Nous laissons la Dominique derrière nous et continuons vers la Guadeloupe, Karukera de son nom amérindien, "l'île aux belles eaux". Le canal jusqu'aux Saintes est protégé par Marie-Galante, nous laissant un peu de répit avant d'entamer le dernier tronçon, des Saintes à la pointe sud de la Guadeloupe. Ce dernier est bref mais agité. Sitôt passé derrière la Guadeloupe le calme est saisissant et il nous faut bientôt allumer le moteur pour pouvoir avancer. Nous parcourons en deux fois toute la longueur de l'île jusqu'à Deshaies, tout au nord de la côte caribéenne, notre escale pour les semaines à venir. C'est sans doute l'un des meilleurs mouillages de la côte sous le vent, il est donc très prisé mais avec un important turn-over de bateaux, on y trouvera forcément une place sûre. Le mouillage est cerné de collines verdoyantes, le village est paisible et joli. Des pélicans semblent s'amuser à pécher dans la baie et des tortues sortent souvent la tête de l'eau, il est aussi facile de les croiser sous l'eau.
La première semaine ici sera consacrée à l'organisation de la venue du petit frère, de la grande sœur, du beau frère et des neveux d'Arnaud, Roméo 5 ans - sacré danseur - et Jéromine 1 ans - petite puce tout sourire. C'est ce qui s'appelle une invasion de Maillard mais qui est la très bienvenue et nous amènera encore une grande bouffée d'air frais, de belles tranches de rire et une certaine envie de remettre ça.
Une fois les clés du logement récupérées, les voitures également, mais surtout la tribu réceptionnée aux portes de l'aéroport, nous partons à la découverte de l'île. La nature est démesurée et n'en a parfois que faire de ce que l'humain a pu construire. Nous nous rappellerons de ce figuier étrangleur qui a englouti une ancienne prison. Ses prisonniers en sont à jamais délivrés. Ses larges et puissantes racines remplaceraient presque les murs des anciennes geôles.
Dans le lagon que l'on appelle le "Grand Cul de Sac Marin", la mangrove, elle, forme des barreaux naturels de ses racines plongeantes pour protéger les jeunes poissons qui grandissent tranquillement à l'abri des prédateurs. Tout un écosystème sauvegardé se développe au sein de son système racinaire, où les uns dépendent des autres. Nous sommes au cœur d'un lieu où le bleu cristallin du lagon côtoie le vert profond de la mangrove, où l'eau douce rencontre l'eau salée, où les îlets déserts vont et viennent au gré des courants et dont les seuls habitants sont les bernard-l'hermites ou les frégates.
La forêt, ou la jungle telle qu'elle nous l'apparaît, nous plonge dans un autre monde, de fraîcheur, et de grandeur. Les arbres peuplent chaque centimètre carré du sol et bouchent le ciel ; eux seuls ont droit au soleil quand nous sommes dessous. La pluie, généreuse ici, les abreuve en quantité suffisante. On pourrait presque s'habiller d'une de leurs feuilles sans que ce soit juste une petite feuille de vigne qui cache seulement les parties intimes. Les sentiers sont taillés à travers la végétation et il faut continuellement rouvrir la trace si l'on ne veut pas qu'elle disparaisse.
Quand on s'enfonce dans leurs profondeurs, l'œil accroche soudain un rideau argenté : les chutes du Carbet. Elles auraient, de par leur hauteur, permis à Christophe Colomb de trouver de l'eau douce. Aujourd'hui elles permettent en tout cas encore de s'en émerveiller. Nous trouverons de plus petites cascades pour se baigner où la température de l'eau nous refroidit quelque peu (au sens littéral et figuré).
Les oiseaux, un raton laveur parfois, savent que le touriste est gourmand et qu'il a toujours un petit paquet de gâteaux pas loin ; ils n'hésitent pas à s'approcher. Roméo en fera l'expérience en nourrissant un oiseau sauvage de sa main.
La soufrière domine l'île et culmine à plus de 1400 mètres. Cœur chaud de l'île, elle pousse encore des soupirs sulfureux à son sommet. Son ascension se fait tantôt enveloppé dans les nuages, tantôt perché au dessus des îles dont les plus lointaines sont visibles.
Le plaisir des sens continue. Nous visitons deux distilleries. La récolte de canne à sucre bat son plein en ce moment. Nous croisons souvent des tracteurs qui croulent sous les cannes et en perdent en chemin, comme s'ils balisaient la route du rhum. On apprend que le rhum agricole est le seul rhum qui soit vraiment issu de la distillerie du jus de canne à sucre, les autres sont issus de la mélasse, résidu de l'industrie sucrière et souvent bourrés de saveurs annexes telles que le caramel, la vanille, pour plaire aux consommateurs et être plus doux en bouche et au nez.
Nous ferons également un tour à la maison du cacao. La dégustation va de la cabosse à la graine de cacao fermentée, torréfiée et moulue pour nous emmener jusqu'à la tablette que l'on connait mieux. Nous goûterons le 100 %, sans sucre donc, encore considéré comme du cacao et le chocolat de 90 à 70 % (pour ce dernier sur 100g : 70g de cacao pour 30g de sucre) aux éclats de café, gingembre ou manioc. Nous goûtons le chocolat chaud version sans lactose, infusé dans de l'eau chaude comme le faisaient, entre autres, les Arawaks, Mayas ou Aztèques à leur époque.
Cette escale, c'est aussi la découverte des cassaves de Germaine servies de son plus bel accent. Passionnée de manioc, elle en fait des galettes appelées cassav - version guadeloupéenne de nos galettes bretonnes, que l'on peut fourrer selon ses envies. Elle en profite pour nous parler du manioc et à l'entendre parler, il semble être le remède à tout les maux du monde.
Au bout de quelques jours on prend le pli en se surnommant "chewi doudou". Même dans les bouchons, très réguliers en Guadeloupe, on se dit "pa ni pwoblem", on coupe à travers les petits bourgs et on finit pas s'égarer et perdre autant de temps que dans les bouchons. Toute autorité s'envole en essayant une autre version du "Roméo on rentre" - "Woméo on wentwe" ou du "Arrête de pleurer Jéromine" - "Awete de pleuwé Jéwomine".
Il est temps de rentrer, la famille d'Arnaud dans le froid métropolitain, et nous dans notre petit bateau qui nous a attendu sagement. Le foie va pouvoir se reposer un peu de tous ces chouettes apéros. On a fait le plein de famille pour un petit temps, il nous faudra certainement une piqûre de rappel bientôt pour lutter contre une certaine nostalgie. On dit aussi adieu - temporaire - à la douche, à la machine à laver, au robinet, etc...
On dit aussi au revoir à "Qué Bonito"... Qué bonita cette rencontre ! On retrouve ainsi Yann et Mathilde à la marina de Pointe-à-Pitre pour un dernier apéro le soir où nous déposons la famille Maillard à l'aéroport. De leur côté le bateau est vendu et le voyage prend fin dans quelques jours. On espère les recroiser, sur terre ou sur les flots, qui sait, peut-être sur un nouveau bateau. De notre côté, nous sommes encore en Guadeloupe pour quelques semaines, car elle a sans doute encore bien des choses à nous montrer.
À commencer par des dauphins ! Ils viennent visiter le mouillage de Deshaies que l'on vient de retrouver. Des ailerons passent entre les bateaux et nous les approchons en annexe comme jamais nous n'avons pu le faire. Ils ne voudront malheureusement pas, cette fois ci, nager avec nous. Puis Arnaud veut passer au niveau supérieur de plongée : le niveau "Advanced Open Water DIver" de chez PADI. On s'adresse pour cela à Cyril qui tient son club de plongée, Calypso, à Deshaies ; on vous le recommande chaudement ! Manon l'accompagne pour quatre des cinq plongées qui constituent sa formation : une première remise en jambes, une épave, "l'Augustin Fresnel", dépolluée et immergée volontairement par 35m de fond, une plongée de nuit au pied du gros Morne dominant le mouillage bientôt endormi, une plongée d'orientation au milieu d'un corail en pleine forme et une plongée profonde à 50m pour tester les effets de la narcose à l'azote.
Les rencontres vont bon train, à commencer par le bateau Cyrano, dont les occupants nous invitent à l'apéro alors qu'on cherchait à leur emprunter des outils. Outils, ils n'ont pas, mais du rhum, ça oui ! Ce couple de retraités voyage depuis bien des années et, se coupant régulièrement la parole, ils nous font rêver à travers leurs destinations passées, et nous donnent de nouvelles idées pour la suite. En parlant de rêve, le bateau Rêvade, Pascal et Lorraine à son bord, déjà rencontré à deux reprises, nous convie à un apéro à quatre bateaux. Nous faisons alors la rencontre de Iô, encore un couple de retraités qui achève prochainement son tour du monde en 5 ans, et Balthazar, un couple de jeunes, Sylvain et Clémentine, partis un peu après nous pour 3 ans. Iô nous parle de Polynésie avec des étoiles dans les yeux et Balthazar pense à la suite avec la même ferveur. Nous espérons bien les recroiser, surement au Guatemala, pour la saison cyclonique.
En même temps il nous faut reprendre le quotidien du bateau et ses innombrables travaux. Cette fois ci il devient urgent de changer quelque peu notre système de barre qui commençait à franchement fatiguer depuis les grenadines. Cela implique de commander des pièces qui arrivent à la marina de Pointe à Pitre quelques jours plus tard. Non véhiculés, on échauffe notre index, qui, ici, est le doigt de la main indiqué pour faire du stop plutôt que le pouce. Et ça marche ! On montera au total dans sept voitures (trois à l'aller et un petit bout en bus, et quatre au retour). Les rencontres sont très différentes et les moyens de locomotion en font une belle vitrine. On passera de la scénic touchant bientôt la fin de vie à la mercedes automatique hyper-climatisée en passant par le 4x4 tout équipé d'un représentant d'entreprise. Pourtant dans l'ensemble, les gens s'arrêtent bien volontiers et partagent un petit bout de trajet autant que de vie avec nous. Deux jours seront nécessaires pour finaliser les travaux et le résultat nous inspire confiance. On va pouvoir reprendre la mer dans un futur très proche.
Mais avant cela il nous reste des choses, enfin plutôt des amis, qui nous retiennent encore ici. On attend de voir pointer à l'horizon les voiles de Tabernac et d'Amazonia, notre voisin alors qu'on était encore en chantier à Nantes. Thomas, propriétaire d'Amazonia retapait alors un "Écume de Mer", lui donnant une seconde vie qui a commencé par une traversée de l'Atlantique jusqu'au Brésil pour ensuite le laisser au mains d'un apprenti marin voulant goûter aux embruns. Ils doivent rallier ensemble la Guyane à la Guadeloupe et rejoindre notre mouillage. Tabernac est le premier arrivé et les retrouvailles sont joyeuses et bien arrosées. Les bateaux sont voisins au mouillage, toute occasion est bonne de converser. Et puis, eux vont bientôt repasser de l'autre côté de l'Atlantique et retrouver la Belgique. Alors c'est l'occasion d'en profiter encore un peu et d'ouvrir de nouvelle boites de conserve surprises pour marquer le coup. On cherchait quelque chose à tartiner pour l'apéro ; on se tourne vers les boites marquées "Francis et Clémentine" qu'on remercie au passage ! On tombe sur des calmars farcis (qu'on ne tartinera pas) et un met carné dont on ne saurait véritablement dire la vraie appellation (mais qu'on ne tartinera pas non plus). Même culinairement on voyage !
Le site internet de Calypso plongée à Deshaies : http://glplongee.fr/