26/01/2013
(Hier soir, tard)
Je retourne à l’hôtel pour faire une sieste. Je suis réveillé par un vacarme de ferraille qui dégringole : c’est un employé de l’hôtel qui essaye de monter un lit constitué de gros tubes, dans la chambre voisine. Il est onze heures. Je râle un peu pour la forme ; de toute façon, je comptais me relever pour aller voir le départ de la procession.
Mon « hôtel » est a à peine deux cent mètres du temple, dans la même rue. Alors que je descends, une foule est déjà rassemblée pour les prémisses de la cérémonie de Thaipusam. Il s’agit de la fête la plus importante concernant la communauté hindoue (représentant 10% de la population).
D’autres gens arrivent encore, se frayant un chemin dans la foule pour aller au plus près du temple et du grand chariot installé devant. Les hommes sont rasés tout neuf et fortement parfumés ; les femmes, au maquillage travaillé, portent leurs plus beaux habits, et leurs bijoux scintillent. Les jeunes filles ont laissé leur jean ou leur short à la maison : elles portent saree de princesse et colliers de fleurs. Les jeunes garçons sont plus rebelles : ils chahutent en soufflant dans des trompettes de stade, couvrant les chants sacrés qui émanent du temple. À part ces ados, la foule est calme, attendant en papotant. Des gens distribuent de l’eau, d’autres de la nourriture : riz en sauce, boulettes. Je goute l’une d’elles offerte par une dame au large sourire: c’est bon, mais très épicé !
Le chariot de procession est sorti du temple. C’est un mini temple en forme de gopuram fabriqué en métal argenté, abritant une idole en son sein. Il brille de ses mille feux, autant d’ampoules alimentées par un énorme générateur attaché au chariot. La foule devient de plus en plus dense dans cette rue étroite, certains essayent de se frayer un chemin pour être au plus près de la cérémonie qui se déroule dans le temple. Une dame m’explique que dieu va arriver à minuit. Ah ? Cet événement se déroulera dans une ambiance qui relève plus de la fête dans la bonne humeur que de la dévotion religieuse !
Dans les rues adjacentes du quartier chinois, les commerçants ont plié leurs étals : certains balayent les ordures en tas car la benne arrive, d’autres comptent les billets de la recette… Les rares policiers (certains à moto) sont plutôt placides et n’ont pas besoin d’intervenir.
Minuit, il se met à pleuvoir ! Je n’aurai pas deviné que dieu viendrait sous cette forme ! Cette pluie ne décourage pas la foule d’où poussent quelques parapluies, tels des champignons à croissance rapide. Un court et modeste feu d’artifice est déclenché au-dessus du temple. Puis le chariot commence lentement la procession à travers la ville ; les gens suivent en papotant, entrainant les quelques ados bruyants avec leur trompettes. À chaque commerce hindou, dévotions et bénédictions, Je n’ai pas le courage de les suivre sous la pluie.
Retour à l’hôtel où l’employé a terminé de monter le lit.
(Ce matin)
Grasse matinée. À la lumière du jour, et après une nuit réparatrice, la chambre me semble moins glauque : ce que je craignais le plus étaient les bêtes et la chaleur, et finalement je suis indemne, à part quelques piqures de moustiques. Les douches au fond du couloir sont à la limite de la crise. Les jeunes routards de tous pays qui fréquentent le lieu (surtout des filles des US + Oz !) semblent s’en accommoder. Pour moi, une nuit suffit (cas d’urgence) et je suis pressé de rallier en métro mon nouveau logement dans la banlieue NE de KL, à Jelatek St (chambre d’hôte trouvée sur airbnb).
Avec le proprio, on s’est donné RV à 12h, et il est là, pile à l’heure ! Il me conduit à sa maison, à un km, avec une vieille Mercedes collector. C’est un pavillon (se déchausser avant d’entrer) entouré d’un petit jardin; après avoir traversé le salon, mon hôte me montre ma chambre : large 25m², avec une petite salle de bain attenante. C’est un peu désordonné et vieillot, mais comme chez beaucoup de gens. Le Monsieur (60 ?) est très aimable : il est très surpris en me voyant, car pour lui (et les anglophones), Jean est un prénom féminin et il s’attendait à accueillir une fille ! Apparemment, il vit avec sa mère qui fourbit dans la cuisine.
Il y a beaucoup de livres, et il doit être musulman-croyant étant donné certains décors et livres. Un coin bureau ? il doit avoir la WiFi : Yes !
Aussitôt pris mes aises, retour au centre-ville. Derrière KL Sentral, il y a un petit temple chinois (Sam Kow Tong) qui ne paye pas de mine, mais une exubérante femme dévote m’entreprend, me racontant sa vie et celle de ses enfants qui sont éparpillés dans le monde.
Ensuite, j’attaque successivement le National Museum et l’Islamic Art Museum. Mais l’affaire n’est pas simple : entre la gare centrale et ces musées, pourtant tout proche à vol d’oiseau, il y a un réseau d’autoroutes et de voie de chemin de fer, sans parler des parkings, qui imposent aux piétons de dangereuses acrobaties : c’est évident, les urbanistes, outre qu’ils ont massacrés le centre-ville, n’ont pas daigné accorder une existence aux piétons !
Le Natinal Museum (5 MYR) est très intéressant : moderne, didactique, au top des outils visuels et dont le contenu retrace l’histoire de la Malaisie avec un certain recul. Sans nationalisme exacerbé, exposant le positif de chaque apport extérieur à ce pays (les Arabes, les Chinois, les colons entrainant la main-d’œuvre hindoue), bref, tout ce qui fait la nation malaise d’aujourd’hui.
Juste à côté, un petit musée (gratuit) met en scène les arts et traditions des tribus natives du pays : intéressant.
Un peu plus loin, au-delà de la très moderne Mosquée Nationale ( !), se tient le beau musée des Arts islamiques (12 MYR). Beau par l’architecture, et beau pour les objets qu’il propose. Ceux-ci viennent des quatre coins du monde islamique : du Maroc à Java, de Mongolie à Tombouctou. Céramique, poignards, tissus, meubles, maquettes des mosquées célèbres dans le monde, etc. Il y a beaucoup d’antiques livres : le Coran, mais aussi d'ouvrages scientifiques, enluminés et de belle calligraphie.
A la sortie, je rencontre une famille de Français de la région de St Malo, rayonnante et dynamique qui fait le tour du monde. On échange des impressions et des tuyaux tout en faisant un bout de chemin ensemble. Les parents ont pris un congé sabbatique, et leurs deux jolies filles et leur jeune garçon ont mis une parenthèse à leur scolarité pour s’accorder le temps de parcourir l’Asie et les Amériques.
Je mange une assiette de riz, bœuf, légumes curry dans un resto qu’ils m’ont recommandé et je trace mon chemin vers le nord alors que la nuit tombe pour errer dans les rues de Little India. Bien nommée ! Musique et bousculade comme là-bas, mais c’est moins le bordel, tout de même. Je déguste une soupe de nouille tellement son fumet m’attire…
Je remonte jusqu’à Chow Kit, mais là, tout est fermé. Bon, j’irai dans ce marché dans une autre vie…
Après quelques pérégrinations entre les réseaux de voies rapides, j’attrape le métro (hyper moderne) à Putra (KTM) et vais voir ce qui se passe à Batu Cave, haut lieu hindouiste où doit se dérouler la cérémonie de Thaipusam. Et là … ! …Boudu…
Le terminus du métro est juste au pied d’une immense falaise. Tout de suite on est pris par un vacarme assourdissant s’élevant d’une vaste fête foraine. Des stands vendant de tout : nourriture, CD, fringues, jouets, chacun beuglant sa musique dans des haut-parleurs mal réglés, et une foule joyeuse se bousculant, attirée par une grande roue ( !), des attractions à vous faire tournoyer en l’air, des plateaux de spectacles de musique live tonitruante, une épaisse odeur d’huile de friture mélangée aux effluves d’encens, bref, Luna park !
Au-dessus de cette vision moderne des marchands du temple, les statues géantes d’Hanuman et du dieu Muruga (46m de haut !) regardant avec quelque indifférence le vaste monde. Et derrière la grande roue (mais pourquoi une grande roue ici ?), la foule qui se presse, qui s’agite, qui élève la voix : c’est le défilé des processionnaires ! Ils doivent gravir un immense escalier ( 300 marches ?) qui mène à une immense cave tant par sa hauteur (50 m ?) que par sa profondeur (200 m ?) et dans laquelle se tiennent les ultimes sanctuaires. L’escalier est à trois larges voies : deux pour la montée dont une réservée aux processionnaires, l’autre étant destinée aux visiteurs (dont très peu de touristes occidentaux) et la troisième pour la descente.
Les processionnaires, soit apportent des offrandes dans des pots en laiton, soit font un genre de chemin de croix où le thème est la douleur et la contrition. Des hommes portent sur leurs épaules de lourds panneaux richement décorés car bénéficiant de la dernière technologie en matière de lumières (LED) ; ces panneaux représentent leurs dieux entourés de plumes de paon, ou des symboles dont je ne comprends pas le sens. Ils sont parfois accompagnés de tambours et avancent par à coup, grimpant d’une traite une volée de marches. D’autres hommes se sont fait crocheter des objets (des clochettes, des pommes, des plumes…) dans le dos, à l’aide d’hameçons enfoncés dans la peau (pas une goutte de sang !), ajoutant à la pénitence d’énormes chaines (cadenas compris) et autres objets d’auto flagellation… Des hommes ont la joue, ou la langue transpercée par de grandes aiguilles… Ces hommes sont quasiment sous hypnose, les yeux parfois révulsés, suant à grosses gouttes, au bord de l’évanouissement. Parfois un collègue disposant d’un tabouret suit son « héros » au cas où il aurait une faiblesse. À noter qu’aucune femme n’est embringuée dans une telle démonstration de masochisme exhibitionniste : elles se contentent de porter des offrandes vers les sanctuaires, de gémir des cris d’encouragements aux « héros », ou d’aider les vieux qui n’en peuvent plus à grimper les marches.
Je me faufile au milieu de la foule dans les escaliers du milieu et parviens à l’entrée de la cave : ça se bouscule un peu ; mais arrivé là, quel spectacle : une foule immense dans cette grotte fraiche, résonnant des chants lancinants diffusés par haut-parleurs et des gémissements de la foule, le tout dans une brume d’encens et de feu de poubelles… Au fond de la cave, encore des marches, des sanctuaires disposés dans les anfractuosités et chacun doit s’y prosterner, déposer ses offrandes, se faire bénir par des prêtres, le tout dans une profonde dévotion.
Une fois chose faite, on dépose les panneaux, on enlève les chaines, on dégrafe les hameçons… L’opération s’effectue alors que le dévot est encore sous l’effet de la transe ; aucune goutte de sang n’apparait et c’est dû à la magie des prêtres qui massent les endroits percés avec une poudre blanche. Chaque famille entoure son « héros » en lui prodiguant des encouragements et surtout obtenir de lui une bénédiction : il est devenu le saint d’un jour et appose sur le front de ses supporters une poudre colorée, les accompagne d’une accolade et d’un vœu chuchoté dans l’oreille de chacun.
Et enfin, il peut s’assoir ! … ou s’évanouir …
La sortie de la cave est une autre épreuve : on doit descendre tout le matos, et ça bouchonne ! De là-haut, la vue sur la foule qui regarde le défilé des processionnaires et qui cherche à s’engager derrière eux est impressionnante.
Pendant ce temps, dans les voies réservées à la montée, la foule continue à grimper. Des gens du croissant rouge et de la protection civile montent des brancards et du matériel d’urgence… Chacun sa croix...
En bas une autre cérémonie se met en place : dans un bâtiment ultra luxueux, des officiels (entourés d’énormes gardes du corps) se sont installés à une terrasse pour faire des discours que personne n’écoute !
Parvenu au bas des escaliers, c’est la déroute ! les gens qui ont laissé leurs tongs, sandales, baskets, en sont pour leurs frais : des gens de la sécurité les ramassent à la pelle et en font un beau tas pyramidal …
Retour au métro où la foule est encadrée par des agents de sécurité. Dans le wagon, je suis installé à côté d’une famille : un couple avec quatre enfants. On papote. Le gars, un énorme ballon en guise de ventre, me fait le détail de cette fête qui concerne sa communauté des Hindous (de l’Inde du Sud). Il me montre un petit pansement au bras : il s’est fait piquer pour donner son sang !... Décidément…
Retour à la chambre d’hôte vers minuit…