A l'heure où j'écris ces lignes, je suis de retour au Vietnam après un mois de voyage au Laos et au Cambodge. Cette riche aventure, bien qu'elle mérite d'être racontée, ne fait pas partie de ce carnet de voyage, car je distingue très clairement les deux expériences.
Le 26 février, je repasse donc la frontière depuis la capitale du Cambodge, Phnom Penh, en empruntant un bateau à travers le Mékong. Même si le Sud du pays et sa région fertile du delta du Mékong semblent bien différents, je reprends rapidement mes repères dans ce pays avec lequel j'ai créé un lien au fil des derniers mois. Quelques éléments de langage, des plats familiers ou autres spécificités culturelles font que je rentre plus facilement en contact avec les locaux, qui me réservent un accueil chaleureux.
Quelques jours à peine après ce retour euphorique, une annonce importante me parvient: la crise sanitaire du coronavirus a eu raison de mes projets de volontariat et je ne pourrai pas me rendre au Japon. Une fois la déception passée, j'interprète cet évènement comme l'opportunité de m'arrêter un moment pour tenter l'expérience de la méditation. La planète toute entière est au ralenti et les possibilités de voyage se réduisent de jour en jour, alors l'idée de changer de rythme pour réfléchir à des questions que je me suis toujours posé apparaît comme évidente. Par chance, je découvre l'existence d'un centre de yoga et de vedanta (philosophie hindouiste) situé en pleine nature dans les montagnes de Dalat. J'entame alors une période de confinement bien particulière, rythmée par des séances de méditation, de yoga, de workshops et surtout beaucoup de temps pour moi! L'occasion rêvée pour se poser et tirer des enseignements de ce grand voyage (tout autant extérieur qu'intérieur). En voici quelques uns parmi tant d'autres.
La culture bouddhiste, bien au delà de la religion
Je n'entrerai pas dans les détails d'une religion dont je ne connais que peu d'aspects, mais il est intéressant d'analyser un société par le prisme de l'influence de la religion. 70% de la population du Vietnam affirme être bouddhiste, bien qu'il semble que seule une fraction de ce chiffre soit véritablement pratiquante et se rende au temple chaque semaine. Les habitants prennent très au sérieux les différentes fêtes bouddhistes, enterrent leurs défunts selon la tradition et se rendent au temple de la littérature d'Hanoi à la fin de leurs études. Tout ceci s'apparente davantage à des traditions culturelles qu'à des rites religieux.
De cette culture bouddhiste découle une philosophie de vie qui détermine la façon qu'à chacun de penser son rapport à soi et aux autres. Les constats que je fais ne doivent bien sûr par être pris pour des généralités, mais les vietnamiens que j'ai rencontré avaient une attitude reconnaissante et généreuse, bien qu'ayant souvent une vie simple. Le fait d'être aussi bien accueilli en tant que visiteur de l'étranger en est une belle preuve. Il n'est ainsi tout à fait habituel qu'une personne me remercie d'être venu visiter son pays ou qu'un parfait inconnu me pose des questions sur ma culture de façon totalement désintéressée!
La loi du Karma est une intéressante clé d'interprétation pour comprendre cette attitude. En effet, une bonne part de la population croit en cette loi de causes à effets qui veut que chaque action a des conséquences sur le futur. Si l'on en veut la croyance, il est donc primordial de porter attention à tout action qui pourrait attirer un "mauvais" karma. De plus, le concept de résurrection expliquerait que chaque personne naisse avec des conditions différentes en raison de karmas résultant de vies précédentes. Faire le bien autour de soi nous récompenserait donc plus tard dans notre vie, et même au-delà. Au fond, même si on peut rester dubitatif face à cette croyance, il n'y a pas de doute quand aux résultats positifs qu'elle apporte sur la société!
Une société inclusive
Au Vietnam comme dans de nombreux pays d'Asie, j'ai appris que les valeurs inhérentes à la société se distinguent fortement du monde occidental. Alors que nous avons tendance à tout mettre dans des cases, à créer des groupes (familles, amis, collègues,...) indépendants, l'esprit communautaire (à distinguer du communisme) des vietnamiens ne distingue souvent que peu les limites entre ces mêmes groupes. Il était par exemple très commun au bureau d'inviter la voisine du dessus pour venir prendre le repas avec nous. Lors de sorties entre collègues, il était tout à fait normal que plusieurs amis nous rejoignent, ains que cette même voisine accompagnée de son fils.
Autre élément important: cet esprit communautaire induit aussi une forte solidarité et un sens accru de la famille, à l'opposé d'un certain individualisme pouvant être observé en Europe. En période de crise comme celle dans laquelle nous nous trouvons, je me rends compte que cela joue une différence de taille...
La protection de l'environnement dans un pays en plein boom économique
Quand il s'agit des questions environnementales, le pays est en constante contradiction entre le besoin de se développer pour améliorer les conditions de vie de ses habitants et l'urgence de trouver des solutions face aux menaces récentes. Car le Vietnam est à la fois l'un des 10 pays au monde avec la plus forte croissance annuelle de PIB, mais aussi l'un des plus vulnérables face aux changements climatiques.
Le premier exemple me venant à l'esprit est la pollution de l'air dans les grandes villes du pays, en particulier à Hanoi, qui a pris depuis peu des proportions dramatiques pour la santé des habitants. Mais en voyageant dans les deltas du fleuve rouge et du Mekong, j'ai pu aussi observer l'impact de l'homme sur les écosystèmes, notamment au niveau des déchets et de la pollution des eaux. Cela rend ces deux régions, les plus densément peuplées du pays, extrêmement fragiles. Ajouté à cela, la menace de la montée des eaux, d'ici 2050 d'après les dernières prévisions, impactera la vie de millions de personnes...
La liste d'exemples de ce type que j'ai pu observer durant mon séjour est longue, mais ce que je retiens de tout cela est que les vietnamiens peuvent s'adapter très rapidement lors d'une situation de crise (par exemple en cas de guerre ou de pandémie), alors que bien trop souvent les réflexions se font sur le court terme. La présence de déchets un peu partout dans la nature ou l'incinération du plastique à ciel ouvert témoigne de ce phénomène, car ce type d'action n'aura pas d'impact immédiat sur la nature. A contrario, le gouvernement commence à prendre très au sérieux le problème de qualité de l'air, car il atteint désormais à la santé de la population. Des mesures coûteuses auraient pourtant pu être évitées en anticipant le problème...
Réflexions sur soi: voyager autrement
En arrivant dans le centre de yoga où je me trouve actuellement, jamais je n'aurais imaginé une seule seconde que j'y resterais aussi longtemps. J'y avais prévu 5 jours d'initiation à la méditation et voilà que j'arrive gentiment au bout de mon second mois ici, en "confinement amélioré". Ce dernier fait écho avec ce que vivent mes proches au quotidien dont une partie profite aussi de cette période pour méditer, bien que je sois conscient du privilège que j'ai de pratiquer cette discipline dans des conditions exceptionnelles. Au-delà des enseignements tirés du voyage en immersion dans une culture, j'ai donc pu entamer aussi un voyage intérieur et apprendre de nombreuses leçons sur moi-même, notamment sur ma façon de voyager.
Avec un peu de recul, je me rends compte aujourd'hui que j'ai surtout retenu des leçons sur le Vietnam lorsque j'ai vraiment pris le temps de m'imprégner des lieux ou de m'ancrer dans la culture locale. Les petites virées l'espace d'un weekend voire même une journée dans le but de visiter un site touristique ont certes été riches de découvertes et de rencontres, mais ne constituent pas l'expérience que je conserverai pour le reste de ma vie. Je fais donc l'éloge de la lenteur; celle qui nous donne le loisir de changer son rythme de voyage et de se mettre à la même fréquence que les habitants, quitte à supprimer certaines étapes d'un itinéraire. C'est certes plus compliqué à faire lors de vacances de courte durée, mais qu'est-ce-que-c'est agréable! Nombreux ont été les moments où j'ai "dû" quitter un lieu, alors que je m'y sentais bien...
Ce qui me fait rebondir sur un autre aspect intimement lié à ce dernier. La raison pour laquelle j'ai tendance à effectuer ces "sauts de puce" est bien parce que je me projette souvent ailleurs, vers la prochaine destination. Pour beaucoup de monde, l'instant présent est agréable lors d'un voyage (du moins je l'espère), mais il persiste toujours dans le coin de la tête ce désir de se voir déjà à l'étape suivante qui promet d'autres réjouissances. Le problème réside dans le fait que le présent n'a pas la même saveur quand l'on se prend à rêver. Un facteur externe important qui explique ce désir est l'omniprésence de publicités et de contenus sur les réseaux sociaux nous vendant ce rêve comme l'expérience parfaite à vivre.
En outre, selon moi voyager lors d'une longue durée est un excellent moyen de pratiquer le détachement (au sens philosophique du terme). Durant ces 6 derniers mois, je me suis rendu compte que je pouvais vivre au quotidien en me contentant de très peu de choses, notamment en portant toute ma vie dans un sac de 12 kg. J'ai appris progressivement à contenir mon envie de vouloir toujours plus. En plus de cela, je me suis détaché progressivement de l'idée d'un "chez moi", vivant partout et nulle part à la fois. Mais le détachement ne s'arrête pas aux choses matérielles. J'ai aussi appris à être moins affecté par les situations du quotidien; que la vie est faite d'imprévus; que tout ne peut pas être contrôlé et planifié.
Ce détachement, je l'ai aussi pratiqué par le biais du volontariat. En effet, se consacrer à un projet sans attendre rien en retour, en mettant de côté son ego et en se détachant de tout résultat demande certains efforts, mais rapporte tellement de choses d'un point de vue personnel. Aujourd'hui, je continue encore à exercer dans le centre de yoga cette action désintéressée, aussi appelée "karma yoga". Les responsables m'ont ainsi demandé de créer un plan d'action pour réduire l'impact environnemental du centre; Création d'un jardin biologique, ramassage des déchets, utilisation de produits respectueux de la nature et sensibilisation à l'environnement font partie des mesures que nous mettons en place en ce moment même. Un réel sentiment d'agir au bon endroit et au bon moment commence à naître dans mon esprit.
Je réalise désormais le chemin accompli grâce à la vie de yoga que je mène depuis plusieurs semaines. Il est certain que je ramènerai ce bagage immatériel avec moi lors de mon retour en Suisse. Je suis ainsi convaincu que certaines de mes habitudes vont changer de façon pérenne, en particulier en ce qui concerne ma façon de voyager, en me tournant davantage vers diverses formes d'éco-tourisme (respecter l'environnement, soutenir les communautés locales, investir dans des projets culturels, etc.). Ces changements vont probablement aussi s'opérer dans ma vie de tous les jours, mais il est encore tôt pour en apercevoir les effets. Je ne sais pas quand je vais rentrer. Tout était pourtant planifié pour que je reste 3 mois au Vietnam et me voilà entamant mon sixième mois dans ce beau pays plein de surprise, sur mon îlot vert, à l'abri des soucis et des pandémies. Je n'ai jamais été aussi incertain de ce que l'avenir me réservera les prochaines semaines et pourtant, c'est la première fois que je suis certain d'emprunter le bon chemin.