Un raccourci pour la Polynésie

J'empreinte à la voile le plus grand raccourci du monde, le canal du Panama, pour couper tout droit dans l'océan Pacifique vers les archipels de la Polynésie française : les Marquises et Tahiti.
Mai 2023
16 semaines
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Cher lecteur, sois le bienvenue dans mon nouveau carnet de voyage.

Me voilà repartie pour une nouvelle et grande aventure. La transatlantique en 2018 m'avait plutôt réussi, alors quand la possibilité s'est présentée de poursuivre ma route des Caraïbes à la Polynésie, j'ai sauté sur l'occasion. Pour ce voyage, je démarre de Panama City et je rejoins mon nouvel équipage qui arrive côté Atlantique. Nous emprunterons le canal du Panama, pour ensuite passer éventuellement par les Galapagos. Un arrêt tourisme indispensable aux Îles Marquises, puis cap sur Tahiti et ses îles environnantes. Bref, on démarre des Caraïbes et on prend le raccourci tout droit vers la Polynésie. Il n'y a pas plus court.

Dans ce carnet, il y aura bien sûr un peu de voile (pas trop, promis !), un peu de culture et de nature, de beaux paysages avec de belles photos (j'espère ! ), des histoires de marins (qui finissent bien), des histoires de requins (qui finissent bien aussi !), des pourquoi et des comment (kesako ?), de quoi vous faire rêver (ou pas), des états d'âmes (à petite dose, hein ! ), et comme c'est une aventure, et bien nous verrons bien ce qu'il m'attend !

Bonne lecture à tous, et n'hésitez pas à m'écrire des commentaires, ça fait très plaisir !

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En attendant mes marins préférés, je fais du tourisme à Panama. Une ville qui en jette ! Des méga-buildings modernes au bord de l'océan Pacifique, une culture et une histoire riche, de quoi rendre curieux !

Les gratte-ciels en plein saison des pluies. 
La ville sous tous les angles. 

Malgré les a priori, il faut bien avouer que la ville est belle et très cosmopolite. Avec son histoire coloniale, elle a tout d'une ville Amérique Centrale mais avec de multiples influences : espagnole, caribéenne, asiatique, française, américaine... L'histoire récente du Canal de Panama a changé le pays et la ville, mais j'y reviendrai plus tard.

Il y a des quartiers à visiter à Panama. Le vieux quartier qui a des petits airs de La Havane et qui est évidemment assez touristique, mais aussi le centre ville moderne avec ses bâtiments modernes qui sont utilisés comme bureaux et appartements par la population aisée.

Quartier ancient de Panama, el Casco Viejo. 

Le vieux Panama, à quelques kilomètres du centre, est la première installation des colons espagnols côté Pacifique. Construite en 1519, c'était une ville modèle avec une cathédrale et des nones. Bref, le paradis des colons, mais il faut croire qu'elle était beaucoup trop appétissante, il lui est arrivée des bricoles... Quelques incendies et quelques visites de pirates se succèdent. La dernière en date est célèbre. Henry Morgan, un pirate anglais, pille et saccage la ville en 1670. La piraterie en fait trembler plus d'un et pour contrer les pillages, le gouverneur espagnol de l'époque finit par tout raser en 1671, notamment pour éviter que Henry lui pique tous les pétards de la ville. Mais grâce à lui, nous pouvons aujourd'hui apprécier un bon verre de Captain Morgan, un rhum qui a une histoire... Pis le site archéologique est canon. Donc ca va. Merci à lui.

The old old old Panama. 

Si tu veux de la nature tropicale luxuriante avec plein de bestioles à observer, tu es au bon endroit. Recommandations : ne pas avoir des moustiques et ne pas avoir peur de se sentir comme dans une piscine en permanence avec sueur et vêtements qui collent. Mais si tu es courageux, singes, piou-pious colorés et animaux en tous genres viendront te passer le bonjour.

 Pipeline Road, les ricains ont construit cette route pour un pipeline plus en sécurité loin du canal lors de la guerre froide. 

Demain est un grand jour. Je rejoins les capitaines aux Îles San Blas. Je n'en dis pas plus mise à part que vous allez me détester.

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Les lundis de Pentecôte ne sont pas chômés ici. Le balais des 4x4 pour touristes a commencé très tôt ce matin. Une centaine d'européens et chicanos se rendent aux îles Sans Blas pour ses îles paradisiaques.

Je suis dans la Comarca de Guna Yala, chez les Gunas, premier peuple autochtone à avoir accédé à l'autonomie en 1925 face à la Colombie. Peuple de la côte Atlantique et des îles, leur économie est basée sur les produits de la mer, la culture de bananes, riz, manioc, patate douce. Leur meilleur commerce est celui de la noix de coco, environ 30 millions de noix vendues chaque année en Colombie qui les transforme. Bien sûr le tourisme fait sa part. Leur culte est lié à la Nature et aux divinités. Ils pensent que leurs présences sont indispensables au véritable bonheur.

Aujourd'hui, les capitaines et moi on se rejoint au port de Cartí, seul embarquement possible pour les îles. J'attends ici quelques heures que mon bateau puisse venir me récupérer. J'avais déjà fait du stop, mais jamais au bord d'un océan. Les touristes sont partis, j'observe les locaux charger et décharger des denrées pour les îles. Ils me posent des questions sur ce que je fous là toute seule et je raconte mon histoire. Au passage j'apprends 2 ou 3 trucs sur les Gunas avec mon espagnol de championne. Bon... Plus que 5 heures en territoire inconnu avant de voir de voir arriver l'étrave de mon fier destrier des océans, Houria of Sky.


Sur le quai, j'attends...

Ciel ! Qui vois-je arriver au loin ? Un bateau à voiles !! Mon taxi !! Mon calvaire des insectes féroces suceurs de sang français est terminé. David the Captain a pris l'annexe pour venir me chercher sur le quai. Ni une ni deux, je me retrouve à bord. Trop bien ! C'est la vraie aventure qui commence. Il y a un peu de vent, juste de quoi mettre les voiles, quitter la terre ferme et voguer vers mes premières îles paradisiaques.



Bateau en vue !!!
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Prends un bout de papier, un crayon et dessine une île paradisiaque. Tu feras une bosse arrondie de sable blanc au-dessus de l'eau. Tu mettras un ou deux cocotiers, pas plus, le soleil, pis éventuellement un dauphin dans l'eau ou un crabe. Ben les San Blas, c'est ça. Des îlots pas bien gros où vivent quelques familles pleines d'enfants, mais aussi sur certaines îles des touristes qui jouent à Robinson Crusoe. Il y a des maisons de bric et de brocs et des toits en palme. Des forêts de cocotiers et le tout est bordé par des eaux turquoises.

Bof... 

Réveil en douceur sur notre île paradisiaque. Un marchand dur en affaire accoste notre bateau pour nous vendre des mulas, des tissus traditionnels. Une fois les emplettes réalisées et portemonnaies vidés, nous changeons d'île pour une plus peuplée. Nous mouillons vers des îles où il n'y a plus de cocotier. Nous achetons au village quelques tomates pas du tout indigènes et du frais. Trois pécheurs nous accostent pour nous vendre des langoustes et un crabe araignée. Affaire conclue, 20 dollares, 2 cocas et 1 litre de lait, ce sera un régal ce soir. Surtout que nous avons de bons cuisiniers sur ce bateau. Nos 5 langoustes seront cuites dans l'eau bouillante et dégustées avec les sauces préparées par David. Le tout arrosé par un verre de rouge. (Ne nous laissons pas abattre). La 5ème bestiole sera joué au rami. Un grand miam, c't'affaire !

La plus grande des îles des San Blas. 

Dernier soir aux San Blas nous repartons demain pour se rapprocher du canal. Nous allons jouer aux pirates dans les premières colonies de la côte Atlantique.

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Les minutes s'écoulent différemment sur un bateau qui voyage. Il y a tellement de possibilités, de choses à faire et en même temps, aucune vraiment importante en dehors de la bonne marche du navire et de son équipage. Pas de stress ici. La contemplation et la saveur de chaque minute sont nos capitaines. En métropole, on court, on court, on organise, on planifie. A quand remonte la dernière fois que vous avez procrastiné, laissé votre cerveau vagabonder ? Ici, il y a plein d'occupations. On pêche, on écrit (à toi, lecteur), on cuisine, on papote, on joue aux cartes, on dort, on nage, on plonge, on s'occupe du bateau... Nous n'avons pas le temps de nous ennuyer, nous avons celui de profiter et de laisser glisser. Chaque minute est à sa place. Des choses prévues aujourd'hui ? Oui, plein ! Et elles vont s’emboîter toutes seules comme des grandes. Ainsi, pour les 4 prochains mois, j'ai le temps, j'ai le temps, et jamais je m'ennuierai. Et si c'est le cas, ça sera déjà faire quelque chose.

https://youtube.com/shorts/KYFJ0WR8FLw?feature=share

Dure dure la navigation... 
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Houria continue sa route vers l'entrée du canal. Départ pour Nombre de Dios, Porto Lindo puis Portobelo, de grandes baies abritées par des îles, des repaires de pirates ! Dans les marinas du coin, de grands bateaux sont hors d'eau pour leurs travaux. Notamment, le grand voilier de course La Poste qui a participé à la course autour du monde de équipage en 93-94. Ce beau monocoque de 30 tonnes était barré par un certain Eric Tabarly et parmi l'équipage on comptait notamment Michel Desjoyaux. Triste de voir un beau bébé comme celui-là coincé dans une marina perdue du Panama.

La Poste
Puerto Lindo, sa baie et ses épaves.

Les marinas du coin sont entourées de mangrove. Étrangement, il y a peu de poissons sous les eaux locales, enfin, cela dépend sûrement de la qualité de l'eau. Ici, il n'y a pas vraiment de ramassage poubelle ou de station d'épuration... Mais il y a aussi beaucoup de zones naturelles protégées.

https://youtube.com/shorts/aY20MB0DOr8?feature=share


Exploration du labyrinthe naturel.
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Il nous faut organiser notre passage du Canal de Panama. Une agente parlant français s'occupe de nous. Sans compter que je suis la seule sur ce bateau à avoir mes papiers en règles pour ce pays. Officiellement mes capitaines sont partis de Grenade et n'ont pas touché terre depuis... Je suis donc une passagère clandestine ramassée sur un Radeau de la Méduses caribéen. Nous nous installons à Portobelo pour 3 jours, du tourisme et un peu de paperasserie au programme.

En attendant, visitons...

 La baie de Portobelo entourée par 3 forts.
La ville de Portobelo, colonie espagnole du XVIeme siècle.
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Réveil à Portobelo, visite de la ville et de ses 3 forts espagnols. La baie était un repère de pirate où l'on pouvait boire du rhum avec Captain Morgan, en chair et en os. Il paraît que l'on retrouve toujours des pièces d'or au fond de l'eau et que le pirate Drake si trouve toujours en armure et dans son cercueil en plomb.

Nous allons nager avec les poissons à l'entrée de la baie vers les îles. Nous observons des poissons multicolores. Mon préféré est le petit mignon tout plat, bleu marine constellé de paillettes bleues. Il est magique ! Réserve naturelle, les poissons perroquets n'ont peur de rien et s'approchent de toi. Que c'est beaux tous ces coraux rouges et violets et les anémones et les oursins et les poissons trompettes à la verticale et...

Balades dans les ruines, écoute des singes, chasse à la coco et à la mangue, restos et dulce de leche...

Les forts de la baie. 
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Je vis dans une piscine ou serait-ce un hammam ? Avec 80 à 90 % d'humidité sous un soleil rayonnant, l'atmosphère est écrasante. Je sue 24/24. Je dégouline. Et comme rien ne sèche malgré la chaleur, tout est mouillé tout le temps. Et parfois, lorsqu'il fait très chaud, un nuage ou un orage arrive, en général en fin d'après-midi, crache de la flotte pendant 30 s ou 1 heure, et cela vous donne vraiment envie de danser nue sous la pluie.

 Soif !
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Sur Houria, nous avons un désalinisateur qui carburent à l’énergie solaire. Ce qui veut dire que l'eau douce n'est pas une denrée à économiser précautionneusement. Ici, quand tu sors de l'eau ou le soir, la douche est possible ! La vaisselle se fait à l'eau douce dans l'évier ! Et surtout nous n'avons pas besoin de rationner l'eau à boire. On peut même en rajouter dans notre rhum trop fort. Quand j'étais plus jeune, sur le voilier des parents en méditerranée, l'eau à boire était précieuse. Dans l'eau des pâtes nous mettions 1/3 d'eau de mer pour économiser l'eau douce et en prime, nous avions le petit goût iodé. Or, cher lecteur, il ne faut pas s'habituer au grand luxe. Alors pour tous les souvenirs de mon enfance en mer, je continuerai à mettre 1/3 d'eau salée dans les pâtes.

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Nous décidons de partir de Portobelo pour la marina à l'entrée du canal de Panama, Shelter bay, une ancienne base américaine. Là-bas, nous ferons la mesure du bateau par les autorités avant de pouvoir l'emprunter quelques jours plus tard.

Nous levons l'ancre de nuit pour aller 30 miles plus loin (1 mile = 1852 m, je vous laisse sortir la calculette mes p'tits malins lecteurs). Zut ! pas un pet de zef, tout au moteur. Après 5h de vroum-vroum à 3 nœuds (nous avons le temps), nous arrivons sur les lieux tant attendus. Sur le routeur (l'écran d'aide à la navigation), des petits triangles verts apparaissent de partout. On se croirait sur le périph' de Paname un lundi matin. Pire ! Tous ces bateaux sont des cargos géants de 50 m à 300 m de long. Ils sont en attente, là, pour prendre toboggan géant, tels des immeubles flottant renversés. Du coup, il faut bien choisir sa route tandis que certains se dirigent vers l'entrée du canal. Heureusement, il y a des zones à respecter et un sens de circulation. Il ne s'agirait pas jouer aux autos tamponneuses maintenant. Et puis qui traverserait le passage piéton à New-York, sans regarder à droite et à gauche sur une 4 voies ?

https://youtube.com/shorts/Ccmv0Cwnp4Y?feature=share


 Arrivée de nuit pour une entrée triomphale au petit jour.
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Ne prenez pas peur, je démarre l'histoire tôt, mais c'est, vous le verrez, pour une bonne raison.

Il était une fois 2 gros continents Rick du Nord et Rick du Sud. Ils vivaient pépousement chacun de leur côté sans se soucier l'un de l'autre. Un jour, la Terre en plein digestion des dinosaures décide de dégreuber ses entrailles avec un bon mega-litron de lave qui se répand alors entre nos gros pâtés de terre. Après quelques spouitchs et quelques sédiments venus des premiers tétons pour boucher les trous, PAF ! Notre Panama naît un jour ensoleillé et humide.

Quelques temps plus tard, v'la ti pas que les européens avec tonton Cristobal mettent le pieds sur ce nouveau continent et se disent tout de suite : « tiens, si on allait emmerder les indigènes du quartier, pour faire du commerce entre autre, nous faisons ça si bien ! » Alors dès le départ, nos gringos sont hyper motivés pour couper le Panama en deux par une via pour relier l'Atlantique au Pacifique. Une via qui serait bien pratique pour faire du commerce, faire circuler le pognon et la religion. Bon, comme ils n'ont pas trop les moyens à l'époque, ils se contentent d'une route caillouteuse, type romaine, mais en moins bien. Au milieu du XVIIIeme, ils passent à la voie ferrée (qui ne fonctionne plus depuis le COVID (cause à effet ?). Puis, comme ca a l'air relou pis pas assez efficace, tout le monde se met à imaginer une via maritime, et devinez qui sera le chef des opérations ? L'ingénierie du bordel sera confié à des francèses, des dandies frenchies moustachus de la fin du XVIIIème. Les espagnols nous louent le territoire pour en faire un truc bien. Business is business, on achète la concession pis on y fout ! Notre loustic s'appelle Ferdinand de Lesseps, le big boss de l'affaire. Il ramène 17 000 bonhommes, surtout des costauds des Caraïbes pour creuser avec pelles et pioches, et quelques pétards. Avec l'expérience du canal de Suez, on ne doute de rien. Sauf que les tropiques, ce n'est pas toujours une sinécure. Pas fastoche du tout ! Moustiques et maladies, le climat avec des pluies récurrentes qui détruisent tout ce qui vient d'être fait, un désert humains où tout est à construire... Faut dire aussi que notre gars, le Ferdi, il s'est dit : " nous français, on est trop balaise, on va construire un canal au niveau de la mer". Il ne s'est pas dit, peut-être que cette région née de volcans avec 300 m de monts en basalte ca va etre costaud à couper en deux. Ben non. Les petits frenchies se prennent pour des as de la construction. Ils ont la tête dure comme au sauvetage d'Yvoire et Ferdi est bon pour la banqueroute avec des accusations de corruptions. Du coup, qui pointe le bout de son nez ? Les ricains bien sûr, qui veillent l'affaire depuis un moment. Nos français laissent toutes leurs infrastructures et un plan qui ne fonctionne pas derrière eux, ce qui fait plaisir à Roosevelt. Ce dernier signe un papier « job to do » en 1903 avec le Panama qui vient de dire bye bye à la souveraineté Colombienne. Moins frapadingo, les ricains décident de construire des écluses, fallait y penser. On est pas sur la Loire, il y a plus de volume, mais c'est la solution. Victoire ! Inauguration du canal en 1914. Au fil des décennies, les américains foutent le bordel dans le pays avec des pratiquent financières douteuses et abusées, le tout saupoudré de racisme top niveau. Notez quand même que la ségrégation avec les frenchys se n'était pas bien brillant. Pis là je résume, ne sois pas naïf, c'est plus compliqué que ça évidemment. Bref. Respire, je reprends. En 1968 un trafiquant de cocaïne, un mec sympa, accède au pouvoir : Noriega, un futur super dictateur. Saviez-vous que les USA ont bombardé Panama City en envahit la ville en 1989 ? Les Nations Unis tapent sur les doigts de H. W. Bush (cela vous rappelle quelqu'un ?) et Panama country signe son indépendance sans Noriega. La gestion du canal de Panama est rendu au pays 10 ans plus tard. Faut quand même pas déconner, ce raccourci rapporte des ronds. Houria participe au business et paie environ 3000 dolares pour passer. Si tu ne veux pas payer, c'est le cap Horn assuré !

Houria vise la sortie côté Pacifique. 

Nous passons dans 4 jours le canal. Ca va être bien, et ca va bien se passer. Il y a tout un schmilblick à suivre. Affaire à suivre !

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En attendant de passer le canal, nous faisons du tourisme... Enfin... Les mecs dépensent leurs sous dans la 2eme plus grosse zone franche du monde et moi je me promène dans un site UNESCO : le fuerte San Lorenzo. Ce joli fort bien restauré est à l'entrée du Rio Charges, porte d'entrée du plus grand raccourci du monde à l'époque coloniale. Qui dit colons, dit pirates ! Drake, Vernon, Morgan, ils sont tous passés par là en jouant avec leurs gros canons.

Bim bam bim bam !

Sur le chemin du retour j'observe les toucans qui jouent à cache-cache avec moi.


Sentiers perdus et route fréquentée par les singes.

Bon... D'accord... J'arrête avec mes photos de tourisme. On part à 16h pour le canal. Ça devient sérieux. Je tacherai de vous raconter ça, si je peux. J'aime te tenir en haleine, cher lecteur.

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Départ à 16h de Shelter Bay. Notre manœuvre, Edgar, vient d'arriver. Une bonne bouille sympathique de 35 ans qui aime manger. Il a 12 ans d'expérience derrière lui pour les nœuds de chaise. Bien. Il faut obligatoirement 4 coéquipiers, en plus du barreur, pour passer le raccourci. On attend également à bord notre pilote. Il sera notre maman-chef à bord. Il nous dit où aller, quoi faire, comment ça se passe. Laurence, un grand baraqué qui aime le tour de France, embarque. C'est parti mon kikiiii ! Houria prend enfin la direction du chenal matérialisé par de grandes bouées rouges à raser de près et à surtouuuuut ne pas dépasser. Houria chasse Box Endurance, un cargo du Liberia, mais elle est aussi chassée par 2 cata danois pleins de blonds. Tout le monde à la queue leu-leu, puis juste avant l'écluse, nos voiliers seront saucissonnés ensemble, les 2 catas à notre bâbord. Hello ! How are you ? How many people on your boat ? Seven ! Big boat ! Tous ensemble bien accouplés (les bateaux, hein Lecteur !) on se dirige vers l'écluse au cul du cargo. Les portes sont ouvertes, on s'engouffre au moteur entre les grands murs de chaque côté. Les lamarreurs (des gars qui s'occupent d'amarrer en haut de l'écluse) nous lancent des toulines, sorte de boules lourdes au bout d'une longue ficelle et qui sont plus faciles à lancer que les amarres trop balaises. Elles sont à accrocher à nos amarres pour qu'ils puissent les remonter à leur bite (d’amarrage, Lecteur, d'amarrage !). Amarres qu'il faudra ajuster en permanence. Je vous fais un dessin, ça sera plus clair.


La première partie du canal 

Voilà. Les portes se referment derrière nous. Nous voilà pris au piège. Et c'est parti pour l'ascenseur. L'écluse se remplit d'eau et nous montons avec, car, oui, et c'est un scoop, Houria flotte ! On se retrouve 8 minutes plus tard 13 m plus haut, c'est fou ! La porte avant de l’écluse s'ouvre, le cargo avance, attention ça secoue. On répète encore 2 fois l'opération. Après 3 écluses d'affilées, Houria a grimpé de 26 m au-dessus de l'Atlantique, au niveau du lac Gatun. Ce n'est pas encore la Dent d'Oche, mais qui monte en bateau là-haut ?

https://youtu.be/v7TJjj_f6cw

La nuit est tombée, nous nous amarrons à une bouée sur le lac pour la nuit. Petite bière fraîche pour nous et nos coéquipiers, un bon repas concocté par notre cuisinier François et tous au dodo.

https://youtu.be/3cDIfPpYTLg

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Bon. Lecteur, le canal c'est un mega business avec 100 à 140 bateaux qui passent tous les jours, 24/24h, 7/7j, 365/365 jour par an, même le 32 décembre. Il n'y a pas de jour férié pour le commerce mondial. Il y a des pétroliers, des gaziers, des porte-conteneurs qui peuvent peser 150 000 tonnes, et des voiliers qui ont l'air bien rikiki face à eux. Les plus gros paient jusqu'à 1 million de dollars pour prendre le raccourci. Donc s'il y a bien un endroit où il ne faut pas merder, c'est là ! Les premières écluses d'hier se sont bien passées. Aujourd'hui, c'est différent. Le lac Gatun est grand, 20 miles à faire au moins au moteur. Doux Jésus, lecteur, même s'il y a du vent, pas de voile ici, on a une route très précise à suivre. Notre Houria d'amour traîne un un peu son safran, ben oui, notre joli voilier a bien 35 ans. Les 2 catas sont partis après nous mais nous doublent vite, il peuvent avancer facilement à 6 ou 7 nœuds, pas nous. On va manquer notre rendez-vous aux prochaines écluses pour redescendre vers le Pacifique. C'est là toute l'utilité de Ricardo, notre nouveau pilote fraîchement arrivé en retard ce matin. Il fait le lien entre les autorités et nous pour nous trouver un nouveau plan. Après quelques minutes de doute (demi-tour ou pas, solutions, risques), il nous sera proposé de passer avec un mignon pétrolier de couleur « drapeau de Savoie ». Puis, encore quelques miles où la concentration est de mise, où il faut serrer à droite pour laisser passer les gros bébés qui n'ont pas la possibilité de marquer les priorités, Houria of Sky, nous et notre fatigue, arrivons enfin sous la ligne d'arrivée : le pont des Amériques. Voilà. Ca c'est fait, le continent Amérique est traversé.

https://youtu.be/v7TJjj_f6cw

Dernière descente d'ascenseur avant le Pacifique
Pont des Amériques en vue
 Les 2 dernières écluses en compagnie de notre pétrolier chinois.

Je suis de retour à Panama City. Oui, je tourne en rond, mais j'en connais qui diraient : « on a fait un détour parce que c'est joli. » Pour le coup, je suis bien d'accord avec eux.


Tourisme et marché aux poissons. 
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Notre pilote Ricardo, prof de pilote, en connaissait un rayon sur son canal. Parlant Anglais, on a pu lui poser plein de questions.

Le canal est de moins en moins profond car en cette saison des pluies, il ne pleut pas assez. Le niveau de l'eau est de 2 m au-dessous du niveau normal et quand on voit le volume d'eau nécessaire pour ce raccourci, c'est énorme ! Donc la profondeur de 15 m garantie pour les gros bébés sur la longueur du canal n'est pas vraiment assurée pour les prochaines années. Pour draguer toute la zone, il faut des montagnes de dollars, d'ailleurs l'entreprise qui peut le faire est française. Il faut aussi acheter les terres des indigènes vivant sur le lac pour les dédommager ou leur permettre de déménager. Ce n'est pas très bon non plus pour la préservation de la biodiversité de ces lieux sauvages. A ce propos, nous avons vu moult caïmans, oiseaux (pélicans, vautours, perroquets, piou-pious colorés...), et entendus les singes. Le Panama protège son patrimoine naturel et possède de nombreux parcs, accueille de nombreux scientifiques. Le canal, lui, est en gestion privée et redonne 30% de ses gains au pays. Il ne peut pas faire tout ce qu'il veut. Et puis pour anticiper les emmerdements futur du au manque d'eau, il faudrait une volonté politique. Pas facile dans un pays où les présidents changent constitutionnellement (je l'ai placé !) tous les 4 ans. Donc pour le moment, se pasa nada, le problème n'existe pas ! La Nature est tranquille pour le moment.

 Gros bébés.
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Pour la grande traversée, un arrêt au Galapagos et de moins en moins envisagé. C'est beaucoup trop cher (2500 € pour seulement accoster). Pourtant, le coin a l'air sympa, et surtout il nous permettrait de faire un stop ravitaillement 10 jours après Panama Country. Comptez ensuite 20 jours pour les Marquises, soit un total d'environ 30 jours pour arriver aux Marquises, 35 ou 40 avec la marge de sécu. Donc les courses sont à faire en fonction de cela. On n'en est pas à compter le nombre de carrés de chocolat par jour, mais si on veut avoir suffisamment à manger et se faire plaisir aussi (c'est bon pour le moral), il faut compter nos besoins, prévoir des menus. Lecteur, pense également que nous n'aurons plus de produits frais au bout de 7 ou 10 jours, il faut donc acheter des boites, des aliments sous vide qui se conservent. Des bidons de 5 litre d'eau complètent le tout, au cas ou le dessalinisateur se mettrait en grève (est-il français?). J'avoue, nous avons aussi environ 200 canettes de bière mais c'est parce que la zone franche était à Colon, et que là-bas, c'était pas cher, et que c'est plus cher en Polynésie, alors on a fait le plein, pis tu sais, on ne picole pas sur un bateau qui navigue, pis bon, la bière d'ici, c'est léger, alors bon on a de la bière à bord... Au fait, on a aussi quelques bouteilles de rhum et vin rouge, la faute à la zone franche de Colon aussi.

La corvée necessaire...
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Quitter Panama City et se lancer enfin sur le grand océan qui nous attend, enfin on y est. Départ de nuit pour visiter l'île San José aux Perlas. Prendre le premier quart et le dernier est un cadeau. Ma nuit de sommeil n'est pas coupée et je profite du lever de soleil. Je retrouve le plaisir indescriptible de tenir la barre de nuit, sous les étoiles, la ville s'est éloignée petit à petit, et laisse place au lever du soleil aux des terres inhabitées des îles panaméennes.

Mettre les voiles, accomplir ce pourquoi on est venu. C'était une idée il y a bien 25 ans (je suis vieille), une sorte de rêve un peu fantasmé que l'on raconte à la volée aux copains du collège. C'est pourtant devenu possible, une première traversée de l'Atlantique, puis celle-ci... La moitié du tour complet est en train d'être réalisé. J'ai rêvé, j'ai travaillé, je suis sortie de ma zone de confort pour réaliser cela. Fierté de la chose accomplie et sentiment de liberté. J'ai mis les voiles.

Pas tant mal... 
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Sur notre route, il y a des îles perdues. De gros cailloux fort peu fréquentées, ni par les locaux, ni par les touristes. On peut même dire que c'est désert. Ce sont des îles volcaniques, battues par la houle, habitées par des palmiers, des perroquets colorés volant, des perroquets colorés géant et nageant, des iguanes, des bernard-l'hermites, et dont les eaux sont visitées par les baleines. On décide de faire un stop sur l'une des 2 îles du sud pour lancer le dessalinisateur et remplir nos réserves d'eau, idéalement de 1000 litres. A raison de 1,5 litres par jour par personne. Chasser les noix de coco c'est facile sur ces îles, mais ça ne suffira pas pour notre long voyage.

  Isla San José, Las Perlas, cailloux perdus...
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La journée avait pourtant bien commencé. Nous les Robinsons, décidons de visiter une autre île, la plus grande avec plein d'envie, de curiosité et dernier stop probablement civilisé avant la traversée. Par chance, les eaux sont poissonneuses et nous pêchons à la ligne 2 beaux poissons, un genre de maquereaux féroce puis une belle bonite dont la chaire est rouge. Ni une ni deux, je sors mon opinel tout neuf (je n'ai pas pris le mien de peur de le laisser à l'océan) et je prépare le premier. Juste de le temps de tout nettoyer que voilà la bonite. Ce soir nous mangerons du poisson frais, au prix de notre seau blanc préféré. Après cette excitation heureuse, nous arrivons à la Puenta Cocos, ponctuels pour les orages qui se profilent à l'horizon. Le vent forcit, nous plions les voiles, et lançons le moteur pour pouvoir passer la pointe et atteindre la grande anse qui est juste derrière. Sauf que Houria, face au vent, n'avance pas. Nous n'atteindrons jamais la plage espérée ce soir. Les 25 nœuds de vent nous poussent dans la direction opposée, vers les Galapagos : c'est un signe. On se concerte lors d'une réunion de crise au sommet de 10 s. 3 « allez ben on y va » et 1 haussement d'épaule plus tard, changement de cap, demi-tour, volte-face et retournement de situation impromptu, Houria s'enfuit vent arrière au cap 240° pour les îles Galapagos, un peu plus tôt que prévu. Tant pis pour les messages, prévenir les proches du départ... Tu vois Beau Minou, moi aussi je peux partir à l'africaine, et avec panache !

C'est partiiii !! 
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Le rythme des grandes traversées se met doucement en place, notamment avec les quarts de nuit. Sur Houria, la nuit commence officiellement à 21h, sachant que sur le Panama, le soleil se couche à 18h30. Nous prenons un quart chacun à notre tour toutes les 2 heures. Celui qui commence en fait 2 et finit avec le meilleur, j'ai nommé, le 5 à 7, le Graal des quarts, celui du lever du soleil. Pendant ton quart, tu peux tenir la barre (mon truc à moi avec la musique dans les oreilles) ou mettre le pilote automatique. Certains font des micro-siestes de 10 min, d'autres vaquent à leurs applications « étoiles »... L'important est de vérifier qu'il n'y ait pas de navire en vue et éviter les collisions. Il n'y a pas grand monde dans le coin, mais mieux vaut être sûr. Il faut aussi régler la route en fonction du vent qui peut tourner, diminuer ou forcir, prévenir les orages... Pour la distribution du taf nocturne, nous avons tiré les cartes. Je remplace Christian, et David prend ma place. Le quart préféré de tous, vous l'avez compris, c'est le dernier. Avec le premier quart, le quart du lever du soleil et une nuit qui n'est pas coupé, c'est le meilleur. Ici, on se couche tôt, à 20h30, les esprits s'ensommeillent, et c'est coucouche panier papattes en rond pour la majorité d'entre nous. On se lève vers 6h, 7h, enfin plutôt 7 h pour moi. Autant vous dire que je prépare rarement le petit déjeuner. Enfin, ca c'est la théorie. Au coucher du soleil, il y a toujours une question qui revient : « je fais quelle heure moi ce soir ? ». Et puis parfois, il y a des peaux de bananes sur le pont. Parce que certains, je ne citerai personne, ratent leur début de quart, et décalent tout le schmilblick. Moi je fais un peu de RAB, et laisse l'inréveillé dormir. Puis, pour mon quart de 5h, moi, toujours « confident in the plan »et surtout psychopathe de la ponctualité, je mets mon réveil 10 min avant l'heure prévue. Je me lève. Le collègue que je remplace lève la tête de sa couchette. « Mais c'est déjà ton tour ? J'ai raté mon quart ? Euh... Voilà que monsieur se propose de me remplacer, pour le quart préféré de tous, le Graal des quarts, non non non non. Je suis réveillé, je le garde. Bref, on essaie de suivre le plan, mais parfois, les peaux de bananes nous font tout décaler.

 Les premiers jours, on se la coule douce...
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Notre activité favorite ? Manger, bien sûr. Les petits déjeuners sont très important. En général, pain de mie toastés, beurre et confiture. Le tout arrosé de thé ou de café panaméen. Nous pouvons aussi préparer des pancakes, les rayons au supermarché les concernant étaient énormes. On aurait eu tord de s'en priver. A toute heure de la journée, il y a aussi les céréales. Un bon étouffe chrétien pour caler les petites faim. Pour les repas, midi et soir, c'est au bon vouloir de chacun. Des menus prédéfinis nous on permis de gérer les quantités, mais nous cuisinons ce qui nous fait envie. L'unique contrainte est de passer en priorité les aliments périssables, les œufs, les fruits, les légumes... Mes capitaines sont très forts. Tous savent faire du pain ou des galettes. Les 25 litres de lait permettront aussi de préparer des yaourts, le p'tit plaisir de Christian. Bien manger en navigation, c'est important. François, lui, aime préparer des plats en sauce. On reconnaît là la culture polynéso-asiatique de Tahiti. David, lui, c'est la religion de la galette à la farine de maïs, à grignoter à n'importe quelle heure de la journée. Mon Dieu à moi, s'appelle Red Rico, alias haricot rouge. J'ai tendance à en mettre partout : dans les salades, les plats chauds... Vive la patiôque ! J'aime bien également préparer les pancakes. Avec le sirop d'érable, c'est pas tant mal au p'tit déj. Voilà pour le menu, cher Lecteur.

Cela étant dit, sache que cuisiner sur un bateau en navigation, c'est sport. La 1 ere difficulté et de trouver, puis d'atteindre l'aliment recherché. Si on ne sait pas, il faut trouver François. Il faut bien penser à tous les ingrédients car le plan de travail est juste au-dessus du frigo. Si le bateau gîte, il faut éviter que tout cupesse par le plancher. Les placards, on les ouvre, on les ferme, on les ouvre, des trucs tombent, on les ferme. La cuisinière wouinwalle sur un axe pour que rien ne brète ou que le cuistot se retrouve tout machuré par la figure ou ne soit contraint de passer la panosse. Tu me suis, Lecteur ? La cuisine est p'tiote, tout est tout encouanné, le cuistot aussi. Pour un plat de spaghetti pour 4 avec des saucisses chimiques aux dates de péremption hallucinantes, comptez 1h30 de préparation. Pour les desserts, on attendra la terre ferme. Le soir, au couché du soleil, c'est bière pour qui n'en veut. Mais faut pas bèr la goutte trop et cupesser par le bord, ça serait fâcheux, surtout le ventre vide.

Cher lecteur, si tu veux de l'image, de la vidéo, des sensations, va sur youtube. Ma chaîne c'est @francecastel4816.

https://youtube.com/@francecastel4816

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La navigation vers les Galapagos avait bien commencé, avec douceur et volupté. C'était calme, beaucoup trop calme. Le vent dans le pif molasson, Houria est contrainte de zig-zaguer. Avec un vent faible, il est plus difficile de serrer notre cap de destination. Houria remonte bien au vent, encore faut-il qu'il y en ait. Notre souhait va être exaucé. Lors de notre 4ème nuit, les étoiles disparaissent doucement derrière les nuages. Je suis sur le pont pour mon quart de 3 à 5h avec Grand Voile et Genois. Jusque là nous nous contentions de de 7 à 10 nœuds de vent. Evidemment, s'il doit y avoir un coup de vent, il est pour moi. Vers 4h, le vent monte à 15 nœuds. Hmm, c'est louche, il y a baleine sous rocher.... Puis il redescend vite. J'hésite à appeler les capitaines, J'ai pourtant l'expérience de la transatlantique et des grains des Caraïbes. Celui-là reussit à me surprendre. Je n'ai pas le temps d'appeler que le vent remonte en flèche à 20/25 nœuds, le bateau gîte, les trucs tombent de partout dans le bateau. J'essaie d'abattre (m'éloigner du vent dans le pif), mais rien n'est facile avec la puissance du vent dans les voiles. Cher Lecteur, à ce ce moment là, on ne fait pas la maline. J'ai bien heureusement un équipage de choc, toujours sur le qui-vive. Les gobelets qui tombent, la gîte qui s'accentue et le bruit du vent sont les meilleurs réveils-seconde qu'ils soient. Ni une ni deux, les 3 capitaines prennent d'assaut le pont et réduisent la voilure, ris à la grande voile et au génois. On est bon. On retrouve un voilier raisonnable. Eh bien, ça décoiffe. Cet épisode sportif marque le début d'une autre traversée. Nous fonçons tout droit dans l'ardu, dans une zone orageuse où les coups de vent et les trombes d'eau arrivent sans prévenir. La houle s'accentue et les creux secouent le bateau qui tape sur les vagues. C'est la douche Ushuaïa nature, sans le gel. C'est très bon pour les champignons et surtout notre vitesse qui reprend du poil de la bête. La journée est sportive, faite de coup de vent, de pluie, de sieste impossible, de virement de bord, de réduction des voiles ou d'installation de la trinquette (petite voile de gros temps que l'on met en remplacement (ou avec) du génois). Malheureusement, il va falloir reporter la fête de la musique. Nous avions préparé un joyeux concert pour la soirée avec chacun un morceau à présenter. Ce n'est que partie remise. De toute façon, il ne fait jamais beau pour la fête de la musique. Notre public sera compréhensif.

Il fait beau... 

En 2 jours, je vois plus de manœuvres que durant toute la traversée de l'Atlantique. Et mes profs maîtrisent les coups de vent autant qu'ils survolent le bateau à installer la trinquette, prendre des ris, poser un barber sur l'écoute du génois (bout pour ajuster l'axe de la voile). On ne dort pas beaucoup, et Houria est poussée dans ses retranchements. Le petit kif supplémentaire survient avec le repérage des 2 catamarans danois du canal, tu sais Lecteur, les blonds ! On les pourchasse grâce à l'AIS (qui nous positionne tout le trafic maritime par satellite). Les catas au près c'est galère, ils font du moteur, sont secoués comme des pommiers et zig-zigzaguent comme nous avec des caps encore plus merdiques que nous. Donc évidemment, nous les rattrapons haut la main et cela fait très plaisir à Christian. Il y a des choses importante en navigation. Ils se retrouvent vite derrière nous à nous poursuivre jusqu'au prochain virement de bord qui nous sépare définitivement. Nous passerons par le nord, eux par le sud. On les retrouvera peut-être aux Galapagos.

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Houria et son équipage se font secouer. Nous naviguons au près avec 20 à 25 nœuds de vent. Le pilote automatique est mis à contribution. Il faut avouer, il navigue bien mieux que nous. Celui-ci est réglé non pas à tenir un cap, mais à naviguer à 37° de la direction du vent. Ainsi, si le vent tourne, nous aussi, et nous prenons un meilleur cap.

Une forte houle tape sur la proue, pas le choix, il faut bien avancer. Je ne peux plus dormir dans ma cabine avant. Houria fracasse les vagues avec risque de m’assommer à chaque instant et cela limite fort le moindre petit endormissement qui surviendrait. Pour couronner le tout, il pleut de l'eau salée à l'intérieur. Houria présente des fuites aux ouvertures dont une qui se trouve juste au-dessus de ma couchette. Tout est mouillé, poisseux, salé. Pour les prochains jours, je dormirai dans le carré avec Christian.

 Ca mouille !

On aimerait tous retrouver le soleil, le sommeil et le sec. Ce n'est pas marrant de se faire brinquebaler dans tous les sens. Vivement les Galapagos. D'ailleurs, c'est quand qu'on arrive ?

Une seule activité possible, lire. Il faut se trouver un coin par trop humide à l'abri des tours de manège et on passe le temps ainsi. On s’émerveille aussi en observant les fous de bassan à l'avant de bateau et qui essaient de se poser pour prendre notre taxi. C'est assez drôle de les voir se chamailler la place sur le balcon ou se refaire une beauté à se lisser les plumes entre 2 éclaboussures. Pourtant loin de la terre, ils sont nombreux et jouent dans le vent et les voiles, pourchassent les poissons volants effrayés par la coque d'Houria. Les oiseaux et les dauphins, c'est un manège que l'on apprécie.

Taxi driver. 

Pour le passage de l'Equateur, on fait la fête !


Rhum !!
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Bon. Il semble que les Galapagos soient maintenant inscrits sur notre plan de route. Le pilote auto nous a lâché, la grande voile nécessite une réparation, les équipiers ont besoin d'un sèche-linge et sèche-personne. Nous visons Santa-Cruz. Seule île présentant, d'après notre carte marine, une route. Et Puerto Ayora est a priori un des ports d'entrée officiel. Après une approche de nuit, nous entrons au port le matin. Seul le mouillage est possible au milieu des yachts. Port peu abrité avec la houle qui rentre, mais nous allons pouvoir profiter de cette escale et peut-être visiter. D'ailleurs, nous entamons tout de suite les hostilités et vaquons à nos bricoles à faire. Après plusieurs relances nous répondons enfin à l'appel VHS du port. Les autorités souhaitent nous parler. A quelle sauce va-t-on être mangé ? Les Galapagos sont un vaste territoire maritime composé de 6 îles principales, les plus grandes sont Isabela, Santa Cruz (40 km de longueur) et Santa Cristobal. D'autres cailloux plus ou moins gros complètent le tableau. Pour rentrer dans le parc, en théorie, il faut aimer la paperasse et donner son bras. Ni l'un ni l'autre pour nous, nous sommes français, et en bons français que nous sommes, nous allons essayer de contourner l'affaire. Nous demandons donc un « emergency stop ». Il rend possible un arrêt technique de 72h sur l'île et permet aux bateaux de grandes croisières de réaliser leurs réparations sur la route de la Polynésie. Nous n'avions pas prévu les petites casses, mais elles nous rendent finalement service. Après un peu de négociation et un peu de pleurnichage en espagnol, nous nous en sortons pour un ticket d'entrée à 600 dollars au lieu de 1000 dollars pour 3 jours. Si nous avions pris l'option navigation dans le parc (l'ensemble des îles), cela nous aurait coûté plus de 2000 dollars, sans compter le guide que tu dois embarquer avec toi ou les excursions en plus. En prime, nous allons pouvoir visiter l'île comme tous les touristes du coin. Bref, on s'en sort bien.

Pour officialiser le deal, nous accueillons sur Houria à notre arrivée et au départ, notre nouvel agent, les autorités maritimes locales, le contrôleur pour la biosécurité, et une belle policière spécialisée en narco-trafic et aimant beaucoup le coca, mais surtout celui en bouteille de verre. Les rendez-vous officiels c'est casse-pieds, c'est long et vos plantes et coquillages se retrouvent privées de liberté et emmaillotées. Les pauvres...

 La baie de Puerto Ayora, Santa Cruz

Après nos démarches, nous posons légalement le pied à terre. Santa Cruz, petite bourgade de 2000 habitants, me fait penser à Palavas-les-Flots avec ses bars, ses restos et plein de structures touristiques pour les tours proposés aux voyageurs sur toutes les îles. Il y a même un « Insomnia », autrement dit, une boite de nuit. Il y en a donc pour tous les goûts, plongée, snorkelling, randonnées, yatch de luxe... Pour Christian et moi se sera une belle marche jusqu'à la plage (ça fait du bien) à travers un paysage inhospitalier composé de cactus endémiques, d'arbres toxiques (j'ai oublié le nom, Julia ?). Nous débouchons sur une baie magnifique, au sable blanc, à l'eau turquoise et où pélicans et iguanes ne semblent pas être importunés par les sapiens qui se promènent et se baignent. D'ailleurs, c'est la règle ici, les animaux sont les rois. Il n'y a qu'à voir les phoques qui squattent les jupes des bateaux, les quais ou volent les poissons des pêcheurs.

Une baie splendide... 

Après la playa, se sera visite de l'intérieur des terres. Opération tortue. On monte dans le promène couillon et direction les hautes terres. L'île, un ancien volcan de 2 millions d'années n'est pas bien haute, 700 m environ, mais accroche les nuages et l'humidité. Nous sommes proches de l'équateur, mais ici, il fait frais. La végétation diffère des bords de mer, c'est beaucoup plus verdoyant. Et c'est là que vivent les tortues terrestres. Il y a plusieurs espèces dans l'archipel des Galapagos. Il y a même 2 espèces différentes sur cette île. A l'est, vous trouverez une tortue qui peut allonger son cou vers le haut et manger les fruits des cactus en hauteur. A l'ouest, là où nous sommes, nous trouvons des brouteuses d'herbe verte. Plutôt paisibles, les gourmandes dodues se laissent approcher. Elles ont l'habitude de côtoyer le touriste. La plus grosse pourra faire 300 kg, la plus vielle 150 ans. Elles nous enterrerons tous.

Pour compléter notre visite touristique du jour, nous emprunterons également un tunnel de lave. Un beau tunnel bien tubique creusé par le passage d'une coulée souterraine de lave en fusion. J'avais jamais vu, ça change de Lascaux et Orgnac... Nous visitons aussi 2 beaux cratères d'effondrement. Pas d'inquiétudes, seuls 6 volcans sont encore considérés comme actifs aux Galapagos. Tous sont à l'ouest, dont 5 sur Isabela. Christian et moi redescendons donc sain et sauf de notre sortie guidée.

Tourisme à Santa Cruz 

Les jours suivant, nous ferons les courses de frais, et pancake et biscuits (ça défile vite ces petites choses). Shopping, resto et visite du centre Darwin pour nous et toujours pas mal de bricolage pour le capitaine. Coups de téléphone qui font plaisir, recharge de nouvelles musiques pour les quarts (fichtre diantre, j'ai oublié les Gwapps, c'est une catastrophe), linge lavé, nous sommes prêts à redécoller. De toute façon, nous sommes illégaux sur ce territoire depuis ce matin.

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Sans parler du fait que ce stop a été bien appréciable, j'ai aimé les Galapagos. Tout est fait pour le touriste, certes, mais c'est un mal nécessaire. La destination n'est pas très authentique, mais ce sont des îles peuplées par 10 000 habitants et dont la principale activité est notre accueil. Tu ne viens pas ici pour l'histoire ou le patrimoine, tu viens pour la nature et ses bestioles. Tout est ultra contrôlé. Tu ne peux pas visiter en autonomie les îles, aller là où tu veux, comme tu veux. Tu es guidée partout. C'est très liberticide pour les voyageurs intrépides, mais tous les professionnels, comme les guides natures sont aimables et très compétents. Et surtout, je crois cela nécessaire. Laisse les humains en liberté dans la nature et ils feront n'importe quoi. La destination est par conséquent devenue chère mais je crois qu'on en prend plein les mirettes. Si tu acceptes le deal, que tu rêves de bestioles improbables et de paysages grandioses, et que tu as des ronds, alors les Galapagos sont pour toi.

PS : ne viens pas en bateau.

Puerto Ayora. 
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Départ en grande pompe avec 15 nœuds de vent de travers. C'est parfait. La houle nous secoue mais nous ferons 203 miles en 24h, belle perf. Cela nous pousse à faire d'ores-et-déjà des petits calculs savants. A ce rythme là, on arriverait dans 15 jours. Bon. Rien n'est moins sûr. La grande voile et le génois sont sortis mais si le vent baisse on ne tiendra pas la vitesse actuelle. A noter que nous avons les courants marins dans le dos qui boostent notre vitesse GPS par rapport à notre vitesse sur l'eau. Dernier coucher de soleil sur les îles et nous ne verrons plus terre avant un moment. Nous passons tout de même de nuit à côté d'un gros croissant caillouteux, ersatz de cratère galapagosien...galapingo...galo... Bref. Pour fêter ce beau départ, ce sera purée mousseline et saucisse au poulet de l'espace. Fiesta !!

Décollage immédiat et coucher de soleil.

Pour aller aux Marquises, finis les zigzags, nous coupons tout droit au 250°, plein ouest. Il y a peu de chance que le vent tourne. Les alizées (sud-sud-est) sont installés, donc ça descend ! C'est un vent constant donc peu de manœuvre à prévoir, mais on ne sait jamais. Du coup, j'installe ma couchette en conséquence. Un matelas collé à tribord, l'autre à l'horizontal, les affaires tenues à bâbord. C'est bon, moi et mes trucs sommes calés. S'il n'y a pas trop de houle, je peux dormir dans ma cabine. Le dos collé à la bordée tribord, c'est carrément confort. D'ailleurs, il pleut moins à l'intérieur, nous avons arrêté de fracasser les vagues. Tant mieux !

Visite d'un bateau de pêcheur nous demandant des bouchons pour leurs bidons d'huile et de l'eau. Ouf. Avec leur bateau à moteur, on aurait pu croire à des pirates des temps modernes.

Au fait, j'ai menti, l'espoir peut-être. En fait si, ça secoue. Pour cuisiner, on abat de 10° parce que la cuisinière est prête à faire des tours complets. Pour l'esprit « croisière » avec glandouille agréable et procrastination positive, on repassera. Nous essayons d'oublier le temps, on se disant que nous allons vite. Chaque nœud gagné à chaque heure est un mile en moins vers l'arrivée.

La cuisine, c'est sport ! 
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Un bateau, c'est plein de petites bricoles. Les pépites de système D. et la bidouille à la Mac Gyver nous sauvent souvent la mise. Par exemple, une bouteille d'eau peut servir : à prélever les gouttelettes d'eau qui tombent de mes ouvertures dans ma cabine, bloquer l'ouverture des hublots latéraux, conserver et stocker les légumes, ramasser les déchets pour les jeter à l'eau, et...stocker l'eau éventuellement... Le bateau de David regorge d'outils, de bricoles et cofiots en tout genre : aspirateurs, ponceuses, vannes, fusibles, tuyaux, ficelles, scotchs... Et cela n'est pas superflu, David joue souvent avec. Monsieur est un as du bricolage : bidouilles et réparations techniques en tout genre.

Bricole en tout genre... 
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Cher Lecteur compatriote,

Sois assuré que mon travail d'acculturation a débuté dès le premier jour. Par exemple, en utilisant régulièrement nos plus beaux mots de notre cher patois, je réussi petit à petit à faire des émules. Le premier converti à notre cause est Christian. Je suis fière de lui, il met de la « wouinwalle » à toutes les sauces. Il faut dire aussi à nos novices qui nous lisent, que le patois savoyard s'y prête. C'est une langue orale très imagée. Précisons néanmoins que « Cricri » possède un passeport suisse. Est-ce ses origines qui refont surface et facilitent son apprentissage ? Je ne saurais dire. En tout cas, Cher Lecteur, sois assuré que je continue mon devoir d'exportation de la culture d'chez nous. J'espère t'apporter de nouveaux résultats très bientôt. D'ici là, n'oublions pas, les savoyards envahiront le monde et Reculfou sera sa principauté.

PS : si vous souhaitez me proposer une orthographe pour le verbe wouinwaller, n'hésitez pas.


Ca wouinwalle ! 
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J'avais prévu de t'écrire Cher Lecteur, mais un poisson est au bout de la ligne. Nous n'avions pourtant pas prévu de purée mousseline au repas ce soir...

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Me revoilà. Dorade coryphène, cuisinée avec 3 recettes différentes pour 4 repas à 4, un succès.

Cette nuit, en me réveillant pour le quart de 23h, je n'avais point envie de me lever pour aller tenir la barre. Quart difficile où tu dors peu avant de retourner sur le pont. Je n'y avais point goût. Sauf qu'il n'y a pas de dimanche sur un bateau. Quand il faut y aller, faut y aller. Par bonheur, la lune est pleine cette nuit et cette dame à la gentillesse de se montrer 30 min après le coucher du soleil et de nous éclairer comme en plein jour. Cher Lecteur, tu le sais maintenant, j'adore les nuits à la barre. Un nuage qui passe puis qui laisse réapparaître l'astre brillant et qui semble même te chauffer le dos, c'est un moment de grâce qui te fait oublier le dur réveil. Mais trêve de poésie. Nous sommes assez contents de pouvoir te rapporter que nous avançons très bien. Nous avons réalisé jusque là un 8 nœuds de moyenne (environ 15 km/h). Depuis 5 jours le vent est au grand largue (vent arrière ¾), et nous pousse vers notre destination. Seul petit bémol, comme d'habitude, la forte houle nous chahute et nous bascule en permanence. Elle est comme une myriade discontinue et irrégulière de petites collines hautes de 3 ou 4 voire de 5 et 6 mètres qui nous rattrapent. C'est comme un paysage vallonné de Haute-Saône qui s'étend à l'infini sur un tapis roulant. Et il faut monter et descendre ses pentes ou s'encroûter ici. Mais c'est le prix à payer pour avoir du vent, et donc de la vitesse.

Notre destination est un point sur la carte. Si petit que nous l'avons repéré avec une croix rouge. Cette île, Fatu Hiva, est située à 2935 miles de Santa Cruz. A 8 nœuds de l'heure, on est content, car nos 20 jours de traversée prévus vont peut-être se réduire à 15 jours ? Mais ne vendons pas la peau du poisson avant de l'avoir pêché. Nul n'est à l'abri du pot au noir : un trou sans vent qui t'oblige à mettre le moteur ou à patienter. Mais ni pensons pas. 5ème jour et 207 miles avalés aujourd'hui (c'est énorme ! ) et nous sommes pas loin du tiers du chemin. Il reste donc 1987 miles. C'est un peu la même distance que Canarie-Martinique, souviens-toi Lecteur... Super ! Les heures et les miles défilent et me rapproche toujours un peu plus de toi.

 Seuls...
On s'occupe... 
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En attendant, l'heure est à la procrastination. Le programme du jour, faire le chat. Pêcher, manger, dormir papattes en rond, ronronner. Il n'y a rien à penser de plus. Depuis que nous sommes partis, nous avons fait 3 manœuvres : envoyé les 2 voiles principales et pris 2 ris puis un autre sur la grande voile pour ne pas qu'elle dévente le génois et anticiper les rafales de vent de 25 nœuds annoncées. Donc on se contente de ce que l'on a de l'océan, un peu de poisson presque tous les jours et du vent. De l'humilité, diable ! Ce n'est pas nous qui décidons. Passons discrètement pour ne pas réveiller les dieux. Donc nous faisons les chats, tuons le temps et laissons glisser le bateau sur son tapis roulant. Chuuuut ! Nous sommes juste de passage, nous passons en catimini.

Lever du soleil 
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Pour développer un peu mieux la réponse à la question du capitaine en vidéo « qu'est-ce que tu fais là ? », il faut que je prenne le crayon. Voila qui va suivre, un long blabla mélodramatique pour te raconter ce que je fous là au milieu de Pacifique à 1500 miles des côtes, avec 4300 m de fond sous la surface de l'océan, pas un bateau à l'horizon depuis 10 jours, rien, sur un rafiot de 16 m et avec 3 bonhommes que je ne connais pas. Si tu penses avoir déjà tout compris et veux un résumé rapide, va directement à la dernière phrase de ce chapitre. Je ne t'en voudrais pas.

Tu es toujours là ? C'est gentil... Bon alors, c'est parti.

Tout d'abord, moi j'aime bien l'aventure, le voyage, la découverte. J'ai déjà pas mal voyagé, notamment à l'époque (je parle comme un vieille), où nous n'avions pas encore le voyage facile avec le smartphone. Après sa généralisation, moi qui aime le backpacking, je voulais un peu plus de challenge sportif ou d'engagement dans ma manière de voyager. Je suis allée dans des pays improbables, me suis déplacée à cheval, à dos d'âne, de chameau et même de renne, pris des tuk-tuks, partie en vélo, en van... Du coup, le bateau, c'était la suite logique. J'ai fais du bateau-stop en 2018 pour traverser l'Atlantique. Partie des Canaries, j'ai rejoints avec enthousiasme la Martinique sur un OVNI de 13 m (monocoque). Sache que cette traversée n'était pas ma première expérience. J'ai toujours le souvenir de la voile en Méditerranée avec mes parents lorsque que j'avais entre 7 et 12 ans environ... Nous avions un modeste voilier de 9 m qui nous emmenait aux Baléares tous les mois d'août. Les plus belles vacances de jeunesse pour ma sœur et moi. J'aimais tout, même les orages. Encore gamines, les manœuvres ce n'était pas pour nous, mais on regardait le paternel s’affairer assises sur le banc du cockpit à la sortie de la descente du carré, pour ne pas gêner. Je me suis rendue-compte sur l'Atlantique que je connaissais toutes les manœuvres principales sans pouvoir leur donner un nom. Je sais virer de bord, empanner, à plus ou moins régler les voiles, je sais barrer, mais mise à part tribord et bâbord, je n'avais pas le vocabulaire. Il a vite fallu que j'apprenne les mots associés aux actions . Pour le reste, c'est assez naturel. En navigation, il s'agit pour moi de sensation et de bon sens. On peut dire que ça me parle. Et pour ce qui est de la vie sur l'eau, je n'ai pas peur du roots et de la débrouille. Et bonne nouvelle, je n'ai pas le mal de mer. Voilà pour l'expérience.

Un jour très frais de journée forge en novembre 2021, un copain artisan me présente un proche ami à lui, apprenti du jour : Christian. Ils parlent de trans-pacifique. Je me suis direct tapé l'incruste. Il y a de la place pour moi ? Comment ne pas tenter sa chance ? Je n'avais pas forcement en tête de repartir naviguer car toutes les destinations m'excitent, mais saperlipopette ! Traverser un continent par le mythique canal de Panama, puis un océan plus grand que l'Atlantique, arriver par la voie maritime en Polynésie française et la visiter, et en prime reprendre ma route à la voile là où elle s'était arrêté en 2018 !? Le top du top, Cher Lecteur...enfin pour moi.

Parmi les raisons de ma présence dans ce coin paumé du monde, comment également ne pas évoquer mon papa qui a déjà fait le tour du monde et navigué en Polynésie lorsqu'il était dans la marine française, engagé à la fin de l'adolescence. Est-ce que c'est inné la voile ? Héréditaire ? En tout cas, je peux dire merci à mon papa, mon premier capitaine, qui m'a donné goût et ma ouvert les portes de la navigation. Pour cela, je compte bien faire du cheval aux Marquises.

Beaucoup me demande si l'on ne s'ennuie pas sur un bateau, si ce n'est pas trop long. Eh bien, cela me fait penser à la réparation du canot Le Presqu'Île du Léman (type baleinière en bois, 13 m de long ) sur lequel nous avons passé tout un hiver. C'était un peu stressant car il fallait bien faire, fastidieux, frustrant quelques fois, fatiguant, on y a passé beaucoup de temps et d'énergie, mais le bonheur le jour de sa mise à l'eau !! Une super expérience où l'on a appris, partagé, sué, donné de nous pour le bien commun. Ainsi, les émotions, ça se mérite. Elles sont d'autant plus belles quand on a donné de sa personne pour nous et pour les autres. La navigation, c'est ça aussi. On se challenge pour plus de plaisir. On vit pleinement dans une nature pas si pacifique que ça, tous nos sens sur le pont, pour un but et un arrivée incroyable. Tu sais bien, Lecteur, que ce n'est pas la destination qui compte, mais le chemin pour y arriver. Bon là, j'avoue, la destination est dingue...

Pour aller également dans le sens du challenge, le partage est une aspect très important de ce voyage. Vivre à 4, avec des personnes que l'on ne connaît pas, c'est une aventure humaine qui nous apprend beaucoup sur nous même et le vivre ensemble. Pour ma part, j'ai encore un peu de boulot à ce sujet... Je suis une Castel (avec les bras qui font des vagues).

Ainsi, je suis là, à voguer au milieu du Pacifique vers une destination de rêve. Enfin... je ne sais pas si c'est un rêve que je poursuis, le mien ou celui de mon père, ou même comment il a ressurgi un jour de caillante à la forge. Toujours est-il que j'y suis, et j'y reste (t'façon, je peux pas descendre). Et puis pour tous les flemmards qui n'ont pas lu toutes mes phrases précédentes, nous pouvons répondre maintenant en 3 mots à la question « qu'est-ce que je fais là ? » : plaisir, challenge, émotion. PAF.

Si tu veux connaître un peu mieux mes coéquipiers, rendez-vous sur Youtube, il y a des vidéos "blabla" : @francecastel4816

 Ca avance !!
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Avant dernier jour. Le soleil n'en peut plus de nous cogner dessus. La houle n'a toujours pas lâché l'affaire, mais elle s'essouffle tout de même. Ces derniers jours, le vent a tourné un plus est. Nous avons donc changé de stratégie. Génois et geneker en portefeuille ouvert ou papillon ou ciseau, comme tu veux Lecteur, pour que le vent nous pousse vent arrière et lui proposer un maximum de toile. Comme la houle et le vent ont baissé, nous sommes régulièrement déventés. Nous avançons toujours, un peu moins vite que ce que l'on a connu, mais on s'approche doucement de l'arrivée. Le capitaine a grand mal au dos, le malheureux doit se reposer. Nous faisons les quarts à 3. Hier, j'ai gagné un apéro, en apercevant le 1er bateau depuis 2 semaines. Bon. L'apéro est toujours partagé ici. Toujours est il que nous passons à proximité d'une espèce de base navale de pêcheurs taïwanais avec une grosse flottille rangée en ronds d'oignons, avec peut-être des hélicos. Ce serait peut-être l'exploitation d'un DCP (dispositif de concentration du poisson). Ce sont des radeaux fixés au fond de l'océan ou avec un système dérivant (nous sommes sur des fonds de 4000 m, mais rien n'est impossible). Les entreprises de pêche créent des écosystèmes flottant avec ces radeaux pour créer une zone poissonneuse. Donc tout ce bazar et ces gros moyens pour nourrir essentiellement l'Asie. En Polynésie, il n'est pas rare que ces installations, souvent chinoises, se retrouvent échoués sur les récifs ou qu'elles traversent les eaux françaises... Grrrrrr...

 Késako ???

Aujourd'hui, 14 juillet, fête nationale ou fête de moi pour les intimes. Tout prétexte est bon pour nous animer. A cette occasion, reçois Cher Lecteur, ton carton d'invitation.

Hier, notre soirée s'est bien déroulée, mise à part le poisson qui n'a pas voulu mordre alors qu'il était inscrit au menu. Pour cette dernière soirée en mer (avant un petit moment), nous avons organisé une soirée cinéma. A l'affiche, « Damien » un vieux docu sur 2 français partis faire un tour du monde de 5 ans en 1969 sur un voilier de 9 m, en passant par l'Antarctique bien sûr. Puis on a enchaîné avec un reportage Arte sur l'historique des courses autour du monde. Quand tu retournes à la barre pour ton quart avec des pointes de vent à 12 nœuds, tu te sens beaucoup plus comme dans les 10ème ronronnant que les 40ème rugissant. Pas de vent, des étoiles, des instruments qui nous facilitent la navigation, des bateaux solides et confortables... Nous sommes même redevenus bipèdes. Plus besoin de se déplacer en se tenant partout, les 2 pieds écartés pour l'équilibre, et les mains accrochées à tout ce qui veut. Nous nous traînons un peu, mais notre regard guette l'horizon pour apercevoir enfin le cailloux merveilleux.

Pour nos dernières heures de navigation, nous avons décidé de sortir le grand jeu : le spi. Comme le pauvre à froid aux pieds avec une chaussette défaillante, nous lui avons tricoté des nieusets avec des bouts de laine. Une fois bien lainé, nous envoyons les couleurs belges dans le ciel (pour toi Colombine). Spi de récupération, échangé contre un barbecue, il est quelque peu sous-dimensionné, mais même avec un vent arrière faiblard, il nous permet d'avancer au cap.

 Spi belge.
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Terre ! Terre !

Enfin ! Après 16 jours de traversée, nous devinons notre île dans le milieu de la journée. Ohlalalala ! La Polynésie est à nous ! Petit à petit, la côte se dessine, les reliefs apparaissent, des pics et des dents dans le ciel ou qui s'accrochent aux nuages. Fatu Hiva en impose avec ses falaises sauvages qui se jettent dans l'océan. Au nord de l'île, un vent nous fait sauter d'un bon en direction de la baie des Vierges. C'est magnifique. Le capitaine exprime sa joie. Et moi, je suis sans voix devant ce paysage imposant et majestueux. Les chèvres sauvages gambadent sur les pics et saluent notre arrivée à la tombée de la nuit. Ce soir, le rhum coule à flot (les bouteilles de Colon, tu vois, Lecteur, il nous en reste encore !!). Le thon rouge pêché en arrivant sur l'île fera le bonheur de notre estomac. Cette baie qui rentre dans l'île est une porte d'entrée improbable pour les visiteurs. Entourée de monts abruptes (des verges !), elle est magique. Un vent descend des montagnes et souffle dans la baie amenant avec lui des envies d'exploration. Comment ne pas penser aux premiers colons arrivés ici, ou aux gens qui habitent dans ces terres reculées. J'ai hâte de les rencontrer.

 Arrivée majestueuse.
Pas tant mal. 
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Promenade dans le village, des fleurs partout odorantes ou colorées, des poules... Les villageois nous adressent des 'ia ora na ou des bonjours chaleureux. Nous marchons jusqu'à la cascade pour nous y baigner. Détente et volupté. Les photos parleront d'elles-mêmes.

Calme, volupté et fête nationale.

Le lendemain, nous irons faire notre pèlerinage jusqu'à la croix qui domine la vallée. D'ailleurs, des vallées sur cette île, il y en a 2 accessibles. Plus au sud, il y a Omoa, le village principal. A pieds, comptez 6h aller-retour et environ 600 m de dénivelé. Après 16 jours de mer, nous allons nous abstenir et se contenter du point de vue au dessus de Hanavave, le village, et la baie des Vierges. Pétard, ca fait du bien de marcher !

Prise de hauteur. 
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L'archipel des Marquises a été colonisé à partir de 900 après J-C. par les polynésiens. Cette migration, assez tardive, est probablement due à l'isolement de ces terres. Ces îles sont les plus éloignées de tout continent de tout le globe, et Tahiti n'est qu'à plus 1500 km, rien que ça... 6 îles sont habitées sur les 12 qui composent l'archipel. Les villages sont situés en bas des vallées, dans les baies, car le relief empêche toute installation ailleurs. Le déplacement se fait souvent plus facilement par voie maritime que par la terre.

Le nom des Marquises viendrait du premier découvreur blanc, Mendaña, neveu du gouverneur du Pérou, missionné pour chercher de l'or aux îles Salomons. Par erreur de cap (pas d'AIS ?), il arrivera à Tahuata en 1595, change le nom de l'île pour Las Marquesas de Mendoza et laisse en cadeau la siphilis.

Lors des vrais premiers échanges avec les blancs vers 1800, on estime autour de 50 000 à 100 000 habitants. Après la colonisation, le peuplement s'effondre puisqu'ils ne sont plus que 2000 en 1925. Au début du XIXème siècle, les santaliers pillent tous les pieds de bois de santal (un joli bois qui sent vraiment bon). Les baleiniers font de violentes escales et tous laissent en présent des épidémies et l'alcool. C'est aussi à ce moment là, que les marquisiens découvrent le verre et les outils en métal.

En 1842, les français prennent le contrôle de l'île en faisant signer un papier d'annexion au chef local qui ne savait ni lire ni écrire. Puis, au milieu du XIXème siècle, après les protestants, les catholiques commencent leur travail de conquête spirituelle. A ce moment-là, la situation sanitaire est catastrophique et les marquisiens ne sont pas loin de disparaitre. D'autant plus grand est le rôle de l'Eglise que l’État se désengage de tout développement, la topographie limitant les possibilités économiques pour cette colonie française. Les Marquises sont délaissées et en même temps privé de liberté de culte, de danser, de se tatouer de vivre comme ils le faisaient avant l'arrivée des blancs...

Après la visite de nombre de voyageurs écrivains, l'image de l'archipel est celle d'îles inhospitalières, peuplées par des sauvages, dépravés, cruels, cannibales. Les marquisiens sont encore un peu aujourd'hui dénigrés par Tahiti. La tradition orale est déformée et laisse moins de traces écrites. Donc ce que l'on sait de l'histoire des Marquises a été écrite par d'autres. Quelques recherches archéologiques parviennent à combler le manque, mais le travail est immense.

Le plus grand tiki des Marquises
Les sites archéologiques importants d'Hiva Oa
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Comme à notre habitude, départ de nuit pour Hiva Oa. Nous partons explorer l'archipel. La baie d'Atuona nous accueille pour 2 nuits. Atuona est la ville principale au sud de cette île, située au fond d'une grande baie rondouillette et aux pieds du mont le plus haut de l'île (1226 m). Dans cette petite ville, c'est beaucoup plus animé qu'à Fatu Hiva. Nous trouvons une gendarmerie (pour faire notre rentrée officielle au pays), une poste, 2 supermarchés ! C'est aussi dans cette baie que Gauguin et Brel reposent, dans le petit cimetière fleuri. Le Grand Jacques, que l'on connait tous pour ses chansons s'était arrêté en baie d'Atuona après une traversée du Pacifique éprouvante (17 jours de pot au noir !). Avec sa compagne, il avait des rêves de tour du monde, mais il restera 3 ans sur l'île, et son bateau, l'Askoy, ne repartira plus. Il vivra dans une maison à Atuona avant que le cancer ne le rattrape à l'âge de 49 ans. Sur l'île, il était généreux et n'hésitait pas à rendre service, comme transporter avec son petit avion les personnes qui le nécessite à Tahiti. Sur place, personne ne le connaissait comme chanteur. C'est aux Marquises qu'il écrira son dernier album où il décrit si bien la vie sur l'île. Car oui, gémir n'est pas de mise aux Marquises.

Tombe de Paul Gauguin
Atuona et le port 
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Nous louons un 4x4 pour visiter l'île avec un couple de marins, un anglais et une allemande vivant à Aspen que l'on connaît depuis Fatu Hiva. Direction l'extrême est de l'île où un important site archéologique nous attend. La route serpente dans un haut relief sinueux magnifique. Les vues sur la côte et les baies que l'on enchaîne sont spectaculaires. Après 1h30 de route, nous débouchons sur une jolie plage de sable blanc, où dans un village verdoyant, 150 habitants mènent une vie paisible.

Les routes serpentent et à chaque virage, une surprise. 

Près de l'Eglise au bord de mer, vient à nous le jardinier, Jacques, un beau marquisien de 40 ans. Il se propose de nous guider jusqu'au site archéologique. Il cherche ses mots en français et à défaut de nous expliquer de manière fiable l'histoire du site, il nous accompagne gentiment et nous parle de son île, de son village et de sa vie. Certaines îles aux Marquises sont peu peuplées. Certaines vallées ne sont accessibles que par voie maritime. Ici, il y a quand même une route (pas goudronnée à 100%). Malgré cela, pour Jacques, sa vallée, il n'en sort pas beaucoup. Un peu mis à l'écart par sa famille, il vit dans une maison qui ressemble à un débarras en tôle et plots. Il est parti 2 ans pour le service militaire et touche une pension de 800 euros pour vivre, peut-être pour prendre soin de l'église. Aux Marquises, dans les villages, ils sont tous un peu de la même famille. Chaque maison est celle de son cousin. Difficile donc pour lui de trouver une compagne. Il me confie qu'il aimerait pourtant emmener ses enfants à l'école primaire située sur la plage (je veux retourner au CP ici). Très éduqué, très gentil, la prière à table, nous l'invitons à manger avec nous. Il aimerait venir en France si possible pour travailler ou visiter d'autres lieux en dehors d'ici... En fait, il n'espère que ça, sortir de sa vallée. La vie ici, pour nous touristes riches, peut nous sembler idyllique avec ses paysages de carte postale, la vie paisible. Pour d'autres, ceux qui y sont nés, ces baies bordées de cocotiers tournées vers la mer peuvent parfois ressembler à une prison. Les débouchés pour les jeunes sont très limités. Certaines aides et subventions permettent aux communes de proposer du travail, d'entretenir et de conserver une activité économique. Par exemple, la culture du cocotier pour la coprah est la première richesse des îles et elle est très subventionnée. Nous quittons Jacques et sa baie avec un peu de peine.

 Jacques
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Direction Tahuata et une baie complètement isolée, uniquement accessible en bateau. Une famille semble vivre ici. La plage de sable blanc et ses cocotiers sont magnifiques, surtout au coucher du soleil. Je pars chasser. Au fusil, dans l'eau. Yep. Il y a des milliers de poissons, ceux que l'on connaît déjà, et d'autres. Tous ne sont pas bons à manger. Question de goût et de maladie. Certains, surtout les carnivores, sont intoxiqués par une toxine, la ciguatera et les rend impropres à la consommation. Selon les îles, il faut sélectionner ses proies. Pour moi, aujourd'hui, se sera un énoooorme rouget aux grands yeux noirs de 10 cm. Mon premier au fusil !!! Je m'enflamme et j'y retourne en fin d'après-midi. 4 autres permettrons de nourrir l'équipage. Ouf ! On a failli mourir de faim.

La baie.
Plage, pêche et coucher de soleil.
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Aujourd'hui, cap sur Ua Pou. En fait, non, à mi-chemin, on se traîne vent arrière, les voiles faseillent, alors on change de cap pour Ua Huka en naviguant au près.. Cela tombe bien, c'est la seule île que Christian ne connaît pas. A première vue, elle semble bien plus désertique que les autres îles que nous avons vu. Nous arrivons à l'entrée d'une baie invisible. Tu ne la vois pas depuis la mer, il faut presque rentrer dedans pour la repérer. Or, avec vent d'est, ça secoue. La houle s'engouffre, et cette baie est très peu large. Avec cette approche stressante, on ne va pas s'y risquer. Nous repartons plus à l'ouest, une autre anse nous fait de l’œil avec pour voisine ses 2 îles, une rouge escarpée, et une blanche, toute plate. Encore raté, ça secoue là-bas dedans. Mais avant de mettre le cap sur l’île principale des Marquises, Nuku Hiva, nous naviguons autour. Elles sont magiques. L'île aux oiseaux : des sternes partout, des couleurs incroyables et pour couronner le tout un banc de raies manta qui nagent aux pieds de la falaise. Un petit détour donc, pour une très grande impression.

 L'île aux oiseaux.
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Arrivée avant le coucher du soleil dans la Baie du Contrôleur. C'est ici que Herman Melville, auteur du modeste "Moby Dick", a déserté du bateau sur lequel il travaillait. Capturé par une tribu locale, il écrit un premier livre sur son expérience qui le rend célèbre : Taïpi. A lire. D'ailleurs sa tombe et au bout de la vallée. Comme très souvent ici, l'arrivée dans la baie est très impressionnante avec ses grandes falaises, ses pics qui dépassent de l'eau, la houle qui s'éclate sur les rochers, le soleil couchant sur les hauteurs, les arbres survivants au sommet des falaises... Nous mouillerons à Hooumi. Sur les 3 petites baies, c'est celle sur notre tribord.

 Arrivée à Nuku Hiva.
La Baie du Contrôleur.

Le lendemain, après un grand nettoyage du bateau, nous rejoignons en annexe le village principal du coin : Taipivai. Aujourd'hui, c'est dimanche, tout le village est sur la place principale. Chacun mange des plats traditionnels, prend l'apéro, danse ou joue à la pétanque ou tout ça à la fois. Les boules, ici, c'est le sport ultime, joué par tous et toutes. On a peur de se frotter à eux... Du coup, nous goûtons à la gastronomie locale : poisson cru au lait de coco, porc au rhum et pour moi, une grande première : des crabes et limaces de mer dans de la coco rappée (macérée avec les têtes de crabe une nuit entière). Très dépaysant ce plat, surtout les limaces dont le goût s'apparente aux moules et c'est très bon... Pour digérer, nous partons pour une marche jusqu'au site ancien avec ses tikis, sur un sentier peu entretenu mais qui nous donnent l'impression d'être des explorateurs. Pour le retour à notre baie, ça monte un peu et il fait chaud. Alors nous trichons par chance, le stop fonctionne bien ici. Hop, Christian et moi, dans la benne du 4x4 et nous évite 1h de marche...

 Vallée verdoyante.

Le lendemain, nous nous rendons à pieds à Taipivai depuis Hooumi, ca mouille moins qu'avec l'annexe, mais il faut marcher. Visite du centre artisanal ou nous admirons tous les styles de sculpture : tiki en bois ou en en pierre, travail de l'os avec des bijoux ou des objets diverses, et le must, le rostre d'espadon sculpté. Nous passons également chez Bernard, le sculpteur, la 2ème maison à droite après la plage, à qui nous achetons de beaux hameçons en os brulé (partie noire) puis gravé (blanc). Une petite déception pour moi en voyant un très beau tiki en os, mais malheureusement inachevé. Je le prends, je le finis moi même ? Non, ca ne se fait pas. Ce tiki va me hanter quelques jours. J'irai trouver le numéro de sa femme à Taiohae pour l'appeLer et peut-être retourner le chercher. Malheureusement, en panne d'électricité, il ne sera pas prêt avant mon départ.

Rostre d'espadon et os
 L'artisanat local.

Sur la route du retour, nous glanons (pique-meurons) des citrons verts. Aux Marquises, il est facile de trouver des fruits, il y en a partout, il suffit de les ramasser à condition que l'arbre n'appartienne à personne. Et ça tombe bien, car des citrons, il en faut en quantité astronomique pour cuisiner le poisson, le rhum ou les jus. Retour donc à l'annexe les bras chargés de citrons verts, mais surprise désagréable, elle s'est échouée sur la plage. Incompréhension. Vol de l'ancre ? Nœud défaillant ? Nous la cherchons dans l'eau avec la méthode de prospection archéologique pour quadriller la zone, mais en vain. Nous rentrons bredouille et grelottant. Peut-être cette ancre aura une belle 2ème vie aux Marquises.

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Pour nous, pas de temps à perdre, nous migrons vers la capitale : Taiohae. Une grande baie bordée par deux belles sentinelles caillouteuses accueille les bateaux. Au mouillage, David retrouve un couple d'amis rencontrés dans les Caraïbes qui travaillent ici, elle comme kiné, lui sur les bateaux. Le monde des marins est petit. Apéroooo !

La baie de Taiohae.

Le lendemain, jour de fête pour notre capitaine qui retrouve sa dulcinée fraîchement débarquée à l'aéroport. Colliers de fleurs préparés, nous partons à la conquête des cols marquisiens, évidemment en voiture, parce que l'aéroport est à l'autre bout de l'île et il faut passer les montagnes. Nous bravons des pics humide et verts puis une terre aride à bord de notre fidèle destrier motorisé pour redescendre à bord de l'océan côté nord, vers le petit aéroport tout simple. Nous sommes 4 à nouveau, et bonne nouvelle, sur Houria la parité est retrouvée !

Sur le chemin du retour, arrêts photos, arrêts balade dans les pins et sur le plateau de Toovi. Tentative d'achat de tomates chez l'agriculteur local, mais une fois n'est pas coutume, l'accueil n'est pas chaleureux. Nous repartons. Un embranchement plus loin, on s'arrête dans une maison perdue sur cette prairie verte. Ici, nous trouvons une famille qui nous invite boire le café. C'est l'occasion d'une belle rencontre. Monsieur et madame travaillent dans l'administration et la dernière de la fratrie aide ses parents sur leurs terres. Sur le plateau, ils élèvent des vaches. Ils n'ont pas vraiment besoin, mais c'est leur activités familiale depuis plusieurs génération. Les bêtes sont plutôt destinées à la viande qu'ils préparent eux même, et tannent également les peaux. La demoiselle e 20 ans a fait ses études en France, mais elle est « fiu » de travailler (comprenez « fatiguée ». Alors elle aide à l' élevage des bêtes et au jardin. Avenir tout tracé. Il nous vendrons une quantité importante de pamplemousses et 3 régimes de bananes. Livraison au port. Les familles du plateau habitent à Taiohae et montent en journée pour le travail.

Les hauteurs de Nuku Hiva avec ses plateaux verdoyant. 

Une belle journée qui se termine aux baraques, les petits restos du coin avec la cuisine locale : chao men (nouilles), poisson cru avec ou sans coco, poulet citron, bœuf braisé, langoustes assiettes qui débordent... Les locaux et les popas (blancs installés ici) se retrouvent là le soir où des animations peuvent proposées (films, danses...). Ca papote et ca fait des rencontres autour d'une bière au gingembre à 7 €. On retrouve même les américains d'Aspen.

Marcher au hasard... 
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Avec notre destrier motorisé, nous partons au petit jour (enfin...essayons) conquérir le nord ouest de l'île. La route serpente sur des monts luxuriants et redescend vers une vallée habitée. Un site archéologique nous enchante par sa grandeur. Il reste peu de tikis, mais les constructions carrées impressionnent avec leurs fondations composées de gros blocs de roches volcaniques roulés par le temps. Les fromagers et les banians géants confèrent au lieu une atmosphère emprunte de spiritualité. Les ancêtres et le "mana" ne sont pas loin. La visite se poursuit ensuite en bas de la vallée, vers la plage, puis à travers en sentier grimpant. Nous montons un petit col où tous les fruits tombent sur le chemin et nous tendent (encore) les bras. Pour le retour nous ferons un razzia de mangues. Au col, vue imprenable sur la baie d'Anaho, probablement l'une des plus belles des Marquises (enfin de ce que j'ai vu). Nous plongeons tête baissée dans la descente pour nous rendre sur la plage de sable blanc. Juste wahou. Je voudrais m'échouer ici. Je crois que Nuku Hiva m'a tapé dans l'œil. Le pire dans tout ça, c'est que l'exploration de l'île n'est pas finie, je fais du cheval le lendemain comme une boucle à boucler.

La baie d'Anaho. 
 Juste beau.
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Là-haut, sur le plateau, je pars avec une famille très concernés par la préservation de leur culture et leur identité. Le cheval, ils sont nés dessus. Ils capturent et dressent les chevaux sauvages, je suis chez la référence en la matière. Akiona, jeune trentenaire est revenu de Tahiti où il travaillait comme boucher à Carrefour, pour reprendre l'exploitation familiale, retrouver son île et ses racines. L'accueil des touriste est une part importante de leur business, mais ils vendent également des chevaux dressés sur les autres îles polynésiennes. Un vrai travail de passionnés qu'il savent partager. Chez eux, les jeunes cousins ou neveux ont littéralement le pied à l'étrier dès le plus jeune âge. Ils apprennent les techniques ancestrales. Ici, pas de fer à cheval (pourquoi faire ?). Je suis quand même contente de ne pas avoir hérité de l'ancienne méthode : monter à cru ou sur une selle en bois.

 Cheval sur le plateau de Toovi.

Après mon aventure équestre sur le plateau, retour au port où les requins se régalent des restes de poisson jetés par les pêcheurs. Ne pas tomber, ne pas tomber... Comme la journée n'est pas finie, une nouvelle aventure m'attend avec Christian. Sur le papier, elle semblait facile : trouver une rappe à coco. C'est carrément indispensable pour les Tuamotu. Après 4 magasins (les seuls), des renseignements glanés auprès des autochtones, un tour en voiture avec une petite dame sympathique, nous trouvons enfin. Nous sommes sauvés, et sommes prêts à partir. Déjà...

 Le port animé.
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Des pics volcaniques côtoient les nuages. C'est beau. Petite randonnée tous les quatre vers la cascade et rencontre avec « Choco Man ». Un allemand de 70 ans venus aux Marquises à l'âge de 30 ans avec la ferme intention de se vautrer loin de tout et des gens. Il fait du chocolat avec une méthode secrète. Un sacré personnage.

Arrivée sur Ua Pau 
Visite des lieux 
Houria of Sky pose pour la photo. 
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Très peu de fois j'ai eu la sensation de voyage inachevé. Ici aux Marquises, j'aurais pu y rester 1 mois, 2 mois, 6 mois, plus... Peut-être est-ce l'effet, 1 er archipel de Polynésie visité. Mais je reconnais quand même cette sensation et je l'ai eu peu de fois, jamais comme ça. Trop envie de rester là. Ces îles sont vraiment accueillantes avec leurs habitants très accessibles et des terres fertiles. Ici, la vie ici semble douce pour ceux qui ont trouvé leur occupation. D'ailleurs, j'ai déjà milles idées pour trouver une activités à faire ici. Ce ne sont pas les opportunités qui manquent, il y a tellement de chose à faire et à créer. Mais revenir pour continuer d'explorer, cela m'irait aussi, surtout en voilier. Passé l'impression saisissante des arrivées dans les baies, tu découvres une nature généreuse, où les fortes impressions ne sont qu'à portée de main, et où la culture et la nature s'entremêlent. La culture ancestrale, des habitants imprègne encore le style de vie des gens à travers leur quotidien, mais aussi les fêtes, l'artisanat, les tatouages. Le monde sacré n'est pas si loin, "le mana".

Pendant ces 15 jours trop courts où l'on court après le temps, nous avons survolé (à mon goût) 6 des îles marquisiennes. Fatu Hiva avec sa baie des V(i)erges magiques (impossible à oublier), Hiva Oa, l'île paisible, Tahuata, l'île aux plages, Ua Huka la désertique que l'on a juste effleuré, Nuku Hiva si diversifiée et étonnante et enfin Ua Pou avec ses pitons rocheux exceptionnels. Chacune a son charme et se différencie de sa voisine. Toutes sont belles et majestueuses. Pas une n'est décevante. Il faut avouer que ma soif inassouvie de découverte est exacerbée par la visite de Nuku Hiva sur laquelle j'ai vraiment manqué de temps. Il y a là-bas tellement de chose à faire, à vivre, des lieux, des gens à rencontrer, que je suis très triste de la quitter. On ne peut quitter impunément une terre comme celle-ci, la terre des hommes. A l'autre bout du monde, l'archipel est préservé, c'est sa force et sa chance. C'est aussi ce qui peut la rendre difficile à vivre. Mais pour un voyageur, c'est un paradis.

Les couches de soleils, ici... 
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Nouveau départ, finalement, rien de nouveau. Nous décidons de rester à Ua Pou pour passer une nuit au calme avant de descendre au sud.

Nous quittons les Marquises pour un nouvel archipel : les Tuamotus. Le paysage va être transformé. Mais avant d'ouvrir mes mirettes sur ses atolls à l'eau turquoise, il nous faut naviguer 3 ou 4 jours, cela dépend du vent.... Au final, on se fait secouer quand même au mouillage. Nous prenons la route au matin avec un peu d’appréhension. La météo annonce 25 à 30 nœuds de vent. Effectivement, le 1er jour nous démarrons tranquillement à une vitesse de 9 nœuds avec une houle modérée. Nous naviguons bâbord amure avec le vent au travers. Sous le soleil, il fait très chaud, dans le bateau, il fait très chaud aussi. Je passe ma journée à somnoler. Puis le vent forcit, la houle avec. Je ne me rappelle plus de la dernière fois où nous avons navigué cool. Le 1er jour après Panama. Ça remonte à loin. Le nombre de jours tranquilles se comptent sur les doigts d'une main. A nouveau, la navigation est dure. Nous prenons des ris, les vagues déferlent sur le pont et en prime voilà des grains avec la pluie. Ce soir, je prépare 2 bonites pêchées dans la journée, mais nous mangerons des nouilles chinoises. Cuisiner maintenant, c'est de la science fiction. Déjà que les nouilles, ce n'est pas si fastoche.

 Les dauphins au large de Ua Pou

Des trucs déconnent à nouveau sur Houria : une pompe par ici, de l'eau par là, les panneaux solaires qui ne chargent plus et les batteries qui tombent au plus bas... On rallume le moteur pour charger les batteries. La ventilation marche moyen, me voilà intoxiquée dans ma cabine. Je squatte la couchette de Christian qui fait son quart. Après le mien, je dormirai sur le matelas par terre dans le couloir qui va à la cabine du cap'. J'ai extrêmement bien dormi, sans ironie. En me réveillant, je rigole en voyant Christian dans la cuisine se battre avec les objets qui tombent et les placards qui ne s'ouvrent plus. Tiens, il n'y a plus d'eau. On ne s'ennuie jamais sur Houria. L'esprit croisière ? C'est quoi ? C'est quand ? La navigation ce n'est pas toujours que du kif ou une promenade du dimanche. Je ne me plains pas, j'ai choisi d'être là. La Polynésie, ça se mérite. Malgré les petits tracas, la dureté de l'océan, le moral est bon. De toute façon, à un moment donné, tu dois faire un choix : soit tu subis, soit tu acceptes. Je te rappelle que nous ne sommes pas maître de la situation. Pas de bouton off pour la houle. Pas de variateur pour le vent. Je choisis donc la résilience et le sourire. Je suis toujours heureuse d'être là. Je rajoute même « c'est l'jeu ma pauv' Lucette ». Un sage marin de Nuku Hiva dirait « Life is good ».

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Dans l'après-midi, nous arrivons à hauteur des 1ere îles desTuamotus, notamment les îles du Roi Georges et Aratika. Les îles font obstacles à la houle qui se calme. Vers 3h du matin, nous arrivons à la pointe nord-ouest de Fakavava. Dans ma couchette, j'entends le récif avant de voir la Terre. Ca y est, on approche. Les Tuamotus sont des atolls, composés de plein de petites îles récifales alignées entre elles (motus) et formant de grands cercles. Au milieu, le lagon bleu et turquoise. Celui de Fakarava fait 60 km de long et 25 km de large. Pour rentrer dans le lagon, les bateaux empruntent des passes, et ces entrées ne sont pas forcement simples. Selon les marées, le vent, la houle extérieure qui rentre, il peut y avoir de très forts courants et remous qui t'empêchent de rentrer. Pour la passe nord, nous attendons le jour pour nous approcher et nous lancer dans la passe. Il y a de grosses vagues qui déferlent et un fort courant sortant. On traîne à un nœud, alors que nous sommes au moteur et toutes les voiles dehors au près bon plein. On est bon, nous rentrons dans le lagon. Dans les passes mois larges et selon la météo, il faut se méfier. Nul n'est à l'abri d'un demi-tour. Nous mouillerons devant Fakarava village. Il n'y a plus de vague dans le lagon. Ce soir nous dormirons à plat d'un bon sommeil.

Aujourd'hui et le lendemain matin, c'est grand ménage. Nous accueillons 3 personnes supplémentaires : la famille de Christian. Après 3 mois de navigation, il est content de les retrouver. Il faut nettoyer, astiquer, un café en chantant (qui a la référence?), laver la coque, l'annexe (qui se dégonfle honteusement), le frigo, faire la lessive. Je change de couchette pour celle du couloir, l'ancienne de François. J'y suis bien. Petit tour à l'aéroport, au bout du motu. Les avions et l'aéroport, c'est le stricte minimum ici. Pratique. Tu prends l'avion comme tu prends le bus. Les voilà qui débarquent. Une nouvelle aventure à 7 !

Mouillage à Fakarava village. 
 Bienvenue aux Tuamotus.
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Dès que je peux, je pars chasser le mammouth à écailles argentées. Il y a un fusil pour moi. J'adore jouer à cache-cache dans les trous des patates (boules de récifs dans l'eau qui affleurent souvent), de vrais gruyères. Les suisses adorent. Les apeis et les rougets se carapatent dans les trous quand ils nous voient arriver. Puis ils ressortent leur truffe humide parce qu'ils sont curieux. Quand ils te regardent de face, c'est dur de bien tirer, de profil, c'est plus facile, mais faut attendre qu'il bouge. Bref, on s'amuse bien eux et moi. En général, c'est eux qui gagnent et je rentre bredouille au bateau. Le stock de saucisses diminue... Depuis Fakarava, nous faisons du cabotage jusqu'à la passe sud. Aujourd'hui, nous nous sommes arrêtés près d'un Oa. Une pseudo passe ou seule l'eau rentre de l'extérieur avec la marée et la houle. Dans l'eau, il y a de gros perroquets, des poissons multicolores, des poissons très appétissants. Notamment le umé, gris avec une corne, celui-là est excellent. Mais il nage en pleine eau. Avec mon petit fusil et l'élastique vieillot, je ne peux que m'attaquer à ceux qui se cachent dans les trous. Aujourd'hui, il y aussi un requin à pointe noire, puis 2, puis 3, puis 4 et 5. Un 6ème se rajoute. Attirés par le son du fusil, ils tournent en rond autour de moi alors que j'épie les sorties des apéis sur ma patate. Ils veulent me piquer le seul poisson que je vais peut-être pêcher. Euh...les gars...d'abord, ne comptez pas sur moi pour vous nourrir et ensuite, allez jouer ailleurs ! Qui sait ? S'ils sont frustrés par mes compétences au tir, vont-ils vouloir tâter du cuissot de touriste ? Là, une patate qui affleure, s'ils s'approchent trop, je monte dessus. Zut, le bateau est loin... Bon. Restons rationnel. Je rapproche mon seau près de moi. Si je touche un poisson suicidaire je le jette dedans le plus vite possible. Ah ! Les apéis sortent par ce trou. Hop, je recharge le fusil et PAF ! Je pète l'élastique. Trop d'entrain ? Flûte. Bon ben, il ne me reste pus qu'à rentrer bredouille au bateau en jetant des coups d'œil autour pour savoir si je ne suis pas suivie. Il faut croire que quand l'élastique a cassé, les requins se sont donnés le mot. Laisse-tomber Jean-Claude, celle-là, elle ne fera rien aujourd'hui. Déjà que les apéis se moquaient de moi avec ma flèche molassonne. Snif... 2h30 dans l'eau et menu saucisse ce soir...

La classe a Dallas
 Les spots de chasse.
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La voile, je vous ai dis déjà, Cher Lecteur, c'est avant-tout une aventure humaine. Nous sommes 24h/24h ensemble ou presque, sur une petite surface. Et il faut s'organiser pour que tout fonctionne entre nous, surtout que depuis quelques jours nous sommes 7. Nous sommes aux petits soins pour la famille de Christian. Sur Houria of Sky, il y a donc 3 couples qui se connaissent tous et moi. Mes proches me manquent. Cela fait plus de 2 mois que je suis partie. Jusque là, nous étions tous célibataires, c'était quelque chose que nous avions en commun. Mais depuis plusieurs jours les couples chamboulent nos habitudes et ils me ramènent à ma solitude. Il faut croire aussi que les codes sociaux ont été englouti quelque part entre le Panama et la Polynésie. J'ai la forte impression d'être de trop. Oui, je suis dans un des plus beau endroit du monde, entourée de gens sympas, mais je ne me suis rarement sentie aussi seule. C'est la vie.

Calme plat. 
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Cette île est incroyable pour qui peut profiter de l'océan et du lagon. Nous longeons une côte calme où se succèdent plages et récifs. Il est possible de s'arrêter presque partout, il faut simplement faire attention aux patates. Nous progressons pénard de la passe nord à la passe sud. Là-bas, nous nageons masques et tubas dans la passe. Un spot de plongé incroyable pour voir des animaux magnifiques, napoléons, requins, raies, banc de poissons d'une densité folle. C'est foisonnant, coloré, riche. Superbe expérience. Nager avec les requins devient complètement normal. Petits détour sur les motus, de l'eau aux genoux dans l'eau turquoise, pêche et cuisson du poisson perroquet sur la plage sous les cocotiers...


Barbecue de luxe. 

Visite du plus beau spot de kite et wing (mélange de kite et de planche à voile) sur la pointe sud-est, le vent vient de là, mais la houle est coupée par le récif. Il y a donc du vent, mais la mer est calme. Et la vue... Plages de sable rose, cocotiers.... Coucher de soleil virant du bleu au rouge en passant par le rose et le orange.

Nous sommes ravis de ces 10 jours à Fakarava. Enfin de la navigation lente où l'on profite des lieux. Mais nous allons bientôt retrouver la civilisation. Trouver des légumes frais ici, cela relève d'un exploit. Direction Tahiti après avoir déposé la famille de Christian à l'aéroport et après avoir démêlé l'ancre et sa chaîne de plusieurs grosses patates colleuses. A moins que l'on fasse un stop sur une autre île avant ? Comme toujours, cela dépend du vent...

Un spot pour sports nautiques exceptionnel.
La passe nord de Fakarava dans l'autre sens et au sunset. 
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Après quelques zig-zags ne sachant pas trop où le vent nous mène. Nous décidons de mettre définitivement le cap sur Tahiti. Une fois n'est pas coutume, la navigation est calme. Après environ 40 heures nous arrivons doucement sur Papeete, au lever du soleil, histoire de rajouter de la solennité à l'événement.

C'est juste trop beau.

L'île de nos rêves. 

Autant vous dire que ce n'est pas tous les jours que Tahiti se révèle au marin avec cette lumière et sans ses nuages. Nous sommes chanceux. Pour ma part, je suis trop émue d'arriver. Je ne l'avais pas imaginé avant ce moment là, en fait, il est juste arrivé, finalement... Tant que tu ne poses pas le pieds à terre, sur un bateau, il peut se passer beaucoup de chose. Et de voir cette île tant attendue, juste là à notre portée cela me fait un effet incroyable. Comme un trèèès gros "ça, c'est fait", mais en version XXXXL. C'était l'objectif du voyage, quoi, Lecteur. C'est pour ça que toi aussi tu te tapes tout ce blabla et ces photos qui te rendent jaloux. Tu voulais me voir arriver. Et bien j'y suis. Et c'est aussi un peu grâce à toi. Toi qui m'a dit, vas y fonce, tu es barge mais fonce, ou toi qui rêve d'être à ma place ou toi qui me lit de peur que je te gronde si tu ne le fais pas. Maintenant, tout ce qui se passe pour moi ici est du bonus. Je suis très heureuse d'être arrivé jusque là, peut-être 50 ans après mon papa. Je suis fière aussi d'avoir pris ce loooong raccourci. Je suis également reconnaissante de la confiance de mes capitaines. Cette aventure sur Houria of Sky et son équipage, ça n'a pas de prix. Des expériences comme celle-là, on n'en vit pas tous les jours. Ceci étant dit, Lecteur, maintenant tu peux verser une larme avec moi.

 Trop happy Tati !
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Houria of Sky se repose de son long périple dans le port d'Arue, non loin de Papeete. Il est temps pour moi de débarquer et de me trouver une nouvelle aventure. Christian rentre chez lui et David va bientôt repartir avec ses enfants. C'est la fin de la dream-team transpacifique. Je retrouve mon sac à dos (il a du vécu celui-là), ma maison sur le dos, je surfe sur internet et je pars à Moorea pour 4 jours. Sans transition, merci et à bientôt. Je ne me sentais plus trop chez moi, alors je reprends ma totale liberté. C'est la fin d'une chouette traversée, mais le début d'une nouvelle aventure.

Après Moorea et un arrêt obligé à Papeete, je retournerai aux Marquises. Mes aventures ne sont pas encore terminées.

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Après 30 min de ferry (beuuuuargh...), je débarque sur une nouvelle île inconnue. Direction le nord-ouest de l'île, entre la baie de Cook et la baie d'Opunohu, dans un fare (guest house) assez root's, plein de backpackers. Ma coloc de dortoir est néo-zélandaise, et elle est née le même jour que moi, à quelques années près (elle a 58 ans).

Vite arrivée, vite repartie, sans mon sac à dos cette fois. C'est l'avantage de voyager seule. Tu fais ce que tu veux, comme tu veux. Direction une randonnée au-dessus de la baie d'Opunohu. Je me contente de « Maps me » qui m'envoie innocemment sur une randonnée du style difficile. Pourtant il n'a pas beaucoup de dénivelé (600m), mais le chemin est très casse-pipe. Je suis toute seule, je n'ai vu personne. On va y aller tranquillou à la descente, un peu sur les fesses, un peu accrochée aux arbres. J'arrive quand même entière en bas de la vallée verdoyante, où les vaches ruminent paisiblement, et retour à la maison à pieds. Cela fait du bien aux jambes après l'océan.

Une vue sympa sur la baie d'Opunohu. 

Les randonnées dans l'intérieur de l'île sont magnifiques. A travers les champs d'ananas, tu te promènes dans des vallées entourées de belles montagnes escarpées. Il y a des petites Dent-d'Oche partout et des points de vue à voir... Voilà que mon téléphone m'indique que mon rendez-vous de rêve est booké pour cet après-midi. Voyez-vous, c'est le genre de rendez-vous que l'on ne manque pas, donc je me dépêche de redescendre de ma montagne, un peu de stop, et me voilà prête pour ma rencontre qui vous fera baver encore un peu. Aujourd'hui, donc, je nage avec les baleines. C'est la saison. Les baleines à bosses sont en Polynésie pendant 4 mois pour se reposer et donner naissance. Ici, il est possible de les approcher dans l'eau, à distance raisonnable. Je pars avec un groupe de touristes (je suis redevenue une touriste normale). Combi, masque et tuba et c'est parti. Repérage. Dès la sortie de la passe, il y a une baleine et des bateaux qui l'approche. Une fois mise à l'eau, je l'entendrai avant de la voir. Un mâle chanteur juvénile. C'est mieux que le ronron du chat. Puis une masse blanche arrive juste au-dessous de moi. C'est immense et gracieux... Nous repartons plus loin pour essayer d'en trouver d'autres. Au large, nous nageons 3 fois avec 5 baleines adultes, à la queue-leu-leu. C'est époustouflant. Je ne peux pas décrire, je vous laisse imaginer (bossez un peu!). Ravie d'avoir la chance de voir ça au moins une fois dans ma vie.

 Que de couleurs !

Vu que je ne sais pas rien faire, j'ai programmé une sortie en pirogue à voile. Sortie l'après-midi, jusqu'au coucher du soleil sur un bateau construit par des jeunes d'ici. Elle ressemble fortement aux pirogues construites par les anciens, mais avec des matériaux de récup plus modernes et des normes de sécurité imposées, bien sûr...

Une belle sortie sur le lagon. Il n'y a rien à faire, la voile, c'est magique. Le vent, le bateau qui glisse... En prime, visite des tikis immergés et câlins aux raies, mimi de loin aux requins. Encore une journée réussie. Si je veux, je peux rester travailler ici... Les opportunités de travail s'accumulent...

 Lagon turquoise.

Cher Lecteur, je retourne aux Marquises. Je vais tester le charter sur un bateau à voile avec un nouveau capitaine. Comme vous connaissez déjà un peu le coin, je vais lever le pied sur votre carnet de voyage préféré, sauf s'il se passe des choses incroyables. Mais pas de panique, je vous retrouverai vers la mi-septembre à mon retour sur Papeete, point de départ pour la suite de l'aventure. Bisous !

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Cher Lecteur, je suis de retour. J'ai passé 20 jours supplémentaires aux Marquises et je n'ai pas une minute de regret. Pour mon retour (j'ai triché en avion, mais faut pas pousser mémé dans les orties quand même), j'ai été reçu généreusement par Mathieu, travaillant avec son voilier comme bateau d'hôtes, essentiellement sur l'archipel des Marquises. Son métier est donc d'emmener ses clients, les touristes, découvrir les îles par la navigation. Il est à la fois propriétaire, skipper, cuisinier, guide, tour operator, prof de snorkelling et paddle. Son bureau ? Un monocoque récent (2014), moderne et confortable (il y a même l'eau chaude !), au joli nom de Ratere, signifiant « voyageur » en tahitien. Nous avons navigué entre les îles, prospecté les jolies baies habitées ou non, nourri les relations du capitaine avec certains locaux, pris des photos pour sa communication et profité. Nous sommes allés à nouveau sur les îles d'Hiva Oa, Tahuata, Nuku Hiva et Ua Huka que je connais déjà un peu.

L'idée était donc de tester ce métier auquel je pense depuis que j'ai quitté la terre. Grâce à Ratere, j'ai pu toucher du doigt un métier que je vois prometteur et qui me plairait beaucoup. Accueillir, faire plaisir, permettre la découverte, sortir des sentiers battus, valoriser cet archipel d'accueil sont pour moi des activités plutôt plaisantes. Etre son propre patron est également un avantage pour moi, avec la nécessité d'être alpha-tout !

 Ratere, en baie d'Hapatoni et arrivée à Atuona avec un bateau client.

Pour gagner sa croûte, il y a tout à faire aux Marquises. Attention, la vie dans ce territoire paradisiaque français coûte très chère. Dans les rues de Nuku Hiva, il y a plein de personnels de santé, infirmiers et kinés, ainsi que des enseignants. Si tu n'es pas fonctionnaire ou à l'abri avec un bon travail, tu pourras t'en sortir avec de l'ambition, des idées et de l'ardeur. Car, il y a quand même plein d'opportunités ici. D'ailleurs, ce ne sont pas les idées qui manquent. Avec de la créativité, de l'envie et un fort potentiel, tout est possible si tu y mets du cœur !

En tout cas, que se soit pour les gens d'ici ou les expatriés, le travail est souvent simple et nécessaire, il est forcement utile à quelque chose ou à quelqu'un. On est trèèès loin des traders et des bull-shits jobs. Le travail peut être varié : agriculture, artisanat, coprah, pêche, tourisme, , culture, services... On ne se tourne pas les pouces ici, et pourtant on prend le temps. La vie dans ces îles n'est pas facile, il faut bosser, mais tout est recentré sur l'essentiel, en somme, le bonheur simple...

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Depuis que je suis partie du Panama, ça me titille. En fait, je crois plutôt que ça me pendait au nez. Roulement de tambour mouillé... J'adore la vie de bateau. Si tant (oui, ça se dit), que je veux revenir et si possible, travailler sur un voilier. Le gros avantage de faire du bateau d’hôtes, est que votre monture est à la fois votre maison, et votre outil de travail. Laissez-moi vous décrire la chose.

J'aime habiter sur l'eau, malgré tous les inconvénients que cela comporte. Je vous en site quelques-uns. Une grosse partie de ce que tu gagnes est avalé par les soins à prodiguer à ta monture. Tu ne vas pas à terre comme tu veux pour faire des courses et souvent, ça mouille. Tu ne peux pas aller où tu veux, comme tu veux, il y a la météo ou des saisons à respecter. Tu es loin de tes proches. Vivre sur un bateau, fait aussi de toi un « voileux ». Et les « voileux », c'est une communauté serrée qui à parfois tendance à l'entre-soi. Pour les locaux, un voileux est un riche blanc de passage. Pour être « intégré » aux Marquises, il faut montrer patte blanche (ahah !) avec un bon état d'esprit, c'est-à-dire compatible avec leur manière de faire les choses. Pour cela, il faut raconter ton parcours, donner, partager et prendre son temps. C'est peut-être au bout d'une année que tu pourras commencer à faire partie de leurs vies. Pour les avantages,... il y en a tant. Tu te lèves et tu te couches régulièrement avec une vue sublime, différente de la veille. Ton bateau, c'est ta maison et celle-ci peut être très confortable. Tu es loin de la ville et de son agitation. Si tu prends soin de ton bateau, il ne te coûtera pas trop. Sur un voilier, tu te recentres sur l'essentiel et tu prends le temps.

Menus travaux en haut du mât, l'occasion d'un selfie claaaaasse. 


Deuxième roulement de tambour mouillé. J'adore cet archipel. Ma première impression avec Houria of Sky ne m'avait pas trompé. Je vous ai déjà parlé de ces paysages escarpés, imposants, de sa nature généreuse, de ses gens simples et accueillants. Il y a aussi une certaine magie ici. Rappelez-vous, les marquisiens l'appelle le « mana », l'esprit des Marquises. Il est tellement palpable, qu'il est personnifié, dessiné, sculpté, tatoué. Surtout, ce que j'aime ici, c'est qu'il y a ici l'essentiel. A commencer par la nourriture. Celui qui meure de faim aux Marquises est fainéant. Il suffit ici de cueillir, pêcher, chasser, cultiver et vous avez l'estomac bien rempli. Pour les activités, il faut aimer randonner, ou nager, ou pêcher, ou... Pour nourrir l'esprit, il y a les gens, un mode de vie et de pensée, et une culture dont les marquisiens sont fiers. Il y a tout ici pour me plaire.

 Activités diverses et variées...

Pour moi, une croisière personnalisée sur un voilier est la meilleure solution pour un touriste de découvrir les îles (et ce n'est pas forcement plus cher!). Pour les mêmes raisons, je suis venue en Polynésie à la voile. C'est le seul moyen de profiter de toutes les possibilités que vous offrent les Marquises. Sans bateau, vous ne pouvez pas aller dans les baies inhabitées, ou prendre le temps de papoter avec les locaux et de partager vraiment le mode de vie local, ou même de vous forger des amitiés et finalement de ressentir le « mana ». La voile, c'est la différence entre faire du tourisme et voyager. Aux Marquises, l'authentique se trouve en dehors des villes principales Taiohae (surtout) et Atuona, dans les baies peu peuplées voire presque inhabitées ou même désertes. Dans mon cas, sans voilier et les possibilités d'explorations, je n'aurais pas chassé le cochon sous la lune sur un plateau désertique avec 2 marquisiens, 2 chiens et un fusil. Je n'aurais pas pêché mes petits poissons gouleyants au fusil dans les baies sauvages, ou coupé la coprah avec le p'tit vieux du coin, ou capturé des chevreaux perdus pour les donner à ce même petit vieux sympathique , ou discuté sport et gainage avec LE sculpteur local, tatoué de la tête aux pieds (et même sur le...). Bref, voilà pour les avantages du voyage en voilier. Donc, travailler comme bateau d'hôtes aux Marquises, c'est lier l'utile à l'agréable. CQFD.

 Pas de mot...
 Baie non cartographiée à Ua Huka.
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Tahiti me revoilà. Autrement dit, je suis de retour à la ville. Et oui, Tahiti, c'est une île fort peuplée, bientôt 190 000 habitants. Et tout le monde est installé sur la côte. Au centre, ce sont montagnes hautes et vallées profondes se terminant généralement par des cascades. Un beau terrain de jeu, mais ce septembre, il pleut beaucoup. Changement de saison, parait-il... Cela ne m’empêche pas de profiter : shopping, visite au marché, quelques petites randonnées dans les vallées perdues, initiation au va'a, la pirogue à balancier polynésienne...

Je suis reçue chez François, rappelle-toi Lecteur, il est ex-équipier de Houria of Sky, alias équipier de rêve pour grande traversée. Il a une jolie maison sur les hauteurs, au nord de l'île, terrasse verdoyante avec vue sur la Pointe Venus et sa baie de Matavai, le hamac est à disposition pour procrastiner et réviser Taberly, Moitessier. Évidemment, tout le confort de la maison est fourni avec l'invitation : eau chaude (toujours au solaire), machine à laver, prêt de voiture... Le pire est que notre ami François est un fin cuisinier. Du coup, on ne se laisse pas abattre chez un hôte de cette qualité. Poisson cru, poisson coco, rougail saucisse. Sapristi. Je suis très très mal reçue. Mon voyage ralenti un peu, et cela fait beaucoup de bien. C'est un peu paradoxal. C'est dans l'île la plus fourmillante que je lève enfin le pied. Faut dire que le cadre « maison » et l'accueil de luxe qui m'est réservé par François me fait profiter de mon voyage avec plus de lenteur. Je recharge les batteries et en avant pour une prochaine aventure qui va encore vous faire rêver.

Île de Tahiti
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François, comme tout bon marin qui habite Tahiti, possède un petit voilier de 9 m, nommé La Petite Lulu. C'est un vieux bateau, mais tout retapé, François lui a donné tout le confort et l'essentiel pour voler sur les vagues de l'océan et n'a pas oublié le confort de l'équipage. Et cela tombe bien car après la pluie, vient le beau temps (enfin !), et le vent (encore mieux !) dans le bon sens (au travers) et ni trop fort ni trop faible, youpiiii ! C'est donc l'occasion d'une sortie de 3 jours. Nous allons à Tetiaroa. Qu'est-ce qui fait de cette île un endroit spécial ? C'est l'île privée et sauvage de Marlon Brando. C'est qui celui-là encore??? Ben, cher Lecteur... c'est le Brap Pitt des années 60. Un acteur blond-beau-gosse et charismatique. Il est connu pour avoir joué parmi les plus grands films hollywoodiens de l'époque et aussi le rôle de Christian Flechter dans le film « Les Révoltés du Bounty ». Ce Cri-cri là était officier en second (numero 2 après le cap') sur la frégate Bounty en route pour la Polynésie en 1789 et lança une mutinerie contre son capitaine tyrannique. Je vous conseille d'ailleurs de regarder ce film ou de découvrir l'histoire cette frégate anglaise au destin tragique. C'est passionnant.

 La Petite Lulu et son heureux capitaine.

Bref, avec mon nouveau capitaine pas du tout tyrannique bien au contraire, nous allons sur une île paradisiaque, type île paradisiaque classique et surtout déserte grâce à Mister Brando. Cette île appartient aujourd'hui à la Polynésie française, mais un bail longue durée est accordée à la famille. Un hôtel luxissime est située sur un des motus. Cette pépite de sable se trouve au nord de Tahiti, à 6h de navigation (5h pour nous, parce qu'on est fort). Une bagatelle pour notre équipage. Tetiaroa fait partie des îles du Vent, mais a tout l'air d'un atoll des Tuamotu : sable blanc, cocotiers, lagon turquoise. Le top pour nous les voileux, est qu'il n'est possible d'accéder à l'île qu'en avion (pour les trèèèès riches clients) ou en bateau. Il n'y a pas de passe sur cette île, il est donc impossible de rentrer dans le lagon, sauf avec une petite annexe et un savoir-faire fort couillu. Une nano-passe en somme, une vague qui rentre, et hop, c'est suffisant pour les courageux ! A part nous et 1 charter, nous voilà pénard pour profiter et découvrir. Pour les activités, snorkeling, balade sur un des motus déserts, et quoi être impressionné. Dans l'eau, ce sont tortues géantes, poissons napoléons, requins, des p'tits en tout genre, sur terre, l'île aux oiseaux et fous (mes préférés), sternes, phaétons (mes préférés aussi) et autres pou-pious jolis, et tout ce p'tit monde n'a pas peur de l'humain grâce à une pêche et au tourisme quasi-inexistant. Quand je vous dis que c'est un paradis...

La Petite Lulu à l'extérieur du lagon
Epave
Odie s'est fait un copain
Tetiaroa, l'île des oiseaux rois
FIuuuuu 
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Sans transition, on ressort le sac à dos et on repart à l'aventure, une p'tite dernière avant de rentrer à la maison. Cette promenade là a lieu sur l'île de Huahine, peut-être l'île la plus authentique des îles Sous le Vent. A l'ouest de Tahiti, il y a un joli lot d'îles connues et par conséquent très touristiques : Raiatea, Bora-Bora, Tahaa... A Huahine, c'est plus calme. L'île ne fait pas partie des circuits classiques. Elle est donc plus préservée. Au programme, tour de l'île, randonnées, découvertes des lagons, sites archéologiques, culture de la vanille...

Huahine est composée de 2 îles montagneuses, Huahine Nui et Huahine Iti, reliées entre elles par un isthme. Avec environ 600 m d'altitude, le terrain est propice aux gentilles randonnées. Pour autant, comme à Tahiti, il est compliqué de trouver les départs de balades et les informations. La Polynésie ne développe absolument pas son tourisme vert, la politique touristique est tourné vers l'océan. Pour les amoureux de marche, il ne faut pas s'attendre à des panneaux ou même de la signalétique. Mais en demandant aux habitants ou avec une bonne application sur son téléphone, on s'en sort.

La femme allongée
 Une île préservée.

Côté océan, le lagon est aussi un beau terrain de jeu. L'occasion pour moi de me faire plaisir avec un sport d'une importance toute culturelle ici : le va'a, la pirogue polynésienne. Pour les amoureux de la rame ou de la glisse, je dois dire qu'il n'y a rien de plus plaisant que de faire une petite sortie sur l'eau, au couché du soleil. La pirogue a balancier n'est pas si instable, et avec un peu de technique, tu peux te promener, travailler ton style ou te mettre au taquet. Bref, j'aime bien. Pour le moment, le mode promenade et étude du geste me convient très bien. Surtout que la vue est sublime. Au nord de l'île on trouve aussi des sites archéologiques bien entretenus. Marae, lieux communautaires importants et pièges à poissons, également des plages toutes polynésiennes. Il y a aussi un musée des coquillages, tenu par un passionné et qui vaut le détour. Saviez-vous qu'il y a des coquillages tueurs ? Des cônes. Ils piquent les poissons pour les paralyser et les manger ensuite avec leur estomac qui sort de la coquille (tout un bazar). Si tu te fais piquer, tu trépasses en 2 heures. Désormais Lecteur, tu ne mettras plus rien dans ton maillot de bain.

A Huahine, je loge sur les terres d'une famille sympathique, en haut d'un joli plateau verdoyant. Mon nouveau toit est un beau fare traditionnel donc tout ouvert sur l'extérieur. Il y a moustiques et geckos en pagaille, mais en échange on y trouve la vie en extérieur et sa douceur polynésienne. Nos hôtes cultivent la vanille. Cette culture a le vent en poupe, et est subventionnée par le territoire. Il n'est pas rare dans les îles Sous le Vent, et notamment à Huahine de trouver des serres. Cette jolie orchidée a besoin de soins. Lors de la période de floraisons, il faut être là tous les matins pour marier les fleurs. Un sacré boulot, qui demande un gros investissement en amont et de la patience. En tout cas, il semble que cela rapporte un bon pécule (entre 600 et 700 € le kilo pour les touristes).

 Poisson sauce vanille ou glace à la vanille...miam.

Ainsi s'achève ma dernière découverte des îles polynésiennes. Je termine sur un petit bijou authentique non loin de Tahiti. Il est temps à présent de retourner chez François, de rassembler mes affaires. L'heure du départ a sonné.