Le verdict est tombé ! Il faut remplacer le joint de carter, impossible à trouver ici. Nous le commandons en Belgique et allons le faire envoyer. Cela va prendre plusieurs jours. Autant nous installer et en profiter pour découvrir la ville.
Batumi semble vouloir nous retenir : il y a deux ans, de grosses pluies s'en étaient chargées, cette fois, c'est la moto !
Et la ville murmure, nous invite à la découverte de sa vie secrète.... Petits mots aimables et tables accueillantes apparaissent à chaque coin de rue...
L'art se glisse partout
La notion "d'art" est bien subjective. J'ai une petite tendance à le dénicher, à chaque coin de rue, dans toute forme de créativité qui me touche, m'étonne ou me fait sourire. Quelquefois j'aime, d'autres non. Cet art-là ne se retrouve dans aucun musée mais est omniprésent dans la ville. Changeant, de bric et de broc, il est éphémère et joyeux. Jamais signé, toujours offert. Nos déambulations à la recherche d'huile, nos lentes promenades, la longue attente du joint carter nous laissent le temps d'ouvrir les yeux et le cœur, le temps de recevoir...
Il y a ces minuscules fleurs séchées épinglées sur les murs d'un WC, plus loin, une vieille vitrine rouillée accueille des chaussures d'un âge révolu,.. Les dessins sur la nappe d'un restaurant, un tag sur la grille d'un magasin d'articles pour bébés, l'accueil laiteux sur un cappuccino, un pratiquant de Tai Chi...
Nonchalance du temps pausé... Les gens d'ici savent faire cela...
L'architecture
"Perle de la mer Noire", "Las Vegas du Caucase", "Petite Dubaï" ... Les surnoms donnés à Batumi sont nombreux. C'est la deuxième ville de Géorgie après Tbilisi.
Gratte-ciels clinquants ainsi qu'hôtels et casinos de luxe côtoient des HLM sinistrés datant de l'ère soviétique, de petites maisons anciennes souvent décrépites, parfois restaurées et des bâtiments Belle Époque. La ville est longée par un boulevard long de 7 km et planté de dizaines de palmiers au bord de la mer.. Labyrinthes et cacophonie... Dans cette architecture hétéroclite et harmonieuse se reflète l'histoire de la région d'Achara : développement au XIXème siècle grâce au pétrole de l'Azerbaïdjan qui y transitait, opération "peau neuve" à partir de 2004 avec le gouvernement de Mikheil Saakachvili visant non seulement à effacer toute trace de l'empire soviétique mais aussi à envoyer un signal aux deux territoires sécessionnistes (l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud) pour leur montrer que rester dans le giron du pouvoir géorgien permettrait l’investissement et l’amélioration de leurs capitales, Soukhoumi et Tskhinvali.. Le pari de la relance économique au service de l'image politique !
Nous sommes début mai, il y a peu de touristes, les tractopelles et tondeuses sont à l'œuvre pour lisser les trottoirs et l'herbe des jardins publics, les manèges de foire grincent, les bars de plage semblent désaffectés, les piscines sont vides, la plage desertée à l'exception de quelques pêcheurs de sardines. Nous trouvons cependant beaucoup de quiétude, de charme et de joie à nos promenades. De même qu'un sentiment de sécurité, de jour comme de nuit, absent de nos villes d'Europe de l'ouest.
Architecture hétéroclite, pleine de vie Dans le ventre de la nuit
Fleurit la lumière
Chuchotent les pierres
Un secret ?
Le vent marin soupire
Une voix vibre
Libre ?
Une petite place que nous découvrons par hasard Les gens
Batumi est une ville cosmopolite : nous y rencontrons des Turcs, des Azerbaïdjanais, beaucoup d'Ukrainiens et de Russes. Certains installés depuis longtemps. D'autres faisant commerce, donc régulièrement de passage.
Malgré la circulation dense et les multiples chantiers de tous ordres, l'ambiance est sereine et semble défier le chaos et l'agitation urbaine. Les bancs et jardins du boulevard Batumi sont occupés à toute heure, les terrasses aussi par des amoureux de tous âges, des solitaires en recherche de plus de solitude, des grands-parents ou de jeunes parents qui jouent avec leurs (petits-) enfants. Il y a toujours le temps pour un café, une glace, un échange ou un renseignement. Le temps reçoit l'espace...
Nous voyons peu de mendiants. Il y a des pauvres, des vendeuses de fleurs ou de bondieuseries, des balayeurs de rue, un nombre incroyable de mini-boutiques de téléphonie et de petites épiceries... A aucun moment, nous ne voyons de jeunes désœuvrés prêts à la bagarre... Juste de temps en temps, dans les lieux touristiques, l'un ou l'autre rom un peu collant.
Encore un pays où bénéficier de l'aide sociale implique une participation active à la vie en collectivité (sauf handicap ou incapacité de travail). Pas d'état Providence. Peut-être un peu à l'extrême mais sans aucune de ses dérives... Pour info : l'âge de la retraite est à 65 ans, des facilités sont accordées à la création d'entreprises et la fiscalité est avantageuse pour les expatriés. Le salaire moyen mensuel est d'environ 450 €. 1litre d'essence coûte 1€, un paquet de cigarettes moins de 2.50, un verre à une terrasse maximum autour de 2,50, un repas dans un restaurant tres correct est autour de 13€ parfois 15 €, boissons comprises. Ces chiffres indiquent les prix en.ville. Le coût de la vie y est bien moindre que chez nous.
Le temps est à la rêverie
L'heure s'étire et s'enroule
L'espace s'immobilise
Les pas se perdent
L'esprit vagabonde
Ombres et lumières
Milevskii
Milevskii, c'est un lieu : un petit bar, coffee shop, tenu par une Ukrainienne installée à Batumi depuis une dizaine d'années. Diplômée en architecture de l'université de Kiev, elle n'a pas aimé être architecte. Elle a tout quitté, est partie travailler aux Émirats puis au Qatar, histoire d'économiser pour s'offrir un bar et une résidence ici. Son business est ouvert 7 jours sur 7 de 10:00 à 22:00. Ces longues heures de travail ne lui pèsent pas : elle adore! C'est chez elle que nous prenons de copieux petits-déjeuners le matin. Elle m'offre toujours le premier café que je sirote en attendant Michel. Elle fut une des premières à nous aider : elle parle Ukrainien, Russe et Géorgien. Entretemps, nous sommes devenus voisins. Si d'aventure, tu passes par ici, prends un moment, ami, et arrête-toi chez Milevskii... Peut-être y rencontreras-tu son chat...
L'Azerbaïdjanais
Un autre lieu que nous aimons est un bouiboui aux "durums" délicieux à prix plancher. La plupart des clients sont musulmans, les tenanciers viennent viennent d'Azerbaïdjan. Un soir, nous y avons rencontré un riche homme d'affaires, ingénieur dont la société a créé un système d'extinction d'incendies à base d'une sorte de gel très efficace. Il est heureux de nous montrer ses vidéos...
A goûter : une boisson non alcoolisée qu'ils appellent "Kompot" : eau et fruits, beaucoup moins sucrée qu'une limonade, sans OGM et très naturelle puisque presque partout faite maison.
Le Wine Bar
Nous nous sommes dégotté un bar à vins tout proche : plaisir d'un petit apéro de temps en temps, de savourer un vin géorgien dans le parc attenant, de regarder les habitants du quartier qui y achètent à la cuve et s'installent avec un repas venu d'ailleurs.
Le genre de bar qui ravirait pas mal de nos amis (pensée émue pour chacun) : vins naturels, certains vinifiés de manière traditionnelle. Le goût de la Géorgie titille le palais bien plus élégamment que moulte bordeaux et autres vins trafiqués et "additionnés" de chez nous... Ma sévérité n'est que le reflet d'un bonheur...
A un autre moment, nous tombons sur un tout petit Wine Bar : 3 tables dans une cave. Dégustation gratuite de vins naturels faits maison, rouges et blancs, secs, doux et demi-secs. Tous mettent l'âme et les papilles en joie. Aucun ne rend Michel malade alors que sa gorge réagit à n'importe quel vin français! Les mystères de la chimie ! Une adresse à retenir !
34 Rustaveli Avé - Batumi Pierre
Pierre était un "ami FB" de passage à Batumi et bloqué en attente du bateau vers la Bulgarie pour cause de mauvais temps. Nous avions tous du temps que nous avons passé autour d'un café. Improbable rencontre.
Pierre est de notre génération. Il rêvait de voyages autrement. Avant, il voyageait en avion comme steward. Suite au décès d'une amie est un électrochoc, il saute le pas : permis moto A2, donc limité en puissance. Il achète une 750 gs, la fait brider à 35 kw et part voir le monde. 10 mois de voyage. Quand nous le rencontrons, il est sur la route du retour. Nous parlons errances, motos, frontières, équipements, pays ... Admiration !
La petite femme de ménage russe
Elle est Russe, mariée à un Turc rencontré via Facebook. Pour l'instant, elle vit et travaille ici, à Batumi. Elle me raconte sa vie, en russe, avec Google translate. Elle ne parle pas géorgien. Un premier mari mort dans une guerre, un frère et un fils dans une autre. Sa fille décédée il y a deux ans, de maladie. Elle efface furtivement une larme. Elle me dit avoir été tireur d'élite dans l'armée russe. Elle est usée, ravagée ; elle a les yeux détruits, l'un plus que l'autre. Ses lunettes sont rafistolées avec du papier collant. Elle nettoie le sol, les chambres, la petite terasse où je fume... Elle raconte sans se plaindre ... Je ne peux que lui offrir un peu de temps...
Robert Nadiradze
Nous avisons sur un poteau une petite pancarte écrite à la main pour le musée de l'indépendance de la Géorgie. Pourquoi pas ? Minuscule maison au bout d'une ruelle impasse. Des femmes mettent du linge à sécher, un homme sans âge apparaît et ouvre une porte. La première chose qu'il nous dit : "Money no. Chacha ?" Vu l'heure, nous déclinons la Chacha. Le musée est son petit antre aménagé avec ses souvenirs de journaliste, d'écrivain, de militant lors de la sission avec l'URSS entre le 18 novembre 1989 et le 9 avril 1991, date à laquelle la Géorgie est devenue un état souverain.
Il est fier de nous montrer les photos, un livre qu'il a écrit, le premier exemplaire d'une revue militante publiée à l'époque avec les moyens du bord, le vieux haut-parleur ... Nous écoutons et faisons de notre mieux pour capter. Fier de son combat, il a de la rancœur envers la Russie et pourtant il ne parle que russe. Enfin... peut-être parle-t- il géorgien mais il ne le lit pas. Aucune reconnaissance de l'état géorgien... Je ne trouve aucune information sur la toile. Quand nous le quittons, il nous offre quelques pommes...
Les animaux
Nous retrouvons nos amis les chiens et chats errants. Symbiose : ils font partie de la vie géorgienne. Tous sont adorables et avides de caresses et d'attention. Peu semblent malades ou mal nourris. Nous avons cru comprendre que le gouvernement veille au grain (ils sont pucés).et la population à la gamelle.
Un brin d'urbex
Ici ou ailleurs, j'aime passer sans toucher. Juste effleurer du bout des yeux, de l'objectif pour tenter d'immortaliser ce qui un jour ne sera plus. L'humain fait, la nature défait. L'homme prend, la nature reprend. L'imagination s'envole, questionne, embellit...
Herbes folles et murs craquelés
Le tourniquet trébuche
L'eau glauque mousse
Fantômes ? Fantaisies?
Le temps suspendu
Ne tient qu'à un fil ...
Où sont les milliers de manifestants que BFM nous montre ?
Et les manifs ?
La presse européenne nous "informe" que des milliers de manifestants pro-Europe envahissent, chaque vendredi, la place principale des deux grandes villes de Géorgie, Tbilisi et Batumi. Depuis deux semaines, nous traînons à Batumi et nous n'en avons vu qu'une seule : moins d'une quarantaine de manifestants, avec des drapeaux européens et géorgiens assemblés, et une photographe qui semble choisir ses angles de vue pour en "gonfler" l'ampleur ! Nous ne résistons pas à l'envie d'aller discuter avec un des organisateurs : dès le début du dialogue, il nous renvoie un discours très idéaliste et stéréotypé de sa perception de l'Europe. Au fil de la discussion, nous apprenons que la plupart des manifestants travaillent pour des ONG implantées en Géorgie et financées par ... l'ONU !
N'y a-t-il pas un paradoxe entre d'une part, nos médias (BFMTV, LCI, FRANCE24, RTBF,...) qui nous parlent sans cesse de l'influence russe (certes une part de réalité) dans ces divers pays de l'ex-URSS et, de l'autre, nos constats (lors de nos voyages dans ces nombreux pays) de la présence d'ONG financées par l'ONU ? Le cynisme géopolitique et ses instrumentalisations ne fonctionne-t-il pas de manière identique dans chaque "camp" ?