères » en réponse au refus du pape d’annuler son mariage avec Catherine d’Aragon. Elle n’avait pas réussi à procréer un prince héritier… Henri fut alors excommunié et se remaria. Et les abbayes restèrent abandonnés.

Abbaye de Kirkstal.

Je suis la route A65, chargée d’un trafic assez oppressant. Mais il n’y a pas vraiment d’autre choix pour traverser les Pennines, cette chaîne de montagnes qui donne du relief à l’Angleterre. Dès la première échappatoire qui se présente, je prends les petites routes qui s’enfoncent dans les landes. Et le calvaire commence… La pluie fine s’est épaissie, et surtout le vent souffle par bourrasques terribles â faire écorner les béliers… Et qu’ils sont nombreux ces moutons, dans leurs pâturages sillonnés de murets de pierre sèche à perte de vue. Je profite très modérément de cette incursion dans le parc national des Yorkshire Dales. Pourvu que ça finisse…

Les landes des Yorkshire Dales dans la chaîne des Pennines. 

A l’heure du thé, je fais honneur à la tradition dans le bourg de Settle. Enfin de quoi m'abriter, me réchauffer et mettre des vêtements secs. Mais force est de constater que la deuxième moitié de la journée sera du même acabit : pluie, vent, et une alternance entre voie rapide et camions, ou chemins vallonnés et moutons. Mais j’avance tant bien que mal, sachant que tout a une fin, et la fin est belle quand on l’attend si fort. Alors j’arrive épuisé, tard et trempé à Kendal. Un bourg isolé de 30'000 habitants aux portes de la nature, entouré de ses parcs nationaux, situé dans le comté de Cumbria. Le far north-west de l’Angleterre, juste avant l’Ecosse.

Kendal.

Difficile de trouver une cuisine ouverte après 21 heures. Heureusement, il y a un restaurant indien qui ne suit pas la tradition des horaires de repas britanniques ! Et pour finir, je passe encore au pub: ça, c’est la vraie tradition locale. Ici comme ailleurs, la liberté de vociférer semble primer sur le respect mutuel… que ce soit pour s’insulter au bar, prouver son ébriété sur le pas de la porte, ou massacrer nos oreilles au karaoké !

J14
J14
Publié le 31 mai 2025

30.05.2025

Etape 14 • 138 km • Cumul 1’637

Kendal > Kirkstone Pass 454 m > Carlisle > Dumfries 

Kendal se réveille dans la grisaille, mais le Met Office, service météo national, me permet d’être optimiste. Pour continuer vers le nord, j’opte pour l'itinéraire de montagne: plus long, plus haut, mais nettement moins fréquenté. Et s’il fait beau, j’aurai tout gagné. La petite bruine persiste pendant que j’accède aux routes du parc national du Lake District, qui entoure le massif des Cumbrians Moutains. De magnifiques lacs de vallées glaciaires, mais aussi le plus haut sommet d’Angleterre, le Scafell Pike à 978 mètres (le plus haut sommet des îles Britanniques, le Ben Nevis en Ecosse, le dépasse avec ses 1'345 mètres). Et des cols ! Je grimpe le Kirkstone Pass, qui franchit modestement 454 mètres. Pente ardue et paysages de prairies dénudées, sans arbustes. On pourrait se croire dans un col alpin à plus de 2000 mètres. Même si ce n’est à peine plus que les plus hauts gratte-ciels de Londres…

Lake District NP, ascension du Kirkstone Pass.

La lumière du soleil apparait dans la descente, avec ces magnifiques jeux de contrastes entre ciel gris et paysage ensoleillé de verdure éclatante et reflets d’eau, dont ces régions ont le secret.

 Lake District NP, vallée du lac Ullswater.

La suite de la journée est plus plate et passe par la ville de Carlisle, juste avant la frontière anglo-écossaise.

 Cathédrale de Carlisle.

Je franchis cette limite à proximité du golfe de Solway. Et me voilà en Ecosse, à 13 ¾ étapes de Genève, après un peu plus de 1'600 km parcourus. Soit exactement 1'000 miles!

J’entends résonner dans ma tête les cornemuses de l’Amazing Grace, ce qui donne un peu d'émotion à ce moment. Pour rester dans les références musicales, je pense aussi au groupe The Proclaimers, écossais bien sûr, et leur chanson Gonna Be de 1988 :

But I would walk five hundred miles

And I would walk five hundred more

Just to be the man who walked a thousand miles

To fall down at your door

Da-da da da, da-da da da, da-da dum diddy dum diddy dum diddy da da da…

(Il faut bien sûr juste changer walk par ride...)

Here I am, Scotland. Je suis arrivé, et je ne me suis pas éffondré devant ta porte. Je suis bien là avec mon vélo, en pleine forme, mille miles derrière moi, et tout à découvrir devant moi. Merci de m’accueillir, et à nous deux !

 Et voilà l'Écosse!

Première destination, tout naturellement la ville de Dumfries « The Queen of the South ». Une manière de montrer que si on pense être ici plutôt proche du nord de la Grande-Bretagne, du point de vue écossais on est bien tout au sud. La route pour voir le vrai nord est encore longue !

Dumfries.
J15
J15
Publié le 1er juin 2025

31.05.2025

Etape 15 • 122 km • Cumul 1’759

Dumfries > Dalveen Pass 350m > Hamilton > Glasgow 

De mes six étapes prévues entièrement en Écosse, la première vise la plus grande ville en ces terres : Glasgow et son agglomération d’un million d’habitants. Depuis le sud d’où je viens, ce n’est pas encore les Highlands. A contrario, tout ce qui n’est pas Highlands est considéré Lowlands. Mais ce n’est pas pour autant que ce territoire est plat. Il y a ici le massif des Southern Uplands (Up, mais pas encore High…), que je vais franchir par un nouveau col. Comme la veille, le col est modeste en altitude, mais grandiose par le décor naturel qu’il traverse. Ce parcours par le Dalveen Pass, 350 mètres d’altitude, est un avant-goût des montagnes du nord, avant d’y être d’ici deux jours.

Le deuxième tiers de la journée est très roulant, sur un parcours cyclable national plutôt agréable. Il longe la seule autoroute qui relie l’Angleterre et l’Ecosse. Elle permet de faire Londres-Glasgow en 650 km – j’en aurai parcourus ce soir 708 à vélo.

Jusqu'ici c'est une journée gâtée par la météo, avec même du vent dans le dos. Mais le dernier tiers sera quand même sous la pluie, à l’approche de la métropole. On s’y fait. Voilà Glasgow! Fin de trois journées de vertes landes et de rares petites villes confidentielles. Les carrefours congestionnés ne me manquaient pas, mais ce contraste est plaisant. Arriver en ville, c'est comme un aboutissement. Ce n'est pas la fin du voyage, ce ne sera qu'une transition, mais un moment fort à vivre intensément.

L'entrée en ville est marquée par des alignements d'immeubles d'habitation typiques en grès rouge et leur façades ondulées, datant de l'expansion urbaine de l'époque victorienne. Des résidences encore très prisées de nos jours.

Le centre ville se démarque quand même des autres villes de « seconde zone » britanniques (donc tout ce qui vient après Londres) que j’ai pu voir jusqu’ici. Larges avenues et architecture de prestige. Glasgow n’a pourtant jamais eu de rôle éminent dans l’histoire politique des îles, puisque c’est Édimbourg qui a été le siège de feu le royaume d’Écosse, qui s’est uni au royaume d’Angleterre en 1707. Elle est toujours capitale administrative de la nation Écossaise. Mais Glasgow a obtenu il y a 850 ans (et le fête bien cette année) le statut privilégié de burgh en droit écossais. Ce qui lui permit de se développer économiquement de manière autonome. Avec sa localisation sur l’estuaire de la Clyde, la ville aun accès sur l’Atlantique, et cela lui a ouvert grand les portes pour devenir une plaque tournante du commerce avec l’Amérique. Textiles, minerai de fer et charbon, toutes les matières premières de la région ont trouvé là un débouché majeur. L’ingénierie et la construction navale se développèrent. Le modeste burgh du 12e siècle est devenu au 19e siècle la deuxième ville de l’Empire britannique. Elle connaitra son déclin, puis son renouveau au tournant des années 2000, avec notamment un domaine culturel qui s'est largement émancipé. Ce qui en fait désormais une destination touristique prisée.

J16
J16
Publié le 2 juin 2025

01.06.2025

Étape 16 • 101 km • Cumul 1’860

Glasgow > Stirling > Perth 

Glasgow est dominée côté nord par un petit massif que les grands axes de circulation contournent. Mais je reste enchanté de mes expériences des jours précédents, où le passage par des petits cols m’en a mis plein la vue et à l’abri du trafic. Alors rebelote, je pars pour les Kilsyth Hills et je n’en suis pas déçu, avec une superbe vue panoramique sur les Lowlands. Et toujours ces landes et leurs moutons.

Le bonus, c’est une descente de plaisir pur sur Stirling. Charmant burgh écossais avec une vieille ville bien préservée, dont les ruelles montent jusqu’au château. L'un des plus emblématiques de l’histoire de l’Écosse, aux côtés de celui d’Édimbourg.

Depuis là-haut on a le contrôle sur toute tentative d’invasion vers les Highlands et les Lowlands. Stirling incarne la résistance écossaise face aux anglais. Retour en arrière: territoire que les Romains appelaient Calédonie, cette région ne fut jamais réellement conquise. Ils la considéraient comme peuplée de barbares et ont construit leurs fameux murs (d'Hadrien, frontière actuelle, et d'Antonin) de côte à côte pour les contenir. Pour faire simple, l’Écosse s’est ensuite formée de différents royaumes des peuples pictes, bretons, angles ou vikings, tous absorbés en 843 par celui des scots venus d’Irlande. Et c’est plus tard aux environs de Stirling que ce royaume d’Écosse a remporté deux grandes batailles d’indépendance contre les anglais envahisseurs. Leurs héros furent William Wallace en 1297 et Robert the Bruce en 1314 – le premier est plus connu hors d’Écosse sous les traits de Mel Gibson dans Braveheart!

Finalement, quatre siècles ont adouci les relations. En 1707, les royaumes d’Écosse et d’Angleterre (qui incluait le pays de Galles) se sont unis dans le Royaume de Grande-Bretagne. Il devient Royaume-Uni avec l’Irlande en 1801, formant un seul royaume pour la totalité des îles Britanniques. Il laisse la place à l'actuel «Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord» quand le sud de l’Irlande quitte le navire en 1922. À quand l’Ecosse, se demande-t-on? Hypothèse plausible, même si elle a déjà de nombreuses prérogatives indépendantes de l’Union, notamment le droit ou l’éducation. Le Brexit ne l'a pas incitée à rentrer dans le rang, au contraire. Mais elle reste encore l'une des quatre «nations constitutives» de cette Union.

Stirling.

Assez pedalé dans l’Histoire. Je reviens à ma selle, et à nos moutons qui peuplent aujourd'hui les plaines des anciens champs de bataille. Re-rebelote avec les collines, je quitte Stirling en visant les Ochil Hills, qui la sépare de Perth.

Et à l’arrivée, voici le troisième burgh du jour. On dit de Stirling que c’est un mini-Edimbourg, avec leurs références historiques et leur centre médiéval. Je qualifierais alors Perth de mini-Glasgow: des villes plus modernes, toutes deux construites en damier, ouvertes sur la culture, et une animation nocturne qui a l’air intéressante – mais un dimanche soir à Perth reste quand même très, très loin d'un samedi soir à Glasgow… Et sinon, oui, le Perth d’Australie tire bien son nom de celui-ci, ville natale du secrétaire d’État aux Colonies de l’époque.

Perth.
J17
J17
Publié le 3 juin 2025

02.06.2025

Étape 17 • 108 km • Cumul 1’968

Perth > Cairnwell Pass 670m > Braemar > Ballater

Et au 17e jour, à l’assaut des Highlands, enfin! À commencer par les monts Grampians, le massif le plus élevé des îles Britanniques. Côté est du massif, Perth est la porte d’entrée du parc national Cairngorms, avec plusieurs sommets à plus de 1'000 mètres. Ces altitudes couplées à la latitude nordique (autour du 57e parallèle nord) créent les conditions pour une enclave arctique en Europe. Allons voir ça de plus près. Je ne prends pas la route principale Perth-Inverness, mais plutôt celle qui pénètre au cœur du parc. Très tranquille. Ça monte doucement, d’abord encore avec des champs ou une végétation de forêts bien touffues.

Puis on approche les secteurs de l’ancienne forêt calédonienne, un écosystème qui recouvrait autrefois toute l’Écosse. Il en reste quelques vestiges par ici, mais la quasi-totalité du territoire a été mise à nu par différentes activités humaines depuis le Néolithique. L’Écosse d’aujourd’hui, si pauvre en végétation, n’est donc pas ce qu’elle a été historiquement. Il y a eu la déforestation à des fins d'exploitation du bois; les tourbières utilisées comme combustibles pour les distilleries de whisky; les élevages intensifs de moutons; mais aussi, l’extermination du loup. Cela a laissé toute la place aux populations de cerfs, grands mangeurs de pousses d’arbres! Au point que la réintroduction du loup est en discussion pour réguler les cervidés et permettre à la forêt de se régénérer. Elle est déjà aidée par des initiatives de replantations, dans une démarche de «réensauvagement» de l’Ecosse, mais aussi d'en faire un puits géant à carbone.

Le paysage est vraiment incroyable. Dommage que les quelques éclaircies que la météo avait osé annoncer, ne sont en fait que des apparitions pour quelques secondes d’une lumière sortie comme par magie des nuages gris. Et c’est là qu’il faut pouvoir être prêt à faire la photo, au bon endroit, au bon moment. Elle magnifie alors ces monts arrondis, les tourbières revenues à l’état sauvage, les vallées de landes de bruyères traversées par des cours d’eau si purs.

Je monte et la température descend, et voilà le mur final à 12% pour atteindre le Cairnwell Pass juché à 670 mètres. La plus haute route du Royaume. Le col accueille aussi une station de ski: le Glenshee Ski Centre, avec une centaine de jours d’enneigement par an.

Et après, il y a la descente. Quelle descente ! Toujours dans ces paysages magiques, j’ai droit à une route aux courbes très larges – la différence avec les cols alpins – avec le vent par derrière. Je me laisse aller par cette conjonction d’éléments et me fais flasher par mon propre radar GPS à 81 km/h. Sans effort. Plaisir d’adrénaline pure. Waouw!

Retour aux choses plus traditionnelles et aux bonnes manières de la Cour, quand j’approche du château de Balmoral. À l’origine construit pour être la résidence privée de la reine Victoria , il est resté hors des biens de la Couronne et est toujours propriété privée du souverain. Officiellement, résidence d’été pour Charles III comme cela l’était pour Elisabeth II qui s’y plaisait beaucoup. Elle s’y est éteinte en 2022 après plus de 70 ans de règne. Charles peut profiter des 200 km2 de landes, forêts et terres agricoles. C’est plus des deux-tiers de la surface du canton de Genève!

Juste après Balmoral, j’ai toujours haut le moral, pas de problème, même si je sens les efforts qui s’accumulent. Je crains un peu pour la suite avec de gros dénivelés et une météo pas des plus optimistes. Mais moi je le reste. J’arrive dans la petite ville de Ballater, 1'500 vaillants habitants un peu loin de tout. Mais la nature pure des environs attire des touristes, on trouve donc le minimum vital. Et une très grande serviabilité dans les lieux où je vais pour refaire le plein de calories.

Ballater et environs.
J18
J18
Publié le 5 juin 2025

03.06.2025

Étape 18 • 115 km • Cumul 2'083

Ballater > Lecht Pass 646m > Tomintoul > Inverness 

C'est ma deuxième journée dans le parc national Cairngorms. Il y en a des kilomètres à faire pour le traverser, vu que c’est le plus grand du Royaume-Uni. Le parcours est exigeant, très vallonné avec des pentes jusqu’à 20% - en montée comme en descente. Et surtout un vent terrible, avec des rafales à 80 km/h, souvent de face, parfois latéralement, mais jamais de dos… C’est vraiment déstabilisant, je suis poussé vers les côtés, il faut bien s’accrocher ! Dans les descentes il déjoue la gravité en essayant de me repousser vers le haut. Eh oui il faut vraiment lutter pour les mériter ces Highlands. C’est une véritable épreuve de résistance. Je dois juste me persuader que tôt ou tard, à force de pédaler, j’arriverai à destination. Et heureusement c’est une journée presque sans pluie – je l’échangerais bien contre le vent mais au moins, je n’ai pas les deux. Au final, je parcours cette étape à une vitesse moyenne très modeste de 17 km/h pour 9 heures d’effort. Il faut dire que c’est aussi l’étape la plus dénivelée du voyage avec 1'611 mètres d’ascension – the "Mile High Day"! Juste un peu plus que ma première étape depuis Genève avec ses cols jurassiens.

Côté nature, les paysages sont similaires aux jours précédents. J'essaie de ne pas trop m’attarder en route pour des photos. Il y a assez de travail sans ça, mais certaines opportunités de lumière ou de sujets originaux ne se ratent pas!

Et lentement mais sûrement, derrière le quatrième petit col apparaît la mer! Mon premier contact avec la mer depuis Douvres, soit 1'168 km et dix jours de route. Elle est pourtant partout accessible: aucun point du pays ne se situe à plus de 120 km d’une côte. C’est la distance d'un jour à vélo selon la moyenne de mes étapes. Les côtes irrégulières et les nombreux estuaires mettent mêmes les grandes villes intérieures à portée des eaux (Londres, Manchester, Glasgow…). C’est une caractéristique géographique qui a très tôt favorisé le commerce et la circulation des marchandises. De plus, les vastes forêts de chêne sur l’île ont fourni le bois idéal pour construire des navires robustes, capables de résister aux tirs de canon et à la pourriture lors des longues traversées. Et comme l’insularité a laissé le Royaume à l’abri d’un ennemi continental, toutes les forces de guerre ont pu être monopolisées pour les côtes. Pendant que les rivaux maritimes de l’Angleterre (France, Espagne, Portugal) devaient surveiller leurs frontières internes en plus de viser le large, elle en a tiré un avantage décisif pour la marine marchande et coloniale.

Et je tombe sur Inverness à 20 heures. Capitale des Highlands, ou plutôt du Highland: elle est le siège administratif de la Highland Council Area, l’une des 32 subdivisions de l’Ecosse (les comtés, qui existent toujours en Angleterre, ont été supprimés en Écosse par une réforme en 1975). Grande comme presque la Belgique, peuplée deux fois moins que Malte, avec 220'000 habitants dont un tiers dans l’agglomération d’Inverness. L’une des villes les plus isolées d’Europe, qui se veut aussi capitale symbolique des Highlands dans un sens géographique plus large, englobant tout le nord de l’Ecosse. On y ajoute alors tout ou partie d’une dizaine d’autres Council Areas de Perth à Stornoway.

Avec une très grosse étape prévue le lendemain, tant en distance, dénivelés et surtout conditions météo, je ne prends pas vraiment le temps de profiter de cette capitale. Dommage, mon premier aperçu est tentant. Inverness est d’ailleurs souvent mentionnée parmi les villes les plus «heureuses» du Royaume-Uni dans les classements des médias. Affamé, je trouve un restaurant qui sert encore de vrais plats après 21 heures: j’accorde un bon point de bonheur!

Inverness
J19
J19
Publié le 7 juin 2025

04.06.2025

Étape 19 • 131 km • Cumul 2’214

Inverness > Drumnadrochit > Kyle of Lochalsh > Kyleakin (Isle of Skye) 

Une grosse journée s’annonce, à vrai dire je la crains depuis quelques jours… Objectif, traverser les Highlands d’Est en Ouest, de la mer du Nord à la côte Atlantique. Distance et dénivelé costauds, sans être extrêmes, mais surtout la pire météo de la quinzaine. Au menu, pluie et vent contraire, évidemment, avec des rafales annoncées à 80 km/h, et des températures hivernales qui donneront de la neige sur les sommets. Je pars un peu plus tôt que d’habitude, sachant que la journée sera longue. Je sais que j’avancerai lentement, mais je suis prêt à tout. Alors c’est parti dans une énergie positive pour une petite ascension puis une longue première partie plate après Inverness. Nom du gaélique Inbhir Nis, littéralement «embouchure de la (rivière) Ness»: c’est dire que Nessie n’est pas loin! Et voici donc ce Loch Ness, lac de légendes et de mystères des Highlands. Et aussi un véritable couloir à vent, long de plus de 38 km mais large de 2 km seulement.

Le Loch Ness. 

Le Loch Ness suit la grande faille rectiligne des Highlands, le Great Glen, qui traverse le territoire écossais en diagonale. Cette faille correspond plus ou moins à la limite de l’hégémonie de la langue anglaise: au-delà, on commence à entendre, modérément, du gaélique écossais. Et plus on va vers la côte Atlantique nord-ouest, voire sur les îles, plus il est parlé. Mais il reste loin derrière ces langues celtiques cousines, l’irlandais et le gallois, encore bien plus répandues dans leur territoire national.

Je quitte cette faille pour justement me rapprocher de ces descendants des Gaëls. La route prend de la hauteur et atteint un lac de barrage, le Loch Cluanie. Il n’y a aucun village sur 50 km. Juste du trafic de transit, notamment les poids lourds qui assurent l’approvisionnement des îles atlantiques, mais c’est supportable. Quant au froid, je fais avec en attendant mieux… Difficile de faire des photos, mais il y a quand même quelques instants suspendus de magie, qui font oublier les aléas du ciel.

Vallée du Loch Cluanie.

Vient la descente sur le Loch Duich, qui n’est pas un lac mais un fjord maritime. J’ai regagné quelques degrés, et je peux retrouver des sensations au bout des doigts pour prendre en photo le château d’Eilean Donan. Un fief de défense du Royaume d’Écosse contre les attaques des Vikings norvégiens, qui cherchaient à envahir les Highlands depuis les îles.

Le château d’Eilean Donan sur le Loch Duich.

Encore un loch de mer, le Loch Alsh, qui donne son nom au village de Kyle of Lochalsh. C’est ici, pour moi, la fin de la Grande-Bretagne, au sens géographique strict – c’est-à-dire l’île principale des îles Britanniques.

Dornie et le Loch Alsh.

Juste en face s’étend le vaste archipel des Hébrides, avec ses quelques 150 îles atlantiques. Elles forment ensemble un territoire presque aussi vaste que la Corse, ou comme les îles Canaries. La plus proche est l’île de Skye, accessible depuis trente ans par un pont de 500 mètres de long. Dernier effort pour "monter" ses 35 mètres qui permettent de laisser passer les plus grands navires en-dessous, et me voilà à Kyleakin, Isle of Skye. Ou autrement dit : Caol Àcain, An t-Eilean Sgitheanach, en gaélique – j’adore voir l’écriture des mots dans cette langue qui paraît imprononçable.

Le Skye Bridge et Kyleakin. 

Et voilà cette journée d’enfer qui s’achève, il est tard, je suis trempé, mais le plus dur est fait: il me reste deux îles à sillonner, c'est le double dessert du voyage et je me réjouis de cette fin en apothéose. Vite, une douche magistrale, et en attendant le repas revigorant au restaurant de l’hôtel – je ne mettrai plus les pieds dehors ce soir! – une excellente bière de The Isle of Skye Brewing Co. pour dire Slàinte! à cette satanée Highway to Hell qui s’est transformée en Highway to Skye.

J20
J20
Publié le 8 juin 2025

05.06.2025

Étape 20 • 100 km • Cumul 2'314

Kyleakin > Portree > Uig

En avant Skye! Cette île fait partie des Hébrides intérieures (qui comprennent aussi Mull, Islay et Jura). Elle s’appelle An t-Eilean Sgitheanach en gaélique, et est un condensé de toute l’Écosse à elle seule. Côtes déchiquetées par des lochs, collines verdoyantes, pitons rocheux qui culminent à près de mille mètres, rivières cristallines, falaises sur mer et leurs cascades, villages de pêcheurs, routes sinueuses et étroites, et au milieu une petite capitale pleine de charme, Portree. Les vues sont magnifiques, à l’intérieur comme sur les côtes, qui donnent sur une constellation de petites îles autour de l’île principale.

J’ai une journée à vélo pour me faire plaisir et découvrir tout ça, de Kyleakin au sud, vue sur la côte du mainland britannique, à Uig au nord, vue sur le large. Détours autorisés, puisque la route principale entre ces deux points ne fait que 80 km. Vent, pluie, soleil… Qu’importe: ici, le cocktail météo fait partie intégrante de l’immersion dans cette beauté naturelle. Et les moments magiques arriveront. Pas forcément là où on les attend. Et c’est l’avantage d’être à vélo: même sur les routes les plus étroites je m’arrête quand je veux. Si la pluie a gâché l’arrêt "officiel" d’un viewpoint, j’aurai une éclaircie dix minutes plus tard à un endroit insolite.

Pour le reste, les images valent mille mots. Place donc aux photos. Ou vite fait, un peu d’histoire! L’île de Skye, comme le reste des Highlands, était peuplée de Pictes. Leurs tribus ont été absorbées par les Gaëls originaires d’Irlande, formant ensemble le vaste royaume d’Alba. Alba est d'ailleurs resté le nom actuel de l'Écosse en gaélique. Ensuite, le destin de îles subit les invasions des Vikings. Skye, mais aussi tout l’archipel des Hébrides ainsi que l’île de Man et les Orcades, ont connu une longue domination norvégienne avant et après l’an 1000. Elles furent ensuite gouvernées en indépendance, sous le patronage successif des royaumes de Norvège et d’Écosse, par les dynasties des Seigneurs des Îles. Parmi eux, le clan MacDonald, au pouvoir pendant trois siècles avant que les îles intègrent le royaume d’Écosse au 16e siècle. Sauf l’île de Man qui est toujours sous le régime du Seigneur de Man, titre légué au roi britannique.

Skye, côte sud.
Skye, le massif des Cuillin Hills.
Skye, la ville de Portree.

Avant de conclure cet aperçu de Skye et lui valider son statut de "mini-Écosse", il me reste un sujet incontournable à aborder. Je ne suis pas un grand spécialiste, mais comment ne pas évoquer le whisky? Eh bien justement les Hébrides sont une bonne occasion, puisqu’elles ont une tradition forte en la matière. Eau de vie se dit uisgue beatha en gaélique, et les anglais n’ont retenu que l’eau, soit "uisgue", réorthographié en whisky. Comme les céréales poussent mieux que le raisin en ces latitudes, les moines ont commencé à distiller il y a cinq siècles à des fins médicinales et spirituelles. Puis les fermiers s’y sont mis aussi, probablement à d’autres fins! Comme l’enjeu était d’échapper aux contrôles et aux impôts de la Couronne, la contrebande était de mise. Et quoi de mieux que ces îles lointaines pour s’y adonner, à l’abri de l’œil de Londres! Subtil mélange entre le feu de la tourbe, qui sèche l’orge germé devenu malt, et le sel iodé de la mer apporté par les vents… Ce qui donne le fameux Talisker de Skye, bientôt 200 ans d’existence, aux notes fumées et salines reconnaissables entre mille, selon les connaisseurs. Ou alors le Raasay Distillery sur l’île homonyme, juste en face de Skye, pas encore dix ans et déjà une référence, qui montre que l’innovation a sa place dans ce monde très traditionnel.

Allez, j’en ramènerai pour le déguster, je vais peut-être y prendre goût?

Entretemps je me suis laissé tenter par un détour en boucle sur la péninsule de Trotternish au nord de l’île. Quel spectacle! Pour finir cette étape je franchis le petit col de Quiraing et retrouve la mer au port de Uig.

Skye, péninsule de Trotternish, vues sur le piton "The Old Man of Storr".
Skye, péninsule de Trotternish, les falaises et la chute d'eau de Kilt Rock.
Skye, péninsule de Trotternish, le col de Quiraing.

Il est déjà l'heure de quitter cette île fascinante pour poursuivre au large. C’est de Uig que part le ferry pour aller aux confins du royaume, vers les Hébrides extérieures, à travers le détroit de The Minch. Deux heures de mer pour avaler un traditionnel Scottish Fish & Chips – au haddock (aiglefin), pas au cabillaud –et profiter de la lumière nordique tardive du mois de juin.

Destination Tarbert, île de Lewis et Harris, où j’ai l’impression de débarquer dans un autre monde. Si loin de Suisse, au-delà du Jura, de la Champagne, de la Manche, des Midlands, des Highlands, au-delà même de l’horizon du ciel de Skye – tous ces territoires qui ont fait l'histoire de ce voyage. Et c’est précisément là que j’ai décidé de tracer le parcours de ma dernière étape. Je m’endors sur ce rêve qui se réalisera demain. Bonne nuit / oidhche mhath!

Skye, la baie et le port de Uig.
En quittant Skye.
Fish & Chips avec vue sur mer et nuages de pluie dans le détroit de Minch, entre les Hébrides intérieurs et extérieures.
Arrivée sur Lewis et Harris au port de Tarbert.
J21
J21

06.06.2025

Étape 21 • 107 km • Cumul 2’421

Tarbert > Callanish > Carloway > Stornoway 

Et me voilà au vingt-et-unième jour de vélo pour aborder cette île de Lewis et Harris, de l’archipel des Hébrides extérieures. Aussi appelées Western Isles, elles forment l’extrémité nord-ouest des îles Britanniques. Au-delà, ce sont les Îles Féroé, puis l’Islande. L&H a une surface de 2'179 km². Juste un peu plus grande que Tenerife, pour la comparer à une autre île européenne de l'Atlantique… Elle est quand même la troisième plus grande des îles Britanniques, après la Grande-Bretagne et l’Irlande. Au sud, l’archipel se prolonge avec les îles de North Uist, Benbecula, South Uist et Barra. Contrairement aux Hébrides intérieures qui sont encore une partie administrative de la Council Area des Highlands, les Hébrides extérieures sont une subdivision indépendante nommée officiellement Na h-Eileanan Siar (Îles de l’Ouest). Il s’agit de la seule région où le gaélique écossais est parlé en majorité par ses 26'000 habitants.

L’île est partagée en deux parties. Harris (Hearadh) au sud, avec ses montagnes vertes et lochs maritimes autour du port de Tarbert. Lewis (Leòdhais) au nord, avec la petite capitale Stornoway, mais surtout de vastes landes de tourbières, de lacs et de rivières, balayées par les vents de l’Atlantique nord qui ne laissent rien pousser à plus de quelques centimètres du sol.

Que faire quand on vit ici? Là où les conditions le permettent, on cultive des petites parcelles d’orge et de pommes de terre; on s'occupe des moutons; on pêche la truite en rivières, le saumon et l’aiglefin en mer; on fabrique le tissu de tweed de Harris; on produit du whisky dans une distillerie coopérative. Et on s’occupe des quelques touristes…

Ici, on n’y vient pas pour faire du tourisme "normal"… On y vient parce qu’on a cette envie, peut-être cette folie, de vivre une expérience de nulle part… Stornoway, Stornowhere! Je me laisse enchanter par cette escapade, un mot qui prend ici tout son sens. To escape, s’échapper, faire le vide, pédaler dans le bonheur sans d’autres pensées que d’être ici. C’est The Last Dance pour boucler ce voyage extraordinaire. C’est magnifique, croyez-moi!

Lewis et Harris: le détroit de Harris.
Lewis et Harris: les montagnes de North Harris.
Lewis et Harris: le Loch Seaforth.
Lewis et Harris: les lacs de Lewis.

Cette escapade m’emmène encore jusqu’à la côte atlantique de L&H, pour le plaisir symbolique de faire un bout de route le long de l’océan. C’est sur cette route, au-dessus du dernier loch atlantique avant le nord de l’île, que se dressent les pierres de Calanais (ou Callanish, en anglais), un des sites préhistoriques les plus anciens d’Europe. Le "Stonehenge nordique" en quelque sorte (le site de Stonehenge est situé à l’ouest de Londres). On y trouve plusieurs ensembles mégalithiques qui ont 5000 ans d’âge. Le site principal forme un cercle de treize grands menhirs, entouré d’une quarantaine d’autres pierres. On ressent flotter dans l’air les mystères et les énigmes qui entourent leur origine et leur utilité. C’est impressionnant, surtout dans ce contexte de monde perdu sur Lewis et Harris. En revanche, c’est bien le seul endroit de l’île où je croise des "vrais" touristes!

Lewis et Harris: les pierres de Callanish.

Un peu plus loin, voici le village de Carloway. Je descends jusqu’à son petit embarcadère de pêche. Voilà, je ne peux pas aller plus loin au nord-ouest de Genève, le cap fixé pour ce voyage. Je me lance sur le final, la retraversée de l’île par les landes intérieures vers Stornoway située sur la côte Est. Seul au monde sur une route étroite de 25 km, vent favorable puisque j’ai tourné le dos à l’Atlantique, je me délecte de ce spectacle que je suis venu chercher si loin.

Lewis et Harris: le Loch Carloway et son embarcadère ouvert sur l'Atlantique.
Lewis et Harris: seul au monde dans les landes et tourbières.

À 2'421 km exactement de Genève. Clap de fin au port de Stornoway. Stornowhere? Finalement non, j’ai bien l’impression d’arriver quelque part. Cette sympathique petite ville de 8'000 habitants prend une place bien en vue sur ma carte d’Europe personnelle.

Genève - Stornoway, 2'421 km.
Lewis et Harris, la ville de Stornoway.

Je suis accueilli avec une grande gentillesse par les personnes que le hasard a mis sur ma route : Alistair le mécanicien cycliste, qui avait mis de côté pour moi un carton d’emballage à vélo (j’avais pris contact avec lui après diverses recherches sur internet pour m’assurer cet aspect logistique du retour); Linda & Linda les tenancières du B&B Hebridean Guest House, très accueillantes et aux petits soins pour m’aider dans cette logistique; Cormac le chauffeur de taxi, qui est même venu la veille de mon départ pour contrôler que le carton entre bien dans son coffre.

Et une fois le vélo démonté/emballé, c’est l’heure de la dégustation finale : la fameuse Scottish Tower, pièce montée composée d’un étage de Stornoway black pudding de la boucherie MacLeod & MacLeod (boudin noir composé de suif de bœuf, d'avoine, d'oignons, de sang de porc, de sel et d'épices, et vanté comme "la meilleure saucisse du Royaume-Uni"), un étage de Haggis (panse de brebis farcie d'un hachis à base des abats de mouton et d'avoine), et un étage de Bashed neeps & Chappit tatties (cubes de rutabaga et purée de pommes de terre aux oignons). C’est goûtu… et il faut y avoir goûté pour valider sa visite à Lewis et Harris!

Retour le lendemain, avec un vol vers Édimbourg, où je fais escale pour une nuit. Un séjour express dans la capitale écossaise: c’est le petit bonus de ce voyage, puisqu’elle ne faisait pas partie de mon itinéraire à vélo.

Mais j’ai vu tant d’autres choses, et la frénésie touristique que j’y découvre ne me fait pas regretter d’avoir choisi une autre Écosse – plus sauvage, plus secrète. Quelle belle découverte d'une inconnue!

À bientôt pour une nouvelle voie cycliste, vers une autre côte européenne.

J’ai déjà ma petite idée…

F I N