Voilà, nous sommes de retour des montagnes du Pamir, où l’internet est denrée rare...
Mercredi (5 juin), au passage de la frontière entre l’Ouzbékistan et le Tadjikistan, je tombe sur un couple de motards bernois. Tout comme nous, ils vont à Dushanbe (capitale du Tadjikistan) pour ensuite faire la “Pamir Highway”. Ils me disent loger au même B&b que nous. Nous les retrouverons là-bas dans la soirée.
Alors que nous nous approchons de Dushanbe, je rattrape deux motos suisses, avec des plaques nidwaldiennes! Un des deux motards me dit qu’ils vont également au même B&b que nous. Incroyable... 5 motards suisses au même B&b à Dushanbe ce soir, à des milliers de kilomètres de notre belle Helvétie. Je me remets tranquillement derrière eux et je m’aperçois alors qu’ils roulent super lentement... je comprendrai pourquoi en arrivant à Dushanbe...la femme roule sur une Condor 350 de l’armée suisse!
Nous décidons de nous reposer une journée à Dushanbe. Je me rends dans un petit garage moto pour la vidange et changer les plaquettes de frein. J’avais eu la bonne idée de les contacter il y a deux semaines, alors que nous étions encore en Turquie, pour commander les plaquettes. Le gars m’avait alors dit qu’il n’avait pas le modèle d’origine pour Triumph, mais qu’il pouvait en commander en Russie... c’est un peu comme les médicaments, il y a les génériques qui sont trois fois moins chers et qui fonctionnent tout aussi bien!
Alors que le mécano s’affaire autour de Doris, deux gars assis dans l’arrière garage me font signe de les rejoindre. Ils me servent un verre que je crois au premier abord être du thé froid... tu parles, ça t’arrache la gorge! C’est un mélange de thé, de whisky et de vodka... purement infect. Le mécano va abandonner Doris plusieurs fois pour les rejoindre et en une petite heure, les trois lascars vont siffler un litre et demi de “thé froid”...
PAMIR HIGHWAY
Je mangerai jeudi soir avec Dominique et Lara, le couple bernois rencontré à la frontière le jour d’avant. Nous décidons de rouler ensemble le vendredi, pour la première étape de la “Pamir Highway “. Au final nous ferons toute la “Pamir Highway” ensemble, une semaine extraordinaire d’aventure et d’émerveillement partagés.
Sur la “Pamir Highway” (autoroute du Pamir), point de vignette et encore moins de station de péage. D’autoroute elle ne porte que le nom. C’est un mélange de routes défoncées et de pistes qui relient Dushanbe au Tadjikistan à Osh au Kyrgyzstan, sur 1’300 kilomètres. Elle traverse le massif montagneux du Pamir, avec de nombreux cols au-delà de 4’000m. Nous prévoyons une semaine pour relier Osh... si la météo est avec nous.
Quand tu te lances dans cette traversée du Pamir, tu sais que tu vas forcément sortir de ton confort et qu’il va falloir improviser un peu... mais ça aussi, ça fait partie du voyage.
J’ai lu sur un forum de voyage que la Pamir Highway “c’est la route où les gens sont gentils et les chiens sont méchants “. Eh bien on espère que seule la première partie de cette maxime se vérifiera...
🤓http://bourlinguer.net/pamir/
Vendredi 7 juin
Dushanbe - Qalaikhum 350km
Avec Dominique et Lara, je suis en bonnes mains... les deux sont médecins. A choisir, j’aurais préféré avoir un médecin et un mécanicien! Mais le plus important c’est qu’ils sont...
Cette première journée est en quelque sorte une “marche d’approche” qui est super agréable. Nous devons toutefois faire un détour d’une soixantaine de kilomètres par le sud, par la ville de Kulob, la route normale étant impraticable pour les motos en raison des intempéries de ces dernières semaines. Le temps est magnifique et après 3 heures de route, nous atteignons la frontière afghane, frontière que nous n’allons plus quitter et longer pendant deux jours. A de nombreux endroits nous voyons des enfants afghans jouer de l’autres côté de la rivière, certains criant et sifflant en nous faisant de grands signes. La route est relativement en bon état ce premier jour, mais ça va radicalement changer les jours suivants...
Samedi 8 juin
Qalai Khumb - Khorough 240km
Nous nous réveillons avec un le soleil et un magnifique ciel azur, lesquels nous accompagneront toute la journée.
Nous longeons toujours la frontière afghane en direction du sud. 240 km au programme pour atteindre Khorugh. La route est en très mauvais état, avec d’énormes nids de poules, quand elle ne cède pas la place à de la piste caillouteuse. Mais fort heureusement il n’y a pas de boue et de sable. Nous croisons un peu plus de camions, c’est en effet la seule voie “praticable” pour atteindre ces villages reculés du Pamir. Lorsque que tu t’engages sur la Pamir Highway, pas besoin de carte (de toute façon on m’a volé la mienne deux jours plus tôt dans un resto à Dushanbe). Soit tu traverses jusqu’au bout, soit tu fais demi-tour... pas d’autre choix. Au moins pas de risque de se perdre!
Le décor est magnifique. Les montagnes abruptes qui nous entourent semblent veiller sur nous. C’est un peu irréel de penser que des gens vivent au fond de cette vallée, à deux jours de piste de la première petite ville. Et que la majorité d’entre eux ne s’y rendront sans doute jamais. Lorsque que nous traversons ces petits villages, c’est à chaque fois le même cérémonial... les enfants accourent au bord de la piste et nous saluent avec de grands sourires et des étincelles dans leurs yeux. C’est magique!
Nous n’atteindrons pas Khorough ce jour-là. La faute à la pluie qui nous surprendra les deux dernières heures. Et sur ces pistes, ça devient vite désagréable...Nous nous effondrons dans un petit B&b (en fait il va s’avérer que le deuxième “b” est absent...). Nous sommes trempés et il fait assez froid, on est presque à 2’000m. On y trouve un petit “resto local” où on va très bien manger...un repas chaud, qu’est-ce que ça fait du bien!
Dimanche 9 juin
Khorough - Ishkashim 105km
Nous nous réveillons avec le soleil et un grand ciel bleu qui ne nous quitteront pas de la journée. La petite ville de Korough est le seul endroit de la Pamir Highway où il y a un embranchement. Et là, tu as intérêt à faire le bon choix. La route standard part en direction de l’est et une autre route part vers le sud, vers la vallée de Wakhan. Cette dernière est en très mauvais état mais le décor y est réputé majestueux. Nous nous concertons avec Dominique et Lara et optons pour la route du sud, tout en sachant que ça rallongera le parcours d’une journée. Nous décidons toutefois de ne pas prendre de risques inutiles et que si la pluie s’en mêle, nous ferons tous demi-tour.
Nous passerons la nuit chez l’habitant, dans une petite famille qui met à disposition deux chambres pour les voyageurs. Ils cuisinent toujours au feu de bois, et leur demeure semble tout droit sortie d’un autre temps. Mais la vétusté de leur maison n’a d’égale que leur gentillesse et leur plaisir d’accueillir l'étranger.
Werner et sa fille Vreni, les deux Nidwaldiens avec la vieille Condor, nous rejoindront pour la nuit. Il y a tellement peu de possibilités de se loger dans ces vallées reculées que tu y retrouves forcément des voyageurs.
Lundi 10 juin
Ishkashim - Langar 130km
Ishkashim, à l’extrême sud du Pamir ouzbèke, marque l’entrée dans la Vallée de Wakhan. Là, tout nous semble énorme, la vallée, la rivière, les montagnes pour certaines à plus de 5’000m, le décor est somptueux ... Appelée aussi “Corridor du Wakhan” cette région, aux confins du Tadjikistan, de l’Afghanistan, du Pakistan et de la Chine, a de tout temps été une zone stratégique importante.
🤓https://photo.geo.fr/montagneuse-et-splendide-la-vallee-oubliee-du-wakhan-en-afghanistan-34181#hors-du-temps-590357
Nous remontons la vallée sur plus de 120 km, d’Ishkashim à Langar. Il doit y avoir au maximum 10 kilomètres d’asphalte en mauvais état, le reste étant de la “tôle ondulée”, de la piste rocailleuse, ou une sorte de tout-venant non damé qui t’envoie la roue avant dans tous les sens, le tout entrecoupé de passages ensablés. Il nous faudra une journée pour relier Langar. La concentration est maximum et par deux fois Dominique couchera sa moto dans le sable, heureusement sans conséquences.
Le soir, nous retrouvons Werner et sa fille dans un B&b. Un sixième Suisse nous rejoint! Silas, de Zurich, est parti lui aussi de Singapour en septembre dernier et prévoit rejoindre la Suisse d’ici la fin de l’été. Lorsque nous l’avons rencontré sur la route en milieu d’après-midi, il en était à sa sixième crevaison de la journée. Il en aura eu encore quatre de plus avant de rejoindre le B&b. J’ai un énorme respect pour ces cyclistes solitaires au long cours, ils ont une force mentale qui dépasse l’entendement. On passera la soirée à écouter Silas nous narrer son voyage, forcément passionnant!
Mardi 11 juin
Langar - Murghab 210km
Nous quittons Murghab et la Vallée de Wakhan et attaquons notre premier “sérieux” col. Septante kilomètres de piste qui vont nous emmener à 4300m. Le décor est magnifique, très aride, lunaire. La piste semble s’accrocher par endroits à la montagne.
On aperçoit en face, dans les vallées latérales, quelques hauts sommets du Pakistan qui semblent saluer notre départ, du haut de leurs 6’000m.
La région du Pamir ouzbèke est une region semi-autonome, qui a sa propre administration et sa propre armée. Il faut d’ailleurs un visa additionnel pour y transiter. Nous passons de nombreux check-points militaires, mais les soldats sont toujours polis et bienveillants à notre égard. On se verra même offrir du melon à un des check-points.
A une dizaine de kilomètres du sommet, nous rencontrons une Koréenne. Elle nous dit traverser le Pamir ... en auto-stop. Elle n’a vu passer aucun véhicule depuis neuf heures ce matin, il est trois heures de l’après-midi... Lorsque je repars du check-point, sur une piste en dévers et parsemée d’éclats de rochers, Doris a la mauvaise idée de faire une révérence aux deux soldats... ils m’aideront à la relever!
Et les chiens me direz vous? Eh bien, durant les trois premiers jours, on a bien dû avoir une quinzaine d’escarmouches... c’est insupportable cette habitude qu’ont les chiens à s’attaquer à tout ce qui bouge, surtout si c’est sur deux roues. On a développé involontairement une technique imparable... du moins jusqu’à maintenant. La première moto arrive en général à passer et, le temps que le chien se retourne et se rabatte sur la deuxième moto, on s’arrête et on engueule le dingo. Celui-ci, surpris, s’arrête net. Un seul a vraiment insisté et à chaque fois que je voulais repartir, il se remettait à me poursuivre, tous crocs dehors. A la troisième tentative, je descends de moto et lui balance un énorme caillou. Il abandonne le combat...jusqu’à la prochaine moto. En dessus de 3’000m, il n’y en a plus guère. Courageux les dingos (quoiqu’ils attaquent toujours par derrière), mais pas téméraires!
La descente du col va s’avérer plus “sportive” que prévu. La piste est ensablée en de nombreux endroits et mon frein arrière m’a lâché! Il donnait déjà des signes de faiblesse hier. Je remets du liquide dans le circuit de freinage, rien n’y fait. Je pense qu’il y a de l’air. On verra tout ça plus tard, pour le moment il nous faut échapper à la pluie qui menace derrière nous.
Nous arriverons à Murghab en début de soirée, frigorifiés et exténués ...
Mercredi 12 juin
Mercredi matin, 6 heures. La mauvaise nouvelle c’est qu’il a neigé une dizaine de centimètres pendant la nuit. La bonne nouvelle?... ben y a n’a pas vraiment. Nous allons être bloqués au minimum un jour dans ce village reculé (Murghab). En effet, on est à 3’600m et il est impossible de franchir le col de Aikbaital (4’650m) dans ces conditions. Il faut une journée de route pour rejoindre Sary-Tash, à la frontière avec le Kyrgyzstan.
C’est là que tu réalises à quel point la vie est rude dans ces villages isolés du Pamir. Les gens sont coupés du monde 8 mois par année et pendant les mois d’été, il leur faut deux jours de route pour rejoindre une des deux villes à l’entrée de la Pamir Highway. L’hiver, la température descend régulièrement à moins 20, moins 30, avec des pointes à moins 50 et les habitations sont très vétustes. Nous logeons dans le seul “hôtel” du village, au confort tout soviétique. Il n’y a pas de chauffage et nous dormons dans nos sacs de couchage. Lara gardera ses gants et son bonnet...
Nous profitons de cette journée pour faire l’état des lieux... les motos ont passablement souffert. Dominique a cassé son garde-boue arrière dans la “tôle ondulée “ et son pare-brise a dû être réparé à coups de gros scotch. Doris n’a plus de frein arrière. Dans sa “révérence militaire”, elle a perdu un bout de poignée de frein avant et une des deux caisses latérales est bien défoncée. Nous, nous sommes tout de même passablement entamés, une journée de repos va nous faire le plus grand bien. Personne n’est capable de nous dire quelle sera la météo demain...
Jeudi 13 juin
Murghab - Sary-Tash (Kyrgyzstan) 300km
Je me réveille aux aurores, ici à 4 heures et demie il fait déjà jour... Je regarde par la fenêtre, je ne vois que du bleu!
On se met en route vers 8.30h, une grosse journée nous attend. Werner et Vreni nous ont rejoints. Il fait assez froid et ce ne guère prometteur pour les deux cols à plus de 4’000m qui nous attendent.
Nous attaquons en quelque sorte le plat de résistance de cette semaine, le col d’Akbaital. Nous sommes tout de même un peu anxieux vu la neige que nous avons eue hier, mais au final ça passera sans problème. Pas de neige sur la piste et celle-ci est sèche... la boue, en moto, c’est comme le sable, mieux vaut les avoir en photo!
La Condor et la Ducati de Vreni et Werner donnent quelques signes de faiblesse. Il faut dire qu’à ces altitudes, il ne fait pas bon mettre un carbu dehors!
Les hauts plateaux que nous allons découvrir de l’autre côté des deux cols, avant la frontière avec le Kyrgyzstan, sont d’une beauté sauvage et extraordinaire. On a l’impression de rouler sur une autre planète... Nous oublions le froid et le vent et nous arrêtons des dizaines de fois pour prendre des photos et partager notre émerveillement.
Par deux fois, nous allons longer la frontière chinoise sur une dizaine de kilomètres.
Après deux heures sur ces hauts plateaux, nous arrivons à la frontière du Kyrgyzstan. La douane kyrgyze, tellement improbable et isolée, se franchira en dix minutes. Une piste très mauvaise nous emmènera dans la vallée, 1’000m plus bas. On se dit alors qu’on a énormément de chance qu’il n’a pas plu ces derniers jours, car avec la boue, il ne serait tout simplement pas possible de passer.
Vendredi 14 juin
Sary-Tash - Osh (Kyrgyzstan)
Les pistes du Haut Pamir sont derrière nous. Trois petites heures nous suffiront pour rejoindre Osh, ville moderne de 300’000 habitants.
Nous avons passé huit jours sur cette fameuse “Pamir Highway”. Huit journées intenses, merveilleuses, froides, rudes, magiques... au moment de nous quitter cet après-midi avec Dominique et Lara, nous nous tombons dans les bras les uns des autres. Nous ne nous connaissions pas il y a encore une dizaine de jours... Rencontrer des gens qui partagent la même passion que toi, qui t’apportent leur énergie et leur soif de découvertes est tout aussi important que de voir des paysages extraordinaires.