Eh non lecteur, nous n'allons pas parler apéro dans ce chapitre. Ou alors si, mais avec que de l'eau. De l'eau salée, de l'eau douce, de l'eau dedans, dessous, dehors. Une vraie fiesta aquatique.
La trinquette est une voile que l'on sort en cas de mauvais temps, entends par là, lecteur, quand le vent souffle trop fort à partir de 50km/h. Et aujourd'hui, nous sommes bien contents de l'avoir.
Depuis hier après-midi, nous essuyons des grains. Et cette expression prend tout son sens maintenant que je l'ai vécu. Un grain est une grosse tempête qui arrive comme un boulet de canon. Tu es gentiment à la barre, vitesse de vent pépère à 15 nœuds et d'un coup, pluie et vent qui monte à 30 nœuds (60km/heure) ou plus. Je ferai pour ma part une pointe à 36 nœuds. Bien sûr, tu n'as pas vu arriver la bête, puisque tu navigues par vent arrière et elle aussi. En moins de 2 min, tu te retrouves cramponné à la barre. Le bateau lofe inexorablement, ta barre est au max, et tu vois ton aiguille de l'allure qui monte, qui monte ! A ce moment là, tu tiens ta barre comme tu tiens à la vie (*) et tu n'as plus qu'à espérer que ça passe vite. Le temps d'appeler tes coéquipiers pour qu'ils choquent le génois afin de permettre au bateau de retrouver son allure, il est déjà trop tard, le grain est passé. Ouf, rien de cassé.
C'est dans cette angoisse du grain que j'ai pris mes quarts cette nuit. Le 1er à 18h, le 2ème à 3h. Je mange à la barre. La nuit est noire, sans lune. Impossible de voir l'horizon, ni les voiles d'ailleurs. Alain et Cath descendent se coucher. Je leur dis de ne pas s'inquiéter, je vois les étoiles derrière nous. Sauf que 20 min plus tard, un grain nous tombe dessus. Diantre ! 35 nœuds en rafale. J'appelle à l'aide. Et là, magique, 2 petites fourmis travailleuses en pyjama sortent en vitesse du carré et bordent et choquent et tirent. La trinquette est hissée, le génois enroulé. Le réveil le plus rapide du monde est sur Diboell.
Lors de mon quart de 3h, je me sens comme dans Shinning. Tu sais, lecteur, le film avec Jack Nickolson quand l'enfant fait du vélo dans les couloirs de l’hôtel. Même effet. Vous savez que ça va arriver, mais quand ? A l'affut, je guette les nuages dans le gris et surveille la vitesse du vent. Seigneur, le vent faiblit. Ce n'est pas bon signe ça... Rebelotte, nouveau grain !
(*) Petite exagération de l'auteure dans le but non dissimulé d'émotionner le lecteur