Il y a des jours mi-figue mi-raisin. Aujourd'hui fut une journée comme ça : dans la brume et sous la menace du ciel mais de très belles routes de montagne. De jolis paysages, des lacs et des rivières aux eaux grisâtres chargées de boue en raison des orages et que les torrents clarifient au fil de la route. Une riche nature sauvage s'ouvre soudain sur une région minière très pauvre. Le contraste visuel est radical !
Nous faisons une partie de la route du vin bordée de petits vignobles : aucun n'est désherbé ni ne semble traité : la nature n'a pas besoin de la main chimique de l'homme pour s'épanouir et être généreuse. Savoir ancestral plein de bon sens...
Nous longeons la frontière avec l'Ossétie du sud et les paysages changent. Nous traversons quelques villages où tous sont dehors, en promenade en famille. Et nous nous rappelons qu'aujourd'hui est dimanche...
La balade moto est sublime !
Péripéties
Nous nous arrêtons pour un verre dans la petite ville de Chiatura. Et nous trouvons une guesthouse à 21 kilomètres en pleine nature. Ce sera parfait ! Sauf que... nous en ferons120 ! Nous nous arrêtons un nombre incalculable de fois pour demander notre route. Tout le monde veut absolument nous aider mais personne ne connaît. Un Géorgien d'origine française s'arrête même pour nous demander (en français) : "Vous êtes perdus ?" Il en profite pour nous parler de son pays. C'est super... 20 minutes ! Il nous envoie à 15 bornes ! Plus loin, une petite voiture nous dit que ce n'est pas du tout ici . On roule. Il n'y a rien ! Ensuite une maman surveillant des enfants qui jouent au foot nous informe que nous ne sommes pas sur la bonne route. "C'est par là !" Bien ! Demi-tour et on investigue le cœur d'un village via ses chemins de remembrement entre champs et maisons ! Quelques ados nous renvoient 25 km plus loin ! Nous sommes à environ 200 mètres de la guesthouse mais nous ne le réaliserons que beaucoup plus tard ! Dans les hameaux, les maisons sont perdues entre champs et vergers et les gens ne se connaissent pas nécessairement. Environ 30 minutes de discussion en anglo-géorgien/langue des signes/Google translate ! Nous voilà repartis !
Au passage nous traversons de minuscules villages où tous nous font de grands signes (de bienvenue ?) et de toute évidence nous prennent pour des "saisis" de grande qualité ! Nous ne croisons aucun voyageur !
C'est ainsi que nous finissons, dans la plus parfaite naïveté, à 2 km de l'Ossétie du sud (fermée) juste à côté d'un camp de base de l'EUMM. Michel s'arrête un peu plus loin : ne parlant pas anglais, il me laisse gérer ! Je m'arrête donc juste à côté. A ce moment précis, la béquille modulable de ma moto décide à nouveau de n'en faire qu'à sa tête ! Le temps d'enlever casque, gants et lunettes puis de sortir le précieux petit bout de bois dont je ne me sépare jamais et qui me permet d'arrêter la moto autrement que semi-couchée, les militaires ont eu le temps de se poser la question essentielle : "Mais qu'est-ce que ces "saisis" foutent ici?" Et d'envisager 200 réponses possibles !
Explications. Ouf tout le monde parle parfaitement anglais et géorgien ! Je sors les photos Booking de la guesthouse, l'adresse et Google Maps ! Coup de fil à la guesthouse mais pas de réponse ! Pendant qu'ils se concertent, ils nous filent une bêche de désensabement (pas de marteau disponible) et on "répare" la béquille ! Bien gentils, ils décident de nous accompagner. Pour le coup, nous savons à quoi servent une partie de nos impôts ! 20 bornes à un train d'enfer ! A ce rythme, Michel ne me laissera plus jamais me traîner en mode balade !
Les militaires ont quand même demandé deux fois le chemin... et fait deux fois demi-tour !
Trouver la guesthouse à 21 km nous aura pris 2 heures et demies !
Un brin de géopolitique : voyager pour tenter de mieux comprendre les points de vue (tant que faire se peut)
C'est la première fois que nous voyons un camp de base de l'EUMM : les deux 4x4 garés à côté de nous, un 4x4 médical en amont, en aval, une énorme tente camouflée (20 x 10 mètres), deux véhicules camouflés dont un blindé léger. Nous n'osons pas photographier. L'UEMM est une mission européenne d'observation non armée en Géorgie pour le maintien de la paix suite à l'accord de cessez-le-feu de 2008 signant la fin de la guerre russo-géorgienne. Après cet armistice, les troupes russes, arrivées à quelques kilomètres de Tbilisi se sont repliées sur les zones russophones d'Abkhazie et Ossétie du sud. Il est à noter que toute la côte jusqu'à Sotchi était Géorgienne jusqu'à l'invasion. Les Géorgiens considèrent ces deux régions comme Géorgiennes. La Russie les a reconnues comme états indépendants (avec présence militaire russe). Les petites gens paient le prix fort : pauvreté extrême et villages coupés en deux par des barbelés.
Lors des jeux olympiques de 2014 à Sotchi, les Géorgiens ont choisi de jouer l'apaisement en envoyant des athlètes mais pas de représentants politiques.
Depuis 2012 avec l'élection d'un nouveau président pragmatique et soucieux du développement économique de son pays, les relations commerciales ont été rétablies avec la Russie.
Les gens qui veulent partager leur Géorgie et abordent ces sujets avec nous se montrent favorables à l'UE (avec des nuances suivant les générations). A contrario, tous (peu importe la génération) souhaitent que, en aucun cas, la Géorgie soit membre de l'OTAN, ce qui, pour eux, déboucheraiit inéluctablement sur un nouveau conflit armé. Certains toutefois nuancent ce point de vue : le trauma de l'invasion russe reste dans les mémoires.
On nous explique que, lors de la révolution des Roses, pacifique, le président Eduard Shevardnadze, pro-russe, a été remplacé par Mikheil Saakashvili, nationaliste dont la mise en place a été "grandement favorisée" par la France et les USA. Sa politique anti-russophone impose le Géorgien dans l'ensemble du pays au mépris des spécificités et cultures régionales. Des milices nationalistes s'en sont prises aux populations russophones d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud, déclenchant les hostilités de 2008.
Par la suite, soupçonné de corruption, Mikheil Saakashvili a fui en ... Ukraine ! Il y est devenu citoyen ukrainien et gouverneur de l'oblast d'Odessa. Depuis son retour en Géorgie, en 2021, il est en prison pour corruption ! Les Géorgiens le détestent aujourd'hui pour ses traitements inhumains (30.000 prisonniers, tortures etc. sous sa présidence). Suite à ces interpellations, nous allons lire l'impressionnant parcours de ce personnage adoubé par les US et l'Europe.
Les gens d'ici veulent maintenir l'équilibre économique à la fois avec l'Europe et la Russie.
La guesthouseShalvaseuli Marani(région de Imereti)
Pour ceux qui voudraient s'arrêter ici :
Les points GPS :
42°20′30.75″N 43°27′12.69″E
Attention : bien regarder sur les photos qu'ils ont mises sur Booking la route à ne pas prendre et qui est celle indiquée par Google Maps !
Quelques repères : suivre la route vers Chikha. Prendre la rue en face du stade et du car wash (tout petits > ouvrir l'œil)
Nous sommes heureux de partager un moment là vie et l'histoire de cette ancienne maison géorgienne. Notre obstination à y arriver est largement récompensée.
Joliment restaurée, en pleine nature, entourée de vignes et de champs, elle appartient à la famille depuis plusieurs générations. Nous y arrivons bien tard et nos hôtes nous cuisinent un repas digne des meilleurs restaurants. Nous avons droit à la visite de "my own personal cellar" avec le papa :
- la nouvelle presse à raisins (les raisins sont foulés aux pieds, à l'ancienne), creusée dans un tronc d'arbre.
- les vieilles jarres de conservation
- les autres, enterrées et toujours en service
- Le "tone" : four à pain (les pains sont collés sur les côtés pour cuire) et le BBcue juste à côté : c'est là que l'on se réchauffe l'hiver.