La Baja California. Ca faisait un moment qu'on en parlait de cette route.
Située sur le bras ouest du Mexique, cette parcelle de terre est imbriquée entre la mer Cortez et l'océan Pacifique. Un désert dit-on. Nous nous préparons à porter suffisamment d'eau et de nourriture pour tenir entre chaque pueblo.
Nous faisons l'inventaire de notre équipement et donnons tout ce qui n'est pas indispensable : une pompe, le jeu de cartes, la trousse à medicaments (inutile depuis le début), la couverture de survie, etc. Yohan, pris de frénésie, découpe toutes les étiquettes de mes affaires. Tout gramme est bon à gagner sur cette route exigeante.
Depuis Mazatlan, nous embarquons 12h dans un ferry peu confortable mais avec l'avantage d'être aux premières loges pour observer les dauphins. Sur les portes des toilettes est uniquement indiqué en français, "Ne pas se laver les pieds dans le lavabo". Il semblerait que notre réputation nous précède ;)
La Baja California est très riche. Et pour cause, de nombreux gringos (= green go = americains) y ont élu domicile. Aussi, elle fonctionne comme une île et presque tout y est importé. Ca n'arrange pas nos affaires, le cours du tacos a grimpé en flèche !
Nous nous dirigeons d'abord vers le cap pour en faire le tour. Nous suivons le bord de mer, ses villas gigantesque et terrains de golf au gazon verdoyant — outrageant pour ces sols blancs et arides. Les pancartes "Se vende" sur des parcelles vides se multiplient. Ce morceau de terre sera certainement méconnaissable d'ici quelques années.
Nous cheminons de crique en crique le long d'une côte encore sauvage. Le bruit des vagues, l'odeur marine et le bleu de l'eau me font trépigner d'excitation. C'est notre premier tronçon au bord de la mer depuis le début du périple et je dois avouer que ca m'avait manqué. Aussi, le poisson a enfin remplacé la carne asada. Ceviche, camarones, pulpo, tout est fraîchement pêché et degusté.
Sur ce nouveau terrain de jeu, les pueblos se font rares et nous devons calculer précisément la quantité d'eau et de vivres nécessaire sans trop alourdir nos montures (et sans mourir de soif) :
une première étape de 50 km sans eau que nous sous-estimons comme des bleus entre les lits de rivières extrêmement sableux et les chemins de crête. L'après-midi et la matinée sont très longues sous ce soleil de plomb. Heureusement, des ranchos nous permettent de se réhydrater sur les derniers bornes.
Ici l'eau est rare et elle se partage. Nous pouvons compter sur la générosité des mexicains pour remplir nos gourdes d'eau potable. Sur les chemins esseulés, les rares pick-up s'arrêtent pour s'assurer que nous allons bien.
Nous sommes à la mi-saison, entre l'hiver et l'été, période tardive pour se lancer dans la Baja Divide du fait de la chaleur. Nous modifions notre rythme pour pédaler plus tôt et siester le midi. Malgré tout, certains jours le soleil nous frappe le visage dès 7h30, ne nous laissant aucun répit et nous cuisons ! Ce n'est qu'à 17h que la température baisse enfin, jusqu'à la tombée de la nuit, c'est notre moment préféré de la journée. Nous bénissons les jours (ou les heures) nuageux.
Nous passons quelques jours paisibles dans la famille d'Artemisa à San José del Cabo, sur la pointe de la Baja. Los Cabos est la 2ème municipalité la plus riche du pays. Artemisa parle parfaitement français et l'a appris à ses enfants, maintenant bilingues. Le samedi matin, le marché bio et artisanal, avec ses food trucks et ses concerts, nous rappelle notre vie européenne. Le soir, nous allons festoyer à la feria locale. Artemisa est une ancienne cheffe cuisinière, pour le plus grand bonheur de nos papilles : pancakes, cheesecake, pastel azteca etc.
La plage de los Cabos est colonisée par les touristes blancs, allongés sur leur transat un verre à la main. Les seuls mexicains sont les serveurs et balayeurs. A quoi bon voyager si c'est pour rester dans l'entre-soi ? Je trouve ce spectacle désolant.
Après 4 jours de repos, la route nous appelle même si c'est toujours difficile de quitter un séjour aussi agréable.
Il nous arrive de faire du stop pour éviter des routes goudronnées et très empruntées. Nous attendons rarement longtemps, le Mexique est une terre fertile pour les autostoppeurs.
Entre Todos Santos — où il y a le fameux Hotel California des Eagles — et La Paz, nous rencontrons Naz. Tunisien qui a grandi au Canada, Naz est un entrepreneur à succès qui a posé ses valises et ses 1000 projets à La Paz, capitale de la Baja. Son immense 4x4 transporte déjà deux moutons et un autre mexicain, mais ça ne lui fait pas peur d'y ajouter nos bécanes. Comme il dit, il "ramasse" tout le monde. Nous passerons finalement la nuit dans son rancho en construction.
J'admire la manière d'être de Naz. Généreux et ouvert, il a une confiance naturelle dans les gens, qui le lui rendent bien. Ainsi il proposera spontanément au mexicain qui voyage jusqu'à Tijuana sans un sous, de travailler dans son rancho quelques jours pour payer son périple.
Je connais ma chance de voyager en tant que française. Ma nationalité m'ouvre de nombreuses frontières et n'est pas source de méfiance. Les locaux me viennent spontanément en aide et la police ne m'importune pas. Je ne suis pas une venezuelienne fuyant la répression. Si demain la situation politique ou économique de la France venait à changer, serais-je toujours aussi bien reçue ?
En outre, je suis jeune, blanche et pas trop laide, ce qui apparemment m'octroient encore plus de sympathie.
Néanmoins, cela peut aussi me jouer des tours. Un sourire de trop peut être mal interprété et je dois parfois m'astreindre à ne pas être trop avenante.
Les mexicains ne sont pas loin de recevoir la palme des habitants les plus accueillants et sympathiques que nous ayons pu rencontrer au cours de tous nos voyages. Pourtant, ils s'accordent à dire qu'ils se méfient les uns des autres, et que notre statut d'étranger nous dote d'une aura de bienveillance.
La Baja California Sur est une terre aride entourée d'eaux bleues. Nous empruntons des chemins isolés dont la surface est majoritairement blanche et sableuse. Nous traversons l'isthme, alternant entre la côte Pacifique et la mer Cortez. Ce n'est pas le chemin le plus direct jusqu'aux États-Unis, mais certainement le plus tranquille.
Sable, taule ondulée, cailloux, les routes nous éprouvent. Nous pédalons lentement et tâtonnons pour trouver les mètres les plus lisses et pédalables. Dans l'idéal, il nous aurait fallu des pneus en 3 pouces minimum, Yohan est en 2.8 et moi en 2.4. En clair, on rame et même Yohan finit par se réjouir des rares tronçons asphaltés. Véridique !
Les paysages nous rappelent la reserva de Tehuacan avec ses cactus immenses en haut desquels les vautours nous observent. Nous assistons à des spectacles vraiment époustouflants, pédalant le long d'une mer turquoise bordée de cactus, et au loin des géants de pierre.
Lorsque nous nous éloignons de la côte, c'est pour traverser des canyons dont les parois oscillent du pourpre au vert. Plus haut, nous côtoyons des plateaux rocailleux et sommes entourés de volcans éteints.
Une chaîne montagneuse traverse toute la Baja, et son sommet culmine à 3096m, mais nous resterons essentiellement entre 0 et 1500m. Déjà, nous avons l'impression de dominer toute la vallée.
La Baja abrite tout de même quelques rivières. Logées dans les gorges des montagnes, elles donnent naissance à des oasis. C'est dans ces eldorados verts que d'anciens villages de missionnaires se sont fondés. Le choc est brutal entre la monotonie du désert et l'apparition soudaine de dattiers, de verdure et même de fleurs qui ennivrent nos naseaux.
Nous croisons souvent des carcasses d'animaux ou des os proprement rongés par la faune. Le désert abrite beaucoup de vie animale, nous apercevons des cerfs, des écureuils, des lièvres, des crotals (qui se dorent la pilule en plein milieu du chemin), des balbuzards, des grands geocoucou (aka Bip-Bip) et des coyotes ! Hauts comme des renards, le mythe voudrait qu'ils soient de terrifiants mangeurs d'hommes. En réalité, ils nous fuient surtout, nous observent parfois de loin.
La région est aussi témoin de la migration des baleines. Nous aurons la chance d'en apercevoir une au loin alors que nous pédalons. Les ossements de ces cétacés sont exhibés par les locaux dans leur jardin et nous donnent une idée de leur taille monumentale.
Nous nous lançons dans plusieurs expéditions avec une autonomie de 2 à 4 jours. Nous portons alors jusqu'à 13L d'eau chacun et de quoi se remplir le gosier. Bref, les vélos deviennent des tanks très lourds pour nos jambes pourtant endurcies.
Le long du Pacifique, nous devons aussi faire face à un adversaire de taille : le vent, qui vient toujours du Nord Ouest. Voilà pourquoi personne ne fait la route dans notre sens !
Malgré une faible densité de population, nous enchaînons les belles rencontres.
D'abord à Ciudad Constitucion où un message envoyé sur le groupe whatsapp de la RAC (red de apoyo de ciclovajero de mexico) pour demander l'hospitalité quelques jours nous surprend ! En effet, je reçois une réponse positive de Hugo à ma bouteille à la mer lancée sans grand espoir. Une fois sur place, nous découvrons que Hugo est en fait Padre Hugo, le prêtre de la ville ! Cycliste lui aussi, il accueille les voyageurs dans les dortoirs vides annexés à l'église.
La maison est vivante entre les allées et venues des séminaristes, des habitants et amis qui viennent prendre le thé pour discuter ou préparer les événements saints. Padre Hugo nous amènera dîner chez sa sœur en présence d'amis, dont le futur président de la municipalité. Nous écouterons avidement ses projets pour la ville tout en sirotant un vin rouge local. Y a pire.
Pour atteindre San Juanico, petite ville de surfeurs au bord du Pacifique, nous couperons par une route tellement sableuse que nous devrons pousser les vélos sur une dizaine de kilomètres. Nous arriverons à 20h chez Matti. Famille italienne qui a enfin posé ses valises ici après des années à voyager et travailler dans diverses parties du monde.
Nous logeons dans une de leurs cabañas paradisiaques, prévue normalement à la location pendant la saison du surf. Matti nous cuisine un risotto et nous nous prêtons à imaginer nos futurs périples inspirés par ce baroudeur.
Depuis San Juanico, nous remontons la côte Pacifique. Le vent puissant empêche toute végétation. Nous traversons des espaces complètement vides où l'eau s'est retirée, laissant sur son passage une croute de sel qui craque sous nos pneus. Des petits salars qui prennent parfois une teinte rose.
Progressivement, nous nous enfonçons dans les terres et sa chaîne montagneuse pour rejoindre à nouveau la mer Cortez.
En haut du dernier col : les montagnes rocheuses recouvertes de cactés qui tirent sur le mauve en fin de journée et au loin la mer Cortez, notre objectif.
Le 3ème jour, nous arrivons à Bahia San Rafael où une petite communauté de pêcheurs organisée en coopérative s'est installée.
Tout de suite, Juan nous prend sous son aile. Il nous offre de l'eau et nous propose de manger du poulpe ce soir. Nous pensions qu'il n'y aurait rien ici et que ce serait encore pâtes. On ne se fait pas prier. Nous discutons avec la petite dizaine de pêcheurs qui sont là 4 mois dans l'année. Vivants dans des cabanes construites sur la côte face à la mer, la vie est plutôt douce. A l'aube, ils pêchent depuis leurs lanchas. Le midi, déjeuner collectif. L'après-midi, ça sieste puis chacun vaque à ses occupations de bricolage ou de tissage de hamac.
Le lendemain matin, alors que je souhaite faire un plouf dans la mer, je marche sur une raie pastenague qui m'enfonce sa queue dardée dans le pied.
La douleur est vive. Les pêcheurs le savent bien et s'occupent de ma blessure. Ici il n'y a rien et ils connaissent tous les premiers secours. Ils aiment s'appeler los piratas. Eau brûlante pour soulager, sève de Lomboi pour la cicatrisation et cataplasme d'aloe vera pour aspirer le venin. Pause forcée, nous resterons la journée à profiter des hamacs au bord de l'eau et à manger du poisson frais en papotant avec nos nouveaux copains.
L'arrivée à Bahia de los Angeles est magique. La côte se dévoile avec sa quinzaine d'îles et notre route fait face à une imposante montagne rouge.
Bahia de los Angeles était encore vierge il y a 25 ans nous racontent les locaux. Après 9 jours sans douche ni río, nous trouvons une tienda qui loue la douche froide 1,20€. Nickel c'est dans notre budget ! Pendant que Yohan se déleste de sa couche de crasse, un vieux monsieur m'aborde. Yves est un suisso-mexicain, il a vécu à Paris quelques années et est ravi de pouvoir pratiquer à nouveau son français. 91 ans et le regard pétillant, nous sympathisons vite. Son ami, John, un américain qui a une maison magnifique sur la plage, nous propose de dormir chez lui. John est un reporter photo retraité qui a notamment passé un an sur un bateau Sea Sheperd. La classe.
Sa maison avoisine celle d'un autre américain qui a jugé bon d'afficher partout son soutien à Trump. Curieuse chose que de soutenir un tel homme tout en s'installant au Mexique...
John et Yves habitent tout deux à San Diego et nous ont invité chez eux à notre arrivée aux États-Unis. Les belles rencontres tiennent vraiment à pas grand chose.
Lors d'une traversée de 4 jours en autonomie, nous pensons avoir trouvé un raccourci sur la fin. Nous nous lançons tête baissée, rêvant d'un ceviche et d'un gros soda frais à midi pour célébrer notre étape.
Nous ne sommes qu'à 6km à vol d'oiseau de Cataviña mais la route sent de plus en plus mauvais : nous nous sommes enfoncés dans un lit de rivière trop sableux pour pédaler et les traces de Jeep s'effacent progressivement. Nous n'apercevons pas de chemin qui se détacherait des collines qui nous encerclent. Revenir en arrière et remonter toute la pente sableuse n'est pas pensable et nous nous obstinons à pousser, espérant une échappée derrière chaque courbe.
Après une heure ou deux, des palmiers nous indiquent qu'il y a une source. Les gourdes pleines, je n'ai plus aucun problème à me perdre encore quelques heures.
Petit à petit, les collines s'affaissent et des déchets marquent la présence d'humains (tristement). À 16h nous arrivons enfin à Cataviña. Pour un raccourci, c'est râpé !
Le nord de la Baja California affiche une autre allure. Le sable laisse place à une terre ocre et les cactus aux arbres. Les paysages sont verts et l'arrivée du printemps annonce les premières fleurs. C'est arrivé brutalement, au détour d'un chemin que nous souhaitions explorer. Comme l'impression d'être dans Voyage au centre de la terre. La route nous fait gagner de la hauteur et nous avons même froid le soir !
2300 kms au compteur sur la Baja California, notre tracé est disponible ici
Nous arrivons sur la fin du Mexique après avoir arpenté pendant quatre mois un millième de ce que le pays a à offrir. Nous avons adoré le Mexique et la chaleur de ses habitants.
Nous sommes maintenant très excités à l'idée de passer une nouvelle frontière et de découvrir les États-Unis !
Crédit photo Yohan aka Grinfinch