Sancerre - la Charité-sur-Loire : 35 km
Durant ce périple en bord de Loire, nous aurons finalement rencontré peu d'humains, ce n'était pas le but, à part la famille et quelques randonneurs à vélo ("vous venez d'où... vous allez où ?"...). Il paraît que d'habitude ils sont des milliers en juin mais cette année... presque personne (tant mieux pour nous).
Nous réussissons à partir assez tôt, il fait beau mais ça ne va pas durer, la journée sera plutôt maussade et surtout fraîche à cause du vent.
Arrêt au magasin local pour acheter le pique nique. La distanciation sociale est bien là, il faut le constater. Regards ternes ou méfiants derrière les masques. Personne ne se parle. Est-ce cela le monde à venir ?
La route est plutôt jolie, très verte, sous-bois, pâtures, champs de maïs copieusement arrosés. La Loire s'entrevoit entre les bosquets. Nous sommes dans une réserve naturelle, l'île de...., au sol sablonneux, avec arbres, et fleurs à profusion. Pas d'endroit pour se poser pour un pique nique, on poursuit jusqu à une levée de Loire où un cycliste sportif lasoixantedizaine nous interpelle, avenant: "vous venez d'où?... blablabla... vous regardez la télé ?" et là, le ton de sa voix change subitement... " le monde court à sa perte, tous des pourris, et ces négros, c'est pas être raciste que d'aimer son pays, y a plus d'identité, depuis Giscardc'est foutu et ce con de Macron, si j'avais été De Villiers, un coup d'état et c'était réglé..." à la vitesse d'une mitraillette cet ancien militaire nous assène sa vérité, je m'enfuie sur mon vélo" la p'tite dame elle en a marre d'écouter mes conneries... " pendant qu'Eric, toujours plus pertinent, fait remarquer sa colère à cet homme haineux.
Pique-nique sur un banc au bord de Loure où Éric réinvente l'eau courante... Et nous voilà au km 32, à 32 km du début de la Loire à vélo, écusson incrusté sur la piste à chaque km, symbolique pour nous, puisque l'on fête nos 32 ans de mariage ce jour ! Que de chemins parcourus ensemble, parfois escarpés, aventureux, souvent passionnants et toujours main dans la main ou plutôt roue dans la roue ce jour.
Arrivée à La Charité-sur-Loire, notre ville étape. Un pont en pierre étroit pour y parvenir où les poids-lourds roulent vite, brrr. On s'offre une nuit en bungalow de toile à 21 € au camping sur une île au milieu de la Loire.
2ème rencontre du jour: le gérant du camping avec qui nous discutons longtemps de son choix de vie mi-nomade, mi-saisonniere. Ostéopathe et directrice de crèche, la quarantaine, ils ont choisi de tout plaquer pour aller vers la décroissance, la nature, la vie de famille sans école, et gagnent leur vie en gérant des campings plutôt nature, 4 à 6 mois par an. Choix de vie qui prend encore plus, de sens en cette période.
Visite de la Charité-sur-Loire, belle découverte, le prieuré bénédictin est incroyable, enchevêtrement de chapelles du Moyen Âge au sol pavé de pierre brute, enchassé dans la ville, avec des jardins, des passages secrets, une statuaire, d'une puissance spirituelle extraordinaire. Nous sommes sur le chemin de Compostelle. La Charité-sur-Loire est aussi une capitale du livre et partout dans la ville médiévale, des restaurants-librairies, des bouquinistes, des lieux d'artistes, des aphorismes inscrits sur murs et chaussées. La Charité doit son nom à l'accueil des pauvres, des prostituées et des lépreux confinés sur une île.
3e rencontre, au cours de la soirée à la Goguette, lieu alternatif associatif, scène ouverte où on peut boire, manger, danser.. dans un jardin, sur l'île. Le soleil est revenu et nous goûtons ses derniers rayons, attablés dans ce lieu intéressant. Ici, tout se mélange, quelques touristes, des musikos décontractés mais plutôt bons, des jeunes du coin, des militants associatifs engagés et les simples du village "Kamikaze" et "Lapin", "les plus pires de La Charité" comme ils aiment à se nommer... La bière, le vin aidant, la parole se libère et des ondes de vraie humanité circulent dans ce jardin. Sous d'autres cieux, Kamikaze et Lapin et leur dégaine absolument improbable seraient enfermés dans un asile. Faites que des lieux comme celui-ci puissent exister, toujours.