Du 7 au 13 octobre 2019 - une longue semaine d’attente et de chaos avant la signature d’un accord de paix.
Lundi - Nous nous laissons convaincre par Pablo, qui part travailler à Cuenca, d’aller faire un tour dans le centre. Malheureusement, nous n’irons pas bien loin, car à la sortie de la Finca, un arbre nous barre la route. Nous nous retrouvons nez à nez avec des manifestants, en marche vers la ville, armés de bâtons et de pierres et bien décidés à en découdre avec tout ceux qui ne participent pas au « Paro ». Nous rebroussons donc chemin en vitesse en prenant soin de fermer les grilles derrière nous!
Après cette vaine tentative de sortie, nous nous résignons à ne plus quitter la propriété pendant quelques jours...
En écoutant les informations, nous apprenons que des milliers d’indigènes affluent des quatre coins du pays à pied, vers Quito, la capitale, en vue du gigantesque mouvement de contestation annoncé ce mercredi. Les manifestants exigent que le président, Lenin Moreno, rétablisse les subventions sur le carburant, qui existent depuis plus de 40 ans. En effet, leur suppression brutale a entraîné, la semaine dernière, une hausse du prix à la pompe de plus de 100%, qui semble inacceptable au vue du salaire moyen. Mais le gouvernement, qui a conclu un accord avec le Fond Monétaire International et s’est engagé à supprimer ces subventions en contrepartie d’un prêt de plusieurs milliards de dollars, campe sur sa décision, affirmant qu’il n’est pas envisageable de revenir sur ces mesures économiques... Le dialogue parait impossible! L’assemblée nationale est envahie, et le président, craignant les représailles, déplace le siège du gouvernement à Guayaquil, la capitale économique du pays, où il part se réfugier. 70 000 militaires sont déployés sur le territoire : la tension est palpable! Les détonations des pétards rythment désormais notre quotidien...
Mardi - La théorie du complot est avancée. Le président dénonce une “tentative de coup d'Etat” organisée par l’ancien président, Rafael Correa, et soutenue par le président Vénézuélien. Il ordonne un couvre feu autour des lieux de pouvoir tout en invitant les indigènes au dialogue. Mais du côté des opposants la colère monte et la situation dégénère : toute personne ne respectant pas le mouvement de grève est sanctionnée : lancers de pierres sur les taxis actifs et les automobilistes, agressions et vols massifs, mise à feu de pneus et blocage de toutes les routes du pays. En parallèle, plusieurs champs pétroliers, sont pris d’assaut, paralysant près de 70% de la production du pays. Le peuple refuse clairement le retour du FMI dans la politique équatorienne!
Pablo, qui a réussi à rejoindre son bureau en début d’après-midi reste bloqué à Cuenca. Il finit par rentrer à la maison vers 1h du matin, après avoir attendu pendant six heures au bord de la route et payé un pot de vin...
Pendant ce temps là, à la Finca, nous profitons du blocage pour cuisinier et nous régaler... Il faut dire que Felipe, un chef italien, ami de la famille, nous a rejoint. Obligé de fermer son restaurant, situé au cœur du centre historique de Cuenca, donc quadrillé par les forces de l’ordre, il a décidé de se réfugier ici au calme jusqu’à la fin de la crise.
Au menu : coques à la marinière façon basque, linguine aglio olio e peperoncino a l’italiana, les fameux gnocchi, émulsion parmesan de Sion et un bon gâteau au chocolat à la française... on se remonte le moral comme on peut!
Mercredi - Espérant que la journée de grève nationale aboutisse à un dialogue et apaise les esprits, nous partons nous promener dans la Finca. Zéphyr se lie d’amitié avec le petit voisin de son âge tandis que nous tentons de nous changer les idées en refaisant le monde avec les uns et les autres...
A notre grand désespoir, nous apprenons en fin de journée que les manifestations ont complètement dégénérées, faisant de nombreux blessés et plusieurs morts, dont un important chef indigène... La Conaie (Confédération des nationalités indigènes d’Equateur), à rejeté le dialogue avec le gouvernement, appelant à « radicaliser les actions » de protestation. La sortie de la crise n’est pas pour demain...
Jeudi - Voyant que la situation ne fait qu’empirer, nous commençons à envisager toutes les options possibles pour sortir du pays au plus vite... Le voisin nous parle d’une petite route de montagne qui rejoint la côte. Après quelques recherches, nous trouvons en effet un itinéraire à travers le parc national des Cajas qui aboutit au sud de Guayaquil, mais ça semble acrobatique : la route n’existe même pas sur Google Map! Tandis qu’on cogite Zéphyr joue. Je profite aussi de ce laps de temps pour lancer enfin la refonte du site internet de l’artiste et le cuisinier. (Merci Edouard!)
Vendredi - La route qui mène à Cuenca a été réouverte ce matin et le calme semble revenue temporairement dans le centre. Nous partons donc avec nos hôtes pour faire quelques courses et se renseigner sur notre hypothétique itinéraire. Les étales du supermarché sont quasi vide mais le marché du centre historique lui est bien fourni... En effet, des avions militaires ravitaillent la ville depuis plusieurs jours mais les produits de première nécessité qu’ils amènent partent vite. En revanche, les paysans, en majorité indigène, n’ont aucune difficulté à passer les barrages pour venir vendre leurs fruits et légumes aux citadins coincés là...
Une fois nos emplettes terminées, nous partons interroger les rares transporteurs qui n’ont pas fermés boutique, sur la faisabilité de l’itinéraire que nous avons repéré. Le verdict est claire : c’est en effet la seule route ouverte pour rejoindre la côte mais elle est impraticable avec un véhicule de notre gabarit! La piste qui sillonne entre 3000 et 5000 mètres d’altitude, est souvent dans le brouillard, extrêmement étroite et dangereusement sinueuse, d’un côté la falaise et de l’autre le précipice, il n’y a apparemment aucune de marge de manœuvre, la moindre erreur est fatale... C’est donc complètement inconscient de tenter ce trajet avec nos 8m30! Un peu déçus, on laisse tomber cette option.
Pour nous réconforter, Paulo nous emmène boire une bière au mirador del Torri. Le point de vue sur la ville est superbe et nous en profitons pour faire brûler un cierge dans la petite église.
Samedi - Via un forum de voyageurs nous récupérons le contact d’un passeur qui accompagne des touristes jusqu’à la frontière du Pérou, via la cordillère des andes. Une française qui a fait le trajet dans sa voiture quelques jours auparavant, nous affirme que la piste est assez large mais qu’il faut absolument être accompagnés par un indigène car il faut négocier et payer un pot de vin à chaque barrage, or il y en a apparemment beaucoup... L’option ne nous plait pas beaucoup mais vu la situation on est prêt à tout envisager pour quitter ce pays en pleine insurrection!
Il faut dire qu’aujourd’hui les affrontements ont repris de plus belle rendant l’atmosphère particulièrement explosive! Des débordements violents plongent le pays dans un terrible chaos. Tandis que la police lance des bombes lacrymogènes dans des lieux fournissant de l’aide humanitaire et utilise des fusils à plomb et des grenades pour disperser la foule, la Conaie (principale organisation indigène du pays) prend en otage dix policiers et vingt journalistes. Au même moment, la chaîne Teleamazonas est incendiée et les responsables refusent de laisser rentrer les pompiers. Le siège du journal le plus populaire du pays, El Comercio, est lui aussi attaqué et un journaliste blessé. Comme un bouquet final, le bureau de l’Inspection générale des finances prend feu et les infiltrés soupçonnés d’être à l’origine de l’incendie et de tous les dégâts qu’il a occasionnés, en profitent pour faire disparaître tous les documents de procédures judiciaires concernant la corruption de Rafael Correa, l'ancien Président. Les indigènes affirment n’avoir rien à voir dans ces attaques et la confusion règne sur l’origine exacte de certaines violences. Il semblerait que ces débordements violents soient organisés et pensés par des infiltrés étrangers, entraînés au Vénézuéla et subventionnés par Rafael Correa, avec la complicité du narcoterrorisme et de bandes criminelles. L’idée serait de faire régner le chaos pour aboutir à coup d’état qui permettrait à l’ancien président de reprendre le pouvoir. Depuis Bruxelles où il réside, ce dernier a d’ailleurs demandé à l’Assemblée nationale de convoquer des élections anticipées...
Quoiqu’il en soit, le bilan de ces onze derniers jours fait froid dans le dos : 1340 blessés, 1152 détenus et 7 morts officiels, sans compter les nombreux dégâts et l’énorme perte financière!
Heureusement, face à cette situation désastreuse, les indigènes acceptent finalement le dialogue proposé par le président, à la condition que celui ci soit diffusé publiquement en direct. Le gouvernement, quand à lui, sollicite l’ONU pour faciliter l’échange, afin de trouver une issue à la crise. Le rendez vous tant attendu est fixé au lendemain... on s’endort plein d’espoir!
Dimanche - Nous partons nous promener à Cuenca en attendant le verdict... Après une longue balade au parc Paraíso ou l’ambiance familiale et bon enfant nous permet de nous détendre et d’oublier un peu les tentions de ces derniers jours, nous regagnons le centre ville pour déjeuner. Évidemment, vu le contexte actuel, les bons restaurants que nous avions repérés sont tous fermés, et les rues sont un peu désertes. Mais par chance, notre petit café préféré, El ñucallacta, est ouvert et nous y dégustons donc de délicieux cafés, issus des petits producteurs de la région, accompagnés d’un burger végétarien, d’un carrot cake et d’un gâteau fudge-peanut butter. Pas très équatorien comme menu mais réconfortant! Nous partons ensuite visiter le musée ethnographique Pumapungo, consacré au différentes ethnies du pays : parfait pour découvrir la culture et les traditions des peuples indigènes qui sont au cœur de l’actualité!
Nous regagnons la Finca en fin de journée afin de suivre le dialogue politique tant espéré. Nous prions le ciel pour que la discussion mène à une sortie de crise durable mais aussi à la levée des barrages : notre unique solution pour sortir du pays en camping-car. En effet, le fameux passeur que nous avions contacté la veille nous a informé cette après midi que le chemin en question n’était plus envisageable. La piste empruntée intensivement ces derniers jours est devenue impraticable car un pont s’est écroulé... On croise donc les doigts en s'installant, comme des millions d’équatoriens, devant notre écran.
C’est passionnant d’assister en direct à une réunion politique si décisive. Les enjeux sont énormes! En guise d’ouverture le président Moreno déclare « Frères indigènes, je vous ai toujours traités avec respect et affection" et il poursuit en guise d’excuse «Cela n'a jamais été mon intention d'affecter les secteurs les plus démunis (...), les plus pauvres». Le médiateur de l’ONU mène le dialogue avec des pincettes et s’exprime de façon extrêmement délicate afin d'éviter le moindre dérapage. La tension est bien réelle, il marche sur des œufs! La parole est donné tour à tour à chaque participant, qui expose son point de vue librement sans être interrompu car aucune réaction immédiate ne semble admise. L’heure n’est pas au débat mais bien à l’écoute des revendications et des arguments des uns et des autres. Les représentants des différents groupes indigènes, parés de leurs plus beaux costumes traditionnels, dénoncent tour à tour les abus, les violences et les injustices, commis par le gouvernement, tout en usant de nombreuses formules de politesse pour faire passer la pilule. Le porte-parole du gouvernement tente quand à lui de justifier avec bienveillance le bien fondé de ses mesures d’austérités... Après une heure de discours emplis d’émotions, le médiateur de l’ONU demande une pause de 15minutes pour que les différents acteurs puissent se consulter afin de formuler des propositions concrètes. Les journalistes sont donc invités à sortir de la salle. S’en suit alors deux longues heures de suspense : la négociation se déroule en privé tandis que le peuple patiente désespérément... Un peu avant 22h, le direct reprend et le représentant de l’ONU annonce soulagé que «Les deux parties se sont mises d'accord sur la préparation d'« un nouveau décret qui annule le décret 883 » sur le prix des carburants, et qu’ «avec cet accord la mobilisation se termine». « Les mesures appliquées dans tous nos territoires sont levées », confirme le président de la Conaie, Jaime Vargas après avoir demandé la destitution de deux ministres. "A tous ceux qui ont participé à ce processus de paix, je les remercie", conclu finalement le président Lenin Moreno. Des cris de joie résonnent dans tout le pays! Ce soir les équatoriens fêtent la fin de la crise mais aussi leur « victoire ». Leur persévérance a payé, ils ont obtenu gain de cause. Nous partons nous coucher apaisé à l’idée de pouvoir reprendre enfin la route demain...