C'est par un matin pluvieux que nous sommes partis vers la Kakhétie après avoir complètement bouleversé nos plans en raison de la météo. Nous tenons énormément à cette flexibilité de mouvements, c'est pourquoi nous ne prévoyons que peu nos voyages dans les détails. Par sa petitesse et le côté arrangeant des géorgiens, le pays se prête très bien à cette forme de voyage. Le visage emmitouflé pour faire face au crachin de cette froide matinée, nous cherchions la marchroutka qui devait nous emmener loin de la grisaille tbilisienne.
Lors de notre quête de cette marchroutka, nous sommes tombés sous la coupe de la bienveillance géorgienne pour la première fois. Perdus dans un quartier périphérique de Tbilissi à la recherche de la gare de Samgori, un géorgien, voyant notre égarement, s'est proposé de nous guider jusqu'à notre minibus, avec comme seule contrepartie, une agréable discussion sur Alexandre Dumas, auteur adulé par les géorgiens
Sighnaghi:
Nous avons mis le cap sur la capitale viticole et touristique de la Kakhétie, Sighnaghi (prononcer Sirnari), pittoresque village perché sur une crête, dominant la vallée d'Alazani et offrant une vue jusqu'aux confins du pays. C'est dans une atmosphère brumeuse que nous sommes arrivés à Sighnaghi, l'épais voile nuageux nous empêchant de prendre mesure du charme des lieux. Nous avons atterri dans une maison d'hôte, où une géorgienne d'un autre âge nous accueillît avec tendresse et générosité, nous offrant vins et pastèque en dépit de l'heure matinale qu'il était. Il faut savoir qu'il est vain en Géorgie d'essayer d'échapper aux collations alcoolisées en prétextant une heure, moralement inacceptable pour nous, européens. Réchauffés par le vin familial, nous sommes partis à la recherche d'un endroit où nous sustenter de manière plus conséquente.
Nos pas nous menèrent chez Lali, où nous nous apprêtions à vivre un des repas les plus marquants de notre séjour. Attablés dans une salle chaleureuse aux murs tapissés de peaux de bêtes et d'objets folkloriques, nous commandions quelques spécialités, Khachapuri et aubergines grillées à l'ail. Avec nous, dans cette salle aux allures de chalet intimiste plus que de restaurant, un couple de voyageurs allemands et une famille israélienne célébrant un anniversaire et leur départ de Géorgie. A cette occasion, Lali, la propriétaire des lieux, organisa une "soupra", un banquet traditionnel géorgien, avec ses mets, ses vins et sa musique. Bien qu'étrangers aux autres voyageurs, nous nous retrouvions partie à cette fête, pour notre plus grand bonheur. Nous y avons passé une après midi pluvieuse à nous repaître des vins et des chants géorgiens, tout en nouant amitié avec l'assemblée.
Le lendemain, le temps étant plus clément, nous avons pu arpenter le village et prendre mesure de son côté pittoresque. Ceint par de longues murailles, perchés sur une crête boisée, parcouru de ruelles tortueuses, Sighnaghi a de quoi charmer le voyageur de passage. Le plus étonnant, c'est que "touristiquement", les lieux n'ont pas grand chose à offrir, pas de somptueux monuments, de randonnées incroyables, juste de charmantes ruelles, où il fait bon de flâner, d'agréables remparts offrant d'incroyables points de vue et surtout de délicieuses caves où boire et manger. Notons tout de même le musée ethnographique de Sighnaghi, où sont exposées bon nombre des toiles de Pirosmani, l'occasion d'approfondir notre découverte de ce peintre et de conforter notre attrait pour son art !
On ne peut prétendre avoir pleinement visité Sighnaghi sans s'être aventuré à une dégustation des vins locaux, tant renommés. C'est au Phesants Tears que nous avons découvert l'incroyable diversité des cépages géorgiens. Ce vignoble, qui est également un restaurant dans le centre de Sighnaghi, est un lieu incontournable pour découvrir les vins locaux. On y est accueilli dans une atmosphère chaleureuse et conviviale, marquée par un certain "standing". Les prix sont relativement élevés pour les standards géorgiens mais rien d'insurmontable pour notre niveau de vie occidental. L'établissement propose plusieurs formules de dégustations, nous avons opté pour celle à 40 lari (10€ par personne), comprenant la dégustation de 4 vins locaux biologiques et de quoi grignoter. La dégustation est guidée par les conseils et informations avisés des serveurs/oeunologues, qui répondent à toutes les questions quant au processus de fabrication et de maturation des vins. Les quantités sont généreuses et le vin savoureux. Nous avons en prime eu le droit à un verre de Chacha, alcool à base de marc de raisin fermenté, approchant les 60°, autant dire que c'est le sourire aux lèvres que nous sommes sortis de là.
Bodbe:
Pour ceux qui prévoient un séjour prolongée à Singhaghi, un détour par la monastère de Bodbe s'impose. Il s'agit du sanctuaire de Sainte-Nino, figure religieuse nationale, ce qui en fait l'un des plus hauts lieux de pèlerinage de Géorgie. Le monastère, accessible à pied ou en taxi, est un lieu très reposant et pittoresque. Deux églises se côtoient, dans un style typiquement orthodoxe, entourées de très beaux jardins et potagers. On y trouve également, au terme d'une petite marche dans un sous-bois, une source sacrée aux vertus réputées curatives. L'idéal est d'arriver tôt sur les lieux pour profiter de la quiétude de ces derniers avant l'arrivée des cars touristiques en provenance de Tbilissi.
Nous avons eu à Sighnaghi un agréable séjour, bien que le temps n'ait pas été en notre faveur, à flâner dans les ruelles, siroter les vins locaux et nous familiariser à la bonhommie géorgienne. Après trois jours et afin d'aller trouver la nature sauvage qui nous a amené dans ce pays, nous payions un taxi pour rejoindre Lagodekhi, à la frontière avec le Daguestan, haut lieu de randonnée.
Lagodekhi:
Lagodekhi est une agréable ville, sans grand intérêt, si ce n'est d'être le point de départ des randonnées qui jalonnent le parc national éponyme. C'est avides de marche que nous sommes arrivés là-bas, malheureusement, le temps n'avait pas fini de nous jouer des tours. Les violents orages qui avaient secoué la région, ont fait déborder les cours d'eau inondant les sentiers, emportant les ponts du parc, nous privant par la même occasion d'eau courante.
Une seule des cinq randonnées était praticable, il est donc plus judicieux d'aller s'enquérir de l'état des sentiers, avant d'entreprendre quelconque balade, d'autant plus que les services des parcs géorgiens sont prompts à vous répondre que ce soit par mail ou par téléphone. Nous avions été attirés ici par la randonnée de trois jours, allant au "Black Rock Lake", somptueux lac de montagne et randonnée emblématique de la région. Nous avons dû nous contenter de la randonnée pour la "Machi Fortress", une forteresse en ruine dominant l'Azerbaïdjan.
Cette randonnée est pour le moins insolite, car elle longe la frontière avec l'Azerbaïdjan, ce qui implique quelques péripéties administratives pour la réaliser. Les gardes du parc naturel nous avaient prévenu de randonner avec nos passeports, car nous risquions de nous faire contrôler par les gardes frontières. Et en effet, après une heure de marche dans un magnifique sous-bois, nous avons été "arrêtés" par deux gardes tout en armes, qui nous indiquèrent un poste de contrôle où nous devions nous rendre. Perché sur un talus, se trouvait là un campement militaire rudimentaire camouflé, où d'autres gardes prirent nos identités et nous rédigèrent un visa provisoire pour circuler le long de la frontière azérie.
Une fois passé cette étape peu commune, nous avons repris notre marche jusqu'à la forteresse, passant par de petits cours d'eau, de quoi expérimenter quelques poses longues. Arrivés à la forteresse, on comprend aisément l'emplacement de cette dernière qui surplombe une grande rivière, frontière naturelle entre la Georgie et l'Azerbaïdjan, offrant ainsi une vue imprenable. Malheureusement, il ne reste pas grand chose de la forteresse, si ce n'est une église, quelques tas de pierres et des ossements.
Mais la randonnée aura également été l'occasion de rencontrer quelques animaux, de nombreux oiseaux surtout, tout en se promenant dans une forêt dense et mystérieuse. Ce n'est certainement pas la randonnée la plus marquante de notre séjour, mais elle nous a permis de nous dégourdir les jambes faute de mieux et de vivre une expérience pour le moins atypique.
De retour dans notre foyer, la "Kiwi GuestHouse", nous avons passé une sympathique soirée avec un groupe de polonais et de guides de montagnes espagnols, tous déçus de ne pouvoir faire cette fameuse randonnée, mais heureux de déguster le vin familial de notre hôte ainsi que sa cuisine savoureuse. A mesure que la soirée avançait et que les cruches de vins diminuaient, chacun partageait récits et conseils sur la Géorgie, c'est ainsi que nous avons eu un court aperçu de la Touchétie, région la plus reculée et sauvage de Géorgie, difficilement accessible pour les touristes lambda. Le lendemain, nous reprenions une marchroutka à destination de Tbilissi, abandonnant de fait les vertes et hautes montagnes du Caucase pour rejoindre notre prochaine étape.
David Garedja:
Ce n'est que pour clore notre séjour en Géorgie que nous avons décidé de retourner dans les terres ensoleillée de Kakhétie, pour visiter le complexe monastique troglodyte de David Garedja. Ce dernier, se situe aux confins de la Géorgie, à la frontière azérie, au coeur d'un paysage lunaire et quasi désertique. On y accède par des pistes accidentées, nécessitant un certain savoir-faire au volant.
Le complexe monastique de David Garedja, toujours en activité aujourd'hui, a connu une histoire pour le moins tumultueuse. Etabli au VIe siècle, le complexe fut détruit et saccagé à trois reprises, puis, sous la domination soviétique, il a été transformé en terrain d'entrainement militaire et cela, au détriment du patrimoine du site. Aujourd'hui, le gouvernement géorgien a lancé un vaste programme de restauration du site et les moines ont pu investir les lieux à nouveau. Mais des difficultés d'ordre diplomatique subsistent, car le complexe s'étend en partie sur le territoire azéri.
Pour visiter le complexe, mieux vaut se munir de bonnes chaussures de marche, car les chemins entre les différents monastères relèvent d'une véritable randonnée, souvent sous un soleil ardent et une chaleur accablante. Cependant, le jeu en vaut la chandelle. Nous avons été subjugués par la beauté des lieux et l'immensité du paysage environnant, essayant de s'imaginer la vie de ces moines, dans un endroit si reculé et aride. David Garedja est un exemple supplémentaire de la diversité des paysages géorgiens, changeant du tout au tout en quelques dizaines de kilomètres. Ici, ce paysage spectaculaire est occupé par une faune toute différente de celle du reste du pays, majestueux rapaces, reptiles désertiques peuplent les étendues arides du sud de la Kathétie.
Après une visite de 3/4 heures, à escalader d'abruptes pentes du complexe et à s'enivrer des paysages lunaires de la région, nous redescendions vers le monastère principal pour rejoindre nos mini-bus. Il faut savoir que les moines entretiennent un petit vignoble et produisent plusieurs vins, dont une partie est destinée à la vente. Pour un prix tout à fait raisonnable, il est possible de s'offrir une magnifique bouteille, artisanale, dont les fonds serviront à l'entretien du complexe monastique.
Après cette journée fascinante et épuisante, nous rentrions à Tbilissi à travers des paysages que le soleil déclinant ne finissait plus de mettre en valeur. Contraints par les objectifs commerciaux du tour que nous empruntions, nous nous sommes arrêtés dans une petite ville aux abords de la steppe, dans un bar, dont le rooftop et la vue depuis ce dernier, contrebalancèrent notre mécontentement d'être ainsi forcés à l'arrêt. Les chevaux en liberté, les paysages infinis, dépeuplés et sauvages évoquèrent en nous, un souvenir nostalgique de la Mongolie, que la bière fraiche ne faisait qu'accentuer. Nous quittions ces paysages avec le coeur empli de souvenirs et de réminiscences en nous jurant de continuer à explorer et à chérir les milieux steppiques, pour le calme et la quiétude qu'ils procurent.