La décision de partir fut prise 36h avant le départ. Incroyable ! Ca ne m’était jamais arrivé. D’habitude, j’ai besoin d’au moins 3j de préparation, ne serait-ce que psychologique. Il faut faire les dernières machines, le grand ménage, le plein de frais… et puis j’aime passer la dernière journée au mouillage dans mon bateau à caler les derniers trucs, l’accordéon dans les pattes, le xylophone qui tombe, les sandows sur les toiles antiroulis, cuisiner la viande et la mettre en conserve…
Mais bon, il faut dire que le bateau est bien prêt après ses 4 mois de chantier, et puis, on a eu l’occasion de se ré-amariner entre Terceira, Sao Miguel et Santa Maria.
Il fallait prendre la fenêtre qui s’ouvrait à nous ! Une dépression – que les Bretons ont sentie le vendredi 9 août – passait au-dessus de nous et nous emportait dans ses vents de queue.
Nous visons un départ le mercredi soir (7 août), mais on finit la préparation un peu tard et les souvenirs de départ de nuit, notamment celui de Fuerteventura, nous font nous rassoir ; une bonne nuit de sommeil et on partirait au lever du jour. On a bien fait ! Le passage de front, qu’on a ressenti de nuit au port, aurait été des plus désagréables.
On part donc à 6h le jeudi, avec 18 nœuds de travers, à toute vitesse, et une houle de 3 mètres en travers aussi, assez longue pour qu’elle ne soit pas ‘trop’ désagréable.
Notre horloge biologique en milieu marin est vraiment bien calée : les premières 48h sont toujours un peu dures, on est assommé, envie de rester allongé, un peu barbouillés. Et ça dure 48h, pas une de plus, c’est dingue ! Sauf Augustin, qui m’a un peu inquiétée quand son mal de mer a persisté au-delà des 48h… mauvais souvenir du Dakar-Cap-Vert… heureusement, les pancakes préparées par Maxime ont fini par rester dans son estomac !
C’est notre première traversée sans équipier supplémentaire. Nous la souhaitions en famille cette traversée, juste entre nous. Du coup les grands, Aurore et Xavier, ont pris un des quarts de nuit. Un relai plus que bienvenu pour notre gestion du sommeil ! Je ne faisais plus qu’un seul quart, mais pas moins difficilement… un rythme à prendre aussi. Le premier truc qui marche, c’est la verveine citronnée, un des seuls moments où je bois une tisane, haha ! J’en ai encore de Végères les copains ! et j’alterne avec une Florentine de Flo et Béru (merci Pauline!) J’ai aussi testé le film pour me tenir éveillée, sauf qu’avec les distractions que t’apporte la mer, ça devient un concept du film d’1h45 qu’on regarde en trois fois 3h !
Finalement, dès la deuxième nuit et jusqu’à la dernière, nous ne croiserons aucun bateau. En revanche la dernière nuit, 60 milles de la côte, juste sous le rail du Cap Finisterre, ouille aïe aïe ! Momo s’est carrément retrouvé à demander au cargo qui a battu le record du monde en chargement, le Mumbai Maersk, de passer derrière nous. 400m de long, 50m de large, gloups !
Nous étions routés (ie. guidés pour la météo) par notre copain Guillaume de Gytan (un sister-ship), via SMS sur notre téléphone satellite. Deux fois par jour, alors qu’il était lui-même en navigation, fidèle au poste, nous avions la météo sur zone et des points GPS à viser. Et en sus, on avait toujours droit à un petit mot d’encouragement, très bienvenu. « Vous allez trop vite ! » - « C’est une météo de dingue que vous avez ! » - « N’oubliez pas de crier, chanter, hurler, tant que vous êtes en traversée ». Oui, oui, en effet Guillaume, on a apprécié chacun de ces moments. Merci ! C’est quand même bien agréable d’avoir un contact régulier et rassurant avec la terre.
Quant à la pêche, malheureusement, la planchette avec nos 100m de fil et le leurre parfait sont tombés à l'eau dès le 3ème jour.
La vie en mer s’est installée tranquillement, à tel point qu’on se dit qu’on vient à peine de trouver le bon équilibre, et qu’on est enfin prêts à repartir, hum… Les enfants ont relevé la tête de leurs coussins (leur position favorite en nav pendant les premiers jours, c’est allongé à ne rien faire) les boîtes de playmobil sont ressorties, les pistolets à eau aussi, on a pu faire de la brioche, des pizzas, de la musique, des temps de prière. Le temps s’est petit à petit arrêté. C’est à ce moment-là qu’on se met à apprécier pleinement la mer, la navigation, la vie frugale dans ce mini espace avec vue sur mer. On a eu de la chance, c’était la fenêtre météo idéale. Une manœuvre par jour et encore, glisse parfaite, au bon plein, notre meilleure allure, de temps en temps appuyés au moteur pour aller chercher le vent. Je ne pourrais même pas décrire comment nous passions notre temps tant nous étions à la fois très peu actifs, mais sans jamais nous ennuyer. La vue d’un cachalot passant l’air de rien à 10m du bateau vous fait votre journée ! Je me rappelle ce début de quart, partagé avec Momo, où nous étions assis côte à côte dans notre « canapé » face à la lune qui se levait et déposait son clair sur l’eau. On marchait à plus de 6 nœuds dans un vent stable d’à peine 10 nœuds, une houle travers que ia orana défiait en toute stabilité. On monte, on descend, on suit les rides de l’eau jusqu’à disparition dans l’horizon. Nous sommes restés une heure et demie à contempler le défilement des vagues, et à nous dire secrètement que ça valait tellement mieux qu’une bonne série !
Dimanche et lundi se déroulent dans une telle plénitude que nous ne voulons plus arriver. On se dit même qu’on va ralentir. Et même qu’on a de quoi repartir vers les Canaries. Et pourquoi pas re-traverser ?! bon, stop les fantaisies, soyons raisonnables, bouh !
Nous avions pris une route bien nord pour être sûrs de ne pas avoir à finir au près dans les alizés portugais. Du coup, nous décidons de changer notre point d’arrivée pour les rias de la Galice et faire ainsi durer un peu les vacances.
L’approche de la côte se fait sous une chape de nuages gris et bas, on n’a décidément pas du tout envie d’arriver… Heureusement pour nous consoler, nous traversons un bassin où des milliers de dauphins font leur show. On ne sait plus où donner de la tête tant ils nous font des figures de style à 360° du bateau ! On passera une grosse heure à faire des huit, emmitouflés dans des bonnets et vestes de quart sous un crachin qui nous évoque l’arrivée prochaine en Bretagne espagnole.
Au bout de 825 milles nautiques, parcourus en 6 jours et une demi-douzaine d’heures, nous nous amarrons à Muros en Espagne.
Et nous pouvons célébrer le cap des 10 000 milles nautiques depuis le départ!