Vendredi 1er Février 2019 – Villa O’Higgins
Voilà nous y sommes ! Après exactement 15 jours depuis notre départ de Chaitén, nous arrivons aujourd’hui à Villa O’Higgins, au bout du bout de la Carretera Austral. Ici pour tous les voyageurs le choix est simple : soit monter sur un bateau et continuer vers l’Argentine par ses propres moyens, soit rebrousser chemin et remonter vers le Nord. Pour nous aucun doute, nous continuons. Nous avons déjà réservé nos places sur le bateau avec nos vélos, départ lundi matin à 8h30 pour une traversée de 5h sur le lago O’Higgins. Aubaine, le bateau nous emmène préalablement à proximité du glacier éponyme, de belles émotions en perspective, d'autant que la météo est annoncée au beau fixe pour les jours à venir !
Nous bénéficions donc d’un week-end complet dans la cabaña louée ici pour l’occasion. Ce repos bien mérité tombe à pic. En effet nous n’avons pas arrêté depuis 2 semaines : près de 1.100km et plus de 14.000m de dénivelé+ dont la moitié sur une mauvaise piste (le ripio) avec des conditions climatiques éprouvantes, pluie et froid, en particulier la deuxième semaine. Notre progression a cependant été régulière à défaut d’être rapide. Sur le revêtement de terre et de gros gravier la moyenne horaire n’excède pas 11 à 12km/h dès que le relief devient accidenté. Chaque jour le dénivelé+ est dans une fourchette de 1000 à 1400m du fait d'une succession de plus ou moins courtes montées qui nous font mal aux jambes. Imaginez un peu, à part un unique passage de col à plus de 1000m, notre altitude est toujours restée entre 100 et 500m sur tout le parcours. En outre l'adhérence sur le ripio est parfois limite ce qui provoque quelques sueurs froides et nous oblige à une vigilance quasi permanente. Dans ces conditions notre pratique quotidienne s’apparente bien au VTT avec des efforts brefs mais répétés qui font monter brutalement le rythme cardiaque et qui, au fil de la journée, usent le cycliste.
Mais qu’importe, nous évoluons dans un cadre tellement extraordinaire qu’il mérite amplement tous les efforts accomplis.
Bonheur et fierté sont les sentiments qui prédominent à notre arrivée dans cette petite ville mythique au bout de la CarreteraNotre cabaña pour le week-end, maison en bois comme toutes les habitations ici, la plupart de plein pied
Dans un cadre de montagnes, toutes plus belles les unes que les autres, qui nous environnent
Les glaciers sont tout proches
La ville s'étend dans une vallée fermée par un lac, frontière naturelle entre Chili et ArgentineL'étape 3 nous avait laissés le lundi 21 janvier à Villa Mañiguales, petite bourgade sans âme seulement connue des pêcheurs de truites qui en ont fait un de leurs camps de base pour sa proximité avec quelques rivières poissonneuses de l'arrière-pays.
Le mardi 22 nous partons pour Coyhaique à 91km de là, dernière grosse bourgade au centre de la Patagonie reliée par une vraie route, une des dernières avant longtemps. Il fait beau et le rythme est bon toute la matinée. Après le pique-nique de midi pris sur de jolis petits bancs de bois bleus, la route s’élève et l’arrivée à Coyhaique est précédée de quelques ascensions bien raides. Nous arrivons fatigués et contents de trouver un petit hostal au calme car en retrait de la rue fort bruyante en cette fin d’après-midi. Peu après arrivent un cycliste et sa fillette sur un vélo électrique improbable, une invention bricolée que n’aurait pas reniée Gaston Lagaffe lui-même !
Un vélo doté de 3 panneaux solaires, une batterie à chargement direct développant 500w et beaucoup d'autres aménagementsLe lendemain nous coupons notre étape après une belle journée d’efforts, nous sommes en pleine montagne, facilités d’abord par un fort vent favorable qui le deviendra beaucoup moins par la suite. Nous nous arrêtons dans un superbe camping au cœur de la forêt de la réserve nationale Cerro Castillo à 1100m d’altitude. Il est géré par deux jeunes Chiliens qui ont remporté l’appel d’offre de concession pour 4 ans. Ils ne ménagent pas leur peine pour en faire un endroit très plaisant et bien équipé, avec douche chaude entre 19 et 22h et pain fait maison sur commande pour le dîner. Nous retrouvons un peu plus tard un couple d’écossais d’Edinburgh déjà rencontrés précédemment, véritables globe-trotters voyageant 6 mois par an depuis des années et ayant parcouru la planète dans tous les sens ! Nous les verrons repartir à l’aube le lendemain, faisant preuve d’une organisation parfaitement rodée.
Emplacement accueillant avec table et bancs mais aussi cabane pour dîner à l'abri du vent et… disposer sa tente pour la nuit
avec beaucoup d'espace pour planter nos tentes à bonne distance les unes des autresLe jeudi 24 au matin le vent a repris de plus belle. La route descend en lacets vers Villa Cerro Castillo or nous devons forcer sur les pédales pour contrer la violence du vent. Nous mettons 2h1/2 pour parcourir les 37km qui nous séparent de la petite ville. Nous croisons un cycliste français, même vélo que nous, même tente ! Il vient d’Ushuaïa qu’il a quitté il y a 45 jours et s’est donné 8 mois pour atteindre la Colombie. Il nous parle du vent de folie qu'il a affronté plus au sud en Patagonie..
Nous faisons des courses pour 2 jours, prenons un hamburger dans le food-bus puis repartons. La route monte sévèrement, nous avançons difficilement toujours vent de face et avec la pluie de surcroît. Après 12km nous trouvons un camping, louons une cabaña, la pluie redouble et ne s’arrêtera plus jusqu’au lendemain. Nous arrêtons là pour aujourd’hui, demain est un autre jour…
dans la descente vers Villa Cerro Castillo
de belles courbes à négocier pour atteindre la vallée à l'arrière-planVendredi 25 janvier : du camping Los Ñires jusqu'à Villa Bahia Murta - 90km en 7h45. Départ à 8h sous la pluie qui ne nous quittera pas de la journée sinon peut-être la dernière heure. Une longue étape nous attend, elle sera couverte à près de 12km/h de moyenne. C’est notre 1ère journée de piste (ripio) intégrale. Il fait froid, 4 degrés, et il a neigé très bas dans la nuit, les montagnes sont saupoudrées de blanc. Dès la première côte nous arrivons sur un chantier, la route est déviée, les ouvriers préparent les explosifs pour faire sauter un pan de montagne. Peu après nous affrontons une bourrasque de neige, nous sommes à 560m d’altitude ! Elle ne dure pas, remplacée par la pluie. Plus loin nous faisons une belle rencontre avec 3 cyclistes, un jeune couple suisse et une américaine, en virée depuis 3 mois comme nous. Encore un peu plus loin ce sont deux automobilistes qui se sont fait une belle frayeur, leur pick-up est sur le flanc dans le fossé, vraisemblablement après un tête-à-queue suivi d'un tonneau. Plus de peur que de mal mais le voyage s’arrête là pour eux. Quelques kilomètres encore et Michel réalise qu’il a perdu sa tente, tombée du porte-bagages. Elle n’est pas loin là-bas au milieu de la piste, heureusement aucun camion n’est passé dessus entre-temps. Nous profitons d’une petite accalmie pour pique-niquer près d’une rivière. La pluie reprend, une cabane bien venue nous permet de terminer nos agapes à l’abri. Nous ferons plus de kilomètres que prévus pour finalement arriver non loin de Puerto Pacifico, la ville étape prévue initialement en 2 jours. Nous trouvons une cabaña correcte sur le lac Général Carrera à 4km de la piste.
Malgré la dynamite
le trafic routier continu.., les p'tits cyclistes ne sont pas à la fête, les grands non plus !
Les piquets à droite matérialisent la piste sous la neige hivernale, donnant une idée de la hauteur de neige accumulée au sol Samedi 26 janvier : de Bahia Murta à Puerto Rio Tranquilo - 31km en 2h35
Nous partons à 9h30 sur du mauvais ripio. Nous avons 24km à parcourir le long du lac, sur une piste en montagnes russes par une belle matinée ensoleillée. Aujourd’hui c’est l’anniversaire de Patrice, il a soufflé 1 bougie au petit déjeuner. A midi nous partagerons le gâteau, toutes les occasions sont bonnes pour faire la fête, nous n’allons pas manquer celle-là. Inspirés par le nom de la localité, nous décidons de vivre « tranquilo » et nous nous installons dans un joli petit camping au soleil. L’après-midi nous faisons une virée en bateau rapide, 75cv, sur le lac Général Carrera vers des falaises de marbre, Capilla de Mármol, sculptées par l’érosion. Elles sont l’attraction du secteur avec une expédition alléchante vers un glacier dans la Valle Exploradores. Malheureusement pour atteindre ce dernier une journée complète d’excursion est nécessaire. Il aurait fallu être là dès le matin. Un court moment nous envisageons de programmer la sortie le lendemain, mais les prévisions météo ne sont pas bonnes. Elles annoncent beaucoup de pluie pour les prochains jours avec retour du beau temps pas avant le 1er février. Nous voilà prévenus !
A Bahia Murta devant le lago General Carrera, un chien malicieux (Rantanplan ?) est passé au moment du déclenchement de la photo
Le bord du lac (le plus grand du Chili) en direction de Puerto Tranquilo
Un panorama en cinémascope !
Arrivée sur Puerto Tranquilo
Camping tout ce qui a de plus "Tranquilo"
Les falaises et grottes de marbre "Capilla de Mármol"
Certains(es) y vont en kayac, Grand C préfère la barqueDimanche 27 janvier : de Puerto Rio Tranquilo à Puerto Bertrand 68km en 6h et 1212m de dénivelé +
Nous nous mettons en route à 8h sous la pluie annoncée. Le ripio est fort en gros gravillons donc très pénible et traître pendant la plus grande partie du trajet. Nous avons parfois le vent de face avec de fortes bourrasques et s’il ne fait pas vraiment beau nous n’avons au final qu'une pluie éparse. A midi nous faisons un arrêt peu après Rio Leon, pour déjeuner dans une cantina pas encore inaugurée et non répertoriée sur le parcours. L’accueil de la jeune femme qui tient l’établissement aidée de son neveu (11ans) est très sympathique. Moyennant un peu d’attente bien compréhensible, elle nous prépare d’excellentes linguines avec de délicieux champignons locaux, sorte de morilles de par l’aspect. Nous repartons ragaillardis sur notre mauvaise piste. Plus tard nouvelle halte cette fois pour une rapide baignade dans le Lago Bertrand, fraîche mais revigorante. A Puerto Bertrand nous passons la nuit dans une petite hostal sur le môle, face au Rio Baker aux eaux d’une couleur turquoise exceptionnelle.
En route vers Puerto Bertrand par lacs..
et forêts
Remarquez le superbe tablier de notre excellente cuisinière, à droite avec son neveuNous nous rapprochons toujours un peu plus des montagnes et des glaciers
La piste ne nous laisse que peu de répit
C'est un décor de rêve, où de rares hôtels de luxe se sont implantés,
que nous découvrons de mieux en mieux au fur et à mesure de notre ascension
En contrebas, Puerto Bertrand est établi sur le Rio Baker dont la couleur turquoise rappelle celle des glaciers tout prochesLundi 28 janvier : de Puerto Bertrand à Cochrane, dernière petite bourgade avant le terme de la Carretera Austral. 48km – 900m de dénivelé+ en 4h45
Nous suivons le Rio Baker presque toute la matinée, d’abord sous les arbres puis dans des gorges encaissées où le fleuve tourbillonne, impressionnant par ses remous et ses rapides. Arrivés à Cochrane vers 13h nous déjeunons d’un repas d’empanadas succulents puis nous nous installons dans une modeste maison particulière où la propriétaire nous laisse investir sa cuisine pour, une fois les courses faites, préparer notre dîner.
Mardi 29 janvier : de Cochrane nous partons vers Caleta Tortel que nous ne pourrons pas atteindre le soir même. Nous devons trouver pour la nuit un emplacement pour bivouaquer, aucun camping n’est mentionné sur les cartes. Nous roulons la plus grande partie de la journée au milieu de la forêt primaire, un superbe parcours largement arrosé de pluie. Après 73km, plus de 1000m de dénivelé+ en un peu plus de 6h de piste, nous trouvons un terrain ouvert, la plupart sont clôturés tout le long de la route, où nous nous installons pour la nuit. Il y a même un abri sous lequel nous pouvons faire du feu et nous sécher voire nous réchauffer. Il s’agit en fait d’un camping sommaire chez un bûcheron sympa qui nous donnera accès à sa salle de bain pour une bonne douche chaude avant la nuit, super !
Le lendemain, sous la pluie, nous terminons notre parcours de 53km vers Caleta Tortel, petit port pittoresque dont les maisons sur pilotis sont reliées entre elles par des passerelles en bois qui quadrillent le versant d’un vallon au-dessus du fjord. Nous retrouvons le Rio Baker dont c’est l’embouchure sur le Pacifique. Nous louons une cabaña pour nous abriter et faire sécher nos affaires, toutes bien détrempées par ces deux journées successives de pluie.
Le long du Rio Baker, un arc en ciel nous promet une belle journée sous le soleil
La Confluencia est la rencontre spectaculaire des Rio Baker et Rio Neff
La route épouse les sinuosités du Rio
Le cours d'eau tumultueux disparaît dans des gorges encaissées, pour mieux s'élargir ensuite et réapparaître apaisé
Nous tombons nez à nez avec des guanacos, proches des lamas mais non domestiqués. Ceux là ne sont pas spécialement craintifs
Depuis ce matin nous grimpons (presque) tout le temps, suffisamment pour apprécier la totalité du panorama déployé sous nos yeux
Le Rio Baker s'écoule sur 200km, depuis le Lago Bertrand jusqu'au Pacifique à Caleta Tortel
Arrivée à Cochrane, un des rares panneaux sur le parcours (pas jeune celui-là)
Le lendemain nous nous dirigeons vers Caleta Tortel
dans une nature vierge, primitive, au bout du mondeAu bivouac un bon feu nous réchauffe sous l'abri tandis que nos vêtements s'égouttent à l'extérieur
Heureusement nous pouvons compter sur l'étanchéité parfaite de nos tentes
Cheval probablement sauvage entre marais et forêt
Sur cette piste nous aussi avons un peu l'âme de pionniers
Les chalets sur pilotis de Caleta Tortel, au fond d'un fiord sur le Pacifique, à l'embouchure du Rio BakerJeudi 31 janvier, nous repartons sous la pluie pour notre dernière étape, en 2 jours, vers Villa O’Higgins. 73km aujourd’hui entrecoupés d’une heure de ferry pour traverser le Fiordo Mitchell.
A cette occasion nous trouvons le moyen de louper le bateau, Patrice et moi. Prévu à 15h le ferry se présente avant 14h pour repartir sans crier gare 10’ plus tard, nous laissant pantois tous les deux sur le quai. Il reviendra une bonne heure plus tard et nous retrouverons à bord nos deux compères, Christian et Michel, qui ont préféré rester au chaud dans le bateau plutôt que de nous attendre sous la pluie de l’autre côté du lago ! Après cet épisode mouvementé nous reprenons notre route pendant 3h avant de trouver un terrain non marécageux entre la piste et le rio pour dresser notre campement (merci Christian et Patrice pour le feu), préparer un bon repas (merci Michel) et vite trouver refuge sous nos tentes respectives pour échapper à une nième averse.
Le lendemain, vendredi 1er février nous parcourons en 5h30 les 68km (dénivelé+ 1000m) qui nous séparent de Villa O’Higgins, terme de cette randonnée patagonienne inoubliable !
Lacs, rivières, cascades, sources, averses, l'eau est partout en abondance
le ferry arrive et..repart sans Patrice ni moi !
Nous repartons pour les 100 derniers kilomètres de la Carretera Austral
avec un ultime bivouac, humide
mais bien appétissant et reconstituant
Cependant le temps ne se prête pas à une longue veillée autour du feu, hasta mañana !
Le lendemain matin nous repartons sous un ciel très bas, dans la grisaillesur un parcours encore bien accidenté
Ce sont parfois des pans entiers de la montagne qui se détachent, menaçant d'ensevelir la piste
Plus loin avec le soleil c'est le retour de la lumière
et de paysages tout de suite plus paisibles
Le silence règne, même le vent a désarmé
Au loin nous apercevons des habitations, c'est Villa O'Higgins au bout de la piste, la fin de la Carretera Austral !