Après une année d'études à Madrid, l'opportunité de parcourir les chemins sinueux de Compostelle s'offre à moi. Par le "Camino francés", ce seront 550km en 21 jours de marche !
Juin 2022
3 semaines
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L'heure de repartir en voyage a sonné... Nouvelle destination ? L'Espagne et son incroyable chemin de Compostelle, plus précisément le Camino Francés. Après avoir terminé mes études dans la ville madrilène, c'est avec beaucoup d'entrain que je pars pour relever ce nouveau défi. Quel parcours ? Avec un départ depuis la ville Burgos, je parcourirai le Nord de l'Espagne à raison de 25 à 30km par jour pour une arrivée prévue 21 jours plus tard à Saint Jacques de Compostelle. Le plus important reste sans aucun doute d'emporter un sac léger, 6-7 kilos suffiront, assez d'espace pour deux chemises, deux pantalons et l'inévitable chapeau !

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A travers la campagne française. De bon matin, le voyage commence par un voyage en train. Sans aucun doute, Burgos n'est pas si facile à atteindre. Le regard dirigé vers l'horizon, le soleil a laissé place à la pluie. Les nuages se retirent et mon cœur est serein. Bayon. Un bled paumé, c'est la campagne française, c'est la beauté rurale, c'est le calme avant la tempête. Il faut y passer. Peu de temps après, c'est le tour de Blainville, au moins ils ont une gare. Varangeville. Saint Nicolas de Port. Nancy. Paris. Mon corps dodeline au rythme des wagons qui glissent sur les rails. Le paysage aux collines boisées défile, la nature danse et s'amuse. Dans les oreilles, la mélodie bourdonne et offre des rimes allemandes. Den Moment danach, qu'en sera-t-il demain ? Le brouhaha aux sonorités françaises me berce et m'emporte vers une somnolence tranquille. L'arrivée à Paris dans la journée, puis un bus de nuit d'une éternité jusqu'en Espagne : ¡es lo que hay!

Le temps d'un après-midi, balade parisienne aux côtés de Maurine. Au menu, le traditionnel bouillon pour prendre des forces. Montmartre nous accueillera ensuite dans ses rues vivantes et enthousiastes. Le soleil révèle des ombres changeantes sur le Sacré Cœur, puis le temps pluvieux fait finalement fuir les artistes dans leurs demeures. Le sac sur le dos, le métro fonce et lâche des crissements stridents sur son passage. J'ai comme l'impression d'apercevoir "un indien dans la ville". Une accolade chaleureuse et, déjà, un long trajet annonce la fin de cette journée orageuse.

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Pour commencer : l'interminable. Quatorze heures de bus, assise en zigzag, les jambes pliées, la tête dodelinant, les paupières lourdes. Cette nuit, le sommeil ne sera que passager, il fleurtera avec toi mais ne s'arrêtera jamais réellement. Paris, Tours, Poitiers, Bordeaux, Bayonne, San Sebastián, Bilbao. Le corps tremble et vibre sur les autoroutes inégales. Le trajet nocturne sera ponctué d'arrêts successifs. Les lumières qui s'allument subitement, le masque sur les yeux en biais, les gens qui circulent, qui descendent, qui montent, qui rigolent et qui ronflent surtout. La chaleur de l'habitacle est pesante, l'habit devient presque dérangeant. Aux premières lueurs, les yeux s'entrouvrent difficilement. Les heures passent et nous franchissons les collines et les falaises espagnoles. Parfois recouvertes de végétation dense, parfois constituées de roches saillantes, c'est un beau spectacle matinal. Les tunnels s'enchaînent et deviennent innombrables. L'arrivée à Burgos est proche.

Burgos. Ville de Castille-León située au Nord de l'Espagne, ville aux façades colorées et harmonieusement décorées. Influences architecturales françaises, allemandes et mudéjares, son centre historique ne laisse personne indifférent. La belle, la majestueuse qui surplombe la ville, déploie ses ailes et ses tourelles de pierre. L'incroyable cathédrale Sainte Marie créé le lien entre les églises et les couvents. À l'origine construite en style gothique, ses multiples reconstructions ont su valoriser le caractère fleuri venu de France et d'Allemagne, tout s'adaptant au style décoratif espagnol.

Rues étroites aux balconnets, le soleil parsème ses rayons au gré des nuages qui passent. C'est une douce journée. Une journée au rythme des cloches et des passants, une journée qui s'écoule lentement. Plus haut que la Cathédrale, le château moyenâgeux de Burgos impressionne par ses remparts massifs et par sa localisation stratégique. La soirée s'installe peu à peu et laisse parvenir une once de fraîcheur dans les dédales citadins. Depuis le balcon de l'auberge, les brouhahas s'élèvent et créent un écho permanent entre les façades avoisinantes. Document incontournable sur le chemin de Compostelle, je tiens dans mes mains la crédenciale du pèlerin avec déjà trois timbres réalisés. Ce soir, le sommeil m'emporte et je m'enveloppe dans les draps blancs pour une courte nuitée. Réveil 6h30, départ prévu 7h30.

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Hornillos del Camino. C'est finalement à 6h30 que j'ai quitté la ville de Burgos en compagnie de deux autres pèlerins, une brésilienne et un hollandais. Allant bon train, Rick me montre du bout de son doigt le prochain café où nous ferons une pause. Deux femmes souriantes nous accueillent derrière leur comptoir alléchant proposant tartelettes, empanadas salés, yaourts, œufs et toutes les boissons inimaginables. Après une pâte de fruits, c'est en peu de temps que nous passons les dernières balises. Pour une première étape, c'est à ma grande surprise que nous arrivons au prochain village-étape à 11h du matin, comme des fusées !

Au fil des kilomètres, tout en suivant consciencieusement le balisage jaune, les paysages défilent. Collines infinies, nous traversons des prairies sans le moindre signe de vie. Champs de blé et d'orge à perte de vue bordés par de légères vaguelettes rouge coquelicot. Le vent balaye inlassablement les étendues tranquilles et désertiques telle une douce danse romantique. L'air caresse le visage rougi par l'effort, les nuages s'amassent et offrent un moment de répit réconfortant. À l'arrivée, un chemin en descente succède un haut plateau afin de rejoindre le village aux bâtisses construites de pierres blanches. Attablés dans un café tenu par un homme jovial et chaleureux, nous trinquons à ma première journée. Apposant le timbre sur ma crédenciale, je salue aimablement le serveur en passant le pas de sa porte, un homme empreint de gentillesse et reflétant une bonhomie paisible. La soirée sera synonyme de partage et de convivialité puisque tous les pèlerins de l'auberge se rassemblent pour manger le "community dinner". Avec une paella au menu, je suis certaine d'avoir suffisamment d'énergie pour le lendemain. Sans doute ne le sais-je pas encore mais ce jour marquera la fin de mon périple puisque c'est dans c'est auberge que je rencontre Brigitte et Didier ainsi que Corinne et Gilles. En cet instant, tous les quatre assis dans le jardin, le début d'une amitié forte s'est créée.

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Castrojeriz. Aux aurores chatoyantes, le pèlerin ouvre l'œil et prépare nonchalamment son sac dans le noir des dortoirs encore endormis. Une fois le sac bouclé, quelques bouchées sont englouties les uns à côté des autres autour de la table du petit-déjeuner. Les plus téméraires partent le ventre vide tandis que d'autres nécessitent l'aide du café fort pour sortir de leur sommeil entrecoupé par les bruits nocturnes intempestifs du dortoir.

Le sac placé sur les hanches, c'est avec énergie que j'effectue les premiers kilomètres de la journée. Alors que le soleil se lève doucement, la nature s'éveille joliment. La brume matinale enveloppe les champs de son nuage volatile tandis que les odeurs terreuses et florales se mêlent et s'unissent harmonieusement. Chaque inspiration est incroyablement fraîche et revigorante. Les oiseaux créent une mélodie envoûtante, laquelle se voit scandée par l'écho régulier de mes bâtons qui heurtent le sol. "And we belong together", Valens. Au kilomètre 11, je dépose le sac qui ankylose les hanches et m'octroie une boisson chaude. Le sucre fait exploser les papilles et traverse l'œsophage, procurant une sensation tout à fait délicieuse.

Les 10 derniers kilomètres sont synonymes de prairies interminables. Les collines lointaines sont marquées par les parcelles inégales, lesquelles forment de minces strates aux couleurs distinctes. Des ocres, des blonds, des vert d'eau, des rouge vermillon. La nature saisonnale s'expand, explose et offre un spectacle sensationnel en affichant ses plus belles nuances. Arrivée peu avant midi, c'est avec deux aimables français - couple parisien ayant commencé le chemin du Puy en Velay - que je partage mon repas. Corinne et Gilles dormiront finalement dans la même auberge que moi, belle coïncidence du camino. Cette rencontre fortuite confère une positivité et une énergie débordantes, une bienveillance réconfortante dans ce périple communautaire solidaire.

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Frómista. Après un petit-déjeuner copieux en compagnie de Corinne et Gilles, c'est seule que je pars pour cette nouvelle étape de 25 kilomètres. Quelques kilomètres et, déjà, j'entame la montée. Le soleil se lève déjà et j'observe avec admiration les plaines environnantes. Embrumées par la rosée matinale, les volutes de vapeur s'élèvent bientôt vers le ciel. Sur le chemin rocailleux, mes bâtons impactent le sol sans répit aucun tandis que la respiration se fait de plus en plus rapide. Au sommet, l'étendue semble se dérouler sous mes yeux. De là, je vois l'horizon dans lequel le chemin pierreux de Compostelle se perd. L'air est frais et si pur.

Après 15 kilomètres, je poursuis ma route. Le soleil est déjà bien haut et la chaleur estivale se fait peu à peu sentir. Sur les bas côtés, les champs ont été fauchés et l'odeur de l'herbe coupée embaume l'air de ses odeurs naturelles et charnelles. Deux pas plus loin, les tuyaux d'arrosage propulsent de l'eau sur les champs de céréales. Volontairement, je passe sur la douce pluie et m'asperge le visage. Il est 9h30.

Au 20ème kilomètre, je traverse un village-étape et rencontre une femme de Seattle, Shannon, ainsi qu'un madrilène, José. Nous quittons le chemin de terre et rejoignons le prochain sentier quand, soudain, un piétinement rapide se fait entendre. Tournant soudainement et énergiquement la tête, nous apercevons avec émerveillement un troupeau de moutons précédé par un berger à l'habit délavé par le soleil. Les petits animaux s'agitent tandis que le chien les mène dans la bonne direction. À l'arrière, un âne avance péniblement, les longs épis de paille encore collés à ses flancs poilus.

Après cette jolie venue, c'est finalement côte à côte que nous terminerons le chemin aujourd'hui. Les pieds terriblement douloureux, la souffrance semble s'apaiser en leur présence. Longeant le canal de Castille, la discussion est plaisante et les éclats de rire fusent. À l'arrivée, je sonne timidement à la porte de l'auberge dans laquelle je passerai la nuit. Un quarantenaire m'ouvre, tout sourire, et m'invite à rentrer dans sa demeure. Celle-ci est petite et sombre mais décorée avec goût. Peintures et dessins accrochés au mur, il m'encourage à monter dans la chambre, nous ferons le check-in plus tard me dit-il : "que descanses".

Avec soin, il dépose alors sur la table centrale le bouquet de genêts ramassés pendant sa promenade quotidienne, les belles fleurs jaunes illuminant l'appartement. "Hasta luego! Voy a hacer una siestita". D'une générosité sans pareille, l'homme m'offre le couvert avec un sourire d'une bienveillance réconfortante. Les yeux fatigués et le corps lourd, je le remercie et lui offre toute ma gratitude.

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Carrión de los Condes. Le réveil sublimé par le petit-déjeuner de mon hôte, je pars sans plus attendre le ventre plein. L'étape ne compte que 20 kilomètres aujourd'hui, quelle aubaine. Sillonnant la variante du camino francés, je traverse les champs de céréales irrigués sur des airs de Ray Charles et de Tina Turner. Peu de temps après, je rejoins un sentier jonché d'herbes et longe le lit d'une rivière, le cœur léger, les pensées virevoltantes et, surtout, la cabeza à l'ombre, ce qui n'est pas une mince affaire sur les 200 kilomètres qui s'étirent dans la désertique Meseta. Après un premier arrêt dans une église, je continue ma route et rencontre d'autres pèlerins qui suivent le même chemin que moi depuis quelques jours. Le deuxième arrêt a lieu à Villalcazar de Sirga où je flâne silencieusement dans l'église anciennement construite par l'ordre des templiers au Xe siècle.

Dans son intérieur, la fraîcheur ambiante repose les membres endoloris des journées précédentes. Le corps semble naturellement ralentir au rythme de mes pas. Dans le calme, des chants religieux se font entendre non loin de l'autel. Le lieu embaumé par la fumée des cierges, j'inspire à intervalles réguliers et me laisse nonchalamment guider de la nef aux petites chapelles successives. Levant les yeux, j'observe avec attention l'architecture romane remarquable. D'une majestuosité inégalable, les axes et les voûtes de la structure de pierre paraissent se mêler et s'emboîter d'une intelligence parfaite. L'édifice, pourtant massif, prend des allures volatiles.

Sur les derniers kilomètres, "je marche seule" (vive Jean-Jacques) et me trouve confrontée à la silhouette infinie d'un chemin linéaire longeant l'horrible bas-côté d'une départementale. Suivent alors les quatre-vingt-dix minutes d'ennui profond et de chaleur épouvantable. Progressant péniblement, les rayons vifs du soleil m'oppressent et la respiration devient difficile. Les automobiles et les camions passent indéfiniment et mes jambes semblent poursuivre leur route mécaniquement. À gauche, à droite, seules les plaines céréalières s'étendent en formant des collines irrégulières. Devant, derrière, à gauche, à droite, la longue asphalte grise et miroitante n'a pas de fin, elle s'allonge jusqu'à l'horizon d'une exécrable ligne continue. L'esprit fatigué, les douleurs aux pieds se réveillent, je chantonne à voix basse des paroles françaises, le sourire aux lèvres. Dédicaces à : Balavoine "tous les cris les SOS partent dans les airs..." et Johnny "Noir c'est noir, il n'y a plus d'espoir". Vive la chanson française, vive le Camino francés !

Ce soir, je passerai la nuit dans le Monastère Santa Clara où Brigitte et Didier me tiendront compagnie. Grand édifice de pierre de marbre, la cour intérieure est quadrangulaire et recueille les pèlerins, marcheurs et cyclistes, épuisés par leur journée passée sous une chaleur éprouvante. Assise à l'une des tables extérieures, j'observe les structures et aperçois quelques nonnes se diriger vers leurs quartiers. Sans aucun doute, les installations sont simples et basiques mais reflètent le strict nécessaire dont nous avons tous besoin.

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Terradillos de Templarios. Inexorablement, la vague de chaleur perdure, traverse l'Espagne et, par conséquent, un réveil à 5h20 bourdonne à mes oreilles ce matin. Ni une ni deux, mes deux camarades de chambre, un italien et un allemand (Peter), se lèvent et préparent leur sac. Aujourd'hui, tout le monde le sait, il faut être prévoyant et emporter deux litres d'eau avec soi. Depuis le village, il n'y aura nulle possibilité de se désaltérer sur plus de 17 kilomètres. Longeant d'abord la route pendant 9 kilomètres, je progresse plus lentement que les jours derniers.

Les ampoules fleurissent à l'unisson sur l'extrémité des pieds, lesquelles provoquent une gêne douloureuse en continu. Boitillant gentiment, le chemin aux cailloux dérangeants s'étale et scinde la prairie sèche en deux. Le temps s'étire et semble quelque peu interminable. S'hydratant en permanence, le soleil se lève et ses rayons révèlent une chaleur intense qui s'abat ostensiblement sur les terres. Bien heureusement, le vent matinal caresse agréablement la peau du visage, au moins pour quelques heures.

La deuxième partie de la journée sera la plus endurante. Les kilomètres s'enchaînent et l'horrible sensation de ne pas avancer persiste. À nouveau au bord de la route, la chaleur s'intensifie toujours plus, le corps entre dans une transe épuisante, sur le visage perlent et s'écoulent des gouttes de sueur. Le paysage est linéaire, les prés deviennent innombrables, chaque pas est un effort cuisant. Au détour de la route, j'aperçois le village-étape prochain dont les quelques bâtiments dansent dans le ciel bleu azur et s'effacent ensuite dans l'air brûlant et miroitant. Arrivée en son centre, je délace mes chaussures pour la troisième fois consécutive et retrouve Tina, anglaise, au café du coin. Alors que je m'apprête à partir, mon regard se tourne soudainement vers deux pèlerins arrivant bon train : ce n'est autre que Corinne et Gilles, quelle joie ressentie ! Échangeant quelques mots, leur énergie positive et leurs sourires bienveillants m'encouragent à reprendre ma route pour enjamber les kilomètres restants.

À l'arrivée, je rencontre Carmen, hospitalière à la seule albergue de Terradillos de Templarios, qui me conduit avec énergie au dortoir. Déshydratée et les pieds meurtris par une douleur insoutenable, quel baume au cœur de retrouver des camarades de chemin dans la chambrée. Adrian et Elena - tous deux espagnols madrilènes, Julien - français de Toulouse, et Vinicius - brésilien de Brasilia, profitent d'un moment de repos, allongés nonchalamment sur leur lit. Naturellement, ils m'invitent à manger avec eux et j'en suis profondément réconfortée.

Dévorant le menu du pèlerin, nous trinquons aux prochains jours qui suivront. Un moment de partage, de bonne humeur, de fous rires et d'apaisement immédiat. Ensuite, la routine du pèlerin reste sans aucun doute sa sieste bien méritée. Tandis que la chaleur persiste jusqu'à 20h, nous passons du temps sur la terrasse. Mes pieds arborent des ampoules par milliers et José me conseille de prendre une bassine d'eau salée. Tous deux attablés sur la terrasse, les pieds dans l'eau, nous discuterons une heure durant. Du fond du coeur, j'espère que ce satané sel soignera mes plaies ! Le temps passe et chacun vaque à ses occupations : écrire, dormir, dessiner, boire des cervezas, ou encore téléphoner à ses proches, simplement synonyme de repos et de calme. Plus tard, je ferai également la rencontre d'Ilaria - italienne de Treinto, et de David - Barcelonais dans l'âme. Entourée de toutes ces personnes hautes en couleur, j'ai l'impression qu'une famille se forme, le reflet de véritables amitiés sincères et solidaires. Continuerons-nous le chemin ensemble ?

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Bercianos del Real Camino. Après une courte nuit, les pèlerins se réveillent doucement dès que la première personne décide de quitter le dortoir. Quelques uns préparent leur sac et allument subitement la lumière, si tu voulais dormir jusqu'à 8h, tu subis parfois le réveil des autres à 5h. Ayant ingurgité un modeste petit-déjeuner, je quitte l'auberge dans la nuit noire. Peu à peu, le soleil se lève et les couleurs du ciel se métamorphosent en une harmonie singulière. Tandis que la rosée matinale dégage une fraîcheur douce et florale, les nuages éparses se transforment et, volatiles et légers, créent des volutes de formes diverses. Arborant des nuances changeantes, les essaims nuageux évoluent et prennent des teintes rosées, orangées et jaune pâle. C'est la motivation du départ, c'est l'agréable sensation de frais sur le visage, c'est le marqueur d'une nouvelle journée qui débute.

24 kilomètres parcours et une arrivée frappante. Bien vite, la chaleur augmente et devient insupportable. Les nuages sombres et bleu nuit montent peu à peu dans le ciel et la pesanteur électrique s'élève et alourdit le corps transpirant. Bientôt résonne le tonnerre, soudain et brutal, puis les éclairs s'enchaînent et provoquent des vrombissements sourds et menaçants. Le ciel se transforme alors en un océan obscur irrégulièrement illuminé par les zigzags fulgurants de la lumière électrique cinglante. Atteignant le sol d'une transcendance fatale, la lourdeur atmosphérique s'accentue et les lèvres s'assèchent de déshydratation.

Enfin parvenue à l'auberge paroissiale où je souhaite passer la nuit, les nuages déversent d'un coup d'un seul des trombes d'eau violentes et diluviennes. La chaleur semble s'évaporer peu à peu et les odeurs pluviales de l'orage se répandent dans le village. Du goudron chaud s'élèvent des volutes de vapeur tandis que les herbes, désormais arrosées, offrent des senteurs douces. Le calme paisible après l'orage.

Ce soir, je m'installe dans une paroisse accueillant des pèlerins pendant la saison estivale. Tenue par deux volontaires du camino de Santiago qui se relaient toutes les deux semaines, la demeure abrite plus d'une soixantaine de pèlerins tous les jours. L'une des valeurs les plus importantes est sans aucun doute le "donativo", où chacun offre un don à la paroisse s'il le souhaite et en fonction de ses moyens. Les chambrées sont spacieuses et confortables, le dortoir possède un plafond haut mansardé de bois obscur.

Généreusement, le dîner et le petit-déjeuner sont servis gratuitement à la communauté : le vin est même servi en abondance. Tous attablés dans le "comedor", les deux hommes s'affairent dans la cuisine pour la préparation du dîner. Le visage tranquille, l'âme charitable, chacun d'eux s'applique et aide le pèlerin dans le besoin avec une solidarité et une bienveillance sans pareilles. C'est un lieu paisible, une maison récemment rénovée avec une façade en torchis. En son intérieur, l'air est frais et les pèlerins s'allongent tranquillement dans l'attente de repartir le lendemain matin à la première heure.

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Après une soirée passée avec des amis face au coucher de soleil spectaculaire, lequel peut être observé depuis le soi-disant "mirador" du village, c'est une tempête qui s'abat sur les terres pendant la nuit. Aux aurores, quelle aubaine de marcher avec cet air frais si agréable. Avant de quitter l'auberge paroissiale, je glisse le don dans la boîte dédiée à cet effet, m'empare des bâtons de marche et débute cette nouvelle journée avec entrain. L'étape d'aujourd'hui est de 26 kilomètres et c'est en groupe que je progresse sur le chemin de Compostelle. Plusieurs arrêts divisent la grande étape et c'est à Reliegos, après 20 kilomètres parcourus, que nous dégustons un merveilleux "pincho de tortilla". Le fameux goût des œufs liés aux pommes de terre, aux courgettes et aux oignons réveille les papilles assoiffés par l'effort. "La guinda del pastel" reste sans aucun doute le grand filet d'huile d'olive. Un en-cas tout à fait réconfortant sur la terrasse ombragée d'un café-étape.

Sur les derniers kilomètres, Adrian me tient compagnie et le paysage défile au rythme de notre marche rapide. Les discussions sont diverses et le madrilène me conte l'histoire de ses parents ayant migrés de la campagne à Madrid dans les années 70 et 80. Suite au babyboom, les familles étaient devenues de plus en plus nombreuses et le travail manquait terriblement dans le milieu rural. Au fur et à mesure des années, un dépeuplement massif a impacté les communautés de la campagne qui migraient dans les grandes villes pour un avenir meilleur. Aujourd'hui encore, le territoire espagnol est marqué par le départ des populations et de nombreux villages fantômes sont visibles dans toutes les provinces.

Les minutes passent et j'aperçois des maisonnettes au loin. La curiosité m'emporte et je questionne Adrian, ma référence espagnole du Camino, "el dicho embajador de España", qui m'explique que ce sont des "bodegas". Anciennement construites en pierre puis recouvertes d'une couche de terre ayant pour but de garder la chaleur, les bodegas ne sont autres que des caves que les habitants des villages utilisaient pour stocker leurs récoltes. Point info du jour ! Au kilomètre 26, nous parvenons au village sous une chaleur particulièrement accablante. Deux écossais, le père et la fille, Neil et Christine, nous accueillent avec joie. Sur leur table, une belle planche de charcuterie trône avec des morceaux de pains.

Avec générosité, les deux pèlerins nous proposent de goûter les différentes sortes de jambons de la région, dont un réalisé à partir de viande de cheval. Une bonne bière pour couronner le tout ! En soirée, nous nous retrouvons tous au restaurant du coin afin de célébrer le départ de Julien qui doit malheureusement rentrer à Toulouse pour le travail. Une étape avant León et voici le premier aurevoir qui brise les coeurs.

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Ce lundi est synonyme d'une journée haute en couleur. Avec des amis, nous parcourons 20 kilomètres en profitant de la fraîcheur du matin. En tant que récompense, nous nous octroyons une merveilleuse part de tortilla en chemin, la dernière de notre cher Julien qui analyse le met espagnol avec un oeil expert de ses trois semaines passées sur le camino. Arrivés dans la ville de León, capitale de la province, la faim nous rattrape et un délicieux "cocido maragato" sera au menu cet après-midi. Met espagnol par excellence, il s'agit d'une préparation traditionnel de la comarque de Maragatería.

Prenant des apparences de pot-au-feu, le cocido constitue le plat des paysans ne prenant qu'un unique repas par jour. Tous attablés, l'ambiance est à l'heure de la bonne humeur, du partage et des rires qui fusent dans le restaurant. Au bout de la table, j'observe le regard bienveillant de Neil, écossais, envers sa fille de 18 ans, Christine. Les yeux du père pétillent, c'est une fierté incommensurable, quel périple inoubliable.

Au bord de la rivière Bernesga, la belle ville historique abrite de nombreux édifices religieux d'une architecture remarquable. En se promenant, nous parvenons à la fameuse cathédrale gothique datant du XIIIe siècle. Doté d'arcs boutants d'une grandeur incroyable, l'édifice renferme plus de 1 800m2 de vitraux, une splendeur inégalable. La visite de la ville se poursuit en compagnie de la troupe de pèlerins : Julien, Neil, Christine, Vinicius, Elena, Ben (Philippines). Les heures passent et nous parcourons la ville en long en large et en travers. Avec beaucoup d'application et d'énergie, Julien nous guide par les rues étroites et ombragées. Aujourd'hui, c'est le jour de son retour à Toulouse, un homme à l'accent chantant et mélodieux du Sud, solaire, généreux, plein d'humour et de bonne humeur.

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Villavante. Après avoir passé la ville de León, le paysage change et les cultures se métamorphosent. Les champs interminables de blé et d'orge se voient remplacés par le maïs et les tournesols. Allongeant la foulée, je passe des collines à la végétation plus humide et verdoyante. Les senteurs des bruyères et des fleurs se mêlent aux effluves des lapins qui peuplent la prairie. Non loin de là, un troupeau de moutons broute l'herbe recouverte de la rosée matinale. Je progresse sur le chemin avec des amis et m'entretient longuement avec Neil, prêtre en Écosse. Peu à peu, le soleil s'élève, la chaleur augmente, la soif s'accentue et la fatigue devient palpable. Néanmoins, l'ambiance joviale du groupe motive et aide à avancer. L'arrivée à Villavante en fin de matinée est appréciable et nous nous installons bien vite dans le dortoir de l'auberge. La sieste réparatrice soulage le corps fatigué et endolori. C'est une nouvelle journée derrière moi, la balise du chemin indique 300 kilomètres restants pour atteindre Saint-Jacques, l'esprit est paisible et déterminé, il faut savoir écouter son corps et avancer avec précaution.

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Astorga. L'étape du jour débute par le spectacle d'un ciel immaculé embelli par une lune pleine. Fièrement dressée, elle disparaît peu à peu, tel un voile d'une pâle blancheur se fondant dans l'horizon encore bleuté de la nuit passée. Au fur et à mesure que le soleil se lève, le ciel endormi laisse place aux nuances orangées de rayons naissants qui illuminent les nuages éparses et la prairie verdoyante. L'air frais passe dans mes narines, il semble me nourrir et renforcer mon énergie tandis que le paysage bucolique se déroule sous mon regard attendri.

Quelques kilomètres plus tard, Hospital del Camino nous accueille et devient le lieu dédié à notre petit-déjeuner. Aux premières lueurs du jour, je me délecte des mets sucrés en compagnie d'Elena tandis qu'une vue imprenable sur le pont moyenâgeux du village nous est offerte depuis la terrasse du restaurant.

En face de moi, installées sur la nef de l'église dans leurs nids massifs et d'une lourdeur certaine, les cigognes majestueuses semblent danser dans les airs, telles de minces silhouettes mouvantes, légères et volatiles. À chaque passage dans les villes-étapes, elles apparaissent en hauteur et subjuguent le pèlerin sans prétention aucune. D'une merveilleuse simplicité, son plumage noir et blanc ensorcelle et son bec orangé, grand et fin, craquète tout en nourrissant affectueusement les nouveaux-nés de la saison.

La suite de la marche sera ponctuée de montées et descentes successives, la paysage vallonné et boisé aux teintes ocres de la terre sèche. Au sommet de l'une d'elles, sur une table bien dressée et ombragée, un rêve paradisiaque aux images de fruits colorés et juteux, de gâteaux croustillants et de fraîcheur suave semble apparaître sous mes yeux. Là, la peau tannée et le chapeau baissé sur la tête, un homme originaire de Barcelone nous offre des denrées avec un regard empli de bienveillance. Depuis déjà trois ans, il vit seul sur ces terres et, été comme hiver, sert la voix de Dieu en aidant les pèlerins qui passent sur le chemin :

"Buen Camino en vuestra vida".

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26 kilomètres et l'arrivée transpirante au village de Foncebadón, altitude 1450 mètres, il y a comme un air de Hohneck en version espagnole. De chaque côté du chemin, la flore offre un spectacle de bruyères de toutes les variétés. Fleurs jaune, violette, bleue voire blanche, le sol de terre rouge est ponctué de jolies tâches de couleurs variées. Ci et là, les chênes verts (merci Didier) forment un sentier ombragé aux odeurs rafraîchissantes. Plus loin, les immenses et innombrables forêts de pins recouvrent les terres sèches et embaument l'air de leur sève odorante, de leurs épines et de leur écorce si singulières. Au passage des villages, la construction traditionnelle des demeures change. Auparavant crépitent en torchis brun froncé, celles-ci prennent désormais des allures élégantes dues à la précision de leur maçonnerie de pierres de taille et de leur boiserie sombre réalisée à l'image des colombages alsaciens. Le paysage se voit bouleversé, les herbes hautes peuplent les fossés tandis que les insectes butinent allègrement le pollen floral. Comme mélodie fluette agréable, le chant des oiseaux berce paisiblement les pensées du pèlerin qui progresse sur le chemin.

Par la suite, la montée est longue et chaude. La sueur dégouline lentement le long des tempes, le sac à dos pèse lourdement sur les hanches, le soleil alourdit les membres. Néanmoins, il va sans dire que l'arrivée est satisfaisante et mémorable. Du haut du balcon de l'auberge, j'observe les collines avoisinantes qui pointent fièrement leurs dômes dans le ciel embrumé. Denses et "frondrosas", les forêts abondent et se succèdent dans l'horizon marqué par les strates bleutées plus ou moins lointaines.

Allongée sur le lit du dortoir de l'auberge de "donativo", la respiration se calme peu à peu tandis que la tempête bat son plein dehors. Frappant violemment les fenêtres de la chambre endormie, l'orage illumine de ses éclairs fulgurants les visages aux yeux fermés. La pluie tant souhaitée rafraîchira notre marche matinale demain, tous les pèlerins sont aux anges !

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Ponferrada. Atteignant les 1515 mètres d'altitude, je sillonne les sentiers de terre caillouteux éclairés par la lumière douce du matin. Longeant de grands buissons, mon regard est porté vers l'horizon. Au loin, les montagnes s'élèvent et la brume semble s'immiscer entre elles telle une balade naturelle. Symphonie de couleurs, une végétation florale recouvre harmonieusement les vallées d'une immensité grandiose. Formant de minces strates irrégulières, elle laisse apercevoir une terre rouge percutante. D'un bleu changeant, les sommets se décuplent au fur et à mesure de mon avancée. D'une clarté singulière, ils se superposent et s'élèvent divinement dans le ciel pâle d'un soleil levant.

La descente est rapide, les pieds sont accordés au rythme soutenu des bâtons qui tapent énergiquement le sol. Le bruit de mes pas crisse sur le gravier, c'est un écho presque silencieux mais perceptible dans cette grandeur naturelle enjolivée par les notes musicales de la faune et de la flore. À gauche, à droite, les herbes hautes sont volatiles, elles dansent, se caressent au passage de la légère brise. Parfois, les fougères se mêlent aux genêts et se lient aux ronces féroces qui blessent les jambes.

Au détour d'une colline, les éléments de la nature se déchaînent et le vent s'engouffre avec force dans les vallées profondes. D'un coup d'un seul, sa puissance rencontre celle du corps humain si vulnérable. Dans mon regard perdu dans le lointain, les champs éoliens se déroulent sur les hauts plateaux. Pointant vers le bleu azur, la matérialité immaculé de leur structure massive renvoie une blancheur éclatante au sortir des rayons de soleil. C'est un domaine sauvage sans pareil tâché par les longues lignes à hautes tensions qui scindent les coteaux d'une imposante terre rase défrichée.

L'étape est inoubliable et ravive des émotions fortes et authentiques. La descente perdure et échauffe les muscles fatigués par l'effort. Les pieds heurtent le sol, le corps encaisse et progresse jusqu'à dépasser de petits villages montagneux construits en pierre. Maisonnettes adorables, leurs balcons de bois noir sont décorés de géraniums aux fleurs abondantes et colorées. Je n'oublierai pas l'arrêt à la caravane "el paraíso", à bientôt le "voluntariado".

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Trabadelo. 36 kilomètres, "up and down, up and down". Une journée fatigante sous le soleil perçant, des vagues de chaleur provoquant des suées insupportables. En fin de chemin, Christine m'accompagne dans les splendides vignes qui s'alignent harmonieusement sur les coteaux de collines. Les vignobles sont immenses et s'étendent jusqu'à Villafranca. Au détour de quelques chemins, j'aperçois des hommes s'occupant des pieds noueux des arbustes en croissance. Les grappes de raisins sont déjà visibles, dans l'attente d'en manger, les cerises sont à portée de main tout au long du chemin et j'en cueille allègrement, le sourire aux lèvres. Sucrées, fraîches, elles éveillent les sens et offrent le courage nécessaire pour parcourir les dix derniers kilomètres.

Ce soir, je passe la nuit dans une auberge paroissiale d'un petit village construit dans le creux de deux vallées. Denses et sombres, les forêts les recouvrant paraissent mystérieuses et humides. En son sein, le village s'étend sur quelques centaines de mètres. Bordée de maisons en pierre, l'église est fièrement axée vers l'Est et occupe la place principale. Aux dernières lueurs du jour, les rayons lumineux traversent les arcs de la nef, éclairent doucement les cloches et créent des ombres changeantes. Sous le porche de l'église, Fran (fidèle hospitalero) et quelques habitantes prennent plaisir à me faire visiter l'édifice. Me montrant du doigt les différentes icônes religieuses, ils me content l'histoire de leur lieu de prière quotidien.

Demain est un grand jour, tous s'affairent afin de décorer les allées de fleurs flamboyantes. À 11h du matin, la messe sera prononcée et la procession suivra. L'une des femmes attire particulièrement mon attention. Octogénaire, sa peau est blanche et piquée de tâches de rousseur. Son visage paraît paisible, son sourire est solaire et communicatif, son regard semble percer le mien d'un éclat rayonnant. Se déplaçant avec agilité, elle porte une longue robe imprimée de fleurs bleues qui lui amincie la taille. Je garde son visage ancré dans ma mémoire. "Buen camino".

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Hospital

Pluie infinie

O Cebreiro et Hospital. C'est une journée pluvieuse qui commence aujourd'hui. Depuis le dortoir, j'entends la pluie qui se déverse sur les terres. De manière cinglante, elle claque le carreau de la fenêtre encastrée et réveille les pèlerins endormis. Enfilant bien vite le pantalon de marche et la veste de pluie, je quitte l'auberge le cœur heureux, "la manita de moncho" précieusement conservée dans mes affaires.

Passant les premiers villages-étapes, je m'accorde un "cafe con leche" en compagnie de Chabi, Barcelonais (alias Javier), et de Shahun, Japonais (alias Paco de Japón). Le temps est à la plaisanterie et je repars pleine d'énergie, mentalement préparée pour la fulgurante ascension jusqu'au sommet menant au village d'O Cebreiro. À pas mesurés, je dépasse d'abord Vega de Valcarce, Ruitelàn, Las Herrerías, La Faba et enfin La Laguna. Le dénivelé positif échauffe les muscles tandis que le sac pèse lourdement sur les hanches. Progressant dans les sous-bois humides, je me réfugie pour éviter les pluies éparses. Parvenue à 1300 mètres d'altitude, de gros nuages sombres menacent d'éclater d'une minute à l'autre. Désormais en compagnie de Béatrice, Française, nous suivons le chemin à flanc de montagne bordé de prés fleuris. Au détour d'un bosquet, accompagné d'un chien de garde à l'affût, un troupeau de vaches se dressent fièrement dans le paysage spectaculaire. Parées d'une robe froment, les blondes de Galice indiquent que nous venons de quitter Castille-León. Peu à peu, l'élévation est telle que nous dépassons les nuages. Épais brouillard, le corps se rafraîchit et frissonne de froid alors même que de chaudes perles de sueur dégoulinent dans le bas du dos.

Arrivée à O Cebreiro, j'aperçois l'entrée chaleureuse d'un bar-restaurant. Le ventre vide et la faim criant après 19 kilomètres, je pénètre dans l'habitacle et retrouve mes amis Ben - Philippin, et Micha - Allemand originaire de Berlin, tous deux assis à une table. La joie de les retrouver est un plaisir indubitable et je les rejoins pour déguster la très traditionnelle soupe galicienne : "el caldo gallego". Les membres gelés, le liquide chaud coule goulument dans la gorge et me redonne des forces. Moment convivial partagé, je profite de cet instant authentique pour me reposer. Telle une véritable auberge espagnole, voilà que les tornades Shahun et Ana - Allemande, débarquent pour se restaurer alors même que je prends mes bâtons pour parcourir les 6 kilomètres restants.

Seule, je repars sous la pluie battante avec une énergie débordante qui contraste d'ailleurs avec la morosité de la journée. Le regard perdu dans le lointain, j'observe la brume épaisse qui laisse parfois apparaître les collines avoisinantes. Mystérieusement, les nuages m'offrent quelques éclaircies qui dévoilent les flancs montagneux. À travers le rideau gris, de petits villages de pierre sont perceptibles à l'horizon tandis que les profondeurs des vallées semblent obscures et impénétrables.

Au fil des sentiers boisées, j'apprécie la protection des denses forêts qui regorgent de plantes verdoyantes, la pluie nourrissant allègrement les terres et leurs racines avides d'eau. Fougères, ronces, genêts, mousse, bouleaux et pins célèbrent la fraîcheur et l'humidité ambiantes. Le sourire aux lèvres, je m'énivre des senteurs pluviales que la nature répand alors même que les rafales de vent m'emportent brusquement vers l'arrière, la veste trempée collée à la peau. Soudain, un cycliste déboule et m'effraie, un certain jeune homme de Valence qui met pied à terre afin de monter la rude pente. Déboussolé du temps et du fort dénivelé, je l'encourage à repartir, "venga, venga, un poco de positividad!".

Enjouée, la pluie ne me paraît finalement pas si terrible et la mélodie entraînante du "soleil sous les tropiques" résonnent dans mes oreilles, notes musicales qui m'emportent en un rien de temps au prochain village. La pluie me lave du stress et de la pression sociétale, elle fait renaître des pensées paisibles et sereines. Aujourd'hui, à 1330 mètres d'altitude, la tête dans les nuages, le corps trempé et les jambes fatiguées, plus que jamais j'aspire aux rencontres et à la solidarité, l'esprit clair et tranquille, le cœur aimant et empli de gratitude.

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Triacastela. Au départ de cette journée, 6 degrés au thermomètre après une nuit passée sous un drap simple et ma serviette de bain en guise de couverture. Les yeux encore ensommeillés, je me force à manger quelques tartines avant de partir dans le froid, un tee-shirt et une veste de pluie sur le dos. La montagne obscure s'éveille et les nuages obstruent la vue et les chemins de terre. À voir au fil des sentiers, seul le balisage jaune est visible, lequel informe du kilométrage restant jusqu'à Saint-Jacques de Compostelle. Décidant de prendre une variante complémentaire, je me retrouve totalement seule dans la nature sauvage et sombre. Les kilomètres passent peu à peu alors même que mes chaussures et mon pantalon deviennent trempés.

Progressant tant bien que mal, je pousse mes bâtons de marche vers l'avant afin de faire tomber les gouttes de rosée qui tiennent en suspend sur les herbes hautes : une manoeuvre tout à fait ridicule et peu concluante, j'en conviens. La brume tombe et refroidit le haut du corps tandis que mes jambes peinent à avancer. Une fois franchi le col, je quitte le sentier et cours me réfugier dans la première demeure venue : un hôtel 4 étoiles. Boueuse et mouillée, je pénètre dans l'édifice moderne et propre et demande poliment leur accueil. "Pourriez-vous me fournir quelques feuilles de papier de journal pour éponger mes chaussures, por favor?". Sur le champs, une jeune femme m'invite à entrer et m'offre le nécessaire. Après un changement de chaussettes, c'est reparti pour les 15 kilomètres restants.

Une fois passé le col à 1330 mètres d'altitude, la descente débute et je retrouve un peu de moral. Les nuages sont particulièrement épais et ne découvriront nullement le paysage montagneux jusqu'à parvenir à une altitude plus basse. À mi-chemin vers le village de Triacastela, le soleil traverse soudain la brume et illumine la vallée verdoyante.

Au loin, les nuages jouent et dansent autour des sommets les plus élevés. Sur le chemin, plusieurs troupeaux de vaches broutent dans les prés humides. Leur pelage est splendide et lisse, leurs cornes sont grandes et fières, leurs cloches émettent des sons clinquants qui résonnent harmonieusement dans la nature environnante. Joyaux de la montagne à la fois rayonnante et tumultueuse, je les observe avec attention et hume les odeurs familières de la ferme. Au passage de chaque troupeau, d'impressionnants chiens de garde sont tenus en laisse, les oreilles levées et l'œil vif, leur pelage flamboyant prend des nuances ocre, orangé, caramel et doré. La Galice est brute, son paysage est pur, ses produits locaux sont une merveille qui éveille les papilles.

Peu avant l'arrivée, je traverse des sous-bois bordés d'anciens murs de corps de ferme. Massifs pierreux imposants, la nature seule semble encore les faire tenir debout. À travers le bois creux et les pierres en équilibre, les buissons et les arbres grandissent et maintiennent les structures antiques. D'un entrelac fabuleux, les lianes de lierre se répandent et enveloppent les restes de vie.

Attention, ce soir, c'est l'attraction du village. Rendez-vous à 19h sur le parvis de l'église pour un concert de musique galicienne : apparemment classée en quatre styles selon leur origine, le DJ de la soirée entraînera les quelques habitants et les pèlerins à se déhancher sur du alalá, cantar de bois, muiñeira et pasacorredoiras. Entre le bombo (grosse caisse), les tambours divers et variés et les gaitas (cornemuse de la région), les notes musicales s'élèvent et résonnent dans les rues étroites, créant un moment de chaleur et de convivialité dans le froid ambiant. Quelle aubaine !

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Sarria. La journée commence lentement au lever du soleil. Quittant la rue principale du village, je retrouve bien vite mon ami Roberto, de Barcelone. Alors même que les rayons du soleil percent de temps à autre les nuages gris, la pluie semble ne pas être de la partie ce matin, quelle chance. D'une allure régulière, nous avançons côte à côte, la discussion évoquant la passion artistique que nous partageons tous deux. Roberto, éducateur spécialisé, est l'image même de la gentillesse et de la solidarité. Le visage tranquille, le caractère doux et posé, il fait toujours preuve d'une patience sans faille et c'est un plaisir de pouvoir partager une étape du Camino à ses côtés. En pleine prairie galicienne, nous progressons dans la campagne fleurie et nous enfonçons peu à peu dans les ténèbres des forêts enchantés. Les flèches jaunes nous mènent vers des sentiers couverts qui suivent nonchalamment le dessin irrégulier de la rivière. Creusant un fin sillon dans la profonde vallée, l'eau s'écoule rapidement et son clapotis résonne magnifiquement dans l'antre naturelle. De toute part, grandioses et presque imaginaires, les arbres s'imposent tout au long du chemin. Géants aux troncs massifs et biscornus, leur feuillage verdoyant est dense et recouvre les passages caillouteux. Les kilomètres s'enchaînent, les collines se multiplient et Roberto me conte les histoires de "brujas" lues aux jeunes enfants de la région.

Plus tard dans la matinée, nous parvenons au petit village de Samos où se trouve un important monastère arborant des espaces divers construits au fur et à mesure des siècles. Véritable joyaux de la vallée, l'édifice se dresse majestueusement à l'horizon et possède une architecture préromane. Après un terrible incendie en 1951, seules la sacristie et l'église austère furent sauvées et restent d'origine. S'est ensuivit une laborieuse reconstruction des bâtiments, notamment grâce à l'aide financière des politiciens du gouvernement espagnol. D'une architecture distincte, deux patios intérieurs très larges divisent et délimitent les quartiers habitables. Possédant des jardins fleuris et des fontaines bien entretenues, l'atmosphère y est paisible et calme. Selon les dires de notre guide, des retraites méditatives sont possibles pendant lesquelles les convalescents habitent les chambres du premier étage. Par ailleurs, le second étage est dédié aux moines vivant dans le monastère.

La pluie battant les carreaux de l'auberge, la visite du village se voit écourtée et nous nous retrouvons pour passer une soirée conviviale. Écossais, américains, espagnols, les discussions fusent tandis que les averses perdurent et deviennent interminables.

Au centre de la table, les plats sont multiples et partagés. Malgré la fatigue de chacun, les rires sont emplis de douceur et de joie. L'échange passe d'une langue à une autre et l'entrain est de mise pour la fameuse et primordiale "sobremesa" des espagnols, laquelle consiste à ne pas débarrasser le couvert tant que la discussion se poursuit.

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Portomarín. C'est avec difficulté que je me réveille ce matin, le corps se traîne, les muscles sont douloureux, l'esprit est encore embué par le sommeil trop court. Après s'être habillé dans le noir, le dortoir se lève et chacun de nous constate avec bonheur que la pluie est passée. À la sortie de l'auberge, je quitte bien vite le village de Sarría et me retrouve dans des sentiers étroits bordés de chênes d'antan. Le brouillard est d'une épaisseur telle qu'il me coûte de voir à plus de dix mètres. De ma bouche sortent des volutes de vapeur dues aux températures particulièrement basses. La forêt peuplant les collines est muette et je suis bien silencieuse. Au fur et à mesure de mon avancée, les longs couloirs naturels s'allongent infiniment, la brume sinistre et grise empêche à l'œil de percevoir leur éventuelle fin. Aujourd'hui, le paysage matinal est morose et la froideur ambiante ankylose les membres de manière désagréable.

Dix kilomètres parcourus en solitaire et je décide de m'octroyer un americano bien dosé pour éveiller l'esprit encore endormi. À l'orée d'une forêt, je m'installe sur la terrasse ouverte d'un café improvisé où je retrouve mon ami Carlos, aimable espagnol de Bilbao rencontré il y a bien des étapes. Bientôt, Elena nous rejoint, la mine défaite et la démarche lente. Partie de Saint-Jean Pied de Port, elle ressent le contrecoup inévitable des 700 kilomètres parcourus et encaisse la fatigue quotidienne. Plaçant de nouveau le sac sur le dos et prenant en main les bâtons de marche, nous reprenons le chemin et apercevons un balisage tout à fait symbolique sur le bas-côté : la barre des 100 kilomètres restants pour atteindre Saint-Jacques de Compostelle. Tout de suite, nos regards se croisent et un grand sourire illumine nos visages. Alors même que les étapes deviennent dures, notamment à cause des intempéries imprévisibles, les jours nous sont comptés. Côte à côte, nous progressons et discutons longuement tandis que les kilomètres défilent inexorablement.

Peu à peu, le brouillard se lève et laisse apparaître quelques rayons lumineux. Dans les profondeurs des vallées, nous traversons des villages traditionnelles, seulement constitués de quelques maisons parsemées ci et là. Au passage de l'une d'elle, Elena me montre du doigt une structure de pierres montée sur des colonnes. "¿Sabes lo que es?". Très curieuse, elle m'explique alors qu'il s'agit de "horreos", littéralement traduit par "séchoirs à grains" en français. Orientés intelligemment, ces silos antiques sont construits sur pilotis et possèdent des parois de briques placées de telle façon à laisser passer l'air.

Plus précisément, les greniers étaient utilisés pour stocker les graines et les céréales. Passant les villages, j'en observe alors près de chaque corps de ferme dans lesquelles les structures étaient orientées d'Est en Ouest de façon à coïncider avec l'axe pointant vers l'océan. Point histoire de la journée ! Avant tout, j'avance et tiens à tenir compagnie à ma chère Elena. Soutien moral incontestable, l'entraide et la solidarité sont des valeurs indubitables entre les pèlerins du Camino. La seule présence d'un.e ami.e peut permettre de créer une énergie commune réconfortante, laquelle mène à une détermination certaine. Toutes deux, "nos vamos subiendo y bajando las colinas del Camino". Jusqu'au bout, la convalescence en communauté réchauffe et lie les cœurs. Tous souhaitent et espèrent l'arrivée prochaine. Tous possèdent une motivation sans faille rendue possible grâce au partage quotidien et aux valeurs humaines.

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Palas de Rei. Avant toute chose, quoi de mieux qu'un énorme "pincho de tortilla" pour petit-déjeuner à mi-parcours ? Celle-ci faisait plus d'un kilo, sans aucun doute !

Aujourd'hui, la matinée est pluvieuse et les vêtements deviennent bien vite humides. Depuis Sarria, dans la province de Lugo, le nombre de pèlerins paraît avoir été multiplié par dix. Progressant par étapes depuis Burgos, nous flirtions seulement les 40 pèlerins tandis que les groupes d'adolescents et de religieux abondent et s'enchaînent à la fin du Camino. L'une des raisons principales de cette arrivée massive est notamment due à la barre des cents kilomètres qui permet d'ores et déjà d'obtenir le certificat de marche à Saint-Jacques de Compostelle, la soi-disant "compostela". Ainsi, les chemins me semblent blindés de monde. Autrefois en solitaire pendant des kilomètres, je me retrouve aujourd'hui parmi une marrée de pèlerins se dirigeant vers le même objectif. Les magnifiques paysages révèlent une nature verdoyante et vivante alors même que le fort brouhaha des marcheurs résonne de toute part. Ça et là, j'aperçois les déchets délaissés dans les fossés et sur les sentiers. N'avons-nous donc pas le devoir de respecter la nature en sillonnant le Camino ? Le cœur souillé, j'avance et rencontre parfois des visages connus. En contrepied des nouveaux arrivants, c'est un plaisir de pouvoir discuter avec les "mayores" que je connais depuis de nombreuses étapes. Ayant passé beaucoup de moments ensemble, le sourire est sincère et partagé alors même que les visages sont marqués par la fatigue accumulée. C'est comme si notre périple continuait jusqu'au bout, au coude à coude, quoiqu'il arrive.

En compagnie ou en solitaire, je parcours les 25 kilomètres et arrive finalement à l'heure pour le "menú del día", apercevant déjà Neil et Christine dans l'entrée de l'auberge. L'après-midi sera synonyme de sieste pour reposer le corps et l'esprit avant de finalement se balader au village à l'occasion de la "San Juan", la fameuse Saint-Jean qui détient une importance toute particulière dans la province. C'est traditionnel et c'est ainsi, nous dégusterons des sardines sous les terrasses abritées, les vestes polaires fermées à double tour !

Alors même que nous nous dirigeons vers la place de la mairie, "la Plaza Mayor", nous nous orientons par l'écho de la musique qui résonne au loin. Arrivés sur place, les bénévoles du village et alentours ont monté des dizaines de tables sur lesquelles les bouteilles de vin et les carafes d'eau ont été soigneusement placées. Alors même que le soleil se couche peu à peu, le vent se lève et arrachent les nappes de papier blanc qui résistent mollement grâce au poids des bouteilles positionnées. En face de la mairie, les bénévoles s'affairent autour de larges barbecues sur lesquels des sardines et des poitrines fraîches grillent gentiment. Les habitants et les pèlerins arrivent et s'agglutinent pour se tenir chaud tandis que s'élèvent de grands volutes de vapeur et de fumée blanche.

Enveloppés dans le nuage, les odeurs de poisson, de viande et de bois consumé se mêlent, c'est la véritable fête au village. Trois euros et chacun de nous reçoit une assiette remplie de deux sardines, de trois poitrines frâiches, de pain et de succulent fromage de la région. Les familles et les habitants sont nombreux et une queue se forme déjà devant le service organisé. L'ambiance est joviale et conviviale, des étoiles sont perceptibles dans les yeux de tout le monde. Avec faim, nous dévorons la nourriture debout, chacun côte à côte, les mains directement dans le plat, grasses et recouvertes de braise. Alors que le vin coule à flot, un petit monsieur bénévole vient s'assurer que nous en ayons suffisamment. À peine la bouteille finie qu'il revient les mains chargées pour nous rapporter le divin breuvage.

La tablée s'agrandit et la musique s'enflamme pour réchauffer les cœurs. Passant des classiques anglais jusqu'aux "Schläger" espagnols, les sonorités se mélangent et conquièrent la communauté endiablée. Alors tournent les musiques traditionnelles galiciennes et, après l'entrain de quelques personnes, tous se déchaînent tandis que les éclats de rire résonnent et les gorgées de vin descendent dans les estomacs. Partant d'une impulsion soudaine, tous se prennent par les épaules et défilent à la queue leu leu autour de la table emplie de montagnes d'assiettes souillées de graisse noircie. Il est 22h30 et la fête bat déjà son plein. Quelques gorgées supplémentaires sont bues, quelques sardines en rab sont mangées et, déjà, nous devons rentrés à l'auberge avant le couvre-feu...!

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Arzúa. Le compteur défile et n'affiche plus que 66 kilomètres ce matin. La fatigue est palpable pour tous les pèlerins ayant déjà entre 1600 et 500 kilomètres derrière eux. La Galice sévit et le temps ne s'améliore malheureusement pas. Après une courte nuit marquée par les échos de la fête sur la place du village, je prends le départ les jambes lourdes et les yeux cernés. Mais attention, aujourd'hui est un jour particulier puisque nous allons passer par Melide, ville connue pour ses inoubliables et délicieux poulpes préparés à la braise ou en marmite.

Qu'en est-il donc de ce poulpe, me direz-vous ? Avant de savourer le tendre poisson, il me faut déjà parcourir quinze kilomètres sous la pluie : le tant attendu et désiré plat doit se mériter sur le Camino. Traversant les longs couloirs verts bordés d'arbres puissants et massifs, les pèlerins se suivent à la queue leu leu. Tous portant les indispensables et magnifiques ponchos et vestes de pluie sur le dos, nous ressemblons à de petits pantins multicolores qui illuminent les sous-bois obscures et humides. Se mouvant au rythme d'une marche rapide, les tâches colorées surgissent et disparaissent, avancent et s'arrêtent, s'esclaffent puis se plaignent du maudit temps. Mon corps se réchauffe tant bien que mal avec l'effort mais mes membres tremblotent de froid au moindre coup de vent. Progressant aux côtés de Roberto, celui-ci m'indique le mot parfait pour décrire cette pluie fine et pourtant insupportable : "calabobos". Plus tard, il me précisera même ladite définition : "A la lluvia fina que parece que no moja pero sí lo hace se le llama, en algunas zonas de españa, calabobos" : merci Roberto pour tes explications avisées, ce sont sans nul doute des mots pratiques en Galice...

Quinze kilomètres franchis... POULPE. À 10h du matin, nous nous étions donnés rendez-vous à l'un des restaurants de la ville afin de le déguster. Trempée, j'entre dans la chaleur ambiante de l'habitacle mansardé et m'assoie autour de la table, tout sourire, en compagnie de mes acolytes. Quelques minutes suffisent pour que les plats fumants arrivent, le poisson chaud et réconfortant nourrit le corps et ravive l'énergie perdue pour les douze kilomètres restants. Une heure de pause déjà et nous devons reprendre la route. Le dénivelé est mirobolant : la Galice offre des paysages verdoyants imprenables mais ceci au prix d'efforts considérés ! Marchant avec mes amis Neil et Christine, nous gardons le rythme en maudissant les montées et les descentes : "and up... And down!!".

La pluie nous aura au moins laissés un moment de répit appréciable jusqu'à l'arrivée à la ville-étape. La journée se terminera par un repas commun avec Neil, Christine, Roberto, Elena, Adrian et David. Quel plaisir de passer ces moments ensemble, camarades du Camino, j'appréhende déjà le moment des aurevoirs.

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O Pedrouzo. Au départ ce matin, le brouillard immaculé recouvre les plaines luisantes des averses nocturnes. Les sentiers à couvert s'enchaînent et chaque pas est minutieusement calculé afin d'éviter les flaques formant un labyrinthe au sol. Les chaussures s'écrasent sur la terre gorgée d'eau et créent un bruit sonore humide dans la boue générée par les milliers de personnes foulant le chemin. La démarche tranquille, je progresse tandis qu'une pluie fine tombe et trempe mes bras nus, mais qu'importe, elle revigore. Aujourd'hui, le cœur est lourd et chargé d'émotions. Réunis pour un dîner communautaire entre amis pèlerins la veille au soir, l'ambiance fut joyeuse et conviviale mais la consternation devant l'arrivée prochaine était immense. Tout à fait émus par l'événement, nous échangeons sur les pensées volatiles et passagères du chemin. Philosophiquement, émotionnellement, mentalement, physiquement, le Camino a révélé ses aventures et ses moments les plus forts.

Marchant nonchalamment, mon regard est vide, l'avant dernière étape prend un goût amer désagréable et douloureux. Entre joie, peur, souffrance, pleurs, bonheur, fatigue et rires, l'ascenseur émotionnel a délivré à chacun son lot d'intensité indubitable. Alors même que Saint-Jacques se trouve au pas de notre porte, j'éprouve une terrible envie d'étirer le temps, de l'allonger éternellement afin que le chemin ne prenne jamais fin. La tête haute, j'aimerais continuer d'avancer main dans la main avec cette véritable famille du Camino, cette famille généreuse et solidaire, cette famille réconfortante et aimante.

Aujourd'hui, mes pas marchent seuls et mon esprit se trouve bien loin, perdu dans des pensées moroses et nostalgiques. Les larmes au bord des yeux, les paroles échangées la veille tournent en boucle dans ma tête, tel un disque rayé interminable. Mes tripes se serrent lorsque les souvenirs accumulés se projettent en flashbacks tandis que le paysage qui défile sous mes yeux ne semble plus exister. "El Camino es la vida", quelle merveilleuse métaphore de la vie David, jamais je n'oublierai ton regard pétillant de larmes et de sincérité lorsque ces mots sont sortis du plus profond de ton être. À jamais, j'aimerais fouler les sentiers du Camino pour sentir mon cœur battre, pour adorer et vivre la vraie vie, belle et terrible, amoureuse et tumultueuse.

Croisant le chemin d'Odile - française, je l'accompagne durant quelques kilomètres de son périple ayant débuté au Puy en Velay. Les discussions sont à l'heure de la mélancolie et du fameux après-Camino. Dans chaque village, les maisons de pierre sont anciennes et magnifiquement fleuries. Les séchoirs à grain en hauteur sont perceptibles dans l'herbe fraîchement tondue, douces odeurs pluviales enchanteresses. Le regard curieux, j'observe les jardins soigneusement cultivés où les pommes de terre arborent de belles fleurs blanches, où les haricots aux feuilles vertes courent le long des cordes colorées tendues en hauteur, où les grands maïs jaillissent fièrement de la terre noire. Tout au long des demeures s'alignent de splendides hortensias aux immenses fleurs colorées. Bleu, violet, blanc, ils explosent de senteurs et décorent joliment les entrées des maisons.

Alors que je foule les derniers sentiers de la journée sous une averse mélancolique, la borne des 20 kilomètres apparaît sous mes yeux terrifiés à l'idée d'arriver demain. Bordant le Camino, les plantations d'eucalyptus se multiplient et leurs feuilles longilignes embaument l'air de ses odeurs fraîches et familières. De leurs longs troncs à l'écorce changeante émergent un feuillage éparse qui s'envole au passage du vent froid. Senteurs abondantes dans les sentiers forestiers, leur grandeur spectaculaire m'émerveille et m'opprime à la fois.

Ce soir, je resterai avec mes camarades de voyage et nous partirons ensemble vers l'ultime étape du Camino, telle une horde d'acolytes inséparables. Nous franchirons cette dernière épreuve ensemble, au coude à coude, comme si nous nous connaissions depuis toujours. "La vida es un Camino".

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Aujourd'hui, c'est la dernière, l'ultime journée de marche pour atteindre la Cathédrale de Saint-Jacques. La veille au soir, les coeurs chaviraient encore d'une nostalgie mêlée à une excitation certaine : celle d'enfin toucher au but. Pendant le repas, chacun de nous a acquiescé le sourire aux lèvres. Oui, nous parcourrons les 20 derniers kilomètres ensemble. Après une courte nuit ponctuée de rêveries impatientes, le réveil sonne soudainement à mes oreilles à 5h40. Déjà, Neil et Christine sont prêts, le sac ajusté sur le dos, les bâtons de marche en mains. Rattroupant rapidement mes affaires, je lâche un bâillement des plus intenses et rejoins, toute endormie, mes amis au pas de la porte de l'auberge. Les yeux pétillants, nous partons alors ensemble tels de véritables scouts réunis en groupe solidaire. Marchant deux pas en arrière, mon esprit est chargé d'émotions et j'observe Neil, Christine, Adrian, Elena, Wendy et Roberto qui marchent joyeusement et à bon rythme en suivant les derniers mythiques balisages jaunes.

Au septième kilomètre, nous nous arrêtons au premier café logé derrière une petit église romane aux pierres de marbre. Profitant de ce premier arrêt indispensable, j'interpelle Roberto, lui offre mon plus beau sourire et lui propose de boire l'ultime "cafe con hielo" du chemin, autrement dit un bon café fort subitement refroidi par un célèbre morceau de glace. Après ce rafraîchissement, nous repartons presque main dans la main tandis que le paysage passe insensiblement sous mon regard attendri. La démarche rapide, les bâtons heurtant régulièrement le sol, j'ai la vive impression de courir pour enfin atteindre Santiago. Alors que le dénivelé s'accentue et se cumule au passage des villages, notre énergie de groupe se décuple et perdure. Les discussions vont bon train, les rires fusent et se perdent dans les airs. Les nombreux groupes de pèlerins alentours ne semblent plus nous importer, seule l'osmose de notre joie commune s'élève et triomphe fièrement. Bientôt, les chants d'Elena et de Wendy résonnent à tue-tête. Entraînées par les mélodies envoûtantes et rythmées des chansons espagnoles, c'est ensuite sous des airs anglais que s'unissent les voix pour chanter haut et fort : "And I will walk 500 miles"! Alors, les notes s'élancent dans la matinée naissante et se mêlent en une formidable harmonie empreinte de bonheur et d'amour. Les kilomètres passent tandis que les chants nous emportent et rythment la cadence de nos pas sûrs et déterminés.

L'engouement est de mise et nous arrivons déjà au mont, lequel offre une vue spectaculaire sur la Cathédrale. Le regard émerveillé, j'ai la vive impression d'en être proche mais pourtant si loin encore. Véritable ascenseur émotionnel, le temps s'étire alors qu'il reste cinq kilomètres à parcourir jusqu'à passer le célèbre arc ouvrant sur la Plaza de Obradoiro. Entamant la descente sous un soleil timide, nous pénétrons dans l'enceinte citadine arborant d'étroites ruelles bordées d'anciennes bâtisses. Tandis que l'écho des chants d'encouragement des collégiens et des lycéens se font bruyamment entendre, le balisage se poursuit, indiquant de petites flèches jaunes tout le long du chemin. Comme survolant la scène, je progresse en suivant presque instinctivement mon groupe d'amis. Dans les dédalles interminables, les pèlerins affluent et un fort brouhaha couvre le bruit des foulées.

L'esprit oppressé par tant d'affluence, je me sens au-dessus de tout. Au-dessus de mon corps, des gens qui m'entourent, du temps qui passe insensiblement. Mes pensées s'envolent et foulent des ailleurs inconnus, comme hypnotisées par la foule mouvante qui se dirige vers le centre-ville. Cet entrain dynamique et commun à tous, il m'emporte jusqu'à la place tandis que les cloches de la Cathédrale sonnent 11h45. Fortes, puissantes, cinglantes, elles marquent notre arrivée sous l'arc majestueux. Là, à mes pieds, la Cathédrale immense et imposante se dévoile sous mes yeux. Le souffle coupé, l'émotion est à son comble et m'envahit de toute part, plus rien ne semble exister alors. Le regard perdu dans les hauteurs, j'observe les innombrables tours qui pointent leurs croix de pierre dans le ciel. Tel le cadeau du chemin, tel un joyau divin, la formidable architecture révèle tout son sens et sa précieuse symbolique.

Les cloches, elles sonnent encore plus fort, elles résonnent dans mes oreilles sans interruption aucune, là, plantée au milieu de tous ces pèlerins. Telle une harmonieuse mélodie millénaire, tel l'antique appel à la prière, les coups répétés surplombent la ville et avertissent les croyants de la messe prochaine. Les fortes pulsations de mon coeur se mêlent alors aux tintements réguliers du bronze, provoquant une vague émotionnelle d'une intensité incomparable. Le temps perd sa mesure, il s'étire d'un coup d'un seul alors que les coups des cloches se succèdent, rendant le moment unique et solennel. Alors, chaudes et émouvantes, les embrassades rassemblent les pèlerins. Tandis que les rayons du soleil traversent les nuages, chacun profite de l'instant présent à sa manière. Les accolades sont longues et renvoient le reflet d'émotions chaleureuses et sincères.

Le visage enfoui au creux d'une épaule, les yeux mouillés d'une intensité émotionnelle sans pareille, je savoure la puissance de cette arrivée grande et sublime, laquelle marque l'aboutissement d'un périple alliant un ensemble d'expériences formatrices, enrichissantes et inoubliables. Pourtant, tout au fond de mon être, j'ai l'infime sentiment que ce chemin n'est pas terminé, qu'il sera encore long et tumultueux. J'accueille alors cette arrivée tant attendue comme un ultime commencement, le début d'un nouveau "camino de vida".

Le sac à dos toujours sur les épaules, des dizaines de minutes passent sans que je puisse aligner une phrase. Chacun se félicite joyeusement. Des larmes luisantes coulent sur les joues de certains de mes amis tandis que d'autres visages resplendissent d'un sourire éternel. Comme hypnotisée, je reste statique, le regard rivé vers l'incroyable édifice. Le soleil brille soudainement, il transperce les nuages et illumine la place aux silhouettes heureuses et dansantes. Doucement, il caresse agréablement la peau de mon visage émerveillé. Comme par enchantement, je sens les pulsions de mon coeur battre à mille à l'heure, les yeux brillants, le coeur serré. Après un moment de solitude, un moment rien que pour moi comme figé dans le temps, les sons parviennent de nouveau à mes oreilles. Autour de moi, la place est emplie de pèlerins qui arrivent agglutinés, joyeux et chantant. Les sacs sur le dos, les bâtons délaissés à terre, les accolades d'amour et de tendresse révèlent un moment unique et fort. Des larmes sont versées, des baisers intenses sont échangés. Souvent, les pèlerins arrivent ensemble, unis main dans la main. Parfois, les arrivées se font en solitaire, pensives et méditatives. Naturellement, toutes les âmes se retrouvent au même endroit, sur la même place, le coeur chavirant de bonheur. Les retrouvailles avec les esprits déjà rencontrés sur le chemin sont grandioses et symboliques. En somme, faisant face à la Cathédrale, la place est vivante d'une humanité incomparable, elle renvoie le reflet d'une entente communautaire parfaite. Chaque pèlerin part avec un objectif différent et chacun vit sa version propre du périple ponctué d'épreuves successives. Tel un véritable ascenseur émotionnel, sans aucun doute aimerais-je qualifier le chemin de montagnes russes. Quelle incroyable expérience vitale.

Après cette arrivée haute en couleur, le tintement des cloches cesse et nous nous dirigeons vers les portes d'un restaurant afin de déguster, ensemble, un dernier menu dans la merveilleuse ville. A l'intérieur de l'auberge grouillante de monde, nous nous installons à deux tables. Tandis que les serveurs dansent autour des clients, les plateaux chargés de nourriture fumante dans les mains, les brouhahas fusent et ne s'arrêtent à aucun instant. Les visages bouffis de chaleur, de bonheur et de vin rouge se comptent par dizaines.

Ci et là, les hautes voix tentent désespérément de briser le brouhaha ambiant. L'atmosphère est bruyante et joyeuse. Telle une valse interminable et transpirante, les serveurs se suivent et apportent des plateaux aux odeurs enivrantes. Alors, des plâtrées réconfortantes sont servies. Les couverts saisis, les premières bouchées sont goulûment englouties. Les estomacs peu à peu remplis, les assiettes vides reluisent de graisse et les épaisses tranches de pain servies à profusion imprègnent allègrement les restes ensaucés. Les bouches pleines, souriantes et brillantes, le vin coule à flot et fait glisser dans les gosiers le pain encore coincé entre les dents. Une incroyable et mémorable boustifaille !

Les estomacs repus, notre chère Sandra arrive à son tour sur la place. Souriante et énergique, je l'accompagne chercher la symbolique Compostela au bureau de Santiago. Après une balade nonchalante dans les ruelles ensoleillées, nous parvenons au Seminario Menor sur les coups de 17h30, l'incroyable couvent où nous passerons la nuit avec Elena, Neil et Christine. Mes affaires seulement déposées dans le dortoir, je dois déjà reprendre ma route vers le centre afin de visiter l'emblématique et antique porte Ouest de la Cathédrale : "el Portico". Ensuite, nous nous rendons dans l'antre spectaculaire aux colonnes de marbre imposantes afin d'assister à la messe de 19h30. La grandeur de l'édifice impressionne et tranquillise les esprits par son caractère paisible et sacré.

Alors que le prêtre prêche en levant ses mains en hauteur, les doux chants du choeur s'élèvent dans l'édifice. Les voix fluettes emplissent les airs et embaument les cœurs. De leurs voix d'anges sublimes et envoûtantes, les notes enchanteresses résonnent sous les voûtes de pierres et créent une harmonie musicale singulière. Têtes baissées, les croyants sont nombreux et se multiplient dans les allées de bancs de bois. Le regard intrigue, leur foi m'impressionne considérablement. Chaque personne se lève et s'assied à l'écoute des paroles du prêtre. Au fil des prières, leurs lèvres remuent insensiblement au rythme des mots prononcés. La Cathédrale est emplie de pèlerins assis, accoudés, appuyés contre les imposantes colonnes blanches tandis que d'autres stationnent debout dans les longs couloirs.

Enfin, ultime récompense de cette journée forte en émotions, nous nous offrons un dîner-tapas tous ensemble. Ce qui restera sans doute le moment le plus spectaculaire de la soirée n'est autre que la Tuna de Porto Rico ! En solitaire, les yeux fatigués et cernés par le périple, je profite des élans musicaux qui s'envolent dans les airs. Mon corps se balance nonchalamment au rythme des accords enjoués des guitares et la scène me semble presque irréelle.

Chantonnant joyeusement, les artistes jouent de leur instrument de manière infatigable. À l'abri des arcades de pierre, l'écho se propage et se déploie merveilleusement dans les rues du "casco antiguo". Danses, éclats de rires, tambours, guitares et flûtes se mêlent et forment des mélodies énivrantes aux airs entraînants d'Amérique latine. L'instant est fort, intense et puissant, il se transforme en une symphonie inoubliable. L'esprit léger et volatile, les notes de musique pulsent dans mon corps tout entier. Divinement, elles libèrent l'âme alors même que la fatigue endort peu à peu mes yeux exténués de tant d'images merveilleuses. Prenant le chemin du Seminario Menor, je déambule d'une démarche lente et heureuse dans les rues illuminées de la ville. Un bonheur pur envahit mes pensées, c'est un sentiment d'une douceur infinie. Enfin enveloppée dans les draps blancs, je tombe dans un sommeil profond empli de rêves embellis.

25

Ce matin, je me réveille dans de beaux draps blancs vers 8h. Le dortoir à moitié plein, j'entrevois les rayons du soleil à travers les volets entrouverts. Au loin, j'entends le doux chant des oiseaux voltigeant dans la cours du Seminario. Frottant mes yeux encore endormis, j'enfile des vêtements frais - autrement dit l'une des deux uniques tenues emportées dans mon sac à dos. Pour commencer cette nouvelle journée à Saint-Jacques de Compostelle, nous nous sommes donnés rendez-vous à 10h pour déguster "los inevitables churros con chocolate" ! Un à un, nous arrivons au meeting point et, bientôt, la table logée dans le coin de la boulangerie-pâtisserie ne suffit plus. Formant des tablées bruyantes et souriantes, tout le monde est présent : les américains, Ben, Elena, Roberto, Adrian, Neil, Christine, Juan Carlos et "el italiano". L'appétit ouvert, les copieux paniers de churros font leur arrivée accompagnés de tasses remplies de chocolat coulant et fumant. Un délice sucré sans pareil réveillant merveilleusement les papilles. Les visages embués par le sommeil, cette dernière matinée nous offre un moment convivial de partage avant les aurevoirs qui se rapprochent toujours un peu plus des lèvres balbutiantes.

Le ventre plein, nous quittons la salle parfumée de viennoiseries et nous dirigeons vers le parc voisin. Marchant d'une lenteur extrême et se délectant de la brise estivale, nous apprécions la vue imprenable sur la Cathédrale. Suivant les allées ombragées bordées d'arbrisseaux, les parterres colorés se dévoilent sous nos yeux et embaument l'air de douces senteurs florales. Ci et là, assis entre les buissons fraîchement taillés, des ouvriers s'occupent d'entretenir les espaces verts. Les longs pantalons, les manches longues et les têtes baissées, leurs couvre-chefs les protègent d'un soleil montant qui devient de plus en plus ardent. Alors, côte à côte avec mon cher ami Ben, nous divaguons au fil des sentiers de sable argenté. Autour des valeurs de solidarité et de partage, les discussions fleurissent philosophiquement et accueillent chaleureusement l'éclat de bonheur dans nos regards attendris. Tranquille et vaillant, Ben respire d'une paix certaine. Son sourire est magnifique et solaire, le chemin de sa vie est dédié à aider son prochain. D'une douceur absolue, son attitude révèle une positivité communicative qui semble emplir les airs d'une énergie électrique réconfortante. Doué d'une gentillesse infinie, son état d'esprit illustre une métaphore de la vie ancrée dans sa croyance religieuse sans faille. Sa foi est forte et inébranlable, sa mission sur Terre est définie. Tandis que nos paroles s'enchaînent naturellement et mélodieusement, sa vision navigue et atteint mon coeur d'un impact transcendant et révélateur. En somme, un "Gespräch" que je ne saurais oublié.

Avec cette promenade langoureuse, nous parvenons à la place de la Cathédrale où le hasard de mes pas m'emporte vers de belles rencontres improbables. Au loin, j'aperçois Grégoire, d'origine africaine, qui s'élance vers moi le sourire aux lèvres. Quelques minutes suffisent pour que je capte l'étincelle de son regard inoubliable. Quelques phrases échangées suffisent pour que je distingue l'importance de ses mots à cet instant précis. Sans aucun doute, les émotions s'envolent jusqu'à devenir amplifiées par le caractère sacré du lieu qui nous entoure. Alors que je salue l'homme qui se détourne pour continuer sa route, je rejoins Ben, Roberto, Adrian et Elena afin de visiter le "parador". Ancien hôpital royal fondé en 1499, l'édifice se trouve sur la "Plaza do Obradoiro" et hébergeait les pèlerins en route vers Saint-Jacques. Considéré comme le plus vieil hôtel du monde, de beaux cloîtres enjolivent les espaces intérieurs aux murs épais. Sillonnant dans les dédalles aux ombres dansantes, les patios enchanteurs se succèdent et dévoilent une architecture stupéfiante. Une tranquillité incomparable imprègne les lieux et émet des ondes douées d'une faculté purgatrice sans pareille.

Au sortir du bâtiment, j'aperçois la souriante Dorothea sur la place centrale, une allemande au coeur tendre et généreux. En sa compagnie, musicienne de flûte traversière, la belle française Laurence affiche fière allure et divulgue son énergie débordante. Tandis que nous échangeons, j'apprends soudain l'existence de l'Accueil français à Saint-Jacques, basé à deux pas du bureau de la Compostela. Concours de circonstances résultant d'un hasard de rencontres cumulées, je me dirige vers l'édifice en question et aperçois justement les volontaires en train de se restaurer dans la rue. Pleine d'un entrain et d'une sociabilité imperturbables, je les apostrophe sans plus attendre en leur arborant mon plus beau sourire. Immédiatement, la tablée entière relève la tête des assiettes et m'invite chaleureusement, les mains levées au ciel en signe d'accueil. Ni une ni deux et l'un d'eux me dégotte une chaise, l'homme tentant de se dépatouiller avec la serveuse à l'aide de ses quelques mots de vocabulaire en langue espagnole. Vifs et intéressés, les volontaires forment un groupe rieur, aidant et sympathique.

Tandis que les grands verres de vin sont portés aux lèvres luisantes de nourriture alléchante, les discussions sont riches et multiplient les rires gras des gorges déployées. Les estomacs criant famine, nous nous empiffrons tous d'un énième menu du pèlerin en cantonnant les chants du "camino" à tue-tête. Alors que la tablée s'agrandit, les visages sont marqués par le soleil brûlant et deviennent encore plus bouffis par les bouteilles de vin cumulées. Tous emportés par l'énergie groupale, la nourriture - délicieuse et fondante - glisse dans les gosiers en des hoquets de satisfaction totale. Les "Pimientos del padron" constituent nos entrées, les lasagnes faites maison suivent en plat principal et l'incontournable "Tarta de Santiago" fait sa star en dessert. En somme, cet ultime menu se présente à moi de manière bien inattendue mais réchauffe mon coeur d'une vague de chaleur agréable et conviviale. Bientôt, le moment de partage touche à sa fin au vu des bouteilles de vin qui se vident peu à peu. Chers pèlerins, puis-je parler des bons vivants du "Camino" sans vous offenser ? Sans aucun doute.

Il est 16h30 : le temps court et semble diminuer d'une rapidité déconcertante. Tentant de remonter la rue à contre-courant, l'estomac lourd des victuailles englouties, je me dirige vers un café afin de revoir Neil et Christine avant leur départ qui approche à grands pas. Déjà, une terrible émotion m'envahit, m'enveloppe et m'étrangle. L'intensité est forte et pourtant, elle reste là, blottie silencieusement au creux de mes reins tandis que de chaudes larmes mouillent mes yeux émotionnés.

Il est 18h00 : le temps passe à une allure folle, j'aimerais tant la contrôler et retarder ces poingants aurevoirs. En face de la Cathédrale, couchée en véritable étoile, mon regard s'élève vers le ciel aux nuages changeants. Etonnamment, mes pensées paraissent vides alors même qu'un sourire béat cristallise mes lèvres. Paix et néant, sans doute ressens-je du bonheur à l'état pur caractérisé par une simplicité extrême. En cet instant symbolique, les bruits alentours semblent s'éloigner de mon être et se transforment en un mince brouhaha insensible. Comme éprise par cette méditation silencieuse, j'observe les élans d'amour, de fierté et de tendresse. D'un sursaut de vive excitation et de joie suprême, enfin, j'entrevois Corinne et Gilles aux pieds de la Cathédrale.

Mon âme chavire de les revoir. Leur exploit m'épate, m'émerveille, m'enchante et m'inspire : à l'instar de Brigitte et Didier, plus de 1 700 kilomètres de marche depuis le Puy en Velay en Auvergne jusqu'à Saint-Jacques de Compostelle. Quelle randonnée hors normes ! Embrassades faites, nous nous promenons au bon vouloir du labyrinthe de ruelles du centre historique. Les ombres virevoltent et éclairent nos visages heureux d'un mince voile d'amitié confectionné au fil des jours. Les rires se succèdent alors que nos regards pétillants se croisent et appréhendent déjà le goût amer des aurevoirs qui se rapprochent inexorablement. D'abord autour d'une bière méritée, nos voix s'élèvent et sont teintées d'une nostalgie presque palpable. Nos dernières courses, nous les réalisons dans la superette du coin : légumes et fruits combleront nos papilles ce soir. Presque bras dessus, bras dessous, nous parvenons à l'imposant Seminario Menor. Enjoués et pleins d'une énergie vive - comme celle que l'on ressent avant de quitter l'être cher, nous passons un moment merveilleux attablés tous trois dans le vaste "comedor" de l'édifice. Alors que je sens d'ores et déjà mon coeur se serrer, les paroles échangées sont empreintes de rêves et de voyages adorés. Sous des anecdotes chevaleresques, des envies d'ailleurs et des souvenirs protégés éclosent et pourtant, quel bien-être de vivre l'instant présent à leurs côtés.

Le dîner se termine et je sais pertinemment que les aurevoirs sont juste là, sous mon nez, brutaux et émouvants. Les minutes passent - tic-tac, tic-tac, et je ne veux pas quitter la chaise sur laquelle je suis assise. Non, j'aimerais tant rester, profiter encore quelques instants, apprécier leur gentillesse sincère et les attendre au petit matin sur le chemin balisé, l'oeil à l'affût et le sourire béat. La gorge serrée, je les regarde d'une tendresse infinie, les yeux au bord des larmes. Lucie, chacun poursuit son chemin, son véritable "Camino de la vida", mais ce n'est qu'un au revoir. Emue, mon regard attendri leur transmet des mots qui ne s'expriment pas. Des mots de gratitude, de tendresse et d'amitié profonde. Tels mes parents du "Camino", leurs visages sont ancrés dans mes souvenirs les plus beaux, les plus vrais et les plus authentiques. Tels mes anges protecteurs, à chaque étape passée je leur ai donné ma confiance réelle et fidèle dans l'espoir silencieux de recroiser leur chemin. Emue, le regard de Corinne reflète des yeux qui brillent d'une intensité certaine. D'une faiblesse larmoyante, je leur adresse un dernier sourire et passe le pas de la porte. Seule dehors, mon coeur est lourd d'une émotion décuplée. Seule dans le noir, je marche d'une allure claudicante. Seule dans la ville, je laisse couler les larmes d'amitié et me réconforte dans le souvenir de leur couple rayonnant.

Ensuite, telle une véritable course nocturne dans les dédalles citadins sombres, je parviens rapidement au centre pour retrouver mes autres amis attablés au bar. Nous débarquons alors sur la place de la Cathédrale, précisément sous les arcades du bâtiment "Pazo de Raxoi". Abritée sous ce majestueux palais de style néoclassique français, où se trouve le siège du conseil municipal, la Tuna espagnole resplendit de ses costumes traditionnels rougeoyants. Entraînant les corps avec ses mélodies endiablées, nous tanguons au rythme des notes musicales enjouées. Dandinant des hanches, tournant sur nous-mêmes et souriant sans fatigue aucune, nous vivons nos derniers instants comme des scouts qui ne veulent pas rentrer chez leurs parents. Les secondes défilent, les minutes passent et les heures s'enchaînent sans que nous puissions nous décider à partir.

Bientôt, nous nous éloignons de la Tuna déchaînée pour nous diriger vers le portique de Santa Ana. Adrian, homme d'une douceur et d'une gentillesse sans pareilles, nous accompagne et nous conte l'antique légende du pèlerin de Saint-Jacques : "la Sombra del Peregrino". Cachée dans un coin de la place, sous la Tour de l'horloge et à côté de la Porte royale, l'Ombre du pèlerin apparaît chaque nuit. Alors que nous progressons sur la place, Adrian met en alerte tous nos sens pour trouver le pèlerin désespéré d'attendre sa belle enfermée dans le couvent. Sortant de nulle part, la silhouette d'un marcheur médiéval, avec son chapeau et son bâton, se dévoile soudain sous nos yeux. Magie nocturne et émotion ensorcelée, l'explication semble pourtant bien simple : il s'agit en fait d'un lampadaire, d'une colonne de granit et d'un caprice de chinoiserie créé par la lumière de l'éclairage public dans un magistral jeu de hasard. Artifice. L'anecdote retarde le moments des aurevoirs déchirants.

Bien triste, je prends Ben dans mes bras puis le regarde s'éloigne doucement dans la nuit noire. Fluette et tranquille, sa silhouette disparaît dans la lumière des réverbères. Dans le creux de ma main, je sers fort la coquille symbolique qu'il vient de me confier. Quelques instants plus tard, je me réfugie dans les bras d'Adrian, cher ami au coeur sensible et sincère. Le son des cloches ne semble plus parvenir à mes oreilles, le temps a l'air de s'être momentanément arrêté tandis que des regards affectueux sont échangés, telles des vagues chaleureuses emplies d'amour et de tendresse. C'est ainsi que nos chemins se séparent, chacun marchant dans une direction opposée dans les ruelles silencieuses de cette ville endormie. La tête vide, je ne pense plus qu'à cet instant presque palpable, d'une émotion si forte et réelle qu'elle est ancrée dans ma mémoire à jamais. A quand nos prochaines retrouvailles sur le "Camino de la vida", mes chers amis pèlerins ?

26

Journée en solitaire, émotions éphémères, c'est un départ pas comme les autres ce matin. Après une courte nuit passée sous le signe des aurevoirs, la délicieuse tarte de Santiago prend un goût amer au petit-déjeuner. Le sac bouclé, les yeux encore endormis, je me dirige vers la gare de Saint-Jacques de Compostelle : aujourd'hui, je m'en vais aux confins de l'océan, prendre le large et respirer l'air marin, la belle ville côtière de Muxía m'attend.

Après cinq cents kilomètres parcourus à l'aide de mes jambes, le trajet en bus me paraît être insupportable. À peine le temps de réaliser que des centaines de paysages défilent inexorablement. Arrivée tardive à Muxía, je descends piètement du transport en commun et me dirige vers le port, les yeux ébahis devant le spectacle de l'océan. Émue et troublée, je retrouve par hasard deux amis avec qui j'échange quelques temps. Souriant et heureux, le couple de retraités allemands, originaire de Brême, fait preuve d'une gentillesse remarquable. Assise à leurs côtés, leurs regards pétillants de souvenirs et d'expériences me fascinent considérablement. Je voudrais m'exprimer avec entrain, je voudrais être amplement plus joyeuse, je voudrais leur sourire plus encore mais mon cœur est lourd d'émotions, incapable de manifester un bonheur parfait. Au fond de mon être, la terrible sensation d'un manque s'amplifie et devient tellement réelle qu'elle explose tristement. Nostalgiques déjà, mes pensées sont lointaines et se dédient entièrement au souvenir clair et aimant des amitiés laissées la veille au soir. Continuant mon chemin, chacun de nous aura le sien. Au détour des sentiers, partage et amour se sont unifiés et se voient désormais séparés. Mélancolie profonde et cruelle, quel est ce sentiment de vide incontrôlable qui empli mon être ? À quand vous reverrai-je ? Amies et amis du camino francés, dans mon âme une gratitude et une reconnaissance éternelles, quelle chance d'avoir croisé vos regards, quel échange enrichissant et inoubliable.

Longeant le sentier côtier, l'océan déverse ses vagues qui s'écrasent bruyamment sur les roches saillantes. La nature dévoile son immensité bleu bouleversante. Charnelles et dangereuses, les eaux aux reflets lumineux m'enchantent et me terrifient. Continuellement, leurs remous sont puissants et résonnent dans mon cœur battant. Au rythme des vagues, mon regard chavire et se perd tandis que mes jambes semblent ne plus vouloir avancer.

Les yeux brillants, je songe à chacune de ses personnalités marquantes qui, chacune à leur manière, m'ont données de leur temps et de leur tendresse. Océan mystérieux et ciel infini, l'étendue éternelle s'agite, s'enroule et se déverse jusqu'à me laisser le souffle coupé. Les kilomètres de l'après-midi s'enchaînent et ne semblent pas avoir de fin. Eau bleutée, forêts verdoyantes d'eucalyptus et douces collines estivales, je progresse difficilement, les sentiments déchaînés tel un véritable émoi apocalyptique.

27

Le dernier jour de marche de cette épopée mémorable, j'avale un café fort, prépare mon sac et prends une ultime fois les sentiers de Compostelle. De bonne heure, l'air marin embaume l'atmosphère. D'une fine pellicule, il provient de l'océan agité et vient recouvrir les plages, les collines et les villages alentours. D'une infime lueur grise, il donne un caractère morose au paysage et embrasse mes pas d'un baiser morose au gré du vent. La démarche sûre et énergique, je parcours les kilomètres, les pensées volatiles et projetées vers l'après-camino. Senteurs iodées, mon souffle est régulier, mes bâtons battent le sol en de courts intervalles, mon regard se perd dans les hauteurs des forêts d'eucalyptus. Au loin, le murmure des vagues résonne inlassablement. Ce matin, les remous sont forts et rapides, ils claquent violemment les parois rocheuses de la falaise. À l'infini, l'écho des retombées successives se fait entendre dans toute la vallée endormie. Dix kilomètres, les rayons du soleil semblent vouloir percer les nuages obscurs. Ci et là, je traverse des villages aux habitations sommaires et salue aimablement les quelques personnes âgées marchant d'un pas lent. Alors, des éclats illuminent mon visage et me libèrent d'une humeur mélancolique. Embellissant les forêts, les sentiers semblent prendre vie en affichant des ombres changeantes. Nuances dorées, verdoyantes et chatoyantes, mon corps avance de manière automatique. Le cœur heureux, je cadence mon allure en une marche particulièrement lente et silencieuse. C'est le dernier jour. Légère et fluette, je souhaite que le temps s'étire, qu'il s'allonge à l'infini afin que le voyage pèlerin ne cesse jamais.

Longeant l'océan vibrant, je traverse un petit village reculé constitué de quelques maisons. Sur ma gauche, je découvre une allée décorée de minces banderoles colorées rongées par le vent. À l'entrée est disposée une table digne d'un paradis pèlerin, laquelle est recouverte de fruits frais, de gâteaux et de boissons chaudes. M'avançant timidement et pénétrant dans la maisonette confectionnée de petits matériaux recyclés, j'aperçois un homme courbé dans la cuisine, affairé à préparer du café pour les marcheurs. Aimable et souriant, il m'invite à m'asseoir et à me servir généreusement. Installés autour d'une grande table de bois foncé, j'échange avec José Luis sur la vie. Son regard et perçant et inoubliable, le discours prend des airs solennels alors même que dix coups sonnent à l'horloge. Le corps réchauffé par le café fort, j'enfile la veste de pluie et repars sur le chemin, le sourire aux lèvres et l'esprit encore marqué par les paroles sages de l'homme.

Bientôt, j'arrive à l'orée d'une forêt et surplombe le merveilleux village de Fisterra. Les ruelles sont étroites et joliment colorées, les draps volent librement au vent, le tissu se détachant du ciel bleu azur immaculé. Alors que le soleil éclaire les façades et les balconnets, les rires joyeux des pèlerins résonnent et se mêlent au doux écho des mouettes qui survolent le village. Entamant la symbolique marche jusqu'au phare, l'océan révèle ses merveilles et se déroule en une étendue spectaculaire devant mes yeux ébahis. Paysage bleuté incroyable, la nature enchanteresse paraît être sans limite, sans frontière aucune, sans trouble perceptible. Calme et tranquille, l'étendue offre son spectacle aux nuances bleu profond. Tandis que le vent glisse sur les roches érodées, les rayons du soleil illuminent les vagues qui s'échouent en un drap soyeux sur la côte. Dénouant mes chaussures usées par le périple, je marche pieds nus sur les pierres chaudes et inspire profondément l'air iodé. De mon cœur s'échappe un sentiment réconfortant synonyme d'étape finale franchie. L'esprit volatile, j'observe les eaux mouvantes aux reflets magiques et aspire à la liberté ultime.

Décidant de continuer ma route vers le sommet de la presqu'île, j'avance le bâton à la main, admirant la vue imprenable sur le territoire côtier. La respiration longue et sereine, une formidable sensation de bien-être se propage dans mon corps. Solitaire, je dépose mon sac et m'allonge, le regard tourné vers les nuages traversant l'immensité bleue. En un doux repos solitaire, mon corps semble ne faire plus qu'un avec les pierres lissées par les intempéries millénaires.

La soirée prend des allures imprévues et inespérées. À mon plus grand bonheur, je rencontre de manière improbable mon ami de chemin Jorge, madrilène, et Sandra, mexicaine-allemande. Le plaisir partagé, nous partons ensemble vers le port pour déguster un dernier plat de poisson d'une saveur exquise. En face de la terrasse, le port s'endort tandis que les barques et bateaux dodelinent à la caresse légère des vaguelettes. Le ventre pleinement satisfait, nous nous dirigeons vers la plage ouest de la presqu'île pour assister à la splendeur théâtrale du coucher de soleil. Mu d'un silence mystérieux, le paysage est à couper le souffle. Tandis que l'océan déroule ses vagues en de grands flots mousseux, mon regard se pose sur cette vue imprenable. Soleil couchant dévoilé à travers les nuages gris sombre, le ciel arbore des nuances orangées changeantes jusqu'à devenir écarlates. Les eaux salées reflètent le rayons lumineux en un jeu séducteur et romantique.

La plage abandonnée délivre ses senteurs marines tandis que les fines vagues caressent merveilleusement le sable fin. Irréaliste, la scène se métamorphose en un paradis terrestre d'amour et de fraîcheur. Accompagnée de Jorge, cette soirée marque la fin de ce Camino mais également l'ouverture d'un nouveau monde. Ce soir, le soleil disparaît derrière les nuages et se couche précieusement dans l'attente d'un lendemain synonyme de renaissance fructueuse et heureuse. En cet instant, une chaleur paisible envahit mon corps et se transforme en une énergie solaire emplie de gratitude envers toutes les personnes ayant contribuées de près ou de loin à cette expérience humaine exceptionnelle. "Gracias y buen Camino de vida" .

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Voici les duos et trios inséparables, les fines équipes pèlerines solidaires et souriantes sans lesquelles je n'aurais pu arriver à Saint-Jacques avec une telle énergie. Chaque jour, elles ont su supporter les douleurs et les humeurs changeantes. Chaque jour, elles m'ont aidée à gravir les collines et descendre les montagnes afin d'atteindre notre but commun. Infiniment, je remercie chacune de ses personnes primordiales dans mon "Camino", parce que l'expérience n'aurait pas été si belle sans elles. Légère et emplie de gratitude, je vous porterai dans mon coeur à jamais : l'histoire de nos "caminos" respectifs vécus main dans la main. Merci.