21/01/2015
Hier soir, petit repas dans un endroit très agréable en face du Fort Rotterdam : le Kampoeng Pops. C’est un établissement qui fait food court à la mode de Singapour (une vingtaine de stands où l’on prépare des mets différents, des glaces, des boissons, etc). Chacun commande le plat qui lui convient au stand préféré, lequel lui donne un bon, on paye la commande à une caisse centrale, en échange de quoi on a un reçu qu’on donne au stand. Une plaque avec un numéro est donnée en échange, et on s’installe où l’on veut dans un vaste espace face à un petit port. Des dizaines de tables et chaises en osier, des terrasses sur pilotis au-dessus de l’eau. Ainsi à une même table, chacun peut manger des plats complètement différents. Le serveur du stand apporte le plat dès qu’il est prêt. Ici la bière coule à flot. Certaines tablées se servent la bière sous pression à une tireuse adaptée à une petite tour qui trône au milieu de la table. Cet endroit n’est pas pour autant un lieu de perdition : familles, amoureux, copains, etc. donnent à ce lieu une ambiance sereine. Et ce n’est pas cher ! 31 000 IDR (2 €) un copieux mie goreng cina, un plat de nouilles à la chinoise avec quelques crevettes et bouts de viande.
L’air est doux, et c’est amusant de voir évoluer à quelque distance les énormes engins transbordeurs déplaçant des containers à la lueur de puissants projecteurs. Un combat d’araignées métalliques géantes…
De retour à l’hotel vers 22h30, il faut bien tuer le temps avant de prendre le bateau. Il doit arriver à quai à 22 h et repartir à 3 h du matin. Le réceptionniste de l’hotel me conseille de ne pas y aller avant minuit car c’est la pagaille entre les passagers qui descendent et ceux qui montent et se précipitent pour se trouver la meilleure place sur le pont et dans les couloirs. Je papote avec un couple de jeunes iraniens, qu’on croirait sortis d’un campus américain, et en écoutant un peu de musique soufie, on partage nos expériences.
À minuit et demie, le réceptionniste m’amène (gracieusement) au port en motor, ma valise entre ses jambes et moi, accroché derrière.
Sur l’avenue qui longe le grand port à containers, je note une importante différence entre le jour et la nuit. Le jour, dans cette avenue aux bâtiments un peu déglingués, les nombreux bars sont fermés ; mais à cette heure tardive, les bars sont ouverts, musique à fond, et des dizaines de filles très légèrement vêtues de rouge chahutent sur le trottoir, des bocks de bière à la main. Il est vrai qu’il fait chaud…
Je ne me vois pas remonter cette avenue à pied traînant ma valise à roulettes !!
Les guichets du terminal-passagers sont ouverts, presque tous les gens allongés ont disparu, et restent les gens du contrôle. Ils sont une bonne vingtaine répartis entre les barrières et l’échelle du bateau. Mais un seul a un travail qui consiste à détacher une page de mon billet et à me tamponner la main gauche, comme si j’entrais en boîte de nuit ! Pas de contrôle des bagages !
L’Umsini est un vieux bateau. Par endroits, la coque est rouillée et on devine qu’il a bien roulé sa bosse. Bon, la mer est calme, et ce n’est pas par ici qu’on rencontrera des icebergs…
L’échelle qui permet d’accéder au pont 5 est un peu branlante et le filet qui est dessous ne me rassure pas. Des employés me dirigent vers le pont 6 réservé aux Kelas 1 et 2. Là, des employés hilares me confient la clé de la cabine 6029, située dans le premier quart avant du bateau. Au vu de la vingtaine de clés qui restent accrochées au tableau des premières classes, je dois être un des rares à loger sur ce pont ! Et de ce fait, je suis le seul occupant de ma cabine, prévue pour deux.
D’un premier abord, la cabine est spacieuse, 2,5 x 2,5 m, avec coin WC/douche, deux lits, des tablettes, une chaise, une thermos d’eau chaude et l’air conditionné modéré. Mais à y regarder de plus près, l’enthousiasme se modère vite : la moquette est défraichie, il manque des parties du mobilier (serrures des placards, plafonniers, lampes de lits), les prises électriques sont dégradées, et, dans le coin salle de bain, pas de lunette ni couvercle aux toilettes, le carrelage s’en va, pas de chasse d’eau. Et ce coin est le refuge d’une faune peu discrète. Heureusement j’ai ma bombe…
Pas de savon, pas de serviette, pas de PQ.
Je prends mes aises, et avant de me coucher, je prépare une grosse lessive. La bassine prévue pour être remplie d’eau afin de chasser les toilettes, me sert à faire tremper mon linge.
Il est 1h30, Je m’endors comme une souche.
°°°
Vers 7h, on frappe à la porte, mais je me rendors. Réveil vers 9h. Je vais voir au restaurant réservé aux passagers du pont 6, mais il ne reste que du thé tiède. Et au vu des reliefs restant sur les tables, ce petit dej. est de style indonésien (riz et légumes en sauce). Je retourne à ma cabine et me prépare un café avec des pains au lait achetés la veille.
Douche, lessive. J’accroche mon linge sous la ventilation dont le cache a disparu, ce qui me rend bien service.
À 11h, on frappe à ma porte : c’est le déjeuner ! Le restaurant réservé aux passagers du pont 6 est un espace très grand et est aménagé comme une salle de fête avec guirlandes au plafond. Et ô surprise, sur la petite scène, se produisent une chanteuse (de l’âge du bateau) et un organiste ! Sur la piste de danse, deux tables rondes ont été dressées pour les kelas 1 et plus loin d’autres tables dressées pour les kelas 2. À part moi et cinq personnes de la kelas 2, la grande salle est vide. La chanteuse chante avec un enthousiasme modéré des chansons sirupeuses à deux temps, plutôt prévues pour une soirée dansante des années 50, que pour le repas d’un étranger de kelas1 qui se bat avec sa cuisse de poulet, ses épinards, et s’étrangle avec la sauce piquante.
À l’issu de ce repas original, je visite les autres ponts, et bien sûr, plus on descend, plus l’expression « les bas-fonds » s’applique. Les kelas 2 partagent des cabines de quatre avec WC/douche. Les kelas 3 et 4 partagent des cabines de six ou huit sans WC/douche, les kelas ekonomi sont de vastes dortoirs disposant de couchettes avec matelas, et ceux qui n’ont pas pu obtenir de couchette se débrouillent comme ils peuvent pour s’allonger dans les couloirs, les escaliers et autres recoins. Le pont 3 est particulièrement laissé à l’abandon : détritus partout alors que le reste du bateau est mieux tenu. Il fait une chaleur épouvantable dans ces dortoirs, ça sent le rance et ça braille du côté des mômes. Et rien qu’à voir les portes des toilettes communes rongées par l’humidité, on peut imaginer l’état des installations.
Des employés distribuent des repas en barquette aux passagers des kelas ekonomi. Mais on peut prendre son repas dans une cafeteria, et ainsi pouvoir être assis devant une table. Il y a des gens tenant petit commerce, qui se promènent d’un pont à l’autre et il y a aussi des petites boutiques (toko) bien achalandées.
À l’arrière du pont 8, il y a une terrasse avec une échoppe où je demande un café.
Mais l’endroit le plus agréable pour moi reste les coursives, pourtant peu appréciées par les gens que le vent frais doit gêner. Le bateau évolue dans une mer au bleu profond, à la ligne d’horizon bien tracée. Au loin, on distingue quelques îles entourées de nuages d’orage.
Du côté des barques de secours, au pont 7, ça m’a l’air bien rouillé et les radeaux gonflables datent de 1996. Sur la paroi face aux barques, il y a affiché un mode d’emploi rédigé en anglais et en danois…
A la sono du bateau, à 12h16 retentit l’appel à la prière… Personne ne se déplace vers l’espace mosquée qui se tient à l’arrière du bateau, pont 7. La plupart des gens sont avachis sur les matelas, subissant la chaleur et la longueur du temps avec fatalité. Dans un coin, des jeunes ont apporté une guitare, dans un autre, on joue aux cartes, et ailleurs, quelques personnes regardent un film sur un ordi. Quelques télévisions accrochent l’attention de rares éveillés. Pas de connexion wifi ou mobile sur ce bateau.
Le bateau trace sa route, à 35 km/h, sans changer de cap sur une mer calme. Pas de tangage, pas de mal de mer.
Pourquoi avoir choisi le bateau plutôt que l’avion pour rallier Sulawesi à Flores ? J’ai eu beau chercher sur internet, mais je n’ai trouvé aucun vol direct. La seule solution était de changer d’avion lors d’une escale à Bali. Ce qui, du point de vue temps, revenait à peu près au même, mais qui budgétairement même en kelas 1 sur ce bateau, était quatre fois ou cinq fois plus cher. Et puis il y a les charmes de la croisière…
Après une petite sieste, je fais une sortie pour une virée sur les différents ponts du bateau où parfois on me regarde comme un extraterrestre. Des hommes tentent d’entrer en conversation, mais les propos s’en tiennent aux questions de base : where you come from, where you going, what is your name, et une fois : do you visit Flores for business ?
À 17 h, c’est le repas du soir : poisson, poulet, légumes sauce coco, riz et une part de papaye. La scène est fermée. Je suis toujours seul dans cette grande salle. Retour en cabine. Mon linge est sec.
À 18h24, c’est le coucher de soleil au son de la prière du soir. Le soleil se cache derrière un gros nuage d’orage qui s’élève au-dessus des montagnes de Flores que l’on distingue à l’horizon. Et en quelques minutes, se succèdent d’innombrables nuances de couleurs orangées, rouges et violettes. Puis c’est la nuit noire.
Je prépare le blog et révise mon débarquement à Flores, nettoie le disque dur de mon ordi (il est presque plein…).
Je suis surpris lorsqu’à 22 h 20, un coup de trompe du bateau annonce l’arrivée au port de Maumere. Je range mes affaires en vitesse.
Mais ce n’était pas très utile : le bateau met une demi-heure pour faire les vingt derniers mètres d’approche, et un fois placée l’échelle, et passée la prise d’assaut par la horde des porteurs en tenue orange qui monte à l’assaut du navire, il faudra que j’attende encore une demi-heure avant d’atteindre la terre ferme tellement c’est la cohue pour descendre !
Un gars au fort profil papou (prof d’anglais) rencontré sur le bateau m’aide à trouver la sortie du port, encombrée de containers et d’une file impressionnante de gens à scooter. Il me sélectionne un ojek qui pour 10 000 IDR me conduit à l’hotel Gardena.
C’est un petit hotel dans un quartier calme. Le proprio tape la belotte avec des potes lorsque j’arrive. Il me propose une chambre (WC/douche + petit dej) pour 100 000 IDR. Il parle quelques mots en français. Malheureusement, il n’y a pas la wifi, et je dois aller à minuit dans un cybercafé pour envoyer ma prose.