Les portes de l’aéroport de Guatemala City s’ouvrent enfin sur nous. Le voyage peut recommencer. Une douce euphorie s’installe à l'idée de retrouver la chaleur du pays et d’autres petites choses qui restent indéfinissables. Un bus nous emmène de la capitale droit vers l’est du pays et le Rio Dulce. Les six heures de trajet nous laissent le temps d’observer les paysages avant de se jeter pleinement dedans. Les montagnes ne sont jamais très loin et le bus, comme les innombrables camions qu’on double par la droite ou par la gauche, peinent dans la pente.
Nous arrivons de nuit, comme toujours. Les arrivées de nuit sont plus douces, plus feutrées, plus discrètes. La dernière étape à accomplir consiste à passer d’une rive à l’autre du fleuve. Un taxi nous propose ses services mais il aurait bien du mal à nous emmener ; aucune route ne mène à la casa GYSA, où le bateau est resté cette année. Il prévient par contre Yéyé, la gérante de la marina, qui nous embarque bientôt sur sa lancha.
C’est un gang de femmes, sur quatre générations, qui règne désormais sur la marina. Gilbert, seul homme de la bande, est en France pour une opération chirurgicale sensible. Yéyé nous rend les clés du bateau, clés de beaucoup de choses, que nous lui avions confiées. Puis elle s’efface pour nous laisser tout à nos retrouvailles.
De loin, Daffy pointe le bout de son nez. Il attend tranquille, comme suspendu dans le temps, écartelé de toute façon par ses amarres. C’est drôle la relation entre un homme et son bateau. Plus qu’une voiture, plus qu’une maison, il est un véritable compagnon de route. On ne peut s’empêcher d’imaginer, logée au coeur de cet amas de métal, quelque âme que ce soit. Pour l’instant nous découvrons surtout la faune qui a pénétré dans le bateau en notre absence. Un palace de bois, tout en recoins, laissé à la merci d’un monde microscopique. Mais pas que… soudain détale sous nos yeux un corps vitreux aux yeux globuleux. Un gecko. Nous en emmènerons quelques uns avec nous vers d'autres horizons faute de pouvoir les chasser. Pour le reste ce n’est que silence et odeur de renfermé.
L’endroit n’est pas propice à un sommeil réparateur. Encore une nuit infidèle à dormir sur la terre ferme, chacun dans un hamac enveloppé d’une toile à beurre pour les moustiques. Le bercement du hamac reproduira au moins le roulement du bateau… Ce soir c’est donc chambre à part ! Après tout, a-t-on déjà vu deux bananes dans une même peau ? Non, c’est extrêmement inconfortable (ça finirait d’ailleurs surement en purée).
Une belle pluie tropicale ouvre le bal de la nuit, accompagnée par des cris d’oiseaux et d’autres créatures non identifiées. Les premières lueurs du jour en guise de réveil, Yéyé nous offre le café et l’on redécouvre les décors visités il y a de cela un an et demi presque. Rien n’a vraiment changé. On a l’impression d’être partis hier. Nous retrouvons d’ailleurs, avec une très grande joie, Lorraine et Pascal de Revad', rencontrés au Cap Vert puis en Guadeloupe, qui ont laissé leur bateau à la marina le temps d’aller faire un tour en Amérique du Sud.
Avant de s’attaquer au bateau, nous remontons l’annexe tant bien que mal. C’est surtout le plancher qui coince ; un puzzle en cinq pièces qu’il faut emboiter les unes dans les autres sous les boudins gonflables. Généralement, lorsqu’on a réussi à plaquer une pièce du puzzle au sol, sa voisine se dresse instantanément, comme mue par une volonté machiavélique, et ainsi de suite. Les boudins, solidaires dans cette épreuve, viennent maintenir l’ensemble une fois gonflés. Le moteur est attelé à l’arrière et le tout est envoyé à l’eau. D’une, ça démarre, de deux, ça a l’air de flotter correctement. Yesss !
Nous traversons dans la foulée le rio. En face, le chantier à sec Magdalena. Ils ont de la place pour nous, Daffy peut être sorti de l’eau dès le lendemain. Nous nous occupons pour l’après-midi du plus urgent : repousser l’envahisseur à coup d’insecticides. Nous ne sommes pas encore prêt à ce genre de cohabitation. Se réapproprier le bateau prendra donc un peu de temps. La vie à bord sera un peu précaire au début, le temps de tout nettoyer. On alterne hamac et tapis de sol sur les bancs du cockpit ; on se cale sur le rythme du soleil.
Le lendemain matin, Lorraine et Pascal nous prêtent main forte. Le moteur étant encore hiverné et donc pour l'instant inutilisable, c’est l’annexe qui pousse le bateau jusqu’à la darse où il sera soulevé. Deux longues sangles viennent caresser son ventre et le saisir par en dessous. Il est aussitôt mis sur cales et coincé entre des bers. Un canard à qui on aurait rendu ses pattes.
Il est temps de s'attaquer à la bête, au programme des réjouissances :
- enlever la mince pellicule d'algues et de crasse qui recouvre la coque (le passage eau de mer - eau douce a enlevé le reste),
- changer les anodes,
- changer la bague hydroluble (on fait avec les moyens du bord),
- charger les batteries une par une, elles qui n'ont pas chargé pendant un an, une n'aura pas survécu,
- le pilote auto ne répond plus de rien. Nous avons 2 alternatives : plan A pour "Alléluia il est réparé" ou plan Y pour "Y a plus qu'à barrer nous-même" - après de longues journées à batailler, alléluia il est réparé,
- changer d'annexe, le plancher se décolle finalement et il faut se résigner, elle n'est plus réparable. Nous en dégotons une d'occasion et héritons d'un fond rigide en aluminium. Par contre c'est au tour des boudins de se dégonfler petit à petit. On sent dès le début qu'on n'a pas fait une si bonne affaire...
En même temps, nous retrouvons avec joie les petites échoppes de rue où les casseroles mijotent à même le pas de la porte et où les couvercles soulevés découvrent parfois des recettes non identifiées. L'engouement est de courte durée, trois jours plus tard, nous sommes KO et vidés. Notre corps nous rappelle à l'ordre d'un rythme un peu brutal accompagné d'un changement de climat auquel il n'a pas eu le temps de s'habituer. Et une tourista a sans doute profiter de la confusion. Le rythme ralentit tout de suite. On en profite d'ailleurs pour faire connaissance avec les autres occupants du chantier : Canadiens, Suisses, Belge, Espagnol, Américain, Argentin. Le chantier vibre de toutes les langues, même si l'espagnol reste quand même maitre à bord. Petit à petit, on récoltera quelques pans de vie passée ou de projets futurs. Certains ont mis dix ou quinze ans pour parcourir ce que nous avons parcouru en un an. Cette envie d'être rapidement de l'autre côté, on se l'explique pas, on ne la regrette pas non plus. Aujourd'hui il nous semble par contre avoir envie de ralentir et d'étirer le temps passé à une escale, en écourtant peut-être un peu les navigations.
Et le soir, dans un bar du coin, il nous arrive de tomber sur les ouvriers du chantiers qui ne quittent pas leur table tant que celle-ci n'est pas entièrement recouverte de canettes de bières. On s'offre mutuellement des tournées, on se salue, on se sourit, quelque chose passe sans en venir aux mots. Le juke box résonne de plus belle, ils chantent debout, la main sur la poitrine. Puis chacun prend le chemin du retour, il n'est que 9h du soir, pourtant on a l'impression d'avoir été jusqu'au bout de la nuit.
Subrepticement, les doigts de pied commencent à nous chatouiller, les mollets à tressauter ; comme un appel à aller nous dégourdir les jambes dans l'intérieur du pays. Nous découpons le pays en deux, sa partie nord plus chaude et plus humide, avec une large part de jungle et de ruines de la civilisation Maya. Sa partie centre-ouest plus froide, montagneuse et surtout volcanique. Nous voyagerons en sac-à-dos, en minibus ou en chicken bus. Les chicken bus sont d'anciens bus scolaires américains de la marque "Blue Bird", redécorés ou non, dont la seconde vie consiste à transporter le plus de guatémaltèques possibles d'un point A à un point B. Les bagages vont généralement sur le toit. Pas cher, mais l'on n'est jamais vraiment sûr d'arriver à bon port. Sur les routes goudronnées, le chauffeur se croit généralement sur un circuit. Sur les pistes, on dépasse rarement les 10 km/h et la vitesse est souvent inversement proportionnelle au volume de la radio. On ne connait ni l'horaire ni le prix en avance, on a d'ailleurs souvent droit à un prix spécial "gringo". On râle un peu. C'est le jeu.
On appréciera d'être beaucoup plus au contact des gens même si les échanges ne sont pas toujours faciles, du fait de notre espagnol pas encore rodé et d'un trop gros écart de cultures. Pourtant on discute un peu avec la tenante d'un comedor (restaurant à bas prix pour petit-déjeuner, déjeuner et diner). Ici le matin c'est traditionnellement oeufs au plat ou brouillés, frijoles (haricots noirs), un petit bout de fromage frais et des tranches de banane plantain caramélisées. Sans oublier les tortillas de maïs qui sortent tout juste du feu. On nous demande souvent d'où nous venons ; la France, ah la France.
Partis un dimanche avec Lorraine et Pascal pour Semuc Champey, nous nous retrouvons coincés à mi-chemin dans une petite ville appelée Cahabon. Impossible d'aller plus loin, le prochain bus n'est que le lendemain. Nous essayons de faire du stop et c'est finalement le gite et le couvert que l'on nous propose spontanément. Juan Antonio habite un peu à l'extérieur de la ville, sa famille étant à la capitale, il nous invite à venir chez lui. Surpris, nous acceptons néanmoins et ce sera une occasion privilégiée d'avoir une vraie discussion avec un guatémaltèque. Sa vie est simple, nous dit-il, et pourtant il ne manque pas d'argent. Mais il ne ressent pas le besoin d'installer une douche chez lui ou d'y installer plus qu'une petite installation électrique autonome. Il va régulièrement remplir ses bidons d'eau à la source plus bas. Il a un jardin fertile et des poules. Il est parti plus jeune, étudier et travailler, mais a toujours voulu revenir à sa terre natale. Cette rencontre nous aura marqués.
Finalement arrivés à Semuc Champey, nous y découvrons les piscines naturelles, un paradis à première vue. Un paradis pourtant peuplé de créatures démoniaques. Les nonos, petites mouches assoiffées de sang qui laissent nos mollets couverts de boutons provoquant des démangeaisons telles qu'on voudrait s'immoler par le feu. À côté d'eux, les moustiques sont des enfants de coeur qui se plaisent à venir susurrer à notre oreille. À défaut de s'immoler, on préfère se jeter dans l'eau et profiter de ses charmes et de sa clarté. Nous parcourons les différentes terrasses naturelles à pied ou dans l'eau, à coup de plongeons et de quelques gamelles. C'est beau mais qu'est ce que ça glisse !
Ensuite, nos chemins se séparent avec Lorraine et Pascal qui vont à la capitale. C'est un long voyage qui nous attend pour le Péten, dans un bus réservé aux touristes. Ce n'est pas trop notre truc mais là c'est pratique car direct. Le paysage est bientôt aussi plat que le trajet en bus. Propre, rangé, chacun a sa place, et aucune musique, ni aucune poule ou autre dindon ne vient troubler l'atmosphère.
A Flores, notre premier stop, nous découvrons une petite île quadrillée de rues pavées qui appellent à la flânerie, il nous semble en faire vite le tour, vite à l'étroit et désoeuvrés. Nous faisons plutôt connaissances avec les tenanciers de l'auberge-boulangerie "Maya Pan" où nous dormons. Toto, personnage haut en couleurs, ancien gardien de l'ordre, aujourd'hui plutôt en désordre, mais direct et spontané. Sa machette pour la forêt où il est guide, son joint pour les heures perdues, sa bières pour les autres, il aime à philosopher sur la vie. Adolfo est le boulanger. Il est plus timide et sérieux. Diabétique sévère, il est pourtant incapable de se priver de sucre, comme si la vie, sans cet artifice, manquait de saveur. Il nous initie à la fabrication du pain, pour des français, c'est le monde à l'envers...
Une collecte de déchets dans et autour du lac qui borde Flores a lieu durant notre séjour. Adolfo qui fournit le pain pour l’occasion nous propose d’y participer. Une école de plongée est à l’origine de la démarche, les militaires se joignent à l’effort sur terre. Cette opération se répète inexorablement tous les six mois environs. On ramasse d’une main, on jette de l’autre. Ici le plastique règne en maitre. Même l’eau peut se trouver en sachet plastique à usage unique.
Nous disons finalement au revoir à nos hôtes et après avoir rempli nos besaces de petits pains, nous partons à l’aube pour Cruce dos Aguadas. De là, nous avons une demi-journée de marche jusqu’à l'ancienne cité maya El Zotz. Puis une deuxième jusqu’à Tikal, une des plus grandes cités maya. En tout cas la plus touristique et spectaculaire du Guatemala. Nous arriverions alors par « la porte de derrière ». En effet, le parc de Tikal est au coeur de la jungle que le touriste n’a pas le droit de pénétrer. Nous, venant d’El Zotz nous arriverions directement par cette jungle sans passer par la case départ.
Pour l’instant nous arrivons à l’entrée de la réserve à mi chemin entre Cruce dos Aguadas et El Zotz et les gardes refusent de nous laisser rentrer sans guide. A force de pour-parlers ils nous laissent passer à condition que nous rebroussions chemin arrivés à El Zotz et n’allions pas jusqu’à Tikal. Nous acceptons à contre coeur.
Le chemin est tout d’abord large et bien entretenu, nous marchons côte à côte courbés par le poids des dix litres d’eau et de la bouffe prévue pour trois jours répartis dans nos sacs à dos. Alors que nous pensions être sur un simple chemin forestier, la jungle semble se réveiller et se rappeler à nous. C’est d’abord la fine queue rouge et noire d’un serpent qui s’enfile dans les fourrées. Puis des grondements de plus en plus présents se font entendre. Avertis, nous identifions, sans les voir pour le moment, les fameux singes hurleurs mais leurs puissants grognements nous donnent néanmoins la chair de poule.
Après quelques heures de marche, le chemin ouvre sur une clairière et sur une habitation faite de bois et de paille. La maison du gardien, également responsable de l'entretien d’El Zotz. Nous arrivons à l’heure du déjeuner alors que le feu rougeoie et que les tortillas attendent d’être jetées sur la plaque par dessus les braises. Cessar, occupant seul ses journées est ravi de la visite. Nous partageons le repas.
C’est alors qu’un grondement bien plus fort que celui des singes se fait entendre. Cessar sautille de joie « encore de la visite »… et pas des moindres ! Un groupe de buggy débarque à pleine balle dans la clairière rompant définitivement le silence qui nous enveloppait. Les dix engins flambant neufs s’arrêtent à coup de dérapages, soulevant un nuage de poussière. Un groupe d'une vingtaine de passionnés de motos (petit aperçu à 4'10 - https://youtu.be/IV_IHSnkCqc) qui parcourent la jungle à leur façon. Ils nous proposent de monter avec eux jusqu’au site voisin « El Diablo » à quelques km de là. Cessar fait le guide. C’est en fait un promontoire qui nous permet de passer par dessus la forêt et qui nous fait réaliser sa densité. Un enfer vert à perte de vue. Nous revenons comme nous sommes venus, aussi vite que le terrain cabossé le permet, et ils nous débarquent à la maison du gardien. Ils sont déjà repartis, dans le même nuage de poussière, musique en plus. Le silence reprend sa place immédiatement.
À peine la nuit tombée nous partons, frontale au front, Cessar, machette à la main jusqu’au pied de la falaise aux chauve-souris, illustrant le nom du site. « El Zotz » signifie chauve-souris en dialecte maya. Ces dernières sont ponctuelles et sortent tous les soirs en cavalerie. Tel un nuage vrombissant, elles foncent dans la nuit pour se nourrir de quelques habitants de la forêt.
En réfléchissant bien au chemin parcouru jusqu'ici il nous semble difficile de devoir faire route inverse comme nous l'avions pourtant promis au garde une vingtaine d'heures auparavant. Hésitants malgré tout, notre décision est prise, demain nous continuerons pour Tikal. Il est l'heure de se retirer, dans sa chambre pour le mieux installé ou dans leur tente pour les visiteurs d'un soir. Seuls les singes hurleurs semblent veiller et avertir on ne sait quel intrus de ne pas approcher de leur cris puissants. Au matin, nous sommes salués par un singe araignée cette fois. Sa queue lui sert de cinquième membre pour se mouvoir dans les arbres, si bien qu’il est rapide, très agile et joueur, dans le sens où il n’hésite pas à se soulager sur le premier touriste venu quelques mètres plus bas. Décidément pas les bienvenus.
Nous remercions Cessar et reprenons notre chemin. Ce dernier devient petit à petit sentier. La jungle semble se refermer sur nous et un sentiment de malaise nous oppresse. Nous trouvons chacun deux bâtons, et l’un derrière l’autre, nous frappons le sol avant chaque pas. Il faut regarder où l’on met les pieds, mais aussi regarder où l'on met la tête pour ne pas se cogner. C'est impressionnant, la nature emplit tous les espaces vides.
Arnaud pile soudain devant moi et me fait signe de reculer. Nous sommes les témoins d’une scène qui ne devrait pas en avoir. Cruelle et pourtant naturelle. Un serpent qui allait avaler sa proie, un crapaud qui, mordu, voit les mâchoires se refermer sur lui. Le serpent, dérangé, se voit lâcher sa proie et s’écarter lentement du sentier. Le crapaud s’éloigne aussi tant bien que mal et nous pauvres intrus, nous passons notre chemin rapidement. La menace est devenue bien réelle, un autre serpent pourrait bien décider de mordre une cheville et non un crapaud si nous ne mettions pas le pied au bon endroit. Le sentier est de pire en pire, les gardes ne s’aventurent pas jusqu’ici ou très peu. Il faut enjamber régulièrement une souche, ramper sous un gigantesque arbre tombé, toujours frapper avant de poser le pied et surtout garder le cap sur le soleil levant pour ne pas se perdre. À certains moments on doute, un peu plus à droite ou à gauche ? Nous nous appuyons, en plus de viser plein Est, sur une application du téléphone grâce à laquelle nous pouvons suivre notre position sur une carte utilisable hors ligne. La fatigue fait un peu oublier l’angoisse. Les pauses sont de courte durée, les moustiques lancent l’assaut à chaque seconde d'inactivité.
Une explosion soudaine de battements d’ailes nous fait sursauter, ce n’est qu’une petite espèce de poule habituée à sa tranquillité qui a été surprise par un de nos mouvements. Nous nous arrêtons quelques instants le temps de laisser les nerfs lâcher et repartons entre rires et larmes.
Le premier signal de notre arrivée prochaine, ce sont les rayons du soleil qui pénètrent plus profondément dans la végétation. Puis le chemin s’élargit à nouveau et nous arrivons effectivement au niveau des toilettes du parc de Tikal. Malheureusement les gardes du parc nous identifient rapidement, par nos sac à dos énormes et nos têtes exténuées. Ils ont été prévenus de notre arrivée et nous escortent gentiment vers la sortie. Nous avons le temps d’apercevoir en route deux ou trois pyramides et toute l’immensité du lieu. Ils nous demandent de payer l’entrée du parc même si nous ne l’avons que survolé. Un peu dégoutés mais trop fatigués pour négocier davantage, nous payons notre dette et fichons le camp. Nous partons néanmoins le sourire aux lèvres, nous l’avons fait, notre escapade dans la jungle.
El Remate est notre dernier stop avant de revenir au bateau. Charmant, il clôt bien notre aventure dans cette région. Nous trouvons un endroit où poser la tente avec vue sur le lac, le même qui bordait Flores. Seule différence, ici l’eau appelle à la baignade et nous nous délestons définitivement de cette crasse, cette seconde peau, qui nous enveloppait depuis le début du trek. Nous aurons encore droit à un spécimen édifiant de cette région, la tarentule géante, comme nous l’appellerons et nous tirerons le rideau sur le Péten.
A l'approche de Noël, nous partons de l'autre côté du Guatemala, à Antigua. La belle Antigua, à l'architecture coloniale, parée de lumière pour les fêtes, est entourée de ses trois volcans : l'Agua, le Fuego et l'Acatenango. En montant en haut de l'Acatenango, on est aux premières loges pour observer les éruptions de son voisin en activité, El Fuego. Encore faut-il monter en haut, 1500 m de dénivelé pour atteindre les 3900 m du volcan, chargés du nécessaire : eau (beaucoup), beurre de cacahuètes (beaucoup trop), tortillas sous vide (bof), purée de haricots noirs (bon même froid) et de quoi dormir et se couvrir - en haut ça caille !
La montée nous coûte, nos poumons sont bientôt autant en feu que le Fuego, que l'on ne voit pas encore. Il se découvre enfin au détour d'un tournant et nous salue de son plus beau panache. Le panorama est spectaculaire. Le volcan est comme une cocotte minute qui relâche la pression toutes les 10 ou 20 minutes. Plus le temps de cuisson est long, plus l'éruption est massive.
La tente montée à l'abri des arbres, 300 m avant le sommet, nous poursuivons l'ascension à vide cette fois. Le vent se décide à nous accompagner et il souffle bientôt par rafales, dévalant la pente. Le brouillard est de la partie également, un brouillard épais et dense qui nous enveloppe d'une chape d'humidité. Les derniers mètres nous achèvent. Le sol, un tapis de scories, dégringole littéralement sous nos pieds. Un pas en avant, trois pas en arrière.
Enfin au sommet, à peine arrivés, le vent semble nous happer et nous pousser dans l'antre du volcan. Nous faisons demi-tour immédiatement ! Tant d'efforts pour si peu, on est pourtant euphorique et la descente est plus légère. Le vent soufflera toute la nuit. A l'abri dans la tente, nous nous emboitons tant bien que mal dans un unique duvet, l'autre par dessus ; à nuit froide, chaleur humaine.
Au petit matin, le brouillard s'est enfin décidé à nous rendre le Fuego et nous profitons encore un peu de notre perchoir. Rien ne presse. Nous levons finalement le camp en fin de matinée, à regret, et amorçons la descente.
Nous mettons ensuite le cap sur Solola. La place centrale nous plait tout de suite, avec ces bicoques, comme un marché de noël, où l'on vient manger à même le comptoir, la gueule dans les odeurs de friture. On commande une boisson chaude à base de lait et de maïs, un atol de elote. On grignote des tortillas fourrées. Les températures sont encore fraiches, c'est le premier endroit où l'on trouve une douche chaude et on apprécie.
Le lendemain, nous descendons à pieds vers Atitlan, avec une vue plongeante sur le lac. Encore du dénivelé au programme, et le terrain se découvre bien escarpé. Sur les conseils de Hans, un suédois installé ici depuis quinze ans et qui a pu s'acheter un terrain pour une bouchée de pain, nous allons dans une petite auberge à Jaibalito. Elle est tenue par un autre Hans, un allemand arrivé à la même époque que le premier. C'est apparemment le plus abordable qu'on puisse trouver dans les environs et pourtant il sera un de nos logements les plus chers. Les locaux continuent à essayer de vendre leurs terres à de parfaits étrangers, ce qui fait qu'on ne sait plus vraiment si on est toujours au Guatemala.
Le lieu est donc incontestablement beau mais le coeur n'accroche pas. Le lac est bordé de petits villages et l'on peut passer de l'un à l'autre en bateau à moteur. Nous nous arrêtons dans trois d'entre eux, on déambule dans les rues, c'est très touristique et il faut marcher, se perdre dans les rues en hauteur pour retrouver un peu d'authenticité. Bizarrement, on sent déjà l'envie d'aller voir ailleurs.
Nous passerons Noël à Quetzaltenango, Xela de son petit nom, aux portes des montagnes, avec des températures sensiblement les mêmes que si nous avions passé Noël en France. Le soir du 24, nous dénichons un puzzle de 500 pièces - trois pièces se révéleront manquantes - dans un bar qui veut bien nous laisser l'emprunter et nous y collons jusqu'à 1h du matin. Spaghettis sauce guatémaltèque au menu et tablette de chocolat en dessert. Ici le chocolat se déguste plutôt en boisson chaude et les tablettes que l'on trouve à acheter contiennent déjà du sucre et peuvent être parfumées à la cardamome. Peu importe, nous laissons les carrés fondre sur la langue.
Encore un tour en chicken bus et Todos Santos sera notre dernière escale, retirée dans les montagnes. Le trajet dévoile des paysages superbes, des vallées où de petits troupeaux de moutons déambulent et où le soleil ne dévoile qu'un versant de la montagne.
Le village de Todos Santos est attaché à ses traditions, hommes, femmes et enfants portent encore l'habit traditionnel rouge et blanc.
En nous enfonçant encore un peu plus dans les montagnes, nous rapprochant de la frontière mexicaine, c'est aussi l'occasion de découvrir le rio Azul et ses eaux mystérieusement bleu-blanc pastel. C'est le sable qui donne cette couleur à l'eau et il n'est pas rare de voir des ouvriers remplir des sacs entiers pour le revendre.
Nous rentrons au bateau la veille du réveillon. Au soir du 31, nous retrouvons tous les visages familiers et appréciés, rencontrés au Guatemala, dans un café de la ville : Joaquin - argentin magicien, Tim - américain chercheur d'or, Stan - franco-libanais surnommé electro racoon, Alice - suisse capitaine de son propre bateau, entre autres. Des dizaines de feu d'artifice saluent le passage à la nouvelle année, que nous regardons, groupés sur le ponton du café. Quelques jours plus tard on se dit au revoir lors d'une soirée chaleureuse entre copains où la bouteille de Génépi laissera échapper ses dernières effluves.
L'envie de partir se fait doucement sentir, l'odeur de l'océan de plus en plus présent. Et le matin suivant, Daffy porte son étrave vers la mer ; nous entamons la remontée du fleuve jusqu'à Livingston, où nous ferons les formalités de sortie. Le soir venu, nous dormirons en mer.