09.07.2023
Étape 9 • 136 km • Cumul 1051 km
Dover > Canterbury > Faversham > Sittingbourne > Rainham > Gillingham > Chatham > Rochester > Dartford > Welling > LondonAprès la traversée en ferry, me voilà tout penaud en voyant la pluie qui commence à arroser Douvres. Attendre à l'abri ou y aller? Je ne me suis pas levé à 6 heures à Calais pour regarder un port pluvieux pendant une heure à Douvres… Et la route est longue jusqu'à Londres. Alors on s'équipe et on se lance. J'ai tout ce qu'il faut pour me protéger. Et ça fait quand même partie du paysage british, alors tant qu'à faire!
Dover, welcome to England!Douvres et son château qui surplombe le détroit.C'est parti pour une immersion dans le conté de Kent. Ma première visite est prévue à Canterbury (Cantorbéry en français). Je l'évoquais dans l'étape du sixième jour à Laon. C'est la ville de départ de la Via Francigena, le chemin de pèlerinage qui mène jusqu'à Rome en passant par la France et la Suisse, relevée minutieusement étape par étape dans le carnet de voyage de Sigéric de Cantorbéry, archevêque de Cantorbéry, qui réalisa le parcours en 990 pour y rencontrer le pape Jean XV. Son récit est conservé à la bibliothèque de Londres.
Canterbury est recommandée pour son centre ancien typique et sa cathédrale. Mais pour y arriver, c'est une sacrée épopée. Pas de route adaptée au vélo, la liaison directe par la "A2" Dover-London est ici aménagée en freeway (une sorte d'autoroute de seconde classe). Pour le reste, l'organisation des routes et chemins locaux semble totalement aléatoire. Heureusement il y a un parcours balisé pour les vélos, la Regional Cycle Route 16, qui est tant que faire se peut, plus ou moins directe. Sous une pluie presque incessante, je serai au moins guidé par les petits panneaux de signalisation pour vélo - sans devoir laisser mon smartphone prendre l'eau accroché au guidon - dans ces charmantes campagnes. Voilà la ruralité anglaise dans toute son authenticité! Il y a des passages où même le croisement entre un cycliste et une (grosse) voiture des habitants des cottages locaux est rendu difficile par les "murs" de végétation ou les talus presque verticaux des tranchées creusées pour y frayer ces chemins.
Chemins ruraux entre Douvres et Canterbury.L'arrivée à Canterbury est une déception… Peut-être est-ce la pluie qui m'empêche d'être bien inspiré. Les bâtiments de la cité sont témoins de sa longue histoire, puisqu'il s'agit d'une des plus anciennes villes britanniques. Mais les rues sont saturées des mêmes enseignes commerciales et touristiques qu'on trouve partout ailleurs. C'est un Disneyland de l'histoire anglaise. Et si on y vient pour sa pièce maîtresse, la cathédrale Christ Church, classée au patrimoine mondial Unesco, mieux vaut avoir prévu le coup à l'avance: il faut faire la queue et payer pour accéder au périmètre bien gardé du site! Tant pis pour la cathédrale, je fais mon petit tour de ville sur les pavés en poussant le vélo dans une foule internationale qui se frotte les parapluies.
Le portique d'entrée "payant" vers la cathédrale de Canterbury, et à droite l'une des seules vues "gratuite" vers les clochers.Dans la cité de Canterbury.Entrée de l'abbaye Saint-Augustin, l'autre édifice classé Unesco de Canterbury, en dehors du centre ville.Comme la pluie commence à s'estomper, je repars, plein d'espoir. Et ça se confirme, le ciel va peu à peu virer au bleu! Je change aussi de stratégie de route: la route "A2" est désormais doublée par une vraie autoroute, la motorway "M2" qui reprend le gros du trafic. Je peux donc assez sereinement tenter cette A2 qui est accessible aux cyclistes. Comme c'est dimanche, les conditions de circulation sont tout à fait acceptables. Rouler à gauche n'est pas compliqué, je dois juste m'habituer à me faire dépasser par la droite, ça semble anodin, mais ça demande une inversion des réflexes habituels. Ces réflexes de survie du cycliste, avec le regard qui doit toujours tout anticiper à 360°, le coup de guidon à faire du bon côté s'il faut éviter un obstacle, les mains toujours prêtes à activer les freins par automatisme… Mais ça va, j'ai encore le temps de m'y faire avant d'arriver dans la jungle motorisée du Grand Londres.
Culture de houblon et même des vignes anglaises!Outre la météo plus clémente, cette deuxième partie du parcours est aussi intéressante avec les villes inconnues traversées par cette route principale A2: Faversham, Sittingbourne, et finalement l'agglomération du "Medway", le nom donné à l'entité qui a le statut d'autorité unitaire d'une conurbation centrée sur les trois villes voisines de Rochester, Chatham et Gillingham. Ça peut paraître du charabia, mais l'organisation territoriale britannique est d'une si grande complexité, avec des niveaux variables au cas par cas… (le pays est divisé en comtés, districts et paroisses, mais dans certaines zones comté & district sont fusionnés en autorités unitaires - c'est le cas du Medway).
Bref, ces villes ont toutes leur part terne d'une ville de province, mais aussi, et surtout, leur charme de la british town où il semble faire bon vivre - sans le côté surfait de Canterbury.
Sittingbourne.Gillingham et Chatham.Rochester.Le château de Rochester.La cathédrale de Rochester.Troisième partie de la journée: je m'approche gentiment du Greater London. La route A2 redevient une freeway, donc exit les vélos. Et là il existe la National Cycle Route 177 qui longe cette autoroute sur une voie parallèle. Tout le charme de la nature et des villages & towns traversés jusque-là s'est complètement évaporé… mais c'est diablement efficace pour avancer vite et droit vers la City!
La voie verte "National Cycle Route 177" le long de l'autoroute A2.Et finalement, place à la tant attendue quatrième partie de cette dernière étape! J'ai retrouvé une route principale qui file en ligne droite vers Londres. Symboliquement, je franchis le cordon de l'autoroute M25, le périphérique London Orbital Motorway qui entoure toute la capitale sur un diamètre d'environ 50 kilomètres. De là, c'est donc encore 25 kilomètres jusqu'au centre. Il y a de quoi passer par tous les stades d'urbanisation de la mégapole, et j'adore cette manière de découvrir une ville, des quartiers périphériques jusqu'à son cœur! La M25 correspond à peu près aux limites administratives de la Greater London Authority, encore une subdivision territoriale différente, qui englobe 9 millions d'habitants. Avec les zones urbaines attenantes hors de ce périmètre administratif, l'aire métropolitaine compte en 2023, selon les sources et les différentes définitions existantes, entre 11.3 et 14.8 millions de têtes.
Passage symbolique pour l'entrée dans le Greater London: le franchissement de l'autoroute circulaire M25, à 25 km du centre.Pour ces 25 derniers kilomètres, je m'offre un timelapse en temps réel de toute ce gigantisme urbain et ce que ça implique en organisation ou désorganisation du territoire, réseaux de transports, logistique… passionnant! Et il y aura aussi plusieurs surprises topographiques, avec notamment la butte de Shooters Hill qui présente soudain un magnifique panorama sur la City.
La City vue depuis Shooters Hill.Traversée d'une des nombreuses Towns de Grand Londres, ici Welling.Le Londres tel qu'on le connait finit fatalement par arriver. Et quel plaisir d'y être parvenu à vélo! Ce n'est pas une mission si impossible. Il y a quand même des bandes cyclables, et quand ce n'est pas le cas, les voies des fameux bus à impériale sont officiellement accessibles aux cyclistes. Londres aussi est devenue une ville qui a fait de la place à cette catégorie de mobilité. Et plus j'approche du centre, moins je me sens "seul au monde" sur un vélo. Me voilà avec des compagnons de route locaux. Quel changement par rapport à tout le reste du voyage où j'étais cycliste solitaire quasiment depuis le premier kilomètre.
Extraits de la vue d'un cycliste en plein Londres…Je vise le pont de Blackfriars, qui traverse la Tamise à peu près au centre de gravité des attractivités de la ville. Voie libre pour le sprint final jusqu'au milieu du pont et fin d'étape à 21h30. Il est tard, avec le temps perdu dans mes hésitations sous la pluie du matin, les visites en route, et surtout l'étape reine de ce voyage, la plus longue avec 136 km. Mais voilà, l'heure n'a pas d'importance, je trouverai encore un pub pour me servir le festin final, beer & burger.
C''était une magnifique journée dans un environnement très différent des huit premières, assez dépaysant, à la découverte de ce 18ème pays d'Europe que j'ai rejoint à vélo depuis Genève. Un bel avant-goût de la suite qui m'attend jusqu'en Ecosse - et ce n'est qu'à ce moment-là que je franchirai la deuxième moitié de la Tamise à vélo, pour reprendre le voyage là où il s'arrête maintenant au kilomètre 1'051.
Londres, Blackfriars Bridge, 9 juillet 2023 à 21h30, à 1051 km de Genève.Place à la récompense et à une petite visite nocturne!