Retour sur une longue et particulièrement attendue étape de notre voyage, 1 240 km à travers la Patagonie Chilienne. Une région et des paysages qui constituaient quasiment à eux seuls notre envie de partir et découvrir ce magnifique pays qu'est le Chili (même s'il ne se résume évidemment pas qu'a cette région isolée).
Comme dans n'importe quel voyage certaines étapes inspirent et d'autres beaucoup moins, celle-ci fait très clairement partie de la 1ère catégorie. Du coup on a décidé de faire de cet article un récit plus complet, avec un peu d'histoire car c'était inévitable, quelques tips pour ceux qui ambitionnent de découvrir cette fameuse Carretera et enfin faire passer un message de la façon la moins chiante possible mais ça nous semblait pourtant nécessaire face à ce que l'on a pu voir et entendre une fois sur place. Car oui malheureusement la Patagonie n'attire pas que les amoureux de la nature et les photographes.
L'idée est la suivante: remonter en stop toute la Patagonie chilienne par la route la plus australe au monde. Rapide présentation de l'itinéraire:
Tout commence à Villa O'Higgins, début de l'aventure pour nous, fin du trip pour d'autres que nous croiserons sur la route.
Minuscule village perdu au milieu de nul part, le choix de l'hostal est vite fait car il n'en existe qu'un seul:
Excellent spot pour récupérer après le passage de la frontière argentine et véritable repère de cyclistes et bikers. Parcourir la Carretera en 🚴étant le délire le plus en vogue, il faut du temps et des jambes. Si vous avez les 2 à dispo on a vraiment eu le sentiment que l'aventure est assez dingue et les cyclos sont ultra bien accueillis tout au long du périple (on parle quand même de 1200 km). Beaucoup de couples croisés sur la route avec leurs vélos, la majorité font la route du nord vers le sud pour des raisons pratiques (traverser la frontière au sud avec le vélo relève de l'exploit). Soyons honnêtes bien que le challenge sportif puisse être motivant on en a quand même vu beaucoup dans le dur, entre les conditions météos de la région et les km à avaler ça n'est pas fait pour tout le monde. Les visages de certaines cyclistes laissent sous entendre que madame n'a pas choisi ses vacances.😆
De notre côté programme beaucoup plus cool, à base d'apéro au soleil, de footing histoire de décrasser les jambes et préparation des semaines à venir avec un amoureux de l'organisation rencontré lors de la traversée du lago O'Higgins. Les français sont partout vous le saviez déjà et encore plus en Patagonie. Super rencontre avec Victor, un lillois au top venant de l'ICAM et amateur de bière et de rugby: le mec a tout pour plaire sur le CV donc on décide de le prendre sous notre aile sans encore savoir que l'on passera les 4 prochaines semaines avec lui 👨👩👧
Après quelques recherches le plan évolue légèrement: on souhaite remonter jusqu’à Chaiten car on apprend qu'il est possible d'y prendre un bateau pour l’île de Chiloé (1 départ par semaine). On quitte El Mosco pour se rendre à notre premier stop: Caleta Tortel
En chemin vers ce village de pêcheurs atypique on commence déjà à en apprendre un peu + sur le projet démentiel qu'a représenté cette route. Pour faire rapide ce sont 10 ans de travaux, ordonnés par le général Pinochet qui souhaite unifier les chiliens en reliant la Patagonie à la seule grande ville de la région qui est Puerto Montt. Il en profitera pour donner son nom à la route dans un élan de modestie propre à tous les grands dictateurs de l'époque, dans un 1er temps du moins avant que les chiliens optent pour le nom plus soft et moins polémique de Carretera Austral. On referme la parenthèse histoire mais on verra plus tard que la création de cette route a eu un fort impact sur les mentalités des habitants de la région.Première traversé en ferry au niveau de Puerto Yungay, gracieusement opérée par l'armée chilienne ça fait plaisir après le racket en bande organisée que l'on a vécu en Patagonie argentine.
Arrivée à Caleta Tortel sous le soleil, tout le monde s'accorde à dire que le temps est exceptionnel pour la Patagonie dont le climat est normalement beaucoup plus proche de celui de l’Irlande (ou la Normandie au choix).
Le village est intégralement construit sur des passerelles en bois, ça en fait un lieu original et sympa pour y passer une après midi et y dormir mais n'y passez pas plus de temps. A part les passerelles qui sont clean la ville fait sale par endroit. Si vous comptez les jours l'arrêt n'a rien d'obligatoire donc zappez. Il parait qu'on peut camper sur la plage mais on ne l'a pas tenté, c'était crade et pas forcément safe.
Cochrane: Départ de Caleta Tortel après une nuit sur place donc, on se poste à la sortie du village pour faire du pouce comme dirait un québécois rencontré sur le chemin. C'est un énorme fail, 3h à attendre un chauffeur qui ne viendra jamais. Précisons quand même que Caleta Tortel ne se trouve pas directement sur la route mais constitue une virgule à l'ouest si vous souhaitez vous y rendre. A part cet épisode à Tortel on a vraiment des voitures systématiquement donc non la Patagonie ne vaut pas un bras (du moins pas sur les transports).
Au moins on avance sur nos bouquins c'est déjà ça et on trouve un plan de secours avec un mini bus qui fait la liaison en fin de journée vers Cochrane. On longe le Rio Baker avant d'arriver à Cochrane où l'on retrouve Victor qui est déjà sur place et qui a trouvé un spot pour camper dans le jardin d'un particulier. La ville n'a strictement rien à offrir mais possède 2 parcs: Reserva Tamango et Parque Patagonia. Loin d'être convaincus de l’intérêt de visiter les 2 on se décide sur la réserve gérée par la CONAF (organisme public en charge de tous les parcs au Chili). Quelques photos, une bonne journée de randonnée en combinant plusieurs circuits courts pour faire le tour de la réserve et une nuit de camping avec le parc pour nous tout seuls. Sensation vraiment agréable de marcher 4h sans croiser personne ... la différence avec d'autres parcs comme Torres del Paine est frappante.
Bien que la saison haute n'est pas encore débutée on a quand même du mal à comprendre l’absence de visiteurs. Sans trop rentrer dans les détails le parc situé juste à côté jouit d'une notoriété assez forte et n'appartient pas au gouvernement chilien mais à un personnage qui a marqué la Patagonie et dont le travail reste encore aujourd'hui très peu compris et accepté par les chiliens. Douglas Tompkins, patron de The North Face et amoureux de la région a progressivement racheté des centaines d'hectares pour en faire des parcs et réserves privées, les mettant ainsi à l'abri de l'impact humain. Grosse incompréhension de la part des chiliens qui voient d'un mauvais œil un gringo écolo illuminé acheter leurs terres et les priver de ce qu'il ont de plus cher et de leurs jobs par la même occasion. Plusieurs discussions plus tard avec des locaux me confirme que les chiliens vivent vraiment au jour le jour et manque cruellement de discernement quand le mec du village un peu plus grande gueule que les autres va leur raconter sa vision des faits autour d'un maté. En réalité Douglas Tompkins avait compris avant tout le monde qu'un pays comme le Chili était prêt à anéantir ses richesses dans sa quête de croissance pour ne plus être considéré comme un petit acteur du sud. Triste à dire mais un peuple fier comme les chiliens qui clame être amoureux de sa terre est très vite capable de déraper et s’asseoir sur ses principes quand une multinationale sort le portefeuille. Un nombre de projets incalculable sont déjà responsable de la déforestation de certaines régions et je dois reconnaître que le manque de reconnaissance auprès de grand monsieur m'a vraiment déçu.
Décédé en 2015 à Coyhaique (unes de nos futures étapes), Tompkins lègue quasiment l'intégralité des parcs qu'il possède à l'état chilien sous certaines conditions prouvant à tous ses détracteurs son amour du Chili. Superbe documentaire pour comprendre un peu mieux le personnage et ce qui le motivait:
Capillas de Marmol: Magnifique série de 4 stops consécutifs dans la journée pour rejoindre Puerto Rio Tranquilo. Le dernier restant le plus fun, une team de 2 chiliens et une brésilienne qui par chance organisent des camps de vacances pour les jeunes chiliens de Santiago venus découvrir à quoi ressemble une forêt millénaire et faire un tour de bateau sur un spot assez unique: les capillas de Marmol, formation rocheuse située sur le 2eme plus grand lac d'Amérique Latine (lago General Carrera). Probablement le stop le + touristique de ce mois en Patagonie sur lequel on passera 2h au milieu d'un lac bleu turquoise que l'on préfère explorer en kayak.
Cerro Castillo, un concurrent aux Torres del Paine ? Avec ses paysages accidentés et ses nombreux parcs le sud du Chili est évidemment un haut lieu de rando et de trekking. Bien que le W et ses fameuses Torres del Paine rafle haut la main la médaille du trek le plus populaire il existe plusieurs alternatives moins prisées et le Cerro Castillo en fait parti. Beaucoup plus difficile d'accès, le parc du Cerro propose une belle balade sur 4-5 jours (http://chilemochilero.cl/rutas/rutas-austral/cerro-castillo/) que nous n'avons pas tenté par manque de motivation général de se trimbaler un sac full pour 4 jours d'autonomie à base de nourriture lyophilisée. Faire du stop nous a donné l'occasion d'apprendre beaucoup sur le Chili, son histoire, ses coutumes et les coups de cœur des chiliens. C'est au cours d'un de ces trajets partagés que l'on a appris qu'il était également possible de se rendre face au Cerro Castillo en cheval sur une journée. Tous ultra motivés à la perspective de chevaucher au milieu du maquis chilien on a eu la chance de pouvoir poser nos tentes à Villa Cerro Castillo dans le ranch d'une famille chilienne et planifier tout ça avec eux. Gracias Cristobal 🏇, journée au top qui restera un beau souvenir.
Fin de journée placée sous le signe de la technicité, gros match amical 🇫🇷-🇨🇱 qui se solde sur un festival de buts de la part des bleus (Nico et Victor). Sur leurs chevaux rien à dire, ils ont ça dans le sang mais ce n'est pas encore ça avec le ⚽️
Coyhaique: Pause de quelques jours histoire de poser les mochilas. Capitale de la région c'est la 1ère véritable ville de ce mois en Patagonie et comme on s'y attendait c'est moche, la mentalité n'est pas la même et toutes les coutumes du sud se sont perdues au profit d'un style de vie très/trop influencé par les Etats Unis. Sur les conseils de l'excellent et gratuit guide Get South (dispo ici) on prend l'air à quelques km en dehors de Coyhaique en pleine forêt. Le petit kiff surprise sur place: inauguration du jacuzzi chauffé au feu de bois avant un énorme barbecue avec tous les occupants de l'hostel (patrons compris).
Parque Nacional Queulat: La Carretera Austral se modernise plus l'on remonte vers le nord et les travaux sur la route deviennent monnaie courante. Adios la piste en gravier, au delà du côté pratique du bitume car il permet de parcourir plus rapidement les bonnes distances qui séparent chaque village, ces travaux affectent le paysage et ça perd un peu de son charme.
Et pour nous c'est également synonyme d'une bonne galère pour accéder au parc qui est pourtant sur la route mais la circulation est alternée en milieu de journée #AnneHidalgo. Passage express dans le Parque Nacional Queulat qui faisait parti de notre top 3 lors de la préparation de notre voyage, quand nous étions encore à Paris. Un peu déçu de l'absence de sentiers longs de rando ne justifiant pas le fait de passer plus d'une journée dansle parc. Individuellement le coût de visite d'un parc n'a jamais tué personne mais quand tu commences à les enchaîner (et la région s'y prête particulièrement) ça peut représenter un budget que tu aurais préféré mettre dans un pack de 6 Escudo.
Comme vous pouvez le constater le mythe de la Patagonie qui coûterait un bras ça ne dépend que de vous et d'un peu de débrouillardise. Evidemment ça ne marchera pas à chaque fois mais ça ne coûte rien d'essayer 😉 On a même eu le temps de faire quelques photos de ce très beau parc à la végétation particulièrement tropicale ce qui tranche avec ce que l'on avait pu voir plus tôt.
Mention spéciale pour le Ventisquero Colgante, glacier suspendu entre 2 rochers ⤵️
La Junta: on touche au but, passage par le village de la Junta célèbre pour son monument commémoratif à ... Pinochet. Structure métallique immanquable "Carretera Augusto Pinochet", bonne leçon d'histoire par notre chauffeur qui n'a plus 20 ans et qui se fait un plaisir de nous raconter l'histoire du Chili sous la dictature militaire. Contre toute attente le bonhomme nous fait très clairement comprendre qu'il est pro-Pinochet, exprime sa nostalgie du Chili "d'avant"... bref 1h30 de discussion super intéressante avec un personnage d'une autre génération, sympathique, cultivé et défendant pourtant une vision du Chili et de la démocratie que je ne pensais pas rencontrer en venant ici. Je suis quand même un peu sur le cul en apprenant que de nombreux chiliens en Patagonie entretiennent un tel souvenir de ce dictateur qui a fait plus de mal que de bien au pays jusqu'en 1990. La torture et la liberté d'expression c'est du cosmétique, une bonne route pour relier le sud au reste du pays et tu laisses un souvenir impérissable ... On apprendra plus tard qu'après 20 ans de dictature, lors d'un référendum organisé en 1988 pour savoir si Pinochet doit rester ou dégager, 45% des chiliens ont quand même trouvé le moyen d’exprimer une opinion favorable envers le dictateur. Sujet beaucoup plus compliqué qu'il n'y parait... et qui peut vite devenir touchy en fonction de l'interlocuteur.
En plus de son intérêt économique, on prend tous les 2 conscience du caractère enrichissant de voyager en stop avec les locaux. En réalité ce sont les seuls qui te donneront une image fidèle du pays et qui te permettent de te forger une opinion sur de nombreux sujets.
Arrivée à Chaiten: Dernière étape de notre trip en Patagonie, ça fait quasiment 1 mois que l'on est sur la route. Le prochain bateau pour Chiloé part dans 3 jours ce qui nous laisse le temps de profiter du superbe Parque Pumalin, bijou et source d'une grande fierté de la part des chiliens. Quasiment aussi connu que Torres del Paine ce parc appartenait également à Douglas Tompkins avant qu'il l'offre au pays. Au programme, rando pour monter au volcan Chaiten qui est rentré en éruption en 2008 et nuit de camping sauvage sur la plage de rêve de Santa Barbara à quelques km de la ville. Après avoir regardé le documentaire dont on parle plus tôt on voulait particulièrement aller randonner sur le volcan Corcovado mais quelques recherches plus tard on fait une croix sur ce projet. Le volcan se trouve dans une réserve qui n'est pas encore ouverte au public et dont l'accès se fait uniquement par hélicoptère ou avec un bateau privé.
Dernière nuit avant de prendre le ferry, coup d’œil en direction du Corcovado que l'on peut voir de la fenêtre de l'auberge. On reviendra mon pote, ce n'est que partie remise 🌋