Après deux nuits passées à Vang Vieng nous reprenons notre route en direction d’une piste dont l’amorce se trouve à 50 kilomètres au nord de Vang Vieng en empruntant la route de Luang Prabang. Cette première partie jusqu’au village de Xang est magnifique. Nous roulons de bonne heure et nous pouvons assister d’une part au rituel des moines qui viennent prendre leurs offrandes en donnant en échange des prières à la population qui prie à même le trottoir, et d’autre part nous côtoyons des centaines d’écoliers qui à pied ou à vélo prennent le chemin de l’école. Les sabadi fusent de toutes parts et nous nous faisons un devoir de répondre à tant d’enthousiasme et de politesse.
Boulangerie française , une bonne baguette c'est bonSur la route au nord de Vang Vieng Sans trop de difficulté nous identifions l’amorce de notre piste, mais sur les premiers kilomètres quelques doutes subsistent car il n’y a aucune indication. Nous ne savons absolument pas ce que nous allons trouver. Nous sommes même incapables de savoir quel va être le temps de parcours. En effet, notre carte au 1/ 600 000 ième ne nous permet pas d’évaluer le dénivelé. Si nous nous fions à notre expérience passée sur certains tronçons précédents, on pourrait penser mettre quatre jours pour parcourir cette partie. De plus nous n’avons aucune information sur un éventuel cycliste qui aurait accompli ce parcours. Nous sommes en plein dans le type de voyage qui nous plaît, suffisamment de mystère et de flou pour aiguiser notre curiosité. Nous avions hésité à partir sur cette piste de 185 km, car inconnue des guides, nous pensions que c'était son manque d'intérêt qui lui valait cette absence de notoriété. Eh bien pas du tout, ce fut durant deux jours une plongée dans un Laos loin de tout, sur des pistes qui s'infiltrent dans des zones de forêts, traversant des rivières à gué et permettant de découvrir des villages bien loin de ceux auxquels les chemins classiques du tourisme donnent accès. Puis, il nous a fallu tout au long du parcours rester sur la bonne piste. Ce n'est jamais facile, les carrefours ne sont pas très loquaces, aucune indication et lorsqu'on demande la direction d'un village les habitants ne comprennent pratiquement jamais, car les accents sont très difficiles et nous ne les mettons jamais au bon endroit. Donc c'est toujours avec une certaine hésitation que nous nous lançons vers ce que nous pensons être la bonne direction. Quelques kilomètres et quelques interrogations de personnes rencontrées sont en général nécessaires pour en être enfin convaincus. La première partie est en travaux sur une quarantaine de km, puis nous nous retrouvons sur un chemin avec la sensation d'être très loin pour pas mal de temps. Les dénivelés et la pente restent raisonnables. Les habitants peu ou plutôt pas du tout habitués à voir des phalangs surtout à vélo sont particulièrement accueillants. Dans un village nous effectuons un premier arrêt. Nous réussissons à nous faire préparer une omelette et on nous apporte aussi une soupe froide. Ce sera la seule durant notre mois au fond du Laos que nous ne réussirons pas à manger, comme quoi nous n’avons jamais été totalement affamés. Dans cette salle ouverte aux quatre vents, les enfants nombreux viennent nous dévisager en souriant. Mais malheureusement nous ne pouvons discuter avec eux, n’ayant aucune langue en commun. Pour cela je regrette les Andes en Amérique du Sud, car avec l’espagnol généralisé tout au long des pays qui englobent les Andes on est en mesure d’échanger, même si les Indiens ne sont pas très bavards. Là, au fond des pistes du Laos, on sent qu’ils cherchent à communiquer mais c’est impossible et cela se termine immanquablement par de grands éclats de rire.
Nous mangeons bien accompagnés Des reliefs karstiques acérés commencent à se dessiner dans la brume générée par le très fort taux d’humidité. La piste rouge, les villages épars de loin en loin, comme vides du fait de la chaleur qui monte et monte toujours, nous plongent dans une atmosphère étrange d’un monde figé, où toute vie humaine ou animale est absente. Et en toile de fond ces grands pics, qui eux aussi montent sur l’horizon, ressemblent à un décor fantasmagorique, tout en ombres chinoises. Au sol dans les villages de longues et larges bandes de végétaux sèchent. Parfois nous arrivons à les contourner et d’autres fois nous sommes obligés de relouer dessus.
Attention de ne pas rouler dessus De grands travaux sont en cours, pou combien de temps la piste? Heureusement le trafic est quasiment nul. En effet, la moindre mobylette soulève la poussière, alors une voiture ou un camion mettent en suspension un gros nuage qui stagne un certain temps avant de retomber. Nous doublons des troupeaux de vaches ou de buffles. Ces derniers sont généralement avachis dans des mares de boue. Sur ces pistes où pour une fois les côtes ne sont pas trop marquées, nous roulons à bonne allure. Ce premier jour nous effectuons plus de 100 kilomètres. Dans le village de Napho nous trouvons de quoi nous loger. Dans notre gîte se trouve une bande d’ouvriers chinois. Ils travaillent sur un chantier dans les environs. Le Laos est en pleine évolution, en partie du fait de la proximité de la Chine qui est un moteur dans le développement du pays. Une fois de plus le logement est tout à fait acceptable, une bonne douche chaude fait du bien après plus de cent kilomètres dans une fournaise. Nous partons à la recherche d’un repas du soir. Nous nous dirigeons vers ce qui ressemble au centre-ville. Il s’agit comme souvent dans ces villages sur des pistes isolées d’un simple groupe de maisons. Nous y trouvons le restaurant qui va nous faire une soupe comme nous en mangeons maintenant depuis trois semaines.
Le soleil se lève dans la brume Au matin, comme tous les jours dès 6h30 nous nous mettons en route. Immuablement à cette période de l’année les levers de soleil se ressemblent dans cette partie du Laos, où l’humidité avoisine les cent pour cent. Un disque rouge à peine lumineux pointe au-dessus de la végétation dans un air encore relativement frais. Plus il monte plus il devient jaune et corollairement à cette ascension la température s’élève aussi pour venir culminer vers les 14 heures aux environs des 40 degrés. Cette piste ignorée des guides touristiques nous livre à chaque détour de route son lot de surprises. Elles ne sont pas toujours spectaculaires prises individuellement, qu’il s’agisse d’une rencontre avec un enfant, une femme qui porte sa charge ou qui lave son linge à la rivière, un homme qui travaille dans un champ, un point de vue sur un coin de forêt impénétrable, un pic à la forme étrange, un gué à passer, un pont délabré qui nous demande de l’attention, des buffles qui se vautrent dans l’eau.
Rencontre comme nous en faisons beaucoup Préparation du cochon La route a une autre fonction Un petit curieux intrigué par nos vélos Chacune de ces rencontres en soi ne mérite pas forcément une description, mais leur association permet aux spectateurs en mouvement que nous sommes de nous imprégner de l'ambiance et de se faire une bonne idée de la vie de ces contrées traversées. Le vélo seul permet d’avoir accès à cette réalité. Le long déroulement de la piste arpentée à faible allure, le regard chargé de curiosité, est le prélude à cette expérience. On se laisse en quelque sorte apprivoiser par le lieu. Le corps dans l’effort, la peau au contact direct de la chaleur, du soleil, de l’humidité, de la poussière, des odeurs multiples, des regards des gens et des animaux est le réceptacle idéal qui transmet une incroyable palette de sensations au cerveau qui en fait la synthèse. Nous ne sommes plus seulement spectateurs, mais aussi un peu acteurs des interactions qui se passent entre les choses et les êtres tout au long de la piste. Dans ces moments les notions de temps, de difficulté, de soif et de faim s’effacent devant cette sensation de faire entièrement corps avec notre environnement. La poussière qui nous couvre nous est devenue familière, même lorsque nous la respirons au passage d’un véhicule. La piste est une véritable alchimie qui régénère le corps, donc en réaction l’esprit.
Encore des gués, des enfants avec leurs éternels sabady, des pics pointus en arrière-plan, des villages rares et le soir vient, le soleil décline et commence à prendre sa teinte rouge en pleine harmonie de ton avec la piste et nos corps poussiéreux. Puis comme par bonheur une guest-house se présente devant une belle rizière vert tendre avec un paysage d’estampes chinoises qui la borde. Seul le vélo au long cours procure de telles émotions du fait de l’adaptation de l’organisme, lorsque l’étape prend fin après une dizaine d’heures à pédaler par des températures qui oscillent entre 30 et plus de 40 degrés.
Drôle de rencontre Mieux vaut passer à pied
En plein travail de lavage du linge relief karstique caractéristique Le vélo prend la couleur de la piste La nuit tombe sur une rizière La soirée et la nuit vont se passer dans la quiétude et c’est avec un petit pincement au cœur que nous savons que demain matin cette piste fabuleuse va prendre fin hélas seulement après une trentaine de kilomètres. Nous rejoignons un carrefour que nous connaissons et voilà le goudron. Nous enlevons nos masques de protection des bronches.
Je vais pouvoir enlever mon masque Sur l’asphalte retrouvé nous avons l’impression de chevaucher des vélos électriques et c’est à des vitesses proches de trente à l’heure que nous rejoignons en une heure Xanakham. Nous visitons un monastère. Que l’atmosphère y est paisible! Un bonze souriant et bienveillant nous offre des petites brioches, pour nous c’est du pain béni et le goût en est divin. Ces deux jours et demi nous ont tellement subjugués que nous en sommes tout abasourdis et un peu tristes et nostalgiques. Cela me rappelle ce que j’avais ressenti après la traversée du Sud Lipez en Amérique du Sud. Mais comme après la traversée de ce coin de l’Atacama nous ne savons pas encore que le plus fabuleux nous attend. Après les 400 kilomètres du Sud Lipez d’Uyuni à San Pedro se fut l’incroyable traversée, à laquelle nous ne nous attendions absolument pas, de San Pedro à Salta sur 500 kilomètres. Nous nous installons sur le bord du Mékong et observons le transport de matériaux et de fruits entre le Laos et la Thaïlande. Les dockers locaux en mettent un sacré coup, toujours avec des miracles d’équilibristes sur des planches étroites qui ploient sous les lourdes charges. Nous prenons notre temps, il est tôt et nous avons seulement 30 kilomètres de piste le long du Mékong, que nous connaissons déjà, pour rejoindre Ban Vang, point de départ de notre prochaine aventure. Nous nous arrachons au spectacle du fleuve et de ses scènes de vie et reprenons la route. Après quelques kilomètres à la sortie de Xanakham entre des véhicules, un vélo lourdement chargé. Je m’arrête et cherche son propriétaire, parmi les clients d’un restaurant. Je ne l’identifie pas immédiatement et les Laotiens présents comprennent tout de suite qui je cherche, car dans ces coins les cyclistes sont peu nombreux. Donc ils me le désignent dans un coin en train de manger sa soupe. Il est hollandais, et est arrivé ici par la route depuis son pays. Il est parti depuis un an. Après une discussion passionnée de trois quarts d’heure nous le laissons et lui donnons rendez-vous dans la guest house de Ban Vang, où nous avions passé notre première nuit de ce mois d’itinérance.
Gérard avec notre Hollandais En réalité il nous rejoindra à une quinzaine de kilomètres, car nous allons nous arrêter manger une soupe, là où nous avions mangé notre première, installés sur une magnifique terrasse surplombant le Mékong mystérieux parsemé de multitudes de rochers. On pourrait imaginer des dizaines de Lorelei attendant les esquifs pour les précipiter dans ses eaux troubles à destination de ses énormes poissons. Was soll es bedeuten dass ich so traurig bin Après une dernière partie de piste à trois nous atteignons Ban Vang et son hébergement. Jim qui passe la plupart de ses journées et ses nuits seul a vraiment envie de communiquer. Il nous raconte toutes ses péripéties depuis un an de route, parfois dans des endroits déserts et hostiles, où la nourriture et la boisson se font très rares. Ces rencontres au hasard des pistes sont un des grands plaisir du voyage à vélo. Gérard et moi retrouvons la chambre que nous avions il y a maintenant trois semaines. D’un côté nous avons l’impression d’y être passés hier et d’un autre il y a longtemps, tellement la vie fut intense sur les 1400 kilomètres déjà parcourus et les sensations, émotions et souvenirs accumulés, nombreux et diversifiés.