Au cours d'une traversée de l'Europe à vélo nous avons parcouru la Pologne. Sans m'y attendre dans ce pays, l'histoire de la deuxième guerre mondiale m'a sauté à la figure et m'a boulversé.
Août 2009
20 jours
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1200 km et 20 jours, il y a tant de choses à dire. Au cours d’une traversée de l’Europe à vélo ce pays m’a fortement marqué. Comme toujours je pars sans programmation ou presque, juste une carte et un itinéraire général. Je me laisse guider par la route et les renseignements glanés au fil du chemin. Concernant la Pologne rien n’était prévu, car nous devions partir sur l’Ukraine et puis en quittant la Slovaquie, une envie de traverser les grandes plaines polonaises s’est imposée à nous. Voilà comment j’ai effectué l’un des voyages qui m’a le plus marqué sur les traces de la deuxième guerre mondiale, alors que je ne l’avais pas envisagé, même si bien évidemment je savais le calvaire qu’avait vécu ce pays sous le joug nazi.

Arrivant de Slovaquie, après une traversée des Tatras, nous avons passé une première nuit à Zakopane, le Chamonix polonais. Bien que le site soit magnifique, nous avons vite fui ce haut lieu de villégiature envahi de vacanciers, et rapidement la Pologne profonde s’est ouverte à nous.

maison traditionnelle  

Premier arrêt prolongé dans la petite ville de Makow, point de départ de différentes visites. Auschwitz et Birkenau, impression étrange, comme si le tourisme de masse nous rassurait et atténuait, voire nous cachait la réalité de l’horreur absolue qui a régné en ce lieu. Tout est bien organisé, nous avons été incorporés à un groupe de Français. Ces mêmes personnes, nous les aurions tout aussi bien côtoyées en visitant un château de la Loire ou tout autre lieu connu.

 Auschwitz

Alors que nous passons sous le célèbre portique « Arbeit macht frei », nous apprenons que c’est une reproduction, l’original ayant été volé un peu avant. Il sera retrouvé plus tard. Je suis aussi presque choqué de constater que le camp d’extermination est quasiment dans la ville. Les bâtiments sont ceux d’une caserne militaire reconvertie en camp de la mort.


Entrée de Birkenau 

Nous avons visité Cracovie, magnifique ville, avec son imposant château de Wawel. Il fut le lieu de résidence du gauleiter Frank, l’un des plus inhumains serviteurs de Hitler. Il était gouverneur général de Pologne, et surnommé le bourreau de la Pologne. Dans ce château il menait on peut le dire la vie de château dans le faste, alors qu’il faisait commettre les pires exactions dans le pays. Ses crimes ne sont pas restés impunis, il a été condamné à mort au procès de Nuremberg et pendu le 16 octobre 1946.

Malgré ce très lourd passé assez récent, la ville est accueillante et dégage une douceur de vivre dans ce bel été. Sur la place centrale, le guetteur automate sonne toutes les heures en souvenir de la ville conquise par surprise dans le passé, la vigie s’étant endormie.

Après 3 jours de visite et une belle cueillette de champignons dans les bois voisins, nous sommes repartis à l’assaut des grands espaces. Les contreforts des Tatras nous opposèrent quelques belles côtes sur de petites routes désertes au milieu de forêts immenses. De rudes montées entraînent souvent de fortes descentes. Et là, je m’en suis donné à cœur joie, des pointes à 75km/h sur des routes tortueuses avec 20 kg de bagages. L’adrénaline assurée, surtout que de temps en temps un nid de poule surgissait au dernier moment, et les freins dans ces conditions restent quasiment inefficaces, waouh ça décoiffe !

campagne polonaise 

Une fois les dernières ondulations montagnardes dépassées, la grande plaine polonaise s’étale sur des centaines de kilomètres. La circulation était parfois dense et dangereuse. J’ai dû me jeter dans le fossé pour céder la place à une grosse Mercedes qui doublait sans m’avoir vu.

De nombreux lieux témoins des terrifiantes exactions hitlériennes nous bouleversèrent jusqu’au tréfonds de notre corps et notre âme au cours de cette progression quelque peu improvisée. Nous n’avions rien planifié, les découvertes nous sautaient à la figure au fil de la route, des villes comme Sandomiers ou Lublin, la région de Masurie au charme fou, la Vistule. Cette dernière me rappelle le Niémen, qui s’écoule à proximité en Biélorussie et Lituanie. Il est cher au cœur des aviateurs français, car sur ordre du général de Gaulle des pilotes rallièrent les Soviétiques pour combattre le nazisme sur ce fleuve. Depuis un escadron de l’armée de l’air française porte le nom de Normandie-Niémen.

Sur notre route, nous avons croisé Majdanek, le plus vaste camp de concentration. Le choc fut à la hauteur du spectacle. Par un dimanche après-midi pluvieux, sous un ciel bas uniformément sombre, au détour de la banlieue de Lublin, sans transition au sortir d’un bois, cet immense espace s’est ouvert un peu en contre-bas dans une large dépression. D’un regard nous avons englobé dans sa totalité ce gigantesque paysage de mort. Un champ clos presque infini ceint de barbelés, piqueté de miradors. A l’intérieur se blottissent des baraquements, le tout de teinte noire donnée par le ruissellement de la pluie qui imbibe le bois.

Camp de Majdanel 

Le côté presque artisanal de cet ensemble, il fallait construire vite, l’holocauste battait son plein, ainsi que l’absence de tout tourisme accentuent la notion de malaise face au caractère inquiétant et lugubre du lieu.

Cette vision me choqua à tel point que ma gorge se serra et mon rythme cardiaque se modifia. Je respirais comme pris dans un étau. Cette réaction me surprit, me faucha littéralement. Ce choc je ne m’y attendais pas, car après Auschwitz je pensais m’être un peu blindé face à l’indicible. Eh bien non ! Comme médusé j’avançais vers le monument commémoratif. Gigantesque, massif, très sombre et de forme tarabiscotée, il exhale un terrible effroi et une tristesse infinie. N’étais-je pas aux portes de l’enfer ? Lentement, tout au trouble qui me gagnait toujours plus, j’entrepris à vélo le tour du réseau de barbelés.

Monument à l'entrée de Majdanek 

Cette visite a été l’une des plus bouleversantes de mon existence, et elle m’est tombé dessus alors que je ne m’y attendais pas, m’étant trouvé en ce lieu de barbarie et d’apocalypse par hasard, après quelques jours d’une magnifique chevauchée de plaisir où nous abattions plus de 100 km par jour dans l’euphorie de l’effort physique.

Treblinka, autre lieu témoignant de la folie des hommes m’a laissé un sentiment quelque peu différent. Des infrastructures concentrationnaires il ne reste rien. Seule une clairière, hérissée de pierres levées témoigne de ce qui s’est passé ici. Chaque pierre en fonction de sa taille symbolise une rafle dans une ville d’Europe, et il y en a des milliers. Le premier nom qui me vint à l’esprit, Martin Gray, célèbre par son livre « au nom de tous les miens ». Je me remémorai aussi l’incroyable ouvrage « Treblinka », qui relate la révolte du camp, qui conduisit à sa destruction par les SS. La prise de contrôle échoua de peu, il s’en était fallu d’une ligne téléphonique non coupée, qui permit à une unité allemande d’intervenir. Aux quatre coins de cette immense clairière, des effigies des tortionaire qui ont sévi en ce lieu sont érigées. Elles font peser par leur présence une sensation d'angoisse, ce qui ajoute à l'émotion qui me submerge en me trouvant devant cet espace où avait été construit ce terrible camp de Treblinka.

Pierres levées à Tréblinka qui symbolisent les rafles à travers l'Europe 

En quittant ce lieu, nous tombâmes sur un gigantesque chantier routier, qui nous obligea à un détour de 30 km. Cet immense travail sur fonds européens représentait tout un symbole. Nous longeâmes une voie ferrée renversée qui allait disparaître à jamais. Il s’agissait des rails qui supportaient les trains qui acheminaient les déportés au camp. Impression étrange, et tout à ma réflexion, un bruit que je connais bien, qui m’a bercé durant 30 ans, se fit entendre. Le vrombissement d’un réacteur d’avion. Un F16 polonais très haut au-dessus de ce lieu au passé si lourd s’entraînait. Là aussi le symbole était fort, l’armée de l’air polonaise entretenait la souveraineté retrouvée de l’état polonais.

 voie ferrée qui menait à Tréblinka

Autre lieu ayant trait à cette période sinistre, le repère du loup en Masurie, le PC d’Hitler caché au fond de la forêt pas très loin de l’enclave de Kaliningrad nous procura un moment de grande émotion. Il y séjourna 3 ans durant la guerre avec ses principaux collaborateurs. Le lieu est austère, l’ambiance environnant le bunker personnel du führer laisse percer toute la monstruosité et la folie de ce dernier. Très impressionnant de se déplacer dans les ruines de la salle dans laquelle l’attentat du mois de juillet 1944 contre le tyran échoua. Il en ressortit de façon incroyable seulement légèrement blessé.

 Le repére du loup PC de Hitler 

Mais notre voyage à travers la Pologne ne se résuma pas au seul pèlerinage inopiné à travers les lieux de mémoire de le Seconde Guerre mondiale. Au cours des 3 semaines de notre périple, la chance nous gratifia généralement d’un temps particulièrement clément. Dans cette campagne polonaise profonde, qui par certains côtés pouvait rappeler la France des années 60, nous avons reçu en permanence un accueil des plus chaleureux. Lorsque nous nous arrêtions dans le moindre petit village pour faire le point sur notre carte, nous n’attendions pas une minute sans qu’un villageois ne s’approche pour proposer son aide.

Dans les petites épiceries des coins les plus reculés, nous trouvions l’essentiel, mais souvent étions un peu frustrés, lorsque nous n’avions pas de langue commune. Par contre dans les villes les jeunes parlaient anglais et les plus de 40 ans souvent allemand, deux langues que je maîtrise bien. Nous avions fait l’effort d’apprendre quelques mots de base comme dans chaque pays que nous traversons, mais cela ne permet pas d’avoir de vrais échanges. Je m’étais promis d’apprendre le russe, mais je crois que je n’ai pas tenu ma promesse. Voilà pourquoi j’adore l’Amérique du Sud, car à part le Brésil « todos hablan castillano », et dans les recoins plus que perdus des Andes les Indiens vous parlent et on les comprend.

Le voyage c’est de pouvoir dialoguer avec les gens et pour cela il faut une langue commune, et ces peuples d’Europe de l’est ont tellement de choses à nous raconter sur leur histoire récente. Mais, si bien souvent nous ne pouvions nous comprendre que par gestes, les Polonais nous ont toujours gratifiés de larges sourires dans nos tentatives de prononcer quelques mots, et ils n’en sont pas avares.

De cette expérience à travers la Pologne, j’en garde la nostalgie d’une belle aventure à vélo, ponctuée de surprises grandes ou petites. Par exemple, au fond d’un chemin de terre en dehors de tout passage, un bac improbable nous a fait traverser la Vistule. Nous étions les seuls sur cette embarcation qui peut-être datait de la deuxième guerre mondiale, abandonnée par les Russes ?

 Bac au fin fond de la Pologne sur une piste 

En longeant l’enclave de Kaliningrad un matin la frontière se présenta. Par une piste déserte la Pologne nous laissa pénétrer en Lituanie. Au milieu d’un bois nous abordâmes ce nouveau pays, qui quelques années auparavant appartenait à l’URSS. Bien évidement pas de douaniers, nous sommes dans l’UE. Mais des restes délabrés de barrières et de réseaux électrifiés, comme quoi l’Union Soviétique se méfiait de ses alliés du pacte de Varsovie. Et dire qu’actuellement nous allons de Gibraltar à Tallinn et même au-delà sans aucun contrôle. L’Europe c’est pas mal !

frontière Pologne Lituanie