Capitale du département du même nom, Potosi est l’une des plus hautes villes du monde, avec une altitude de 4,090 mètres. Aujourd’hui de petite taille, Potosi fut au XVIème siècle la ville la plus peuplée de la planète, devant Paris, Londres, Rome ou Moscou. Cela en raison de l’exploitation en masse des mines d’argent du mont Cerro Rico ("Montagne Riche") sur les flancs duquel s’est développée la ville après sa création en 1545. Exploitation qui enrichit notablement l’Espagne, au prix fort de plusieurs millions de morts. On raconte que l'argent extrait de la mine suffirait pour construire un pont au dessus de l'Atlantique, reliant l’Espagne à la Bolivie, et qu'un deuxième pont pourrait être construit en empilant les corps des indigènes, esclaves et ouvriers morts dans la mine.
Nous arrivons dans une ville sans grand charme, principalement connue des touristes pour la visite de ses mines. Nous nous installons dans une auberge assez sympa, et partons déjeuner et nous balader. Nous visitons notamment la cathédrale de la ville, sans doute l'une des plus jolies que nous ayons visité en Amérique latine. Très spacieuse et lumineuse, pas trop chargée, cette cathédrale nous séduit beaucoup, et nous pouvons même monter sur le clocher et y observer la ville vue d'en haut.
Le lendemain, nous partons à 14 heures pour la visite des mines. Avec nous nous accompagnent 4 brésiliens. Nous commençons le tour par une séance d'explications du matériel et des conditions de travail des ouvriers au marché des mineurs. Notre guide, Marco, est très intéressant, et nous fait un topo sur l'alimentation des ouvriers pendant leurs heures de travail. Ceux-ci se gavent toutes la journée de feuilles de coca et de pâte énergisante (à base de bicarbonate de soude). Cela leur donne l'énergie et le sentiment de satiété nécessaire pour tenir le choc sous terre.
Marco nous présente ensuite les bâtons de dynamite utilisés par les mineurs, en vente libre dans ce marché. (Pas besoin de permis, n'importe qui peut acheter de la dynamite pour quelques sous.)
Enfin, nous achetons chacun un sachet de feuilles de coca et une bouteille de soda à donner aux ouvriers que nous croiserons, afin d'améliorer un peu leur quotidien.
Puis, nous partons nous équiper pour la descente aux enfers.
Avant d'entrer dans les mines, Marco nous fait un petit topo sur la situation. Il nous inonde de chiffres tout aussi intéressants les uns des autres, mais que nous ne pouvons tous retenir. Notamment, que l'on dénombre 10,000 ouvriers qui travaillent encore à la mine, que leur espérance de vie est de 45 ans (contre 35 ans à l'époque coloniale), qu'il n'existe pas à ce jour de cartes du réseau minier, que le rendement en argent de la mine s'épuise (auparavant 1 tonne de minerai pouvait receler 200KG d'argent, maintenant c'est 1KG), que c'est maintenant l'étain qui est le plus extrait, que 30% des revenus de la mine vont directement dans les caisses de l’état Bolivien, que l'on dénombre encore de nos jours entre 30 à 40 morts par an, et enfin, que le Cerro Rico, pourtant exploité de l'intérieur, s'est tassé de 500 mètres au fil de ses 5 siècles d'exploitation.
De nos jours, les ouvriers travaillent à leur compte, et sont regroupés en coopératives privées. Cela leur permet de réguler eux mêmes leurs horaires, de mettre en commun le matériel, et d'avoir un salaire variable allant parfois jusqu'à 1000 bolivianos par semaine (Le salaire moyen en Bolivie est de 1,500 bolivianos par mois).
Nous pénétrons ensuite la montagne gruyère par l'une des nombreuses mines qui la trouent de partout. Nous autres européens, que l'on bassine en permanence avec la sécurité, les normes etc, rien ne nous aura préparé aux conditions de travail de ces mineurs.
Après 1 minute de marche, nous arrivons au sanctuaire dédié au Tio (l’Oncle) qui est le Dieu de la mine. De sa liaison fertile avec Pachamama, la déesse de la terre, découle le minerai présent dans la mine. A l'entrée de la mine, chacun doit abandonner sa religion, et croire au Tio. En effet, celui-ci est responsable de tout ce qui se passe dans la mine, de bon ou de mauvais. Tout mauvais esprit est complètement proscrit de la mine, pour ne pas s’attirer les foudres du Tio.
La visite commence donc par un petit rituel d’offrande à ce Dieu étrange. Nous lui offrons de l’alcool à 96 degrés, des feuilles de coca, et même une cigarette. Si celle-ci se consume alors le Tio nous autorise l’accès aux entrailles de son royaume. Marco à l’air d’y croire dur comme fer, et se confond en courbettes. Coup de bol, la cigarette se consume! Le Tio nous accorde donc accès à son territoire 😀
Nous nous enfonçons donc un peu plus dans cette mine sordide, ou aucune galerie ne semble être solide.
Nous restons environ 3 heures sous terre. L'air est sec et frais, les souterrains sont étroits et donnent l'impression de vouloir s'écrouler à tout moment. Il est parfois difficile de respirer. Nous comprenons sans mal ce que ce doit être de passer 8 à 12 heures sous terre, à travailler sans relâche. A un moment, Marco nous fait éteindre toutes nos lumières, afin d'apprécier l'obscurité la plus complète qui soit. Le silence est total. Il est juste interrompu par quelques bruits d'explosion de dynamite un plus bas dans la mine. Nous comptons 12 coups, et espérons qu'il n'y a pas eu d'accidents. Il nous raconte que parfois, les lampes des ouvriers tombent en rade et que ceux-ci sont forcés de rester 1 voire 2 jours seuls dans la mine, immobiles, à attendre qu'un groupe de mineurs passe par là. Ce travail est horrible, et nous fait pleinement nous rendre compte de la chance que nous avons.
Nous croisons un groupe de 3 ouvriers qui poussent péniblement un charriot rempli de 2 tonnes de minerais, sur des rails incertains. Malgré l'intensité de leur labeur, ceux-ci ne se plaignent jamais, pour ne pas déplaire au Tio. Nous leur offrons 2L de sodas et un sachet de feuilles de coca. On discute un peu. Lorsque l'un de nous demande comment se passe le travail, l'un deux nous répond: "C'est Triste". Puis il nous explique un peu son travail, et nous annonce qu'un collègue est mort 2 jours avant en tombant dans un puit. La peine se lit dans ses yeux, et la tristesse envahit le couloir dans lequel nous nous tenons. En signe de respect, Marco sort une petite fiole d'alcool pur à 96%. Après avoir versé une goute au sol pour le camarade tombé, puis une autre pour la déesse de la Terre (Pachamama), chacun à son tour prend une petite gorgée. Nous voyons bien que les mineurs sont reconnaissants de ce petit geste. A ce moment, un autre mineur arrive et nous prévient calmement "On se barre les gars, il y a de la dynamite qui va exploser". Notre petite troupe repart donc un peu plus vite qu'elle n'était arrivée, malgré les incantations rassurantes de Marco: "Tranquilo amigos, tranquilo".
Marco nous explique alors que les mineurs sont très respectés à Potosi. En effet, il n'est pas une famille qui n'a pas eu au moins un ancêtre mort dans cette mine.
Nombreux sont les touristes qui refusent d'aller visiter les mines pour ne pas encourager ce que certains appellent le "tourisme de la misère". Pour notre part, nous voulions vraiment nous rendre compte de ce qu'est le travail, le vrai. Celui qui tue à petit feu. Et puis nous avions lu que ces excursions de touristes permettent vraiment d'améliorer un peu les conditions de travail, notamment grâce aux petits cadeaux que nous leur offrons. Ce n'est vraiment pas grand chose, mais cela fait plaisir.
Nous ressortons tous de la mine, sales, et un peu tristes d'avoir été les témoins de ce genre de travail. Un travail d'une intensité exceptionnelle. Quand on voit cela, on se demande pourquoi les grèves et les syndicats sont encore tolérés en Europe..