Tous les lecteurs de Goscinny et Uderzo se souviennent de la huitième épreuve des « Douze Travaux d'Astérix » qui consiste à obtenir le laissez-passer A-38 dans la « maison qui rend fou »... L'administration nigériane n'a vraiment rien à lui envier et a souvent eu raison de notre santé mentale.
D'abord quelques éléments de contexte. Nous sommes accompagnés dans nos démarches par deux associations : l'organisme autorisé pour l'adoption en France "Lumière des enfants" (qui suit notre dossier à distance et fait le lien avec la mission de l'adoption internationale) et l'association nigériane "Life foundation" (qui s'occupe de nos démarches sur place). Nous sommes d'ailleurs hébergés à Lagos par la présidente de Life.
Pour adopter au Nigéria, nous devons passer par plusieurs étapes :
- l’ordonnance du tribunal pour enfants de l'Etat d'Anambra qui intervient après une période de socialisation avec l'enfant d'une durée d'un mois environ
- la certification conforme de notre dossier par le ministère des affaires sociales de l'Etat d'Anambra
- l'instruction et la délivrance du passeport de Paul par le ministère de l'immigration à Abuja, la capitale fédérale
- la délivrance d'un visa par les autorités consulaires françaises après instruction du dossier par la MAI (c'est la phase la plus courte, les services français instruisant le dossier "en temps masqué").
A toutes les étapes, nous avons été confrontés à des délais injustifiés, à l'incompétence des agents publics et à la corruption.
S'agissant des délais :
- le jugement lui-même a été pris à peu près dans les temps mais son enregistrement par le greffe a pris quinze jours (on ne sait pas pourquoi) ;
- la certification conforme de notre dossier au ministère de l'Etat d'Anambra a pris trois semaines en raison de l'absence d'un directeur et de l'inexistence des délégations de signature (!) ;
- l'instruction du dossier de passeport de Paul dure depuis plus d'un mois et n'est pas terminée sans qu'on soit bien sûr de comprendre les raisons (sinon l'absence d'implication professionnelle des agents).
Il est possible (mais difficile à démontrer) que la période électorale explique en partie ces délais, de nombreux fonctionnaires étant réquisitionnés pour "coller les affiches"...
Quelques exemples d'incompétence :
- le dossier de Paul issu des services de l'Etat d'Anambra contenait des incohérences flagrantes, essentiellement dues à un copié-collé d'informations issues du dossier d'un autre enfant (!) ; c'est nous-mêmes (et non pas Life) qui avons repéré ces erreurs manifestes et demandé à ce qu'elles soient corrigées (sinon, cela aurait bloqué notre démarche à un moment ou à un autre) ;
- une copie d'un document transmis par les services d'Anambra au ministère de l'immigration à Abuja était illisible mais ceux-ci ont mis un bon mois avant de le signaler (ce qui veut dire concrètement que personne n'avait fait une lecture exhaustive du dossier jusque-là) ;
- le couple qui a adopté juste avant nous a connu un retard significatif dans la dernière ligne droite en raison... d'une pénurie de papier pour l’impression du passeport.
La corruption : c'est un sujet évidemment sensible que nos interlocuteurs esquivent le plus souvent. Ce qui est certain, c'est qu'elle est incontournable au Nigéria, quel que soit le type de démarche administrative, mais il semblerait que Life essaie de la limiter à des montants "raisonnables". On pourrait naïvement se dire que la corruption peut au moins avoir la "vertu" d'accélérer les procédures mais en fait elle obéit ici à des rituels : un fonctionnaire ne dira jamais tout de suite combien il veut mais fera "mariner" l'usager avant de débloquer la situation.
Voici un exemple assez caractéristique du fonctionnement du pays. Nous avons obtenu avant notre départ un visa d'une durée de six mois délivré par le consulat du Nigéria à Paris. A priori, pas de problème. Et bien si... Quand nous arrivons à l'aéroport de Lagos, un agent des services de l'immigration met un coup de tampon qui a pour effet de réduire cette durée à un mois (aucune signature de l'agent, aucune base légale à cette démarche), ce qui nous oblige à renouveler la demande de visa chaque mois en payant à chaque fois. Le renouvellement qui intervient au bout du 3e mois s'assimile à un racket (environ 2000€ par visa). Pour nous éviter de payer cette somme, la présidente de Life va tout simplement corrompre un agent de l'immigration à notre sortie du territoire (c'est arrivé à d'autres familles avant nous)...
C'est à Abuja, la capitale fédérale, que nous avons visité la "maison des fous", c'est-à-dire les services de l'immigration. Nous y sommes allés pour deux motifs : faire une photo pour le passeport de Paul (beaucoup de kilomètres pour une simple photo, non ?) et tenter d'obtenir une extension de notre visa (que nous n'auront jamais, la personne qui pouvait débloquer notre situation n'ayant pas daigné se rendre au travail pendant deux jours consécutifs, peut-être plus). Nous avons eu tout le loisir d'observer une caricature administrative : des agents en uniforme militaire ne faisant même pas semblant de travailler (les jours où ils sont présents, ils arrivent à 11h et repartent à 16h), pianotant leur smartphone ou dormant dans les bureaux sans être inquiétés (Jude, le salarié de Life à Abuja, a voulu nous présenter un cadre du ministère que nous avons réveillé pendant sa sieste)... On pourrait bien sûr en sourire mais en a-t-on la force quand on dépend entièrement de tels individus ?