Carnet de voyage

En route pour le Népal

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Après l'incroyable aventure en Russie, nous voilà de nouveau en vadrouille direction le Népal. Cette fois-ci, rien ne se passa comme prévu. Voici les péripéties de cette épopée merveilleuse !
Du 9 mars au 22 juin 2020
15 semaines
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Après la merveilleuse aventure d'un mois à traverser la Russie à bord du transsibérien, nous avons décidé de partir au Népal cette année. Des mois sans se voir et pourtant, notre objectif est resté le même. Après de nombreux mois de travail, pour ma part à Hambourg et Anaïs en Suisse, bientôt fut venu le jour du départ. L'organisation bien laborieuse, les vaccins effectués et le backpack à peu près préparé, Anaïs prit le premier avion de Bordeaux jusqu'à Bâle pour découvrir les collines et forêts Vosgiennes avant la chaîne de l'Himalaya quelques jours plus tard.

Déjà le jour du départ. Quelques peurs dues à la situation sanitaire s'empirant en Europe mais, Dieu merci, nous avons pu monter dans l'avion. Les valises sont prêtes et l'excitation est à son comble. Dans le sac, trois tee shirts et deux pantalons, partons léger ! 12 heures de vol. Bâle - Istanbul puis Istanbul - Kathmandu. 4h45 de décalage horaire. C'est parti pour le Népal !

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Publié le 10 mars 2020

Arrivées à Kathmandu, à peine le temps de sortir de l'aéroport que nous voilà déjà en taxi direction l'auberge de jeunesse. Une demie heure de combat entre les voitures, les motos et les piétons. Les routes de terre damnée, la poussière partout, la chaleur dans l'habitacle, le souffle pénible, les klaxons et ce gentil nepalais dans le taxi essayant de nous vendre son trekking dans l'Annapurna.

Premiere journée courte : le premier objectif était effectivement de faire la sieste. Ensuite, promenade dans les rues étroites du quartier et un bon Dahl pour nous rassasier avant le coucher.

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Publié le 13 mars 2020

Quelques jours de silence. Quelques jours d'adaptation à cet inconnu. Après le calme et la sérénité de l'auberge, nous voilà parties dans les rues de la capitale. Toujours et encore la poussière et la pollution. Le masque sur le visage. Le bruit incessant. Au-dessus de nos têtes, les bâtiments poussiéreux et des fils électriques par millier. Les népalais, "les champions du réseau électrique".

Nous arrivions tant bien que mal au centre historique appelé Durbar Square. Alors que nous pénétrons tranquillement la zone, quelle suprise quand un gardien nous interpelle : "1000 roupies pour les touristes, mesdames" (12 euros environ). Au faciès donc, nous payons pour aider aux "rénovations". Autour de nous, des temples vieux de milliers d'années. Là-bas, le temple de Kumari, une jeune fille vénérée comme une déesse vivante au Népal.

Quelques instants après, un temple bouddhiste aux milles dorures. À l'intérieur, un moine prononçant à voix haute sa prière. À l'intérieur, une infinité de tissus colorés et les rayons de soleil rendant le lieu sacré. À l'intérieur, le silence poussant à la réflexion et à la méditation.

Plus tard, nous déambulons dans un quartier plus riche, plus moderne. Les femmes en tenues traditionnelles et les hommes en costards. Partout des bijoux, des étoffes et à côté, ce vieil homme portant des sacs de denrées à même la sueur de son front.

La journée se termine par une énième arnaque. Hé oui, le tourisme profite aux petits commerçants et jamais aucun prix n'est affiché. Ici, il faut négocier et aujourd'hui, c'était la négociation de deux petits rouleaux de papier toilette. Finalement, la négociation fut un échec.

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Publié le 13 mars 2020

L'heure de plier bagages à Kathmandu et de se rendre à Patan, un quartier immense situé en périphérie de la ville. On saute du taxi dans la précipitation, les voitures, les motos, les passants et oh ! Un passage piéton !!! On ose à peine l'utiliser de peur de se faire quand même rouler dessus !

À la nuit tombée, nous nous rendons au vieux centre ville, lui aussi payant pour les touristes tout comme à la capitale. La démarche lente, nous déambulons entre les temples éclairés de douce lumière. Par ci et là, par terre, de petits stands de légumes et de fruits tenus par des commerçants. Grenades, bananes, oranges, avocats. Les senteurs des épices, de l'encens et de la nourriture traditionnelle nous chatouillant les narines. Un peu de fraîcheur nous réconfortant dans notre auberge précaire.

Patan est synonyme de surprises. Ou plutôt, l'auberge nous réservait des surprises. Après une malheureuseuse douche froide, il fallut laver nos vêtements "en cachette". Alors, nous tendons une corde à travers la chambre, au-dessus des lits. Nous dormirons la tête non pas sous les étoiles, mais sous les chaussettes et les culottes. Pourquoi pas après tout. Le lendemain, rebelote.

La sensation de se sentir un peu plus à l'aise dans la ville, la sensation de s'habituer à ce rythme de vie si différent du nôtre. Mais toujours, des rebondissements et des contrastes saisissants.

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Publié le 20 mars 2020

Je commencerai par vous dire que rien ne se passe jamais comme prévu. Après seulement quatre jours passés dans le pays, il fallut que Lucie perde son téléphone. Un malheur pour un bien. Notre séjour de deux nuits prévus dans l'auberge Dreamland Eco Hostel a finalement duré six jours.

Au premier abord, les installations étaient plutôt précaires et la cahute (qui nous servait de chambre) semblait bientôt s'effondrer. Mais bientôt, nous rencontrâmes les "gars". Des jeunes népalais tenant l'auberge sur le flanc d'une montagne. Des cabanes faites de bambous et de chaux, des espaces communs ouverts et une infinité de moments partagés. Comment vous raconter cet accueil si bienveillant, cette gentillesse et cette générosité immenses.

Les thés noirs sucrés, les Dal Baht mangés assis en tailleur, les promenades sous le soleil chaud et les moments simples de la vie ensemble, un tout si réconfortant. Chaque jour passé à leurs côtés fut bon et agréable, chaque instant nous procura du calme et de la sérénité.

La nature. La nature présente à côté de la capitale agitée telle une fourmilière. Les forêts de pins, la roche couleur ocre, la grandeur et la force des montagnes s'élevant dans le ciel. Les douches froides et les nuits fraîches ne furent finalement qu'un détail.

Il est temps maintenant de quitter notre Dreamland, il est temps de s'envoler et de découvrir d'autres horizons. Merci et à bientôt les gars.

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Publié le 21 mars 2020

Quel bonheur de dormir sur un matelas et dans des draps propres, quel luxe par rapport à notre cahutte ! Quel bonheur de se réveiller par le chant des oiseaux. Par la fenêtre, le petit village traditionnel de Tanahun, les maisons colorées, les enfants jouant. Au loin, la chaîne montagneuse de l'Himalaya. Les nuages dévoilant peu à peu les pics culminant à plus du 10 000 mètres d'altitude. Quelle magnificence. Quelle immensité. Quel infini.

Après la lessive à la main quotidienne, nous voilà parties dans les petites rues du village en quête d'un repas. La soupe de momos mangée (repas typique népalais), il est temps d'aller dépenser nos calories. Aujourd'hui, nous nous rendîmes au point culminant du village à 1 500 mètres d'altitude. Marche après marche, la vue se découvre, les montagnes dévoilent leur splendeur. A leur pied, les villages aux maisons colorées, puis les cultures sous forme de strates habillant leur versant, viennent ensuite les forêts denses et vertes, enfin les nuages se mêlant à leur sommet majestueux. Le vent caresse le visage. L'air frais. Cet air pur aux senteurs nouvelles. Quel endroit merveilleux.

Nous continuâmes notre randonnée sous le doux soleil hivernal. Alors que nous ressentions le besoin de prendre une pause, ma Kamarad trouva un petit espace à l'orée de la jungle. Le carnet et le stylo en main, je commençai à dessiner comme à mon habitude quand tout à coup des cris nous interpellent. Des cris forts et puissants venant des agriculteurs avoisinants. Se mêlant à ce vacarme, des cris stridents d'animaux. Vite, nous nous levâmes et remontâmes la côte quand soudain une horde de macaques apparut sous nos yeux. Les petits animaux criant, sautant de branches en branches, courant à folle allure avec quelques trésors emportés dans leurs petites mains. Au milieu de ce champ de bataille, nous deux. Abasourdies mais toutes souriantes, quelle est notre surprise quand des chiens de chasse débarquent pour chasser les vilains voleurs. Une scène tout du moins banale pour les locaux mais si belle pour nous.

Revenant de notre escapade et toutes émues de ces petites joies de la nature, il est si bon de s'endormir dans ce coin de paradis.

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Namaste ! Quelle motivation aujourd'hui ! Une soupe de momos à nouveau et nous voilà déjà parties pour une randonnée de quatre heures sous le soleil brûlant. Le but : Bandipur - Ramkot. Environ vingt kilomètres mais merci le dénivelé ! Suivant les chemins de terre rouge le long du flanc des montagnes, le regard en l'air pour ne pas perdre une miette du spectacle. Les roches saillantes encombrant le passage, les immenses rocs noirs imposant leur massivité, la jungle toujours plus grande et grouillante d'animaux. Des paysages spectaculaires à couper le souffle.

Après deux heures de marche, déjà presque un litre d'eau bu et nous sommes toujours assoiffées. Le soleil est si vif, la chaleur est si toride. Moment de repos au point de vue du village de Ramkot, les mains gonflées par la chaleur et l'altitude, le visage rougi par l'effort intense et à côté, les chèvres cherchant quelques brins d'herbe à se mettre sous la dent. Au village, nous sommes à la quête d'eau, l'eau est si précieuse. "Tapei ka ha pani ho?" : ça, c'est notre essai de traduction pour demander de l'eau à quelques villageois. Et mesdames et messieurs, tentative réussie ! Nous partons non seulement avec de l'eau mais aussi une barre de chocolat.

En somme, une journée éprouvante physiquement mais incroyable. Pour nous réconforter, un bon Dal Baht, quelle merveille ce plat !

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Publié le 27 mars 2020

Le Népal en confinement depuis mardi. Déjà 4 jours. Plus de circulation, les restaurants fermés, les auberges fermées. L'occasion de se pendre une belle claque. Malgré les directives strictes du gouvernement, nous restons positives. Bloquées dans ce village en montagnes, nous avons un logis et de quoi manger. La situation est certes dure à vivre mais elle permet aussi de belles rencontres et de beaux hasards. Luce et Raphaël, deux français, croisèrent notre chemin. Deux personnalités formidables avec lesquelles nous passons tout notre temps.

Les réflexions vont bon train, nous cherchons des solutions où il n'y en a pas, nous parlons des choses simples de la vie et nous refaisons le monde. Aussi cette famille népalaise si généreuse nous accueillant chaque jour pour manger le Dal (attention on y va en cachette pour ne pas se faire repérer !). Et le voisin nous offrant le café. Tous ces gens incroyables nous acceptant et nous aidant pour le moindre problème. Que nous faudrait-il de plus ?

Des journées où le temps semble s'étirer et s'allonger à n'en plus finir, mais des journées riches et tout de même remplies de surprises. Le temps. Attendre. Être patient quoi qu'il arrive. Ici, on apprend à se réjouir pour très peu. Lecture, dessin, jeux de cartes ou méditation. Peu à peu, l'esprit s'adapte. Chaque jour est sublimé par la nature. La végétation si belle, le chant des oiseaux si agréable. Malgré les regards désobligeants de certains locaux qui s'écartent lorsque l'on déambule dans les rues, qui portent soudain leurs masques à leur bouche lors de notre passage, nous restons positives, nous prenons tout ce que le temps nous offre.

Das Leben ist schön.

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Publié le 29 mars 2020

Namaste ! Les jours passent, deux nuits étaient prévues à Bandipur et finalement, ça fait déjà dix jours. Les surprises du voyage, toujours ! Alors que le confinement continue et sera certainement prolongé, nous passons nos journées avec Raphaël, Charlotte, Amrit et d'autres amis népalais.

Un jour, une promenade interdite nous redonnant une énergie remarquable, notamment avec notre nouvel ami Jean-Paul, fidèle serviteur chien des rues. Le suivant, des moments incroyables partagés en toute simplicité. Le lever de soleil à 5h45 devant l'immensité de l'Himalaya. Les rayons doux du soleil éclairant peu à peu la vallée infinie, les nuances orangées, vermillons et bleutées. La grandeur des montagnes, leur puissance, leur majesté. La méditation et le yoga. Je suis là en face d'elles, assise, le coeur battant, leur splendeur me plonge dans un état de sérénité incomparable, l'intensité du moment me laisse sans voix. La respiration profonde, l'esprit apaisé et le corps relaxé. J'ai tant de gratitude pour ces instants inoubliables, j'ai tant de respect pour ces personnes si sages, si bienveillantes et si généreuses.

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Publié le 3 avril 2020

Le soleil et la lune continuent leurs cycles, les nuages passent, le poumon de la Terre nourrit la jungle, l'aigle survole, les oiseaux chantent, les enfants crient. La vie continue. Pourtant, plus de voitures, ni de motos, ni de magasins, ni de restaurants ouverts. Tout est si calme.

Chaque jour, nous pratiquons le yoga en face des montagnes, chaque jour, nous mangeons en cachette, chaque jour, nous tentons de garder une routine. La journée d'hier fût éprouvante. Lors de la visite de la police (je note, en short et tongues), nous transmettons nos identités. Il nous explique gentiment qu'il est possible de rentrer : nous décidons de rester, il est trop risqué de retourner à la capitale. Peu de temps après, notre hôte nous fait comprendre qu'il faut régler les quatorze jours passés ici, par la même occasion, elle tente de nous arnaquer et nous suggère, pourquoi pas, de "dégager le plancher".

Prenant ses paroles au pied de la lettre, les sacs sur le dos, Anaïs et moi-même restons déterminées et nous ne nous laisserons pas faire pour payer la facture. La négociation fût interminable, il y eût même la présence de deux hommes pour nous intimider, nous bloquant le passage et nous empêchant de pouvoir réellement quitter l'auberge. Mais quel sentiment de fierté lorsque nous parvenons à notre but ! Grâce à nos " relations " à Bandipur (hé oui, les affaires tournent), nous parvenons à trouver quelqu'un veuillant bien nous accueillir : et quelle surprise ! Une chambre deux fois plus grande, une salle de bains en ardoise et messieurs, mesdames, un balcon ! Quel luxe !

Le confinement continue, nous passons nos journées avec Charlotte, une française aussi bloquée ici, et quelques amis népalais. Nous gardons le sourire, nous gardons notre joie de vivre. Tout est si beau et nous sommes si chanceuses d'être ici. Je vous envoie mes ondes positives et tout mon courage.

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Publié le 6 avril 2020

Un, deux, trois, quatre, le temps passe. Toujours confinées mais bien accompagnées. Quelques balades avec nos amis du café d'à côté. Une cueillette un beau matin dans un verger, des arbres à mûres à perte de vue, petites douceurs sucrées remplies de soleil. Mmmmh et c'était bon !

Le thé de temps à autre, puis une après-midi passée avec Charlotte, notre voisine de balcon. Après-midi ensoleillée sous un arbre, les vallées en face de nous. Soudain, quelques garçons plein d'énergie nous rejoignant. Des parties de morpion sur l'ardoise au sol, des chansons chantées en népalais et en français, des dessins réalisés sur le carnet de voyage, des bras de fer et voilà, la journée était passée. En conclusion, on prendra un petit Raxhi pour digérer le Dal Baht ! (Alcool local ressemblant à de la vodka légère). Des moments simples partagés ensemble, mais si beaux. Vive Bandipur !

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Un jour de balade, les quatre frenchies en vadrouille, Anaïs, Pollux, Xavier et moi-même, eau, choco-pie et bananes dans le sac. Un jour dans la jungle pour découvrir l'une des plus grandes caves d'Asie. S'enfonçant peu à peu dans la forêt, l'air humide et chaud, les rayons du soleil éclairant la végétation dense d'une lumière orangée douce.

400 mètres de dénivelé pour la descente, des marches à n'en plus finir. À l'arrivée, la fabuleuse cave. Une antre d'une longueur de 500 mètres et d'une hauteur maximale de 50 mètres, quel joyau de la nature. Le silence à l'intérieur, seulement l'écho de nos pas et de nos voix resonnant au loin. L'air lourd, le coeur battant dans la poitrine. Le noir et le néant m'oppressant de toute part.

Un après-midi passé sous un abri à proximité de la cave. Au coeur de la jungle, le bruit des feuilles lourdes emportées par le vent et tombant au ralenti. Allongée sur la pierre, le soleil réchauffant le visage, le chant des oiseaux berçant les âmes. Attention, ne surtout pas revenir trop tôt au village pour ne pas croiser les policiers...

Pour terminer la journée, un bon Dal Baht avec notre papa du village et n'oublions pas les crêpes pour tout le monde ! Mesdames et Messieurs, je tiens à le préciser... des crêpes avec du chocolat ! Quel luxe, et "qu'est ce que c'est bon !"

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Publié le 13 avril 2020

Dimanche 12 avril 2076. Hé oui, le calendrier n'est pas le même au Népal et aujourd'hui, surprise... c'est le nouvel an ! Pour l'occasion, nous sortons notre plus beau jogging et notre plus beau tee-shirt Quechua ! De véritables bombes atomiques. Très heureuses d'apprendre cette nouvelle, nous sommes bien vite invitées à festoyer chez notre ami Aron, au bout de la rue, à deux pas de chez nous. Au programme, barbecue accompagné de légumes et d'un délicieux pain fait maison.

Ces deux amis népalais, si gentils, accueillants et bienveillants. Le soleil se couche et le feu de bois éclaire les visages, les regards pétillants et les sourires. Le fil de la discussion est bercé par les accords de guitare et les chansons népalaises. Un moment si simple mais si beau. Ce soir, nous passons en 2077 et je me sens loin de toute cette panique mondiale. Le temps d'un instant, se sentir libre et légère. Simplement profiter de ce que la vie nous offre. Mais à nouveau, attention... il nous faut déjà bientôt rentrer avant le couvre-feu pour éviter une nuit à la belle étoile...

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Publié le 19 avril 2020

Vive Bandipur, vive la jungle, vive l'orage. Les jours passent et les aventures ne manquent pas au village. Chaque matinée, sa routine. Chaque après-midi, sa surprise. Ce jour-là, promenade dans la vallée. Descendant les chemins de terre battue l'un derrière l'autre, la sueur sur le front, l'air chaud nous entourant et la jungle si envoûtante. Puis les strates de terre rouge orangée. Les arbres ci et là, imposants et massifs, portant de grandes feuilles épaisses. En face, l'étendue naturelle, les sommets s'élevant vers le ciel, les vallées couvertes de végétation fluorescente, les villages éparpillés et la brume enveloppant presque tendrement l'ensemble.

L'air devient lourd, irrespirable. Le ciel devient noir, menaçant. Les nuages recouvrant la totalité du ciel en très peu de temps. La nuit tombe sur le village, l'orage arrive, sombre et ténébreux. Les éclairs transcendent le ciel sans fin, les décharges électriques se succèdent, les rideaux de pluie s'abattent sur les terres, lourds et puissants. Les pupilles n'ayant à peine le temps de se rétracter entre chaque impact lumineux.

La nature qui se déchaîne, un spectacle de plus de cinq heures. A la fois excitation, émerveillement et peur dans les entrailles.

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Publié le 19 avril 2020

Un réveil littéralement la tête dans les nuages. L'orage nocturne laissant derrière lui des vagues de vapeur d'eau. Ce matin, vue imprenable du balcon à un mètre : merveilleux. Aujourd'hui, un peu nostalgique au commencement. L'importance d'avoir un temps pour soi, appeler la famille et les proches, discuter et sourire beaucoup. Moral, positivité et énergie : envie fulgurante de dessiner (Maurine et Célia, c'est l'inspiration, ne rigolez pas).

A demie cambrée sur le muret du toit de l'hôtel, le stylo en main, le regard vif pour capter chaque détail de la scène, le vent fort balayant les cheveux, les cheveux fouettant le visage. Une solitude agréable, moment de calme et d'introspection sur un air de Gainsbourg.

La suite ? Farine, oeufs, chocolat, lait : crêpes en confection chez notre ami Aron. Alors que l'orage de grêle déferle sur le village, bruyant et puissant, nous ferons ces crêpes coûte que coûte même sans électricité. La lampe torche en main, l'eau à la bouche, l'immense plat de crêpes sortira quand même au bout d'une heure de dure labeur ! On attendra la fin du déluge pour rentrer à la maison...

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Publié le 22 avril 2020

Notre charmante Baosu, "Sri", nous prépare à manger tous les jours. Ce soir, ce sera un délicieux Dal Baht, comme à notre habitude. En somme, cuisiner tous ensemble pendant que l'orage s'abat de nouveau sur le village. Fort et puissant. Bruyant et imprévisible.

Le temps semble passer vite. Les journées se suivent et ne se ressemblent pas. Nous partons chaque jour à la conquête d'un nouveau bout de territoire à Bandipur. Chaque fois, il nous faut monter des escaliers, escalader des collines, se frayer un chemin dans les herbes. A la queue leu leu, Anaïs, Charlotte et moi-même profitons des paysages incroyables. Les macaques nous regardent du coin de l'oeil et bien vite s'enfuient dans les arbres et les buissons. Le soleil brille et chauffe les terres. L'ombre offre un peu de fraîcheur. Au loin, les nuages menaçant se rapprochent petit à petit. Le tonnerre bientôt arrive. Comme bien souvent, il nous faut rentrer en courant pour éviter les grosses averses orageuses.

Chaque jour, je m'émerveille devant le paysage. Les montagnes et les vallées sont vastes, imposantes et si vertes. Le temps météorologique les sublime chaque fois de manière différente. Les nuances de couleur se multiplient. Impossible de se lasser d'un spectacle indéfiniment changeant. Les collines se dessinent harmonieusement dans le ciel, les nuages s'y entremêlent, le soleil illumine des versants tandis que l'ombre apporte un contraste et souligne chaque sillon. L'esprit est apaisé. Le coeur bat dans le poitrine, l'air frais et humide aux mille senteurs passent dans les narines et purifie le corps.

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Suite à la visite du scorpion au petit matin, nous passons du temps avec Xavier et Paul, deux français originaires de Bordeaux et de Toulouse, eux aussi bloqués dans ce petit village montagneux depuis trois semaines. L'un révolutionnaire et ambitieux, l'autre sage et téméraire. L'un souhaitant conquérir le monde, le second voyageant depuis trois ans à vélo de France jusqu'au Népal. En somme, des parcours atypiques et incroyables.

Chaque jour, nous nous rendons visite mutuellement, soit à Good Hotel pour un café ou un bon Dal Baht, soit au "Perchoir" pour un thé. Une relation simple mais si enrichissante. A coup de petits apéros les soirs ou de petits repas partagés, nous débattons sur des sujets compliqués, chacun démontrant ses théories et ses points de vue, s'exclamant et s'offusquant parfois des idées de l'autre. Des discussions profondes à multiples rebondissements. Haussement de voix, grands gestes, regards sérieux et écoute de l'autre. Chacun semble y trouver sa place. Ouverture d'esprit et respect. Tant de personnalités différentes autour de la même table, et quelle importance de pouvoir partager ses réflexions dans ce contexte si particulier.

Ces jours-ci, nous avons appris qu'un vol de rapatriement pour la France sera peut-être mis en place. Anaïs et moi, nous décidons à nouveau de rester en "securité" à Bandipur et d'attendre, encore. Après maintes discussions, les garçons, eux, abandonnent leurs projets de voyage et prévoient leur retour. Dans leurs esprits, des peurs et des angoisses. La crainte d'un futur incertain, la crainte de complications politiques et sanitaires dans notre pays et dans le monde entier. Des scénarios virant à la catastrophe. De notre côté, l'incertitude. Ne surtout pas se faire envahir par la panique et prendre du recul. Nos idées se brouillent de part tous ces discours anxiogènes et ces rebondissements.

Néanmoins, nous gardons espoir et force mentale. Nous avons confiance aux personnes nous accueillant ici, nous ne manquons de rien et sommes heureuses de pouvoir vivre ces moments beaux et inoubliables. Nous gardons en tête les évenements actuels, nous y pensons chaque jour et nous agirons de manière raisonnée selon l'évolution. L'aventure continue.

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Publié le 26 avril 2020

Se détachant tant bien que mal des scénarios apocalyptiques et révolutionnaires des deux français, nous continuons notre petit bonhomme de chemin.

Ces jours-ci, le soleil brille et nous passons à côté des orages puissants et des averses pluvieuses interminables. Au temps des promenades et des longues discussions. A nos côtés, toujours un ou deux chiens des rues nous suivant, ces adorables animaux si dociles. Anaïs, Charlotte et moi-même, un trio du tonnerre découvrant toujours un peu plus les alentours du village. Au-dessus de nos têtes, des centaines de libellules géantes volant de branches en branche. Dans le ciel, des oiseaux innombrables chantant du matin au soir. Le temps passe et le temps change. La saison de la mousson arrive. Les terres regorgent d'eau et l'air est humide. La chaleur stagne et le soleil se fait plus timide. Bientôt, il pleuvera sans cesse et le village sera inondé.

En attendant, je dessine chaque jour cette nature sauvage si belle et si riche, j'admire la grandeur et la majestuosité des arbres et je cuisine avec la gentille Baosu. Je trouverais presque une sensation familière dans ce quotidien si lointain du mien. J'apprends à apprécier chaque moment de la vie.

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Publié le 1er mai 2020

Entre temps, deux Dal Baht et de bonnes Papad. Ensuite, la balade journalière. Aujourd'hui, nous nous sommes rendues au temple au-dessus de la colline. Un endroit magnifique malgré l'accueil peu agréable de cette dame népalaise.

Derrière les grilles cadenacées, l'entrée à un petit temple traditionnel. A l'intérieur, les colonnes recouvertes de peintures symétriques rouge, bleu et vert. Au fond de l'édifice, un bouddha enjolivé avec de fines feuilles d'or et décoré de drapés dorés précieux. En-dessous, les boiseries minutieusement sculptées. La lumière s'infiltrant par les petites ouvertures est chaude et douce. Elle adoucie chaque trait et renforce le caractère sacré du lieu. A l'extérieur, de jolis parterres de fleurs épineuses, des arbustes aux feuilles larges, des arbres tous reliés de drapeaux tibétains rouge, bleu, jaune, blanc et vert.

La fin de la journée ? Des brûlures de ventre terribles dûes "peut-être" au fromage de chèvre fermier ! Résultat? Baosu, la maman propriétaire de l'hôtel, est aux petits soins comme toujours et garde son grand sourire. Elle me prépare des remèdes traditionnels tels que des soupes de lentilles, riz et gingembre ou encore des thés sel, poivre, citron et gingembre. Quelle bienveillance, quelle gentillesse. Sa bonne humeur me remplie d'énergie positive.

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Ce matin, en avant toute pour un yoga en pleine nature. Ayant repéré les jours derniers un bel endroit reculé du village, j'y amène aujourd'hui ma Kamarad Anaïs. Alors que nous arrivons à destination, trois formidables boules d'énergie nous accompagnent sur le chemin étroit, rocheux et pentu. Courant à toute allure, les pieds nus, rigolant, criant et s'exclamant en népalais, les enfants restent à nos côtés un moment. L'un, l'aîné, s'aventure et attrape vivement une grenouille dans le ruisseau. Les deux autres, plus jeunes, crient de surprise et craignent presque le petit animal étriqué dans les mains du grand frère. Après leurs maintes et maintes expériences, nous parvenons (avec notre maigre vocabulaire népalais) à les convaincre de la relâcher dans l'eau. Désormais privés de leur occupation, les enfants jouent, sautent dans l'eau, escaladent la colline à une vitesse folle et la dégringole encore plus vite !

Après cette tempête d'énergie positive, nous nous installons et pratiquons notre yoga quotidien sur une strate de terre. A l'ombre d'un grand arbre, j'entends le ruissellement de l'eau, j'entends les bruits de la jungle, les oiseaux et les animaux, j'entends l'activité du village. Le soleil d'aplomb assèche les terres encore humides de l'orage, la brise fraîche caresse le visage.

Le lendemain matin, nous escaladons la colline proche du village. Sillonnant entre les grands pins, les épines recouvrant entièrement le chemin, il y aurait comme un air du Sud de la France. Arrivées en haut après la multitude de marches, je m'installe sur une roche en contrebas. A l'ombre d'un pin, je m'installe et ferme les yeux. La respiration lente et profonde, bientôt, mes sens se décuplent. Je sens l'air frais s'infiltrer dans mes narines, douces senteurs sucrées des épines de pins. J'entends le moindre petit bruit, le gazouillement des oiseaux, le bourdonnement des insectes, le chant des cigalles, la danse des papillons, le craquement des herbes sèches au vent. Les émotions sont fortes et m'acaparent de toute part. Mes yeux s'ouvrent devant ce paysage si fabuleux, une larme de bonheur et de gratitude coule sur ma joue, des frissons parcourent mon corps, mon coeur bat fort, je me sens plus vivante que jamais.

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Hier, j'ai fait la rencontre d'une népalaise pétillante et de ses deux enfants. Par hasard, alors que je me dirigeais vers un endroit ombragé où coule un ruisseau, elle m'interpelle dans la rue pour me demander où j'allais (coutume népalaise!). Elle m'incite à m'asseoir à côté d'elle sur le pas de sa porte. Elle ne parle pas anglais. Elle s'exprime en népalais avec de grands gestes et si je ne comprends pas, elle hausse le ton de sa voix croyant que cela pourrait changer quelque chose à ma compréhension. Cette maman est rigolote, elle me fait sourire. Petite et bien portante, elle ajuste régulièrement son long drapé coloré sur ses hanches, elle a les cheveux noirs et fins tirés à l'arrière de sa tête, elle a un sourire fabuleux. Elle m'inspire la confiance. Essayant de communiquer avec quelques maigres mots népalais et une multitude de mimes, nous décidons de partir nous promener ensemble.

En route ! La maman prend les devants et décide de m'emmener dans la jungle. Deux enfants nous accompagnent. Nous prenons bientôt un sentier à peine visible sur le bas côté et nous nous enfonçons dans cette végétation dense aux couleurs changeantes. Selon l'exposition des versants au soleil, les feuilles des arbres prennent des nuances jaunes, orangées et rouges. Il y aurait comme des airs d'automne mais avec 20 degrés de plus et des orages intempestifs.

Soudain, la maman s'arrête et me montre du doigt les grandes tiges épineuses au bout desquelles elle cueille des petites framboises sauvages jaunes. Dans mes mains, de larges feuilles dans lesquelles je dépose les doux fruits sucrés. Peu de temps après, je la vois déterrer toute la jungle en arrachant des pieds de fougères à pleines mains. Elle me montre les racines et j'y trouve de petits raisins poilus. Je lui demande alors : "is it ALU to cook ?" (Les alus sont de petites pommes de terre très savoureuses). Elle explose de rire et me répond : "No no no ! Paniamlar !". Après les avoir nettoyées dans le ruisseau, nous croquons dedans, c'est comme des petites boules d'eau mais à la fin, c'est pas bon !

Après avoir suffisamment de réserves, "Pugio", je suis les enfants à la queue leu leu. Un chemin? Non non, il suffit de se frayer un chemin sur les pierres du ruisseau, escalader les roches et traverser les branchages la tête la première. Quand soudain, un mur de roches : la remontée se fera par les strates en friches. Les enfants déjà en haut, j'escalade tant bien que mal la chose en m'agrippant aux herbes puis je tire la main de la maman pour l'aider à monter : d'un coup, elle retire sa tongue et la lance vers moi, apparemment le pied adhère mieux au sol ! Un vrai sketch.

Une journée quelque peu inattendue. Demain, rendez-vous a la même heure avec ma "Sati" (amie). Ça promet être encore une sacrée aventure !

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Cela faisait un mois que l'on attendait ce moment, le moment où Aron et Nikesh allaient nous mener à la cascade secrète de Bessy : madames, messieurs, quel privilège ! Aujourd'hui, c'était le jour J. Après une heure d'attente pour l'organisation à la népalaise, nous entreprenons la descente de la colline pour parvenir à la vallée. Bien déterminés, le pas cadencé et un chiot blanc nous accompagnant, nous traversons un village traditionnel. Les maisons faites de murs de chaux, les poutres de bois, les toits recouverts d'ardoises ou de taules bleues et rouges. Peu éloignés des petites habitations, chèvres, vaches, buffles ou volailles se reposant sous des abris en bambous. Le chemin de terre est rouge et large, de grands arbres feuillus le bordent de part et d'autre. Bientôt, un long pont suspendu en acier joint les deux versants. Sous nos pieds, le vide et la cascade.

Nous empruntons un chemin étroit et glissant dans les herbes hautes et descendons presque sur les fesses pour atteindre le havre de paix. Nikesh nous fait un grand signe et pointe du doigt la merveilleuse cascade. Sur le qui-vive, à peine arrivés, il bondit et plonge tête la première dans le bassin naturel. Ni une ni deux, nous le rejoignons sans plus attendre avec Anaïs et Aron. Flottant sur le dos au milieu de l'estuaire, je sens l'eau douce fraîche me porter, elle me caresse la peau et s'entremêle dans mes cheveux. Je me sens si légère, je me sens si bien. De chaque côté, les roches escarpées, l'eau et le vent érodant leurs surfaces et y formant des grottes sombres. Dans les failles, de minces filets d'eau coulant à travers la végétation, l'écho du clapotis de l'eau. En face de moi, la magnifique cascade, l'eau chaude se jetant dans le bassin et formant de profonds remous, le courant rapide de l'eau résonnant en continu. L'instant est magique. Anaïs et moi-même échangeons des regards ébahis, un moment si inattendu et si simple. Une nature infiniment belle, quelle intensité, quelles émotions, quel bonheur. Sur les rochers, le chiot blanc est toujours là, il nous surveille et tremble d'excitation à l'idée de plonger nous rejoindre.

Bientôt, Aron nous fait signe qu'il est temps de repartir. Avant la dure remontée jusqu'au village de Bandipur, nous passons l'après-midi à l'arrière d'une maison familiale. Attablés près des chèvres et des poules, nous grignottons des légumes frais et jouons avec notre chien de compagnie. En guise de rafraîchissement, quelques verres de Raxhi (alcool artisanal népalais) puis nous avions repris assez d'énergie pour rentrer à la maison !

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Publié le 9 mai 2020

Accompagnée, au détour d'un chemin, je m'énivre de ces milles senteurs

L'âme apaisée, le corps sain, la nature ici tel un joyau doré


Accompagnée, sur un balcon soudain, le soleil m'apporte un peu de chaleur

Les idées claires, le souffle cristallin, le ciel au loin aux reflets rosés


Ensemble, un retour rempli d'entrain, la jungle nous offrant un peu de fraîcheur

Le regard doux, le sourire enfantin, les collines ci et là joliment dessinées


Dans mon cœur, un amour pralin, deux trésors purs un peu rêveurs

La gratitude encore, l'esprit serein, un après-midi aux douceurs sucrées

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Prêts comme des sous neufs, en route pour la randonnée du jour. Tout le monde est au rendez-vous : Mister Flip Flop, la Sssarlotte, Anaïs, Niraj et le couple Adam et Hind ! Attaquant la descente en empruntant des petits chemins de terre battue, chacun s'exclamant plus fort que l'autre pour se faire entendre de tous, je vous laisse imaginer l'inédite queue leu leu composée de locaux et de touristes.

Avec Hind, d'origine marocaine, ayant grandit en Italie et habitant désormais en Allemagne, nous communiquons en langage trilingue : français-allemand-anglais. La gymnastique cérébrale s'exerce sans répit ici ! Bientôt, nous arrivons dans la vallée. Ici, le terrain est quasiment plat, il ressemble presque à une plaine, seules quelques minces strates cultivées ajoutent du relief au paysage. On se croirait dans un autre endroit. De chaque côté, les hautes collines rocheuses et boisées. Au détour d'un chemin, des habitations traditionnelles, des buffles en liberté et quelques agriculteurs les surveillant de loin. Apparemment, on se dirige vers le parc de Chitwan situé au sud du Népal. Mister Flip Flop précise : "only 5 hours walking !".

Puis nous nous enfonçons dans la jungle. Pas à pas, nous jouons à cloche pied entre les rocs pour ne pas glisser dans l'eau du ruisseau. Nous faisons une halte à côté d'une petite cascade. Assise à l'ombre d'un arbre massif, les pieds flottants dans les remous de l'eau fraîche, le courant fort et l'écho bruyant du flot continu dans les oreilles. Juste à côté, Niraj à la guitare, de l'autre, Amrit au bol tibétain. Un instant simple de partage, si doux, si paisible. La nature environnante est charnelle, elle calme les esprits, réunit les coeurs et les différentes cultures. Nul besoin de paroles pour apercevoir l'étincelle de bonheur pétillée dans chaque regard. Nous reviendrons au village à la nuit tombée, les couleurs du coucher de soleil sur la vallée, le corps transpirant et les joues rouges après les dizaines de marches montées. Une journée formidable. Sacrée tribu.

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Publié le 11 mai 2020

"Quand l'appétit va, tout va": cette merveilleuse citation bien commune résume parfaitement les festins que l'on se fait chaque jour. Le Dal Baht délicieux de maman Baosu ? C'est tous les jours pour le déjeuner. Comme vous pouvez le voir sur la photo, les petites françaises aiment garder l'habitude du café après le repas... Le soir ? Notre curry improvisé. Une certaine routine semble apparaître dans notre quotidien et elle fait un bien fou. L'hôtel est devenu notre maison, la famille nous accueillant et nos amis locaux forment de véritables repères à nos yeux, nous connaissons chaque petit chemin du village, nous découvrons toujours un peu plus la vallée environnante et, le plus important, les chiens des rues nous font la fête tous les jours ! Il y a comme un air de familier. C'est le mot. Familier.

À chaque jour, son histoire, à chaque jour, son illustration. Depuis le début de notre aventure, je remplie mon livre de nos récits quotidiens. Chaque anecdote y trouve sa place, chaque surprise y est racontée, chaque scène est dessinée avec passion. Ce carnet de voyage représente une réelle importance pour moi. La joie, le doute, l'étonnement, l'émerveillement, les angoisses, les peurs, l'admiration, la sérénité, le bonheur, l'énervement. Un véritable mélange d'émotions exprimées de manière authentique et sincère sur le vif. L'écriture est toujours changeante. Grosse et ronde, petite et saccadée, dansante et irrégulière. Les pages défilent, elles commencent à devenir nombreuses, sans lecture aucune, le regard suffit à analyser et interpréter l'état d'esprit dans lequel j'étais pendant la réalisation. Nulle perfection, les ratures se glissent ci et là et offrent un peu de spontanéité et de naturel à l'ensemble. Au fur et à mesure, les traits deviennent plus sûrs, plus "maîtrisés". La couleur du crayon change elle aussi : hé oui, mes crayons préférés n'étaient pas éternels et il fallut faire une chasse à travers tout le village pour trouver "THE BEST ONE".

En bref, tout va bien, voyez-vous même, je trouve même le temps de déblatérer sur mon carnet ! La journée fut belle, elle fut couronnée d'une balade avec mes "Satis" (amies en népalais) sous le coucher de soleil, les paysages sont merveilleux, la vie est si belle.

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Publié le 13 mai 2020

La nouvelle du jour ? On pourrait dire que l'on devient de vraies népalaises. Déjà deux mois que nous vivons au village et l'idée nous est venue de nous faire faire une Kurta. Ressemblant à une longue tunique, ce vêtement traditionnel est porté quotidiennement par les femmes au Népal mais également en Inde ou au Sri Lanka.

Nous arrivons donc chez la couturière avec Charlotte et Anaïs. Passant le pas de la porte, une petite boutique se dévoile à nous. Contre les murs, de grandes étagères fournies de dizaines de tissus colorés. Jaune, rouge, bleu, vert, tant de couleurs et de textures. Nos regards sont ébahis et Charlotte, déjà habituée à porter des Kurtas, nous guide et répond à nos questions simplettes. Dégotant chacune le tissu rêvé, la petite femme nous prend les mesures en deux-deux et les note sur un cahier centenaire.

Le lendemain, nous appréhendons l'essayage... Nous les enfilons tant bien que mal et la petite femme m'aide même à l'ajuster : un grand coup sec en tirant sur le tissu et le tour est joué ! Nous observant mutuellement, quel émerveillement, quelle joie ressentie décuplée par l'émotion et les compliments des autres ! Rentrées à la maison, c'est tout comme un rituel, comme un cap passé dans notre vie. Même la famille semble ravie. Alors que l'oncle immortalise ce merveilleux moment en prenant une photo de nous adossées au balcon, la belle Baosu survient sur notre droite et prend la pose avec nous ! Le lendemain, les gens du village nous voient même déjà mariées à un népalais. Les choses vont vite en besogne à Bandipur !

La fin de la journée sera couronnée d'une balade sous le coucher de soleil. Happy, notre chien, notre good boy du jour, mène la danse et nous propulse au sommet de la colline en dix minutes top chrono. Un moment de partage rythmé par notre pas rapide et par diverses discussions toujours plus profondes et enrichissantes. Cela se terminera par un combat sans merci entre Happy et un chien stupide. Anaïs tentera tant bien que mal d'assomer le chien enragé à l'aide d'une bouteille d'eau : autrement dit, mythique. Nous en sortirons toutes transpirantes et pleines d'adrénaline ! Maintenant, au lit !

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Ce matin, on avait très très faim. Ce fut un breakfast du tonnerre avec pancakes bananes-choco. Quel délice sucré... Peu de temps après, nous étions parties pour une randonnée. Notre but aujourd'hui ? Retourner à la petite cascade dans la jungle située en bas de la vallée. Plus d'une 1h de marche pour dévaler la colline. La chaleur est étouffante, l'atmosphère est lourde et humide et nous profitons de l'ombre des arbres dès que l'occasion se présente. La sueur dégouline sur le front et dans le dos. A plusieurs reprises, des cours d'eau traversent le chemin. Nous nous agenouillons et plongeons les mains dans l'eau fraîche. Chaque fois, nous aspergeons nos visages et reprenons notre route.

Parvenues à destination, comme enfouies au coeur de la jungle, nous croisons un petit homme surveillant son troupeau de chèvres. Il est jeune et menu, il porte une chemise à carreaux et nous adresse quelques regards timides. Assises près de l'eau, il vient soudain vers nous, plonge ses pieds dans le bassin naturel et commence à déplacer les grosses pierres afin de former une "swimmingpool". Étonnées, nous observons les faits et gestes du jeune homme. Chose faite, il s'éloigne et rejoins ses chèvres. Anaïs me regarde et s'exclame : "Mmh dis Lucie, ça se fait si je plonge mes fesses dans l'eau?". Sans surprise, une seconde plus tard et nous étions dedans !

Après cette baignade quelque peu improvisée, nous repartons toutes trempées mais le sourire jusqu'aux oreilles. Dans la vallée, la nature s'exprime. Elle est belle et envoûtante. Tout est si calme, tout est si sauvage. Pourtant, nous rencontrons milles et un habitants en tout genre. Le berger avec ses chèvres, les femmes rapportant de gros fagots de bois sur le dos, les enfants jouant dans l'eau, les bœufs tirant la charrue, les papillons ci et là, le troupeau de buffles et le chant continu des oiseaux. Tout est si vivant et si authentique. Après une remontée bien fatigante jusqu'au village, le soleil chauffant la tête et les jambes molles, nous voilà enfin rentrées et quel bonheur de recevoir un Dahl-Chapatis bien mérité ! La vie est belle.

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Une promenade pas comme les autres, devrais-je dire. Avec les filles, on était parties pour une petit randonnée facile en passant par la source naturelle Tindara, par le village de la vallée d'à côté, ensuite descente dans la vallée de Bassy puis retour au bercail. Non non, ça ne pouvait pas être si simple, enfin ! Malgré tous les avertissements d'amis népalais, nous nous sommes malencontreusement perdues dans la jungle. Et quelle aventure...

Il a fallu se tromper d'un chemin pour finalement se retrouver au milieu de nulle part. Après un cheminement bien compliqué dans l'antre de la jungle, Anaïs en première ligne avec notre chien de compagnie Tarzan, Charlotte et moi la suivant au pas, l'atmosphère lourde et humide semble nous écraser toujours un peu plus. La chaleur est suffocante, l'effort physique est intense. La sueur dégouline sur mon visage, dans mon dos, sur la poitrine et sur les mains. L'énergie et la bonne humeur sont tout de même au rendez-vous. S'enfoncant encore et encore dans la végétation dense, comme l'impression de ne pas voir la fin du tunnel, les arbres massifs empêchant de voir le ciel, les plantes mystérieuses s'entremêlant aux branchages, les lianes longues, légères et dansantes. Dans cet environnement sauvage inconnu, Tarzan nous guide et nous nous frayons un chemin sur les pierres glissantes recouvertes de feuilles mortes.

Soudain, nous parvenons à un endroit découvert. Des strates par dizaines menant à un petit ruisseau et puis... plus rien. Plus de chemin. Le ciel est couvert, les nuages sont gris et menaçants, l'orage gronde à intermittence. L'angoisse monte. Il faut trouver une solution : trouver une habitation où passer la nuit ? Demander notre chemin et tenter de rentrer avant le déluge ? Toutes les trois sur le qui-vive, nous trouvons après un long moment un passage menant à une petite maison en haut d'une colline. Nous montons les strates à toute vitesse et suivons la direction que nous indique la vieille femme : deux grands gestes en l'air et deux mots bredouillés en népalais, débrouillez-vous avec ça pour trouver le sentier en question ! A deux reprises, nous demandons de l'aide. Les deux femmes que nous croisons ne sont pas surprises de nous voir passer dans cet endroit presque inaccessible et, dans leur jardin, elles se redressent difficilement à l'aide de leur pioche et nous répondent timidement avec le sourire.

Finalement, après une heure de galère et de sueur, l'orage gronde toujours mais nous avons retrouvé un chemin connu au bataillon. Nous arriverons lessivées mais heureuses à Bandipur village et Tarzan nous tiendra compagnie jusqu'au bout du bout. Brave chien ! Il a supporté les Bidécis tout ce temps (mot népalais désignant "touriste").

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Publié le 20 mai 2020

Vous souvenez-vous de la famille de El Chapo qui nous accueillait en cachette pour manger au début du confinement ? Hé bien aujourd'hui, nous avons rendez-vous à 10h pétantes sur le pas de la porte. A l'heure, la première question du petit couple est : "Vous avez mangé du riz ?". Évidemment, nous répondons que non, que notre petit déjeuner est bien suffisant pour la promenade prévue : aller rendre visite aux parents du père de famille de Sweet House. Combien de temps au maximum? Deux ou trois heures et nous lancerons Chapatis Curry à la maison ! En réalité, ce fut encore bien différent de nos attentes...

La journée commence donc par la descente jusqu'à la maison familiale vers la vallée de Bassy. A l'arrivée, nous sommes plutôt d'abord intimidées mais rapidement à l'aise. El Chapo nous fait alors la visite de la maison et des jardins alentours. Devant la maison se trouve un porniche avec un toit fait de taules. Nous nous y asseyons sur un Gundri (tapis de herbes entracées typiquement népalais) ou sur des petits tabourets faits main.

En face de nous, une source detournée par un tuyau, le jardin bien entretenu, dahlias, piments, haricots, aubergines, arbres à mangue, tout y est. En passant sous les bananiers aux grandes feuilles épaisses, leurs bois secs et durs, nous suivons notre guide à travers la végétation. Les strates délimitent des paliers aménagés sur le versant de la colline. Les cultures sur chacune d'elle, le maïs partout, des piments rouges et verts, des ananas ci et là.

Puis, en revenant sur nos pas, un jardin si vert, si diversifié, renfermant mille et une saveurs, chaque fois, l'excitation de savoir quelle est la plante, le légume ou l'arbre fruitier prenant racines dans cette terre rouge et humide. La promenade se fait par de petits sentiers, c'est comme une chasse aux trésors, tout semble mystérieux et l'on découvre toujours quelque chose de surprenant, de merveilleux.

Bientôt un chantier sur le talus à notre droite, el Chapo nous expliquant qu'ils projettent de construire une maison à louer : sur un grand terrain vierge, des centaines de briques de terre cuite entassées correctement. Puis, devant nous, une montagne : nous nous questionnons et on nous explique qu'il s'agit d'un four. En effet, pendant deux ou trois jours, ils réalisent la cuisson des briques à l'aide d'énormes rondins de bois. Une montagne tout de même bien organisée avec des espaces libres réguliers formants des fours profonds et peu larges.Tout est fait sur place et l'on se rend réellement compte du temps de travail et de labeur que représente la construction d'une habitation.

Puis la maman arrive, elle revient des champs, elle a le visage marqué, le regard fatigué, des dents manquantes, le dos courbé mais elle semble regorger d'énergie. Elle nous offre le thé et de quoi manger. Nous profitions de l'instant, nous sommes si étonnées de vivre cette journée en compagnie de notre papa bienveillant. Tout est si bon. Assis tous en ensemble, à l'ombre du soleil brûlant, la famille discute silencieusement en népalais tandis que nous analysons chaque petit détail de la vie quotidienne traditionnelle de cette grand-mère.

Sous les souhaits de El Chapo, la promenade continue finalement et nous attaquons la descente jusqu'au village. Attention, il faut faire un break tous les 400 mètres à l'ombre : hé oui, le soleil népalais est si chaud et cuisant qu'il me fait tomber comme une mouche. Nous rendîmes alors visite à Pierre, Paul, Jacques afin boire le fameux Milk tea bien sucré. Des personnes et des familles nous accueillants à bras ouverts, souriants et curieux de savoir qui l'on est. Un sentiment agréable bien différent des regards mauvais que l'on peut parfois croiser dans les rues de Bandipur Bazar.

Monsieur El Chapo, mille mercis de cette journée inattendue, pleines de rebondissements mais si belle ! Il est si bon de pouvoir passer des moments simples de la vie avec des locaux. Il est si bon de se sentir un peu plus intégrées et acceptées dans la culture et les moeurs du Népal.

L'anecdote... on n'oubliera jamais le petit garçon s'arrachant violemment une dent de lait au détour d'un chemin, tirant comme un fou et crachant ensuite du sang plein lorsque que la tâche fut réussie. La lançant dans les buissons, il ira se faire un bain de bouche dans une gouttière juste à côté. Vous vous douterez qu'aucune petite souris ne passe sous l'oreiller au Népal !

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Publié le 22 mai 2020

Le trio de choc ne s'arrête pas et continue de chercher des chemins mystérieux aux alentours de Bandipur. Mais attention, chaque fois, le Chapatis Curry à 13h00 ne manque pas !

Les jours-ci, c'est la frustration. Je vous en dirai tant ! Il y a quelques temps, la routine nous rendait heureuses, elle nous offrait un sentiment de bien-être profond, l'impression que les lieux devenaient peu à peu familiers, se sentir presque "à la maison". Ces jours-ci, les nouvelles me mettent dans un état d'esprit bien différent. Je me surprends à être nostalgique, presque mélancolique. Un matin, au réveil, encore couchée sur le lit, je regarde par la fenêtre le ciel bleu et les nuages éparses, j'imagine me réveiller à la maison à Bellefontaine, descendre les escaliers et prendre mon petit-déjeuner. Tout est là, ma famille, maman, papa et les soeurs qui se réveillent plus tard. Chaque chose est à sa place. Mes souvenirs sont précis et joyeux.

Les nouvelles donc, il n'y a aucun vol pour la France prévu les semaines qui suivent, ni même pour l'Europe. Ah. On en reste bouche bée. Le stresse monte doucement, je pense à cet été et je songe à ce qui m'attend ensuite. Mes responsabilités, mes projets, mes études. Grâce à des groupes communs, nous sommes en contact avec d'autres étrangers confinés au Népal. Ils planifient des plans sur la comète pour mettre en place un vol de rapatriement. Ils sont actifs, contactent chaque consulat, chaque ambassade et même des journalistes pour "mettre la pression". Ils sont prêts à tout. Certains semblent devenir fous après plus de deux mois et demi de confinement.

Chaque possibilité est envisagée. Certains réservent même des billets d'avion vers la France prévus sous peu : une belle arnaque, comme dirait Monsieur Champy, adjoint de l'ambassadeur de France. En effet, des compagnies aériennes comme Qatar Airways proposent actuellement des vols début juin alors même que les frontières sont fermées. Des vols alors uniquement virtuels qui n'auront jamais lieu. Un business trouvé dans le malheur mondial. Pris de peur et d'angoisses, certains ferment les yeux et croient dur comme fer à ces retours peu probables voires vains. Ils réservent des billets à des sommes astronomiques dépassant les milles euros.

Au milieu de tout ça, nous restons informées au mieux. Nous prenons peu à peu conscience que nos projets ne se réaliseront certainement plus. La priorité étant de rentrer dès que l'occasion se présente. Dans l'attente, nous tentons de ne pas trop y penser, nous passons nos journées entourées de la famille et de nos amis. "Penser positif, attire le positif". "There is nothing to fear", me dirait Anaïs. Le trio continue donc d'avancer, les balades sont toujours aussi incroyables et je ne cesse d'admirer ce merveilleux Népal.

Je finirai par vous demander où se trouve l'erreur dans la dernière photo, l'erreur dans l'immense carrière. Les blagues ne manquent pas au village et j'ai la chance d'avoir deux amies de route formidables.

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Publié le 26 mai 2020

L'inattendu de l'inattendu. Sirotant notre café sur la terrasse, encore attablées après notre habituel Chapatis Curry, voici que le ciel semble s'assombrir au loin. Soudain, le vent se lève, d'abord une brise légère puis de grandes rafales ininterrompues. En quelques secondes, nous apercevons les rideaux de pluie déferlants violemment sur la vallée. Bientôt, le cyclone s'abat sur le village. Puissant, incontrôlable. Nous perdons toute notion de temps. L'instinct animal fait surface. Il faut se protéger de la menace naturelle et vite. Sans même réfléchir, par reflex immédiat, nous nous courbons dos au vent et à la pluie torrentielle. Déjà trempées, le bruit couvre nos voix et nos exclamations. Soudain, un énorme bruit se fait entendre, dechirant le vacarme de la tempête. C'est alors que le toit du voisin s'envole et se retourne brutalement en un claquement de doigt. Le choc de l'effondrement résonne. La taule se plie, se tord et crisse.

Autour de nous, le bruit partout, les tasses se brisant, les arbres se pliant, les feuilles volants. Le vent puissant et la pluie en vagues diluviennes assommants le corps. Courant courbée et les bras chargés, je rejoins tant bien que mal la chambre : une véritable tempête à l'intérieur. Dans cette situation jamais vécue auparavant, l'esprit n'a pourtant besoin que de quelques secondes pour constater et agir rapidement de la manière la plus adaptée. Adrénaline, stress, instinct.

Les rideaux gorgés d'eau volants à l'horizontal, la pluie se déversant sous la porte, l'eau projetée à travers les moustiquaires, la fenêtre manquant se briser de part la force des rafales, le lit trempé, les murs dégoulinants. Le combat alors pour fermer les fenêtres, l'eau dans les yeux, la pluie battante et les déchirures de feuilles fouettants le visage. N'y voyant rien, tirer de toutes ses forces contre la puissance naturelle. Trois fenêtres, trois obstacles. La tâche surmontée, je me retrouve au milieu de la pièce, trempée jusqu'à l'os, si petite et impuissante face au déchaînement du cyclone. Les pieds baignants dans l'eau, je constate les dégâts quand soudain les filles me rejoignent : dans le même état que moi et tout autant choquées.

Ce fut alors toute une aventure pour retirer l'eau de la chambre-piscine. A trois, nous agissons vite, solidaires pendant que l'intempérie destructrice battait encore son plein dehors. Alors, la famille arrive à l'entrée de notre chambre, inquiète, elle nous demande si tout va bien. Une fois tous sains et saufs, je sens les émotions me traverser de manière décuplée. La fatigue s'empare de moi, mes membres sont encore brûlants de ladrealine ressentie peu de temps avant. Puis, l'attente. Longue et pesante. La pluie cesse, les nuages recouvrent la colline et s'engouffrent dans la vallée. Le brouillard ensuite, épais et humide.

Assises sur le lit, encore choquées de ces trois heures de déluge, nous observons par la fenêtre cette jeune fille de quinze ans. Accroupie sur le toit de sa chambre, un vieil homme à ses côtés, accroupie sur un simple toit de tôles trempées et glissantes. Elle essaye de réparer son toit endommagé par le cyclone. Le marteau à la main, les pieds nus, la brume les enveloppant et les rafales de vent.

La nuit, le calme plat. Le silence. Les étoiles brillants dans le ciel dégagé. Le bruit des insectes et des animaux sauvages résonnants au loin. Une prise de conscience immense. La larme à l'oeil. Se rendre compte que l'Homme est impuissant face aux forces naturelles et qu'il l'est encore plus dans un pays peu développé. Ici, pas de bulletins météorologiques prévenant deux semaines à l'avance la venue d'un cyclone. Ici, les habitants possèdent peu et ils tentent tant bien que mal de survivre à de telles catastrophes. Solidaires, chacun offre de l'aide à sa manière pour réparer le toit de son voisin, chacun apporte du soutien et du réconfort. En ces temps difficiles, seuls la survie et le bien-être de tous sont importants. En face, les jardins sont détruits, le maïs plié au sol, les cultures perdues. Ici, si les ressources respectives des locaux sont réduites à néant, il n'y a pas de plan B.

Je vois ici une solidarité incroyable, je vois ces gens avec tant d'humanité et d'entraide, "se serrer les coudes" quoiqu'il arrive. Il y a une beauté indubitable ressortant de cet événement naturel inattendu, destructeur et incontrôlable.

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Publié le 28 mai 2020

Un jour, une ballade. A deux, nous empruntons les chemins habituels pour descendre dans la vallée de Bassy. Le soleil se cache et laisse place à une légère brise. La végétation, les arbres, les fleurs et les buissons me sont désormais familiers et chaque pas m'offre une aisance plus importante sur le sol de terre battue jonché de rocailles. Nous passons à côté de quelques maisons traditionnelles. A gauche et à droite, les strates cultivées. Au loin, les collines recouvertes de jungle dense. Les oiseaux chantant, les insectes bourdonnant.

Aujourd'hui, c'est jour de dure labeur. Toutes les familles semblent s'être donné le mot : ci et là, les troupeaux de chèvres suivis de près par quelques femmes en habits colorés. Partout, les hommes maniant la charrue tirée par les buffles. Dans l'air, des senteurs de terre humide remuée, de jasmin, de pins et de cercueil sauvage. Les familles communiquent avec de grands gestes et des cris stridents pour se faire comprendre de loin. Le bâton tombant à intervalles réguliers sur les bêtes résonne dans la vallée. Nous poursuivons notre route et nous nous enfonçons bientôt dans la jungle après de nombreuses haltes à se rafraîchir le visage dans les petits ruisseaux d'eau claire et les essais tumultueux de Tarzan, notre chien de compagnie pour la journée, à jouer avec les chèvres et les veaux.

Alors arrivées dans ce petit cocon sauvage, nous nous asseyons et observons les dégâts du cyclone. La cascade naturelle a vu ses roches se démembrer, des grandes branches cassées flottent mollement à la surface et le courant de l'eau résonne bruyamment de part son débit important. Tarzan se colle à nous et demande sans cesse des caresses. Les chiens sont si gentils et dociles ici, ils font d'une certaine manière partie de notre quotidien. Le temps passe insensiblement. Les papillons virevoltent, les grenouilles sautent de pierre en pierre et nous grignottons quelques amandes. Anaïs et moi restons plutôt silencieuses, nous profitons de cette nature merveilleuse, les sens en alerte. L'ouïe, l'odorat, la vue, le toucher. L'endroit renferme mille et une surprises.

L'esprit semble pourtant être ailleurs. Les émotions sont chamboulées et différentes des premières venues à la cascade cachée. "Il y a comme un air de fin". C'est ça. C'est tout à fait ça. A travers notre regard se glisse une certaine mélancolie. Au plus profond de nous, nous savons et sommes conscientes que le départ est proche. Il arrivera sans prévenir, du jour au lendemain, d'un coup d'un seul et anéantira tout espoir. Psychologiquement, nous redoutons ce moment. Inconsciemment, nous vivons cet instant au coeur de la jungle comme si c'était le dernier. "La fin", ce goût amer et désagréable au fond de la gorge, comme si j'essayais de déguster et de savourer chaque douceur que le pays m'offre jusque là afin de les ancrer profondément dans mes souvenirs, dans mon âme.

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Publié le 29 mai 2020

Le réveil doux dans les draps blancs. Le chant des oiseaux berçant tendrement et éveillant l'esprit, la brise fraîche s'infiltrant par la boiserie et caressant le visage, le ciel bleu azur par la fenêtre et les collines hautes et fières au loin. Puis, peu à peu, l'écho des travailleurs se faisant entendre. Leurs voix d'abord, la résonance des coups de marteaux et de pelles crissant dans le gravier ensuite. Les pensées apaisées et le souffle calme, c'est une nouvelle journée ensoleillée qui commence. Les airs de Ludovico Einaudi, je me les murmure à moi-même, à voix basse, le regard pétillant, les pensées légères et rêveuses. Les notes entremêlées de piano, de violon, de violoncelle, je les ressens au fond de moi, je les ancre dans mon coeur comme pour décupler mes émotions. Basses, hautes, courtes, longues, elles aussi, elles me font vivre à leur manière.

Après ces mélodies virevoltantes et chavirantes, nous voilà ensemble, tous les quatre, à ce nouvel endroit. L'instant est quelque peu inattendu. En haut d'une colline, nous nous asseyons sur les roches. A notre gauche, le haut versant de la colline. Escarpé et mystérieux, la jungle le recouvre. L'ombre déjà l'a emporté pour aujourd'hui. De là, j'entends les bruits de la nature sauvage et profonde. Les oiseaux par dizaines, chacun avec leur chant différent, créent ensemble une harmonie singulière. Les insectes, eux aussi, participent à l'opéra naturel. A mes pieds, le vide. Il ne m'inspire aucune peur. Il s'étend et se prolonge jusqu'à former d'autres collines plus ou moins hautes. Nombreuses, elles se côtoient, se touchent et s'éloignent. L'entrechoc des plaques tectoniques comme une danse majestueuse et infinie.

Alors, le regard tourné vers l'horizon, au-dessus de la jungle, au-dessus de toute colline, au-dessus des nuages, la chaîne de l'Himalaya se dévoile peu à peu. Sublime et si grande, ses sommets se dressent d'une puissance incomparable dans le ciel. Les nuages la dissimulent ci et là tel un voile immaculé. La nature dans sa splendeur. Le temps s'écoule lentement, le silence parle de lui-même. La paix, la sérénité, l'extase. Le soleil se couche éclairant de ses rayons rouges et orangés le paysage. La fraîcheur de la forêt vient nous envelopper tendrement. Le jour se termine, la nature s'endort elle aussi ce soir.

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Parce que le temps passe et que les jours se ressemblent. Parce que les peurs grandissent dans nos esprits mais que les coeurs renforcent les amitiés. Ensemble, nous essayons d'avancer malgré les nouvelles peu glorieuses des jours précédents. Il est difficile de garder les idées claires et les pensées positives. Les mesures prises par le gouvernement semblent changer chaque jour et les dires des locaux n'ont jamais une quelconque ressemblance. C'est soit noir, soit blanc. Qui croire ? Que faire ? Est-il pour le moins légitime de garder quelques espoirs ?

Aujourd'hui, un article officiel a été publié et il nous a coupé le souffle, je vous le transmets en français :

"Avec la dernière annonce de l'autorité de l'aviation civile du Népal, CAAN, vous devez considérer le Népal comme une zone d'interdiction de vol. Si vous êtes étranger ici, vous êtes maintenant bloqué jusqu'à ce que l'aéroport rouvre ses portes aux vols internationaux.

Votre situation risque de se compliquer à mesure que le gouvernement se concentrera sur le rapatriement de ses propres citoyens. 47 hôtels de la vallée ont déjà été réquisitionnés pour accueillir des rapatriés en quarantaine, et d'autres seront nécessaires. L'aéroport sera également très occupé, avec jusqu'à 10 vols de rapatriement par jour, ainsi qu'une augmentation du trafic de fret pour acheminer les fournitures médicales nécessaires.

Certains d'entre vous pourraient avoir de faux espoirs que votre ambassade vous renvoie chez vous gratuitement. Après tout, l'avis du CAAN indique qu'ils sont les seuls à pouvoir demander des vols d'évacuation. Les ambassades ont déjà envoyé plusieurs vols et il n'y a aucune obligation d'en organiser d'autres.

Enfin, ce n'est pas parce qu'un vol est RESERVABLE sur le site d'une compagnie aérienne qu'il se produira nécessairement. Mon conseil est de ne pas réserver un vol commercial en provenance ou à destination du Népal avant qu'un avis officiel de réouverture de l'aéroport ne soit publié. La plupart des prévisions et des plans proposés situent cette date au mois d'août ou au-delà."

Ce fut une sacrée claque au derrière, je peux pour l'assurer. L'envie de rentrer s'empare de nous depuis quelques jours. Devant nous, aucune possibilité de retour n'est envisageable. Les vols de rapatriement sont terminés et la France, tout comme d'autres pays européens, n'en organisera plus désormais.

Ce temps qui m'est accordé au Népal, au petit village dans les collines, je le comble comme je peux. Afin de ne pas se démoraliser, nous gardons une certaine routine jour après jour. Elle est positive, elle fait du bien. Les filles, Anaïs et Charlotte, font partie de mon quotidien et je suis si reconnaissante de les avoir auprès de moi. Au détour d'un couloir, en passant dans la cuisine ou en vadrouille en haut d'une colline rocheuse escarpée, elles sont là, elles m'apportent paix et sérénité, elles m'offrent leurs sourires et leur joie de vivre. C'est tout ce dont j'ai besoin pour continuer à avancer. Simplement être ensemble, partager de beaux moments, pleurer et craindre les événements futurs ou éclater de rire sans ne plus pouvoir s'arrêter. Merci d'être là. Je vous aime tendrement.

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Le stress et les émotions toujours plus décuplés. Les solutions de retour moindres et incertaines. Nous vivons dans l'attente et cette attente puise notre énergie de jours en jours. Rentrer à la maison à quel prix ? Il faut se faire une raison. Peut-être faut-il saisir cette ultime chance. Assise sur une pierre au bord du versant escarpé, Jacky, le chien parleur du village me rejoint bien vite. Il s'exclame, pleure et demande des caresses. Qu'il est beau, doux et attachant. Le soleil se cache lentement derrière la colline. Il emporte avec lui tous mes soucis, toutes mes angoisses. J'entends les échos des enfants jouant au loin dans le village, des chiens aboyant, des oiseaux chantant. Le vent se lève et balaye les feuilles des grands arbres massifs. Mon regard reste tourné vers l'horizon et j'essaye d'ancrer ses contours dans ma mémoire.

Bandipur, l'incroyable siège de tout un voyage. Le lendemain, c'est le tour de la visite chez la municipalité de Bandipur. Après de nombreuses discussions et des nouvelles toujours changeantes concernant les vols, nous décidons d'agir. Il nous faut retourner à Kathmandu et pour cela, se faire tester à l'hôpital et demander un véhicule. Un rendez-vous pas comme les autres. Le rendez-vous à la municipalité, un temps infiniment long, en fait. Cette situation absolument épique. Pour commencer, Mesdames, il vous faut patienter quelques minutes dans la salle d'attente : autrement dit, attendre sur un banc sur une terrasse vue sur le village et les montagnes. Pas vraiment commun comme salle d'attente !

La suite ? Nous rentrons dans un bureau. En face de nous, derrière son bureau, ce Monsieur, ou plutôt, cet homme politique, la peau sombre, le visage dur et ridé, les cheveux noirs sous la topi, les vêtements chics et élégants. L'Homme le plus lent du monde. Cinq minutes afin de boire un verre d'eau, dix minutes pour trouver le bon classeur, cinq minutes encore pour nettoyer les lunettes. Après tous ces préparatifs et après ce long silence, voilà que commencent les choses sérieuses. Les minutes passent et nous nous rendons compte que l'homme ne semble pas réellement connaître les mesures prises pendant le confinement pour les Bidécis de notre genre souhaitant rentrer dans leur pays. Avec l'aide de deux jeunes acolytes, nous parvenons à nous mettre d'accord sur le jour où nous serons testées au virus et le jour où nous aurons besoin d'un véhicule pour rejoindre la capitale. Ceci est un maigre résumé de la scène qui aura finalement durée une heure et demie ! Comme dirait notre ami Xavier : "les filles, il faut se mettre à l'heure népalaise". Voilà, nous avons passé l'étape 1 du retour !

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Publié le 11 août 2020

Dans le lit, ce matin-là, le réveil est dur et nous préférerions nous rendormir et oublier que le départ est proche. Malgré tout, au fond de nous, l'excitation d'aller manger chez notre deuxième Baosu, Lotme. Aujourd'hui, nous étions invitées pour un dernier Dahl Bat partagé. Le moment est beau et fort. Nous nous remémorons toutes les fois où nous nous sommes rendues à Sweet House en cachette. Après avoir mangé tous ensemble, la famille nous questionne sur le post-Népal. Il est difficile de se projeter, à vrai dire, nous ne croyons même pas en ce vol prévu en fin de semaine. Soudain, Lotme se dirige vers la cuisine sombre et reviens avec une soucoupe dans laquelle se trouve un mélange de pigments rouges et d'eau. C'est la bénédiction. Alors, elle s'approche de nous et pose un cercle de couleur sur notre front. Le silence règne, les émotions emplissent l'atmosphère sombre et conviviale. Je suis toute émue. Suite à la protection de la famille pour notre voyage, Lotme nous apporte des présents dans un petit baluchon. Dans son regard, je plonge le mien. les mots ne suffisent pas, j'ai tant de reconnaissance et de gratitude pour leur gentillesse et leur accueil sans pareil. Nous leur promettons de venir leur dire au revoir le lendemain.

La suite de la journée ? Ce fut le passage obligatoire par l'Hôpital de Bandipur : test du corona, mes amis. Je n'oublierai jamais cette prise de sang effectuée sur un siège de luxe brisé, dehors en face des montagnes, le bras tendu à travers une petite encoche de la fenêtre précaire du laboratoire. Un bras manqué, tant pis, piquez l'autre, monsieur ! Un moment unique à la fois drôle et déconcertant si loin de nos habitudes européennes, de nos structures hospitalières si contrôlées et d'une propreté irréprochable. Ma Kamarad manque le malaise : pas de problème, ça va aller, couche-toi sur ce banc dans la salle d'attente extérieure, je tiens tes jambes en l'air.

La soirée fut organisée pour notre départ le lendemain. Baosu et les filles avaient tout préparé : "What do you want to eat, girls?". "Nothing special, we would like a big Dahl Bat for everybody". Ce fut alors un repas convivial simple et chaleureux à la lumière de quelques bougies sur la grande table de la terrasse. Tout le monde était présent : de la Grand-Mère en passant par Uncle, Babou, Aron, Prame ou encore Deepa, Suna et Charlotte. Je me souviendrai de ce repas à jamais. Ce soir, nous buvons du Raxhi et j'appréhende déjà la journée de demain. Mon cœur est lourd et je sais pertinemment que nous ne pouvons plus reculer. Il faut saisir cette ultime chance de rentrer à la maison.

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Publié le 11 août 2020

Aujourd'hui, le départ était prévu à 10h00. Comme d'habitude, rien ne se passe comme prévu à l'heure népalaise. Nous quitterons le village en fin d'après-midi après de longues heures d'attente au gouvernement local pour ne finalement partir qu'avec un unique permis pour Kathmandu. Le stress est palpable et chacun de nos mouvements est emprunt d'un sentiment de tristesse infinie. Alors vinrent les au-revoirs. Sur la terrasse, tous se réunissent autour de nous. Assises toutes les deux au milieu de l'espace, Baosu applique soigneusement les pigments rouges à la racine de nos cheveux. Deepa lui tend ensuite deux écharpes rouges tibétaines ornées d'inscriptions noires qu'elle nous liera autour du cou, tour à tour. Mon cœur se serre, les émotions sont profondes et intenses, des larmes s'écoulent lentement de mes yeux sans que je puisse les retenir. J'ai fort difficulté à lever la tête pour regarder notre maman de Bandipur et tous ces amis nous ayant entourés pendant ces trois mois. A travers mon regard, je leur envoie tout mon amour puissant et sincère. Puis Baosu recueille des fleurs très colorées sur un plateau d'argent et nous les glisse dans les cheveux. La bénédiction suit son cours et nous recevons une offrande constituée d’œufs fris, de gingembre et d'ail et d'un contenant de curd. Autour de nous, le silence et le respect de tous. De loin me parviennent des échos de rires mêlés de sanglots. Les mains pleines, je ne cesse de murmurer "Dyaneebaad", merci du fond du cœur, merci pour tout. Je regarde Anaïs et je me répète à quel point cette aventure fut merveilleuse.

Nous traversons ensuite le village. Nous nous retournons et saluons la famille de Good Hotel, le visage mouillé, les yeux troublés par les larmes. Nous nous rendons chez Sweet House pour leur dire un dernier au revoir et quelle surplus d'émotions quand Lotme et sa fille nous invitent à rentrer dans le petit habitacle afin de nous bénir à leur tour pour notre voyage retour. Lotme et douce et silencieuse et apporte quelques présents dans ses mains jointes. Elle passe précautionneusement une écharpe tibétaine autour de nos cous puis nous offre de jolies fleurs fushias qu'elle place avec tendresse dans nos paumes. Les larmes de joie et de tristesse coulent et ne s'arrêtent plus. Je la remercie maintes et maintes fois, le sourire ne quittant pas une seconde mon visage.

Traversant la rue principale, nous disons aussi au revoir à tous les petits commerçants que nous avons côtoyés pendant ces trois mois. Nous tombons dans les bras de Aron dans la pénombre de la salle de réception de son hôtel et nous nous promettons de nous revoir dans l'avenir. Le pas lourd, le pas lent, Charlotte nous accompagne jusqu'au taxi. Ses paroles me font du bien, je ne veux pas la quitter, et pourtant. Wir verabschieden uns, ich gebe ihr all meiner Zärtlichkeit. Nous montons alors dans la voiture, j'observe Charlotte par la fenêtre s'éloigner. Nous quittons Bandipur, le village de tout un voyage, l'école de la vie. Nous quittons ce lieu désormais si symbolique pour nous et j'essaye d'ancrer dans ma tête chaque détail du paysage défilant sous mes yeux.

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Publié le 14 août 2020

Comme un cycle prenant fin, nous terminons le voyage en séjournant chez nos amis de Dreamland Eco Hostel, Sensib et Biwash nous accueillant pour quelques jours. Après la tornade émotionnelle de nos au-revoirs, quel sentiment étrange de revenir à notre point de départ. Bien heureusement, nous changeons de cahute et ne risquerons pas, cette fois-ci, de perdre notre vie au passage d'un léopard. Les deux journées passées en compagnie des garçons s'écoulèrent vite, prises entre les messages incessants des groupes Whats'app et les informations différentes d'heure en heure divulguées par les agences de voyage. Très vite, nous apprenons qu'il faut se rendre à la capitale à pied afin de réserver nos billets d'avion initialement prévus pour le 21 juin.

Ni une, ni deux et nous partons sous la chaleur écrasante pré-mousson, les bouteilles d'eau pleines, les émotions sens dessus dessous. Nous n'étions décidément pas au bout de nos peines. Quinze kilomètres, une rencontre avec les militaires népalais pour demander notre chemin, le temps de se perdre quelques fois dans les rues étroites de Thamel et nous voilà à l'agence Precious Tours and Travels en compagnie de notre cher Janak. Il fallut un quart de seconde pour que nos cartes bancaires acceptent le paiement de mille trois cents dollars et le tour était joué. Une sieste dans l'agence, un repas pris de manière inattendue dans la plus grande boîte discothèque du quartier et nous étions, le soir, de retour à Dreamland.

Une surprise ? Voulez-vous la surprise ultime, les filles ? Janak nous contacte alors le vendredi soir, en panique : le vol de dimanche est annulé. "You have now only one possibility, there is another flight tomorrow in the afternoon, it's your last chance. You have to decide very very fast because almost all the seats are already booked !". Je me souviens d'être sur la terrasse de Dreamland, balayant nerveusement les tapis, ma Kamarad dans la cuisine ayant chipé de l'eau dans la piscine pour la vaisselle, et là, maintenant, il nous fallait prendre une décision. Quelques minutes passèrent et l'accord fut acté. Demain, il fallait passer à l'agence payer quelques dizaines de dollars de plus puis nous aurons le vol pour Francfort l'après-midi même. Après ce stress immense, nous patientons et attendons les garçons : oui, nous n'avons toujours pas trouvé de solution pour le taxi. A l'heure népalaise, comme dirait Xavier. Le Népal sera clôt par une baignade dans la piscine de Dreamland, le vent fouettant la forêt de pins, les feuilles des bananiers bruissant, la pluie de l'orage nous enveloppant dans une atmosphère très particulière de "fin". Et pourtant, tout est si beau. Je regarde Anaïs avec des yeux pétillants de bonheur, de reconnaissance et de tristesse. Je n'ose croire à la fin de cette aventure, tout paraît si incertain, je me raccroche à elle comme un nageur en détresse à sa bouée, à deux, nous sommes si fortes.

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Publié le 14 août 2020

C'est avec Biwash que nous passons nos derniers moments au Népal. Un porridge au miel et nous voilà en marche, le sac sur le dos, pour catch notre taxi en bas de la colline. Un passage à l'agence et nous remercierons maintes et maintes fois notre Janak adoré d'avoir été si compréhensif et intentionné envers nous. Il nous assurera d'ailleurs la promesse d'un chapatis-curry à emporter pour une dégustation à l'aéroport, à l'aise, assises nonchalamment par terre. Une attente interminable jusqu'à la fin de l'après-midi et ponctuée par l'apparition de notre belle canadienne Catherine, prenant le même avion que nous. L'endroit s'est rempli peu à peu mais je crois que nous fûmes dans le déni jusqu'à l'embarquement final. La situation étant incertaine depuis des mois, l'avion au bout du tunnel, je le considérait comme l'arrivée des aliens sur notre Planète : vaine et impossible. Et pourtant, nous nous sommes envolées vers Doha accompagnées de quelques ultimes voyageurs ayant survécus, eux aussi, au confinement au Népal. De nombreuses réflexions communes, le réconfort de se sentir entourées, le soulagement de sentir comprises par d'autres. Le temps du voyage retour partagé ensemble puis chacun retrouve son pays et son quotidien. Une demie page d'histoire commune, comme vingt-quatre heures hors du temps, dans un monde arrêté, dans des aéroports vides, fantômes et angoissants.

Nous arriverons à Francfort après treize heures d'escale à Doha à dormir sur la moquette d'une salle de repos. Nous arriverons dénuées d'énergie, incroyablement tristes et déconcertées par la redécouverte d'une société si avancée, si riche, si moderne. Une nuit passée dans une chambre d'hôtel insonorisée, quel silence insupportable, quel confort inapprécié avec cette nostalgie de notre quotidien au village déjà présente et croissante. "Euh, où est le jet des toilettes, s'il-vous-plaît??".

Le 22 juin, l'heure des au-revoirs émouvants sur le quai de la gare. Quitter ma Kamarad à toute épreuve, ma Kamarad du Népal, ma Kamarad pour toujours. A ce moment, les mots ne viennent pas et les regards suffisent à exprimer les milles émotions nous accaparant et les milles souvenirs nous traversant. A jamais alors, merci. Ce voyage touche à sa fin mais nos aventures ne font que commencer et j'aspire déjà à nos prochaines escapades. Une team, coude à coude, soudées et avec tant de projets en tête...

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Publié le 15 août 2020

C'est ainsi que Maurine et Papa me cherchèrent à la gare de Bâle. Le trajet retour en voiture, les vallées défilant, les forêts de sapins vert éclatant, les villages alsaciens l'un après l'autre. Les contrastes à tous niveaux comme une véritable claque dans la figure.

Le cœur lourd, je retrouve alors ma famille et le Heimat dans la maison de campagne. Après ce long voyage, me voilà arrivée. A la fois soulagée, heureuse et déjà nostalgique de notre quotidien au village de Bandipur. Dans la même journée à Franfort, Bâle et Bellefontaine, qui aurait cru que je me retrouverais l'après-midi-même à cueillir les cerises du Val d'Ajol !