Mes premières impressions sont plutôt déconcertantes. D'abord le taxi, je paye 6 fois plus qu' à Saigon pour le même trajet, 30 euros pour 6 kms, j'ai du me faire avoir et je n'aime pas trop. Puis la chambre que j'avais réservée sur le site booking est une véritable prison, 3 mètres carrés, pas de fenêtre...c'est bien de ma faute, j'ai juste regardé les photos du bar en terrasse sur le toit qui était sympa. Pour deux fois moins cher j'avais un palais au Vietnam!. Et la ville me semble triste, je m'attendais a retrouver l'ambiance exubérante de Bangkok ou HCM, mais non , rien à voir, le centre ville est désert. Hier soir à Saigon, pour le réveillon de Noel, c'était impossible de passer, même à pied, dans les rues, tellement il y avait de monde. Ici, même pas un scooter, et le spectacle me manque! De grandes avenues vides, pas de petites échoppes, pas de terrasses de café, pas de restos sympas, juste des grands centres commerciaux, des MacDo et consorts, tout ce que j'aime, quoi!
Je quitte donc très vite cette ville affreuse le lendemain matin sous les quelques rafales de vent et averses résiduelles du typhon en cours qui a touché les côtes bien plus au sud.
Pour traverser la ville et aller à la gare routiere je prends un "jeepney"
C'est la seule chose intéressante que j'ai vue pour l'instant. C'est l'armée américaine qui a laissé ces jeeps après la guerre. Et les philippins les ont modifiées à leur manière. Il y en a partout, vont partout, grimpent après les montagnes. Superbement décorés, ils sont magnifiques et sont devenus une légende des Philippines.
Les Philippines sont formées d'un archipel de plus de deux mille îles. D'abord colonie espagnole, mais contrairement à l'Amérique latine, l'espagnol n'a pas pris, juste le christianisme. Puis les américains ont pris le relais, apportant avec eux l'anglais, la malbouffe et le jus de chaussette. Autant dire qu'après le café vietnamien qui était un véritable délice et le raffinement de la cuisine thai, la déception est cruelle!
Voici mon plan : Faire le tour de l'île de Luzon en scooter. C'est la grande île du nord, partagée en deux par la Cordillère, longue chaine de montagnes abruptes ou se trouve des rizières en terrasse renommées. Je n'en avais sans doute pas vues assez au Vietnam...
Pour se faire je dois aller à 80 kms à Angeles City car, bizarrement, impossible de louer dans la capitale. Je traverse les quartiers populaires de Manille, sales, laids, pollués, encombrés d'une circulation intense. Puis l'autoroute jusqu'à Angeles. C'est encore une ville plutôt glauque, connue pour une certaine forme de tourisme.... J'y trouve une chambre complètement pourrave , je ne sais pas si ça sent les égouts ou le rat crevé.... Vite fait le matin je pars chercher le scooter. Je laisse mon gros sac, ne prenant que le minimum et je pars sur la route du nord pour une dizaine de jours.
La circulation est effroyablement dense et les règles de conduite très particulières. C'est un peu comme au Vietnam sauf qu'il y a beaucoup moins de scooters et donc beaucoup plus de gros véhicules. Au bout d'une vingtaine de kilomètres je sors enfin du gros trafic, et forcément quand c'est plus fluide on prend de la vitesse... Toute à mon euphorie naissante, je vois au dernier moment un side-car, qu'on appelle ici tricycle et qui sert de moto-taxi, me couper la route en obliquant brusquement sans prévenir alors que je m’apprêtai à le doubler. Et c'est l'accident. Je freine à mort tout en essayant de me déporter pour l'éviter, je bloque la roue avant et je pars en vrille et finis par m’écraser sur le goudron. Heureusement pour une fois je n'étais pas en short et en tongs. Au bout d'un moment je me relève, tout à l'air de fonctionner, une cheville un peu tordue, le pantalon déchiré et le genoux en sang, tout comme coude, poignet, hanche. La moto, pareil, on m'aide à la relever, guidon tordu et quelques cabosses à droite et à gauche. Mais elle redémarre, il n'y a plus qu'à repartir, la patte un peu raide. Autant dire que je vais maintenant tout doucement, vacciné pour un moment. J'arrive à faire une centaine de bornes, il n'y a aucun touriste ici et aucun hôtel. Je vais jusqu'à ce que je trouve la mer, sur la plage il y en a surement un. Oui, il y a. Cinquante euros, cinq fois plus qu'au Vietnam pour la même qualité. Mais pas le choix, le genoux et la cheville enflés, tout déchiré et des traces de sang partout. Le lendemain matin, je pars me baigner, mais je ne peux pas supporter trop longtemps l'eau chaude et salée qui me brûle. Puisque je ne peux pas profiter de la mer je n'ai plus qu'à continuer ma route, j'appréhende la montée sur la moto, pensant ne pas arriver à plier assez la jambe, mais finalement ça va je m'attendais à pire.
Très vite on monte dans la montagne. La Cordillère Philippine est vraiment escarpée, on est tout de suite à plus de 2000 mètres dans les nuages et le froid, la transition est rude.
J'ai quand même du mal à profiter des paysages, la circulation est à nouveau extrême, plein de gros camions et bus grimpant à la queue leu leu à 20 à l'heure, relâchant derrière eux des nuages qui, vu leur couleur d'encre, doivent contenir toutes les toxicités possibles et imaginables. En plus, mon petit 125 Honda a du mal à gravir les fortes rampes, d'où la difficulté à les doubler sans visibilité. Là aussi je regrette le nord Vietnam ou il n'y avait que des motos.
Ce soir là encore impossible de trouver un hôtel. Quand arrive le soir je m’arrête au premier gros village venu et demande aux gens, ils ont l'air étonnés, non pas d’hôtel ici. Je ne veux pas continuer dans le froid, les précipices, la pluie et la nuit qui arrive, j'insiste. On finit par me dégoter une petite chambre chez l'habitant, chez un maraîcher, autour des serres. Je comprends maintenant où allaient tous les camions, on est dans dans une grande région agricole. Je suis autour des choux, des carottes et des fleurs que des femmes s'affairent à préparer dans l’entrepôt voisin. Certaines d'entre elles vont délaisser leur travail pour préparer ma chambre qui s'avère très agréable au dessus de la vallée. Pas d'électricité ce soir, c'est pas grave, vive la bougie!
Il pleut, il fait froid. J’achète mon troisième poncho, oublié le premier quelque part, déchiré le deuxième. Mais il y a toujours quelques sourires pour égailler les journées.
Quant à la route elle est redevenue déserte et c'est tant mieux! Mais quelle route! Et quel pays! De nombreux glissements de terrain ont tendance à emmener toute infrastructure humaine avec eux, la nature veut reprendre ses droits et c'est une lutte sans fin entre elle et l'homme. J'ai vu bien pire que ce qu'on voit sur ces photos, d'énormes rochers sur la route, à peine possible de passer mais je ne me suis pas arrêté de peur d'en prendre un sur la tête! Résultat des pluies diluviennes et d'un relief encore jeune.
J'arrive enfin à Maglicong pour voir ces premières terrasses. Et toujours la pluie, eau dans le ciel, eau sur la terre.
Je laisse le scooter au bout du chemin et parts à pied dans les rizières. J'arrive dans un village du bout du monde. Très pauvre, pauvres maisons qui ont perdues leur caché d'antan, remplacé par les tôles rouillées et les parpaings de béton gris, pauvre ambiance de pluie et de brouillard. Je vois une tête apparaître au coin d'une porte entrouverte, je demande où je peux boire un café, on me dit non. Puis quelques instants plus tard, on me rappelle et on me dit d'entrer. Dans la salle toute sombre je distingue une dizaines de personnes qui attendent là que le temps passe. On m'apporte un breuvage qui ne ressemble guère à du café mais qu'importe, on a là une vieille toute ridée, des ados, des enfants. Je veux les prendre en photo, la vieille se cache le visage entre les mains de peur que je lui vole son âme, je n'insiste pas devant leur réticence, un garçon finalement arrivera à prendre un cliché. Quand je veux payer mon café, on m’arrête d'un geste:- No, it's free.
Un soir vers 16 heures je profite d'une accalmie dans le ciel tourmenté, je prends vite la bécane pour explorer d'autres environs.
J'avais repéré une petite route partant dans la montagne, comme une intuition que ça pouvait être intéressant.
Et je tombe sur cet endroit magique totalement par hasard.
En voyant ce que les hommes de ces contrées savaient faire, je repense alors à l'horrible architecture des villes et villages actuels et je me dis, quelle décadence! Pauvreté, facilité, désintérêt pour la beauté et l'esthétisme?
Quand je vois l'état du monde aujourd'hui, que je compare avec de vieilles photos, je me dis que j'aurai aimé naître 50 ans plus tôt et pouvoir exercer trois passions, explorateur, photographe, ethnologue.
Maintenant c'est trop tard, on est en train de bousiller le monde, on est tout simplement trop nombreux. Il reste encore heureusement des endroits préservés, les rizières sont toujours là, immuables.
Il pleut à nouveau, tant pis, je pars aux rizières de Batad.
Un amphithéâtre naturel ou les gradins accueillent des grains de riz.
Pour accéder dans ce village, il n'y a qu'un étroit sentier sur environ 200 mètres de dénivelée, il faut escalader les murailles des terrasses à l'aide de quelques pierres en saillie. Imaginons un malade ou blessé grave, il sera remonté à dos d'homme dans un hamac en guise de civière...
et bien que sous la pluie, c'est quand même pas mal!
Après cinq jours d'intempéries, je peux enfin prendre les photos de Banaue sous le soleil.
Je continue mon tour de Luzon, traversée des villes et villages, haltes dans les petits restos
J'assiste au repiquage du riz, travail collectif, ils voulaient même que je vienne les aider!
Et bien je crois que c'en est fini avec les rizières, changement de décor.
J'arrive à l'extrémité nord de l'île, là où la Cordillère se jette dans la mer sauvage, un peu la Bretagne...
Non seulement il est en surcharge, mais en plus, il tire la langue!
Pas d'hôtel, j'ai l'habitude
Je vais coucher chez la poissonnière
j'en profite pour lui demander de
me faire griller un gros poisson
Arrive maintenant Vigan où la crèche de Noel est encore installée. C'est la seule ville des Philippines où il reste encore des quartiers au patrimoine préservé datant de la colonisation espagnole.
Mon tour de 1500 kilomètres autour de Luzon se termine, je fais réparer la moto pour qu'elle soit présentable et le genoux est presque guéri.
Je viens de passer une quinzaine de jours aux Philippines, il m'en reste autant. Mais, 7000 îles dont 2000 habitées , les quelles choisir?