Un message sur FB qui propose un échange de livres. Je ne connais rien d'Anna Gavalda. Pas même qu’elle était une auteure francophone, honte à moi mais il n’est jamais trop tard !

Des vies en mieux – Anna Gavalda

🔎 Melbourne Melbourne (de nombreux kilomètres non comptés dans les transports en commun, à pied...)

Nouvelle trouvaille un peu due au hasard. Un message posté sur facebook qui propose un échange de livres. Un retour de travail en ville qui me permet de faire un détour chez cette lectrice amatrice de crossbooking et me voilà avec Des vies en mieux entre les mains. Bizarrement je ne connais rien d’Anna Gavalda. Pas même qu’elle était une auteure francophone, honte à moi mais mieux vaut tard que jamais, c’est à 25 ans que je lis pour la première fois une auteure française reconnue dont je n’ai aucune idée de la patte. Il n’est jamais trop tard pour découvrir de nouveaux horizons.

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Synopsis

3 prénoms, trois vies, trois anecdotes qui donnent le prétexte d’étaler un surplus d’émotion de la part du narrateur.

Billie, Mathilde et Yann. Des personnages communs ? Qui se remettent en question ou remettent tout en question après un évènement inattendu. Un évènement anodin qui prend une toute autre dimension, une réflexion en spirale sur le sens de la vie.

Billie tombe dans un ravin et croit son ami mort, alors elle laisse parler tout ce qu’elle a sur le cœur en pensant quoi : être pardonnée ? Ne pas être oubliée ? Prouver qu’elle a fait du mieux qu’elle pouvait ?

Mathilde, distraite, oublie son sac à main dans un café parisien avec 10 000 euros dedans. Pourtant un personnage mystérieux dont on en saura peu va le récupérer et lui rendre intact. La fin de l’histoire de Mathilde est ambigüe, est-elle tombée sur un pervers ou vient-elle d’ouvrir une porte sur son avenir ?

Yann se contente d’une vie qu’il méprise pourtant. Un soir, il assiste à une véritable scène de théâtre jouée par ses propres voisins, dans les escaliers de l’immeuble. Ces personnages s’amusent à se taquiner par des répliques dignes d’une pièce de Molière. Allons bon, Yann s’amuse lui aussi à les voir et les écouter, puis il est invité à diner avec eux. Voir la vie si pleinement vécue devant ses yeux fait réaliser à Yann qu’il subit la sienne. Il rentre chez lui, enfin dans un appartement vide de vie. Il enregistre une cassette et part pour vivre un nouveau chapitre.

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Mon petit grain de sel

J’ai en général du mal à me contenter du format de la nouvelle qui pour moi laisse un goût d’inachevé. Mais en quelques chapitres, Anna Gavalda déverse tant de choses que tout semble être dit sur le compte des personnages.

Les premiers paragraphes sont déroutants, un méli-mélo de pensées et d’émotions dont on a du mal à comprendre le sens. Un style auquel je ne m’attendais absolument pas. Un style qui a des airs d’écriture automatique suivant le fil d’une pensée sans filtre mais sans déroger à l’excellente maîtrise du français.

Du vulgaire au soutenu, des références populaires aux classiques de la langue française, Anna Gavalda mêle des émotions difficiles à interpréter. Le message est à la foi brut et imprécis, ou plutôt universel.


Des histoires anecdotiques et très différentes qui suivent une même trame. Un thème filigrane de ces trois histoires : le théâtre. En contexte dans la première partie, en forme dans la deuxième et en action dans la troisième.

La même envie d’exacerber son dégoût pour le monde d’aujourd’hui et la vie quotidienne et surtout d’y apporter un antidote à travers ces trois histoires qui redonnent un peu foi en l’humanité.

Le titre résume parfaitement le livre, la profondeur du thème général et la maladresse feinte des mots utilisés très justement pour mettre le doigt là où ça fait mal.

Anna Gavalda a des choses à dire et se fait le messager d’une génération perdue. Elle ne ménage pas son lecteur pour lui faire comprendre. Son style est brut de pomme, déconcertant et envoutant de génie.

Comme le reflet de ce que je vis en ce moment, ce recueil de nouvelles passe par des étapes qui me sont familières : l’introspection avec Billie, le passage à vide et l'acceptation de l’inconnu avec Mathilde et enfin prendre sa vie en main avec Yann. Je viens d’achever ce livre dont le titre me donne envie d’être moi aussi la propre héroïne de mon roman. Aujourd’hui j’ai envoyé une lettre, comme Billie, Mathilde et Yann j’essaie de provoquer un peu le destin après m’être attardée à me contenter d’une vie bien. Pourquoi pas une vie en mieux ?

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Extraits

BILLIE

« Tu dis plus rien t’es fâché ?

- Non mais juste, je… Je te comprends pas… Et je parle pas pour toi en fait… Je dis « toi » mais c’est pas toi, c’est…au-delà de toi… C’est valable pour tout le monde ??? Y en a pas beaucoup des occasions dans la vie où tu peux dire ce que tu penses et en plus, le dire bien… De le dire avec des mots déjà trouvés… De te servir d’un personnage inventé par quelqu’un d’autre pour passer en contrebande des trucs que toi aussi, tu trouves précieux…De dire qui tu es… Ou qui tu voudrais être…Et de le dire mieux que tu ne pourras jamais le faire si t’avais pas déjà sous la main des phrases déjà si belles…

- ???

- Mais…euh…fais pas cette tête ! tu vois bien que je les ai pas, moi, les mots ! Alors fais pas exprès d’être aussi con que moi ! Ce que j’essaye de te dire, c’est que quand t’as un truc en toi qui pourrait t’aider à vivre… à vivre vraiment…genre à aspirer et à inspirer jusqu’à ta mort…parce que c’était là avant toi et que ça y sera encore après…Oui, un truc qui parlera de toi quand tu seras couic et sans jamais te trahir, et qui…euh..eh ben qu’est-ce que t’en as à foutre de l’appareil génital ?

- Pardon ?

- Oui, ben t’as très bien compris…Tu veux que je dise quoi, à la place ? Bite ? Chatte ? Nichons ?

- ???

- Ho… tu me cherches ou quoi ? Tu comprends pas ce que je veux dire ou c’est juste que tu ne veux pas ? Fille ou garçon, ça compte genre pour la couleur de la chambre du bébé, pour les habits, pour les jouets, pour le prix chez le coiffeur, pour les films que t’as envie de voir ou les sports que t’as envie de faire ou la… j’en sais rien moi ! des trucs où être fille ou garçon, ça fait encore une différence… Mais là…les sentiments…les trucs que tu ressens et qui te sautent direct du bide avant même que tu les penses…des trucs que ta vie va forcément en dépendre après, genre comment tu conçois tes relations avec les autres, qui tu aimes, jusqu’où t’es prêt à morfler, à pardonner, à te battre, à souffrir et tout, franchement mais qu’est-ce que ta…euh ta forme anatomique a à voir avec ça, je me le demande…Et je te le demande aussi, d’ailleurs ? Si c’est Camille, ton équipe, qu’est-ce que t’en as à foutre d’être un garçon pour la jouer ? Et même pas à l’Académie française en plus mais dans la classe pourrie d’un collège pourri […] »

MATHILDE

« Oui, tu vois, j’ai demandé à un inconnu de rédiger l’enveloppe à ma place… Le feinte est grossière, j’en conviens, mais ne me la renvoie pas. Pas cette lettre-là. Elle vaut mieux que moi, je te le promets.

Si tu ne veux pas la lire maintenant, attends. Attends deux mois, deux ans, dix ans peut-être. Attends l’indifférence.

Dix ans, je suis bien prétentieux.

Attends le temps qu’il faudra mais, un jour, s’il te plait déplie-la. S’il te plait. »


« Et cette fébrilité, là… Cet état de manque permanent, ce trou au côté, ces téléphones que vous rongez sans cesse, ces écrans qu’il vous faut toujours déverrouiller, ces vies que vous achetez pour pouvoir continuer à jouer, cette blessure, cette bonde, ces serrements dans votre poche ? Cette façon que vous avec, tous, toujours de tout le temps vérifier si on ne vous a pas laissé un mot, un message, un signe, une relance, une notification, une pub, un… un n’importe quoi.

Et ce « on » qui peut être n’importe qui ou n’importe quoi aussi du moment que ça s’adresse à vous, que ça vous rassure, que ça vous rappelle que vous êtes vivant, que vous existez, que vous comptez, et qu’à défaut de vous connaitre autrement, on peut peut-être essayer de vous refourguer une dernière petite saloperie au passage.

Tous ces abimes, tous ces vertiges, toutes ces lignes de codes que vous caressez dans le métro et qui vous jettent comme une vieille merde sitôt que « ça » ne vous capte plus. Toutes ces distractions qui vous distraient de vous-mêmes, qui vous ont fait perdre l’habitude de penser à vous, de rêver à vous, de papoter avec la base, d’apprendre à vous connaître, ou à vous reconnaitre, de regarder les autres, de sourire aux inconnus, de mater, de flirter, d’emballer, de baiser même ! mais qui vous donne l’illusion d’en être et d’embrasser le monde entier…

Tous ces sentiments codés, toutes ces amitiés qui ne tiennent qu’à un fil, qu’il faut recharger tous les soirs et dont il ne resterait rien si les plombs sautaient, c’est pas du fantasme, ça peut-être ?

Et je sais de quoi je parle.

Je saigne aussi. »


« Mais Mathilde…mais c’est magnifique de souffrir quand on est en bonne santé. C’est un privilège ! Il n’y a que les morts qui ne souffrent plus ! Réjouis-toi ma belle ! Va, cours, vole, espère, plante-toi, saigne ou festoie, mais vis ! Vis un peu ! Ton derrière bien poli et tes jambes musquées tutti frutti, là… bouge-les donc un peu pour voir. Parce que sous tes grands airs, tu moralises autant que nous, je te signale. Alors, assume, petite indignée des beaux quartiers, assume. Va au bout de tes convictions pour une fois. Lâche ton ordi, ton confort, tes sœurs fouettardes dont tu dis tant de mal mais sous la tutelle desquelles tu es si heureuse de rester toute petite fille, oui lâche les goulots, lâche ton cynisme à deux balles et lâche ta mère, qui ne reviendra jamais, et … ho ! Où tu vas, là ? »


YANN

« Émoticône. Le nom est aussi vulgaire que la chose. Je hais ces trucs de feignants. Au lieu d’exprimer un sentiment, on l’expédie. On appuie sur une touche et tous les sourires du monde sont pareils. Les joies, les doutes, le chagrin, la colère, tout a la même gueule. Tous les élans du cœur se retrouvent réduits à cinq ronds hideux.

Putain quel progrès…

"Bonne nuit je t’embrasse". Ce n’est pas tellement mieux, hein ?

Non. Pas tellement. Enfin c’est un baiser en trois mots quand même. Et puis l’apostrophe est jolie…

Il n’y en a plus vraiment des garçons qui se donnent la peine de texter les apostrophes de nos jours. Sont-ce les mêmes qui s’imaginent noyés ?

J’ai bien peur que oui. »


« Elle a de la chance, elle appartient à cette catégorie d’êtres humains qui trouvent des causes et des solutions à tout : les acariens, le droit de vote des immigrés, la fermeture de la droguerie de la rue Daguerre, les verrues de son père et de ma mélancolie. D’une certaine façon, je l’envie. J’aimerais être ainsi tenu.

J’aimerai que tout soit aussi simple dans ma tête, aussi facile, aussi… matérialisable.

Ne jamais douter. Trouver toujours des suspects, des fautifs, des coupables. Foncer dans le tas, trancher dans le vif, sommer, juger, sabrer, sacrifier et avoir la certitude que mes vapeurs de chochotte existentialiste se dissiperont au début du printemps pour disparaitre complètement avec 200 euros de plus sur ma feuille de paie…

Hélas, je n’y crois pas un seul instant. »


« J’aurai vingt-sept ans en juin et j’arrive pas à savoir si c’est encore jeune ou si je suis déjà vieux. Je n’arrive pas à me situer sur la frise. C’est très flou, cette affaire. De loin, on dirait un adolescent et de près, un vieux con. Un vieux con déguisé en lycéen : la même fausse bonhommie, les mêmes Converse, le même jean, la même coupe de cheveux et les même romans de Chuk Palahniuk dans le même sac à dos usé.

Un schizo. Un clandestin. Un jeune homme du début du XXIe siècle, né dans un pays riche et élevé par des parents aimants, un petit garçon qui a tout eu : les baisers, les câlins, les goûters d’anniversaires, les manettes de jeux, la familiarité des médiathèques, les pièces de la petite souris, les Harry Potter, les cartes Pokémon, les cartes yu-gi-oh, les cartes Magic, les hamsters, les hamsters de rechange, les forfaits illimités, les voyages en Angleterre, les sweats à la mode et tout le reste, mais pas seulement.

Pas seulement…

Un petit garçon né à la toute fin du XXe siècle , à qui l’on a répété depuis qu’il est en âge de jeter ses papiers de bonbons à la poubelle que la nature souffre par sa faute, que les forêts disparaissent dans l’huile de palme de ses petits pains au chocolat, que la banquise fond quand sa maman démarre le moteur de leur voiture, que les animaux sauvages sont tous en train de crever et que, s’il ne referme pas le robinet à chaque fois qu’il se brosse les dents, eh bien, tout ça sera en partie à cause de lui.

Puis un élève curieux et conciliant que ses manuels d’histoire ont fini par décourager d’être né blanc, cupide, colonisateur, lâche, délateur et complice tandis que ceux de géographie ne cessaient – année après année – de lui rabâcher des chiffres alarmants de la surpopulation mondiale, de l’industrialisation, de la désertification, de la pénurie d’air, d’eau, d’énergies fossiles et des terres arables. Sans parler de ceux de français qui finissaient toujours par vous dégoûter de lire à force de vous obliger à tout saloper – relevez et ordonnez le champ lexical de la sensualité dans ce poème de Beaudelaire, boum, terminus, tout le monde débande -, de langue, qui vous rappelaient d’une année sur l’autre how much you were ouna mayuscula scheise et de philo, enfin, qui s’avérèrent être un grand concentré de tout ce qui précède, mais en bien plus implacable : « hé, toi, petit Blanc falot qui bande mou et qui fait rire tout le monde avec ton accent pourri, cherche et ordonne le champ lexical du gâchis de ta civilisation, s’il te plait. Tu as quatre heures.

Hep, hep, hep, ton brouillon…dans la poubelle jaune. »


« Et toi, bon con, tu fais tout comme il faut les révisions, les examens, les diplômes, les stages.

Les stages pas payés, les stages non rémunérés, les stages sans contrepartie financière, les stages pour l’honneur et ceux pour la gloire. Les CV. Les CV avec la photo qui plait. Les CV en papier, en ligne, en relief, en vidéo, en veux-tu, en voilà, en n’importe quoi. Les lettres de motivation. Les vidéos de motivation. Les… tout ce fatras de baratin à la con dans lequel je ne sais même plus quoi inventer tellement tu n’y crois déjà plus, tellement ça te déprime, d’avoir à te battre si dur et si tôt pour avoir le droit de cotiser comme les autres.

Mais tu continues. Tu continues vaillamment : les pôles pour l’emploi, le Pôle emploi, les salons pour l’emploi, les chasseurs de tête, les petites annonces, les jobs alerte, les plates-formes de recrutement, les codes d’accès à votre espace candidat, les abonnements aux flux des offres, les faux espoirs, les entretiens perdus d’avance, les facebookmakers qui ne te cotent même pas en rêve, le beau-frère de ton parrain qui va en parler à ses amis du Lions, les coucou-copain-d’avant, tu sais j’en ai toujours un peu rien à foutre de ta gueule mais ton père il avait pas une usine, au fait ? les agences d’intérim, les pistons imparables, les pistons foireux, les pistons bien pourris, les sites d’annonces qui deviennent de plus en plus payants et les assistantes de DRH de moins en moins gracieuses, les… Oui, tu as toujours assuré, tu n’as jamais jeté un seul papier par terre de toute ta vie, tu n’as jamais mis les pieds sur la banquette d’en face, même très tard, même explosé, même quand tu étais seul dans le compartiment et tu as eu ton diplôme sans embêter personne, sauf que hé…pas de chance dis donc. Y en a pas, du travail pour toi. »


« Allez, allez…circulez. Ça arrive à tout le monde de se faire niquer par son âme, non ? Cette petite bulle, là… cette salope qui remonte sans crier gare pour te rappeler que la vie ne t’arrive pas à la cheville et que tu es perdu dans tes rêves absurdes et beaucoup trop grands pour toi. Les gens à qui ça n’arrive pas, c’est qu’ils ont renoncé. Ou mieux même, tellement mieux et tellement plus confortable : qu’ils n’ont jamais éprouvé le besoin de se mesurer à… je ne sais pas… de se mesurer tout court, de se toiser en face. Comme je les enviais, bordel. Et plus j’avançais, plus j’avais le sentiment qu’ils, les gens, étaient presque tous comme ça et que c’était moi qui déconnais. Que c’était moi qui m’écoutais pisser sur les feuilles mortes.

Pourtant ce n’est pas mon genre, j’en suis sûr. Je n’aime pas me plaindre. Je n’étais pas du tout comme ça quand j’étais gamin. Le truc, c’est que je ne sais pas où j’en suis dans ma vie… et je ne dis pas dans la vie, je dis dans ma vie. Mon âge, ma jeunesse inutile, mon diplôme qui n’impressionne personne, mon taf à la con […] »


« Diversion :

Un jour que je l’accompagnais sur la tombe de son fils (le frère ainé de ma mère, le dernier marin pêcheur de la famille), ma mémé Saint-Quay m’a expliqué que l’on reconnaissait le bonheur au bruit qu’il faisait en partant. Je devais avoir dans les dix-onze ans et je venais de me faire chourer un démanilleur et mon couteau, je l’ai reçue cinq sur cinq.

Eh bien, l’amour, c’est le contraire. L’amour, on le reconnait au souk qu’il fout en débarquant. Moi, par exemple, il avait suffi qu’un homme gentil, drôle, cultivé, un voisin de palier que je connaissais à peine, posât devant moi un verre, une assiette, une fourchette et un couteau pour que je me fissure de la tête aux pieds. »


« Bon, mon gars, faut y aller, là…

J’aspire, une grande goulée d’air comme du temps où j’essayais de traverser toute la largueur de la jetée sous l’eau devant les filles de la colo et j’appuie de nouveau sur le bouton bleu. Je plonge :

Mélanie…Mélanie, je ne peux pas rester avec toi, je… enfin, quand tu entendras ce message, je serai parti parce que je… je ne veux plus vivre avec toi. (Silence). Je sais que j’aurai dû t’écrire une lettre, mais comme j’ai peur de faire des fautes d’orthographe et que je te connais bien, que je sais que dès que t’en repères une quelque part, tu méprises direct celui ou celle qui l’a commise, je préfère ne pas prendre ce risque.

Tu vois, j’enregistre ce message pour te donner des explications et je me rends compte que celle-ci suffirait en fait : Mélanie je te quitte parce que tu méprises les gens qui font des fautes d’orthographe.

Pour toi, j’imagine que ça te paraitrait un peu léger comme motif, mais pour moi, ce serait limpide. Je te quitte parce que tu n’es pas indulgente et parce que tu ne vois jamais ce qui compte vraiment chez les gens. Franchement, quelle importance « é » ou « er » ou que ce soit le pull de ma sœur plutôt que ça soit le pull à ma sœur, hein ? Quelle importance ? bien sûr, ça écorche un peu l’oreille et un peu la langue, bon mais… et alors ? ça n’abime rien d’autre que je sache. Ça n’abime rien des gens, du cœur des gens, de leurs élans et de leurs intentions, enfin si, ça bousille tout puisque tu les méprises avant même qu’ils aient eu le temps de finir leur phrase…et euh…je…Je m’égare là. J’étais pas du tout parti pour te parler du Bescherelle.

Si je voulais plier tout ça vite fait, je te dirai que je te quitte à cause d’Alice et d’Isaac. Parce que là, oui, pour le coup, tout serait dit. Je te quitte parce que j’ai rencontré des gens qui m’ont fait comprendre à quel point on était loin du compte, tous les deux. Mais je ne vais pas t’en parler. D’abord parce que tu leur ferais encore plus la gueule que d’habitude et ensuite parce que je n’ai pas envie de les partager […] et puis il n’y a pas que ça. Comme je te connais bien et que je sais que t’en as pour un moment à répéter sur tous les tons et à qui voudra l’entendre que je suis un salaud, un vrai salaud et que, vraiment quand on pense à tout ce que tu as fait pour moi, à tout ce que ta famille a fait pour moi, l’appart, le loyer, les vacances tout ça et que mes oreilles n’ont pas fini de siffler, je vais te donner mes trois raisons de me barrer. Trois petites raisons bien nettes et bien carrées. Comme ça, au moins le salaud il sera pas complètement rhabillé pour l’hiver..

Je ne te les donne pas pour me justifier, je te les donne pour que tu aies du grain à moudre. Parce que tu aimes ça, toi, moudre du grain, grognognoter, mâchonner, et ressasser ad nauseam comme les gens sont vraiment trop cons et que vraiment, tu ne mérites pas ce qui t’arrive et… Oui c’est ton truc, de toujours charger les autres plutôt que de te remettre en cause. Je ne t’en veux pas et même, je t’envie tu sais… J’aimerai bien être comme ça moi aussi de temps en temps. Ça me simplifierait la vie. Et puis je sais que c’est ton éducation […]

Je te quitte parce que tu me gâches toujours la fin des films au cinéma…A chaque fois… A chaque fois, tu me fais le coup…

Pourtant tu le sais, comme c’est important pour moi de rester encore un peu dans le noir, de me remettre de mes émotions en lisant sur l’écran le flot de noms inconnus qui sont comme un sas vital pour moi entre le rêve et la rue… Toi ça te gonfle, OK, mais je te l’ai dit, je te l’ai dit cent fois : pars avant moi, attends-moi dans le hall, attends-moi dans un café, ou alors va au ciné avec tes copines mais ne me fait plus ce plan-là de me demander dans quel resto on va aller ou de me parler de tes collèges et de tes chaussures qui te font mal aux pieds alors que le film vient à peine de terminer. Oui, même un mauvais film. Je m’en fous. A partir du moment où je suis resté jusqu’au bout, je ne pars pas avant de m’assurer qu’on a bien remercié le maire de Petzouille-les-Ouches et d’avoir lu les mots Dolby et Digital à la fin. Même un film danois ou coréen et même si je ne comprends rien j’en ai besoin. […]

L’autre truc c’est que tu manges toujours le nez de mes gâteaux, et ça aussi, j’en peux plus. Sous prétexte que tu fais attention à ta ligne, tu ne commandes jamais de dessert et à chaque fois que le mien arrive, direct tu te jettes sur ma petite cuillère et tu lui bouffes le nez… Bon… déjà ça se fait pas même si tu connais forcément la réponse, tu pourrais me demander la permission, ne serait-ce que pour donner l’illusion que j’existe un peu. […]

La dernière chose et c’est la plus importante je crois, je m’en vais car je n’aime pas la façon dont tu te comportes avec mes parents.[…] »

Note ✵ 4/5

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