Je vous avais promis de vous raconter ma journée de lundi une fois arrivé en Tunisie ...
Avant d’aller dans les détails de cette journée quelque peu rocambolesque, il est bon de rappeler que le tourisme, en Algérie, est “toléré”. Vous pouvez vous y rendre dans le cadre de voyages organisés ou alors comme voyageur individuel accompagné d’un guide local. Alors vous pensez bien qu’un motard en solo... ça le fait pas!. Il y règne une phobie de la sécurité des (rares) touristes, suite à la vague d’enlèvements de touristes étrangers qu’a connue le pays il y a maintenant plus de vingt ans. En discutant avec des locaux, on s’aperçoit que la situation aujourd’hui n’a plus rien à voir avec cette période d’insécurité des années 90. Voilà pour le contexte...
Après la visite du Fort de Santa Cruz à Oran, nous avons pris la direction d’Alger, distant d’environ 400km.
La route de la côte nous semblait toute indiquée. Nous quittons Oran en fin de matinée. Vers 14h, alors que nous longeons la mer, j’aperçois à 200m devant moi, au bas d’une légère descente, un barrage routier. Je pense tout d’abord qu’il s’agit d’un barrage de l’armée. Trois agents au milieu de la route, vêtus de brun, armés de pistolets mitrailleurs (je ne suis pas un expert en la matière, mais il me semble qu’il s’agissait de Kalachnikov) me font signe de m’arrêter. Je m’exécute... Aucun d’entre eux ne parlent français, mais je suppose qu’ils veulent voir mes papiers. Je les donne à un des agents, lequel s’éloigne pour disparaître dans un abri en bois, distant d’une trentaine de mètres. Quelques minutes passent et un autre agent me fait signe de les rejoindre dans l’abri. Il me salue en français et m’invite à m’asseoir (il s’avèrera que des six agents présents sur le barrage, c’est le seul qui parle français, et plutôt bien). A ma question de savoir s’il s’agit d’un barrage de l’armée il me répond que c’est un contrôle normal de la gendarmerie nationale.
Il me dit que ça ne va pas être long, juste quelques téléphones pour vérifier que tout est en ordre... Le chef du barrage se charge de faire les téléphones. De mon côté, je reste avec les autres agents dans l’abri. Nous discutons et plaisantons avec le gendarme parlant français. Il vient de Kabylie, région côtière à l’est d’Alger, à forte velléité indépendantiste. Il me racontera son envie de voyager mais que les gendarmes et militaires ne sont pas autorisés à sortir du pays.
Passe la première heure et les “téléphones “ ne semblent mener nulle part... passe la deuxième heure et je suis toujours bloqué dans cet abri. L’agent kabyle est gêné de la situation et me dit “qu’il a honte” de me retenir.... Tous se rendent bien compte du ridicule de la situation, mes papiers étant parfaitement en règle, mais “ils ont des ordres à respecter”. Il me demande pourquoi j’ai une caméra sur la moto. Je lui parle alors de mon voyage et il me demande de lui donner l’adresse du blog. Est-ce par intérêt privé ou “professionnel”?... je ne le saurai jamais.
ll est 16h, le chef revient dans l’abri et dit qu’une voiture de la gendarmerie va arriver pour m’escorter jusqu’au poste de Ténès, distant de 10km. A 16.30h je quitte le barrage sous “bonne escorte”. En partant, le chef du barrage me serre la main et me dit “pardon”. C’est le seul mot en français qu’il prononcera...
Au poste de Ténès, une bonne dizaine d’agents vont ausculter chaque page de mon passeport. Pour ceux parlant français ils me poseront et reposeront les mêmes questions... d’où je viens, où je vais, pourquoi je voyage seul, pourquoi tous ces visas dans mon passeport, est-ce que je suis allé en moto en Côte d’Ivoire, au Niger, et les autres pays africains?... je prie pour qu’ils ne remarquent pas le tampon du Kurdistan Irakien, région où je me suis rendu pour mon travail il y a quelques années. A aucun moment un des agents n’a été menaçant ou impoli et je ne me suis jamais senti en insécurité (si on n’est pas en sécurité dans un commissariat, où l’est-on? 😀)
Il est maintenant 19h et je leur dis que je ne vais pas rouler de nuit jusqu’à Alger, où je suis censé passer la nuit. Je leur demande de me trouver un hôtel sur place où alors je vais m’installer dans le commissariat, avec mon matelas gonflable et mon sac de couchage. Du coup, conciliabule en arabe entre le chef, le sous-chef, le sur-chef et le pas-chef... pour me dire quelques minutes plus tard qu’on va “m’escorter jusqu’à Alger” (tout de même distante d’environ 200km...)
Vers 20h nous nous mettons en ordre de bataille... un 4x4, feux rouge et bleu clignotants sur le toit, Doris suivant religieusement et un fourgon de police avec 3 agents fermant la marche. Après 20 minutes de procession, nous nous arrêtons sur le bas-côté de la route, en pleine nuit et au milieu de nulle part. 10 minutes passent... et rien ne se passe. Arrive enfin en sens inverse un autre véhicule de police, duquel descendent deux agents. On me dit que cette patrouille va “prendre la relève” car on change de territoire... on ne badine pas avec la responsabilité territoriale de la gendarmerie en Algérie... Des escortes, je vais en épuiser six jusqu’à Alger ! A chaque “passage de témoin”, je m’assure qu’ils se transmettent bien mon passeport, la carte grise de la moto et le certificat de passage en douane (si un de ces document manque à l’appel, je vais avoir de gros ennuis pour ressortir du pays, déjà que c’est pas facile d’y entrer...). Je vous passe les détails sur l’état des routes, les aptitudes de conduite de certains de ces messieurs (de celui qui reste à 50km/h quelle que soit la route à l’excité du champignon qui fera des pointes à 120km/h et traversera des villages à plus de 90). Il est minuit, nous arrivons à Alger et Djilani nous attend devant sa maison.
Voilà, encore une fois beaucoup de texte et ... une seule photo. Celle que j’ai pu prendre “en douce” au commissariat (j’ai filmé quelques unes des escortes avec la caméra installée sur la moto).
Un de plus à épelucher mon passeport... Autre épisode policier, le mercredi ...
J’arrive à Timgad pour visiter le site archéologique d’une ancienne cité romaine. Je gare ma moto, l’endroit est calme, le parking pratiquement vide. Alors que je suis affairé à “sécuriser” Doris, deux hommes arrivent vers moi et m’interpellent dans un français hésitant. Ils me demandent d’où je viens, combien de temps je vais rester sur le site, où je compte me rendre après... Devant mon étonnement, un des deux hommes me montre sa carte de police et me demande mes papiers. Son collègue note sur un calepin les coordonnées de mon passeport ainsi que de la moto. Ils me disent que tout est en ordre, me rendent mes papiers et me demandent de partir au plus tard à 15h... alors que le site ferme à 17h. Lorsque je leur demande pourquoi, c’est toujours la même réponse... “pour votre sécurité”.
Troisième épisode, non “policier” celui-là, ... mais qui aurait pû l’être.
Le mardi, je traverse un de ces longs villages qui égraine la route vers Biskra. Toujours très prudent lors de la traversée de ces villages, où la vie grouille de chaque côté de la route, j’aperçois à une cinquantaine de mètres devant moi, sur la droite, un groupe de 5 ou 6 ados. A leur approche, je réduis encore un peu ma vitesse. Soudain, un des jeunes lève le bras et me lance un projectile. Je ressens une vive douleur dans mon avant-bras... Je m’arrête un peu plus loin sur le bord de la route, reprends mes esprits et constate qu’il s’agissait en fait d’une grosse motte de terre sèche et dure. Je descends de moto et me dirige vers le groupe d’ados, du moins les deux qui n’ont pas pris la poudre d’escampette. Très remonté, je leur crie “Quel est ce pays où l’on accueille l’étranger à coups de pierres...?”. Trois hommes s’approchent de nous, ils ont certainement assisté à la scène. Un deux s’enquiert de l’état de mon bras et me dit “pas grave, pas grave”. Inutile pour moi de partir dans de longs palabres... je rejoins Doris et nous reprenons la route, un peu secoués tout de même.
J’avais initialement prévu passer une semaine en Algérie, je ne resterai au final que quatre jours. Je passe la frontière tunisienne deux jours plus tard, avec un certain soulagement. Je pense que ce pays n’est pas prêt pour accueillir des touristes, tant par ses infrastructures déficientes que par la méfiance envers l’étranger, méfiance que l’on peut ressentir dans la rue, sur les terrasses de bars ou dans les restaurants. Est-ce dû à une volonté politique de verrouiller le pays ou alors à un lourd héritage issu de la guerre d’indépendance qui, même si c’était il y a plus de cinquante ans, a laissé des traces béantes, y compris sur la nouvelle génération?... certainement un peu des deux
Voilà, je suis en Tunisie depuis deux jours, et j’y suis bien! Je loge ce soir dans le plus vieil hôtel d’Houmet Souk, sur l’Ile de Djerba. Le patron Boubaker, en voyant mes plaques suisses, est venu s’asseoir à ma table pour une heure de causette. Il a vécu 24 ans à Zurich, parle couramment suisse allemand et est rentré au pays il y a 15 ans. Il loue ce petit hôtel à une famille grecque. Il s’agit en fait d’une ancienne épongerie (lieu où on entreposait les éponges pour les faire sécher et ensuite les vendre) construite dans les années 30 par une riche famille grecque et transformée en hôtel dans les années 70. Il l’a complètement rénovée, tout en gardant le caractère et le charme de cette vieille épongerie. Il me dit également les difficultés rencontrées au lendemain du “Printemps arabe” (2011), période suite à laquelle les touristes ont déserté la Tunisie. Je suis son premier client “AirBnb”, il s’y est inscrit hier.
Promis, la prochaine étape sera plus courte ... à lire 😉