Carnet de voyage

Vogue Daffy! - 2

4 étapes
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Manon et Arnaud retournent sur leur bateau...
Novembre 2019
36 semaines
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10
nov

Les portes de l’aéroport de Guatemala City s’ouvrent enfin sur nous. Le voyage peut recommencer. Une douce euphorie s’installe à l'idée de retrouver la chaleur du pays et d’autres petites choses qui restent indéfinissables. Un bus nous emmène de la capitale droit vers l’est du pays et le Rio Dulce. Les six heures de trajet nous laissent le temps d’observer les paysages avant de se jeter pleinement dedans. Les montagnes ne sont jamais très loin et le bus, comme les innombrables camions qu’on double par la droite ou par la gauche, peinent dans la pente.

Nous arrivons de nuit, comme toujours. Les arrivées de nuit sont plus douces, plus feutrées, plus discrètes. La dernière étape à accomplir consiste à passer d’une rive à l’autre du fleuve. Un taxi nous propose ses services mais il aurait bien du mal à nous emmener ; aucune route ne mène à la casa GYSA, où le bateau est resté cette année. Il prévient par contre Yéyé, la gérante de la marina, qui nous embarque bientôt sur sa lancha.

C’est un gang de femmes, sur quatre générations, qui règne désormais sur la marina. Gilbert, seul homme de la bande, est en France pour une opération chirurgicale sensible. Yéyé nous rend les clés du bateau, clés de beaucoup de choses, que nous lui avions confiées. Puis elle s’efface pour nous laisser tout à nos retrouvailles.

De loin, Daffy pointe le bout de son nez. Il attend tranquille, comme suspendu dans le temps, écartelé de toute façon par ses amarres. C’est drôle la relation entre un homme et son bateau. Plus qu’une voiture, plus qu’une maison, il est un véritable compagnon de route. On ne peut s’empêcher d’imaginer, logée au coeur de cet amas de métal, quelque âme que ce soit. Pour l’instant nous découvrons surtout la faune qui a pénétré dans le bateau en notre absence. Un palace de bois, tout en recoins, laissé à la merci d’un monde microscopique. Mais pas que… soudain détale sous nos yeux un corps vitreux aux yeux globuleux. Un gecko. Nous en emmènerons quelques uns avec nous vers d'autres horizons faute de pouvoir les chasser. Pour le reste ce n’est que silence et odeur de renfermé.

L’endroit n’est pas propice à un sommeil réparateur. Encore une nuit infidèle à dormir sur la terre ferme, chacun dans un hamac enveloppé d’une toile à beurre pour les moustiques. Le bercement du hamac reproduira au moins le roulement du bateau… Ce soir c’est donc chambre à part ! Après tout, a-t-on déjà vu deux bananes dans une même peau ? Non, c’est extrêmement inconfortable (ça finirait d’ailleurs surement en purée).

Une belle pluie tropicale ouvre le bal de la nuit, accompagnée par des cris d’oiseaux et d’autres créatures non identifiées. Les premières lueurs du jour en guise de réveil, Yéyé nous offre le café et l’on redécouvre les décors visités il y a de cela un an et demi presque. Rien n’a vraiment changé. On a l’impression d’être partis hier. Nous retrouvons d’ailleurs, avec une très grande joie, Lorraine et Pascal de Revad', rencontrés au Cap Vert puis en Guadeloupe, qui ont laissé leur bateau à la marina le temps d’aller faire un tour en Amérique du Sud.

Avant de s’attaquer au bateau, nous remontons l’annexe tant bien que mal. C’est surtout le plancher qui coince ; un puzzle en cinq pièces qu’il faut emboiter les unes dans les autres sous les boudins gonflables. Généralement, lorsqu’on a réussi à plaquer une pièce du puzzle au sol, sa voisine se dresse instantanément, comme mue par une volonté machiavélique, et ainsi de suite. Les boudins, solidaires dans cette épreuve, viennent maintenir l’ensemble une fois gonflés. Le moteur est attelé à l’arrière et le tout est envoyé à l’eau. D’une, ça démarre, de deux, ça a l’air de flotter correctement. Yesss !

Nous traversons dans la foulée le rio. En face, le chantier à sec Magdalena. Ils ont de la place pour nous, Daffy peut être sorti de l’eau dès le lendemain. Nous nous occupons pour l’après-midi du plus urgent : repousser l’envahisseur à coup d’insecticides. Nous ne sommes pas encore prêt à ce genre de cohabitation. Se réapproprier le bateau prendra donc un peu de temps. La vie à bord sera un peu précaire au début, le temps de tout nettoyer. On alterne hamac et tapis de sol sur les bancs du cockpit ; on se cale sur le rythme du soleil.

Le lendemain matin, Lorraine et Pascal nous prêtent main forte. Le moteur étant encore hiverné et donc pour l'instant inutilisable, c’est l’annexe qui pousse le bateau jusqu’à la darse où il sera soulevé. Deux longues sangles viennent caresser son ventre et le saisir par en dessous. Il est aussitôt mis sur cales et coincé entre des bers. Un canard à qui on aurait rendu ses pattes.

Mise en chantier de DAFFY 

Il est temps de s'attaquer à la bête, au programme des réjouissances :

  • enlever la mince pellicule d'algues et de crasse qui recouvre la coque (le passage eau de mer - eau douce a enlevé le reste),
  • changer les anodes,
  • changer la bague hydroluble (on fait avec les moyens du bord),
  • charger les batteries une par une, elles qui n'ont pas chargé pendant un an, une n'aura pas survécu,
  • le pilote auto ne répond plus de rien. Nous avons 2 alternatives : plan A pour "Alléluia il est réparé" ou plan Y pour "Y a plus qu'à barrer nous-même" - après de longues journées à batailler, alléluia il est réparé,
  • changer d'annexe, le plancher se décolle finalement et il faut se résigner, elle n'est plus réparable. Nous en dégotons une d'occasion et héritons d'un fond rigide en aluminium. Par contre c'est au tour des boudins de se dégonfler petit à petit. On sent dès le début qu'on n'a pas fait une si bonne affaire...

En même temps, nous retrouvons avec joie les petites échoppes de rue où les casseroles mijotent à même le pas de la porte et où les couvercles soulevés découvrent parfois des recettes non identifiées. L'engouement est de courte durée, trois jours plus tard, nous sommes KO et vidés. Notre corps nous rappelle à l'ordre d'un rythme un peu brutal accompagné d'un changement de climat auquel il n'a pas eu le temps de s'habituer. Et une tourista a sans doute profiter de la confusion. Le rythme ralentit tout de suite. On en profite d'ailleurs pour faire connaissance avec les autres occupants du chantier : Canadiens, Suisses, Belge, Espagnol, Américain, Argentin. Le chantier vibre de toutes les langues, même si l'espagnol reste quand même maitre à bord. Petit à petit, on récoltera quelques pans de vie passée ou de projets futurs. Certains ont mis dix ou quinze ans pour parcourir ce que nous avons parcouru en un an. Cette envie d'être rapidement de l'autre côté, on se l'explique pas, on ne la regrette pas non plus. Aujourd'hui il nous semble par contre avoir envie de ralentir et d'étirer le temps passé à une escale, en écourtant peut-être un peu les navigations.

Rio Dulce 

Et le soir, dans un bar du coin, il nous arrive de tomber sur les ouvriers du chantiers qui ne quittent pas leur table tant que celle-ci n'est pas entièrement recouverte de canettes de bières. On s'offre mutuellement des tournées, on se salue, on se sourit, quelque chose passe sans en venir aux mots. Le juke box résonne de plus belle, ils chantent debout, la main sur la poitrine. Puis chacun prend le chemin du retour, il n'est que 9h du soir, pourtant on a l'impression d'avoir été jusqu'au bout de la nuit.

Rio Dulce 

Subrepticement, les doigts de pied commencent à nous chatouiller, les mollets à tressauter ; comme un appel à aller nous dégourdir les jambes dans l'intérieur du pays. Nous découpons le pays en deux, sa partie nord plus chaude et plus humide, avec une large part de jungle et de ruines de la civilisation Maya. Sa partie centre-ouest plus froide, montagneuse et surtout volcanique. Nous voyagerons en sac-à-dos, en minibus ou en chicken bus. Les chicken bus sont d'anciens bus scolaires américains de la marque "Blue Bird", redécorés ou non, dont la seconde vie consiste à transporter le plus de guatémaltèques possibles d'un point A à un point B. Les bagages vont généralement sur le toit. Pas cher, mais l'on n'est jamais vraiment sûr d'arriver à bon port. Sur les routes goudronnées, le chauffeur se croit généralement sur un circuit. Sur les pistes, on dépasse rarement les 10 km/h et la vitesse est souvent inversement proportionnelle au volume de la radio. On ne connait ni l'horaire ni le prix en avance, on a d'ailleurs souvent droit à un prix spécial "gringo". On râle un peu. C'est le jeu.

Blue Bird américain du Guatemala 

On appréciera d'être beaucoup plus au contact des gens même si les échanges ne sont pas toujours faciles, du fait de notre espagnol pas encore rodé et d'un trop gros écart de cultures. Pourtant on discute un peu avec la tenante d'un comedor (restaurant à bas prix pour petit-déjeuner, déjeuner et diner). Ici le matin c'est traditionnellement oeufs au plat ou brouillés, frijoles (haricots noirs), un petit bout de fromage frais et des tranches de banane plantain caramélisées. Sans oublier les tortillas de maïs qui sortent tout juste du feu. On nous demande souvent d'où nous venons ; la France, ah la France.

Partis un dimanche avec Lorraine et Pascal pour Semuc Champey, nous nous retrouvons coincés à mi-chemin dans une petite ville appelée Cahabon. Impossible d'aller plus loin, le prochain bus n'est que le lendemain. Nous essayons de faire du stop et c'est finalement le gite et le couvert que l'on nous propose spontanément. Juan Antonio habite un peu à l'extérieur de la ville, sa famille étant à la capitale, il nous invite à venir chez lui. Surpris, nous acceptons néanmoins et ce sera une occasion privilégiée d'avoir une vraie discussion avec un guatémaltèque. Sa vie est simple, nous dit-il, et pourtant il ne manque pas d'argent. Mais il ne ressent pas le besoin d'installer une douche chez lui ou d'y installer plus qu'une petite installation électrique autonome. Il va régulièrement remplir ses bidons d'eau à la source plus bas. Il a un jardin fertile et des poules. Il est parti plus jeune, étudier et travailler, mais a toujours voulu revenir à sa terre natale. Cette rencontre nous aura marqués.

Grottes de Lanquin - halte avant Semuc Champey 

Finalement arrivés à Semuc Champey, nous y découvrons les piscines naturelles, un paradis à première vue. Un paradis pourtant peuplé de créatures démoniaques. Les nonos, petites mouches assoiffées de sang qui laissent nos mollets couverts de boutons provoquant des démangeaisons telles qu'on voudrait s'immoler par le feu. À côté d'eux, les moustiques sont des enfants de coeur qui se plaisent à venir susurrer à notre oreille. À défaut de s'immoler, on préfère se jeter dans l'eau et profiter de ses charmes et de sa clarté. Nous parcourons les différentes terrasses naturelles à pied ou dans l'eau, à coup de plongeons et de quelques gamelles. C'est beau mais qu'est ce que ça glisse !

Sur le chemin de Lanquin à Semuc Champey 
Mirador 
Sur le chemin de Lanquin à Seymuc Champey 
Cabosse de cacao 
Semuc Champey 

Ensuite, nos chemins se séparent avec Lorraine et Pascal qui vont à la capitale. C'est un long voyage qui nous attend pour le Péten, dans un bus réservé aux touristes. Ce n'est pas trop notre truc mais là c'est pratique car direct. Le paysage est bientôt aussi plat que le trajet en bus. Propre, rangé, chacun a sa place, et aucune musique, ni aucune poule ou autre dindon ne vient troubler l'atmosphère.

A Flores, notre premier stop, nous découvrons une petite île quadrillée de rues pavées qui appellent à la flânerie, il nous semble en faire vite le tour, vite à l'étroit et désoeuvrés. Nous faisons plutôt connaissances avec les tenanciers de l'auberge-boulangerie "Maya Pan" où nous dormons. Toto, personnage haut en couleurs, ancien gardien de l'ordre, aujourd'hui plutôt en désordre, mais direct et spontané. Sa machette pour la forêt où il est guide, son joint pour les heures perdues, sa bières pour les autres, il aime à philosopher sur la vie. Adolfo est le boulanger. Il est plus timide et sérieux. Diabétique sévère, il est pourtant incapable de se priver de sucre, comme si la vie, sans cet artifice, manquait de saveur. Il nous initie à la fabrication du pain, pour des français, c'est le monde à l'envers...

Une collecte de déchets dans et autour du lac qui borde Flores a lieu durant notre séjour. Adolfo qui fournit le pain pour l’occasion nous propose d’y participer. Une école de plongée est à l’origine de la démarche, les militaires se joignent à l’effort sur terre. Cette opération se répète inexorablement tous les six mois environs. On ramasse d’une main, on jette de l’autre. Ici le plastique règne en maitre. Même l’eau peut se trouver en sachet plastique à usage unique.


Nous disons finalement au revoir à nos hôtes et après avoir rempli nos besaces de petits pains, nous partons à l’aube pour Cruce dos Aguadas. De là, nous avons une demi-journée de marche jusqu’à l'ancienne cité maya El Zotz. Puis une deuxième jusqu’à Tikal, une des plus grandes cités maya. En tout cas la plus touristique et spectaculaire du Guatemala. Nous arriverions alors par « la porte de derrière ». En effet, le parc de Tikal est au coeur de la jungle que le touriste n’a pas le droit de pénétrer. Nous, venant d’El Zotz nous arriverions directement par cette jungle sans passer par la case départ.

Pour l’instant nous arrivons à l’entrée de la réserve à mi chemin entre Cruce dos Aguadas et El Zotz et les gardes refusent de nous laisser rentrer sans guide. A force de pour-parlers ils nous laissent passer à condition que nous rebroussions chemin arrivés à El Zotz et n’allions pas jusqu’à Tikal. Nous acceptons à contre coeur.

Trichonephila Clavipes 

Le chemin est tout d’abord large et bien entretenu, nous marchons côte à côte courbés par le poids des dix litres d’eau et de la bouffe prévue pour trois jours répartis dans nos sacs à dos. Alors que nous pensions être sur un simple chemin forestier, la jungle semble se réveiller et se rappeler à nous. C’est d’abord la fine queue rouge et noire d’un serpent qui s’enfile dans les fourrées. Puis des grondements de plus en plus présents se font entendre. Avertis, nous identifions, sans les voir pour le moment, les fameux singes hurleurs mais leurs puissants grognements nous donnent néanmoins la chair de poule.

Après quelques heures de marche, le chemin ouvre sur une clairière et sur une habitation faite de bois et de paille. La maison du gardien, également responsable de l'entretien d’El Zotz. Nous arrivons à l’heure du déjeuner alors que le feu rougeoie et que les tortillas attendent d’être jetées sur la plaque par dessus les braises. Cessar, occupant seul ses journées est ravi de la visite. Nous partageons le repas.

C’est alors qu’un grondement bien plus fort que celui des singes se fait entendre. Cessar sautille de joie « encore de la visite »… et pas des moindres ! Un groupe de buggy débarque à pleine balle dans la clairière rompant définitivement le silence qui nous enveloppait. Les dix engins flambant neufs s’arrêtent à coup de dérapages, soulevant un nuage de poussière. Un groupe d'une vingtaine de passionnés de motos (petit aperçu à 4'10 - https://youtu.be/IV_IHSnkCqc) qui parcourent la jungle à leur façon. Ils nous proposent de monter avec eux jusqu’au site voisin « El Diablo » à quelques km de là. Cessar fait le guide. C’est en fait un promontoire qui nous permet de passer par dessus la forêt et qui nous fait réaliser sa densité. Un enfer vert à perte de vue. Nous revenons comme nous sommes venus, aussi vite que le terrain cabossé le permet, et ils nous débarquent à la maison du gardien. Ils sont déjà repartis, dans le même nuage de poussière, musique en plus. Le silence reprend sa place immédiatement.

Treck en jungle Maya 

À peine la nuit tombée nous partons, frontale au front, Cessar, machette à la main jusqu’au pied de la falaise aux chauve-souris, illustrant le nom du site. « El Zotz » signifie chauve-souris en dialecte maya. Ces dernières sont ponctuelles et sortent tous les soirs en cavalerie. Tel un nuage vrombissant, elles foncent dans la nuit pour se nourrir de quelques habitants de la forêt.

En réfléchissant bien au chemin parcouru jusqu'ici il nous semble difficile de devoir faire route inverse comme nous l'avions pourtant promis au garde une vingtaine d'heures auparavant. Hésitants malgré tout, notre décision est prise, demain nous continuerons pour Tikal. Il est l'heure de se retirer, dans sa chambre pour le mieux installé ou dans leur tente pour les visiteurs d'un soir. Seuls les singes hurleurs semblent veiller et avertir on ne sait quel intrus de ne pas approcher de leur cris puissants. Au matin, nous sommes salués par un singe araignée cette fois. Sa queue lui sert de cinquième membre pour se mouvoir dans les arbres, si bien qu’il est rapide, très agile et joueur, dans le sens où il n’hésite pas à se soulager sur le premier touriste venu quelques mètres plus bas. Décidément pas les bienvenus.

Treck en jungle Maya 

Nous remercions Cessar et reprenons notre chemin. Ce dernier devient petit à petit sentier. La jungle semble se refermer sur nous et un sentiment de malaise nous oppresse. Nous trouvons chacun deux bâtons, et l’un derrière l’autre, nous frappons le sol avant chaque pas. Il faut regarder où l’on met les pieds, mais aussi regarder où l'on met la tête pour ne pas se cogner. C'est impressionnant, la nature emplit tous les espaces vides.

Arnaud pile soudain devant moi et me fait signe de reculer. Nous sommes les témoins d’une scène qui ne devrait pas en avoir. Cruelle et pourtant naturelle. Un serpent qui allait avaler sa proie, un crapaud qui, mordu, voit les mâchoires se refermer sur lui. Le serpent, dérangé, se voit lâcher sa proie et s’écarter lentement du sentier. Le crapaud s’éloigne aussi tant bien que mal et nous pauvres intrus, nous passons notre chemin rapidement. La menace est devenue bien réelle, un autre serpent pourrait bien décider de mordre une cheville et non un crapaud si nous ne mettions pas le pied au bon endroit. Le sentier est de pire en pire, les gardes ne s’aventurent pas jusqu’ici ou très peu. Il faut enjamber régulièrement une souche, ramper sous un gigantesque arbre tombé, toujours frapper avant de poser le pied et surtout garder le cap sur le soleil levant pour ne pas se perdre. À certains moments on doute, un peu plus à droite ou à gauche ? Nous nous appuyons, en plus de viser plein Est, sur une application du téléphone grâce à laquelle nous pouvons suivre notre position sur une carte utilisable hors ligne. La fatigue fait un peu oublier l’angoisse. Les pauses sont de courte durée, les moustiques lancent l’assaut à chaque seconde d'inactivité.

Une explosion soudaine de battements d’ailes nous fait sursauter, ce n’est qu’une petite espèce de poule habituée à sa tranquillité qui a été surprise par un de nos mouvements. Nous nous arrêtons quelques instants le temps de laisser les nerfs lâcher et repartons entre rires et larmes.

Le premier signal de notre arrivée prochaine, ce sont les rayons du soleil qui pénètrent plus profondément dans la végétation. Puis le chemin s’élargit à nouveau et nous arrivons effectivement au niveau des toilettes du parc de Tikal. Malheureusement les gardes du parc nous identifient rapidement, par nos sac à dos énormes et nos têtes exténuées. Ils ont été prévenus de notre arrivée et nous escortent gentiment vers la sortie. Nous avons le temps d’apercevoir en route deux ou trois pyramides et toute l’immensité du lieu. Ils nous demandent de payer l’entrée du parc même si nous ne l’avons que survolé. Un peu dégoutés mais trop fatigués pour négocier davantage, nous payons notre dette et fichons le camp. Nous partons néanmoins le sourire aux lèvres, nous l’avons fait, notre escapade dans la jungle.

El Remate est notre dernier stop avant de revenir au bateau. Charmant, il clôt bien notre aventure dans cette région. Nous trouvons un endroit où poser la tente avec vue sur le lac, le même qui bordait Flores. Seule différence, ici l’eau appelle à la baignade et nous nous délestons définitivement de cette crasse, cette seconde peau, qui nous enveloppait depuis le début du trek. Nous aurons encore droit à un spécimen édifiant de cette région, la tarentule géante, comme nous l’appellerons et nous tirerons le rideau sur le Péten.

El Remate 

A l'approche de Noël, nous partons de l'autre côté du Guatemala, à Antigua. La belle Antigua, à l'architecture coloniale, parée de lumière pour les fêtes, est entourée de ses trois volcans : l'Agua, le Fuego et l'Acatenango. En montant en haut de l'Acatenango, on est aux premières loges pour observer les éruptions de son voisin en activité, El Fuego. Encore faut-il monter en haut, 1500 m de dénivelé pour atteindre les 3900 m du volcan, chargés du nécessaire : eau (beaucoup), beurre de cacahuètes (beaucoup trop), tortillas sous vide (bof), purée de haricots noirs (bon même froid) et de quoi dormir et se couvrir - en haut ça caille !

La montée nous coûte, nos poumons sont bientôt autant en feu que le Fuego, que l'on ne voit pas encore. Il se découvre enfin au détour d'un tournant et nous salue de son plus beau panache. Le panorama est spectaculaire. Le volcan est comme une cocotte minute qui relâche la pression toutes les 10 ou 20 minutes. Plus le temps de cuisson est long, plus l'éruption est massive.

Depuis l'Acatenango 

La tente montée à l'abri des arbres, 300 m avant le sommet, nous poursuivons l'ascension à vide cette fois. Le vent se décide à nous accompagner et il souffle bientôt par rafales, dévalant la pente. Le brouillard est de la partie également, un brouillard épais et dense qui nous enveloppe d'une chape d'humidité. Les derniers mètres nous achèvent. Le sol, un tapis de scories, dégringole littéralement sous nos pieds. Un pas en avant, trois pas en arrière.

Enfin au sommet, à peine arrivés, le vent semble nous happer et nous pousser dans l'antre du volcan. Nous faisons demi-tour immédiatement ! Tant d'efforts pour si peu, on est pourtant euphorique et la descente est plus légère. Le vent soufflera toute la nuit. A l'abri dans la tente, nous nous emboitons tant bien que mal dans un unique duvet, l'autre par dessus ; à nuit froide, chaleur humaine.

Au petit matin, le brouillard s'est enfin décidé à nous rendre le Fuego et nous profitons encore un peu de notre perchoir. Rien ne presse. Nous levons finalement le camp en fin de matinée, à regret, et amorçons la descente.

Nous mettons ensuite le cap sur Solola. La place centrale nous plait tout de suite, avec ces bicoques, comme un marché de noël, où l'on vient manger à même le comptoir, la gueule dans les odeurs de friture. On commande une boisson chaude à base de lait et de maïs, un atol de elote. On grignote des tortillas fourrées. Les températures sont encore fraiches, c'est le premier endroit où l'on trouve une douche chaude et on apprécie.

Lac Atitlan 

Le lendemain, nous descendons à pieds vers Atitlan, avec une vue plongeante sur le lac. Encore du dénivelé au programme, et le terrain se découvre bien escarpé. Sur les conseils de Hans, un suédois installé ici depuis quinze ans et qui a pu s'acheter un terrain pour une bouchée de pain, nous allons dans une petite auberge à Jaibalito. Elle est tenue par un autre Hans, un allemand arrivé à la même époque que le premier. C'est apparemment le plus abordable qu'on puisse trouver dans les environs et pourtant il sera un de nos logements les plus chers. Les locaux continuent à essayer de vendre leurs terres à de parfaits étrangers, ce qui fait qu'on ne sait plus vraiment si on est toujours au Guatemala.

Le lieu est donc incontestablement beau mais le coeur n'accroche pas. Le lac est bordé de petits villages et l'on peut passer de l'un à l'autre en bateau à moteur. Nous nous arrêtons dans trois d'entre eux, on déambule dans les rues, c'est très touristique et il faut marcher, se perdre dans les rues en hauteur pour retrouver un peu d'authenticité. Bizarrement, on sent déjà l'envie d'aller voir ailleurs.

Nous passerons Noël à Quetzaltenango, Xela de son petit nom, aux portes des montagnes, avec des températures sensiblement les mêmes que si nous avions passé Noël en France. Le soir du 24, nous dénichons un puzzle de 500 pièces - trois pièces se révéleront manquantes - dans un bar qui veut bien nous laisser l'emprunter et nous y collons jusqu'à 1h du matin. Spaghettis sauce guatémaltèque au menu et tablette de chocolat en dessert. Ici le chocolat se déguste plutôt en boisson chaude et les tablettes que l'on trouve à acheter contiennent déjà du sucre et peuvent être parfumées à la cardamome. Peu importe, nous laissons les carrés fondre sur la langue.

Encore un tour en chicken bus et Todos Santos sera notre dernière escale, retirée dans les montagnes. Le trajet dévoile des paysages superbes, des vallées où de petits troupeaux de moutons déambulent et où le soleil ne dévoile qu'un versant de la montagne.

L'habit traditionnel de Todos Santos - peinture de Mario Gonzalez Chavajay 

Le village de Todos Santos est attaché à ses traditions, hommes, femmes et enfants portent encore l'habit traditionnel rouge et blanc.

En nous enfonçant encore un peu plus dans les montagnes, nous rapprochant de la frontière mexicaine, c'est aussi l'occasion de découvrir le rio Azul et ses eaux mystérieusement bleu-blanc pastel. C'est le sable qui donne cette couleur à l'eau et il n'est pas rare de voir des ouvriers remplir des sacs entiers pour le revendre.

Rio Azul 

Nous rentrons au bateau la veille du réveillon. Au soir du 31, nous retrouvons tous les visages familiers et appréciés, rencontrés au Guatemala, dans un café de la ville : Joaquin - argentin magicien, Tim - américain chercheur d'or, Stan - franco-libanais surnommé electro racoon, Alice - suisse capitaine de son propre bateau, entre autres. Des dizaines de feu d'artifice saluent le passage à la nouvelle année, que nous regardons, groupés sur le ponton du café. Quelques jours plus tard on se dit au revoir lors d'une soirée chaleureuse entre copains où la bouteille de Génépi laissera échapper ses dernières effluves.

Rio Dulce 

L'envie de partir se fait doucement sentir, l'odeur de l'océan de plus en plus présent. Et le matin suivant, Daffy porte son étrave vers la mer ; nous entamons la remontée du fleuve jusqu'à Livingston, où nous ferons les formalités de sortie. Le soir venu, nous dormirons en mer.

12
janv

Le Belize nous apporte de douces retrouvailles avec la mer. Sa barrière de corail casse les vagues et c'est comme si l'on naviguait sur un lac. Néanmoins les mois de janvier et février sont caractérisés ici par un temps incertain et plutôt capricieux, les grains se succèdent. Nous naviguons donc au jour le jour et avançons très lentement. Ce n'est pas pour nous déplaire. Par ailleurs, nous avons décidé de ne pas faire les formalités d'entrée, ayant eu des échos peu engageants sur les gardes-côtes qui se plaisent à demander bien plus d'argent qu'ils ne le devraient. Nous préférons donc ne pas trainer trop longtemps à un même endroit.

C'est pourquoi chaque jour, nous levons les voiles et allons voir ailleurs pour une arrivée généralement en fin de matinée, quand le soleil est haut dans le ciel. C'est important lorsque nous naviguons à vue, près du corail pour éviter les patates non cartographiées. Mais pour l'instant nous nous écartons peu du chenal principal notre but étant malgré tout de monter vers le nord. L'après-midi est libre et se passe majoritairement sous l'eau puis sur un support propice à la sieste. Nous ne mettons jamais le pied à terre. Il nous pousserait presque des nageoires à la place des jambes puisque nous ne marchons plus.

Les jours s'écoulent tranquillement. Un peu moins quand la navigation ne se passe pas comme on voudrait - le réglage de nos vieilles voiles nous donne du fil à retordre. On remarque d'ailleurs qu'il va nous falloir user du fil à recoudre car elles fatiguent. Le moteur prend parfois le relai.

Les miles commencent finalement à se compter en dizaines puis en centaines. Il est temps de prendre la mer, la vraie et de sortir de la barrière de corail. Les vagues commencent à faire le gros dos. Un grain nous attrape soudain et nous oblige à nous rabattre sur un des atolls extérieurs en face du Belize. Turneffe Atoll. Le temps n'est décidément pas avec nous. Nous pénétrons dans l'atoll sans trop nous poser de questions, le ciel est de toute façon couvert de nuages et ne nous offre aucune possibilité de navigation à vue. Nous avons les yeux rivés sur le sondeur. Et ça passe. Juste mais ça passe.

Nous mouillons dans un grande baie, le plus près possible de la mangrove qui nous offre un refuge tranquille. La nuit passe sans encombre. Le matin, pourtant, nous sentons quelque chose d'anormal dans les mouvements du bateau. Toujours aucun bruit, nous sommes seuls mais cette sensation étrange est bien là. Deux têtes sortent du hublots et découvrent un tout autre décor que la veille, lorsqu'elles se sont posées sur l'oreiller. Nous avons dérapé de plus de 200m. L'ancre n'ayant jamais croché dans ces herbes, elle a laissé le bateau dériver petit à petit. Moins bien protégés, car au milieu de la baie, nous avons senti le ressac des vaguelettes contre le bateau. L'incident nous fait sourire (pas d'autres bateaux alentours ni de dangers sur lesquels s'échouer donc rien de grave) mais nous laisse alertes.

Nous continuons notre route vers le nord, mais à l'intérieur de l'atoll. Entre mangrove à tribord et barrière corallienne affleurante à bâbord. Cela fait plus d'une semaine que nous naviguons et commençons à être à court de prévisions météorologiques fiables. Janvier et Février sont à craindre également pour les coups de vent de nord appelés "Northers" dans le jargon du coin. Nous ne recevons rien à la VHF, ne captons pas ou très mal la radio FM et bien-sûr, n'avons aucun accès à internet. Cet atoll n'est que très peu habité ou alors par des pécheurs. Nous nous amarrons près du campement de l'un d'eux, Emilio. Il a défriché et aménagé un petit bout de plage où il vit avec ses chiens presque l'intégralité de l'année. Il est en charge de veiller sur les casiers à langouste et, ancien cuistot, nourrit ses travailleurs qui vont récolter les crustacés. Il nous accueille à coup de festin culinaire : langoustes et frijoles accompagnés de tortillas de blé maison. On n'aurait jamais cru si bien manger sur une île déserte ! Nous avons apporté les dernières gouttes de rhum que contient encore le bateau. Elles ne survivront pas à la soif d'Emilio. Enfin, nous pouvons nous dégourdir un peu les jambes, faire littéralement les cent pas puisque la plage d'Emilio n'est pas grande. Et nous arrivons à capter la météo sur radio Belize. RAS pour les prochaines 24h.

Le lendemain, l'heure de la revanche a sonné. Nous emmenons avec nous une conserve de confit de canard (Merci à Claire au passage pour ce beau cadeau de départ) et la cuisinons dans la petite cuisine d'Emilio improvisée de tôles et de planches de bois. Arnaud gère le canard et les patates, je m'essaie aux tortillas. Le succès est total, la tortilla se révèle plutôt adaptée pour saucer la graisse qui reste dans l'assiette. L'après-midi, nous faisons nos au revoir à Emilio, demain nous entamons notre remontée vers le Mexique. Ou pas...

Revenus sur le bateau, les gardiens du parc viennent nous voir pour contrôler nos papiers. Aïe ! Nous expliquons que nous sommes sur le départ, que nous souhaitons seulement passer la nuit ici, que nous levons les voiles demain. "Demain ?" nous font-ils répéter. "Mais pour demain, un violent coup de nord est annoncé !". Le départ pour le Mexique est avorté, c'était moins une, on aurait passer un sale quart d'heure en mer. Notre bonne étoile veille au grain.

Ils nous proposent de nous rapprocher de leur base, où nous serons correctement abrités, et nous invitent à leur rendre visite, à terre. Nous répondons positivement à l'invitation et naviguons vers Mauger Caye, le plus petit bout de terre tout au nord de l'atoll. Cette étape se révèle bientôt être une réelle navigation à vue. Nous avançons au moteur mais osons hisser la voile d'avant. Ce que nous regretterons rapidement et amèrement. En slalomant il faut jouer avec les couleurs : bleu foncé c'est la mer, bleu très clair c'est peu de profondeur mais du sable donc ça passe, bleu plus foncé c'est des herbes ça passe aussi, noir ou marron c'est une patate de corail qui peut parfois affleurer très dangereusement.

Nous avançons littéralement dans un labyrinthe. Si l'on se retrouve bloqué par une patate, on n'est pas sûr de se souvenir du trajet pour le retour. Alors nous activons une trace sur notre GPS qui dessine notre passage, comme on sèmerait des petits cailloux sur la terre. C'est dans un passage un peu confus où les bleus et les noirs se confondent que j'avertis trop tard Arnaud de virer à droite. Devant à la fois enrouler la voile d'avant et porter la barre à droite, Arnaud ne peut empêcher le bateau d'aller racler les quelques coraux formant l'extrémité de la patate. La rencontre est inévitable et le corail ne fait malheureusement pas le poids face aux quatre tonnes de DAFFY. Le bateau continue sa course et nous faisons pâle figure, de honte et de peur. Les derniers milles sont tendus et plus personne ne parle sauf pour gérer l'orientation. L'aluminium du bouchain n'aura que quelques griffures superficielles.

Quelques dauphins viennent tourner autour du bateau au moment où l'ancre touche le sol, ils savent se montrer dans les moments un peu durs. Puis c'est une raie aigle qui longe le flanc droit du bateau. L'endroit nous plait tout se suite, la vie foisonne. C'est un mélange d'eau bleue très claire et d'eau plutôt brunâtre le long de la mangrove avec peu de fond. Nous nageons jusqu'à un haut fond, marchons ensuite dans des herbes hautes et de la vase. La mangrove s'étend, colonise de nouveaux espaces et c'est tant mieux. Elle est la pouponnière des habitants du récif. Il s'en faut de peu que nous mettions le pied sur un tout jeune requin nourrice d'une quarantaine de centimètres immobile sur le fond.

Le soir nous partageons le repas avec les gardes côtes, avec le même système de troc qu'Emilio. Nous dénichons un fond de bouteille de poire au Cognac et de liqueur de mélèze et eux sortent un poisson du congélateur. L'île, nous racontent-ils, est très contrôlée au niveau de la pèche, et par ailleurs chacun a sa zone, comme s'il était propriétaire d'un bout de l'atoll. Cet atoll a de beaux jours devant lui. Le vent commence à se lever dehors, de grosses bourrasques déboulent sur l'île. Nous préférons regagner le bord. Nous sommes un peu près du haut-fond qui laisse présager un bel échouage si nous dérapons. Cette pensée ne nous quittera pas du lendemain. Pourtant le bateau tient bon.

Ayant désormais une bonne fenêtre météo pour partir sereins, nous mettons les voiles vers l'atoll mexicain de Chinchorro. Le courant nous porte très vite et nous fait gagner des milles plus vite que nous le pensions. Nous arrivons aux portes de l'atoll au milieu de la nuit. Inenvisageable de rentrer de nuit, nous risquerions de nous échouer sur le corail, même en ayant un cap à suivre pour rentrer. Il serait plus facile de continuer la route vers le Mexique mais passer notre chemin si près de cette pépite sans la pénétrer serait assez décevant. Nous attendons donc que le soleil daigne nous rejoindre en faisant grosso modo des ronds dans l'eau. Les heures s'égrainent lentement. Néanmoins, la récompense n'en est pas des moindres, quelques heures plus tard, lorsque nous approchons le phare de Chinchorro et que l'ancre croche. Seule une petite base militaire a élu domicile, pour le reste, nous sommes naufragés volontaires et solitaires. La plage est parsemée d'arbres morts et de bois flottés, montrant un spectacle à la fois beau et sinistre.

Dans l'ordre chronologique -  Première ligne "Mauger Caye" Puis "Chinchorro"

Le lendemain, nous nous en donnons à coeur joie avec nos palmes-masque-tuba, et profitons de ce terrain de jeu qu'il nous est donné d'explorer à fond. Encore un requin nourrice, mais cette fois, une belle bête, puis un autre requin de récif au loin, encore un. Des tortues, des balistes, des poissons perroquets,... c'est un festival ! On envisage de rester là pour toujours. Et ce, même si les menus commencent à devenir redondants et alternent entre riz et pâtes. Il est temps d'aller retrouver la civilisation. Le bateau s'engouffre à nouveau dans le courant et porte sa carène vers l'île de Cozumel. Une dernière nuit loin de tout nous attend.

Pour un retour à la civilisation, c'est un peu violent. Cinq gigantesques bateaux de croisière sont amarrés aux portes de l'île. Et un trafic incessant de bateaux de touristes nous tournent autour, aahhhh Chinchorro, on te regrette déjà !

30
janv

Les formalités à Cozumel sont bouclées en 24h, on lève le camp dès qu’on peut. Le mouillage est intenable et c’est un trafic incessant de bateaux de pèche ou de tourisme autour de nous. Un gradient se produit sur l’île : plus on est proche du débarcadère des croisiéristes, plus on est accosté pour acheter, plus on s’en éloigne, plus les rues sont calmes et l’ambiance tranquille.

Nous nous réinsérons dans le courant et celui-ci nous porte gentiment vers Puerto Morelos, le vent ayant décidé de ne pas trop se fatiguer aujourd’hui.

Nous arrivons en pleine révolution. Les habitants sont réunis sur la petite place du village. Ils l’occupent et cette fois-ci, la municipalité ne l’aura pas. La première fois, les gars du chantiers, les engins, les pelleteuses ont commencé à démolir la place pendant la nuit et il y en a eu pour plusieurs mois de chantier en pleine saison touristique. Cette même municipalité qui avait commandité les premiers travaux, il y a quelques années de ça, veut refaire la place, encore une fois, sans annonce à la population. La nuit est à nouveau le théâtre du début de l’opération. Mais cette fois-ci les habitants veillent, et alertés par le bruit, ils lancent l’alerte. Un petit groupe arrive à bloquer le début du chantier le temps que le soleil se lève. Et l’occupation commence. L’affaire semble louche. 19 millions de pesos pour un peu de lifting et de maquillage de la place. Les habitants n’en veulent pourtant pas d’autre. Cette dernière devient vite un nouveau symbole du combat contre la corruption, ici, sur la côte du Yucatan. On déroule les banderoles sans équivoque, on scande des slogans, on interpelle la municipalité : « une nouvelle place ? pourquoi pas un hôpital, des routes en meilleur état, etc ». Le mot d’ordre est lancé, la place ne doit jamais être inoccupée. Les chauffeurs de taxi, généralement garés le long de cette place, aident beaucoup la population. Ils sont présents pendant les heures de la nuit, étant « de garde » de toute façon. Et puis on invite les touristes à profiter de l’espace par des concerts, des activités (yoga, coiffeur, conférences,…) et des spectacles de cirque pour montrer que la place remplit sa fonction dans l’état. Un sentiment de communauté s’installe par ces rendez-vous réguliers au centre de la ville, on se sent partisan de leur combat. On sent qu’il est juste et qu’ils remporteront peut-être la partie, cette fois. Ça a l’air tellement rare par ici.

Cirque sur la place de Puerto Morelos 

Puerto Morelos, coincé entre Cancun et Playa del Carmen, résiste encore à une urbanisation galopante, dont la vision à court terme fait entrevoir des richesses, mais dont celle à long terme s’avérerait dévastatrice pour l’environnement et l’écosystème du coin. Les grands hôtels, qui poussent là-bas plus vite que n’importe quelle végétation, émergent de façon incontrôlée. Sur la côte, des dizaines de projets à 5, 6 ou 8 étages encore en construction. Et c’est loin d’être fini. Comment peut-on gérer l’assainissement correctement ? C’est en tout cas la condition pour éviter que la mer n’avale une bonne partie de nos rejets. Le récif qui borde et protège la côte de Puerto s’en trouverait asphyxié. Déjà que la situation n’est pas bien jolie pour lui.

La côte du Yucatan est bordée de mangrove. Pour construire hôtels et autres terrains de golf monumentaux, il faut de la place donc on rase les palétuviers et on remplit de gravas ces espaces. Après tout, un marécage, à part des crocodiles qu’on ne voit jamais, ça rameute pas les foules. Et pourtant cet écosystème communique avec la mer, filtre les eaux qui la rejoignent, protège les sols de l’érosion et sert de nurserie à un paquet de poissons qui gagneront le récif une fois adultes.

Puerto Morelos, sans son récif, ce n’est plus qu’une belle plage de sable blanc, c’est vide et aussi éphémère qu’une page de catalogue d’agence de voyages. Et encore, si les sargasses (aussi produites par l’activité de l’homme soit dit en passant) ne viennent pas se vautrer sur les premiers mètres de sable, là où les vagues s’écrasent.

La zone est pourtant estampillée « parc national » et ce dernier se démène pour se faire respecter. Nous en ferons d’ailleurs les frais, et c’est un casse-tête pour mettre le bateau à l’abri quelque part. Parc national oblige, on n’a pas le droit de jeter l’ancre. Par ailleurs le mouillage de Puerto, c’est-à-dire en face de la plage, n’est pas des plus tranquilles. La côte est franche. On est exposé plein Est, la direction dominante du vent dans le secteur. On ne peut compter que sur le récif, qui casse les vagues mais qui se voit très vite limité quand le vent a décidé de bien souffler. Il y a bien sûr une marina juste à côté mais à 600 dollars par mois pour notre petite taille, on va vite être sur la paille…et puis le côté marina-parc aquatique où je t’y mets quelques dauphins dans des cages pour amuser la galerie, on n’est pas trop friand du concept. Il fut un temps où il y avait un chantier à sec, aujourd’hui remplacé par un hôtel, sans doute bien plus lucratif. Alors on opte pour rester tant bien que mal au mouillage. On a pu trouver un crochet qui parait abandonné, une ancienne bouée sans doute, à qui il ne resterait plus que l’ancrage au fond de l’eau. Ça fera l’affaire. Pour plus de sécurité on accroche une chaine à l’anneau afin que ça tire bien horizontalement. Par contre ça ne résout pas notre problème de stabilité du bateau. On est un peu secoué ; plus ou moins, en fonction des jours. Il y a même des jours où l’on aurait presque le mal de mer à l’arrêt. Un petit coup de vent est annoncé, on décide donc d’abandonner le navire pour deux nuits et d’aller trouver refuge à terre. Finalement, le confort et l’opportunité d’un lieu super nous donnent envie d’y rester un peu plus.

Quelque semaines plus tard, quand nous pensions avoir réglé l’histoire du bateau, le parc nous tombera dessus. La chaine aurait raclé le fond et abimé quelques colonies de corail. Et merde ! On commence à s’arracher les cheveux. Les employés du parc nous expliquent qu’ils ont dû nous dénoncer à la police environnementale et nous parlent de procédures juridiques à notre encontre. Là, on devient tout pâle. La capitainerie qui nous avait autorisé à rester là (papier tamponné à l’appui) dénie toute responsabilité. C’est pour notre poire.

On commence déjà par relever la chaine en y accrochant des bidons remplis d’air qui la font décoller légèrement du sol (mais pourquoi on n’a pas fait ça plus tôt…). On découvre en même temps l’étendue des dégâts, vraiment peu de choses en réalité mais pourquoi ne pas se soucier de la mort de quelques colonies de corail ? Pourquoi elles ne compteraient pas ? C’est plutôt juste et nous ouvre un peu plus les yeux sur ce problème.

En retournant voir la directrice, elle nous propose des travaux d’intérêt généraux pour « payer notre dette ». Nettoyage de la plage en bouteille. L’idée nous plait. Les copains du centre de plongée nous aident, la directrice est également de la partie. On se dit que la mer serait déjà vachement plus propre si les gens prenaient moins l’apéro ! Canettes et bouteilles en verre à tire larigot. Et plus on s’approche du môle où les pécheurs viennent passer leurs journées, plus on découvre des fils de nylon emmêlés, des plombs de toutes sortes et leurs hameçons de différentes tailles. La récolte est bonne et on dépose nos gros sacs dans la benne à ordure en espérant que ces derniers ne retournent pas à la mer !

Les choses s’arrangeront de plus belle pour nos deux dernières semaines à Puerto Morelos. Le parc, avec qui les relations sont bonnes malgré tout, consentira à nous prêter une bouée inutilisée depuis le début de l’évasion des touristes due à l’épidémie que le monde connait en ces temps.


Notre idée première, en venant ici, était de faire de la plongée sous-marine. De la manière la plus intensive qui soit tant que nos économies nous le permettraient. Nous avions déjà le contact de Delphine, française expatriée depuis longtemps au Mexique, qui a monté son centre. Ce dernier compte aujourd’hui Elodie et Thomas, deux autres français, ainsi que Fernando, le mexicain de la bande. Prévenue, elle s’attendait à notre venue. Elle ne s’attendait pas par contre au coup bas de la municipalité et, très engagée dans les problématiques de Puerto Morelos, investira énormément de temps dans la sauvegarde de la place. Nous apprenons donc à connaitre Delphine, et en même temps, Elodie, sa compagne dans la vie et dans le travail, plutôt sur la place que dans l’eau. Puis les plongées commencent ; on plonge pour le plaisir et on se forme en même temps. Puerto Morelos est bien placé. S’offrent à nous le récif juste en face de la ville, l’île de Cozumel, en face de Playa del Carmen à quelques 30 km au sud, et les cénotes (trous d’eau douce) qui jalonnent toute la côte. Le Yucatan est en effet un grand gruyère et possède un réseau d’eau sous-terrain gigantesque. Les cénotes en plongée sous-marine seront un réel coup de coeur, et les sensations ainsi que l’ambiance ressenties seront complètement inédites. Bien sûr ces plongées en caverne sont plus techniques que d'autres, il faut forcément être accompagné d'un guide et en aucun cas perdre de vue le fil d'ariane orange qui mène à la sortie du labyrinthe. Pour en savoir un peu plus, on vous propose ce lien sur la plongée souterraine : https://www.plongee-infos.com/cenotes-plongee-dans-linfra-monde-maya

Plongée en cenotes (Photos d'Elodie)

Le récif, quant à lui, grouille de vie et les coraux font encore belle figure. Pas besoin d’aller très profond, entre 6 et 18m. Sauf pour l’épave, le C-56, dépollué et immergé volontairement à 25-30m, où les raies aigles, quand c’est la saison, aiment venir faire des rondes. Cozumel, une destination ultra connue des plongeurs, nous laissera l’impression folle de planer, dans un bleu limpide, presque transparent dans lequel la vue se perd dans les abysses. C’est l’ivresse des profondeurs sans la profondeur quasiment à chaque immersion. Des formations coralliennes ahurissantes. Peu de vie en général mais de très gros spécimens quelque fois !

Plongée Cozumel (Photos d'Elodie)

Nous alternerons donc plongées jusqu’à valider notre DiveMaster et flâneries dans la ville malgré sa faible proposition d’activités hormis resto et bars. Lorsque les conditions ne sont pas bonnes pour plonger le temps peut paraitre bien long. Il est arrivé qu'une semaine entière, le vent nous empêchant de sortir nous nous soyons autorisé une petite excursion à Bacalar, dans le sud du Mexique, quasiment à la frontière avec le Belize. Bacalar est surnommée la lagune aux sept nuances de bleu. Nous ne les avons pas comptées... La lagune est quasiment inaccessible pour la baignade sans passer par un tour guidé ou un hôtel, nous élisons donc refuge dans une cénote jouxtant la lagune, la cénote Azul. Nous y travaillerons notre apnée quelques jours durant dans un véritable havre de paix.

Bacalar - Sa lagune, Cénote azul, Festival de femmes 

Comme expliqué précédemment, nous sommes redevenus terriens au vu du piètre confort au mouillage. Volontaires même, dans l’auberge de jeunesse où nous avons passé nos deux premières nuits. Nous élisons en effet domicile à la « Pausa », un hostel tenu par une française, Elisa. Et cette pause prendra tout son sens au fur et à mesure des jours passés.

Elisa a voyagé presque deux ans à bord d’un combi Volkswagen en Amérique du Sud avec son compagnon argentin et leur fille Sofia. Arrivés au Mexique, ils ont décidé de s’arrêter et d’essayer de monter quelque chose. Pendant que la Pausa naissait, leur couple se décomposait et Elisa resta finalement seule maitre à bord, pendant que l’argentin montait autre chose à quelques km de là.

Atelier photo - Couleur Orange 

La Pausa possède deux appartements à louer et un dortoir. Nos tâches étaient simples, accueillir les nouveaux arrivants, et participer au bon fonctionnement du lieu. Nous ne sommes pas seuls pour cela. L’emploi du temps de la semaine se partage entre Silvina et Javier, Diana et Tamel, nous et plus tard Lu et Caro. Elisa nous propose en échange le gite : un camion aménagé, immobilisé devant le bâtiment depuis que sa propriétaire est rentrée en Argentine revernir son compte en banque. Le temps d’éliminer tous les moustiques planqués dans chaque recoin du véhicule, de se construire une cabane en moustiquaire, nous passons finalement de bonnes nuit, parfois ventilées artificiellement tellement la chaleur est tenace.

Véhicules des voyageurs Argentins 

Nous faisons connaissance avec toute une communauté d’argentins voyageurs en camion, particulièrement en combi Volkswagen customisé. Elisa autorise ces derniers à se garer autour de la Pausa et à utiliser les espaces communs en échange d’un tips ou d’un coup de main dans l’entretien ou l’amélioration des lieux. On voit souvent écrit sur les camions, « d’Argentine jusqu’en Alaska », en réalité ces derniers sont souvent bloqués au Mexique. Pour d’autres c’était réellement leur point de chute sachant bien que le coût de la vie aux Etats-unis et au Canada est exorbitant pour un porte-feuille Argentin.

La pausa (Photos de Tamel) 

La Pausa est l’occasion de reprendre un peu son souffle après des années ou des mois de vagabondage. Certains font des documentaires, ou du théâtre, d’autres de la photographie ou du design graphique, et souvent de l’artisanat (des bijoux) ou de la musique dans les nombreux restaurants de Puerto. La vie se vit au jour le jour.

Atelier photo - Couleur Marron

Quand le coronavirus aura eu raison du dernier touriste dans la ville et que cette dernière s’en trouvera déserte, la Pausa se retrouvera vide. Elisa propose alors de la transformer en une espèce de collocation. Une migration s’opère des camions vers les appartements et le dortoir désormais inoccupés. On partage les charges. Et l’on partage bien plus en réalité. Les repas parfois, les talents ou savoir-faire de chacun, les anecdotes et les expériences de vie, parfois même ses coups bas. Le temps s’arrête, les projets se suspendent et l’on occupe entièrement notre temps à vivre ensemble. Krystyna, une canadienne qui ne voulait pas rentrer tout de suite et qui avait encore quelques congés à poser, est là aussi. Des ateliers se mettent en place. Yael, qui vit et travaillait à Puerto jusqu’à ce que le covid arrive, est prof de pilate et nous garde en forme. Albe est photographe et donnait déjà des ateliers de photographie en Argentine (www.instagram.com/descubrituartetallerdefoto). Caro est comédienne et nous initie à l’improvisation. On touchera aussi à l’écriture et l’illustration, le stylo et le crayon de papier ou de couleur alternent dans nos mains. Quelques logiciels spécifiques sont connus par certains, pourquoi ne pas en profiter pour initier les curieux ou intéressés ? Des airs de guitare raisonnent dans la maison. Devant la demande, nous ne serons pas trop de trois avec Krystyna, pour donner des cours de Français.

Atelier photo - Jambes, Recoin, Formes géométriques

La présence d’un bon paquet d’enfants empêche le silence de s’installer dans cette grande bâtisse, parfois à regret…

Chicha la calma de Jorgelina 

C’est le propriétaire de la maison (Elisa n’en est que locataire et gérante) qui donne le coup de grâce et nous fait revenir à la dure réalité. Il ne veut pas abaisser le loyer le temps que les touristes reviennent au Mexique. Incertaine quand à la reprise du tourisme, et ayant demandé l’avis à tous les occupants du moment, Elisa préfère abandonner les lieux et attendre que ça passe dans un plus petit endroit à loyer modéré. Notre colocation éclate. Les liens et souvenirs demeurent. De notre côté, il était de toute façon temps de reprendre possession du bateau et d’avancer vers le nord, la saison cyclonique approchant.

Nous faisons le plein de tout comme si nous n’allions jamais retoucher terre. La scène des au revoir est évidemment déchirante. D’être à nouveau sur le bateau et sur la mer nous apporte néanmoins du réconfort, nous « rentrons à la maison ».

Atelier photo - Autoportrait 

Et en hissant les voiles vers Isla Mujeres, nous savons que nous rejoignons Lorraine et Pascal de Révad. Nous quittons donc des amis chers pour en retrouver d’autres tout aussi importants à nos yeux.


Quelques semaines plus tard, nous apprendrons malheureusement que la municipalité aura eu raison de la place et commencé les travaux de démolition devant les habitants impuissants qui sont maintenus à l'écart par la force et les forces de police. C'est tout un symbole qui s'effondre. Pourtant la population ne perd pas espoir, elle communique sans relâche sur ce qui est en train de se passer à Puerto Morelos. Sont-ils bien naïfs d'espérer encore ou sont-ils obligés d'y croire car si ce n'est pas eux qui s'opposent, qui le fera pour eux ?

21
mai

Du Mexique aux Etats Unis, on a vraiment eu le temps de se sentir tout petit. Tout petit devant un ciel étoilé majestueux. Mais également tout petit devant des formations nuageuses qui laissent augurer que l’apocalypse n’est pas très loin. Comme une cavalerie cotonneuse qui lancerait l’assaut sur nous, accompagné du tonnerre qui gronde en s’approchant et déplaçant sa muraille d'eau de plus en plus près de nous. Nous, seule petite coque de métal à des kilomètres à la ronde, nous craignons, évidemment, qu’il ne jette son dévolu sur nous, par quelques éclairs bien placés. Heureusement, pour le moment, il est piètre viseur.

Alors il se venge en envoyant des tonnes d’eau pleuvoir sur le pont et des rafales nous secouer gentiment. Mais en se faisant petit, on se faufile entre les orages ou alors on fait le dos rond lorsque l’un nous passe dessus. Tant que l’on a de l’eau à courir, tout va bien, le danger c’est la terre qui pourrait nous cueillir à l'approche d'une côte.

Par chance, lorsque nous finissons par l'approcher, un ciel bleu et une eau turquoise, l’une se reflétant dans l’autre, nous entourent. Nous sommes à la pointe la plus au sud-ouest de la virgule de la Floride, ce chapelet d’îles qu’on appelle les Keys. Nous sommes à Key West. C’est un premier pas aux Etats-Unis d’Amérique.

Les formalités sont vite pliées alors que l’on craignait que le COVID 19 nous empêche d’accoster. Les Etats-Unis étaient devenus notre seule possibilité de sortir de la zone cyclonique puisque le Guatemala avait fermé ses portes. Nous commencions à devenir indésirables partout et bientôt réduits à devoir reprendre la mer jusqu’en Europe. Mais les Etats Unis nous ont montré qu’ils étaient toujours terre d’accueil.

Key west ne fourmille pas de touristes comme à son habitude et c’est une ville bien déserte que nous parcourons. Les magasins restent ouverts. Masque obligatoire dans la plupart d'entre-eux. Nous retrouvons Lorraine et Pascal qui ont vécu les mêmes conditions météo pendant la traversée. Tous, nous craignons un peu de reprendre la mer, car c’est la saison qui est comme ça et les orages sont réguliers, parfois accompagnés de trombes. Nous décidons néanmoins de longer les keys par la mer et de rattraper les canaux un peu plus loin.

On s’autorise un rapide arrêt pour plonger en palmes, masque et tuba sur la barrière de corail durant une navigation. Le bateau est amarré à une bouée du parc et régulièrement secoué par les vagues car nous sommes en pleine mer, complètement exposés. Peu satisfaits de la situation, nous écourtons la baignade et repartons.

A partir du moment où nous quittons la mer pour suivre le chenal de l’Intracoastal Waterway (ICW), le paysage change et devient plus vert, moins exotique. Le moteur prend le relai et la voile d’avant est parfois déroulée pour gagner un peu de vitesse. Nous sommes régulièrement doublés par des bateaux à moteur dont le nombre de chevaux ne semble pas trouver de limite : 4 fois 500, 5 fois 400. Notre lenteur doit leur paraitre d’un ennui mortel. Les dauphins semblent plutôt s’en amuser et nous suivent ponctuellement. Une raie fera également son apparition. Les alligators nous surveillent. Et les oiseaux nous accompagneront tout du long.

Nous cherchons les mouillages les plus déserts, et quand le ciel prend ses couleurs du soir, il nous semble être seuls au monde. Ou presque si l’on considère les moustiques et les petites mouches qui sont de retour.

Nous arrivons à Miami pendant un week-end sans se douter de ce qui nous attend. Nous mouillons à Marine Stadium. Nous ne sommes pas les seuls… Une enfilade de bateaux est déjà là mélangeant des gens qui n’ont pas les moyens de se loger dans Miami et habitent leur bateau, et des gens qui ont les moyens de vivre dans Miami et de s’acheter un yacht débordant de luxe. Et entre eux, une armée de jet ski slaloment sans fin et à toute vitesse. Au début c’est drôle et on se laisse gagner par l’atmosphère de fête et l’étalage de tout ce luxe. Très vite, on est saoulé. Un pauvre bonhomme passe tant bien que mal en barque à rames pour rejoindre son bord et nous souhaite la bienvenue : « Welcome to Miami... this is HELL ! ». Prévenus, on ronge notre frein. Le soir n’amène pas la tranquillité puisque les fêtards continuent la soirée sur les bateaux, nous faisant profiter de leur playlist. Par contre, la nuit tombant, la skyline commence à s’éclairer de mille feux et là on reconnait au moins un avantage à ce mouillage, on ne se lasse pas de la vue.

Le lendemain, nous partons nous frotter à ces fameux gratte-ciels et l’enthousiasme n’est au final pas très débordant. Miami ne nous aura pas charmés. Et les lieux que l’on voulait visiter se trouvent fermés. Seul un donut traditionnel bien gros, bien gras et bien sucré nous ravit les papilles. La chaleur est écrasante et l’on se réfugie dans un parc, à regarder les écureuils peu sauvages se courir après.

Un malheureux incident nous emmène dans les quartiers plus défavorisés de Miami et c’est un tout autre visage de la ville qui s’offre à nous. Nous devons changer le tuyau de remplissage du réservoir d’essence. Le tuyau d'origine, non adapté à sa fonction, a petit à petit été dissout par l'essence. Arnaud voulant faire le plein a en fait déversé le quart du bidon dans les fonds du bateau. « Bon là ça va beaucoup moins bien marcher…». Nous empruntons les vélos de Lorraine et Pascal pour aller dans un entrepôt qui ne fait que dans le tuyau. Nous glissons les vélos dans le métro et dans le train, le magasin étant dans la périphérie de la ville. On passe de petites maisons collées les unes aux autres, des bagnoles qui ne doivent plus bien rouler et la couleur de peau s'assombrit en s'éloignant du centre ville. À ce moment les manifestations « Black Live Matters » commençaient, nous n’en croiserons pas sur notre route mais nous sentons nettement la séparation blanc/noir et l'importance relative qu'ont les uns pour les autres malheureusement.

La réparation faite, nous pouvons reprendre la route jusqu’à Fort Laurdedale. À nouveau, le luxe saute aux yeux. Nous naviguons en annexe dans de petits canaux qui desservent la ville et les maisons sont un festival architectural. Tout est permis, rien n’est censuré.

Nous trouvons une voilerie qui fait dans les voiles de seconde main. Tentant notre chance pour changer notre jeu de voiles, nous repartirons avec une grand-voile, un génois et un solent quasiment neufs. Daffy change de plumage !

Il serait frustrant de ne pas les essayer. Nous décidons donc de reprendre la mer. Lorraine et Pascal, qui sont partis 24h avant nous, nous y encouragent, fatigués de la route par l’intérieur qui comporte une ribambelle de ponts à ouvrir. Nous partons hésitants et appréhendons la météo qui va nous cueillir dehors. Nous comptons surtout sur le courant du Gulf Stream qui nous portera vers le nord, ajoutant jusqu’à 5 nœuds à notre vitesse habituelle. Une aubaine ! Nous filons droit et vite. Les nuages semblent rester à distance et la nuit s’annonce sans encombre. Nous atteignons notre vitesse maximale devant West Palm Beach et, grisés, nous continuons notre route. Nous hésitons à nous arrêter à la base de lancement de Cap Canaveral mais, gourmands, nous décidons de pousser encore un peu plus loin. Avant de laisser définitivement la Floride derrière nous, Saint Augustin nous accueille pour quelques nuits. Notre ballade le long de la plage fait fuir les crabes et nous restons à distance prudente des grandes aigrettes ou des garzettes qui marchent paisiblement au bord de l’eau. L’atmosphère est tranquille et seuls les filets des quelques pécheurs ou les plongeons des sternes troublent la surface de l’eau. Tout est serein. Le temps de refaire le plein d’essence à un prix imbattable (à peu près 50 cents le litre), nous repartons car nous souhaitons mettre encore pas mal de miles derrière nous tant que le vent est favorable.

Après quelques 48h de navigation, nous jetons l’ancre dans une grande baie sauvage entre Savannah et Charleston. Cette fois un orage sera revenu nous chatouiller à notre arrivée mais plus de peur que de mal. Lorraine et Pascal s’arrêteront à Jacksonville et y tireront Revad hors de l'eau. Nous souhaitons pousser plus haut.

A partir de là nous ne reprendrons la mer que pour 24h, juste avant notre dernier arrêt, New Bern, où nous avons repéré un chantier à sec : « Duck Creek ». Le reste n'est que vagabondage sur les eaux calmes de la rivière, entourés d’arbres et d’oiseaux. Nous pénétrons dans de grands espaces sauvages où l’homme est quasiment absent. La journée, suivant le balisage rouge et vert, Daffy file tranquillement mais bruyamment grâce à son moteur. Le soir, nous nous écartons un peu du chenal et jetons l’ancre. Dès que le moteur est réduit au silence, il n’y a plus aucun bruit.

Quelques visites de ville égrainent notre vagabondage, comme Charleston, mais rien ne vaut ce tête-à-tête avec la rivière, les oiseaux et les arbres. Par contre le chenal passe aussi le long des habitations, entre les villes et là le paysage devient un peu monotone et le temps nous parait plus long. On compte le nombre de jet skis parqués devant ces baraques plus grandes les unes que les autres. Nous devrons également ouvrir certains ponts en appelant à la VHF. Nous sommes généralement impressionnés par les ouvrages que cela représente.

Arrivés à New Bern, nous avons encore deux semaines devant nous puisque nos billets d’avion nous font décoller le 19 juillet pour la France. Nous passons une semaine amarrés devant la ville et partons découvrir le chantier en annexe. L’endroit nous plait tout de suite, l’accueil est chaleureux. Rendez-vous pris pour le lundi suivant.

En attendant, nous regagnons notre bord et avons la visite curieuse de l’homme au kayak. James est américain mais vit depuis quelques années au Portugal qu’il regrette mais qu’il a dû quitter au moment du début de la crise du COVID pour se rapprocher de son pays et de sa famille. Il nous prend rapidement sous son aile, lui-même voyageur, il souhaite nous apporter son aide comme on a pu l’aider lors de ses précédentes virées. Il nous amène des fruits et légumes, si chers aux Etats-Unis, qu’un de ses amis fait pousser et nous trimballe en voiture jusqu’aux magasins de bricolage. Grâce à lui on prend une douche. Une douche ! Il nous prête des vélos. New Bern, ville de naissance de Pepsi Cola (même si on s’en moque totalement, mentionnons-le), est une petite ville des plus classiques. Quelques rues animées où l’on trouve les commerces. On se réfugie d’ailleurs dans des magasins où l’on a concrètement rien à acheter mais où la climatisation nous permet de descendre notre température corporelle de quelques degrés. Nous passons une après-midi dans un grand parc espérant y trouver de la fraicheur. C’est peine perdue, il fait une chaleur atroce. C’est en tout cas le rendez-vous des américains pour jouer au frisbee de précision dans des parcours de 18 trous aménagés.

Vient le jour de la sortie de l’eau de Daffy. On remonte la rivière jusqu’à la petite crique, Arnaud amorce un créneau serré avec un doigté de fée pour que ce soit d’abord l’arrière qui rentre dans la darse et les sangles sont bientôt installées sous la coque.

Le bateau sorti dévoile sa coque tout en aluminium et coquillages… et attire des curieux avec qui la discussion s’engage rapidement. On se retrouve bientôt avec un vélo qu’on nous prête, qu’un ancien occupant du chantier a laissé là. Arnaud pédale, Manon tient l’équilibre derrière sur la selle. Il y a un supermarché pas très loin, et un magasin de bricolage. Il faut toujours un magasin de bricolage pas très loin. Et une pizzeria ! Une pizza Extra Small pour nous s’il vous plait. Le menu propose jusqu’à des extra larges. Petits joueurs…

Encore une fois James nous sauve la mise en nous apportant un ventilateur, sans quoi l’on ne survit pas dans cette chaleur écrasante à l'intérieur de cette boite de conserve en aluminium. Surtout que l’on a envie de faire du propre et on s’active dans la coque pour revoir des installations qui ne nous conviennent plus. On démonte à tour de bras !

Même l’annexe en fait les frais mais là ce n’était pas prévu. Elle a encore quelques fuites, Manon la gonfle donc bien fort pour les repérer et se dit qu'elle y reviendra quand on aura acheté ce qu’il faut. Erreur. Le soleil cogne fort, fait monter la pression, et la colle lâche sur une bonne longueur, laissant l’air s’échapper joyeusement. Nous sommes dépités. Affaire à suivre, on verra au retour.

On passe la dernière journée avec James avant qu’il nous emmène à l’aéroport de New Bern où un long périple nous attend. A nous le retour au bercail.