Traversée Cap Vert-Tobago
Nous sommes partis à 5, accompagnés de nos trois nouveaux membres d’équipage : Annette, Jean-François et Denis. Au programme 2100 milles devant nous pour nous découvrir et une belle rencontre qui a permis de nous apprécier mutuellement. S’il y a bien un milieu dans lequel la relation à l’autre se révèle franche et sans artifice, c’est bien celui de la mer où l’on ne peut échapper au regard de l’autre.
Côté météo, la traversée fut tout d’abord assez mouvementée avec une mer croisée et des vents entre 15 et 25 noeuds. Puis progressivement elle s’est installée de manière plus confortable, plus régulière, plus « douce », pour employer le terme d’Annette. Après 3 ou 4 jours, nos corps se sont adaptés de manière surprenante à l’instabilité constante du bateau. Adieu Stugeron, cette petite pilule miracle contre le mal de mer que l’on trouve en Espagne!
Le premier jour, une courte discussion entre nous, et nous nous sommes rapidement accordés sur l’organisation des veilles la nuit. Chacun ne faisait qu’un quart de deux heures seul. Après nos quarts de 3 heures lors des traversées précédentes, à raison de deux par nuit quand nous n'étions que tous les deux, 2 heures seulement prises sur notre sommeil par nuit, nous offraient un réel confort! Les quarts commençaient à 21h, ce qui donnait les 5 quarts suivants : 21h-23h, 23h-1h, 1h-3h, 3h-5h et 5h-7h et nous décalions d’un quart chaque jour.
Annette me réveillait avec délicatesse, je réveillais Jean-François, Jean-François réveillait Antoine, Antoine réveillait Denis et Denis réveillait Annette.
2 heures en solitaire. Superbes ciels très clairs avec ses innombrables étoiles : parfois filantes, organisées en constellations quelques unes reconnues mais de nombreuses : inconnues. Certaines très lumineuses comme la planète Mars, orangée et qui a mystifié Annette lors de son quart. Juste au dessus de l’horizon, la lueur de Mars ressemblait au feu de navigation d’un bateau se rapprochant! Tout prend des proportions imprévisibles la nuit!
De mon côté, la nuit les feux de navigation d’Ariane me font penser à un drone avec ses lumières vertes et rouges qui évolue au dessus de nos têtes!
Le jour, on retrouve une vie civilisée à 5. Réglage des voiles, installation d’un tangon, empannage, point astro avec le sextant, élaboration des repas, fabrication du pain, pêche (peu fructueuse en début de transat!), lecture, observation de nombreux poissons volants parfois retrouvés cachés dans le cockpit au petit matin!, élégantes méduses à voile filant à contre courant, nombreuses sargasses à mi parcours (ces algues envahissantes et malodorantes dans les Antilles) etc...
Mais encore. Longues discussions sur l’état de notre monde autour de nos préoccupations communes : la voile, les navigateurs, la randonnée, les livres.
On a tout de suite pensé que la traversée allait être trop courte!
Le rythme s’est installé et ralenti.
On va attaquer notre 2ème semaine de transat et nos trois co-équipiers sont bien tristes de voir que le bateau file au vent et que l’aventure ne sera pas aussi longue que prévue... On les gardera sans doute avec nous jusqu’à notre escale sur l’île de Grenade.
Mardi 9 avril
14h43 : nous avons franchi presque la moitié de la route et passons le cap des 1000 milles. Cela fait 6 jours et 4 heures que nous sommes partis et donne une moyenne de 6,75 noeuds à l’heure.
1000 milles déjà parcourus! 20h50 : énième problème avec la pompe des toilettes!!!
L'objet de nos nombreux tracas!!!! On l'a changé, rechangé, et cette pompe nous a presque épuisés!
Alors que l’équipage va installer les quarts, Annette sort des toilettes et annonce qu’elles sont une nouvelle fois bouchées!!! On n’a vraiment pas de bol ☹️. L’équipe d’urgence se met rapidement à l’œuvre et oh miracle! Intervention réussie à 21h02! Chacun peut aller se laver les dents et se replier dans sa couchette, sauf Antoine qui commence son quart en premier!
Mercredi 10 avril
7h du mat’, branle bas de combat! Jean-François termine son quart, le vent forcit avec des rafales à 28/29 noeuds. Le bateau est difficile à tenir, il va falloir réduire la toile, exercice subtil puisque le génois est à poste, tangonné depuis 3 jours. L’équipe d’intervention « slippée », Denis et Antoine, arrive à la rescousse, accompagnés d’Annette « bien équipée ». Je reste dans ma couchette en observation à l’avant du bateau en « mode pyjama »! L’équipe cogite et décide de prendre un ris, puis de s’occuper du génois. On enlève le tangon, remballe le génois et on opte pour la trinquette, plus confortable.
La situation se stabilise. Annette et moi préparons le petit déjeuner.
Magnifique pain fait maison, avant cuisson. Ce matin, le pain est compté! Nos vivres de frais commencent à se réduire sérieusement et nous devons réorganiser nos habitudes. Certains se régalent de céréales : Weetabix et corn flakes, les autres se rabattent sur des biscottes, plus classiques. Il ne reste que « las mietas » de pain (expression chère à Antoine et qui plait beaucoup à Annette la laissant croire qu’il parle espagnol couramment!) Denis jette un œil dubitatif sur ses grandes boites cartonnées de notre ami l’oncle Kellog en se demandant ce que sa fille penserait de le voir réduit à cette alimentation infantile!!!
"Opération tangon" ! Jean-François et Antoine à la manoeuvre sur le pont.
Jeudi 11 avril
Le point astro! Observations au sextant. On s'y est tous mis!Encore 2 poissons volants sur le pont!
Depuis 2 jours, les grands ciels bleus ont laissé la place à de plus épais nuages qui passent et viennent déverser leur grain occasionnel. On s’approche ! Ce matin à 6 heures, le compteur est à 1280 milles. C’est mon quart et la cavalerie n’a pas tardé à sonner : accélération du vent avec rafales à 26 noeuds, baisse de tension pour la batterie d’où le démarrage du moteur (les copains essayent de poursuivre leur nuit...) et un premier grain qui m’a donné raison d’avoir mis ma veste de quart, puis l’approche d’un deuxième grain a failli me donner tort de ne pas avoir mis le pantalon de ciré!!!
Poisson volant! Petite méduse à voile ou physalie ou encore physalia physalis. On les a aperçus régulièrement en train de remonter au vent! On attend tous le grain en journée pour se doucher! Restrictions d’eau oblige! Prudence, prudence.
Aujourd’hui « opération douche sur le pont » avec 1 litre 5 d’eau douce chacun! On réussit même à se laver les cheveux! Une prouesse!
Douche en deux temps. Lavage à l'eau de mer puis rinçage à l'eau douce. 1 litre 5 chacun!
Vendredi 12 avril
C’est jour de match! Même au milieu de l’océan, on continue de vibrer pour le RCV ! Vannes joue contre Aurillac. Alex est remplaçant et nous sommes très heureux de le savoir de retour sur le terrain. Vannes est 5ème du classement et c’est sans doute l’euphorie au stade de la Rabine pour un des derniers matchs avant la fin de la saison et qui sait « les playoffs »!
Nous avons maintenant 5 heures de décalage avec la France.
A bord, journée calme. Après le café philo du matin, tout le monde bouquine. L’allure est tranquille 15 à 20 noeuds et le bateau est stable. La ligne à thon/bonite/coryphène est posée tôt le matin et nous attendons...
Surprise en fin d’après-midi! Incrédule, Denis sort de la salle de bains “Hé! Il y a un poisson!”. Effectivement, par le plus grand des hasards, un petit poisson volant est entré par le hublot et se débat dans notre cagette de fruits et légumes à côté du pamplemousse et de deux citrons! Et hop! On le remet à l’eau! Il a du avoir la frayeur de sa vie. Se retrouver enfermé dans une salle de bains au milieu d’une cagette de fruits et tout ça en plein océan, c’est sur ses copains l’ont jamais cru quand il les a retrouvés après son aventure!!!
Opération Exocet!
A part cette courte visite, nous sommes toujours seuls! On n’a pas vu d’autres bateaux depuis notre départ il y a maintenant 9 jours. Seuls au monde!
Vannes a gagné 25/5 au terme d’un « match laborieux » nous a dit Alex, par l’intermédiaire de notre téléphone satellite (iridium). Le RCV est désormais 4ème du classement! Quel beau parcours cette année! Bravo!
In the middle of the ocean!!! A double rainbow early in the morning!
Samedi 13 avril
Houra ! Premier poisson attrapé au petit jour (7h du matin!) Denis a mis la ligne dès potron minet... C’est une daurade coryphène d’environ 10 kilos, qui agrémentera très bien notre repas de midi. On ne pouvait espérer mieux! Cuisinée par Annette au four avec des oignons et quelques aromates : délicieuse! Denis avait pris soin de mettre de côté quelques filets préparés en ceviche « cuits dans le citron » : notre apéro du soir. On s’est encore régalé!
Séance épluchage de légumes. Jean-François et Denis à l'oeuvre. D’ailleurs à l’heure de l’apéro, nouvelle prise, cette fois plus petite (environ 3 kilos). Il semblerait que ce soit un thonidé? On cherche dans le guide des animaux marins, le bloc marine... On semble se mettre d’accord sur le ou la sériole ? Hop, une fois identifiée, « la bête » est étêtée et équeutée. Au frigo pour demain.
Fondant au chocolat. Le bateau tangue et le gâteau prend une forme surprenante... On a tous apprécié quand même.Il fait toujours très moite. Aujourd’hui, on décide d’une nouvelle journée “douche” : 1 savonnage, 2 seaux d’eau de mer et 1 rinçage avec 1 litre 5 d’eau douce. C’est presque le nirvâna!!!
Omelette du chef "made in Denis" : pommes de terre, lard, oignons...
Ce soir pour nous, c’est pizza! Et le pizzaiolo, c’est bibi!
Le compteur affiche 1700 milles en fin de journée!
Nos deux dorades coryphènes! 1 mètre 20 de long et environ 10 kilos pour la plus grosse...😀
Dimanche 14 avril
Coucher de soleil sur l'Atlantique Au menu du déjeuner, poisson au four : parfait!
Et pour dîner, une dernière salade alors que les vivres en frais se terminent hélas! Cela fait 11 jours que nous sommes partis. Annette y met tout son cœur : 1/2 chou, les 3 dernières tomates, le dernier concombre, des olives vertes, quelques herbes aromatiques et du chorizo. Le tour est joué! On se régale encore une fois.
N’ayant plus de fruits frais, j’improvise un dessert. Ce sera un gâteau de semoule au caramel. J’y ajoute quelques raisins de Corynthe trempés dans le rhum et un peu de cannelle. Un grand succès lorsque je le pose sur la table. Antoine propose de l’agrémenter d’une « touche » de rhum. Et voilà un baba de semoule largement arrosé de rhum... que tout le monde applaudit. Le gâteau nous fera trois repas!
20h30, alors que chacun s’apprête à s’organiser pour la nuit, Ariane prend le dessus et notre fidèle barreur “Nestor” décide de nous jouer des tours... Il refuse de barrer!!! Pas d’autre choix que de le remplacer : on réorganise les quarts! Cette fois ci, toutes les 3 heures et à deux.
La nuit est courte, voire très courte pour ceux qui se retrouvent avec 2 quarts!
Planning des quarts durant la transat.
Maudit Nestor !
Lundi 15 avril
Fatigués, des siestes s’annoncent pour la suite.
Une fois tout le monde debout, on examine Nestor avec sollicitude et miracle : il repart! Cependant on s’en méfie car il nous semble de plus en plus susceptible.
On passe le cap des 2000 milles. Ça sent l’écurie!!!
Certains rêvent d’une douche, d’autres d’un sorbet coco ou d’un steak!
Si tout va bien, on sera à Tobago demain soir.
Haïku du jour
Le midi :
Un chili qui ravit
Le baba toujours là!
Et le soir :
Des pâtes mais sans lard!
Au sirop furent les poires!
Mardi 16 avril
On croise un tanker (300 m de long) qui s’appelle « Victory » : premier bateau depuis plus de 2000 milles. Il passe devant nous à 2 ou 3 milles. Imposant et majestueux!
À midi, JF pêche une énorme dorade coryphène de 120 cm de long. Immédiatement débitée, elle est mise au frigo. Un plat est mis au four pour le déjeuner et une partie est placée dans le citron pour l’apéro ce soir.
Filets de coryphène en partance pour le four avant préparation! On a passé la 60ème longitude : on change d’heure pour la dernière fois. On aura avancé d’une heure à trois reprises depuis le Cap Vert.
A 17h43, après un grain monumental où tout le monde se retrouve en maillot de bain sur le pont pour une douche, on aperçoit la terre, qui est à 25 milles. On a parcouru 2169 milles. Il faudra encore attendre le milieu de la nuit du 16 au 17 avril pour mettre pied à terre.
Transat en 13 jours et une quinzaine d'heures. Bravo!