Gaziantep, jour 2
La vie est plus belle parfois, elle s’envole dans une parenthèse de détails et de sourires, éphémères mais nécessaires. J’ai de plus en plus d’affection pour cette ville, perdue dans le désert Anatolien, habitée par deux millions d’âmes entre conservatisme turc et milliers de réfugiés syriens. C’est une triste ville mais tellement attachante, on la sent brisée, reconstruite à la hâte peut être, dans l’indécision, dans une forme d’inconscience aussi. Perchée à une quarantaine de kilomètres de la Syrie, on ne ressent toutefois pas de poids particulier, ici il n’y a pas la guerre, il n’y a pas de mort, il y a des gens qui vivent, qui survivent pour beaucoup aussi, mais il y a la vie de ceux qui résistent dans le ventre de la Turquie, loin des riches métropoles égéennes ou des puissantes Istanbul et Ankara. Il y a quelque chose d’organique sous la poussière de la vie, dans le regard des gens aussi, on est pareils eux et nous, les occidentaux, on est là, on cherche quelque chose à faire de nos dix doigts, de nos vies. La vie est étrangement rythmée, le soir, même le samedi, il n’y a pas grand monde dans les rues. Les gens restent chez eux, il n’y a pas beaucoup de « vrais » bars, de ceux où on va pour parler fort et se mettre une caisse. Il faut connaître cette ville qui semble à la fois si petite et si tentaculaire. C’est une drôle d’impression que de croire qu’on se reconnaît et finalement se rendre compte qu’on est jamais passé par là. Il y a quelque chose d’étrange dans cette histoire, de fascinant aussi.
Vite passée cette journée avec Merve à parler dans les rues exiguës de la vieille ville, dans les cafés et puis dans les transports. On a marché à la race aussi. On a pas de thunes pour prendre le taxi, on est pauvres nous autres. Pour autant demain c’est déjà la fin. Je n’ai pas pris de retour, un aller simple pour Antep et puis deux nuit dans le Nil Hotel, glauque mais suffisant. Vint alors la question : et demain, ou serai-je ? Vais-je rentrer à Istanbul pour retrouver les cours et puis ma morne vie stambouliote que je tente de fuir depuis bien trois semaines, ou bien vais-je prolonger le voyage ? Partir à l’aventure depuis Gaziantep, vers l’inconnu, vers l’ailleurs. Oh et puis merde on a qu’un vie, fait chier je me casse, je continue un peu le périple. Je réponds à cet appel, celui du grand large. Demain je poserai mes valises à Chypre, Nicosie. Je ne sais pas trop comment ça va se passer parce que le pays est coupé en deux, entre la partie grecque dans l’UE et la partie turque, je dois passer la frontière et la zone tampon entre pour rejoindre mon Airbnb. On verra bien, mais je n’ai toujours pas de carte de SIM qui marche parce que le gouvernement a bloqué mon téléphone. Je deconne même pas. Après six moi, si on n’a pas enregistré son téléphone avec son passeport, ils shutdown le téléphone. Me demandez pas comment ça marche, tout ce que je sais c’est que demain dans la journée ça devrait de nouveau marcher, en tout cas j’espère.
Je ne sais pas si je suis très serein à l’idée de partir à Chypre demain mais je sais que je ne veux pas retourner à Istanbul pour le moment et que deux nuits à Nicosie ça va pas me tuer. Pour autant, sans téléphone qui marche, sans vraiment savoir comment aller de l’aéroport turc à l’appart grec, sans avoir préparé mon départ fait dans la précipitation sur une connexion très limitée, je ne me sens pas hyper confiant. Mais c’est aussi ça l’aventure, dépasser ses doutes et ses peurs. Si j’ai roulé ma bosse au Kurdistan turc, à la frontière syrienne et puis en Irak je peux bien aller à Chypre non ? Non ?
Allez let’s go to Cyprus putain.
Gaziantep était super, je reviendrai sûrement ici un jour. Il est temps d’aller ailleurs, d’ouvrir une nouvelle parenthèse, courte mais probablement unique.
A demain, le zin