Carnet de voyage

Madagascar, périple humanitaire

Dernière étape postée il y a 24 jours
Voyage humanitaire
Du 31 mai au 26 août 2023
88 jours
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Publié le 31 mai 2023

D’abord, le départ. Dans le wagon d’un ter bien vieilli, je vogue à travers la campagne après les aurevoirs prévenants. Un instant aux regards croisés sous le signe d’une confiance donnée. Puis trois trains se succèdent, en somme trois fois le décor vert adoré. Dernières collines, dernières rivières aperçues, derniers quais de gare foulés. Remiremont. Nancy. Paris. Frivoles, les kilomètres passent, le temps s’envole et souligne en lettres rouges l’heure de l’échéance. Les minutes ne sont plus que pensées éloignées, entrecoupées d’ébahissement et d’adrénaline grandissante ; elle est là, tapie au creux des reins et se diffuse doucereusement dans tout le corps, presse les muscles, tend les nerfs. C’est enfin un infime sentiment éperdu. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix. Nous voilà tous à la porte d’embarquement, les yeux joyeux, le cœur trituré d’impatience et de stress cumulés. Une étrange ivresse euphorique s’empare de mon être.

Le décollage s'impose alors comme une bombe d’oxygène, tout se relâche soudainement. Le tarmac de l’aéroport garde et accueille mes doutes, mes peurs, mes angoisses. L’esprit lui se sent ancré dans chaque membre, il s’élève et s’apprête à cette nouvelle expérience, à ce nouveau monde fait d’inconnu. Au regard de l’horizon descendant, à la vue de ces teintes rosées impénétrables, la nuit tombe au-dessus des nuages et m’offre la plénitude absolue. Le soleil disparaît et affichera demain des rayons lumineux sur le sol malgache. Le soleil renaîtra et prendra la métaphore d’une fleur délicieuse, d’un bourgeon fraîchement éclos. Ma main s’ouvre telle une lumière, s’imprègne de mon feu intérieur, curieux et libre. Panache de cendres dorées. Jungle, Tash Sultana. Puis vient Nairobi, une ville sinon dans mon esprit le nom d’un personnage de série abstrait, fictif. Cœur de la nuit, Ferdinand Dreyssig. Les notes musicales m’emportent, elles se dressent, embaument l’air d’un souffle léger et heureux. En face, étalés, éparpillés, transis, endormis sont mes amis de voyage. Marqués par la nuit assis sur des sièges confinés, leurs visages sont fatigués, mais illuminés d’une excitation sensiblement palpable. Le prochain vol nous attend, emballement fugace.

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Sortie de l’aéroport, bagages récupérés, argent échangé, référents rencontrés. Au dehors, trois taxis déjantés nous attendent sur un parking vide de toute voiture. La valise roule péniblement, je tourne la tête et aperçois le ciel mordoré, sans nuage aucun, peinture dégradée striée d'ombres de palmiers. Alors, les porteurs s’activent et embarquent les bagages, les soupèsent, les assemblent en un Tetris des plus réussis. Il fait nuit, les sacs sont trop nombreux, tant pis ils finiront timidement attachés à une cordelette sur le toit du 4x4. À ses côtés, deux Citroën de l’âge de pierre lui font face, croulant sous le poids farouche de nos sacs harnachés. Ni une ni deux, nous embarquons tous les dix ; à cinq dans la Citroën blanche, Lham le conducteur s’y prend à plusieurs reprises pour allumer l’antique feu du moteur.

À la queue leu leu, le convoi s’éloigne et prend la route pour atteindre le centre-ville de Tananarive. A l’accélération, le passage des vitesses craquent bruyamment, le vent frais balaye nos visages rougis, nos corps s’entrechoquent à chaque mine, la banquette arrière tangue sous la pression des valises. Soudain, panne impromptue : en plein milieu de la voie, Manassé sort et pousse de son mieux en détalant à toutes jambes tandis que Lham s’égosille à diriger le volant en courant à son flanc, le bras à travers la portière. Le spectacle continue jusqu’à l’arrivée inopinée d’une descente menant à la station essence. Coup de main assuré, les malgaches débarquent et entraident le bon ami dans sa détresse automobile. La course effrénée reprend tandis que les voitures, les bus et les passants se frôlent et se croisent. Fatale, l’odeur de la pollution prend aux poumons. Nuage transparent de gaz pestilentiels, la saveur sèche des pots d’échappement imprègne la langue, s’infiltre dans la gorge. Dehors, les lampadaires éclatent de lumière, ils jouent du pied avec les feux des voitures qui s’enchaînent. L’épopée continue, traverse la ville et laisse découvrir des rues aux échos vivants, aux silhouettes humaines, aux odeurs savoureuses. Certaines enseignes colorées rappellent des marques familières tandis que l'avenue de l’Indépendance se déroulent sous les yeux (1960). L’arrivée est brutale, mais palpitante. Elle éveille les rires, chatouille les émotions, effleure l’insouciance.

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Les chiens aboient, le soleil s’est levé et caresse mon visage encore endormi. La ville bourdonne, ses trois millions d’habitants s’agitent et emplissent les rues. Le bruit s’élève et grandit, les voitures vrombissent, les motos crachent leurs fumées blanches, les klaxons retentissent, les bus se suivent et trébuchent. Dans les dédales bruyants, nous progressons lentement tandis que de jeunes enfants à la rue nous interpellent. Tel un flot continu, les demandes d'argent se font de plus en plus récurrentes. Sur nos visages des regards perturbés, tristes, décontenancés et surtout impuissants. Une jeune femme tient son bébé dans les bras, la tête ballante, il tête le sein nu maintenu de tissu coloré. Les yeux de la mère sont grands ouverts, sa main vide tendue vers nous en signe de quémande.

Plus loin, deux grands escaliers se font face, ils arborent des parasols aux nuances pâles, tannées par le soleil cuisant. Au fil des marches, de petits vendeurs installés à même le sol se multiplient. Avocat, poisson, viande, chaussures, couture, machine à écrire, orange, épices, céréales : les passants montent et descendent en un ascenseur vivant et festif. De loin, des musiques rythmées se font entendre, je tressaille des milliers d’informations qui m’accaparent. La circulation assourdit les tympans, la poussière fuse et assaille la respiration, les trottoirs déchirés anéantissent et saccadent la démarche, les passants s’entremêlent en une foule mouvante organisée et puis, toujours, les demandes d’argent se répètent. La vie à mille à l’heure, la vie colorée et sans répit, la vie en musique, la vie malgache simplement.

Ce soir, attablés sur la terrasse, nous surplombons la ville aux frontières infinies. La capitale se déroule, sonore et bruyante. Les bâtiments innombrables s’accumulent, s'entassent, se superposent. Des rues s’élèvent des volutes de poussières obstruant la vue, laquelle regorge de bâtisses agglutinées. Au loin, les montagnes embrumées se dressent, elles revêtent un aspect chimère dans leur nuage pollué. Dans le ciel sommeillent des rosés flottants, des bleutés endormis, des flocons éphémères parsemés dans l’azur éternel. La vision violette du ciel m’est familière et calme mes pensées embuées. Douce, la soirée prend le reflet des prochains aurevoirs, d’accolades dans l’attente d’arriver sur nos lieux de mission respectifs.

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5h30. Le cœur chavirant, Steph et moi partons en compagnie de Manassé et Taratra, nos référents, après de doux rires sur la terrasse de l’hôtel citadin. L’embuscade commence à travers la capitale chamboule-tout aux images de rues en zigzags, de corps secoués, de pollution dans les poumons, de fesses engourdies et de premières belles nausées. Bientôt, nous nous éloignons de la ville, progressant lentement entre les camions et les taxis brousse âgés et épuisés. Les fumées noires virevoltent derrière les véhicules tandis que les molécules de poussière pénètrent l’habitacle en nuages volatiles, salés. Peu à peu, la végétation apparaît, dense, verte, fraîche, vulnérable sous les nuages menaçants. La route dessine un véritable circuit tumultueux dans les collines aux rizières humides. L’air paraît plus pur, les visages se détendent dans l’attente impatiente de découvrir notre lieu de mission. Le sourire aux lèvres, Manassé nous montre du doigt l’église du village au loin : à quelques pas, nous logerons et travaillerons trois mois.

Une dernière montée caillouteuse et l’engin stoppe sa course. Petit chemin terreux bordé d’herbe, nous suivons nos chers amis vers notre future maison. Passé le parvis de la cour au décor végétal, nous arrivons sous le porche de la maison, toutes deux accueillies par les enfants de l’orphelinat et la famille de Taratra. Intimidés, les enfants nous observent avec de grands yeux ronds noisettes, souriants et silencieux. Mon cœur se serre et j’éprouve une vague de tendresse immédiate. Immédiatement, le couvert est servi et nous mangeons tous les quatre attablés à l’arrière de la maison.

L’après-midi est synonyme de surprises et de bonheur simple : déambulant les uns derrière les autres, les deux amis nous guident vers les chemins amenant aux collines avoisinantes. De passage par leur pisciculture, créée dans le but de financer leur orphelinat, nous continuons notre route vers les cultures rurales. En équilibre sur les boudins de terre damée situés entre les parcelles, poireaux, salades, carottes, pommes de terre, manioc, courges et haricots jouent des coudes pour garder leur place. Je lève la tête et aperçois les strates qui surplombent la vallée sillonnée d’une rivière d’eau claire. Agenouillées, des femmes lavent le linge sur de grandes pierres lisses puis l’étalent soigneusement sur les rives ensoleillées.

Quelques pas plus loin, nous trempons nos pieds dans le flot continu de l’eau jusqu’à la spectaculaire glissade de Steph, instant marqué par les rires appuyés de nous autres. Comme suite vient le triple challenge de Manassé, lequel consiste en une série de passages vertigineux au niveau de difficultés crescendo. Ponts du chemin de fer en hauteur, seules les poutres et quelques fines planches clouées sont les appuis de nos pas incertains. Nature environnante au souffle calme et paisible, quelques zébus, vaches et chiens osent rompre le silence de plomb. Au retour, valises et sacs sont ouverts pour l’inventaire du matériel scolaire apporté. Celui-ci trié, nous le partagerons en deux pour les enfants de l’école voisine et de l’orphelinat.

La journée ne semble pas avoir de fin, elle s’étire en une joyeuse symphonie. Barricadées dans nos moustiquaires dans une vaine tentative de mise en place ratée, voilà Manassé qui toque à notre porte : la tête glissée entre le bois de lit et le tissu auréolé, nous lui assurons dans un fou-rire non maîtrisé qu’il peut rentrer. Juste derrière, Taratra arrive à son tour apportant des bières THB ainsi que les fameux apéritifs nommés « cacas pigeons », sinon le doux nom de gâteaux apéro allongés et croquants faits de beurre et de farine. En deux secondes, les guitares sont amenées et les notes s’élèvent, belles et enjouées, dans l’atmosphère signée des rires des enfants au rez-de-chaussée. Les musiques s’enchaînent, nous chantons sous les airs de Tom Frager, sous les charmes de Jason Mraz, sous les rimes de Francis Cabrel et sous les accords de Johnny Hallyday. L’instant paraît magique, inespéré, voire irréel. Assis en tailleur sur le plancher, les gorgées sont bues, les paroles sont prononcées, les regards heureux ravivent la convivialité présente. Là, ce premier soir, entourée de ces personnes merveilleuses, je me sens légère et reconnaissante. Là, à la nuit tombée, je survole mes rêves à l’image de cette belle Lady Melody.

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Publié le 4 juin 2023

Steph douloureusement atteinte de tourista, c'est seule que je rejoins les garçons ce matin. Gentiment, Taratra me guide vers l’école dans laquelle nous interviendrons dès mercredi afin de sensibiliser les enfants au français. Descente vers la route principale du village, commerces et vendeurs emplissent les maisonnettes, c’est un lieu de passage vivant où les passants se croisent et se saluent de manière amicale. Plus tard, le soleil brille, les nuages marchent en file indienne au souffle du vent. Sous le porche de la maison, deux paillasses sont disposées, maillage de longues feuilles sèches. Tous agenouillés, les enfants s’appliquent dans la réalisation de leur peinture. Du plus petit au plus grand, concentrés, ils tracent de belles courbes aux icônes de fleurs, de soleils colorés, de châteaux idéalisés, de nuages bleutés. Des jaunes, des verts, des rouges, des violets, des oranges, l’heure est aux nuances vives et chaleureuses à l’image de leur joie de vivre. Les heures passent inlassablement, toujours leurs regards restent pétillants, curieux, dévoués. Alors que la peinture sèche sous la chaleur des rayons, des musiques malgaches résonnent doucement par la fenêtre, belles mélodies entraînantes. Une fois les œuvres terminées, voilà venu le moment de les accrocher dans la chambre dortoir. Quelques bouts de ficelle et quelques pinces suffisent à créer de belles guirlandes, lesquelles octroient de jolies touches colorées à la chambre. Chose faite, les revoilà de nouveau sur la paillasse, tous excités à l’idée d’en refaire une vingtaine de plus.

Ce soir, j’entends soudain des accords de guitare provenant du dortoir, lesquels ravivent la flamme de la nuit silencieuse du village. À tâtons, je descends les escaliers et m’assois sur le lit à côté des enfants qui chantent à tue tête. L’instant est précieux, si beau, si authentique. Les chansons s’enchaînent, les filles offrent leur voie pleine de pureté tandis que les garçons ajoutent au chant une profondeur sublime. Tenues par Taratra et Manassé, les deux guitares dévoilent des notes aux reflets de lumière. Assise, je chantonne les paroles malgaches juste avant que Sous le vent et Aurevoir Monsieur le professeur soient cantonnés avec engouement.

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Publié le 5 juin 2023

Éveil hivernal. Allongée, je baille et et m’étire. Il est 6h, les coqs signalent le début de journée, les oiseaux scintillent de leur plus beau chant, les enfants papotent timidement en frottant leurs yeux encore endormis. Quelques pleurs se font entendre, secoués de toussotements successifs. Heure matinale, je m’installe en tailleur sur la paillasse, le visage réchauffé par le soleil ascendant. Deux trois feuilles blanches sont étalées par terre, Princi et Norine me regardent avec enthousiasme. Le stylo à la main, je leur annote quelques exercices d’écriture, puis des additions afin de mesurer leur niveau. La petite leçon impromptue se clôt par une histoire enfantine, toutes trois la lisant lentement à haute voix. Soudain, les rires fusent : Sitraka est dans l’arbre et nous observe depuis sa hauteur. Avec effort, il récupère les petits fruits dorés provenant de ce « pibasy » (Nèfle du Japon). Juteuse et sucrée, la chair tendre et fraîche du fruit fond dans ma bouche telle une vague orangée. Taratra s’approche et m’enseigne, « voankazo » signifie fruit tandis que « voninkiazo » signifie fleur. Sans attendre, je répète après lui les mots afin de les mémoriser.

L’après-midi prend la forme d’un récit sportif sur un terrain poussiéreux de terre battue. Tournée de volley, de football et même de rugby, la tripotée d’enfants de trois à dix-sept ans regorge d’énergie et défie la loi du soleil tenace. Aller-retours à n’en plus finir, de fines perles de sueur dégringolent sur mes tempes alors que les jeux de balle continuent à en perdre haleine. Les adorés sautent, courent, s’esclaffent, c’est un manège festif à contre-courant.

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Ce matin, nous traversons la rue commerçante du village en compagnie de Manassé. Quelques minutes d’attente et nous prenons place dans le bus en direction de la capitale. Les primaires et collégiens ayant bientôt leur examen de premier cycle, du matériel scolaire manque encore pour finaliser leur trousse d’école. Après presque deux heures de trajet et des secousses endurées, nous retrouvons la terre ferme ainsi que l’atmosphère lourde et cuisante de Tananarive. En raison de la fête de l’Indépendance qui arrive à grands pas, la ville affiche des préparatifs non loin de la mairie. Proclamée le 26 juin 1960, elle fait suite à un processus de négociations entre l’élite politique malgache et le gouvernement français, qui avait d’ailleurs colonisé le pays soixante-cinq ans plus tôt.

Le trafic est infiniment dense, les nuages de poussière brouillent la vue, le brouhaha constant assourdit à force de rues parcourues. Nos emplettes effectuées, nous pénétrons soudain dans un marché extérieur construit de cabanons abrités de parasols. Les dédales sont étroits, mystérieux, surprenants et prennent des allures de labyrinthe vivant. Dans ce panache extraordinaire et contre toute attente, l’organisation règne et divise sensiblement les différents types de marchandises vendues. Me glissant à travers une mince allée ombragée bordée de tissus colorés et de linge de maison soigneusement plié, le coin suivant regorge de chaussures suspendues habilement aux barres métalliques des parasols.

Deux pas plus loin, le matériel scolaire s’en donne à cœur joie tandis que les étalages de légumes éclatent de leur splendeur fraîche et naturelle. Aussi, les vendeurs à la volée se succèdent, hèlent et interpellent sans relâche les passants. Tampons et encre, beignets, soupes, forfaits téléphoniques, instruments, lunettes de soleil, rasoirs, tout est prétendument vendable, tout saute aux yeux et tout se négocie. Il est 14h. Ma peau chauffe au soleil, la sueur trempe mes reins, ma bouche est sèche et déshydratée. Nous repartons. Station de bus atteinte, encore un peu d’attente pour le départ.

Premiers dans le bus, Steph s’assoit et s’enfonce majestueusement au plus profond du siège branlant : le trajet s’annonce folklorique. L’engin débute sa course, le levier de vitesse tremble à n’en plus finir, les bosses secouent péniblement dans les corps, le bruit assourdissant de la route décharnée devient insupportable. L’épopée perdure, la machine tient bon tandis que le conducteur la stoppe tous les deux cents mètres pour avaler quelques passagers. La périphérie est grande, en sortir relève d’obstacles allongeant considérablement la durée du trajet. Continuellement, l’allure ne dépasse pas les 40 km/h, quelle aubaine quand - par chance - le véhicule tout terrain atteint les 50 km/h.

Aussi, il ne faut pas négliger la pratique essentielle de la roue libre en descente : gain de temps et gage d’économies d’essence. La pollution ambiante est bientôt derrière nous, l’air frais s'infiltrant par les fenêtres caresse nos visages rougis. Toujours, les sièges engourdissent nos membres désormais ancrés dans l’antique mousse. Quelques gorgées de Youzou *limonade sont bues pendant que les paysages verdissent et deviennent de véritables plages de relief. Prenant de l’altitude, les minutes passent insensiblement et le bus fend les rues grouillantes de monde tel un bélier invincible. Apres rizières et champs cultivés, bientôt l’église d’Anjeva apparaît au loin. En fin de course, le bus parvient finalement au village comme Ulysse ayant affronté cyclopes, sirènes et créatures monstrueuses.

Il est 16h et la nuit tombe déjà dans une heure. Le paquetage fait, nous partons de ce pas vers la rivière, laquelle sillonne poétiquement le creux de la vallée montagneuse. Les pieds au bord de l’eau, nous frottons énergiquement nos vêtements savonnés avant de les plonger dans l’eau fraîche. Lessive faite, je lève la tête et observe le ciel descendant aux lueurs vives. Un bruit attire mon attention, ce n’est autre qu’un garçon traversant timidement le courant avec sa génisse tachetée. « Fitiavana » (amour). P.S. : je vous présente notre nouvel ami le chien, le dénommé Mulhouse.

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Publié le 8 juin 2023

Matinée rafraîchie par la pluie nocturne, l’activité du jour sera la confection de bracelets brésiliens. Grâce au don d’une vosgienne généreuse, nous distribuons les pelotes de fil et prenons leçon de Mama Be sur le fameux nouage. Appliquée, elle explique et répète le déroulé de l’exercice à chacun de nous, tous rassemblés en tailleur autour d’elle. Son visage est ravissant, le teint mat, les yeux foncés, les cheveux noirs tirés en arrière, le sourire doux et bienveillant.

De manière inattendue, l’activité ne prend fin qu’après trois heures de concentration, trente mille bracelets réalisés et des pelotes de nœuds à ravir. Miranto, Faniry, Josy, Princy, Tolotra, Nekena, Doda, Miray et Norin enchaînent les bracelets, se passent les ciseaux, s’entraident mutuellement, tirent les fils, puis enfin nouent les liens autour des bras et des chevilles.

Plus tard, la nuit rattrape le soleil et la pesanteur nuptiale s’installe. Douche au seau et à la cruche terminée, je pénètre dans la chambre des enfants et aperçois Miranto et Faniry à la besogne : lissage de cheveux à l’aide d’un fer à charbon de bois. Attentionnée, Faniry porte le fer et l’applique doucement sur un tissu protégeant le cheveu. L’expérience dure et souligne la volonté de s’apprêter, de se sentir bien dans sa peau. Méthode à l’ancienne et pourtant bien efficace. Pour toutes choses, la patience est le maître mot à Madagascar.

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La soirée d’hier se résume en chants et en danses rayonnantes. Mélange de malgache et de français, tous réunis dans la chambre des enfants, guitares et voix diffusent des élans de bonheur dans les airs. La nuit enveloppe les cœurs de douceur et de tendresse. Sur le tempo aux influences africaines, les corps bougent, se touchent, se retrouvent en un théâtre mélodieux. Mama Be, Mama Zo et tous les enfants cantonnent les paroles avec un engouement presque bouleversant. Les bras tendus vers le ciel, les mains clappées, les jambes pliées puis levées, les pieds tapant en rythme le sol, l'énergie est de mise.

Assis sur le lit à étage, Taratra et Manassé accompagnent les paroles de notes maîtrisées tandis que Tolotra filme l’inoubliable scène. Sur Tom Frager, les paroles ayant été recopiées et accrochées au mur, les enfants s’enorgueillissent et chantent à merveille. Mon cœur chavire, mes yeux scintillent au cœur de cette étoile magique. Alors toutes deux couchées à l’étage, nous entendons encore les douces voix enfantines chantonner la merveilleuse Lady Melody.

Aujourd’hui réveillées de bon matin, avant d’intervenir à l’école cet après-midi, nous entreprenons une promenade jusqu’à la montagne avoisinante en compagnie de Mama Be, cuisinière du centre et maman de deux enfants. Montant doucement, le paysage vallonné se dévoile et révèle une vue panoramique saisissante. A l’arrivée, toutes trois debout sur le rocher culminant, un vent frais souffle et ravive le bien-être ressenti. D’infimes nuages tracent des ombres parcimonieuses sur les pans montagneux, sur les villages éparses, sur les rizières en contrebas. Le bleu azur du ciel contraste avec le vert percutant des cultures ensoleillées, c’est un instant paisible entremêlé de discussions diverses.

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Publié le 9 juin 2023

Il est 16h30, l’heure parfaite pour gravir la montagne avoisinante, l’heure exacte à laquelle le coucher de soleil endormira la vie bourdonnante. Parvenues au sommet, une bouffée de chaleur m’envahît, elle se diffuse dans la légère brise, s’évanouit à la descente des rayons lumineux.

Je baisse le regard. Les feux de poubelle dispersent une fumée blanche au-dessus du village, les bruits de klaxons sévissent, le train qui passe fend les airs. De lointaines percussions se font entendre, elles résonnent entre les vallées sous nos pieds. Puis, dans l’ensemble virevoltant, quelques aboiements jaillissent et se noient dans les cris d’enfants quittant les bancs de l’école.

Autour de nous, des arbrisseaux luisants peuplent la végétation et, discrètes, des maisonnettes de briques s’immiscent avec leurs toitures de paille ou de branches fagotées. Bientôt le soleil concourt avec l’ombre obscure des montagnes. Le ciel se métamorphose en un vermillon doré, étendue flamboyante aux teintes sucrées. Alors disparaît-il totalement et laisse place à cette brume rosée qui enveloppe de ses bras de coton les limbes rocheuses et vallonnées.

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Pour parvenir à bon port, Madagascar suppose un périple indubitable sous le signe de patience et de fatigue accumulées. Première étape, il s’avère de quitter Anjeva Gare en bus pour atteindre Tananarive : 1h30. Deuxième étape, depuis la gare routière de Mahavo, s’équiper de poigne et négocier allègrement le coût du taxi afin de rejoindre la gare de la société de transport Cotisse : 30 minutes. Troisième étape, repérer son taxi brousse à la gare et embarquer jusqu’à la descente à la ville de Moramanga : en principe 3 heures. Quatrième étape, réserver un logement sur place puis déchiffrer les destinations des bus pour parvenir à notre fameuse réserve nationale d'Andasibe : 40 minutes.

Le taxi, c’est une machine bruyante, elle ronronne à cœur et rappelle le moteur d’un tracteur. En avant toute dans une Renault 12ts. La circulation ressemble à une fourmilière grouillante, entre klaxons successifs, poussière et embûches. A chaque coup de frein damné, la banquette arrière sursaute, la roue de secours dans le coffre ouvert dévale la moquette millénaire et provoque des secousses répétées dans le dos, dans le corps tout entier en fait. Dans le taxi brousse, c’est une toute autre ambiance, un autre monde, une nouvelle expérience riche en surprises. Bus tout terrain, l’habitacle cumule dix-sept places assises, on pourrait les définir comme des « demi-couchettes » quelque peu rembourrées, à l’appui tête de simili cuir noir positionné de travers. À côté de moi, une femme originaire de Tamatave, élégante, de rose vêtue, ornée de bijoux fins et dorés, aux ongles soigneusement vernis, m’indique que la chaussée jusqu’à Andasibe est l'une des plus endommagées… à confirmer ?

Au premier abord très respectable, la route devient rapidement une calamité faite de bouts de goudron puis de bandes caillouteuses jonchées de trous. Sillonnant la vallée, les montagnes feuillues nous entourent tandis que le bus fend les airs en tressautant quasi inexorablement tous les trois mètres. Minutes accordées pour la sieste, qu’a cela ne tienne je fais soudain un bond spectaculaire en m’écrasant contre le siège avant, m’octroyant par là deux jolis hématomes sur les tibias. Au milieu des rizières, le zigzag rocheux continue. Soudain, machine à l’arrêt, j’observe la scène à travers le pare-brise : bouchon inévitable causé par les camions qui tentent de survivre malgré eux. Montées, descentes, chaque véhicule traîne et laisse derrière lui de splendides nuées noires provenant de leur pot d’échappement brûlant, à deux doigts de rendre l’âme.

Gravissant les cols, la chaussée prend des allures pitoyables, toujours plus décharnées, encore moins praticables. Les vitres tremblent à tel point qu’elles en viendraient presque à tomber de leur encadrement de caoutchouc. Au lieu de trois heures prévues, nous parvenons à Andasibe quatre heures plus tard. Pourquoi Andasibe d’ailleurs ? Andasibe-Mantadia est un parc national désignée comme aire protégée. Forêt primaire, le parc fut créé en 1989 et est surtout connu pour sa vaste population de lémuriens endémiques, à l’image du mythique Indri-Indri. En région d’Alaotra-Mangoro, la réserve compte plus de 15000 hectares. Forêt naturellement dense et humide, la biodiversité y est unique. Près de 82% de la faune et de la flore sont considérées comme endémiques. Les pieds devant l’entrée, notre fameux Marcel - guide officiel de la réserve depuis vingt ans - nous précède et nous indique le chemin.

Petit, à l’allure fine et élancée, le sac sur le dos, le pantalon imperméable ajusté, la chemise à carreaux d’Indiana Jones sur le torse, notre bonhomme évolue dans le milieu végétal avec aisance et rapidité. Silencieux, l’ouïe à l’affût, sa démarche est fluide et maîtrisée. Depuis tant d’années il sillonne les sentiers étroits de la réserve et son œil perçant en connaît les moindres recoins. Selon ses dires, le parc abrite 108 espèces d’oiseaux, 72 espèces de mammifères, 51 espèces de reptiles ainsi que 350 espèces d’insectes.

Derrière Marcel, nous enjambons ci et là les racines arc-boutées, les branches aux feuilles dentelle, les fougères aux troncs longs et fins, les camélias invasives par milliers et les pandanus aux palmes craquantes bordées d’épines. Je me baisse, me relève, observe la nature et m’étonne de cette forêt chaude à la végétation luxuriante. De manière spontanée, Marcel nous délivre les secrets des plantes en citant leur famille et leur utilité : évidemment, les espèces s’enchaînent et deviennent innombrables au fur et à mesure de notre avancée. Le regard vers le ciel, j’appréhende l’ampleur des grands tamariniers sacrés, lesquels s’épanouissent fièrement dans le bleu azur. En deçà, les fougères s’accrochent péniblement aux arbres, les eucalyptus se déversent en nombre et les palmiers royaux surprennent de leur majesté aisée. Aussi, les bambous se multiplient et affichent leur diversité, Marcel en pointe un du doigt et explique que son bois est usuellement transformé en instruments, l’eau coulant naturellement en son sein. Soudain, il stoppe sa course et tend l’oreille. Prudemment, nous nous exécutons et faisons de même. Puis en un bond renversant, Marcel se baisse et l’instant devient alors magique. Devant nous le spectacle incroyable de trois indri indri postés à quelques dix mètres de hauteur, primate étant le plus grand lémurien vivant au monde.

Diurne, le « Babakoto » est endémique de Madagascar. De leur ramage fabuleux, d’une stature droite, nous observons les trois individus au flanc blanc et dos noir, leurs longues pattes s’allongeant pour grimper et se suspendre aux branches. Notre guide les épie, saute de racine en racine et nous le suivons avec une dextérité douteuse. Concentré, les yeux vers le ciel, il nous explique que l’animal est monogame et qu’il vit en groupe familial. Parmi le millier de indri restant dans le monde, nous apercevons un triplé, quel miracle en sachant qu’ils ne se reproduisent qu’une fois tous les trois ans du fait de leur monogamie.

Feuilles, fruits et graines représentent leur principale nourriture. Merveille, nous percevons tout à coup de puissants cris provenant des environs : ceux-ci marquent leur présence et peuvent s’entendre à 4km à la ronde. En pleine recherche, les primates s’agrippent et décuplent les sauts d’arbre en arbre avec une agilité troublante. Sursaut, un autre guide arrive en courant, à toutes jambes, ils dévalent ensemble le ravin en empruntant un « chemin » à peine perceptible. Regard loufoque échangé, nous faisons de même. L’humidité est omniprésente, la chaleur ambiante, l’air presque manquant. Les passages sont mystérieux et nous conduisent vers les tréfonds de la réserve, ils s’effacent et deviennent presque clos par le feuillage dense et serré. Bond ! Au-dessus de nos têtes, les sifakas dorés apparaissent, souples et agiles, ils scrutent nos visages attendris par la beauté sauvage. Marcel, tel un véritable Jami, nous affirme que cette espèce de primate est polygame, qu’elle se reproduit par ce fait une fois par an.

La journée touchant à sa fin, notre guide nous ramène d’un pas décidé à l’entrée du parc et nous salue, sa fine silhouette s’éloignant au loin. Une vingtaine de minutes de marche puis nous parvenons à notre cahutte négociée plus tôt à 60 000 ariary au lieu des 80 000 ariary proposés par la directrice. Scène de la négociation : « 80 000, exige-t-elle. Non, 60 000, répond Steph. Non, 70 000, poursuit la directrice. Non, toujours 60 000, répondis-je. Elle fait non de la tête, nous faisons mine de partir, main levée de la chère dame : Okais, c’est okais 60 000 ». Victoire !!! A l’intérieur de la chambre, le lit est double, entouré d’une moustiquaire suspendue, spécialement agrémenté d’un tissu baldaquin absolument remarquable : faux satin rosé bordé d’une lisière blanche probablement vieille de cinquante ans de bons et dus service. Avant la tombée de la nuit, la petite dame nous donne en mains propres les serviettes de bain, Steph demande alors gentiment : « Y a-t-il de la wifi ? ». La réponse fut un déclin de la tête ainsi qu’un regard biaisé : « non, avec réduction, pas wifi ». Ah, nous voilà donc punies ! Bonne nuit !

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Publié le 12 juin 2023

Journée épatante, sinon imprévisible. Pensant faire une grasse matinée des plus requinquantes, voilà que nous nous éveillons à 6h pétantes. La bouteille sous le bras - du fait de l’eau non potable partout - nous partons gaiment vers la réserve nationale avec un but en tête : pénétrer dans la forêt tropicale en contournant l’entrée et donc éviter de payer les 45 000 ariary demandés aux étrangers. L’épreuve s’annonce plus compliquée que prévue. Première tentative : échec. Deuxième tentative : échec. Imaginez-vous d’abord un petit chemin bien marqué, lequel s’enfonce dans la forêt humide. En somme un chemin des plus encourageants. Cinquante mètres parcourus et la belle rivière du parc s’allonge à nos côtés, sombre et mystérieuse, surmontée de milliers de toiles d’araignées géantes. Déjà, le sentier semble s’évanouir, nous persévérons. Camélias de toutes parts, troncs obstruant l’horizon, branches feuillues et terre glissante. Nous persévérons. Nous montons, nous dérapons. Nous nous regardons enfin, peut-être désespérées, et rebroussons chemin. Troisième tentative et des plus inattendues : voici l’entrée parfaitement ouverte du parc des orchidées, lequel se loge au creux de la réserve naturelle. Aubaine ! Coup d’œil à droite, coup d’œil à gauche, on fonce !

Comme par évanescence, voici le plan d’eau bordé de vanilles juste en face de nous. Alors orientées, nous tendons l’oreille et décidons de bien vite nous engouffrer dans la dense végétation. Objectif : ne pas croiser le chemin d’un guide. Qu’à cela ne tienne, Inshallah. Tout à fait épanouie dans cette nature digne d’un conte, je marche dans les pas de Steph, silencieuse, heureuse, le cœur battant. De peur ou de bonheur ? La tête en arrière, les variétés de plantes m’impressionnent, elles s’expandent dans un infini lumineux et verdoyant. Palmes, fougères, arbres centenaires, le sentier se divise et forme un véritable labyrinthe dans lequel nous progressons lentement, à l’affût du moindre bruit. Les détours se croisent, s’entremêlent, se rejoignent, passent et repassent tandis que le temps s’étire. Tout à coup, un mouvement sollicite ma curiosité et des éclats de branches frissonnent. Des feuilles tombent, je plisse les yeux et entrevois un groupe de lémuriens aux aguets. Les oreilles rondes levées, la queue douce et soyeuse en lévitation, les pattes fermement accrochées à l’écorce, ils nous observent et jouent à la statue.

A voix basse, je murmure quelques merveilles et reste ensuite sans voix. Quatre ou cinq individus sautent d’arbre en arbre, s’arrêtent puis reprennent leur folle farandole, laquelle se voit subitement sublimée par les cris lointains des indris indris.

Poursuite de l’excursion, toujours aucune présence humaine autre que la nôtre. Que dis-je ? Le groupe de primates s’éloignant, nous empruntons les sentiers battus et tentons de les suivre à pas mesurés. Dans notre élan, l’excitation devient palpable, l’euphorie presque à son paroxysme quand — une voix toute proche résonne, regards de fou échangés — nous tournons les talons en moins d’une seconde et courrons comme des hystériques en quête d’une cachette. L’adrénaline est à son comble, mon cœur bat la chamade alors que nous rigolons à ne plus pouvoir s’arrêter. La voix s’éloigne puis disparaît, sauvées. Hasard des plus fabuleux, je lève la tête et aperçois l’ombre d’un nid d’abeilles : non, plus précisément, une tête de lémurien qui me scrute. À nouveau, une débandade de sauts et de doux grognements à peine audibles forment le théâtre d’une scène organisée. Souples, rapides, ils s’envolent, manquent d’effleurer le sol puis rebondissent d’une agilité déconcertante. En fin de compte, l’entrée du parc de la veille fut tout à fait rentable puisque nous n’aurons rencontré aucun guide, et ce jusqu’à notre sortie clandestine et clopinante entre deux tuktuks flambant leur moteur sur la route attenante.

Qu’en est-il du retour à Anjeva Gare ? Facile, dites-vous ? Semé d’embûches, très certainement. N’ayant prévu ni hôtel ni retour lors de notre départ samedi matin, nous avons pris les choses en main directement sur place - notamment parce qu’il nous était impossible de réserver en avance. Grâce à l’aide de notre Manassé alias Mana alias Papa, un taxi brousse Cotisse nous avait été réservé pour cet après-midi, lequel partait de Tamatave et devait atteindre Andasibe vers 13h00. Pimpantes de notre virée tropicale au parc et revigorées par un délicieux plat malgache constitué de riz, d’un bouillon et d’une côtelette tomatée, nous rejoignons - toutes fluettes - ladite route passante du village qui représente l’unique grand axe reliant Tananarive et Tamatave, ville située sur la côte Est jusqu’à laquelle 14 heures de trajet sont nécessaires.

Splendide, un bus Cotisse arrive pile à l’heure. Je demande au conducteur nos deux places, il me répond : « bus d’après, dans une heure ». Incompréhension puis attente d’une longueur interminable. 14h00, splendide, un bus Cotisse arrive ! Je demande au conducteur nos deux places, il me répond : « bus d’après, dans une heure et demie ». Incompréhension totale, inquiétude, angoisse. Quatre heures de trajet sont une réalité pour parcourir les 130 km séparant Tananarive d’Andasibe. Notre réservation existe-t-elle seulement ? Doute, immense doute : arriverons-nous simplement à rentrer en sachant que nulle monnaie ne nous reste ? Si notre bus arrive à 15h30, nous atteindrons la capitale à 19h30, heure à laquelle plus aucun bus ne circule jusqu’à notre cambrousse. PANIQUE.

Assises sur un pot de fleur en béton, la tête seulement ombragée de quelques palmes irisées, nos visages se décomposent et prennent une teinte verdâtre. Attente, attente, attente. Nous changeons de banc, ça divertit, ça nous fait oublier cette fâcheuse posture. Les deux trottoirs qui se font face, nous les connaissons désormais par cœur. 15h10 : cadeau divin ! Un bus Cotisse arrive ! Mécaniquement, nos fesses à demi levées du siège, nos regards désespérés rencontrent celui du chauffeur. Délivrance pour nous, une simple montée de passagers des plus banales pour lui. Alors, une nouvelle épopée débute, histoire interminable ponctuée de latence abandonnée et de rires loufoques non contrôlés. Voyage en taxi brousse turbulent, massacrant, flanquant nos visages fatigués d’un tumulte infernal. C’est peu dire. C’est en effet peu dire de notre piteux état, lequel prend une ampleur phénoménal au fil des heures. Tout en finesse, le conducteur, grand déjà de ses actuelles huit heures au volant, monte le volume des basses qui grésillent. Le tintamarre aux sonorités malgaches et européennes ne cessera à aucun moment, peut-être même que le son fut augmenté crescendo, mon ouïe évanouie ne saurait le dire.

Au même rythme que la musique, les secousses se succèdent, sans cesse elles se déchaînent et dépècent le corps en maux devenus impuissants. Le calvaire est inexplicable, il est pourtant bien normal ici. Imaginez-vous des embardées tous les cinq mètres, imaginez-vous des accélérations douloureuses à chaque minime possibilité de doubler un camion, un passant, une moto ou encore une charrette, puis imaginez-vous des coups de frein intempestifs à chaque trou rencontré sur la « chaussée ». Croisant encore le regard dépité de ma collègue, je dirige ma tête vers le ciel étoilé et souris doucement de cette aventure singulière jusqu’à ce qu’une nouvelle secousse bombarde le véhicule.

Il est 19h30. Nous franchissons l’entrée de la station Cotisse et, au bout du rouleau, cherchons du regard notre Papa malgache. Miracle, nous le trouvons tout à fait serein, tout sourire, debout, les mains dans les poches, nous attendant depuis plus d’une heure et demie sur le quai. L’engin cesse de ronronner, la porte qui ne se fermait pas est « ouverte », nous nous glissons difficilement, les sièges enfoncés dans le ventre, et descendons. Sur la terre ferme, Manassé vient à nous en toute détente, nos sourires sont à deux doigts de se transformer en pleurs d’euphorie et de soulagement. Exagéré, avez-vous dit exagéré ? Aussi étrange que cela puisse paraître, nous étions bel et bien dans un état second. Le final ? C’est encore une heure de trajet en taxi jusqu’à notre maison où, de façon irréelle, les enfants nous accueillent en câlins et en rires merveilleux, portant à leurs visages des masques joliment colorés et confectionnés par leurs soins. Tout notre désespoir envolé !

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Publié le 14 juin 2023

Que serait Anjeva sans nos cours à l’école du village ? Intervenant tous les jours, nous retrouvons une fois sur deux les CP et les CE-CM. À pied, nous traversons la rue passante et passons à travers champs pour aller à école. Petits magasins, camions, bus se partagent la chaussée tandis que les zébus, les vaches et les poules peuplent les jardins de légumes. Toujours, le soleil est déjà descendant à 13h puisqu’il se couche à 17h30. Chaud, il provoque suées et essoufflements tandis que notre démarche s’efforce d’être rapide pour arriver à l’heure. A chaque jour les retrouvailles, lesquelles se caractérisent par la course effrénée des enfants rigolant et nous accueillant joyeusement vers le portail de bois cloué. A chaque jour les merveilles, lesquelles représentent la volonté de comprendre et d’apprendre des enfants, patience et participation comme images symboliques. A chaque jour les cours et les animations, lesquelles mêlent découvertes et activités ludiques en vue de proposer de nouvelles perspectives pédagogiques.

Les après-midis, à l’arrivée, les enfants sont silencieusement assis à leur bureau par trois. Ils sont quarante, souriants, les yeux ronds foncés, la mine enthousiaste. Nous entrons le sourire aux lèvres : « Salama ny ankisy », bonjour les enfants, auquel ils répondent en cœur « bonjour mademoiselle ». Toujours partants, les débuts sont timides puis deviennent peu à peu conviviaux, comme si une forme de confiance réciproque s’installait au fil des moments partagés. Tout d’abord réservés, certains et certaines dévoilent progressivement leur énergie, leur caractère et leur personnalité en un feu scintillant, presque aveuglant de volupté, de béatitude, d’enchantement.

En promenade avec Manassé, Taratra et les enfants, nous traversons les rizières humides aux reflets bleutés et parvenons bientôt à la rivière. Lisses, argentées, les pierres érodées des rives forment un passage accessible aux hommes et aux zébus. À la queue leu leu, nous nous asseyons bien vite et trempons nos jambes dans l’eau fraîche. La complicité est de mise, les rires fusent et se déversent en cascade fluorescente dans l’air chaud. Comme à son habitude, le petit Josy court, saute, crie de joie et multiplie les blagues. Tout à coup, nous l’entendons s’esclaffer et courir à toute allure derrière nous. Du bout du doigt, il rit, il rit et rit encore jusqu’à ce que l’on aperçoive une plaque sèche de caca de zébu flotter à la surface, laquelle suit le courant et percute nos pieds. L’action se transforme en véritable activité ludique, à peine la crotte perdue de vue qu’il recommence à en décoller au sol : si la sandale ne suffit pas, les ongles sont mis à profit pour s’en accaparer et les lancer avec entrain !

Les lancés spectaculaires s’enchaînent, Josy n’est jamais fatigué ! En parallèle, les éclaboussures d’eau touchent tout le monde, chacun se protège avec difficulté. Le soleil se couche, nous rebroussons chemin, enjambons les champs, remontons les sentiers escarpés, atteignons enfin le chemin de fer conduisant au village. Le train de marchandises ne passant que quelques fois par semaine, la voie est libre, les enfants progressent en équilibre sur les rails, à l’instar de gymnastes sur des poutres. Agiles, ils s’élancent même et courent de plus belle tandis que notre chien Grognon fatigue de tout ce remue ménage.

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Publié le 17 juin 2023

Aujourd’hui, nous le savons depuis quelques jours déjà, c’est un grand jour : nous fêtons l’anniversaire de Sitraka. L’heure est à la tâche et au rassemblement général : la maison doit se transformer en décor festif. Sur le qui-vive, les enfants attendent déjà impatiemment de décorer leur chambre. Véritable effort commun, la concentration est à son paroxysme pendant la réalisation de boules faites de papier crépon. Méthodiquement, les étapes sont expliquées et s’enchaînent avec facilité, chacun aidant l’autre si besoin. Peu à peu, les œuvres prennent forme, se dessinent joliment en couleurs virevoltantes.

Amoureusement, elles scintillent en de douces vagues poussées par la brise matinale. Uniques, originaux et chatoyants, les papiers froissés dérivent et se meuvent en un balancier continuel. Légers, ils s’habillent d’ombres changeantes au flot des nuages qui jouent avec le soleil. Les ventres vides, bientôt arrive le repas que nous prenons tous ensemble, en tailleur sur les paillasses tressées de la chambre. Une première fois, un joyeux anniversaire est chanté en cœur à Sitraka. Les mines sont bouffies de joie et de pâtes.

Nous nous rendons ensuite à l’école pour donner cours aux CM. La géographie est mise au premier plan tandis que l’animation consiste également à la fabrication des guirlandes. Avec entrain, l’activité manuelle durera plus d’une heure jusqu’à ce que les boules soient suspendues sur un mince fil de laine au-dessus des bureaux des enfants. La suite ? Elle est synonyme de chants cantonnés sur le chemin de retour. À la sortie de l’école, des enfants nous suivent afin de rentrer chez eux. Descendant la colline en une troupe joyeuse, remontant les champs et empruntant la route ensemble, les enfants prononcent les paroles de la belle Lady Melody, poursuivent avec la Macarena pour enfin terminer avec les Pouces en avant. Après quinze minutes de marche rocambolesques, l’arrivée au village prend des allures de chorale ambulante, notre cortège comptant une vingtaine d’écoliers souriants.

La remontée à la maison est rapide, éphémère, jusqu’à ce que nous retrouvions notre belle famille. Déjà, Manassé s’affaire. Sur le coup, il installe précautionneusement les enceintes sur l’un des lits de la chambre, il s’exclame alors, tout sourire : « La boom va bientôt commencer ! ». Tout le monde est prêt, déjà nous valsons en ronde tandis que les guirlandes colorent le dancefloor. Princi rentre de l’école, l’apogée de la soirée nous est offert.

Temps indicible, la boom ne touchera à sa fin qu’après quatre heures de danse et de chants. Malgache, français, anglais, toute musique est la bienvenue et provoque le rire, la folie et l’euphorie communes dans le moment présent. Les regards se croisent, réconfortent, renforcent les liens. L’atmosphère, un nuage vivifiant de chaleur agréable et amusante tandis que le chœur adoré et enfantin se diffuse abondamment, joyeusement, divinement même. Entre deux musiques, quelques coupures d’électricité surviennent promptement avant que les basses jouent de nouveau leurs rythmes enjoués.

Enfin, en début de soirée, les cadeaux sont ouverts : gâteaux et bonbons sont naturellement partagés par Sitraka qui les distribue avec douceur et générosité. Une journée des plus formidables, emplie d’une complicité réelle, aimée, chérie avec notre famille d’Anjeva Gare.

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Publié le 20 juin 2023

Les journées défilent inexorablement, elles se vivent intensément et s’effacent soudainement comme un souffle fatal, à l’heure du cycle temporel, au fil de l’inévitable défilé qui fait que les souvenirs se multiplient, s’entassent puis se comptent pas milliers. Chaque jour est une découverte, une source de bonheur, un enrichissement. Gommettes sur le visage en guise de papier, baignades répétées à la rivière fraîche, jeux de ballons sportifs ou encore créations manuelles dignes de Dali, les enfants sont toujours partants, mus d’une inspiration grandissante, doués d’innovations et de gourmandises.

Ce midi, nous apprenons la venue de notre amie Ade, elle-même bénévole au centre Sembana Mijoro à Tananarive - centre accueillant des enfants en situation de handicap. Aujourd’hui, tout le monde est motivé, nous profitons donc d'une balade dans la montagne, vers le sommet, là où se trouve un lieu de culte où les villageois déposent des offrandes. En vadrouille, Balie rejoint également la course, sœur de Taratra, douce, curieuse et débordante d’énergie.

Progressivement, la montée nous ouvre ses bras dans une chaleur enveloppante. 15h, déjà j’aperçois le soleil descendant, lequel s’impose tout de même, puissant en sa beauté charnelle. Je me hausse, respire, puis observe le déroulé bleu azur tel l’abîme infiniment beau de l’univers. Le visage humide de sueur, les muscles dans l’effort crescendo, le chemin « lalana » nous offre la traversée d’une forêt de pins où il me semble sentir les odeurs familières à celles de notre Sud français tant chéries. Belles de leur animosité, les épines transcendent le ciel de leur tranchant aiguisé.

Sous les pieds, les divines chues craquent et chuchotent de douces légendes millénaires. Dans le peloton de course, Taratra mène la danse quelque peu sûr lui : c’est drôle car il paraît que nous passons par des chemins non existants, lesquels sèment des embûches sur notre passage. Herbes hautes, buissons piquants, glissades inopinées ou encore talus franchis. Taratra, un bon guide ? Cela reste à confirmer ! « Mafana be » de notre marche jusqu’au point culminant, l’arrivée m’ensorcelle de sa splendeur tandis que je me dirige vers le promontoire naturel pierreux. Mouvante, ensorcelante, déroutante, la vue claque et emporte toutes mes émotions dans une valse mordorée. Derrière moi, les pas de mes amis rencontrent le sol et se rapprochent. Réunis, j’inspire et expire ce bonheur créé, ce joyau humain sincère, ce feu ardent embaumant mon cœur. Les couleurs ciel, elles sont éclatantes et se métamorphosent à l’instar de l’aiguille qui survole l’horloge.

Tic tac, tic tac. Flambeau rêvé. Des rouges se forment, des orangés fleurissent, des violets s’enorgueillissent, ce flot lumineux qui rencontre soudain l’inévitable bleu nuit nocturne. En son milieu, le bijou lumineux devient phosphorescent, rougeoyant, incroyablement percutant. Rebelle, provoquant, aguicheur, il m’apostrophe et m’interpelle sans vergogne, il vole mon regard puis le plonge dans une transe voluptueuse au-delà de toute terre. Au sortir de la méditation qui révèle le lâcher prise commun, nous filons face à la menace de la nuit tombante, la descente en majesté commence. Les silhouettes sont devant moi, derrière moi, elles se détachent et semblent danser dans ce tableau soleil couchant. Leurs ombres apparaissent, s’effacent puis s’évanouissent. L’instant est intense, je l’aime, je le passe en boucle dans ma tête, je le revis, je le ressens à nouveau, il est ancré en moi comme l’iode à la mer.

De retour, une soirée endiablée se prépare. La première étape consiste à chercher discrètement de la THB à la cahutte du coin, autrement surnommé ledit « barman », cher monsieur glissant avec précaution les bouteilles de bières à travers les barreaux de sa porte d’entrée. A toute heure, en claquettes, dans la nuit noire, déjà chancelants ou encore clopinants, le barman est présent pour vous servir ! Dansant éperdument sur le parquet grinçant de notre chambre, l’ampoule est subitement éteinte et les flashs de téléphone sont dégainés, ils se croisent, illuminent les visages ravis et font merveilleusement bien office de boule à facettes. Simple, efficace, je dirais même « impeccable ».

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Publié le 24 juin 2023

« Mandrakizay », je le ressens déjà,

Ensemble dans la fraîcheur nocturne d’un ciel dansant, envoûtant. Avenir certain, rassembles comme une famille créée, unie, désirée, adulée. Je me sens partir vers un ailleurs rêvé, un paradis de paix. Peu à peu, les paroles sont murmurées, résonnent et chavirent au large de mes sentiments grandissants. Peu à peu, les notes leur répondent, singulières, volatiles, sincères. Comme ensorcelée, je fonds au jeu des doigts qui survolent l’instrument de bois. L’exactitude est comblée, les vagues musicales révèlent une mélodie entraînante, maîtrisée. Les guitares s’enflamment, jaillissent et se réunissent fièrement, amoureusement, joliment. Leurs cordes tremblent, se touchent presque en un bal chantant, exaltant. Mon admiration ne peut alors se dissimuler sous cette tempête d’août partagé. La tendresse se dévoile tel le soleil levant, ressemble au sable léger, chaud, enivrant. J’aspire à cette plage illuminée, à cette pluie de « kintana » lancée, déversée. Mon âme tombe dans l’abime puissant de ce bonheur véritable, aimé, espéré. Vos visages beaux, réconfortants, sensibles aux regards de complicité, je les chéris et les garde comme autant de constellations mystérieuses. Les mots prononcés l’emportent vers un souffle libertaire, unique, inégalable. De ces nuits j’en meurs encore, votre bienveillance embaume les cœurs et les corps.

« Ny fiainana no mampiray antsika mandrakisay. Ny fitiavana tsy misy elanelana. »

Que la vie nous réunisse pour toujours. L’amour n’a pas de frontières.

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Publié le 25 juin 2023

Que serait notre mission sans nos chers et tendres amis ?

Manassé, figure paternelle, se caractérise tel un joyau de bienveillance spontanée, adorée. Petit, attachant, son sourire à lui seul révèle le feu intérieur de ses émotions magnifiées. Son visage doux, réconfortant, est marqué par de beaux yeux foncés en amande, surmontés de cils fins légèrement courbés. Les pommettes quelque peu rondes rejoignent un nez fin, légèrement appâté. D’un noir intense, ses cheveux sont soigneusement coupés, puis se lient à une barbe sombre qui se dessine sur le teint foncé de sa peau. Son allure est détendue, encore et à jamais emprunte d’une valse lente, rassurante comme si le stress de la vie ne faisait partie de son être. Toujours son regard se pose avec tendresse, toujours ses mots semblent sortir calmement, paisiblement de sa bouche. Brise agréable, ses paroles sont mesurées, ses moments de silence sont choisis, humbles, respectueux.

Magnifiquement, son empathie se déploie naturellement et touche par sa puissance décuplée. Dévoué, l’essentiel de ses pensées semble n’être qu’une boule scintillante prête à tout pour aider son prochain. A l’écoute en permanence, son dessein traduit une volonté profonde de solidarité, d’amour et de générosité. La préciosité de ses valeurs gouverne et résume à elle seule la tolérance, l’honnêteté et la candeur qui l’animent.

Taratra, l’essentiel de la paire amicale qui coexiste dans la famille, affiche une allure élancée, svelte, légère. En toute authenticité, sa personne renvoie en son origine une chaleur brute, laquelle se diffuse en un pur halo argenté. Dans le prolongement de sa mâchoire dessinée surviennent des lèvres marquées, un nez évasé surmonté de lunettes discrètes. D’une finesse singulière, ses yeux amandes prennent l’image dorée d’un regard brun observateur, curieux, sincère. Enfin ses cheveux coupés courts arborent une teinte noire, sombre d’une épaisseur mesurée. Au passage fugace de ses sourires éclatants, de minces fossettes apparaissent tel l’élégant mirage perceptible à l’horizon. Beau dans sa simplicité naturelle, sa personnalité se dévoile subtilement, se métamorphose en un portrait enchanteur. Caractérisé par son regard protecteur, sa silhouette manifeste une fragilité et une sensibilité chatoyantes. Parfois mystérieux, imprenable, il affiche une prestance qui parait lointaine.

Touchant presque un état spirituel, il semble partir, enivré dans le flux constant de ses pensées intérieures, protégées, peut-être même indicibles. Affectueux, son aura privilège s’élance et embrasse les âmes vagabondes. Sa discrétion respectueuse réalise le parfait équilibre parmi les siens, instaurant immédiatement un sentiment de confiance absolu.

Ensemble, leur duo inséparable né depuis l’enfance leur octroie une relation forte, inépuisable, chérie. Indubitablement, leur confiance réciproque les unit et peut les mener avec exactitude même dans le noir le plus absolu. Leurs valeurs reflètent l’harmonie humaine idéale, elles respirent fièrement, traversent leur corps et réchauffent leur coeur. Habile, ils révèlent crescendo leur amour pour leurs passions créatives et manuelles comme essence même de leur identité plurielle. Chaque ouvrage et chaque acte est embelli d’une précision déconcertante, d’une application certaine mêlée d’assiduité.

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Publié le 27 juin 2023

Ce week-end n’est pas comme les autres, diable, la fête de l’Indépendance agite le peuple et transpire la fierté nationale. Aujourd’hui, dimanche 25 juin, nous découvrons l’importance des festivités et en comprenons ses enjeux. Depuis plus d’une semaine déjà, les esprits sont préoccupés par l’événement, les trompettes sont soufflées, les pétards sont lancés et retentissent à tout bout de champs dans le village et alentours, les malgaches préparant avec entrain la fête qui arrive à grands pas. Dans le souffle matinal des journées ensoleillées, peu à peu, au fil des jours, les rues s’habillent des couleurs du drapeau, blanc, rouge, vert. Peu à peu, elles se métamorphosent en une symphonie à l’identité nationale forte. Jour J, il est 15h et les concerts résonnent dans toute la vallée, le DJ enflamme la scène et endiable même les habitants restés chez eux. La musique retentit, c’en devient presque assourdissant tandis que la foule respire l’ivresse et la cohésion parfaite. Alors, nous partons en direction du terrain de foot en compagnie de Manassé, Taratra et les enfants.

À cette occasion et depuis 63 ans, la tradition veut que de petits lampions de papier éclairés à la bougie soient portés lors de l’événement. Ci et là, ces lumières dansantes luisent sur les balcons, au-dessus des porches, à l’entrée des maisons, angéliques, belles et légères. Alors le départ sonne, la maison est fermée, les talons sont tournés, la descente au village est entamée. A peine quitté le quartier que nous nous mêlons brusquement à la foule dense déambulant dans la rue principale. Les rires fusent, les voix s’élèvent, les regards s’enivrent, les gorges boivent, les estomacs épongent dans la mesure du possible, les corps se frôlent au passage, le brouhaha s’envenime d’une éloquence insatiable. La fête bat son plein. Non loin de là, la scène se trouve en contrebas, elle grouille de monde, elle accueille le fruit d’une fourmilière géante.

En faisant des mains et des pieds, nous progressons petit à petit. Je lève le regard au ciel puis le porte avec amour vers les lampions fièrement brandis par les enfants de notre centre, les yeux illuminés, sans aucun doute emplis d’une joie profonde. Soudain, un malgache nous apostrophe : la marche cesse un instant jusqu’à ce que l’on comprenne que cet homme n’est autre que Monsieur le Maire qui se promène en toute détente, casquette orange et baskets aux pieds. Alors, tout se passe très vite, ni une ni deux qu’il nous propose une marche commune dans le village pour célébrer la présence des « vazahas » (minorité d'étrangers d'origine européenne) dans le village, c’est-à-dire « nous ».

L’aller retour de la route passante débute, les trompettes sifflent, Monsieur le Maire guide et mène la danse tout sourire. Les gens s’attroupent, rejoignent le cortège, crient en cœur tandis que les enfants tentent le tout pour le tout pour survivre dans ce grouillement confus. Décontenancés par cette agitation extrême, nous terminons la soirée « ao an-trano » (dans la maison) avec toute notre petite famille, dansant, chantant, profitant, vivant tout simplement.

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Aujourd’hui, toujours la fête nationale et en prime un jour férié pour l’ensemble de pays. Une nouvelle fois, je mesure l’importance capitale ainsi que la fierté du peuple rassemblé et unit. En ce jour de gloire, rendez-vous à 7h30 à la commune afin de maquiller les enfants scolarisés. Au départ, selon les dires de la directrice de l’école primaire publique où nous intervenons (EPP), 90 visages à maquiller sont à prévoir au total. Au final, assises sur une marche de la cour du collège, les enfants s’enchaînent, se multiplient et se déversent sur nous telles des vagues innombrables et interminables. Notre palette à la main, trois pinceaux déterminés pour les trois couleurs du drapeau, les touches colorées sont appliquées sur les visages souriants.

La tâche parvenue à sa fin après une heure et demie de labeur, un professeur nous indique le nombre d’enfants présents : 600, parmi lesquels la moitié a été maquillée. Autant dire que notre directrice avait fortement sous-estimé la grandeur du défilé. Avant de débuter la marche, l’heure est au rassemblement général devant le collège, professeurs et directeur sous le porche, enfants en files indienne à distance égale, obéissants, à l’écoute. Alors, le départ est donné, les rangs se suivent à l’infini, les enfants progressent deux par deux, marchant et formant une chaîne à perte de vue.

Chaque école défile et brandit fièrement les étendards portant noms et couleurs. C’est incroyable, c’est intimidant, c’est fort, c’est percutant, c’est en somme une marche comme je n’en avais jamais vu auparavant. Les classes de différents niveaux, les uniformes par dizaines, les âges et les silhouettes de toute taille forment une masse gigantesque, s’enfuit au loin en un long sillon agité. Les fanions volent au-dessus des têtes, les pancartes transcendent le ciel bleu intense, le bruit grandit, l’engouement général devient si palpitant qu’il m’emporte dans une folle stupeur mêlée d’admiration.

L’après-midi est passé au terrain de foot où l’endroit prend des airs de festival ambulant. Les DJ crient dans le micro, les basses résonnent avec un crépitement du tonnerre mais garde malgré tout chaque corps transi en haleine. Une marée humaine se côtoie, se touche, se mélange au creux de la vallée tandis que le soleil disparaît bientôt derrière la montagne.

Alors dans la foule, le même maux de la veille nous assaille, celui des regards biaisés répétés d’hommes dérangeants, indécents, malaisants. Steph, moi, nos yeux se rencontrent et traduisent angoisses et frustration grandissante. Deux blanches à Anjeva, deux « vazahas ». Le tableau est désolant, prend des allures pittoresques. Une seule pensée envahit nos esprits déchus : à tout prix fuir ces personnages virulents, irrespectueux. Nous telles des feuilles tournoyantes impuissantes, Manassé et Taratra tels d’impossibles gardes du corps négociant avec les plus entreprenants.

Soudain, Steph se fait emporter par un homme la tirant par le bras, sans vergogne, sans aucune délicatesse. Après l’intervention des garçons, nous nous dirigeons vers une petite tente afin de boire un verre en compagnie de Josy et Norin, lesquels m'apportent une chaleur réconfortante dans le moment présent. Bam, cela se passe très vite, je reçois un poing dans le dos lancé par un homme aperçu quelques jours plus tôt dans la rue. Celui-ci n'est autre que le dénommé « Fou du village », malheureuse expression des habitants pour désigner ses problèmes mentaux. « Donne moi l’argent » avaient résonné ses mots provoquants dans la rue, sa rancœur avait donc décidé de frapper en ce jour.

Quelque peu déstabilisée, touchée personnellement, ma nouvelle famille m’entoure et je m’accroche à elle pour garder la face, pour accepter cet acte déplacé, violent, intrusif. Malgré tout, le moment garde une convivialité certaine s’arrêtant aux frontières de notre cercle prisé. Malgré tout, je croise le regard de chaque être aimé autour de moi et j’emplis mon cœur de ce halo lumineux, chaleureux, lequel m’enveloppe d’une confiance profonde.

Après quelques rires échangés, quelques jeux de table lancés, nous rentrons côte à côte à la maison afin de poursuivre notre soirée à l’abri des regards. Comme d’habitude, l’ambiance est à son paroxysme pendant que les danses et les chants se succèdent. La musique cesse alors, les enfants rejoignent les bras de Morphée, nous nous retrouvons tous les quatre, tous mus d’une euphorie sentimentale. Le silence paisible s’installe, nos paroles sont douces lorsque Manassé nous livre la valeur de ses émotions et de ses sentiments depuis notre arrivée. Quel bonheur enfoui nous ressentons avec Steph, je parle de ce bonheur pur de reconnaître un amour réciproque, je parle de ce bien-être de s’avouer, de se confier, de se « voir ». Kikis <3

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« Androany » (aujourd'hui), nous l’avons prévu depuis deux semaines, ce sera notre premier « zoma magnifique » tous les quatre (vendredi magnifique). Le périple commence par le fameux trajet en taxi brousse pendant lequel nos corps dandinent durant deux heures vers la capitale. Devenant une habitude, la conduite folle aux arrêts fréquents n’empêche plus les siestes de courte durée. Tous entassés dans l’habitacle, l’homme posté en équilibre à l’arrière, à cloche-pied sur une marche branlante, annonce la destination et le prix à chaque montée des passagers.

Alors, les billets passent de main en main au-dessus des têtes jusqu’à atteindre l’assistant dédié à cette tâche. Arrivés dans l’effervescence générale citadine, nous rencontrons Irina, sœur de Taratra, son mari et leur fille Lauranne qui nous conduisent à leur domicile. Nous passons le portique d’entrée et découvrons leur appartement situé à l’étage d’une école primaire dont Irina en est directrice. Dans la pénombre, de petits couloirs aux murs blancs et bleus se succèdent, comme éclairés d’une lumière chaude. La pièce principale s’impose tout en longueur, laquelle est ponctuée d’étagères et de lits simples en bois vernis.

Nous offrant boisson et samoussas, Irina nous invite à observer la vue depuis l’une des seules fenêtres depuis laquelle l’horizon orangé défile et m’apparaît presque infini dans cette journée s’éteignant à petit feu, le soleil déjà disparu, la ville se calmant et s’endormant.

D’un pas cadencé, après avoir dîné ensemble en compagnie d’Ade, nous rejoignons la première boîte de nuit, nommée Djembé, laquelle grouille déjà de danseurs endiablés. Dans la cruciale attente de l’arrivée de ce cher Rimka, célèbre chanteur malgache en vogue, nous dodelinons en rythme sur des musiques envoûtantes tandis que les projecteurs et les lumières virevoltantes s’emballent en une décadence enjouée. Regard à la ronde, recul sur la scène, esprit léger et rêveur, je me laisse aller dans les vagues musicales marquées par les nuées des stroboscopes aux couleurs éclatantes et dansantes. Après trois heures d’attente générale, les âmes s’enflamment soudain, s’agglutinent et se bousculent sans vergogne vers la scène où Rimka fait son apparition. Les mains s’élancent vers le ciel, les sourires s’esquissent par milliers et les bassins fleurissent en déhanchés spectaculaires.

Inévitablement, la foule est transcendée, amassée, excitée, mouvante, transpirante. Les premières chansons sont cantonnés, l’énergie du chanteur est décuplée, son aura envahit la scène et attire tous les spectateurs enivrés. Les corps s’entrechoquent, voguent, se rencontrent, s’aiment et se quittent en une valse déjantée. Embaumée d’une joie intense, je croise le regard pétillant de Steph, lui seul résume l’incroyable souvenir de cette folle soirée. Concert terminé synonyme de deuxième entrée dans une boîte, « el famoso Taxi Be », tous emportés dans le bal d’une autre parallèle. Voici alors la seconde embardée, sans doute la dernière, tout du moins on l’espère, en compagnie de Thierry, Ade, Steph et les garçons. Tous les six embarqués dans un quatre quatre surdimensionné, aux sièges géants, aux assises bien molletonnée, le pare brise comme un bateau, nous survolons la ville jusqu’à notre descente. Thierry, déjà à moitié heureux de quelques bières enchaînées, fait preuve d’une bonhommie et d’une gentillesse tranquilles.

Complément épuisés, nous attendons le départ mais, problème, nous n’avons nulle part où passer la nuit : il est alors 3h20 du matin. Après avoir engloutis quelques gâteaux semés à la volée devant les videurs et ce fameux Patrick sournois qui voulait tâter la courbe de nos corps, nous refusons et embarquons de nouveau dans l’engin infernal de Thierry. Quelques minutes puis le déchargement est immédiat, à l’image de notre montée à pied vers la maison d’Irina. Problème, il n’est que 3h26, impossible et irrespectueux de réveiller la petite famille à cette heure si cruelle. Faille dans le système, c’est brutal et en même temps impossiblement évitable. Tous les quatre comme dans les déboires oubliés, comme une soirée à la fin imprévisible, quelque peu hilares devant cette scène titrée fatalité, nous rigolons mollement de notre sort. Voici le terminus, ivres de rires, ivres de notre malheur commun - où de notre bonheur déchu ? - il est 3h47 et nous attendons que notre chère sœur songe à ouvrir l’œil vers les 6h.

Assis minablement en rang d’oignons, résolus à passer la nuit dehors, température 11 degrés, deux maigres manteaux à partager en guise couverture, le parvis de l’église nous offre au moins un petit escalier sur lequel nous délaissons nos corps pétris de fatigue. Quelle belle ironie de penser aux garçons accueillant enfants à la rue dans leur orphelinat et de se retrouver dans la même situation : jeu de la vie. Attente, yeux somnolents, têtes divergentes, esprits flottants, notre état prend des allures comiques jusqu’à ce que Manassé décide subitement de courir pour se réchauffer. L’entraînement à 4h33 débute alors. Bien déterminée, j’accompagne l’ami dans la montée sportive de la côte alors que nous nous rendons compte que de vrais joggeurs se pressent pour leur course matinale : contraste des plus flagrants entre notre pas cadencé ridicule et celui bien rythmé, svelte et élancé des jeunes malgaches commençant leur journée dans la hâte.

Sans aucun doute cette nuit durera sûrement plus d’un millier d’années, tout comme le chantonne gentiment Nino Ferrer dans le Sud. Pour notre part, chez nous, ce millier d’années prend place dans la pente d’une colline de Tananarive, de manière bien inattendue, assis en brochette dans une attente fatale, froide mais tous les quatre ensemble, unis, adorés, kikis. En fin de compte, l’homme de maison nous ouvre la porte sur les coups de 5h15, nous accompagnant le sourire aux lèvres vers sa propre « chambre », laquelle n’est autre qu’un semblant de pièce se trouvant dans une salle de classe aménagée d’un mince rideau séparant deux espaces. Alors, nous nous retrouvons face à un lit de camp simple, une couverture à disposition, bien décidés à passer à quatre dedans. L’exécution de la tâche relève du miracle mais nous parvenons à entrechâsser et à confondre nos corps en diagonale, tout à fait morts de fatigue.

Le lendemain, les yeux rougis, la tête engourdie, les corps en vrac, Irina apparaît toute joyeuse sur le pas de la porte à 8h, bien enjouée et ravie de nous proposer de monter à l’étage. Après deux trois cafés engloutis, le retour s’annonce explosif sous la chaleur haletante d’une journée expansive. Après quelques affaires à régler sur place, parcourant bien difficilement les rues emplies de Tana, nous embarquons enfin dans le taxi brousse menant à Anjeva Gare. Nous voici donc tous les quatre éparpillés à différents endroits, les sièges et les rangs se succédant, lesquels laissent d’étroits passages pour les corps charnus. Une heure et demie encore et les bras de Morphée nous accueilleront peut-être. Alors que le véhicule s’en donne à cœur joie en évitant les plaques de chaussées envolées, les embardées se multiplient. Deux rangées de deux composent l’habitacle, lorsque les passagers sont en surnombre, la solution est simple : une planche de bois jaillit soudain de nulle part et se place entre les rangées, sous les fesses de chaque passager, afin d’optimiser la moindre place disponible.

Les corps s’écrasent, les postérieurs se collent inévitablement, les épaules forment une incroyable quinconce, laquelle soude fermement les files d’hommes, femmes, enfants et bébés qui s’accumulent de manière innombrable. Le poids du véhicule ne compte alors, tant que le conducteur peut encore passer la deuxième, ça roule. Totalement fatiguée, complètement ramassée, mon corps est ancré entre deux personnes, presque inexorablement immobile tandis que les secousses font valdinguer ma tête engourdie de sommeil. Allers retours intempestifs, elle se tient droite puis s’oublie avant de tomber minablement vers mes genoux, le cou tordu à souhait, les bras congestionnés et les jambes tout à fait coincées entre l’espace confiné du rang. Voici l’histoire de la fin de ce « zoma magnifique », autrement dit inoubliable, mémorable, pleins de surprises.

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Publié le 3 juillet 2023

Tels des « vorona » insouciants (oiseaux), innocents, « ny ankisy » révèlent leur énergie à la folie enfantine enfants). « Matory aho » dans une emphase rêvée, angélique (je dors). Notre « fitiavana » (amour) grandit en un bel élan de tendresse sous le joug de personnalités explosives, entêtées. Ny « kilalao » (jeux) se transforment en un « lanitra » au bonheur partagé (ciel). Tandis que « mandihy sy mihira isika » (nous dansons) sur des chansons alliées, comme des « foakafoaka » dans une course effrénée (fous). La simplicité dans l’instante souffle comme une brise nouvelle. Gestes et mimiques esquissés comme compression naturelle, belle, girouette. Leur candeur se lie d’amitié avec « manafosafo » (tendresse) et affection. Le temps à leurs côtés passe, s’écoule, se réalise vers un tendre « hoavy » (avenir). Leurs humeurs changeantes dévoilent des « maso » amusés (yeux). Leurs regards complices provoquent de leur volonté indélébile. Parmi les « tabaka ny jiro » (coupures d'électricité), les « mamihinana » sincères naissent et volent (câlins). Ils s’expandent et nagent dans les profondeurs de notre univers étoilé. La découverte dévoilée nous unit en une majesté irréelle. C’est enfin le sentiment d’un câlin sans cesse renouvelé.

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Publié le 5 juillet 2023

Voilà notre nuit passée chez Irina et sa famille où, comme d’habitude, nous recevons un accueil chaleureux et généreux. Notre nuit, elle s’inscrit belle et tranquille, allongées en surplomb de la capitale éclairée des réverbères, pourvu qu’il n’y ai pas de coupures d’électricité « tabaka ny jiro ». Le réveil affiche 5h, nous prenons le petit-déjeuner en compagnie de Taratra, lequel nous accompagne de bon matin jusqu’à la gare routière de la compagnie Cotisse. Ayant une semaine libre à l’école d’Anjeva Gare - les examens se déroulant sur plusieurs jours -, nous profitons de ce laps de temps pour partir visiter la ville de Morondava, laquelle se situe sur la côte Sud-Ouest du pays. Quelles « Sonderheiten » (particularités) à voir précisément là-bas ? Tout d’abord, l’endroit est connu pour ses virées en pirogues mais également pour son unique et mémorable allée des Baobabs. Qu’engage ce périple ? Cumulons deux heures de trajet jusqu’à Tananarive puis dix-sept heures de taxi brousse jusqu’au point final. Avec un départ à 6h30, l’arrivée ne peut être escomptée avant 22h30. Chouette, 660 kilomètres nous sépare du Canal du Mozambique. Il faut savoir faire preuve de patience et de courage pour réaliser ce dont on rêve.

Parlons donc de ce nouveau périple rocambolesque en taxi brousse, vous me direz sans doute « comme d’habitude ». Les méandres du trajet, entre les secousses, les embardées innombrables, nos envolées du siège au passage de trous impossibles, nos corps en zigzag et nos cous torturés par la somnolence finalement inimaginable. Au ralenti, nous franchissons et traversons des dizaines de villages, lesquels possèdent des routes plus ou moins sensibles aux dégâts d’usure, aux intempéries naturelles, à l’incapacité de construction d’infrastructures. Je me laisser porter pendant 350 kilomètres aux paysages changeants, tandis que l’asphalte plus ou moins régulière défile infiniment sous mes yeux. Assise à l’arrière du bus aux côtés de Steph, je l’aperçois entre deux hoquets de chaussée, à travers le pare brise usé par le temps.

En début de parcours, le terrain paraît terriblement inégal et nous virons de bâbord à tribord depuis nos sièges situés au-dessus des roues arrières, lesquelles sont secouées violemment à chaque impasse. Toujours, perpétuellement, encore, inexorablement, les fumées noires du pot d’échappement créées de grands volutes qui voltigent fièrement derrière notre passage puis qui s’infiltrent par la porte à demi ouverte du coffre.

En permanence, cette odeur âcre envahit mes narines et mes poumons, flot continu irrespirable, lequel s’intensifie amplement lors des montées chevaleresques du dénivelé crescendo. Une heure et demie de trajet et voilà Steph qui se sent partir, un vomi, deux vomis. Le troisième ne se fait pas attendre, nous descendons du bus pour la première pause. Alors j’aperçois l’amie dans le coin d’un talus, agenouillée, piteusement et malgré elle en train de vider son sac à vomi dans le but de pouvoir le réutiliser plus tard : je la regarde, souris évidemment et lui lance « je me retiens de prendre une photo parce que j’ai du respect pour toi ».

La remontée déjà, les kilomètres s’enchaînent d’une lenteur abominable. D’abord, j’observe les vallées végétalisées qui s’imposent de leur vert percutant. Les rizières, les champs cultivés sont innombrables, se côtoient et se limitent par les maigres chemins talés en leur centre. Les terres sont vastes, les habitants sont déjà au labeur, les pioches sont lancées en l’air, elles retombent lourdement au sol, les bêches retournent des hectares sous un soleil de plomb, d’autres silhouettes encore courbent l’échine pour récolter le riz par touffes, non loin les zébus mènent la danse de leur pas franc devant les charrues de bois.

Puis le décor semble soudain prendre d’autres teintes, d’autres nuances et se transforme en un plateau à l’étendue déserte. Dans un parfait ciel azur, les montages s’élèvent avec majesté, leurs crêtes se jettent fièrement dans les hauteurs et touchent du doigt les nuages épars. L’engin ronfle bruyamment, infernal, brutal, tandis que nous dépassons des maisons de briques aux toits tuilés ou paillés, aux murs de chaux ou bien de tôles. Parfois même, les maisonnettes ressemblent simplement à de primaires abris de bois simples. Entre deux bouts de goudron respectables, les villages aux rues décharnés se succèdent, lesquels grouillent de femmes et d’hommes au labeur journalier. Partageant la chaussée avec le monde entier, je suis du regard les défilés lenteur des charrues tirées par des zébus tout en splendeur dans leur effort contraint.

Non loin de ça, des tuktuks se frayent un chemin, des pousses pousses, des bicyclettes, des motos, des passants, des voitures, des bus enfin circulent en une effervescence d’un autre temps. D’une allure des plus ralenties qui soient, je jette des regards par les fenêtres grinçantes lorsque nous entrons dans les rues commerçantes. De petites vitrines de toutes sortes renferment beignets, mofo gasy, cakes, cacas pigeons puis vient le tour des étalages de poisson, de viande crochetée en hauteur dans l’extraordinaire nuage de poussière ambiante, joliment séchée par les rayons du soleil.

Sinon, sur de simples planches de bois se multiplient les monceaux de canne à sucre coupés à la machette, ceux-ci vendus par lot de six morceaux pour cent ariary. La course continue, j’appréhende la richesse des rivières, des multiples ruisseaux au courant rapide où se dessinent parfois des silhouettes à la tâche, les mains frottant énergiquement les toiles de tissus et les vêtements à la brosse. Le paysage s’envenime, devient si inégal que nous tanguons de toute part, s’acharne et délivre les maléfices de ses profondes racines. Imprenables, j’admire et reconnais les montagnes avoisinantes comme d’énormes mammifères échoués au gré des vents et des plaques tectoniques millénaires.

La végétation disparaît alors, la chaleur monte, envahit l’habitacle et les terres. Les sommets semblent rasés par une sècheresse environnante, l’herbe devient paille dorée, laquelle enveloppe les roches d’une couverture homogène, bruissante, cassante, lumineuse. Cet incroyable relief semble interminable, toujours l’engin continue sa course tandis que nous surplombons les vallées aux sillons acérés, lesquels cachent des mystères ombrées par la profondeur de leurs crevasses inconnues. La route ensorcelle de par son reflet virevoltant filant vers l’horizon. Ci et là appâtaient des parcelles tout à fait calcinées, parfois encore fumantes, souvent immenses, déchues, détruites. Tout d’abord, je pense à l’acte réalisé pour la fabrication du charbon de bois mais, bien vite, je comprends qu’il s’agit de l’agriculture de brûlis, pratique ancestrale utile à la fertilité des terres et les plantations.

Les secondes, les minutes, les heures passent insensiblement, elles te touchent de loin, te provoquent, t’ennuient, t’excitent et te blasent à la fois. La nuit tombe alors, il est 17h30, cinq heures manquent encore. Presque irréelle, sur la ligne d’horizon miroitante, une perle foudroyante apparaît tel le joyau universel de la vie. La lune montante souffre d’un jaune puissant, elle se déclare abruptement et découvre sa splendeur. Tel un spectacle nocturne insaisissable, la fleur se déploie, s’ouvre en un cristal luisant resplendissant tandis que la fraîcheur sauvage chatouille de ses odeurs vivifiantes. Il est alors 18h58, il manque encore trois heures de trajet au compteur. Steph s’écrit alors : « imagine on tombe en panne vingt kilomètres avant l’arrivée ! ». Initialement, rappelons que notre arrivée a Morondava était prévue à 22h. 21h37 : Steph me montre du doigt un grand tronc, elle me crie : « c’est un baobab ! ».

Littéralement cent mètres plus loin, l’engin semble être fébrile, il broute, le moteur cesse de ronronner, les gens s’exclament en un souffle désespéré, nous comprenons bien vite la situation. Nous sommes en panne plate d’essence. Alors s’effectue la descente du bus dans le noir le plus total, tous perdus au milieu d’une cambrousse silencieuse mais, aussi incroyable que cela puisse paraître, à cent mètres d’un magnifique baobab luisant dans le ciel de la pleine lune. Loin d’être décontenancées, nous nous extasions de cette super « chance » d’être tombées en panne si près de ce mastodonte naturel dont nous rêvions depuis si longtemps. Il est alors 22h40, la discussion est déjà bien entamée avec les autres passagers, je reste encore agenouillée quelque temps sur l’asphalte grisonnante quand des feux jaunes apparaissent au loin. Cotisse 2 arrive alors, un bidon d’essence en son joug tandis que les gendarmes surveillent la zone, l’arme à la main : « il ne faut pas s’éloigner, nous crie-t-on soudain, il y a des bandits partout ici ». La panne se conclut par une poussée musclée du bus vingt places, à six les mains enclavées sur le coffre et les pieds ancrés dans le sol. Cotisse redémarre en un sursaut des plus bruyants, nous reprenons la route dans une ironie générale phénoménale. Il est 23h, nous sommes arrivées.

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Levées aux aurores, nous sortons en direction de la plage littéralement située à deux cent mètres, les yeux encore ensommeillés. A peine sorties, nous faisons l’impromptue rencontre d’un policier qui nous scrute de haut en bas : « papiers s’il vous plaît », nous sort-il. D’après son analyse peu poussée des passeports, il parait que notre taille, nos autres visas et notre poids étaient plus intéressants que la validité de notre titre de séjour dans le pays. Après quelques questions d’intérêt, le cher policier nous laisse la voie libre. Dix mètres plus loin et nous parvenons déjà à la merveilleuse étendue sablonneuse où des dizaines de pirogues sont nonchalamment tirées vers les eaux. Marée basse absolue à partir de 9h30, le départ des pêcheurs survient tôt le matin lorsque la marée est encore montante. Les pieds nus sur le sable humide, déjà, j’aperçois les minces bateaux de bois au loin sur la mer.

Plus tardivement, d’autres pêcheurs s’affairent à la préparation des filets et fendent les vagues pour rejoindre le large. Le ciel est doux, le soleil chauffe, le vent de la mer s’agite et balaye les grains de sable. Sur la terre ferme, le petit monde marin est à la tâche, enfants, hommes, femmes, tous font partie de ce commerce maritime. A deux pas, des filets de pêche apparaissent en surface, desquels je repère facilement les petits bouées bleues, tandis que leurs cordes sont vivement tendues vers le rivage. À la force des bras, les liens sont maintenus et ramenés par les pêcheurs avec une énergie décuplée. En file indienne, quatre pêcheurs se trouvent aux deux extrémités du filet, les uns reculant les pieds dans l’eau, les autres s’enfonçant hardiment dans la surface dorée mouvante. Nous continuons notre marche, observons les pirogues aux nuances colorées, leur bois tout à fait érodé par le vent, le sel, les vagues et le soleil. Lisse, presque vermoulue, leurs coques sont légères et se laissent glisser sans mal.

Bien avancées, voici notre deuxième rencontre impromptue : le dénommé Zaza, actuellement dans le business de pirogues dans lequel il propose aux « vazahas » de visiter les mangroves et la presqu’île de Betania, où se trouve un village traditionnel de pêcheurs. Bien sûr, l’énergumène Zaza a l’œil, tu m’étonnes deux blanches sur le sable de Morondava, quelle aubaine ! Néanmoins, ce cher homme tombe à point nommé puisque nous souhaitions faire cette activité aujourd’hui. Au malheur la chance, il nous indique bientôt que la marée haute ne pointera le bout de son nez qu’à 16h de l’après-midi : autrement dit, changement de plan.

Ayant tout d’abord pensé partir en pirogue, nous suivons le conseil avisé de ce guide hors pair et nous dirigeons vers l’arrêt de bus menant près de l’allée des baobabs. Mû de sa bonhommie rigolote, Zaza nous donne les meilleurs filons pour parvenir à bon port à moindre coût : on s’étonne d'ailleurs de ne pas devoir lui donner des pourboires ! En échange de cette gentillesse, nous lui promettons un rendez-vous le lendemain à 7h30 pour une excursion à ses côtés. Le voyage jusqu’à l’allée des Baobabs ? La clé est sans doute de se laisser porter sans trop s’inquiéter du déroulé final. Avant tout, j’insiste sur le fait que ce fut toute une aventure ponctuée de plusieurs étapes nécessaires : tout d’abord embarquées dans un premier bus, à demi certaines de la bonne direction, nous voilà parties.

Quinze minutes après, un monsieur déclame qu’il nous faut tout de suite changer de bus et prendre celui d’en face : nous nous décollons des sièges, sautons à la sauvage du bus actuel et rejoignons une vieille camionnette bleue datant d’un millénaire, les roues croulant déjà sous le poids subjuguant des mille et un bagages harnachés sur le toit. Presque à l'aise, mon regard effectue un tour à la ronde dans l’espace des plus confinés où le nombre de places disponibles affiche 18. En fin de compte, le bus paraît complet mais continue ses arrêts perpétuels, même pliés en quatre, les gens se poussent et d’autres passagers parviennent à trouver un maigre bout de siège. Tous amassées au bout de trente minutes dans une chaleur des plus tenaces, nous nous retrouvons à 27 personnes dans cet habitacle warrior.

Enfin, nous arrivons à Belo, lequel était la seule information connue que nous avions obtenu au départ. Effectivement, ledit Belo est un petit croisement bordé de quelques commerçants où j’observe la police qui semble gérer les allers et venues. La circulation est intense, la poussière vole et déshydrate, et du même coup, notre seul objectif est de trouver un pousse pousse qui veuille bien nous amener à l’allée en question, laquelle se trouve à cinq kilomètres. Deux femmes nous abordent, nous apostrophent et nous confirment que le trajet ne vaut pas plus de 2000 ariary par personne. Arnaque, 5000 nous sont actuellement demandés car notre apparence de vazaha blanc ne trompe pas. Alors, le départ a sonné grâce à l’aide bien gentille d’un policier. Négociations faites, l’embarquement derrière le jeune garçon s’effectue tandis qu’il commence sa course sur la bicyclette tenant à son arrière train deux sièges surmontés d’un pare-soleil.

Confortablement assises, abritées, nous voilà sur le carrosse pendant trente minutes, longeant une route de terre. A l’horizon, de grands baobabs scandent le ciel, incroyablement beaux dans leur épanouissement naturel. Aussi, le paysage prend la forme de rizières aux reflets bleu vert. En somme, je m’extasie devant cette végétation aussi dépaysante qu’impressionnante. Ma sensibilité est alors décuplée par la beauté de ce théâtre saisissant. De leurs troncs massifs surmontés de touffes dégarnies, les baobabs animent et dessinent des images mouvantes dans l’eau soyeuse ponctuée de brins de riz. Toutes deux ballotées, le chemin de terre poussiéreux se poursuit au loin, lequel arbore des teintes ocre, beige, marron. Descendues de notre embarcadère, les géants de plomb se déploient devant nos yeux, grands, majestueux et sages. Dans le silence ambiant, leur éloquence me paraît spectaculaire et m’envoie vers un désert empli d’une sagesse indicible.

Tout à fait héroïque, leur présence millénaire raffermi leur corps statique, leur prestance archaïque leur confère un sentiment d’impassibilité univoque. Le moment est précieux, mon regard ne cesse de revenir sur les branches tortueuses de l’arbre dénué de feuilles et de fruits en cette saison hivernale. Au milieu de ce nulle part, je me sens comme dans un monde parallèle à la douceur suave et chaleureuse, j’inspire et expire au fil des vagues de ce dépaysement total, je me laisse porter par ce vent nouveau à l’envergure éblouissante. En outre, il nous faut désormais rentrer au centre-ville, on ne sait comment, mais nous affichons détermination et persévérance. Tout d’abord, que l’on soit têtues, folles, inconscientes ou entêtées, nous restons sur notre position lors des négociations de pousse pousse : hors de question de passer pour des vazahas, notre dernier prix sera 6000 ariary. Réponse ? Deux refus encaissés. Résultat ? Plus aucun pousse pousse à l’horizon sur l’allée des baobabs. Distance ? Cinq kilomètres pour rallier les baobabs et le croisement de Belo. Solution ? Parlons d’orgueil ou d’ego, nous voilà convaincues à parcourir le trajet à pied, bandits ou pas.

Un kilomètre déjà et nous apercevons un pousse pousse décamper du coin d’un village, nous lui faisons signe, négocions les 6000 ariary et terminons donc la course à dos de bicyclette, bien fières d’avoir tenu bon. Au croisement de Belo, quelques bananes et quelques beignets sont engloutis, lesquels précèdent l’avalanche d’eau bue. Voilà qu’ensuite nous sommes poussées avec entrain par un villageois vers un bus, tout à fait sur le qui-vive. Incompréhension, l’homme hèle et hausse la voix, l’engin s’arrête, la portière s’ouvre et nous sautons dedans comme des malpropres : inshallah c’est le bon !

Il est 17h30, les rayons lumineux disparaissent et installent pénombre au cœur de la ville aux rues vivantes, lesquelles se composent de vendeurs de toutes sortes, légumes, beignets, pâtes, poisson, viande, vêtements. Ci et là, les tas de déchets se multiplient, émettent encore quelques fumets du feu de la veille, empestent de leur odeur âpre, tenace, désolante. Nous empruntons la rue principale jusqu’à la plage où nous découvrons un coucher de soleil aux couleurs rosées. Alors, j’aperçois la boule de feu descendante, presque incandescente, laquelle tutoie les eaux farouches du canal de Mozambique. D’un calme effrayant, les vagues maîtrisées s’échouent tandis que le vent iodé balaye mes cheveux. Infernal, provocateur, fatal, le dernier rayon se fiche du temps et disparaît en un battement de cil.

En une profondeur intense, j’admets une retenue intérieure, mon souffle devient lent, s’interrompt brièvement devant cette magnificence rencontrée, ressentie, vécue. Alors, nous entrons discrètement dans un restaurant reculé à l’abris des regards. A peine en son sein qu’un homme au sweat-shirt nous salue en souriant : « encore vous ! ». En vérité, ce n’est autre que Monsieur le policier, ledit Fanira, qui s’installe bien naturellement à côté de notre table alors que le restaurant est littéralement vide. Entreprenant, il débute alors la conversation, s’exclame et s’étend durant une demie heure. A priori, aucun risque, rien à craindre, la discussion est agréable, nous échangeons les contacts car Steph me souffle à l’oreille : « un contact dans la police à Mada, ça peut toujours servir ! ». En somme, une journée mémorable prend fin, le cœur léger en compagnie d’une amitié des plus complices à travers laquelle j’apprends, je grandis, je ressens et je vis.

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Publié le 7 juillet 2023

Rendez-vous 7h30, il est 7h et nous nous délectons de beignets trempés dans un café sucré au marché attenant la rue marchande. L’entrée est étroite et mène à un espace confiné couvert. Lieu sombre, mes yeux s’adaptent à la luminosité décroissante tandis que je progresse dans l’allée principale bordée de commerçants. Beignets, pâtes, eau, gâteaux, pain, plats express, les cases sont délimitées par des structures boisées regorgeant de nourriture fraîchement cuisinée. En dessous des vitrines, des nappes sont nonchalamment posées sur les tables basses, des bancs de bois sont présents à chaque étalage, rendant possible la pause afin de savourer les douceurs agrémentées de vols de mouches perpétuels. Au fond, l’atmosphère est plus obscure encore mais il en ressort un air plutôt convivial, je dirais « comme à la maison ». Les tables sont rangées de manière parallèle, les ouvriers s’assoient au compte goutte ou par dizaines à l’heure de pointe, les casseroles sont d’ores et déjà disposées sur la longueur et les repas sont servis à la hâte, il y a comme une nette ressemblance avec une cantine de village.

Dernière gorgée avalée et nous rejoignons notre cher Zaza, guide pour notre excursion matinale. Après avoir enjambé le tuktuk et roulé quelques minutes jusqu’au quartier de Nosy Kely, nous voilà déjà au port où deux pagayeurs nous attendent. En son bord, nous voguons sur l’eau particulièrement calme et cristalline du Canal Hellot.

Tandis que nous dépassons les bateaux pêcheurs à quai, Zaza nous explique l'art de confectionner une pirogue. Tout d’abord, il nomme « Sakalava » le nom de la pirogue faisant partie de celles de la famille dite à balancier, qui se trouve surtout en Asie et en Afrique de l’Est. Ainsi, le fond de l’embarcation est sculpté à la main dans un tronc d’arbre, auquel sont ajoutées des planches emboitées les unes sur les autres. Cette coque centrale étroite mesure entre trois et cinq mètres à laquelle on accole un unique balancier, autrement dit flotteur. Ce dernier, toujours placé à droite, est également construit dans un bois léger et est relié à la coque par deux perches en bois particulièrement souples et solides. D’une résistance certaine, l’ensemble est fixé par des cordages qui n’exclue pas l’agilité de manœuvre. Facilement manipulable, il est aisé de circuler à travers les eaux de palétuviers et les bancs de sable des estuaires, gage d’une autonomie parfaite.

Assise derrière le pagayeur, j’observe la flore enracinée dans les eaux du canal, un amas filandreux et un labyrinthe géant de mangroves de variétés différentes. Leur feuillage respire l’humidité et la fraîcheur même de par ses nuances vert phosphorescent. Le calme est stupéfiant, seuls les remous de l’eau caressent l’ouïe d’une volupté agréable, tandis que la voix enjouée de Zaza résonne en arrière-plan.

C’est alors qu’il s’exclame sur les bienfaits de la mangrove dont le bois est appelé « fobo », lequel représente l’élément essentiel à la toilette des femmes « sakalava » de Majunga, de Diego Suarez mais également des femmes « vezo » (pêcheurs) de Morondava et de Tuléar. Appelé « masonjoany » (tabaky pour les Vezo), le masque est appliqué sur leurs visages quotidiennement ou à l’occasion de cérémonies et de festivités. En outre, le masque terreux protège la peau du soleil qui est assez brûlant sur les côtes malgaches, de ce fait il en est devenu incontournable. Les femmes frottent simplement une branche de mangrove à vertu médicinale sur une pierre corail préalablement humidifiée puis applique la pâte sur le visage, laquelle sèche rapidement.

Alors nous débarquons sur la presqu’île de Betania, au gré de la visite de Zaza qui nous amène dans les dédales sablonneux bordés de maisonnettes éphémères construites d’argile et de branchages. Les palmiers verdissent le village de pêcheurs, du sol s’élèvent de grands troncs tailladés sur un côté pour l’escalade des grimpeurs cueilleurs de noix de coco. Alors, nous nous asseyons au pied d’une case, notre acolyte s’attelle à la tâche, la machette à la main, enserre le tronc de ses bras et tend ses jambes musclées. Parvenu au sommet, de francs coups de hache sont donnés, les fruits tombent d’eux-mêmes en un bruit assourdit par le sable chaud. Coupés en leur extrémité, je bois le jus rafraîchissant, les lèvres appuyées contre l’écorce boisée. Suave, doux, légèrement sucré, le breuvage hydrate et apaise mon corps échauffé. Ni une ni deux, j’imite ledit grimpeur et fais de même : trois mètres de hauteur franchis et ce seront les seuls pour aujourd’hui !

Noix de coco croquée, je m’en délecte jusqu’au dernier segment puis suit l’ami Zaza dans les allées aléatoirement dessinées du village, ou femmes s’affairent à la cuisine, assises par terre, à l’ombre de paravents de paille, devant le feu de bois crépitant. Ci et là, de magnifiques bougainvilliers fleuris transforment le paysage en une brise violet rosé charmant, embellissant encore davantage la préciosité de l’instant.

Peu après, des tamariniers tropicaux jouissent de la fertilité du sol, des jujubiers explosent de beauté tandis que les humbles corossols prennent l’image vert sombre d’une écorce piquée d’épines, portant des fruits pouvant mesurer jusqu’à vingt-cinq centimètres et peser entre un et trois kilos. Nous divaguons jusqu’à parvenir à une dune de sable nous séparant de la mer, la lessive est à l’ouvrage près des quelques puits d’eau claire. Le regard désormais face au rivage, j’observe l’amoncellement étendu des pirogues colorées. La plage paraît sans fin, elle s’étire et ne cesse de tromper ma vision par sa grandeur. A Betania, les pêcheurs partent en mer de 3h à 15h tandis que les femmes attendent leur retour avec des bassines, lesquelles servent à recueillir la portion de poisson nécessaire au repas de la journée. Par la suite, le reste du butin est vendu et distribué à la restauration de la ville.

Après avoir longé le bord de mer, nous rentrons en pirogue et visitons les quatre coins de la ville en compagnie de Zaza qui souhaite absolument nous faire goûter les meilleurs samoussas. Dans la rue marchande, un magasin de paréos attire mon attention puisque toute femme à Morondava en arbore de toutes les couleurs. La boutique regorge de tissus de toutes sortes et les « lambaohany » affichent des motifs tout à fait ravissants. Très portés dans le Nord du pays mais également près de Tuléar dans le Sud, voilà que nous nous approprions l’un d’eux pour le reste de notre séjour à Anjeva.

Ce soir, nous nous dédions à notre activité favorite : manger. Sous les conseils de Zaza, nous parcourons la plage tandis que le soleil se couche, puis nous installons dans un restaurant malgache. Sans aucun doute, la nourriture est fondante, généreusement servie, à la traditionnelle dans les maisonnettes familiales de restauration. S’il n’y a pas toujours de « ravitoto » à manger (plat de manioc) du fait de la situation géographique, le « vary » (riz) est servi avec des « tsaramaso » (haricots) accompagnés de poisson frit, de poulpe, de crevettes, de cigales de mer, de gambas mais aussi de canard ou de porc. En boisson, il est de coutume de recevoir une cruche d’eau de riz bouillante avec son repas. Le liquide chaud dans la chaleur ambiante désaltère malgré lui, aidant grandement à la bonne digestion.

Rassasiées, nous saluons le cuisinier et rentrons de la guinguette à pied, à quelques pas de la mer à marée haute qui se déverse sur les rochers du rivage. Au loin, les profondeurs inconnues offrent des reflets orangés sur les eaux mouvantes. Le silence citadin me paraît surprenant dans la rue non éclairée, par laquelle passent les pousse pousse émettant des tintements de sonnettes à chaque véhicule rencontré. Étonnement, j’ai un sentiment de sécurité certain dans la ville de Morondava où une toute autre atmosphère que celle du centre du pays règne.

Souriants, avenants, très aimables, les habitants paraissent habitués à la visite des vazahas et sont particulièrement accueillants. Les rues calmes le soir abritent des regards bienveillants dans les commerces et dans la restauration, tandis que la gentillesse des personnes rencontrées sur notre chemin est honnête, bonne, serviable. Sentiment réel ? Je l’espère grandement.

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Publié le 10 juillet 2023

Aujourd’hui représente le commencement d’un mois et demi de cours intensifs à l’école, lesquels sont proposés à tous les niveaux. L’affiche étant présente au village depuis une semaine, l’emploi du temps permet aux habitants de choisir leur créneau et de décider également de la participation de leurs enfants ou non. Au total, nous comptons trois à cinq heures de cours par jour, lesquels sont dispensés aux classes préparatoires, aux CM, aux collégiens, aux lycéens, aux professeurs et adultes du village.

L’heure est donc au rassemblement général,. Ce matin, les yeux de travers, nous nous retrouvons devant une centaine de personnes dans la classe de l’école, ce comptabilisant adultes, professeurs et enfants. Bien fébriles malgré nous, nous gardons la face tandis que nos papas Manassé et Taratra se démènent et négocient les derniers entendements avec la directrice. Mise au point, réglages horaires, détermination des créneaux, la réunion dure et nous ne comprenons mot : aucune parole ne sera échangée en français, merci Manassé et Taratra pour la traduction finale.

Dans cette scène à l’image d’un amphithéâtre organisé, Steph et moi sommes à l’écart, le sourire en façade, le stress montant, dans une attente interminable enfin. Tandis que nous sombrons dans un enfer silencieux, voici Taratra qui nous lance des regards pour s’assurer de notre survie. Des désaccords surviennent, il est vrai que la directrice aimerait que nous nous en sortions pour sept heures de cours par jour : autrement dit, mission impossible. Pas d’inquiétude, nous faisons entièrement confiance en nos piliers d’Anjeva, l’emploi du temps restera comme il en avait été convenu, YES.

Nous rejoignons tout d’abord la classe de CP, lesquels s’empilent à cinq par banc. En notre compagnie, la directrice traduit quelque peu le fil de notre discours pour aider à ce que les enfants comprennent le contenu. Timides, parfois totalement ignorants de la langue française et pour cause, leurs grands yeux sont rivés sur nous, avec douceur nous essayons de mener la danse.

Dans l’impossibilité de lire, moindre capacité d’écrire, la compréhension orale reste l’élément essentiel du cours. Semaine, couleurs, comptines accompagnées de gestuelle, la séance se conclut par une belle animation entraînante au rythme du Touche Touche Couleurs. Ensuite vient la classe de CM avec laquelle nous tentons d’améliorer compréhension orale et expression orale. En guise d’introduction, des exercices de grammaire sont écris à la craie au tableau et la participation des élèves est commune.

Le meilleur reste sans aucun doute l’activité aux airs de cohésion et d’agilité en binôme dans un véritable parcours du combattant constitué de ballons portés, de bouteilles en plastique placées au sol à contourner, de cordelettes maintenues en hauteur et de but marqué - à nouveau - de bouteilles en plastique. Les cinquante élèves passent puis la directrice et une professeur s’élancent elles aussi en s’esclaffant : regard complice avec Steph, l’activité est réussie. Après le retour à la maison, en réalité une courte pause déjeuner, nous repartons déjà exténuées de notre journée pour donner cours aux professeurs des villages alentours.

Femmes composent la dizaine de volontaires présentes, avec lesquelles nous échangeons deux heures durant afin de connaître les différents besoins, difficultés et attentes envisagées. Autoévaluation réalisée, mindmap et échange sur l’enseignement puis notions clés des quatre types de mémoires sont tout à tour abordés. Venue la fin, les femmes s’étonnent et, curieuses, s’intéressent à la formation de danseuse de Steph : c’est dit, nous apprendrons le french Cancan ce mois-ci ! Rentrées à la maison, nous apercevons des visages connus, les grands adolescents tout fraîchement revenus de Tananarive après avoir passé l’examen du brevet. La maison est désormais presque au complet, Faniry, Tolotra et Nekena nous saluent le sourire aux lèvres tandis que nous faisons connaissance avec Julio, nouvel arrivant, petit bout de chou de neuf ans à l’énergie folle.

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Publié le 14 juillet 2023

Quelle importance confère-je à notre quotidien à la maison Manantsoa ? Lieu de rassemblement, de convivialité et de solidarité, mon cœur respire et s’apaise chaque fois que j’entre dans ce petit paradis créé par Manassé et Taratra, puis assurément embellit par l’énergie des enfants. Dans cet antre chaleureux, les pièces sont petites mais suffisantes à la vie en communauté qui grandit et possède un caractère particulièrement sain.

Devant le porche de la maison, un espace de terre damée précède une bande cultivée dédiée à la permaculture. Un arbre scinde et divise le terrain, il dessine chaque jour une ombre dansante sur la façade. Un dalle bétonnée se situe devant l’entrée, laquelle est surmontée d’un abri de tôles. Ici, chaque jour le balai est passé, chaque jour sont déposées des paillasses tressées sur lesquelles nous nous asseyons en tailleur pour réaliser activités et jeux ensemble. De part et autre d’autre de la porte, deux fenêtres sans carreaux sont orientées vers le jardin. J’entre, la pièce à gauche sans cesse ouverte est la première chambre des enfants, constituée de trois lits à étage placés au fond et décorée de banderoles, de paroles de chansons et de dessins affichés au mur. Je rebrousse chemin et suis dans le couloir, à droite se trouve la chambre de Manassé et Taratra, petite pièce souvent assombrie par le rideau tiré, quelque peu privée et mystérieuse pour les enfants. La pièce suivante est utile à la préparation de la nourriture, à la disposition de la vaisselle en train de sécher, au rangement des quelques aliments de base tels que le café, le sucre et le sel sur une étagère simple en bois.

De nouveau dans le couloir, à gauche monte un escalier étroit et escarpé, devant moi se trouve la dernière pièce du rez-de-chaussée qui contient une table maintenue par un tabouret placé en-dessous d’une plate-forme en bois ovale. Juste derrière, un toilette design Europe et une pièce d’eau renfermant un saut et une cruche. A droite de la table, une porte mène à l’arrière de la maison où se trouve la cuisine uniquement caractérisée par une cuisinière construite sur une base en briques, agrémentée de deux puits à charbon de bois et terminée par deux plaques de métal trouées et surélevées.

En son opposé, au fond d’un couloir bétonné extérieur également, se trouvent les toilettes turcs. Je pénètre de nouveau dans la maison, prend le couloir et monte les escaliers menant à une première chambre à droite, grande, spacieuse, dans laquelle nous passâmes un mois. De l’autre côté, deux chambres plus petites sont divisées par un mur ajouré. L’étage possède de petites fenêtres ouvertes, nous les fermons avec de simples volets de bois le soir venu afin de limiter les courants d’air. Au-dessus de nos têtes, le toit est fait de tôles enchevêtrées, lesquelles sont fixées sur des chevrons de bois vernis. Entre les murs porteurs et le toit, un espace libre existe par lequel une main peut facilement se glisser, voici peut-être l’aération naturelle.

Ainsi, voilà la maison dans laquelle je vis, dans laquelle je partage chaque jour des moments de vie avec ma famille, dans laquelle je suis comblée de bonheur et d’amour. Bien sûr, le confort semble primaire et pourtant, aucun besoin supplémentaire ne saurait ajouter une once de bien-être dans mon quotidien. Les jours passent et mon épanouissement évolue, bourgeonne et fleurit au vent de la brise enfantine rayonnante. L’entente est douce, parfois ponctuée de quelques soubresauts de tension mais vite raffermit par une cohésion de groupe forte et sincère.

Les jours passent et les enfants deviennent plus nombreux, chacun essaye de trouver sa place et une place est offerte à chacun. La famille orpheline, c’est en somme une vie formée et liée au fur et à mesure des vagues de moments partagés. La famille orpheline, c’est enfin une atmosphère créée et aimante basée sur une confiance réciproque construite et renforcée au fil des vagues du temps qui passe. La famille orpheline, je dirais en outre qu’elle confère une unité, véritable métaphore d’un monde parallèle où enfants et adultes se côtoient et apprennent les uns des autres. La famille orpheline, c’est la nôtre, celle que nous chérissons chaque jour et dans laquelle notre « fitiavana » devient un astre splendide, lumineux et réconfortant.

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Publié le 14 juillet 2023

Chaque semaine, le mercredi est dédié à cinq heures de cours donnés à l’EPP. Après avoir dispensé des leçons aux CP et CM, nous consacrons l’après-midi aux villageois, parents et adultes d’Anjeva Gare. Volontaires, nos cours étant gratuits, ceci représente une véritable opportunité pour eux. Devant la salle de classe, nous rencontrons une majorité de femmes, comptant au total vingt-trois participantes. Sans aucun doute, ces femmes souhaitent améliorer leur français courant afin de l’enseigner à leurs enfants en bas âge. Certaines paraissent détenir un vocabulaire avancé alors même qu’elles sous estiment terriblement leur niveau. D’autres, tout autant dévouées, possèdent un niveau moindre mais ont tout de même la réelle volonté de progresser. Assises dans les rangs bien ordonnés aux bureaux de bois, leurs sourires sont beaux et vivants, en moi ressort un sentiment de gratitude profond, un respect indubitable envers leur motivation certaine. Les minutes passent et une certaine confiance s’installe, leur assurant que jamais notre entreprise ne portera jugement, que notre aide se veut avant tout bénéfique et bienveillante.

Peu à peu, leur timidité fait place à une participation active, laquelle affiche spontanéité et engouement. Après avoir fait une autoévaluation, les réponses aux différentes compétences (compréhensions de écrite et orale, expressions écrite et orale) s’avèrent être basses alors même que nous tentons d’adapter notre cours. Le problème majeur observé dans la pratique générale de la langue reflète surtout des difficultés pour l’expression orale. Appliquées, curieuses, très humbles, les femmes présentes nous font part de leur dilemme puisqu’elles sont inévitablement partagées entre l’envie d’apprendre et la nécessité de devoir s’occuper de la vie du ménage, de la famille, du labeur dans les champs.

Désireuses d’offrir la meilleure éducation qui soit à leurs enfants, l’avenir leur paraît vain, n’ayant effectivement peu de moyens financiers, n’obtenant aucune aide du gouvernent, ne recevant aucune information ni conseil pour inscrire leurs enfants dans des universités locales ou à l’étranger. Malgré tout, un espoir subsiste en elles, il apparaît scintillant et grandissant dans leurs yeux alors même que certaines portent bébés dans leurs bras, les allaitant en même temps que de recopier les phrases inscrites au tableau. Les petits sautent, crient joyeusement, rigolent doucement. Tout naturellement, ils quittent les bras de leur mère, s’aventurent vers l’inconnu environnant puis gambadent deux heures durant dans la salle de classe, téméraires, intrépides, insouciants.

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Publié le 21 juillet 2023

Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de Steph mais, tout d’abord les quatre heures de cours à l’école nous attendent, à 8h pétantes. A peine arrivées que nous saluons les enfants qui se lèvent de leurs bureaux. Alors, je lance à la cantonade un joyeux anniversaire, tandis que les enfants sourient et élèvent leurs voix. En chœur, les 116 collégiens s’époumonent presque, le chœur est d’une force percutante, j’en ai les mains qui tremblent et le cœur battant. Tout naturellement, le silence retombe et Steph remercie la véritable assemblée, juste avant de reprendre le cours de deux heures. Suite à la leçon également dispensée aux professeurs, nous sommes de retour à la maison.

Dans une attente impatiente, les enfants de l’orphelinat nous attendent pour célébrer l’anniversaire. L’emploi du temps est chargé : tout d’abord, nous devons nous atteler à la tâche et préparer les trois cours pour le lendemain ; ensuite, courses sont au programme pour confectionner un gâteau aux pépites de chocolat avec les plus grands ; enfin, la musique doit résonner dans tout le village et se métamorphoser en boom tonight. Alors, appliqués, Tolotra, Faniry et Nekena se relaient pour fouetter la pâte à la fourchette avant que le gâteau soit enfourné dans le four électrique, nonchalamment posé sur deux tabourets branlants.

Boom commencée dès 16h, sur les chapeaux de roues, mais attention : avant tout chose, l’heure est grave puisqu’il nous faut réparer la prise défectueuse de l’enceinte. Ni une ni deux, sans pression aucune, Tolotra, Nekena et Sitraka s’y penchent et constatent les dégâts. Alors, les fils sont dénudés, l’embout est coupé puis échangé jusqu’à ce que les quatre extrémités soient finalement reliées et raccommodées à l’aide d’un simple bout de scotch brûlé au briquet - bien sûr, ceci pour éviter toute brûlure. Les enfants ayant terminé leur œuvre, Sitraka attrape la prise et l’enfonce dans l’interrupteur : magie, l’enceinte fonctionne ! Alors, la fête peut commencer.

La musique bat son plein et nous entamons la chasse au trésor dans toute la maison. Carte en main, même Manassé se prend au jeu, entouré de tous les enfants. La chose est prise au sérieux, des équipes de deux sont formées et dédiées à la recherche d’un cadeau en particulier. Tous se dispersent soudain et se dirigent vers les potentielles cachettes, chacun déterminé à trouver les bonbons et gâteaux cachés par nos soins. Les sourires sont sur tous les visages, bientôt les cadeaux sont dégottés, si un binôme ne s’y retrouve pas, un autre arrive et ne tarde pas à vaincre l’épreuve !

Le tour est joué, tous les cadeaux sont rassemblés sur une table aménagée de tabourets - ceux-ci seront ouverts ce soir, après le dîner. Bien sûr, la boom ne serait pas boom sans les inévitables coupures de courant qui s’enchaînent malgré nous. L’occasion s’y prête à merveille, la lumière cesse, nous chantons haut et fort notre joyeux anniversaire et cela à cinq reprises. Les coupures, elle nous paraissent être là pile au bon moment, cela nous fait rire, cela nous amuse au plus haut point tandis que les voisins saluent Steph en entendant notre vacarme. Les heures passent, les musiques se déversent en cascade et nous dansons joyeusement, parfois en formant une ronde dans laquelle chacun se relaie pour offrir son meilleur solo.

Enfin, nous prenons le repas tous ensemble, tous assis en cercle sur les paillasses, quatorze au total. Les assiettes sont généreusement remplies depuis la grande casserole de carbonara spécialement cuisinées pour Steph. Vient le moment tant attendu des cadeaux déballés avec entrain par les enfants. Leurs yeux pétillent à la vue des bonbons et des madeleines bientôt déjà engloutis par la petite famille que nous formons. Tout est partagé, cette valeur est naturelle chez les petits comme chez les grands, quelque soit la quantité, chacun et chacune recevra sa part. Alors, Manassé joue un air de guitare, lequel n’est autre que celui que je lui ai glissé à l’oreille il y a quelques jours : M. Pokora, Steph en est sa meilleure fan, il fallait absolument chanter l’une de ses chansons.

Soudain, Manassé me donne le top départ et, bien timidement, je murmure les premières paroles. En regardant mon amie dans les yeux, en attendant qu’elle comprenne et reconnaisse la musique, je l’invite et l’incite éperdument à chanter avec moi, ce qu’elle ne tarde pas à faire : sauvée. La chanson terminée, je fais signe à Taratra de lancer une petite mélodie à la guitare afin que je puisse lire le poème écrit à l’intention de Steph. Décontenancé, l’instrument vole jusqu’à Manassé qui s’exécute et fait danser ses doigts sur les cordes.

À nouveau, papa me fait signe et je lis les premiers mots, lesquels s’évadent tendrement de ma bouche. Quelque peu intimidée, émue surtout, je n’ose relever les yeux et regarder mon amie en lui offrant à voix haute les tréfonds de mon amour pour elle. Mon regard rencontre le sien, mouillé et submergé de larmes. Alors mon cœur sursaute et s’emporte, les vers sont prononcés, ils se multiplient encore et encore, je les sens sortir de moi comme des vagues chaleureuses et sincères, je les exprime avec toute mon affection, ils explosent en mille pétales dans la chambre où nous nous trouvons tous. Les dernières phrases m’arrachent quelques sanglots étouffés tandis que Manassé fait vibrer une dernière fois les cordes, tremblante je rejoins Steph et la serre intensément dans mes bras, heureuse alors de lui avoir donné ce qui comptait le plus pour moi.

à Steph, Poème à ciel ouvert dans toute sa pureté, emphase. Rimes enchanteresses à l’accent ensoleillé. Ta douce folie charme par sa sensibilité caractère. Ton âme illumine puis se transforme en vie dansante. T’es étoiles chavirent d’humeurs réconfortantes. D’un joyau scintillant tu nais, rêves et grandis. Véritable comète, tu transcendes l’obscurité mystère.

Tes valeurs créent ensemble un astre magique, féerique. Chaque idée nuage n’est que sourire et volupté. Quand je plonge soudain dans ton regard marbré, tes cils ambres s’ouvrent et dévoilent des iris miroirs. En toi ma confiance semble inconditionnelle. A l’infini sans doute cet amour chatoyant, coloré, pour la merveille de tes constellations dorées. Fleurissent aussi les pudeurs de ton élégance immaculée. Naturelle et fluette, elle demeurera toujours éternelle. Dans mon cœur cette étincelle lumineuse, éclatante, envers l’antre de ta planète plurielle, charnelle. Irréel surgit le flambeau rougeoyant de ta tendresse, lequel enveloppe et caresse par sa puissance feu. Le dessin harmonieux de tes traits innocence m’habite, dès lors que ton humour rencontre mon humble galaxie. Liées je le pense à jamais, je te suis vers cette Voie lactée. Quelque soit l’inconnu ou l’imprévu, promesse. Ta main sera dans la mienne, belle, vraie, sincère. Nos chemins intrépides n’auront de cesse que de s’embrasser.

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Publié le 28 juillet 2023

Célébrer et profiter, voilà que nous apprenons la veille au soir la venue inattendue d’Ismael, frère de Manassé, ainsi que de leurs cousins. Naturellement, l’intégration est immédiate, le feeling est chaleureux et convivial. Au temps pour la bonne humeur, Ismael dégotte deux bouteilles en plastique d’un litre et demi, lesquelles présentent un liquide semblable à de l’eau. Seulement, la bouteille entre les mains, celui-ci nous explique qu’il s’agit de ce bon vieux alcool local, d’ailleurs considéré comme la solution parfaite pour ne pas avoir la gueule de bois le lendemain. Selon leurs dires avisés, ce doux breuvage représente l’occasion idéale de boire sans angoisse. Tout d’abord, nous trinquons nos verres replis de « Tokagasy », alcool de canne à sucre aromatisé à la cannelle. Ensuite vient le fameux « Betsa », alcool de canne à sucre typique de Tamatave, autre région et ville située au nord-est de l’île.

Entassés à dix dans une chambre de 10m², la soirée s’écoule sous les rires et les chants joyeusement cantonnés, les paroles étant perpétuellement accompagnées de morceaux de guitare entraînants. Que ce soit français ou malgache, l’interculturalité est le maître mot de l’instant tandis que nous chantons en chœur, le verre de tokagasy à la main. Prévenantes, Steph et moi trempons seulement les lèvres, il en est tout autrement pour les garçons qui fêtent le départ imminent d’Ismaël en Pologne, lequel débute des études de philosophie et de théologie dans le pays européen.

Langue non parlée, un an d'apprentissage et de pratique est prévu avant de poursuivre son parcours. Les deux frères se ressemblent infiniment, nous avons d’ailleurs rencontré leurs parents dans la semaine, lesquels étaient de venue à Tananarive pour les aurevoirs. Le départ comme synonyme d’inconnu, le départ comme une première fois à l’étranger, loin de Madagascar, le départ comme renouveau inexploré quelque peu teinté de stress légitime.

Le lendemain, tout le monde se salue à 7h pétante : les garçons disaient donc vrais, le tokagasy ne présente visiblement pas d’effet alcoolisé secondaire. Miracle. Après nos quatre heures de cours, le repas est pris puis nous décidons de partir ensemble à la rivière. Nous cinq et les enfants partons gaiement, le maillot de bain enfilé en prévention. À la queue leu leu sur le pont aux madriers largement espacés, nous passons en équilibre avant de rejoindre la voie ferrée menant jusqu’aux rizières attenantes. D’un pas décidé, nous connaissons notre destination et nous dirigeons vers notre super « plage ». Arrivés, la place est prise mais les garçons nous affirment que nous pouvons partager l’endroit avec les enfants des autres villages qui se baignent sur la rive d’en face. Alors, nous déchaussons claquettes et tongues tandis que les premiers sautent à l’eau. Bien vite, Steph et moi les suivons, nos visages en frimousse lors de l’entrée dans l’eau fraîche.

Soudain, des cris rauques et puissants surviennent et fendent les airs. Les enfants d’en face quittent l’eau. D’une véhémence brute, presque sauvage, j’aperçois un homme au-dessus de la bute. Ce dernier nous surplombe et vomit ses menaces en malgache sans interruption. Je reste complètement statique, mue d’une saignée d’incompréhension, tandis que la voix résonne et semble me transpercer d’épines saillantes. Atterrée, sa voix et ses gestes apparaissent d’une violence impossible, ses regards lancés sont d’un vertige horrifiant. Me retournant vers les garçons, je constate que tout le monde est bouche bée, que nul ne parvient à répondre ne serait-ce qu’un mot. La confrontation, ou plutôt le monologue, dure et ne cesse pas, attestant d’une insistance irréelle. Elle est clairement dirigée contre nous, vazahas, Steph et moi. Sous l’obligation, nous nous voyons obligés de quitter la rivière comme des malpropres sans en connaître la raison.

Alors, Ismaël se tourne vers nous, il explique que l’homme nous interdisait catégoriquement de nous baigner dans la rivière, soutenant qu’il y avait une loi ici. De plus, il affirmait que nous, blanches, faisions peur aux enfants : si nous souhaitions vagabonder, « allez à Anjeva et partez ». Abasourdies, nous décampons vers un autre endroit. En moi une douleur sourde, un silence profond marqué d’une perte d’orientation déconcertante.

Comment avoir une croyance si ancrée, comment être si persuadé d’une chose alors même qu’elle représente la méconnaissance même. Le dédain immense contraste avec l’ignorance absolue, j’appréhende une dégringolade face à ce mystère bien sombre de la xénophobie et du racisme dans le monde. J’assiste au dénigrement de l’autre dans sa beauté la plus suprême, je découvre les tréfonds d’une haine enfouie envers divers endogroupes.

L’instant se résume en une impuissance dans ce qu’elle a de plus dur, de plus vil, de plus cinglant. Incontrôlable, fatal, inexpliqué. Indubitablement, ce genre de jugement contribue à la perte de nos valeurs humaines, lesquelles mènent à un chemin biaisé et indécent dans la transmission de générations en générations. L’implacabilité de cette rage intérieure me glace. Bien démunis devant tant de rejet, nos enfants deviennent muets face à cette scène inimaginable, les garçons restent tout à fait transis d’incompréhension. Néanmoins, leur bienveillance et leur engouement embrassent nos cœurs tandis que nous essayons de prendre du recul et de relativiser.

Bien déterminés à trouver un autre endroit propice à la baignade, nous marchons dans les pas des garçons jusqu’à parvenir à une mare naturelle, bordée de roches érodés sur le lit de la rivière. Je regarde Steph, laquelle ne se laisse pas déstabiliser par cette indignation, et je m’efforce de relever la tête et de profiter de l’instant présent, entourée de tout cet amour, de cette gentillesse, de cette tendresse. Les enfants sautillent, crient parfois et s’amusent à nouveau de notre entrée dans l’eau, de nous les « grands ». Les encouragements fusent et nous nous retrouvons dans l’eau jusqu’aux hanches, certains grelottant, d’autres se marrant et s’esclaffant ouvertement.

Josy, Princi, Julio nous accompagnent de leur candeur et de leur joie inouïes tandis que Faniry, Tolotra et Nekena offrent le cadeau précieux de leur adolescence grandissante, marquée de découvertes, de timidité et de témérité nouvelle. Trempés, nous repartons comme une famille, enjambant à cloche pied la rivière puis se suivant les uns derrière les autres.

Remontant le chemin menant à la maison, les mains des enfants dans les miennes, je regarde autour de moi les sourires, les regards d’affection, les gestes de tendresse, lesquels reflètent indubitablement les valeurs de tolérance, de respect, d’acceptation, de paix. Mon cœur se libère du poids de cette rencontre malsaine, la seule et l’unique personne malveillante à laquelle nous nous sommes retrouvées confrontées à Madagascar, pays des plus accueillants qui soient.

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Publié le 29 juillet 2023

L’aventure commence, elle naît subitement ou volontairement. Elle croît douce comme la brise, elle s'expand comme un arbre souverain. Elle s’impose par ses racines tenaces, elle respire la sève synonyme de vie. Un frisson printanier la surprend, la caresse, la chérie. Son branchage devient merveille, bourgeonne et verdit. L’aventure est telle, grande de ses peines et de ses joies. Un vent se lève, balaye la plaine, les feuilles tremblent. La majesté flamboyante perd de sa superbe, orage, tempête. L’apparence du périple arbore de nouvelles nuances à chaque saison. L’hiver sévit alors, son ramage rougit, jaunit puis s’embrase. L’aventure connaît des intempéries, elle ressent, elle suffoque. Les larmes si belles dans le ciel s’envolent fatalement. Elles tourbillonnent, se frôlent, s’amusent et tombent au sol. Leur fragilité ressemble aux aurevoirs, si intenses, si foudroyants. L’histoire de leur vie est sans doute bientôt finie, souvenir. L’aventure témoigne, émeut, crée sa propre mémoire. D’abord ses étoiles deviennent poussière, se fondent, disparaissent. Alors elles se métamorphosent en essence vitale, semence créatrice. Voici le renouvellement du cycle infini comme engrais d’espoir. Ses méandres nourrissent la Terre, la vitalisent, la rendent féconde enfin. L’aventure reprend peu à peu son souffle, elle s’élance fluette. Épopée, l’arbre montre sa splendeur, se plie, subit parfois. Formidable, il retrouve sa beauté d’antan, reconnaissance absolue. La vie l’habite, les émotions resurgissent, les énergies se rencontrent. Le voyage est éphémère devant les yeux mais éternel dans le cœur. Une aventure se clôt, vécue, une autre voit le jour, sublime.

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Publié le 30 juillet 2023

Dimanche ensoleillé, les nuages épars taquinent le ciel bleu azur, la légèreté matinale enveloppe les plaines. Mues d’une belle et paisible énergie, nous nous envolons bientôt pour une randonnée à deux. Le soleil fait naître une agréable chaleur, laquelle caresse nos peaux ternies des derniers jours gris et moroses. Rayonnantes, Grognon le chien à nos trousses, nous allons bon train, enjambant les rails de chemin de fer. En arrière-fond sonore, la rivière offre la tranquille mélodie de son coulis d’eau continuel, lequel se voit sublimé par une cantonade d’oiseaux en pleine voltige. Sur les flancs des collines avoisinantes, la végétation forme un dessin inégal, respirant le vert, l’ocre, le rouge et la terre de sienne, tandis que quelques zébus surgissent ci et là. La première montée débute après une traversée en ricochets de la rivière, nous suivons ensuite le chemin de terre damé par le passage quotidien des habitants du village.

De part et d’autres, de petites maisonnettes habitent l’espace, traditionnellement construites en terre et argile. Délicatement déposés, les fagots confectionnés de branches sèches constituent les toits. Aucune barrière, aucune clôture, les espaces sont ouverts et libres à la circulation de chacun, parlons de respect commun. En définitive, seuls quelques murets à hauteur de jambe délimitent parfois les habitations, ceux-ci étant fabriqués d’argile, étonnamment aérés de petites auréoles sans doute formées par les rayons du soleil asséchant la terre humidifiée et moulée. Le chemin file au loin tel un sillon qui monte crescendo tandis que les premières sueurs se font ressentir. Colline dépassée, gorgées bues puis vue imprenable sur l’ultime objectif de la montagne, laquelle surplombe magnifiquement la vaste vallée. Je la regarde, elle est majestueuse, se dévoile en escaliers depuis le lit de la rivière. En son creux, les rizières rigoureusement tracées se déploient jusqu’au possible, bordant l’élan terrestre des versants montagneux. L’ensemble est radieux, de riches nuances aux verts multiples se décuplent, se multiplient.

L’humidité est de mise, elle accueille et embrasse les cultures, elle offre de beaux reflets mordîtes. Ci et là, des paysans travaillent dans les champs, l’outil à la main, maniant la bêche de haut en bas. Je lève les yeux, les pans rocheux possèdent une végétation amoindrie, ils sont sans cesse balayés par le vent, ils sont foulés par les nombreux sentiers en zigzag, lesquels mènent enfin à un village aux maisons joliment déposées. Comme une suite organisée, la rue passante traverse la contrée perdue, éloignée de tout commerce. Nous progressons, les muscles chauds par l’effort, Grognon toujours derrière nous la langue pendante.

Aucun nuage décore le ciel, les rayons lumineux flottent dans l’air, un doux mirage luit à l’horizon et mon regard s’enfuit toujours plus haut sur le paysage au relief couronné. La montée s’accentue et nous dépassons de petites cascades d’eau fraîche, laquelle se voit délicatement passée sur le visage et la nuque. Dans cette altitude vertigineuse, des rizières en strates sont entretenues par les paysans d’ailleurs en plein labeur en cet après-midi chatoyant. A quatre pattes, nous escaladons de grandes roches solidement ancrées dans le sol. Celui-ci s’avère être parfois sec, ou au contraire empreint d’une humidité déconcertante, tout à fait propice à la fertilité des terres pour la culture du riz, lequel affiche de belles couleurs verdoyantes, luisantes, d’une clarté spectaculaire. Alors, la véritable escalade dans les broussailles débute, les branchages coupés depuis peu jonchant le sol. Les épines harcèlent nos jambes et nos mains agrippées tandis que nos pieds s’enfoncent dans les gouffres inattendus. Sans exagération, on aurait pu penser à un pitoyable théâtre comique, parlons Comedia del’Arte.

Le premier promontoire pierreux est atteint, une vue imprenable m’exalte, m’impressionne, me tient. Essoufflées, j’observe l’ultime sommet qui me toise de toute sa majesté. La dernière traversée dans les herbes hautes, sèches et craquantes est entamée avant une arrivée en beauté, pic culminant de la vallée d’où trône un drapeau malgache volant fièrement au vent. Le déroulé des montagnes est saisissant, j’appréhende la magnificence naturelle aux ombres changeantes. Grandes, elles pointent leurs sommets dans l’immensité de l’océan bleuté ; massives, elles s’enracinent profondément dans les terres et s’ensevelissent mystérieusement. En leur sein, les vallées apparaissent boisées ou totalement rocheuses.

Telle une autre inconnue, les versants se superposent, forment un entrelacs géant somptueux, puis disparaissent dans l’obscurité fatale du lit de la rivière turquoise. Partout, de petits villages occupent les altitudes, très peu développés, constitués seulement de quelques habitations. Souvent, une église est érigée en leur centre, lesquelles s’élèvent au-dessus des toits, la religion ayant une place majeure dans la vie quotidienne des malgaches. Croyance ferme, catholiques, protestants, musulmans et juifs peuplent le pays. En contrebas, quelques échos de la vie me parviennent, mais surtout culmine le silence intense des plus purs qui soient. Mon souffle s’apaise, ralentit, devient volatile à mesure des bouffées d’air frais enivrant mon corps. En somme une journée revigorante, tranquille, simple en compagnie adorée.

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Publié le 3 août 2023

Aujourd’hui, nous partons en taxi brousse pour rejoindre le centre Asafi situé dans la périphérie de Tananarive. Tous les quatre dans l’engin, Steph, Taratra, Manassé et moi, nous subissons une fois de plus le trajet jusqu’à parvenir à la ville. Bam, deuxième bus. Bam, troisième bus dans lequel nous sautons in extremis. Course aux coups de freins et aux arrêts fréquents et aléatoires, nous mettons finalement pied à terre après avoir dépassé une rivière bordée de maisonnettes sur pilotis. Encore pliés en quatre, nous constatons que chacun de nous garde des séquelles du confort routier dans les membres du corps : fou rire tandis que Manassé traîne péniblement sa jambe endolorie. Nous nous trouvons dans ruelle marchande tout à fait charmante, laquelle renferme une multitude de commerces ouverts.

Étales de légumes, de viande, de fruits, de beignets chauds, de sandales, de casseroles, de poulets vivants, de vêtements, de quincaillerie et j’en passe, la vie est animée et court au fil des gens qui foulent la rue. Le soleil brille, les bus remplis passent, s’arrêtent et continuent leur course. Ci et là, des chiens, des poules et des coqs s’élancent où place se trouve. Avant l’arrivée au centre, nous faisons halte dans un cabanon ombragé où nous dégustons les fameuses salades composées malgaches, lesquelles sont un assortiment de salades disposées dans une assiette, le tout coûtant trois sous, tout à fait pratique et rapide pour les ouvriers et ouvrières. Samoussas ravissent également notre repas, délice bien nécessaire pour les heures d’animation qui nous attendent.

Après une descente dans les dédales, des enfants nous suivent et nous comprenons qu’il s’agit de ceux appartenant au centre, lesquels étaient missionnés pour aller nous chercher. Tout d’abord silencieux, ils nous guident avec bienveillance vers l’entrée se trouvant dans une impasse calme. Les succédant nonchalamment, nous dépassons le portail et appréhendons la propriété privée, ceinte, vaste et rayonnante en cette matinée ensoleillée. En toute simplicité, mes yeux se dirige vers cette grande maison conviviale aux pierres blanches, aux volets bleus, à la façade joliment entretenue. Devant, de petits espaces semblent naturellement délimités par des bananiers, des parterres floraux et des arbres peuplant le jardin. Immédiatement, des enfants viennent à nous ainsi que le couple ayant créé le centre.

Soatra saute aux yeux, de sa carrure forte et impressionnante, il nous surplombe de deux têtes et impose sa morphologie assidument musclée ; imaginez simplement l’image d’un Mauï, visage emblématique du Disney Vaïana. A ses côtés, sa femme Ranto apparaît souriante et bienveillante, à la stature solide et confiante. Les poignées de main sont amicales et sincères tandis que nous nous dirigeons ensuite vers l’arrière de la maison, où nous découvrons une arrière cour spacieuse agrémentée de quelques arbres. Soatra rigole gentiment et nous présente le terme de « balle, danse ou jeux poussière » : qu’entend-t’il par là ? L’explication est bien simple puisque cela désigne l’action de jouer sur un terrain des plus poussiéreux qui soit, étant donné que la terre damée s’est transformée en millions de particules de sable s’envolant au moindre pas.

En somme, un après-midi passé sur ce terrain et vous vous voyez complètement décorer d’une couche naturelle de poussière. Quelques paroles sont échangées et le couple nous fait une esquisse de leur projet. Déjà née il y a cinq ans de cela, l’association commença à accueillir peu à peu une quarantaine d’enfants de 3 à 17 ans. Dans l’impossibilité matérielle et logistique de créer un orphelinat, le couple prend chaque jour en charge les enfants, la structure ressemblant nettement à un centre aéré dispensant repas et dîner ainsi que l’espace nécessaire aux animations. Afin de financer l’ensemble, des parrainages sont mis en place pour chaque enfant, lequel inclue une participation financière de 50e par mois. Ranto nous explique que cette somme représente le strict nécessaire pour l’achat de la nourriture, les frais de scolarité ainsi que les éventuels consultations médicales.

En outre, ce fut un bel après-midi sous le signe de l’engouement général, ponctué de musique et d’activités multiples. De tous les âges, garçons, filles, les jeux motivent les troupes, rassemblent et forment une belle image de partage. Courant en tout sens, se précipitant au bérêt, se lançant le ballon au football, tapant des mains en rythme au chef d’orchestre, formant une ronde au petit bac, s’attrapant au Collin Maillard, se concentrant au jeu du loto, se dépêchant au touche touche couleurs, se figeant aux statues musicales, l’énergie des enfants ne s’épuise pas, se décuple au contraire. Les yeux pétillent de joie, au fil des heures les enfants s’ouvrent et offrent leurs câlins réconfortants, mon cœur chavire de douceur et de tendresse. Le soleil montre ses derniers rayons et le temps est venu de rentrer à Anjeva.

Un dernier verre de rhum à la goyave est trinqué et nous commençons à dire au revoir aux enfants. Alors, les bras se tendent, tous aussi nombreux qu’ils soient, ils nous entourent et nous serrent vivement, des paroles d’amour s’envolent, des remerciements naissent et embaument l’atmosphère d’une douce symphonie. D’une force inespérée, inattendue, implacable, je croule d’émotions sous cette vague d’affection commune qui se déroule de manière irréelle sur moi. Les minutes passent et mon corps se voit entraîné de toutes parts, totalement emporté par le nuage enfantin qui se précipite et se blottit contre mois. Alors, j’aperçois le regard ému de Steph, je prends conscience de l’unicité de cet instant fort et profond, j’observe la scène avec gratitude et offre toute ma reconnaissance à cet accueil si généreux.

Nous repartons du centre, nous quittons ce lieux de vie incroyable dans lequel les enfants se retrouvent et acquièrent un brin d’équilibre. Tout à fait exténuée de cet ascenseur émotionnel des plus percutants, je tangue et m’assoupis d’ivresse sur l’épaule de Manassé. La fatigue m’emporte tandis que le taxi brousse fend les airs. Assise en Y sur un siège, bloquée et maintenue entre les corps enchevêtrés, j’ancre ces souvenirs dans ma mémoire, je me laisse aller dans cet engin traversant la ville puis remercie les personnes rendant possible cette réalité solidaire. Assise et somnolente, je nous vois tous les quatre ensemble, liés, attachés, adorés, et mon cœur se serre d’amour. Manassé, doux et sincère, murmure et me répète que nous serons toujours les bienvenues, que nous faisons désormais partie de leur belle famille. Mes sentiments pleurent d’intensité, ma confiance se veut éternelle.

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Dimanche, ce départ sera tout spécial et restera dans nos mémoires. Ayant le taxi brousse le soir même, nous partons vers 16h dans le but de sauter dans un bus pour Tananarive. Jour d’anniversaire de Taratra, gâteau englouti, les garçons nous accompagnent au village pour nous dire au revoir quand, soudain, nous nous rendons compte que plus d’une cinquantaine de personnes attendent à la « gare ». File d’attente immense pour un si petit bourg, l’inquiétude monte rapidement puisque peu de bus circulent le dimanche. Bien vite, l’idée de trouver un bus pour nous deux devient impossible et, désespéré, Taratra commence à s’élancer ci et là afin d’arrêter le moindre véhicule. Interpellant les conducteurs de toutes parts, il négocie et propose l’auto stop.

Tous quatre déboussolés, nous observons les éventuels possibilités s’éloigner, toutes étant déjà remplies à ras bord. Qu’importe, l’ami continue quand, tout à coup, quelqu’un nous fait signe de la main : rapidité, nous décampons les sacs à la main et essayons de rattraper la voiture garée plus loin, à l’abri de tout scandale. Une famille nous accueille, tout sourire, les trois enfants nous laissant deux places à l’arrière. Discussions diverses, le mari nous explique que l’entière famille est de sortie à l’occasion de la fête religieuse de ce jour. Il appuie sur ce point puis indique qu’ils sont trente cinq ! Quelques kilomètres passent jusqu’à ce qu’il gare la voiture sur un parking en s’exclamant : « nous attendons le reste, petite pause pour manger ».

Alors débarque un bus bleu d’où sortent tous les membres, lesquels nous saluent chaleureusement. Ni une ni deux, le coffre est ouvert, les assiettes et couverts sont distribués, le repas est servi, tous debout et content. Tour à tour, les trois frères du mari viennent se présenter, discutent et s’intéressent à notre mission, puis accourent la tante, les cousines, la belle sœur, les grands parents. Geste de la main, nous repartons vers la capitale. Quarante minutes plus tard, après avoir bien fait connaissance, le mari propose de faire une photo avec l’ensemble de la famille : effervescence générale ! Il s’arrête immédiatement sur le bas côté suivit du grand bus. Tout le monde sans exception descend, l’attroupement est de mise et, sous l’hilarité et le rire général, les photos sont prises comme si nous faisions partie de la famille ! Alors, le couple nous conduit jusqu’au Cotisse, lieu où nous prenons le bus. Généreusement, ils nous proposent à nouveau de la nourriture et autres et, tout comme nos parents, nous laissent partir en nous saluant et en nous souhaitant bon voyage. Une rencontre bien inattendue, tout à fait formidable et conviviale.

De nuit, le taxi brousse roule à une allure ralentie. Pour un départ à 20h30, l’arrivée est estimée à 7h15 à Tamatave, la plus grande ville portuaire de Madagascar. Continuellement, l’engin subit et sillonne des routes aux cratères innombrables, remplis d’eau des pluies diluviennes des jours derniers. Ce constat est d’ailleurs à l’image de la ville, dans laquelle les inondations se succèdent et se multiplient en cette saison. Les trombes d’eau, c’est le quotidien entre deux rayons de soleil. De la forêt humide et verdoyante, nous parvenons bientôt aux infrastructures industrielles de la ville où nous resterons finalement deux jours.

Le véhicule se gare, nous cherchons du regard les filles que nous apercevons soudain dans un tuktuk typiquement jaune. Nos regards se croisent, nos sourires grandissent tandis que Steph et moi descendons, les jambes engourdies, les yeux cernés de fatigue. Aujourd’hui, Maxence et Léa nous mènent vers le bazar des souvenirs au centre ville, ledit « bazar Be » (grand bazar). Après une séance de tuktuk de trente minutes, nous nous enfilons dans une mince entrée ouvrant sur de grands dédales ombragés par la structure couvrant l’ensemble du marché. L’ensemble revête une forme de labyrinthe complètement envahis par les étales aux milliers de souvenirs de toutes sortes, Tamatave étant quelque peu touristique.

Statuettes en bois, paniers, pierres précieuses, boules de cristal, tissus, ateliers de couture, vanille, épices, objets du quotidien, porte clés, rangements taillés de toutes tailles : la diversité de l’offre est déconcertante, les yeux sautent d’étalage en étalage, perdus devant tant de merveilles. Le port nous ouvre ses bras sous le signe de la pluie qui s’abat inexorablement sur la belle citadine. Une atmosphère quelque peu morose s’installe, laquelle contraste avec l’humeur joyeuse qui nous anime. Des silhouettes sombres apparaissent ci et là, oscillant sur la plage assombrie par les nuages lourds et chargés. Les ombres obscures dansent sur la vaste étendue donnant sur les multiples grues industrielles. En contrebas, légèrement abrités, une lignée de bars dessine une perspective profonde, pointant vers l’effervescence du centre-ville.

Devant les guinguettes ouvertes se superposent tabourets et tables basses. La pluie s’abat, épaisse et dense, nos K-way deviennent totalement trempés, collés à la peau, les cheveux aplatis sur le crâne. Alors, nous empruntons un passage menant à trois grandes roues d’attractions colorées mais pratiquement vides de visiteurs. Machine non motorisée, le fonctionnement s’effectue à la force des bras et des corps d’hommes dansant et s’envolant de barres en barres dans les airs. Virevoltants d’une force spectaculaire, les yeux ébahis, le manège s’active et continue sa ronde d’une vitesse percutante. Un véritable jeu d’équilibre naît entre les visiteurs et le placement logique des hommes.

De retour au centre, nous parvenons au quartier Andranomadio. Balade terminée, le tuktuk nous accueille et longe bientôt le bazar Ankiriry. La course est ponctuée d’arrêts successifs lors des traversées dans les flaques d’eau géantes. Effervescence organisée, la route se voit partagée avec les tuktuk par dizaines, les pousse pousse tentent difficilement de se frayer un chemin dans les inondations, se débattent presque à travers les trouées insupportables de la chaussée. Pieds nus pour la plupart, transportant une à quatre personnes, le cycliste se voit obligé de descendre tous les dix mètres afin de pousser la bicyclette à remorque. Les commerces défilent au rythme de la lenteur du tuktuk qui progresse tant bien que mal dans la rue en Y, aux trous spectaculaires remplis d’eau boueuse. Voici venu le Croisement des Quatre Chemins, lequel mène au centre où Maxence et Léa habitent depuis début juin. L’orphelinat accueille une trentaine d’enfants tandis que l’école située juste en face comptent trois cents enfants scolarisés.

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Je m’éveille sous le bruit de la vie quotidienne vers 6h. De bon matin, le tuktuk en furie nous conduit au grand bazar vendant vêtements, légumes, fruits et autres trouvailles. Nommé Bazar Kely, « petit », l’ensemble est malgré tout gigantesque et revête une allure de labyrinthe. Les passages sont étroits, ombragés, offre une multitude impensable d’objets. Les étales également sont toujours plus fournis de vêtements, de chaussures suspendues sur des fils colorés. Plus loin, des montagnes de casseroles, d’ustensiles et d’appareils ménagers affichent leur fierté.

Après une courte pause à l’orphelinat, nous repartons sur les chapeaux de roue en compagnie de Mattis, actuellement en mission aussi, et Lando, ancien employé du centre Enfants de joie. La mission est simple : dégoter de la vanille par le biais de connaissances afin d’acquérir la meilleure qualité possible. Trente minutes de marche sous un soleil de plomb sont nécessaires pour atteindre le lieu de « vente ». L’atmosphère est terriblement humide et lourde jusqu’à ce que nous parvenions à un portail se trouvant en contrebas d’un axe principal. Lando nous invite à entrer, il pousse la porte et nous pénétrons dans une propriété encerclée de clôtures bétonnées, surmontées de pics de verre, chose très commune à Madagascar. Mon regard se lève, la maison est relativement grande, constituée de deux étages et de dépendances. Après avoir salué les membres de la famille au rez-de-chaussée, nous nous retrouvons à cinq dans une chambre où Lando déballe un grand sac rempli de vanille de qualité première. Après avoir jeté un œil sur leur taille, laquelle est également gage de qualité, il nous invite à passer dans une autre pièce pour voir le « reste ».

Lando nous mène ainsi donc vers une dépendance où nous empruntons un long couloir. La lumière est inexistante. Il nous ouvre alors une porte sur la droite, la pièce est petite, plongée dans une pénombre singulière, seules quelques ombres dansent sur les gros sacs bombés de vanille. Nos flash de portable éclairent la scène, je me crois presque dans un film de trafiquants de drogues. Lando ouvre les sacs, un à un, il les exhibe et nous montre la différence de qualité entre la première, deuxième et troisième. L’ensemble est si cocasse qu’un sourire apparaît sur mon visage. Chose terminée, nous remontons à l’étage où la pesée commence. 1kg, soit, Lando s’exécute, forme des tas par taille et les place sur la balance. Le canapé est recouvert de brins fruités, les effluves vanillées embaument l’air, l’activité est menée dans le silence et dans la précision.

Alors, Lando s’exclame et propose de faire une photo. Tout à fait fier, il nous impose des tas dans les mains pour les exhiber. Trois paquets dans les miennes, je regarde Steph et Mattis et l’envie d’exploser de rire s’empare de moi. Remarquable, inattendu, improbable. Le trafic de vanille se poursuit, nous ressortons enfin, nos pochons en main, avec l’impression d’être en toute illégalité.

Cette impression, elle s’accentue encore plus lorsque nous nous retrouvons soudain contrôlés par la police sur le tuktuk nous ramenant vers le centre-ville. En effet, à peine le policier aperçu que Lando s’élance sur les gousses de vanille de Steph afin de les cacher. Tous décontenancés, mon regard amusé croise celui de Mattis et nous faisons de même : hop, les 2 kg cachés dans le « coffre » derrière nous. A vrai dire, nous ne comprenons pas vraiment le pourquoi du comment, sans doute que l’action n’est effectivement pas tout à fait légale. Qu’importe, nous repartons sans encombres, les vanilles cachées du public jusqu’à nouvel ordre.

Le soir, nous nous réunissons avec les enfants du centre et des amis malgaches à Léa. Tous assis en ronde autour d’un feu de camp, les notes de guitare s’envolent et réchauffent nos cœurs. Le moment est convivial, chaleureux, inoubliable. Entourée de Steph et Léa, je suis heureuse de partager ce moment comme hors du temps. Les paroles sont chantées, cantonnées avec entrain, les rires naissent et se perdent dans la nuit étoilée.

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Sainte Marie nous ouvre ses portes aujourd’hui sous la condition d’un réveil à 2h30. Avant de rejoindre la fameuse île, un périple en taxi brousse de sept heures secoue nos corps endoloris. Aucune surprise, aucun étonnement, la route garde son caractère spécial tant elle est désastreuse, jonchée d’obstacles, de cratères, de flaques d’eau aussi grandes les unes que les autres. L’adaptation est le maître mot, mes paupières se ferment puis s’ouvrent de nouveau, je somnole sensiblement. Regard par la fenêtre, le paysage s’éclaire d’une lumière douce et mordorée tandis que nous longeons l’océan aux vagues chavirantes.

Les nuances se précisent, deviennent orangées et subliment le spectacle de la forêt dense. Dans le ciel se découpent de grandes montagnes au loin, elles fleurissent et imposent leur profondeur bleutée, laquelle procure un vertige inexplicable sur l’immensité de la végétation environnante. Le vert tropical est saisissant, il possède une aura puissante, rappelant les pluies diluviennes qui tombent régulièrement sur les terres. L’engin continue sa course, offre ses secousses les plus grandioses tandis que l’air lourd s’enfile dans les fenêtres ouvertes et balaye nos visages fatigués.

Le bateau Mélissa est à quai, aujourd’hui il effectuera une traversée d’abord douce, glissant lentement dans l’embouchure menant au large. L’avancée est paisible jusqu’à ce que nous franchissions la barrière naturelle, laquelle envoie de grandes vagues qui s’abattent violemment contre la coque du bateau et ses flancs. L’assemblée de passagers chavire et déverse les tréfonds de leurs estomacs dans les seaux placés juste en dessous des sièges. La scène ressemble à un véritable concours de malaises, ponctué de sueurs froides et de funestes déglutitions. Enfin, nous parvenons à bon port, complètement vidées d’énergie, les visages d’une pâleur mythique, les corps encore vacillants. Une heure de tuktuk met fin à notre périple, nous rencontrons Papi André et Mamie Nadège à l’hôtel Nautile puis tombons bien vite dans les bras de Morphée.

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Après un réveil matinal, nous prenons le petit déjeuner face à la mer tandis qu’une pluie tombante s’abat sur l’île, laissant tout de même dans l’air une chaleur ambiante palpable. Prêtes, nous longeons la route et descendons un chemin bordé de végétation avant d’arriver à la plage privée de Papi André et de Mamie Nadège, propriétaires de l’hôtel dans lequel nous restons ces quelques jours. Là, deux hommes vigoureux nous attendent à côté de la vedette, légère embarcation à moteur. Notre excursion du jour n’est autre que l’observation des baleines non loin de la côte. Alors renseignées, il s’avère que, chaque année, de juin à septembre, des centaines de baleines à bosse « Megaptera », venues de l'Antarctique, arrivent ici pour se reproduire ou mettre bas. Dans l’hémisphère Sud, elles migrent de l’Antarctique vers des eaux plus chaudes lors de la saison hivernale. Sans aucun doute, ces énormes cétacés peuvent peser de 30 à 40 tonnes et possède une longueur moyenne de 17 mètres, son alimentation principale étant le krill. A partir du mois d'avril, leur voyage de six mille kilomètres débute et les mène vers Madagascar et l'île Ste- Marie. Enjouées, nous embarquons donc et quittons le sable fin de la plage, laquelle regorge d’une multitude de petits coquillages colorés. Je baisse la tête, je contemple cette eau claire et transparente qui offre une vue turquoise resplendissante sur les fonds marins du rivage. Nous ne le savons encore pas mais notre balade maritime durera presque trois heures durant lesquelles nous voguerons au vent des silhouettes des baleines.

Les vagues sont oscillantes, parfois ténébreuses, parfois enveloppantes. Mon regard divague, il se veut concentré et à l’affût, il souhaite reconnaître la moindre ombre, le moindre mouvement. D’une surprise telle que j’en ai le souffle coupé, les belles apparaissent soudain sous mes yeux, ci et là, partout en fait, en groupes, deux ou trois, plus parfois. Tandis que l’embarcation tangue de toutes parts, je m’émerveille devant leur danse élégante, presque volatile, je les vois faire surface puis expulser par leur évent l’air provenant des poumons. En une mélodie maîtrisée, à espace compté, leur souffle puissant provoque un nuage atteignant souvent les trois mètres, lequel forme une esquisse éphémère de bulles d’eau aux reflets ensoleillés. Je respire, je me sens vivante, je saisis l’unicité de l’instant et plonge dans le bleuté merveilleux de l’eau, lequel conduit aux montagnes de l’île de Madagascar. J’expire, je relâche, je prends conscience de cette magie naturelle et appréhende cette immensité renversante, voire mystérieuse, d’où surgissent les mastodontes d’une majesté spectaculaire.

Petit à petit, la vedette se rapproche des baleines aperçues au loin. Splendides, leurs nageoires pectorales jaillissent et claquent les vagues. Alors le moteur est coupé, au ralentit nous nous trouvons si proches, mon cœur bat, je prends toutes les images en moi. Devant moi, leur corps apparaît massif et puissant. Entièrement noir, le dessus de l’animal laisse parfois transparaître quelques traces blanches ou grises, sans doute des anciennes cicatrices.

Bientôt, j’entrevois l’une d’elle d’élancer dans les airs, projetant sa longue tête en avant, couvertes de petites protubérances caractéristiques de l’espèce (lesdites tubercules). Un cours instant dans les airs, les rayons du soleil illuminent son ventre blanchâtre qui s’écrase ensuite lourdement dans les eaux salées. Le regard rivé, une autre suit, puis d’autres encore, magnifiquement s’élèvent leurs grandes nageoires caudales lors de la plongée en profondeur. Leurs motifs noir et blanc sont propres à chaque individu et ne changent d’ailleurs pas au cours de la vie, parlons d’une identité personnelle. Puissamment, elles se propulsent en effectuant des mouvements vifs de haut en bas tandis que les vagues les submergent encore et encore. Un groupe de baleines s’éloigne mais nos guides cherchent sans relâche et se dirigent déjà vers d’autres floraisons. Excitée, transie, ébahie, mon œil est fixe et n’ose ciller une seconde tandis que nous approchons trois nouveaux spécimens.

Alors, les filles s’exclament et je comprends vite qu’un baleineau se trouve entouré de deux adultes. Mesurant déjà 4 mètres dès la naissance, d’une moyenne de 700 kilogrammes, il est exclusivement allaité par sa mère pendant les six premiers mois puis le continue d’être six mois encore tout en commençant à se nourrir par lui-même. Au début de leur seconde année, ils quittent leur mère et mesurent alors déjà neuf mètres de longueur. La saison des baleines à Sainte Marie représente un laps de temps de quatre mois pendant lesquels les baleineaux prennent des forces et grandissent suffisamment pour reprendre les courants arctiques. Si petit comparé aux adultes, je l’observe remonter à la surface en même temps que ses congénères. L’instant dure, le silence règne, seuls les remous de l’océan et le vent caressent l’ouïe, des frissons parcourent mon corps entier, ma sensibilité se voit décuplée. Ma gratitude s’expand dans les airs, volatile, légère, sincère, tandis que la brise iodée balaye mon visage de perles argentées. Dans mon esprit, j’ancre ce moment inoubliable chargé de caractère, d’impressions, d’émotions. À la limite de l’irréel, ce joyau, c’est comme parvenir aux frontières de la beauté naturelle, c’est comme être une étoile dans l’univers. Après cette promenade épique, nous rejoignons le rivage.

La tête dans les nuages, je mets pied à terre et remercie nos deux guides qui s’attellent déjà à nouer les cordages du bateau. Alors survient une baignade improvisée sur la plage de Papi, le soleil déjà bien haut dans le ciel, midi sonnant. L’endroit est féerique, paradisiaque, empreint d’une lumière apaisante, gorgé de douceur et de paix. Après deux trois battements de jambe, nos sourires s’épanouissent et se perdent dans la merveille ensoleillée. Calme imperturbable, la crique est bordée de cocotiers et de palmiers qui flirtent avec le ciel. Tout à coup, Steph, quelque peu avancée dans l’eau, s’exclame toute pimpante : « regardez ça, natation synchronisée ! ». Alors, je l’aperçois s’élancer vivement en prenant de l’élan au sol quand soudain un cri de douleur s’échappe de sa bouche. Bien vite, elle rejoint le rivage et nous nous rendons compte qu’elle présente un total affolant de seize épines d’oursin dans le pied.

Son visage crispé, nous l’accompagnons vers la terre ferme jusqu’à ce que notre conducteur de vedette nous remarque, comprend le problème et nous rejoint aussitôt. Appliqué, d’un calme précieux et d’une énergie douce, l’homme cherche l’équipement nécessaire, c’est-à-dire les moyens du bord, afin de les retirer. Malheureusement, le coup donné dans l’oursin était si puissant que les épines se trouvent profondément enfouies dans l’épiderme. La séance dure, la souffrance aussi, mais l’homme reste tout à fait impassible. L’aiguille dans une main, l’éponge imbibée de vinaigre dans l’autre, l’homme revient avec un vieux tissu qu’il craque pour apposer le tout sur la plante du pied. D’une gentillesse singulière, il explique qu’il faut désormais attendre que les épines sortent en laissant la « compresse » de vinaigre quelques heures. Alors que nous repartons sur le chemin, son ami arrive en trombe sur son scooter pour ramener la claudicante Steph au Nautile. Le rêve du « taxi moto » de mon acolyte est enfin réalisé.

L’aventure racontée à papi et mamie, les deux s’affairent tout de suite et nous procurent un vrai pansement. Avisés, ils nous indiquent également que quelqu’un a été missionné pour aller chercher des papayes afin que le cuisinier de l’hôtel puissent retirer les épines après son service : d’après eux, il s’y connaît. En somme, j’assiste bien naturellement à cette scène assez comique et pourtant sérieuse. Après quelques heures d’attente, Steph installée dans un fauteuil, le cuisinier commence sa tâche avec application et retire précautionneusement les épines une à une. Remède inattendu, le lait de papaye appliqué sur les plaies permet d’aider à faire sortir les piquants. En toute simplicité, le cuisinier, Clément, la toque encore sur le front, termine son œuvre dans le plus grand des calmes avant de recevoir nos remerciements. D’une simplicité déconcertante, il nous salue et s’efface nonchalamment comme si son aide était des plus banales. Merci l’ami.

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Le soleil se lève et je l’admire. J’admire les reflets éternels de l’océan à l’horizon, j’admire sa plénitude, son animosité, sa mystériosité. L’âme profondément épanouie, j’embarque dans le tuktuk en compagnie des filles, avachie en débandade pendant une heure et demie jusqu’à l’île aux Nattes située au sud de Sainte Marie. L’aller dure, ne pas dépasser les 20 km/h est fatidique. Après avoir dépassé l’île Madame, nous croisons soudain la route de deux piroguiers situés au moins un kilomètre avant le point de départ, postés en bordure de la route sableuse. Déjà au pas de course, ils nous suivent et négocient notre montée dans leur embarcation. Le but de l’action est sans aucun doute d’être certains d’attraper des clients, il faut être le prem’s sur le coup. La traversée est rapide, belle, calme tandis que la pirogue flotte sur l’eau turquoise aux reflets argentés.

Mes pieds dans le sable chaud, le soleil rayonne sur mes paupières fermées pendant que la journée s’écoule lentement. Le corps dans la mer tout à fait translucide, mes membres paraissent légers et divaguent paisiblement. Transie, l’île émeut de par ses paysages irréels, paradisiaques, enchanteurs. Les palmiers, les cocotiers, les bananiers peuplent la végétation humide. Parmi les quelques teintes ocre des troncs qui s’élancent dans le ciel s’embrase le vert intense et profond de la nature. A mesure de notre avancée s’étend la plage de sable fin, lequel s’illumine au moindre rayon de soleil tandis que quelques nuages miroitent dans l’eau iodée. Atemporelle, cette promenade tranquille aux côtés de Steph, Max et Léa se poursuit au vent de discussions diverses. Madagascar offrant toujours son grain de malice, voilà une journée qui se déroule sous le signe de la tourista, littéralement dix jours avant le départ final. Les minutes passent et mon estomac prend la belle métaphore d’un roller coaster, attraction procurant des sensations variées, aux nausées spectaculaires et à l’adrénaline de savoir quand le moment deviendra fatidique, voire critique.

Avant de quitter l’île, par hasard, nous faisons la rencontre d’une femme originaire de la Réunion, vivant ici depuis désormais six ans. Enjouée, elle nous montre du doigts trois lémuriens recueillis sur sa propriété. Silhouette fragile, son sourire agréable, solaire, et possède une ténacité remarquable. Intéressées, elle nous donne des conseils avisés pour s’investir dans l’aide humanitaire basée à Sainte Marie. Une connaissance fortuite pour, peut-être, une prochaine aventure.

L’après-midi touchant à sa fin, nous nous rendons au point de rendez-vous pour le retour en pirogue avec les mêmes acolytes, lesquels nous attendent patiemment. Sur l’autre rive, voici venu le moment de payer. Les deux hommes hésitent, annoncent 80 000 ariary en rigolant, se rattrapent au vu de nos têtes et répliquent 40 000. Outrées, fortes de nos deux mois passés sur le sol malgache, nous rétorquons en leur faisant comprendre que nous savons très bien reconnaître l’arnaque.

Nous rejoignons Dona, notre chauffeur de tuktuk, et lui demandons son avis. Tout d’abord discret, un haussement de sourcil bel et bien révélateur nous indique qu’il prend notre parti. Alors débute une véritable négociation entre l’honnêteté de certains malgaches et l’arnaque des piroguiers à la vue des vahazas. Finalement, Dona tient bon malgré les multiples reproches à son égard. De manière incontrôlée, quelques éclats de rire s’échappent de nos sourires devant la situation cocasse. Alors, amusée et intriguée, une femme malgache intervient et nous informe du vrai prix à payer tandis que les piroguiers se vexent de la tournure des choses. Nous repartons enfin en tuktuk derrière notre ami, en somme un retour interminable de nuit, le ventre en vrac mais l’esprit heureux. Nous effectuons la traversée inverse de l’île jusqu’au Nord en passant par les routes tornitueuses, flanquées de trous et de flaques géantes. C’est tout comme un parcours du combattant pendant que le tuktuk peine à avancer sous le poids de nos cinq corps. Je ressens une fatigue incommensurablement, sans exagération presque, mais suis presque miraculeusement sauvée de la tourista grâce à mamie Nadège qui m’offre de l’immodium pour stopper le théâtre de mon estomac.

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Publié le 14 août 2023

Retour en taxi brousse, cela devient presque une habitude, les secousses s’enchaînent mais se laissent accepter à mesure que les heures passent. Le paysage tropical nous entoure, il défile et délivre ses belles forêts, ses élégantes montagnes, ses charmants villages presque oubliés. Cours d’eau et fleuves sont traversés tandis que nous nous éloignons progressivement de la côte et de l’immense océan indien. Le climat semble changer, il se métamorphose, d’une lourdeur et d’une chaleur accrues en début de parcours, il devient frais et nuageux. D’un soleil cuisant, l’atmosphère affiche désormais pluies et fraîcheur.

L’air s’engouffre dans l’habitacle, il me fait du bien, il ravive doucement ma mine fatiguée, les derniers tressauts de maladie des derniers jours disparaissent également, dans mon esprit un état second devant l’avenir proche. Celui-ci, je l’appréhende depuis le début de l’aventure, je le redoute, il est là, inévitable, foudroyant, tranchant comme une lame, il s’immisce peu à peu et grandit chaque jour, il se faufile et se diffuse dans chacune de mes pensées.

Cet avenir proche est synonyme d’aurevoirs brisants, de larmes insoutenables, de douleur, d’amour et de joie mélangés. En moi, ce bonheur épanoui veut s’expandre, il veut grandir encore et encore, il veut vivre et se déployer au cœur de cette nouvelle famille créée. Là, assise dans le Cotisse qui enjambe montagnes et obstacles, je respire les odeurs végétales qui embaument les airs, je les accueille avec émotions, je veux les retenir pour toujours afin de me souvenir à jamais de ce voyage hors normes.

Là, légèrement appuyée contre ma moitié aventurière, je regarde le paysage aux teintes à la fois nostalgiques et intensément reconnaissantes, je veux les ancrer dans ma mémoire afin que jamais je n’oublie les rencontres posées sur mon chemin. L’altitude me coupe le souffle, l’incroyable panorama me rappelle chaque moment vécu, chaque émotion ressentie, chaque surprise survenue, chaque larme d’amour versée. Nous sommes sur le chemin retour, vers notre maison, mon cœur se serre de joie et d’impatience, je me sens ici comme dans mon authentique « Heimat ».

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Publié le 29 août 2023

L’après-midi est ensoleillé, il est doux et invite à prendre l’air, sortir, jouer avec les enfants. Visite impromptue, Taratra nous informe que son cousin Tongotsoa et son ami Mathieu seront à la maison jusqu’au lendemain. Ce vendredi, nous l’avions prédit et prévu depuis Tamatave, les marshmallows sont de la partie. Achetés lors de notre périple en prévision, étant tout à fait impossible d’en trouver à Anjeva, les sucreries ont voyagé mais raviveront les papilles des enfants. Déjà tous sur le qui-vive en fin d’après-midi, le soleil offrant ses dernières lueurs, Taratra et les grands souhaitent commencer le formidable feu de camp. L’installation est rapide et efficace, deux trois briques sont placées, des morceaux de bois sont empilés à côté du foyer, des brindilles et du foin sont rapatriés afin de faire vivre les étincelles scintillantes dans la nuit descendante.

Tous attroupés, les plaids sur les épaules, la fumée dans les yeux au bon vouloir du vent, les poumons encombrés, chacun se tient près, la branchette de bois dans la main. Adultes ou enfants, le plaisir et la joie sont en parfaite communion dans l’attente de la fameuse découverte – à l’exception de Steph et moi, bien évidemment. La bouteille de plastique écrasée en guise de soufflet artisanal, Tongotsoa s’applique et ravive les flammes tandis que chacun s’élance avec fougue. Les enfants tout à fait excités, les premières douceurs terminent presque carbonisées mais, qu’importe, leurs dents les dévorent sans plus attendre. Leurs yeux palpitent de surprise, déjà demandeurs du deuxième round. Les notes musicales résonnent, le feu crépite et dévoile ses plus belles volutes, lesquels disparaissent rapidement dans le ciel obscur. Les yeux rougis et larmoyants, les regards se croisent, ils provoquent des fous rires généraux tandis que les tournées de marshmallows se succèdent.

Les enfants désormais rassasiés, nous demandant franchement si on ne lassait pas de l’intensité du sucre, rentrent finalement jouer dans la chambre. Steph, Tongotsoa, Mathieu, Nekena et moi, encore motivés de notre festin, continuons la distribution avec entrain, profitant de la générosité des paquets jusqu’au dernier bonbon. S’empiffrant presque, nous rigolons de la scène avant d’enfin éteindre le foyer à petits coups d’eau projetée.

Repas englouti, tous entassés dans la chambre des garçons, les morceaux de guitare fusent, se multiplient et convergent en une symbiose fraternelle. De la chambre émanent des mélodies entraînantes, rassemblant des chants traditionnels malgaches et des classiques d’amour français. Les paroles sont cherchées à la hâte puis sont partagées tant bien que mal afin que chacun puisse se joindre au chœur improvisé. Dans la beauté nocturne, la joie réchauffe les cœurs et disparaît par la fenêtre ouverte, gentiment balayée par le rideau dansant au vent. La paix nous réunit, authentique, sincère et naturelle.

19.08 - Beauté angélique

Amoureusement assise au bord de la rivière avec Steph, la lessive constitue notre tâche matinale. Au soleil, allongées toutes deux, j’écoute sensiblement le bruit continuel de l’eau. En petites cascades, libre et frivole, elle descend des montagnes avoisinantes, fraîche, translucide, bleutée. Mon regard suit les dessins enchanteurs de ses innombrables vaguelettes, mon regard s’émerveille de ses reflets changeants qui miroitent sans artifice aucun. Le chant des oiseaux parvient à mes oreilles, il est pur et chaleureux, il m’ensorcelle et calme mes pensées tournoyantes, lesquelles m’enfouissent d’ores et déjà dans un antre mélancolique.

Terminant magnifiquement le tableau, le vert intense des bananiers explosent dans les airs et provoquent le ciel bleu azur de leur puissance naturelle. À leur pied s’impose la terre humide aux teintes brune, ocre et rouge, symbole de fertilité et de pérennité. Les odeurs embaument le paysage, lequel s’éveille encore d’une douce nuit étoilée. En moi cet épanouissement marqué par une simplicité unique. En moi cette plénitude caractérisée par la volonté de vivre le moment, de le ressentir, de le mémoriser à jamais. Mon cœur bat, il ralentit au doux rythme de ma respiration, laquelle se mêle à l’oxygène de cette merveilleuse nature.

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Publié le 22 août 2023

Invitées chez des habitantes du village rencontrées lors de nos cours pour adultes, du « Godrogodro » dans nos mains en guise de cadeau (dessert sucré composé de farine de riz et de coco), nous nous dirigeons vers la colline voisine. Le soleil levant nous éclaire doucement, chaud, réconfortant. Nous parvenons alors devant une belle clôture confectionnée de bambous rangées à distance égale, leurs feuilles sèches bruissant au vent. Nous la passons et entrons dans la cour de la maison qui se présente grande, sur un étage, tandis que nous empruntons l’escalier sur la gauche menant au rez-de-chaussée, toutes deux précédées de Steffy et Isabelle.

Désormais à l’ombre, je découvre la large pièce principale, à l’atmosphère fraîche et tamisée. L’espace est d’une propreté certaine, renvoyant une volonté de minimalisme remarquable. A droite, une cheminée de bois habille le mur ; au fond, se cache une cuisine légèrement ajourée par quelques draps tendus ; au devant, de beaux fauteuils de bois aux assises confortables trônent. Isabelle et Steffy, Jessy et Jonathan nous invitent à nous asseoir avant de déguster les beignets traditionnels, tout spécialement préparés par leurs soins.

Légèrement courbée, j’observe Steffy, femme d’une soixantaine d’années, à la silhouette fine et élancée. D’une délicatesse infinie, son port de tête est droit, surmonté de cheveux noirs relevés en chignon à l’arrière de sa tête. Mon souvenir de ses yeux amande sombres reste ancré dans ma mémoire. Dans son regard jaillit une incroyable étincelle d’humanité. Dans son regard je crois percevoir toutes ses années d’expérience, ses victoires, ses défaites, ses valeurs indubitables. Humaniste sans doute, à jamais elle prônera la solidarité, l’importance de donner sans compter, l’amour que les hommes peuvent ressentir et partager. Sa douceur est inée, calmement elle s’exprime, affectueusement elle me regarde, élégamment elle se déplace d’un pas lent et mesuré.

A ses côtés se trouve Isabelle, petite et vigoureuse. La peau hâlée, de minces fossettes se dessinent sur son visage bienveillant. Sous ses minces lunettes apparaît son regard apaisant, lequel émet une énergie positive certaine. Soigneusement pliée sur sa tête est placée une étoffe recouvrant ses cheveux noirs. Chaque mot prononcé ravive son précieux sourire maternel, empreinte incontestable de ses quatre grossesses.

De ses gestes précis et délicats s’envole une tendresse éclatante. Alors tous assis sous le porche de la maison, l’air frais balaye nos visages contrastant avec la chaleur embaumant petit à petit l’atmosphère. À côté de paillasses tressées et de draps nonchalamment posés au sol se trouvent deux poêles à charbon rougeoyant, alimentés régulièrement. Pour raviver les flammes, la sempiternelle bouteille en plastique est agitée sans relâche. Au dessus des plaques de métal trouées sont placées deux poêles rongées par l’huile et le temps, lesquelles accueillent la pâte à beignet contenant cresson et tomates. Isabelle, heureuse de notre venue, s’applique dans la préparation et la cuisson des beignets salés. Après nous avoir montré la technique, elle nous invite à faire de même.

Chaque fois, elle nous sourit et s’exclame encore et encore : « Mangez, mangez ! Buvez, buvez ! ». Autour de ces délices naissent des discussions interculturelles plus intéressantes les unes que les autres. A mesure que le temps passe se mêlent les échanges de traditions tant la curiosité des deux femmes et de la nôtre est grande. « Fihavanana », par définition même, c’est le terme que Steffy emploie pour évoquer le lien qui relie une famille de même sang.

Plus généralement, il représente aujourd’hui la « paix » dans les relations humaines et sociales, lesquelles évoluent sans cesse dans la société malgache. Simple et juste, Steffy s’exprime avec une finesse inégalable, chaque mot est intelligemment choisi, chaque pensée est sublimée par les gestes tendres de ses mains qui dansent au-dessus de ses genoux ramenés sous elle. Les deux femmes ensemble, d’une bonté authentique, se lèvent et reviennent les mains chargés d’attentions à notre égard. Cadeaux typiquement malgaches, nous recevons épices, sac à main en feuilles de bambou tissées et tissu coloré, pendentif en pierre précieuse à l’effigie de l’île de Madagascar, foulard cousu main, magnet de bois taillé. Nos remerciements sont forts et sincères, je ressens une immense gratitude. En somme, j’immortalise ces quatre heures de partage et de convivialité. Les yeux pétillants, nos aurevoirs sont touchants tandis que Steffy sèche nos larmes.

Assurément, elle nous réconforte et nous affirme d’une certitude bouleversante que nous reviendrons un jour. Évidemment, musique et danse sont les bienvenus, elles nous rassemblent et unissent nos cœurs avant que nous quittions la maison.

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Publié le 22 août 2023

Le 21 août, c’est le jour de la fête des aurevoirs à l’école EPP d’Anjeva. Les enfants de notre orphelinat aussi conviés, nous partons en belle et grande famille en empruntant le chemin que nous avons foulé trois mois durant. Le soleil nous accueille, le ciel est bleu immaculé, la brise matinale m’emporte dans une douce rêverie enjolivée par le chant des oiseaux. Arrivés à l’école, tout le monde est déjà là : la directrice de l’établissement, quelques maîtresses et les enfants auxquels nous avons donné cours tous les jours. Les yeux pétillants, nous les saluons chaleureusement et entrons dans la salle de classe où la directrice s’exprime et offre un petit discours. Parlant malgache, elle s’applique à nous traduire quelques phrases au fur et à mesure afin que nous puissions en comprendre l’essentiel. Les remerciements sont nombreux, ils s’élèvent et gardent une authenticité unique.

Le discours terminé, le silence persiste quelques instants dans le respect le plus total. Toutes deux assises au fond de la classe, nous nous levons, l’émotion grandissante. Appliquée, la directrice croise nos regards et nous invitent à venir au devant de la salle de classe pour nous remettre des cadeaux. Quatre enfants sont missionnés pour nous les donner, la parité étant d’ailleurs respectée : dans nos mains sont soigneusement déposés des souvenirs de Madagascar tel qu’un collier en pierre, un sac tressé aux couleurs pastels ou encore un porte-clés. La directrice, calme et le regard sincère, nous informe que chacun a participé, que ce soit professeurs, adultes ou apprenants. Elle ajoute ensuite que ce sont peu de choses, les yeux tout à fait désolés, jusqu’à ce que nous lui assurions le contraire.

Nous sortons ensuite afin de prendre des photos sous un arbre. L’ombre est subtile, le soleil brûle nos peaux. Musique et danse sont réunies, j’apprécie et chéris ce moment de bonheur avant les derniers aurevoirs. En fin de matinée, nous sommes de nouveau tous conviés dans la salle de classe afin que les garçons puissent aussi s’exprimer et expliquer le but de leur association Manantsoa. De loin je les entends prononcer des paroles de remerciements envers la directrice et les enfants présents, de loin j’entends ce murmure mélodieux tandis que mon regard s’évade et souhaite ancrer le moindre détail de la pièce et des visages dans mon esprit.

Boule brûlante au creux de mes reins, puissante, implacable, elle grandit et embaume mon être jusqu’à faire naître l’émotion dans mes yeux humides. Légères, mes larmes s’écoulent lentement, chargées de joie, de tristesse et de nostalgie mélangées. Dans la salle, j’ai l’impression que l’amour règne et nous rassemble, j’ai l’impression que les sentiments sont partagés et sincères, j’ai l’impression que notre mission a porté ses fruits. Le cœur de ce projet est au final de donner à son échelle, donner de soi et recevoir également des autres. La solidarité est réciproque, elle ne va pas que dans un sens. Le temps est finalement venu de quitter l’école, nous repartons accompagnées de notre famille de l’orphelinat ainsi que les enfants de l’école. Les larmes ne quittent mes yeux rougis, je me vois entourée de gens si bons et accueillants, je les vois me donner tant d’amour et de reconnaissance, j’ai tant de gratitude en moi. Je marche et, pourtant, c’est comme si mon esprit flottait au-dessus de mon corps.

Seuls les enfants accrochés à ma taille semblent me retenir dans la réalité de l’instant. Je vois le chemin, je nous vois tous ensemble et je me souviens de toutes les fois où nous étions là, à rejoindre les écoliers pour les cours. Les flash back me déconcertent totalement, ils surviennent et ravivent le feu de mes larmes tandis que mes mains serrent fortement celles des enfants, lesquels me sourient tendrement.

Suite à une courte pause pour nous remettre de nos émotions, nous rejoignons le point de rendez-vous avec deux amis de l’école pour une promenade. Également, nos trois grands viennent, Tolotra, Nekena et Faniry. Ayant pensé partir pour une heure, c’est finalement une grande randonnée en claquettes qui s’annonce, laquelle nous mène jusqu’à un sommet surplombant le village et les collines alentours. Sous la chaleur environnante, les éclats de rire fusent, je ressens un tel plaisir de pouvoir partager ce moment avec eux. Le paysage est beau, le temps est clair, l’air pur traverse mes narines.

Simplicité, complicité, tendresse. Enfin rassemblés autour d’un verre de coca et de youzou au bar du marché, notre ledit « chez Maria », la soirée se passe sous nos fous rires provoqués par les multiples gages donnés. La rue est le théâtre de nos folies tandis que les habitants rigolent de bonne foi, la nuit emplissant peu à peu le village. À la fin de nos aventures, nos saluons le barman qui, étonnamment, nous remercie de l’animation de ce soir.

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Ce matin, nous partons une dernière fois vers la rivière afin de faire la lessive. Notre démarche est lente, elle goûte aux saveurs déjà nostalgiques d’un paysage nous ayant entouré trois mois durant. Notre démarche est pensive, elle puise encore et encore l’essence de nos histoires vécues afin de s’en imprégner pleinement. Parvenues à notre caillou habituel, je frotte vigoureusement les tissus sur lesquels une mousse onctueuse se forme, blanche, volatile, libre. Bientôt, elle s’évanouit dans le courant et disparaît toute entière dans les plis soyeux à l’image de la douceur de nos souvenirs.

La nature nous enveloppe de son réconfort, les oiseaux virevoltent, le coulis de l’eau déverse sa tendre partition musicale, les feuilles de bananiers bruissent au passage de la brise. Je souffle, j’inspire et expire profondément, la fraîcheur de l’eau sur mes mains et sur les pieds m’éveille et stimule ma sensibilité. Tout cela, c’est un opéra sensoriel magnifique rendu possible par la complicité précieuse de Steph. Assises côte à côte, le sourire léger, nos pensées se lient et créent une rétrospective de cette expérience hors normes. Ce récit, il nous paraît littéralement incroyable, doué d’une force spectaculaire qui nous a poussées dans nos retranchements les plus sublimes.

Alors les valises sont commencées, les affaires rassemblées. L'instant s'inscrit dans une perte totale de repères, le déni emplissant nos esprits fatigués d’émotions brutes et sincères. La tâche, et non pas des moindres, se résulte être compliquée. Inexorablement, elle est vécue à deux, le binôme ensemble apportant un soutien non négligeable tandis que la musique aux sonorités malgaches résonnent. Soudain, les grands montent à l’étage et nous rejoignent, Faniry, Nekena et Tolotra. Quelque part « seulement » présents dans la chambre, leur présence relève d’une importance si symbolique et réconfortante. D'un calme et d'un respect uniques, leurs yeux se posent sur nous puis suivent les allers retours. Les minutes passent, terribles, cruelles, elles nous rapprochent un peu plus de l'échéance. Dans nos esprits désorientés surgissent des pensées aux couleurs moroses. Le déni, celui-là, le vrai, l’impossible, le destructeur, le douloureux, il nous étreint de toute sa puissance tandis que nos esprits prennent peu à peu conscience du départ imminent et tragique.

Dans un élan de joie incontrôlée, je saisis l'opportunité et choisis de partager ma lettre à Manassé et Taratra. Appliquée, mes mots sortent de ma bouche avec une émotion certaine. Mes yeux survolent l’écriture manuscrite puis se lèvent timidement pour croiser leurs regards émus. A quatre dans la chambre des enfants, dans cette atmosphère intime à l'image d'un partage sincère, ma voix s'élève dans les airs, elle affiche tout d'abord assurance, se transforme en un murmure émotionné, se métamorphose ensuite en la promesse d’une complicité éternelle et d’un amour inconditionnel.

Cet après-midi, le programme est déjà connu des enfants puisque la mythique "danse du goûter" est cantonnée à tue-tête dans la maison. Tous assis en rond sur les paillasses, la convivialité est de mise autour des délicieux beignets "mofoball" et des "mofogasy" légèrement trempés dans du café allègrement sucré. Steph et moi commençons alors la distribution de petites attentions à nos enfants et à Zo qui tombe soudainement en larmes lorsque nous lui déposons vêtements et lettre dans ses mains jointes. Mon émotion est déjà grande, tapie au creux de mes reins, à fleur de peau elle s'expand déjà et dévoile son feu de tristesse et de bonheur mélangés. Quant aux enfants, silencieux, ils reçoivent un à un leur cadeau avec une tranquillité déconcertante, l'ouvrent avec précaution tandis que de doux sourires illuminent leurs beaux visages.

Cet instant simple et pourtant si magique et précieux dans mon cœur est suivi d'une boom à n’en plus finir. Dans un engouement communicatif, totalement fou et magnifiquement entraînant, les musiques s’enchaînent, les rires fusent, les danses nous emportent, les paroles chantées transcendent l'espace. Voici la simplicité même, celle qui réunit, celle qui lie, celle qui illustre le lâcher prise commun sans que jamais une seule gêne ne puisse naître entre nous. Univers déjanté, les mélodies rythmées et enjouées emplissent la pièce et la nuit tombante, les bassins roulent et défient les lois de la nature, les déhanchés s’enorgueillissent sans retenue aucune. L’instant est authentique, voire mythique tant sa liberté est grande. Le bonheur envahit mon cœur tandis que des perles de sueur caressent ma peau brûlante. La journée ne touche pas à sa fin, non, elle se poursuit et se traduit en une soirée sous le signe de morceaux de guitare, les mains de Manassé et Taratra dansant une fois encore sur l’instrument de bois.

Tout à fait ensorcelée par la puissance musicale, j'observe les garçons avec une admiration certaine, je les considère avec tant de respect et d'amour, je ressens tant de reconnaissance et de gratitude pour eux. Irréelle, la merveille m’emporte aux confins du bonheur, les notes naissent, touchent mon âme et transcendent mon corps. Mon sourire et mes larmes sont une réalité inexorable, tout devient incontrôlé, tout devient incontrôlable. Mon regard passe de visage en visage comme pour saisir la moindre étincelle, comme pour garder le moindre bijou de ce moment exceptionnel, comme pour enfermer en moi ce joyau protégé, comme pour ancrer à tout jamais ce petit monde chéri.

23.08 - A cœur ouvert

Manassé et Taratra, ces trois mois, je les vois comme une vague d’épanouissement inespéré. A quatre toujours, notre confiance s’est décuplée, s’est ancrée, s’est envolée vers un astre sûr, beau et sincère. Crescendo incontrôlable, notre amitié est née comme fleurissent les bourgeons printaniers, lumineux et resplendissants. Dans vos regards rayonne la bienveillance même, laquelle nous a toujours soutenue et accueillie les bras ouverts lors de nos instants fébriles. Mon affection pour vous est si grande qu’elle rejoint les frontières de l’inconditionnel. Ma tendresse pour vous est si puissante que jamais elle ne disparaîtra du feu de mes sentiments. Telle une évidence inexplicable, nos âmes se sont découvertes et reflètent désormais la pureté d’une fusion authentique, simple et précieuse.

Sans aucun doute, l’aventure a duré, l’aventure a été vécue, l’aventure a été ressentie, l’aventure a pris fin mais notre amour restera éternel, nous en sommes la promesse même. Dans mon esprit s’enorgueillit déjà le souvenir de votre gentillesse imperturbable, de vos valeurs humaines et de votre douceur réunie. En moi résonnent les chants des enfants, vos voix intenses sur des airs de guitare, les innombrables éclats de rire et les booms à n’en plus finir. Cette expérience fabuleuse à vos côtés, je la chéris et la porterai à jamais dans mon cœur pour sa force inaliénable. De tout mon être, je vous remercie pour vos attentions, vos mots réconfortants, votre joie de vivre et votre engagement fort. Liés quelque part à jamais, nos regards croisés résument l’histoire d’un voyage tout à fait unique, embellit de solidarité et d’espoir. Je vous aime tendrement et bien plus encore, Lucie.

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Publié le 29 août 2023

Zo - Aide au quotidien, discrète et toujours souriante, je t’aime pour ta gentillesse et ta nonchalance. Fanampiana isan'andro, malina ary mitsiky mandrakariva, tiako ianao noho ny hatsaram-panahinao sy ny tsy firaharahanao.

Sitraka - Une malice débordante, une intelligence singulière et un regard observateur, je t’aime pour ton ingéniosité et ton caractère mystérieux. Ny ditra kely mihoa-pampana, ny faharanitan-tsaina tokana ary ny fijery mandinika, tiako ianao noho ny hakingan-tsainao sy ny toetranao mistery.

Princi - Une tendresse démontrée, des attentions gentilles et un caractère assuré, je t’aime pour ta force de confiance et ta volonté d’apprendre. Fanehoana halemem-panahy, fiahiana tsara ary toetra matoky tena, tiako ianao noho ny tanjaky ny fahatokisanao sy ny fahavononanao hianatra.

Miray - Une énergie douce, un regard pétillant et des sourires discrets, je t’aime pour ta candeur et ta mignonnerie à toute épreuve. Hery malefaka, fijery manjelanjelatra ary tsiky malina, tiako ianao noho ny fahatsoranao sy ny hatsarànao tsy mety levona.

Josy - Un grain de folie maîtrisé, des yeux pleins de joie enfantine, parfois un calme attendrissant, je t’aime pour ton énergie positive et tes élans d’amour. Toetran'ny hadalana voafehy, maso feno fifaliana toy ny zaza, indraindray tony manohina, tiako ianao noho ny herinao tsara sy ny firongatry ny fitiavanao.

Julio - Une énergie incroyable, un caractère joueur et farceur, je t’aime pour tes sourires innocents et ta candeur. Herim-po tsy mampino, toetra tia milalao sy tia vazivazy, tiako ianao noho ny tsikinao tsy manan-tsiny sy ny fahatsoranao.

Faniry - Une douceur précieuse, un caractère appliqué et l’image du rayon de soleil, je t’aime pour ta curiosité et ta positivité. Mamy sarobidy, toetra ampiharina ary sarin'ny tara-masoandro, tiako ianao noho ny fahaliananao sy ny toetranao.

Tolotra - Une bonté naturelle, une pudeur rayonnante et un regard attendrissant, je t’aime pour ton respect et ton honnêteté. Fahatsarana voajanahary, fahamaotinana mamirapiratra ary fijery manohina, tiako ianao noho ny fanajanao sy ny fahamarinanao.

Nekena - Un calme imperturbable, une discrétion et un œil observateur, je t’aime pour ton côté sportif et serviable. Ny fahatoniana tsy mitongilana, ny fahamendrehana ary ny maso mandinika, tiako ianao amin'ny lafiny fanatanjahantena sy fanampianao.

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Publié le 28 août 2023

Je m'éveille par les fumées de charbon de bois qui caresse amèrement mes narines. 5h30, c'est l'heure à laquelle je prends conscience de l'œil temporel qui s'agite devant moi telle une arme fatale. Cette arme fatale, elle est présente dans mon esprit depuis le début, elle est inévitable, elle signifie la séparation et le retour, elle caractérise la fin de ce voyage, elle désigne la boucle terminée de cette aventure forte. Malgré tout, Steph, moi et les enfants regorgent d'une énergie débordante, empreinte de folie et de positivité saisissante. Le jour est venu, il est là, palpable, réel, ceci est une certitude, mais les âmes aimantes que nous représentons désirent profiter de cette unité vitale jusqu'au bout. Réunis et installés en tailleur sur les paillasses de la chambre, le petit-déjeuner malgache est pris tous ensemble, les rayons du soleil éclairant les visages d’une douce lueur matinale.

Les dernières heures passent et s'écoulent d'une vitesse impossible. D'une rapidité nécessaire, nous escaladons les marches de l’escalier en deux secondes afin de terminer nos valises encore éventrées sur le sol de la chambre. Les garçons montent, ils regardent l’espace désormais vide, leur émotion peut se lire dans leur regard terni, peu à peu empreint d'une conscience imposée au pied du mur. Vision destructrice, la chambre est comme réinitialisée, elle continue de vivre sans signe de notre présence à l’exception de petites décorations déposées ci et là. Je me retourne, fébrile, je regarde encore une fois notre lieu de vie, je laisse ma mémoire capturer chaque détail, j'épouse chaque fragment du regard et y délivre d'ores et déjà ma nostalgie grandissante.

Les valises dans le couloir au rez-de-chaussée, nous rejoignons Manassé et Taratra installés sur les lits des enfants. Les guitares livrent déjà leurs accords familiers, les derniers chants en commun sont partagés. Les paroles sortent de ma bouche et sont chargées d’une pesanteur émotionnelle décuplée, tandis que la proximité entre nous me fait du bien et empli mon cœur de bonheur et de « fitiavana ». Je suis comme hors du temps, je suis comme perdue dans une planète parallèle, je suis entourée de ma famille, je me sens comme un oiseau dans l'immensité du ciel. L'important, l'essentiel est là, capter l’émotion, capter le sourire, capter l’amour et la tendresse, ressentir les émotions et les laisser s’exprimer librement. En même temps, depuis la chambre s'étale la vue sur l’extérieur où Sitraka, Miray et Josy s’en donnent à cœur joie, jouant avec nos valises, trébuchant, tombant dessus les quatre pieds en l’air. Leur candeur, leur innocence, leur insouciance, elles m’élèvent et essuient les larmes brûlantes qui coulent de mes yeux.

L'heure est venue, nous sommes même un peu en retard, le chauffeur attend juste en deçà de la maison. D'un élan farfelu, les enfants s'élancent et courent à toute allure vers le véhicule, nous les perdons bien vite de vue. Atteignant le point de rendez-vous, lequel surplombe le village, j'aperçois soudain les enfants assis sur la banquette arrière de notre voiture, tout à fait en avance par rapport à nous. Ils sont là, tout sourire, joyeux et franchement amusés. Aubaine inespérée, leur entrain ravive mes éclats de rire, il me fait du bien et me réconforte. Après un rappel à l'ordre lancé par Taratra, quelque peu stressé du départ, les enfants descendent à la queue leu leu. Les derniers câlins nous unissent joliment. Nos petits doigts se rassemblent haut au-dessus de nos têtes et le mythique « mandrakizay » (à l’infini) est crié fièrement. Les portes se ferment derrière nous, je tiens fortement les mains de Steph et de Taratra. Manassé s’installe côté passager, se retourne, nous soutient, pose sa main sur nos genoux tremblants. Le véhicule démarre, descend la côte, trébuche dans les trous. A travers le pare-brise, nos enfants suivent la voiture, ils nous font des coucous de la main, ils nous offrent des sourires toujours plus touchants, puis ils s’élancent et courent jusqu’à finalement disparaître de notre champ de vision. Mon cœur se serre.

Nous quittons alors le village, le traversant par son unique route, le regard rivé sur le moindre élément à ancrer dans ma mémoire. Même si nous avons déjà salué les commerçants ce matin, nous en apercevons quelques uns et leur donnons un geste de la main. Le moteur bronde, le silence règne tout d'abord dans l'habitacle, deux heures de route s'écoulent en ascenseur émotionnel. Peu à peu, le paysage défile, je regarde les montagnes, j’apprécie les champs de culture colorés, j’admire les zébus en liberté. Chaque infime partie du chemin me ramène à des souvenirs, à nos multiples passages ayant jusqu’à présent toujours sous-entendu un retour immédiat. Aujourd’hui, le retour n’est pas réalité, pas encore, il est flou, incertain, espéré mais seulement supposé.

Arrivée à la location où les huit autres services civiques sont arrivés la veille au soir, nous traversons de petites ruelles bordées de commerces, lesdites « gargotes ». Une boule au ventre secoue mes reins, bouleverse mon être entier, je fonds en larmes, rien ne compte plus alors que la famille que nous formons. A quatre, bras dessus bras dessous, des frissons douloureux parcourent mon corps vulnérable. Une impuissance totale s'immisce en moi, multipliée et incontrôlée.

Nos aurevoirs à peine réalisés, mon âme se métamorphose en un néant de torture au moment du décollage nocturne. Je me sens vide, au-dessus de tout, dans un monde idéal où seul l’amour me ramène à ce cocon familial si réconfortant, si doux, si tendre dans lequel je me suis épanouie. La souffrance est telle qu’elle m’étrangle, elle enserre ma gorge et ne la lâche plus. Les images tournent en boucle dans ma tête, une solitude extrême m’assaille et m’anéanti.

La puissance émotionnelle de nos liens créés, de nos moments partagés, de notre tendresse échangée se transforme en un poids insoutenable qui me tord le ventre et empoisonne mon esprit d’une nostalgie déjà incommensurable. L’engin s’élance, devant lui j’aperçois les deux lignées de lumière au sol qui, parallèles, s’unissent ensuite à l’horizon tel un chemin inévitable.

Dans le ciel obscure brillent les mille constellations. Le tableau est magnifique et pourtant c’est une bulle d’amertume dans ma bouche, c’est un goût de tristesse insoutenable, c’est l'incapacité de lutter contre l’œil temporel. C'est une douleur sourde qui s'amplifie, qui te dit que l’aventure est finie, qui t’impose sa lame tranchante. L’avion plane, moi je plane aussi, sans trop savoir comment, je plane sans comprendre mes émotions qui frôlent la joie puis côtoient d’un coup d’un seul la souffrance de la séparation. C'est quitter en un claquement de doigt le quotidien créé dans ma famille, dans un lieu où j’ai construit mes repères, où j’ai forgé des liens irremplaçables, où j’ai donné toute mon énergie et mon amour, où j’ai tant reçu en retour, où j’ai appris et grandit chaque jour, où mes valeurs humaines se sont précisées. Merci infiniment.

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Publié le 28 août 2023

Quelque chose au fond de moi semble me déranger, quelque chose qui m’était inexplicable tout au cours de la mission, quelque chose sur lequel je n’arrivais à poser un mot, un terme. Ce sentiment, c’est la culpabilité qui m’envahit malgré moi. Je songe à mon retour en France, je songe à notre vie confortable, quelque peu assurée, je songe à tous les privilèges que notre société permet et offre, je songe aux contrastes de richesses. Trois mois de mission, voici ce que j’ai pu réaliser à mon échelle et pourtant. Sans doute devrais-je ressentir la fierté d’avoir agit, sans doute devrais-je me dire que mon action a été solidaire et courageuse. Néanmoins, une impression d’inachevé me saisit, me tient, me déstabilise.

Trois mois, ne représentent-ils pas une larme dans l’océan mondial ? Je déglutis. Comment pouvoir d’ores et déjà quitter l’effort mené ensemble si vite ? Pourquoi ne pas pouvoir s’investir plus sur le long terme ? Mon impression est telle qu’il me parait laisser le projet Manantsoa de manière lâche même si elle était, début le début de l’aventure, inévitable. Mon impression est telle qu’il me parait quitter ce monde de solidarité essentiel dans les relations internationales au profit de ma vie aux avantages sociaux déjà acquis et ancrés. Dans mes entrailles ce profond sentiment d’injustice et d’impuissance ; dans mes entrailles cet indubitable sentiment de culpabilité grandissante.

Ma douleur s'atténue peu à peu, elle s'efface et se transforme en un espoir implacable. Peut-être ai-je "terminé" cette mission mais ceci n'est que partie remise. En moi ce réconfort né de la volonté de pérennité des actions de l'association La Voie de l'Humanité à Madagascar. Notre acte solidaire promet une continuité grâce au départ proche de nouveaux jeunes en service civique, lesquels s'engagent à leur tour dans cette mission à Manantsoa, mais également dans les autres centres basés à Tamatave et Majunga. La perspective de l'association vise le long terme, avec une intervention continuelle dans les écoles partenaires et avec un objectif d'auto-financement des centres et orphelinats. L'effort n'est pas vain, l'effort est collectif et se veut durer dans le temps. Au cœur de notre mission, le projet de Manassé est Taratra est récent mais se construit concrètement main dans la main. L'échange est réciproque, il permet de s'interroger et de grandir de la meilleure façon qui soit, il se veut novateur et s'inscrit dans une volonté d'entraide assurée pour les adultes et les enfants du village d'Anjeva.

Cet acte solidaire marque donc le début d'un nouveau souffle, il ne s'arrête pas maintenant, il ouvre seulement ses ailes, il annonce des progrès certains rendus possible par l'engagement commun de la société civile. Notre mission n'est finalement pas une larme dans l'océan mondial, elle représente une contribution essentielle à l'effort collectif. C'est ensemble que la solidarité fleurit, c'est ensemble qu'elle croît, c'est ensemble qu'elle disperse son pollen fertile partout dans le monde.

28.08 - La réalité du retour

Le corps et l'esprit sont bien là, les deux réunis se réveillent d'un long voyage aux émotions bouleversées. Je me promène au gré des chemins vosgiens, dans une solitude parfaite et appréciée. Pensive, mes pas se dirigent presque machinalement, comme emportés dans une danse imprévisible. Sensible, je retrouve les senteurs de ma région natale, mon "Heimat" adoré, mon identité d'enfance. Mes pieds émettent des craquements réguliers sur le sentier jonché de feuilles mortes, ils disparaissent parfois dans la boue née des récentes pluies. La forêt exhibe ses plus beaux sapins, grands, majestueux, mus d'un cynisme extraordinaire. Leurs troncs s'élancent fièrement, rejoignent le gris nuageux du ciel et leurs cimes tanguent au passage du vent.

L'aventure, elle m'habite, elle plante ses racines en moi, elle signifie des valeurs concrètes, elle m'apprend l'humanité dans son entièreté. Ma gratitude est grande, ma reconnaissance est éternelle. La solidarité n'est pas seulement un concept qui suppose une relation qui entraîne une obligation morale d'assistance mutuelle. Le fait d'être solidaire se veut plus vaste encore. Cette assistance mutuelle se caractérise également par le lien existant entre personnes, lequel nourrit une communauté d'intérêts. Néanmoins, ce sentiment de devoir moral me paraît dénué de profondeur tant il est neutre et objectif. Comment omettre la force d'un échange solidaire dans ce qu'il a de plus pur ? Par essence même, l'éclosion d'un acte solidaire provient de la volonté d'une personne à aider son prochain, une conviction s'y rattache, une émotion en découle, des valeurs humaines en émanent.

Aussi petit qu'il soit, un acte solidaire représente un engagement certain, lequel peut naître à tout âge, à tout moment de notre chemin de vie. Aussi petit qu'il soit, il soutient une cause et contribue à améliorer les conditions de vie dans notre propre société et/ou dans celles des peuples voisins. Lorsque la volonté de s'engager éclot dans nos esprits, une goutte d'eau rejoint l'immensité de l'océan de solidarité internationale. De jour en jour, cet océan croît et reflète un formidable effort collectif. A l'image de la rivière qui se jette dans les mers et océans, chaque action solidaire naît, vogue dans le courant, rejoint l'immensité bleue et participe inexorablement à l'effort collectif mondial.

La solidarité, c'est avant tout un monde empli de possibilités diverses. Soutenir, c'est croire en l'humanité en promouvant les actions de coopération et en favorisant l'entraide. Franchir le pas ne relève pas d'un miracle. Chaque individu aide à son échelle, en fonction de ses moyens et de ses convictions. Aujourd'hui, les propositions affluent et côtoient notre vie quotidienne : en choisissant le don, je contribue à l'accroissement des ressources de différents organismes ; en privilégiant des actions concrètes, j'agis activement dans la vie politique publique internationale, nationale et/ou locale. Cette réflexion n'est qu'une simple ouverture sur le concept de solidarité et ne reflète aucunement l'immensité de travail de collaboration qui existe actuellement. Mon récit se veut humble, je souhaite offrir l'une des visions de l'humanitaire, je souhaite communiquer sur cette problématique essentielle et la faire valoir afin que nos valeurs s'unissent, je souhaite raconter mon expérience afin d'encourager quelconque personne à agir pour cette cause commune à tous.

Intervenir, c'est protéger les valeurs humaines en atteignant un objectif de justice et de défense des droits de l'homme. Les domaines sont larges, les possibilités sont nombreuses. Education, protection, nutrition, eau et hygiène, santé, égalité des chances, changement climatique, urgences (conflits, catastrophes naturelles). Le monde ne manque pas d'injustice, poursuivre les actions solidaires menées depuis des décennies est un devoir moral propre à chacun. Aujourd'hui comme hier, les défis sont immenses mais les progrès réalisés sont non négligeables. La mobilisation nous rassemble, nous unit et permet de grands changements dans le monde. Cet engagement fort suppose l'action des Etats, lesquels avancent ensuite main dans la main avec la société civile. Dans le flux de nos pensées passagères, peut-être faudrait-il simplement y songer, y croire, essayer, agir, soutenir pour enfin tenter de créer tous ensemble un avenir meilleur empreint de solidarité.