En ce matin, l’automne se fait sentir, la ville s’éveille sous une chape de brouillard. Après un petit-déjeuner, pris en commun avec mon nouveau camarde allemand, je me lance dans le trafic à travers les rues brouillardeuses. Je cherche la route qui part vers Granges-Narboz. Après avoir demandé mon chemin à une femme, qui me met en garde à cause du manque de visibilité je m’engage en direction de ce village. La chaussée n’est pas large, la clarté est crépusculaire, le trafic dense, toutes les conditions pour terroriser le cyclise. Mon phare est allumé, mon gilet fluorescent en action, mon sac rouge vif sur mon porte-bagages posé sur mes sacoches, qui elles aussi arborent de gros trèfles réfléchissants. Mon rétroviseur me manque cruellement, malheureusement il a été cassé dans la soute lors de mon retour aérien du Laos il y quelque temps. Tous les sens aux aguets il ne me reste plus qu’à rouler au plus vite, ce qui d’une part limite la vitesse relative des voitures qui me doublent et d’autre part diminue le temps d’exposition. Je vais subir ces conditions stressantes jusque vers 10h. Lentement le brouillard s’estompe, de temps à autre un coin de ciel bleu apparaît entre deux bancs de brume. Heureusement plus je m’éloigne de la ville plus la circulation devient fluide. Cette route est moins caractéristique que celle qui passe par la cluse de Joux et le lac de Saint-Point. Mais cet itinéraire je l’ai déjà emprunté l’an dernier lors d’une sortie des Vosges à Chamonix en aller-retour. On y a un très beau point de vue sur le château de Joux. Mais je crois que ce matin je n’aurais rien vu.
Lorsque le soleil finit par percer, le pédalage devient très agréable. On est au cœur du secret de l’intérêt du voyage à vélo. Au gré d’évolution des situations, on passe de la tension forte du danger que l’on sait très présent au plaisir intense de la sensation de douceur procuré par la caresse du soleil au cours d’une fraîche matinée de fin septembre. Je m’arrête regarder un chat qui attend le facteur, lui aussi se laisse caresser par le soleil qui vient de percer la brume et de dépasser la crête qui domine la vallée.
Le fait de traverser la France à vélo loin de axes importants, permet de réalise à quel point la désertification est à l’œuvre. Les petits bistrots de village ont quasiment disparus. Depuis mon départ en dehors des villes où j’ai passé la nuit, je n’en ai pas vu, et pourtant cela fait plus de 200 kilomètres que je roule. Et là dans un minuscule bourg, dont je ne me souviens pas du nom je tombe sur un bijou. Je suis le seul client, j’ai droit à un très bon café, une odeur de pommes de terre au persil en train de cuire emplit la pièce et me donnerais presque faim. Mais il n’est que onze heures et je dois encore avancer. Cependant, la pause-café, lorsqu’elle est possible procure un bon moment de repos, et autorise toujours un contact intéressant avec les gens du terroir.
Après une magnifique traversée de régions au décor jurassien, entre prairies où paissent de belles vaches bien grasses, forêts sombres luisantes sous la rosée qui réverbère les rayons de soleil, et mouvements de terrain typiques de cette zone montagnarde calcaire j’arrive au sommet d’une longue descente qui me conduit à Saint-Claude. Que cette ville au nom qui semble si gai est triste. On a l’impression que les activités tournent au ralenti, alors que nous sommes dans la capitale mondiale de la pipe. Les façades sont grises, aux teintes délavées depuis sans doute de nombreuses années, cependant la ville ne manque pas d’un certain charme, établie sur une zone accidentée tout en pentes et gorges.
Je rejoins le camping, très sympathique mais malheureusement très humide à cette époque de l’année. Dormir sous tente en dehors du plein été devient souvent une entreprise dont le matériel ressort mouillé. À côté de moi viennent s’installer deux side-cars, il s’agit d’un couple de Hollandais qui est lancé dans une grande traversée de l’Europe. Ils viennent de franchir les Alpes dans toute leur longueur. On partage nos souvenirs sur la multitude de cols merveilleux de ce massif que j’ai parcouru à plusieurs reprises au guidon de mon vélo. Nous tombons tous trois d’accord pour donner une palme d’or au Passo Stelvio deuxième col des Alpes en altitude après l’Iseran.