21.07.2022
Étape 3 • 119 km • Cumul 343 km
Haslach im Kinzigtal > Elzach > Waldkirch > Freiburg im Breisgau > Weil am Rhein > DE/CH > BaselDeux jours bien remplis dans les régions de Forêt-Noire méridionale puis centrale, sans pénétrer complètement dans la région septentrionale, m'ont déjà donné un bel aperçu de cette contrée de monts et bourgs dignes des contes merveilleux. J'aurais pu croiser cent fois Hänsel et Gretel. Mais sans maison de pain d'épice à espérer, je vais continuer la tournée des brasseries.
Départ de cette merveille de mini-ville Haslach im Kinzigtal. La rivière Kinzig se jette dans le Rhin à Kehl, en face de Strasbourg, mais je veux retourner à Bâle, bien plus au sud. Changement de vallée nécessaire, donc col à franchir. Mais les reliefs de ce côté-ci sont déjà bien estompés. 300 mètres de dénivelé pour l'échauffement et on n'en parle plus. De l'autre côté, vallée de l'Elz, et c'est donc à Elzach que je repère la Löwenbrauerei - rien à voir avec la Löwenbräu de Munich, marque de prestige brassée par Spaten-Franziskaner pour le méga-groupe belgo-brésilien ABInBev, n°1 mondial de la bière - non, celle-là est produite ici depuis 1856 en toute indépendance par la famille Dold. A défaut des milliards du commerce international de la bière, ses bières bénéficient d'une certaine garantie de qualité puisqu'elles sont régulièrement récompensées par le prix Or de la coopérative allemande d'agriculture DLG.
Brasserie familiale Löwenbrauerei Dold à Elzach et sa bière primée Or DLG.Collines sur les coteaux ouest de la Forêt-Noire, dans la vallée d'Elz, le paradis des pâturages et fermes-auberges.La suite c'est à Waldkirch, ville de 22'000 habitants qui a le statut de Große Kreisstadt ou "grande ville d'arrondissement" selon la loi communale allemande. Me voilà dans ce qui s'apparente à une vraie ville, signe que je me rapproche de la "sortie" ouest de la Forêt-Noire, c'est la fin des petits bourgs hors du temps perdus au milieu des pins. Centre-ville historique néanmoins très bien préservé, sous la surveillance des ruines de son Kastelburg perché sur une colline.
Place du Marché de Waldkirch et son Kastelburg.Waldkirch est abreuvée depuis 1868 par la brasserie Hirschen. Eh bien il faut le dire à l'imparfait… En 2021, Hirschen-Brauerei est devenue Hirschen-Getränke, délaissant le brassage pour se concentrer sur la distribution de boissons, avec un célèbre breuvage d'Atlanta comme fer de lance de son nouvel assortiment… La brasserie évoque la chute des ventes de bière, la hausse des prix des matières premières, les difficultés d'approvisionnement, et pour le coup de grâce, une chute spectaculaire des ventes pendant la pandémie du Covid-19. La production de bière n'était plus en mesure de couvrir ses coûts, Adieu. Mais un partenaire de choix a été trouvé: la brasserie Hirsch de la famille Honer à Wurmlingen (Hirsch-Brauerei Honer), située à l'est - de l'autre côté - de la Forêt-Noire, est désormais distribuée ici à Waldkirch. L'eau de source du bassin du Rhin est remplacée par celle du Danube, mais le symbole du cerf (Hirsch) est conservé. L'honneur est sauf et le Biergarten de la brasserie est toujours là, dans son décor idyllique entre forêt et bâtiment d'époque. Alors, dégustation!
Et je reprends la route, destination Fribourg-en-Brisgau, qui n'est plus si loin. Parcours de transition entre les derniers reliefs de Forêt-Noire et les champs plats de la plaine du Rhin - appelée fossé rhénan en termes géologiques.
Entre Waldkirch et Fribourg-en-Brisgau ; entre Forêt-Noire et plaine du Rhin.Fribourg-en-Brisgau, évidemment encore une cité de la maison des Zähringen, comme son homonyme suisse. La première et, toujours, 900 ans plus tard, la plus grande parmi la douzaine de ces villes fondées au 12e siècle par les ducs, avec ses 230'000 habitants et une aire urbaine qui en fait trois fois plus. Un bon cran au-dessus de Berne la capitale helvétique, l'autre joyau laissé en héritage par cette dynastie de bâtisseurs qui s'est aussi développé en petite métropole.
Ville méridionale d'un point de vue germanique, elle connait les records de chaleur et d'ensoleillement de la nation. Et en hiver elle attire de loin avec son marché de Noël. Entre ces deux extrêmes, je suis plus proche de la première variante. Je me glisse à vélo poussé parmi la foule locale et touristique en sueur, et m'offre une visite rapide du centre historique, jusque devant son imposante cathédrale.
Freiburger Münster, la cathédrale de Fribourg-en-Brisgau et sa flèche de 116 mètres.Historisches Kaufhaus: façade sur la place de la Cathédrale. | Bertoldsbrunnen: monument aux Zähringen, fondateurs de la ville.Martinstor, vestige des remparts historiques de Fribourg-en-Brisgau.Rues de Fribourg-en-Brisgau: accès immédiat aux coteaux de la Forêt-Noire.Sortie de ville par le sud avec deux visites prédestinées. La première, c'est évidemment la brasserie locale, pour parachever ainsi ma tournée des bières de Forêt-Noire. Brasserie industrielle, on change de statut ici, grande ville, grands moyens - mais toujours locale, familiale, indépendante. C'est la brasserie Ganter, installée à deux pas du centre-ville dans son fief historique. Une situation pas si évidente dans cette cité qui a une histoire - et un présent d'ailleurs aussi - plutôt liés à la viticulture environnante, toute dévouée à la production du vin du Pays-de-Bade sur les côteaux tournés vers le Rhin. Ce vin local est très apprécié dans toute l'Allemagne, et il y a bien assez de bière produite ailleurs dans le pays pour ne pas encombrer la ville d'une brasserie incongrue. Mais l'un n'empêche pas l'autre, les Alsaciens voisins d'en face ne le contrediront pas, et le jeune Ludwig Ganter s'est dit la même chose en 1865. Depuis, Ganter est devenu une institution fribourgeoise et a droit à sa place en vue sur nombre d'enseignes de bistrots. Evidemment, la scène des bières artisanales est aussi en plein essor depuis quelques années ici. Mais pour cette fois je me limite au verre souvenir de Ganter la pionnière.
La brasserie historique Ganter en pleine ville (malgré les apparences) depuis le cadre idyllique de la rivière Dreisam.Ma seconde visite, encore un peu plus loin au sud de la ville, est dédiée à une curiosité de l'urbanisme moderne. Oui, après avoir été séduit par l'urbanisme historique des Zähringen à Villingen, Haslach ou Freiburg, je me laisse aller à une immersion urbaine plus contemporaine dans ce qui est considéré comme "le premier écoquartier du monde". Le quartier de Vauban a été construit au tournant des années 2000 sur une base militaire française désaffectée, du nom du marquis et ingénieur-architecte-urbaniste français, expert en fortifications de défense militaire sous Louis XIV. Un magnifique exemple de plan Vauban est d'ailleurs à voir tout proche, en Alsace juste de l'autre côté du Rhin, à Neuf-Brisach avec son schéma de ville forte octogonale. Mais revenons au Vauban moderne d'ici. Ses concepteurs ont axé le projet sur une démarche de développement durable: participation citoyenne, économie circulaire, efficience énergétique… En matière de mobilité, le tram passe au cœur du quartier et tout est pensé pour que les rues soient des espaces de vie et de jeu, des Spielstraßen, où l'intérêt de se déplacer en voiture est rendu obsolète par la facilité et le confort de se déplacer autrement. Avec ses 42 hectares pour 6'000 habitants, le quartier est toujours, après 20 ans, une référence mondiale en la matière. La visite est intéressante dans le sens où la récupération du label "écoquartier" dans le monde du marketing immobilier a, depuis, généré des pseudo-copies de ce modèle sous des formes parfois douteuses. Tout projet immobilier arbore de nos jours son côté écolo, mais avec parfois beaucoup d'imagination pour masquer une réalité bien moins vertueuse par la promotion habile de quelques gadgets écologiques. L'immersion dans cet ensemble, qui plus est à vélo, permet de se rendre compte de ces écarts entre copies et original.
Vauban, pionnier et modèle de référence des principes d'écoquartier.Et voilà, Fribourg m'a tiré hors des merveilles de la Forêt-Noire - non sans réussir à m'émerveiller quand même. Je resterai en plaine, entre Rhin et vignobles, pour poursuivre jusqu'à Bâle à 65 kilomètres de là. Entrée en Suisse depuis la dernière ville allemande, Weil am Rhein, là où le tram de la troisième ville suisse franchit la frontière depuis 2014. Direction la gare centrale et hop, la boucle Bâle-Bâle est bouclée après 3 jours et 343 kilomètres. Bilan? Une contrée surprenante qui a amplement répondu à mes attentes de découverte. Le parcours à vélo d'une brasserie à l'autre m'a permis d'allier deux de mes intérêts dans un cadre enchanteur, tout en profitant de tant d'autres exclusivités régionales.
Expérience familière et mystérieuse en même temps, ai-je suggéré en introduction. Quelques-uns des mystères de la Forêt-Noire me sont devenus plus familiers, mais ces vastes reliefs boisés en cachent encore tant, que le côté mystérieux perdure, encore et pour toujours!
So war's im Schwarzwald. Bis bald!
Les trois bières locales de la troisième étape.F I N