930 km à vélo à travers Vosges, Jura, Chartreuse, Vercors, Drôme provençale, Dévoluy et Oisans.
Septembre 2016
11 jours
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Le voyage à vélo en autonomie représente un mode de locomotion qui intrigue les personnes rencontrées sur le bord de la route ou de la piste. Elles se demandent toujours ce qui pousse quelqu'un à partir avec un vélo lourdement chargé, se déplaçant souvent à faible vitesse. Les motivations sont multiples. J’en citerai quelques-unes : le goût de l’effort, l’envie de l’errance, la lenteur dans la découverte des paysages traversés, le plaisir de se confronter aux éléments le chaud, le froid, le vent, la pluie, la saveur du bivouac caché au détour d’un bosquet, l’amitié avec les compagnons qui partagent l’aventure. Voilà pourquoi la dimension du voyage à vélo dépasse toujours le simple lieu dans lequel il se déroule. Ayant déjà roulé sur trois continents en autonomie dans des coins loin de tout comme le désert de l’Atacama ou celui de Gobi, le plaisir reste le même lorsque le départ approche. Je vais vous relater mon dernier tour de 930 kilomètres durant 11 jours de Cornimont dans les Vosges jusqu’à Grenoble à travers le massif des Vosges, celui du Jura, le plateau des Glières rendu célèbre par les combats de la résistance, le Grand-Bornand, les massifs de la Chartreuse et du Vercors, la Drôme provençale, le Dévoluy et les lisières de l'Oisans.

Itinéraire de 930 km en 11 jours 
 Mon fidèle compagnon de voyage
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Des sommets des Vosges on distingue nettement l'Oberland Bernois 

J'ai l’habitude de partir de chez moi à vélo. Comme l'ont écrit des aventuriers-écrivains le vrai voyage débute au pas de sa porte, ce que les pèlerins à destination de Saint-Jacques de Compostelle mettaient en pratique dans les temps anciens. Donc ayant sorti mon vélo de la cave, tout commence par deux petits cols au sud des Vosges, le col du Ménil et celui des Croix. Je veux prendre un itinéraire peu utilisé pour rejoindre le Jura en évitant la circulation des axes importants. Juste au pied du Ballon de Servance dans le village du Haut-du Thème je pars à travers forêt par des pistes forestières en direction de Belfahy, véritable village perché. Très vite je me trouve au milieu de forêts sombres dans des pentes si raides, qu’il me faut pousser mon vélo. Débuter un voyage que l’on espère long dans ces conditions pourrait vite porter un coup fatal au moral. Mais non, me reviennent en mémoire des combats passés comme par exemple en Amérique du Sud dans le désert de l’Atacama ou sur les pistes nord du Laos, où dans des conditions difficiles de chaleur de vent et parfois de poussière durant des heures je me suis traîné à côté de ma monture en poussant, sans chercher à réfléchir, sans regarder ma montre, en essayant de ne pas jeter un coup d’œil furtif au compteur. Parfois, lorsque la déclivité devient trop importante, je compte mes double-pas et je m’arrête à vingt pour souffler, les mollets saturés d’acide lactique. Et puis sans impatience les difficultés sont surmontées. À 13h30 j’atteins Belfahy, alors que je suis parti à 8h30. J'ai parcouru à peine plus de trente kilomètres, et dans la dernière côte à 15% qui conduit dans le bourg j’ai pris une crampe dans le mollet droit. Pas de panique, je m’arrête à l’abri d’un mur et prends quelque nourriture.

Forêt sombre des Vosges 

Tout va rentrer dans l’ordre et le rythme va s’installer en prenant une succession de routes confidentielles laissant bien à l’est Belfort et Montbéliard. Vers les 19 h j’atteins la ville de Pont-de-Roide sur le Doubs. Dans les derniers kilomètres une côte rude à partir de Colombier-Fontaine me permet de couper un large méandre de la rivière. Le temps est à la pluie et c’est sous une légère bruine que j’entre en ville. Je ne me sens pas le courage de dormir dehors dans ces conditions et je me réfugie dans un petit hôtel en bordure du Doubs. Après un bel effort on se sent bien d’autant plus lorsqu’on a la possibilité de prendre une bonne douche. Cerise sur le gâteau de cette première journée d’itinérance, je dîne dans un restaurant gastronomique aux prix doux qui se trouve devant le pont central de la cité.

Traversée du Doubs  à La Raydance 
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Après une bonne nuit, je prends mon temps car à cette époque de l’année le jour se lève vers 7h30. Autant en été les plus belles heures pour rouler sont celles du lever du jour dès 5h30, autant en fin septembre il est plus difficile de partir tôt, pour des problèmes de sécurité. Un vélo ça ne se voit pas toujours dans la pénombre. Les statistiques montrent que dans le tiers des accidents impliquant des cylistes, ils n’ont pas été vus. Donc il est sain d’attendre que la visibilité soit bonne et ne pas hésiter à porter un gilet fluorescent.

Après quelques commissions afin d’assurer le pique-nique de midi je me mets en route par une route oubliée des voitures, qui longe le Doubs. Après une dizaine de kilomètres au minuscule village de Bief je laisse le lit de la rivière et j’attaque une belle montée qui me permet de franchir le mouvement de terrain qui me sépare de la magnifique rivière le Dessoubre. Ce cours d’eau est réputé pour ses truites et les pêcheurs à la saison propice s’y pressent. Mais en cette fin septembre je n’en vois pas un. Je suis seul, alors que les restaurants et les lieux de pique-nique sont nombreux en bordure d’eau. Dès que l’on voyage en France en dehors des périodes d’été on traverse des régions désertées. J’éprouve un grand plaisir à suivre ce cours d’eau à l’onde calme et verte, où l’on voit de loin en loin de belles truites à poste.

Le Dessoubre 

Je passe au Cirque de la Consolation, là encore je rencontre peu de monde. Puis je rejoins un plateau qui va me conduire à un bon rythme par une piste cyclable sur les 25 derniers kilomètres à Pontarlier. Encore une fois en cette fin d’après-midi une petite pluie sous un ciel bas s’invite. Près du centre je vais demander l’hébergement à l’auberge de jeunesse. La soirée sera agréable en compagnie d’un Allemand qui se rend au Portugal en scooter. Moment intéressant, nous abordons une multitude de sujets, tout y passe le voyage, la politique les deux guerres mondiales la littérature et cela me permet d’exercer ma langue allemande, que je pratiquais couramment à certains moments de ma vie.

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En ce matin, l’automne se fait sentir, la ville s’éveille sous une chape de brouillard. Après un petit-déjeuner, pris en commun avec mon nouveau camarde allemand, je me lance dans le trafic à travers les rues brouillardeuses. Je cherche la route qui part vers Granges-Narboz. Après avoir demandé mon chemin à une femme, qui me met en garde à cause du manque de visibilité je m’engage en direction de ce village. La chaussée n’est pas large, la clarté est crépusculaire, le trafic dense, toutes les conditions pour terroriser le cyclise. Mon phare est allumé, mon gilet fluorescent en action, mon sac rouge vif sur mon porte-bagages posé sur mes sacoches, qui elles aussi arborent de gros trèfles réfléchissants. Mon rétroviseur me manque cruellement, malheureusement il a été cassé dans la soute lors de mon retour aérien du Laos il y quelque temps. Tous les sens aux aguets il ne me reste plus qu’à rouler au plus vite, ce qui d’une part limite la vitesse relative des voitures qui me doublent et d’autre part diminue le temps d’exposition. Je vais subir ces conditions stressantes jusque vers 10h. Lentement le brouillard s’estompe, de temps à autre un coin de ciel bleu apparaît entre deux bancs de brume. Heureusement plus je m’éloigne de la ville plus la circulation devient fluide. Cette route est moins caractéristique que celle qui passe par la cluse de Joux et le lac de Saint-Point. Mais cet itinéraire je l’ai déjà emprunté l’an dernier lors d’une sortie des Vosges à Chamonix en aller-retour. On y a un très beau point de vue sur le château de Joux. Mais je crois que ce matin je n’aurais rien vu.

Château de Joux  au cours d'un voyage précédent 
Le brouillard  se dilue 
Jeux de brume avec le soleil 

Lorsque le soleil finit par percer, le pédalage devient très agréable. On est au cœur du secret de l’intérêt du voyage à vélo. Au gré d’évolution des situations, on passe de la tension forte du danger que l’on sait très présent au plaisir intense de la sensation de douceur procuré par la caresse du soleil au cours d’une fraîche matinée de fin septembre. Je m’arrête regarder un chat qui attend le facteur, lui aussi se laisse caresser par le soleil qui vient de percer la brume et de dépasser la crête qui domine la vallée.

En attendant le facteur

Le fait de traverser la France à vélo loin de axes importants, permet de réalise à quel point la désertification est à l’œuvre. Les petits bistrots de village ont quasiment disparus. Depuis mon départ en dehors des villes où j’ai passé la nuit, je n’en ai pas vu, et pourtant cela fait plus de 200 kilomètres que je roule. Et là dans un minuscule bourg, dont je ne me souviens pas du nom je tombe sur un bijou. Je suis le seul client, j’ai droit à un très bon café, une odeur de pommes de terre au persil en train de cuire emplit la pièce et me donnerais presque faim. Mais il n’est que onze heures et je dois encore avancer. Cependant, la pause-café, lorsqu’elle est possible procure un bon moment de repos, et autorise toujours un contact intéressant avec les gens du terroir.

Fabuleux petit café  perdu au milieu de nulle part

Après une magnifique traversée de régions au décor jurassien, entre prairies où paissent de belles vaches bien grasses, forêts sombres luisantes sous la rosée qui réverbère les rayons de soleil, et mouvements de terrain typiques de cette zone montagnarde calcaire j’arrive au sommet d’une longue descente qui me conduit à Saint-Claude. Que cette ville au nom qui semble si gai est triste. On a l’impression que les activités tournent au ralenti, alors que nous sommes dans la capitale mondiale de la pipe. Les façades sont grises, aux teintes délavées depuis sans doute de nombreuses années, cependant la ville ne manque pas d’un certain charme, établie sur une zone accidentée tout en pentes et gorges.

Je rejoins le camping, très sympathique mais malheureusement très humide à cette époque de l’année. Dormir sous tente en dehors du plein été devient souvent une entreprise dont le matériel ressort mouillé. À côté de moi viennent s’installer deux side-cars, il s’agit d’un couple de Hollandais qui est lancé dans une grande traversée de l’Europe. Ils viennent de franchir les Alpes dans toute leur longueur. On partage nos souvenirs sur la multitude de cols merveilleux de ce massif que j’ai parcouru à plusieurs reprises au guidon de mon vélo. Nous tombons tous trois d’accord pour donner une palme d’or au Passo Stelvio deuxième col des Alpes en altitude après l’Iseran.

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Ce matin tout est trempé alors qu’il n’a pas plu. Ce fond de vallée est particulièrement humide. De plus j’ai posé ma tente sur un terrain collant et qui une fois gorgé d’eau me charge de kilos sous les semelles.

Sans attendre l’arrivée du soleil je pars après avoir discuté une dernière fois avec les sidecaristes. Tout de suite la pente s’avère très raide et cela se poursuit sur une douzaine de kilomètres, qui nécessiteront deux heures d’effort pour atteindre le col de la Croix de la Serra. Une longue descente me conduit sur une route à grande circulation, la D1084, que je suis sur 4 kilomètres jusqu’au village de Confort. Je la laisse pour un itinéraire moins passant qui mène au barrage de Génissiat sur le Rhône.

Une dernière côte sévère me permet de monter sur le plateau qui domine le fleuve et rapidement j’arrive dans la ville de Fangy. J’y trouve un camping vraiment atypique, tenu par une femme d’un âge certain, et qui manifestement n’a fait aucune rénovation depuis sans doute plusieurs décennies. De plus, il se trouve au niveau d’un rond-point sur lequel convergent deux routes à forte circulation. Malgré tous ces points qui paraissent défavorables je vais passer une nuit calme et surtout sans humidité. Je viens de quitter le Jura. La température s’en ressent. Durant la traversée de ce massif montagneux j’ai eu froid, il n’usurpe pas sa réputation de région la plus froide de France.

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Ce matin départ dans de bonnes conditions de visibilité sur un itinéraire à la circulation dense sur quelques kilomètres. Je l’abandonne pour me diriger à droite vers le village de Thorens-Glières au pied du col des Glières. Je m’arrête en route dans un bistrot dans le bourg de Plot. Comme souvent dans ces lieux on passe des moments instructifs. Le barman tout étonné de voir mon vélo chargé, ignorait que l’on pouvait voyager à vélo et imagine difficilement que je viens des Vosges en ayant traversé le Jura. Peut-être le choc va le convertir et qu’il va partir de par le monde à la force des mollets !

Je me lance à l’attaque du plateau de Glières. Au début la route suit le fond de vallée, puis brusquement elle attaque la pente au milieu d’une forêt dense. Au-dessus d’immenses parois calcaires baignées de soleil écrasent de leur masse.


En montant vers le plateau des Glières 
 Falaise dominant la route des Glières
Pause casse-croûte 

J’arrive sur le plateau au nom célèbre depuis la deuxième guerre mondiale. Effectivement il s’agit de l’un des hauts lieux de la résistance aux troupes d’occupation allemandes.

Entre les mois de janvier et mars 1944 des combats inégaux sont engagés contre les forces de Vichy puis contre les Allemands. Les résistants ont reculé en bon ordre en laissant de nombreux morts. Mais le maquis se reconstitua et à la mi-août il libéra la Haute-Savoie en forçant les troupes allemandes à la reddition avant l’arrivée des Alliés.

Mémorial des Glières 
Plateau des  Glières
Col des Glières 

Je quitte ce lieu chargé d’histoire, et me lance dans une descente vertigineuse sur une route très étroite qui me donne accès à la vallée de la Borne. Je me dirige rapidement vers le Grand-Bornand, où j’ai rendez-vous avec Maryse. Nous allons continuer le voyage ensemble durant 6 jours. Nous nous sommes connus par cyclo camping international. Nous allons faire un tour de chauffe en prévision d’un grand projet prévu en 2017 : la traversée des Carpates et des Alpes.

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Le voyage continue à deux. Maryse qui connaît bien sa région va nous conduire par des routes superbes à travers une région dense en habitations en direction du massif de la Chartreuse. De chez elle, par une courte descente nous rejoignons la route d’Annecy. A cette heure matinale le trafic est important , car de nombreuses personnes se rendent sur leur lieu de travail  .

À Thônes nous quittons la circulation pour prendre la direction du col du Marais. Montée tranquille dans un décor magnifique au sein du massif des Aravis. Nous descendons vers Faverges, puis continuons plein sud vers le col de Tamié au pied de la pointe de Sambuy. Une fois à ce point haut nous faisons une halte et mangeons. Un cyclo au long cours nous rejoint et s’arrête pour discuter. Il est slovène et roule depuis plusieurs mois et se rend au Portugal. Ces rencontres aléatoires et sans préavis sont toujours des grands moments d’échange entre fanatiques de longs voyages à vélo.

 Rencontre

Toujours cap au sud nous atteignons la vallée de l’Isère. Nous la suivons vers l’aval jusqu’à Montmélian, en traversant les vignobles de Savoie. Bien que nous descendions, nous passons une succession de bosses, pas très longues mais nombreuses. Nous poussons jusqu’au camping des Marches, plus très loin du plateau de la Chartreuse que l’on compte traverser demain.Nous avons le Mont Granier en arrière-plan.

Le Granier  pointement nord de la Chartreuse
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Nous débutons par une côte raide pour rejoindre le plateau de la Chartreuse en empruntant le col du Granier. Nous passons sous la face nord de cette montagne. Elle est très impressionnante, tout d’abord un socle de près de 500 mètres puis une face de rocher verticale de près de 500 mètres aussi. Nous voyons très nettement la grande saignée qui correspond au dernier écroulement récent, début 2016. Cette montagne avait déjà fait parler d’elle dans les années 1200 avec un gigantesque éboulement qui avait détruit des bourgs à son pied et occasionné plus de mille morts.

Face nord du Granier et trace claire de l'immense effondrement à gauche 

Un lien vers le film de cet éboulement impressionnant du 7 mai 2016. S'il y avait des cyclistes sur la route du col du Granier, ils ont dû se faire une belle peur. Heureusement aucun blessé n'a été à déplorer.

https://www.youtube.com/watch?v=ShJ9H2-F9Nk

Arrivés au col du Granier nous rejoignons une route touristique et nous arrêtons sur un point de vue envahi de touristes en voiture ou à moto. Les cyclistes y sont nombreux aussi. L’un d’eux vient nous parler pour s’informer sur le voyage à vélo. Il veut changer de pratique, laisser son vélo de course et partir pour des périodes assez longues en autonomie.

Après trois quarts d’heure de discussion animée et passionnée, espérant avoir converti un nouvel adepte, l’heure ayant tourné nous approchons de midi. Nous devons penser au casse-croûte et le prochain village où l’on pourra se ravitailler est situé à une dizaine de kilomètres. Pas de temps à perdre. Heureusement la route a le bon goût de descendre presque en permanence. Nous arrivons à Saint-Pierre d’Entremont, où nous avons le temps de faire quelques courses, mais il était temps. Assis à la terrasse d’une pâtisserie nous profitons du soleil. Je pars me promener le long de la rivière qui traverse le bourg. Je constate qu’il y a des quantités de saumons de fontaine. On les reconnaît très bien à leurs points jaunes, alors que la truite fario arbore de belles taches rouges.

La route est encore longue pour l’étape que nous avons planifiée. Tout d’abord terminer la traversée de la Chartreuse, descendre sur Saint-Egrève, suivre au plus facile le bord de l’Isère par piste cyclable, pas toujours aisément identifiable, pour enfin nous retrouver au pied de la longue montée vers Villard-de-Lans. Il est plus de 16h et il serait bon que nous soyons arrivés à Lans-en-Vercors avant la nuit. Le trafic est très dense, ce qui n’est pas étonnant pour un dimanche après-midi. Cette montée est très éprouvante dans le boucan des voitures et des motos ainsi que baignés des fumées d’échappement.

Ouf ! un peu avant la nuit nous arrivons au camping de Lans-en-Vercors. Accueil sympathique, à cette époque le lieu est presque désert, et la date de fermeture très proche. Nous sommes les seuls sous tente. Heureusement, il y a un local pour nous abriter le temps du repas, ce qui est beaucoup plus confortable que de manger dans l’humidité de la nuit. Une fois rassasiés nous n’avons plus qu’à trouver nos tentes dans la nuit noire du fait d’une forte couverture nuageuse. Cala n’augure rien de bon pour demain. Brrr ! traverser le plateau du Vercors dans un brouillard intense ou pire sous la pluie fin septembre, sans être prophète il faut s’attendre à souffrir. Mais bon pour le moment enfonçons nous dans les duvets bien chauds.

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Ce matin le ciel est gris, le brouillard risque d’être présent toute la journée. Nous profitons de la pièce cuisine pour petit déjeuner confortablement et vers les 8 heures nous sommes sur la route. Par un chemin confidentiel nous rejoignons Villard-de-Lans. Nous nous engageons dans les gorges de la Bourne. Portion d’itinéraire extraordinaire, de grands pans de montagne enserrent l’itinéraire dans une ambiance de pénombre. Une multitude de virages nous permet de belles perspectives sur la rivière, qui prend des teintes mystérieuses et contrastées entre partie calmes et profondes et portions de rapides blanches d’écume. J’imagine de grosses truites se cachant dans ces abysses difficilement atteignables par les pêcheurs.


Dans les gorges de la Bourne 

Des travaux sont en cours. En effet, ces zones de montagne sont en travail permanent. L’érosion y crée des instabilités, génératrices d’éboulements parfois gigantesques. Le réchauffement planétaire en est-il partiellement responsable ? Ce n’est pas impossible, alors que je pensais que seules les zones de montagne en altitude, où la glace joue le rôle de ciment, étaient concernées par les effondrements consécutifs à l’augmentation de la température terrestre.

Nous laissons la route qui continue dans les gorges sur notre droite et restons sur le plateau en direction du col du Rousset. Cette route je l’avais déjà suivie il y a quelques années au cours d’une traversée des Préalpes. La pente n’est pas bien longue et pas très raide. De plus le temps s’améliore et sans encombre nous atteignons le tunnel, qui d’une petite ligne droite dans la montagne nous fait basculer en Provence. Nous avons de la chance il n’y a pas de vent. Le point de vue est magnifique.

En montant vers le col du Rousset 

Nous sommes à 1254 mètres d’altitude et la ville de Die tout en bas d’un long enchaînement de virages se trouve à 408 mètres.

Point de vue du col du Rousset vers le sud 

Une belle descente, comme toujours très agréable nous conduit sans doute trop rapidement dans la vallée. Quelques courses au supermarché et nous nous installons dans un camping confortable, encore une fois presque désert à cette époque. La soirée sera agréable, de plus il y a le dieu wifi qui arrose tout le terrain. Après le repas un petit passage au bar, va s’avérer en définitive un long stationnement. Je vais discuter de tout et de rien à refaire le monde avec un couple de Hollandais, dont la femme est directrice de prison, témoignage très intéressant. Comme nous parlons beaucoup il faut lubrifier les gosiers et la bière et le vin rouge coulent pas tout à fait à flot mais presque. Maryse a été plus sage que moi et est partie de coucher. Sans chercher d’excuses, le voyage à vélo c’est aussi ces rencontres au hasard des arrêts à partager des expériences de vie avec des inconnus que l'on ne reverra jamais.

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Ce matin nous nous réveillons dans l’humidité et plions nos affaires toutes mouillées. Nous démarrons par la route qui suit la vallée de la Drôme vers l’est durant 18 kilomètres. Nous obliquons alors à droite vers la Motte-Chalançon. Nous franchissons le col de Prémol, pas très haut en altitude 964 mètres.

col de Prémol 

Nous nous engageons après une vingtaine de kilomètres en direction du col de Pommerol, un peu plus élevé que le précédent. Mais pour éviter toute méprise, non nous ne sommes pas dans le Bordelais, le fameux vin de la rive droite de la Girondee n’a absolument rien à voir avec un col de la Drôme provençale ! Nous prenons le temps de faire un arrêt casse-croûte, il fait bon et beau et le soleil nous gratifie d’une douce chaleur. Nous en profitons pour déballer nos affaires de camping, les étalons sur un muret afin de les faire sécher.

Dans les derniers passages raides du col de Pommerol
Col de Pommerol 
Un muret bien tombé pour sécher notre matériel 

Après avoir pris notre temps, il est temps de repartir car le chemin jusqu’à Orpierre est encore long et accidenté. Une fois le village de Rosans atteint, nous cédons au rite du café près du centre, à l’ombre des platanes, à côté desquels des hommes s’activent autour d’un véhicule, discutant avec leur accent chantant de Provence. Comme la France est diversifiée et peut changer rapidement, nous sommes passés en peu de kilomètres des plateaux austères du Vercors au relief accidenté mais très méditerranéen par la couverture végétale et le climat.

Nous nous lançons pour les derniers 40 kilomètres. Les nuages tournent, certains secteurs du ciel sont très sombres, et manifestement pas très loin d'ici il pleut. Par moments nous passons sur une chaussée détrempée. Nous allons jouer à cache-cache avec les abatées d’eau, et nous en sortons vainqueurs, même si parfois nous avons craint de nous faire mouiller. Ce temps incertain donne de la profondeur au paysage, et les jeux de lumière sur les collines détrempées sont du plus bel effet par toute une gamme de contrastes créés par les éléments qui s'affrontent . Nous arrivons à Orpierre vers les 18 heures, attendus par des amis qui nous feront passer une très bonne soirée.

Un peu après Rosans 
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Ce matin il fait beau, nous quittons cet adorable village d’Orpierre, qui est un lieu d’escalade réputé aux nombreuses parois, en particulier son Quiquillon qui domine les toits de ses deux cents mètres de pierre grise.

A Eguians nous longeons la rive droite du Buëch jusqu’à Serres. De là, après quelques kilomètres par la route directe vers Veynes, nous prenons des petites routes et chemins pour rejoindre cette dernière ville. A un moment le chemin semble s’évanouir. Nous nous apprêtons à faire demi-tour, mais avant de nous résigner nous traversons le champ devant nous et effectivement la piste renaît comme par miracle. Le Dévoluy apparaît dans toute sa splendeur de grandes parois calcaires qui étincellent au soleil du matin.

Le pic de Bure  

Nous atteignons Veynes et sur la place du village en pleine lumière nous effectuons la pause de midi. Malgré les voitures, l’ambiance est paisible entre les platanes d’une place caractéristique du midi de la France.

C’est reparti pour un gros morceau, la traversée du massif du Dévoluy. Tout d’abord passer le col du Festre et ses 600 mètres de dénivelé. Les points de vue sur la crête des Bergers sont époustouflants. Paroi sauvage de 500 mètres de hauteur, à la base de laquelle des pierriers gigantesques descendent jusqu’à la rivière. A cette montagne reste associé un souvenir bien triste, le très grand alpiniste Jean Couzy est mort à son pied frappé par une chute de pierre.

Crête des Bergers 

Une fois au col d’autres belles parois apparaissent, le Grand Ferrand et l’Obiou. L’air est calme il fait très doux, il y a des moments comme cela où le voyage à vélo touche à l’extase.

Col du Festre 

Nous poursuivons en direction des gorges de la Souloise et son austère et impressionnante paroi des Voûtes, dans laquelle j'ai fait des passages d'escalade parmi les plus exposés de ma vie . Cette rivière se jette dans le lac du Sautet.


Paroi des Voûtes 

Une fois que nous l’avons atteint, il nous faut remonter quelques kilomètres à la pente raide pour enfin rejoindre une chaussée plate qui va nous conduire malgré quelques petites bosses finales à Corps. Cette étape à travers le Dévoluy était très sauvage et les points de vue sur ces faces calcaires étaient saisissantes.

Les crêtes du Dévoluy 
Paroi du Dévoluy 

Le camping municipal est accueillant et cerise sur le gâteau il met à notre disposition un petit local pour manger. Je vais en profiter pour dormir à l’intérieur à l’abri de l’humidité.

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Ce matin nous attaquons notre dernière journée de voyage, pour ma part le onzième et pour Maryse le sixième jour. Nous allons rejoindre Grenoble d’où chacun regagnera ses pénates par le train. Internet et les sites de voyage ou de cyclotourisme ont du bon, cela permet de trouver de nouveaux compagnons d’errance à vélo.

Cette étape commence par une montée terrible mais par une petite route, la D212, à la circulation presque nulle. Nous passons par le village de Sainte-Luce. Les points de vue sur le Dévoluy et le Vercors sont époustouflants dans cette matinée à l’atmosphère particulièrement claire. Je n’avais jamais encore embrassé d’un seul regard le Grand Ferrand, l’Obiou, le Mont Aiguille et la Grande Moucherolle. L'Obiou est un extraordinaire belvédère que j'avais eu la joie de gravir il y a quelques années.


L'Obiou dans toute sa splendeur 
Sous le sommet de l'Obiou 
Vue du sommet de l'Obiou 
Du sommet de l'Obiou vue vers l'Oisans 
Le Mont Aiguille 
Dernière petite route avant la ville 

Une descente, elle aussi incroyablement raide, nous mène à Valbonnais. De là La Mure n'est plus très éloignée. Pour la première fois de ma vie je vais descendre la fameuse « montée de Laffrey ». C’est un régal je dépasse le 70km/h. Une fois à Vizille, nous prenons la D5 pour Grenoble. Dans une longue ligne droite en montée je me fais doubler par une moto, qui roule à une vitesse incroyable, que j’estime sans exagérer à 250km/h !!!

Plus nous approchons de Grenoble plus le trafic devient dense. Sans trop de difficulté nous atteignons la gare, point final de notre jolie randonnée à travers les bosses de l’est de la France. Bilan global 933 kilomètres et 15283 mètres de dénivelé. Ce trajet s’il en était besoin démontre à l’évidence que la France est l‘un des plus fabuleux pays pour le voyage à vélo. Je crois que l’un et l’autre avons passé avec succès le test, et nous allons décider de nous lancer ensemble en 2017 dans un projet d’ampleur, la traversée des Carpates et des Alpes.

Une dernière photo de mon fidèle destrier