Carnet de voyage

Guatemala - US sur le dos de Coyote

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Dernière étape postée il y a 43 jours
Par brunec
Du Guatemala aux Etats-Unis à vélo. Surly Bridge Club aka Coyote, mon partenaire de danse. En selle !
Décembre 2023
1 jour
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Voilà déjà 10 jours que j'ai survolé l'Atlantique accompagné de mon fidèle destrier, Coyote, pour rejoindre le Guatemala. Après une escale dans le tentaculaire aéroport de Madrid, celui du Guatemala avec une seule entrée/sortie est bien moins effrayant. — M'est alors survenu une question subsidiaire sur le besoin réel derrière la construction de nouveaux aéroports en France.

Suite à de précédents voyages je m'étais préparée à l'interrogatoire habituel : "où dormez vous ?", "avez vous un billet de retour ? " etc.

A la place, j'ai été accueilli d'un joyeux "Welcome to Guatemala" et en un coup de tampon je rentrais dans le pays. Dernier soulagement lorsque le carton gigantesque avec Coyote demonté dedans finit par apparaître sur le tapis roulant. Yohan, qui voyage déjà depuis plusieurs mois m'attend, nous remontons ni une ni deux mon vélo, sur une ambiance cumbia dans l'aéroport, on y est !

Guatemala City est une ville assez surprenante du peu que j'ai pu en voir. Des larges avenues et mall proprets (souvent gardés par un vigil avec un fusil à pompe) donnent des allures de ville trop clean. Heureusement nous découvrons au détour d'une rue les immenses marchés couverts. Un labyrinthe de chemins où les guirlandes de Noël côtoient les étals de fruits, épices ou poissons. Difficile de ne pas se perdre dans ce géant bric à brac couvert du sol au plafond de choses à regarder (et à manger). On y trouve aussi des comedor où il suffit de s'installer à une table pour y déguster des pollos asados, tacos, almuerzos ou ceviches, toujours accompagnés des tortillas de trigo, dans une ambiance authentique.

Chaque village a son marché, idéal pour faire nos emplettes et goûter aux mets locaux 

Après 2 jours de repos, nous filons vers Antigua Guatemala, à une petite quarantaine de kilomètres de la capitale, charmant village entouré de volcans.

Premier défi : sortir de la capitale et je reconnais être bousculée par ces grandes avenues sous le soleil brûlant (oui il fait chaud ici), à slalomer entre les voitures et les nuages de pollution. Néanmoins, nous sommes chanceux et les automobilistes font plutôt attentions à nous. Sur la route au loin, nous pouvons apprécier le magnifique volcan El Fuego, encore en activité, qui crache régulièrement un nuage de fumée.


A Antigua Guatemala, nous finissons notre équipement, arpentons les petites ruelles pavées de la ville colorée et bien sûr, passons beaucoup de temps dans l'immense marché ! Les odeurs, les couleurs, le bruit, je suis charmée par ce bordel organisé dans lequel on y trouve tout ce que l'on veut, à condition de négocier un petit peu ;) J'ai beau avoir un bon niveau d'espagnol, il faut que j'habitue mon oreille à un nouvel accent et à un nouveau vocabulaire. Tout comme les fruits, légumes ou repas qu'on nous propose, je ne suis jamais certaine de ce qui va arriver dans mon assiette !


Après 2 petits jours à Antigua, il est temps de prendre la route pour les volcans Acatenango et El Fuego (encore en activité). Hauts lieux du Guatemala, la randonnée du Acatenango culmine à 4000 mètres avec généralement un bivouac à 3700 mètres. Elle permet d'apprécier la vue del Fuego en face et ses grondements. Nous partons tard et la route grimpe beaucoup, avant d'arriver au "camping" de Miratenango où nous laissons nos vélos —merci à la gentillesse de nos hôtes. Nous commençons à marcher à 16h, il nous reste deux heures de jour à peine, mais no pasa nada. Au moins, nous sommes seuls sur ces sentiers d'habitude très empruntés des touristes et guides. Nous grimpons les 1200m de D+ en 3h30, arrivant de nuit et dans le froid glacial. Là haut, les tours proposent des campements tout faits pour les nubies, mais nous sommes bien équipés et nos sacs de couchage nous protègent du froid. C'est un premier bivouac qui claque en ce début de voyage !


Virée à Acatenango

Lever vers 6h pour admirer la vue sur le Fuego qui s'échappe enfin des nuages. Nous continuons à monter sur le sommet à 4000, nous sommes dans les nuages et le vent souffle. Nous redescendons par l'autre versant, appréciant des nouvelles couleurs et des chemins sableux. Sur la fin, nous retrouvons la jungle et croisons de très nombreux groupes accompagnés de guides et sherpas pour porter leurs affaires, ce qui nous questionne beaucoup sur ce tourisme consumériste.


Après Acatenango, nous nous lançons dans du sérieux. Des sentiers sableux, nous plongeons dans des vallons le long des rivières, pour remonter dans les hauteurs ou côtoyer des paysages de jungle. Dans le parque regional Astillero de Tecpan, nous grimpons à 3000 mètres mais la végétation reste très dense et verte. Enfin, la descente sur les sentiers cabossés et boueux sera un vrai régal, je ne suis pas mécontente de mes gros pneus et fonce à toute allure.


Après l'effort, le réconfort

De nombreuses pistes de forêts, des chemins caillouteux ou sableux le long des rivières (à les traverser très régulièrement) et des singletracks énervés où il faut accepter de pousser son vélo. Ici le 15% de dénivelé est habituel, ça change de ce que je connaissais jusque là, et je me dis qu'il faut que je me refasse un cardio face à Yohan qui est dans son élément !


Nous traversons des zones très rurales où peu de "gringos" semblent passer dans les parages. Les enfants nous tournent autour, on nous salue souvent et les visages sont typiques des natifs ici. Pour le moment, les guatemaltèques sont accueillants et viennent discuter avec nous dès qu'ils peuvent. Merci à Wilfriedo pour sa buena onda et les fous rires alors que nous venions de passer un sentier difficile, il m'a remontée à bloc avant les derniers kilomètres !

Traversée par le lac Atitlán !

Noël est une fête importante ici. Nous passons devant de nombreux stands de guirlandes, les crèches géantes ont la côte et les rues chantent continuellement "Feliz navidad" — rien n'est jamais trop kitsch. Aussi, la religion occupe une place très importante, chaque village est doté de son église évangélique et les murs des maisons nous font comprendre que nos âmes seront damnées si nous ne sommes pas croyants.


Jesus el salvador, Défilé de tuktuk de Noël, bananes frits, pupusas férocement gardés dans notre casier, dodo chez l'habitant


Le corps tire mais la tête est enchantée par ces journées riches, entre le matin et le soir il y a un monde !


Nous sommes actuellement en pause à Quetzaltenango aka Xela, chez Ana, une warmshower à la maison incroyable qui nous accueille le temps de recharger les batteries (et prendre une douche accessoirement). Ana parle 6 langues couramment et a vécu 1000 vies. Un autre warmshower, Piña, a traversé plus de 90 pays à vélo et nous fait passer pour des voyageurs en couche culotte 😉


En vrac :

212 kms roulés et poussés (ouais je sais c'est pas beaucoup mais je vous jure c'était rude)

Premier 4000 atteint pour bibi

10L de soda avalés facile

Les pupussas sont nos amis




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Le Guatemala a continué à nous offrir de belles surprises. Yohan pensait que nous traverserions le pays en moins d'une semaine. Finalement, nous y sommes restés presque trois, ensorcelés par les petites routes et les montagnes du pays.


Nous avons passé 2 jours et 3 nuits dans l'oasis d'Ana, une warmshower, à Quetzaltenango. Dégustation des spécialités locales et joyeuses soirées à échanger avec elle et les autres voyageurs sur place. Nous espérons notamment faire un bout de chemin avec Piña, ce fameux tchèque qui pédale 6 mois par an et avec qui nous avons tout de suite accroché. Vous savez ce genre de personne, avec qui, dès les premières minutes, vous sentez les atomes crochus.


Les au revoirs avec Ana et Piña

Notre route visait los Cuchumatanes, un plateau parmi les plus hauts du Guatemala, souvent apparenté au Pérou pour ses paysages. Nous n'avons pas été déçus. Mais cela se mérite. Nous nous sommes enfoncés dans des chemins de terre pentus où il a fallu souvent pousser le vélo, la sueur au front. Nous sommes restés à une altitude située entre 2500 et 3400m tout du long. Au fur et à mesure des kilomètres avalés, les paysages changent : plus sec d'abord, plus pauvre aussi, et pourvus seulement de quelques tiendas précaires pour nous sustenter des mets les plus fins : sodas, chips, oreo. Miam.

Nous traversons des villages installés sur les crêtes, jouissant d'une vue imprenable sur la vallée et environnés de montagnes géantes. Ceux-ci ne sont accessibles que par de simples routes de terre. Il n'est pas rare que nous nous levions au dessus d'une mer de nuages. Nous nous sentons alors pousser des ailes dans ce cadre grandiose.


Le 24 décembre, nous arrivons enfin sur le haut du plateau à plus de 3300 d'altitude, après 2 jours de pente durant. Nous nous régalons de pédaler enfin sur du plat, les yeux grands ouverts devant les paysages qui s'offrent à nous. Des steppes à la végétation verte dorée, des roches affleurantes que l'on voudrait grimper et un ciel bleu tranchant. Nous pédalons longuement sur ces pistes hors du monde et croisons quelques petits villages esseulés. Les visages ont les pommettes rosies par le soleil et le vent, et on continue de nous accoster joyeusement.

Difficile de trouver ne serait-ce qu'une bière dans ces hameaux d'altitude. Les populations n'en vendent pas et organisent même des patrouilles le soir pour éviter la délinquance. Nous supposons que certaines communautés ont dû souffrir des ravages de l'alcool et ont préféré l'eradiquer du quotidien. Nous sommes un peu déçus sur le moment de ne pas pouvoir égayer notre repas de Noël, bien qu'au fond nous préférons ça plutôt que de croiser des locaux alcoolisés et imprévisibles.

Nous jetons la tente dans une grande steppe encastrée par des falaises sombres. Nous sommes complètement seuls dans ce lieu époustouflant. Un ciel dégagé en prime, la lune nous éclaire. Comme repas de fête ce sera Doritos au fromage en entrée, pâtes à la sauce tomate en plat principal et chocolat chaud maison en dessert. Feliz Navidad :)


Dans les steppes des Cuchumatanes

Nous quittons ces hauts plateaux le lendemain lors d'une très longue descente de près de 1300m. La route longe le vide et découvre des montagnes sauvages au milieu d'une brume inquiétante. J'ai l'impression d'être dans les Montagnes Hallucinées.


Pour parler un peu de notre rythme, le réveil sonne généralement vers 6h. Mais le temps d'émerger, de prendre le petit dej (un bol de muesli avec quelques fruits secs et une banane) et de plier les affaires, nous avons du mal à décoller avant 8h. Nous faisons régulièrement des pauses devant des tiendas pour recharger notre corps en sucre. Les journées passent vite puisque la nuit tombe à 18h et nous devons avoir trouvé un terrain plat et isolé avant l'heure fatidique. Installation du campement et préparation du dîner au réchaud. Étirements. Ecriture. Lecture. Je peine à garder les yeux ouverts après 21h. Avant de recommencer dès le lendemain, notre routine de voyage.


Au cours d'une journée, les températures jouent à l'élastique : à l'affût de l'ombre dans les montées ensoleillées, il faut vite se couvrir à partir du milieu d'après midi, en particulier dans les descentes où le vent glace les os. Plusieurs fois, nous nous sommes réveillés dans une tente durcie par le gel — gants de ski alors nécessaires pour ne pas perdre ses doigts.



Les guatemaltèques nous ont offert un bel accueil. Un soir, alors qu'on trouvait l'ambiance un peu lourde, une famille voisine a bien détrompé nos préjugés. Inquiets que nous mourrions de froid et de faim, ils nous ont apportés des bonnes tortillas de légumes/poulet ainsi que deux grandes tasses de café chauds. En vérité nous venions de finir de manger, mais ce genre de cadeaux ne se refuse pas et nous avons tout avalé sans honte !

Un peu plus tard, alors que nous étions déjà au fond de nos sacs de couchage, la femme est revenue pour nous proposer des couettes.

Après notre escapade dans la solitude des steppes, nous jetons notre devolu sur un petit restaurant qui ne paye pas de mine à l'entrée de San Juan de Ixicoy. BINGO. Julio et sa femme Candelia, les propriétaires des lieux, nous accueillent à bras ouverts et nous aident même à monter les vélos à l'intérieur, au 1er étage de l'immeuble. Julio est également cycliste et discute longuement avec nous des routes à prendre. Nous profitons d'un déjeuner copieux au cours duquel ils nous font goûter les spécialités de Noël : le Punche (une sorte de jus chaud à l'ananas) et les tamales (du riz épicé farci au poulet, enroulé dans des feuilles de bananier). Ils nous en offriront d'autres que nous degusterons pour notre dîner.

Le soir, alors que nous depassions une ville mais que la route de montagne ne semblait pas offrir de bivouac adéquat, Yohan flaire un hôtel bien kitsch où il pense que nous pouvons quémander l'hospitalité. De mon plus bel espagnol, j'obtiens un accès à la douche (nécessaire) pour quelques quetzals et nous avons le droit de planter la tente comme des shlags sur le parking. Quelques heures plus tard, alors que nous commençons à nous endormir, la tente est aveuglée par les phares d'une voiture et une voix nous interpelle "hello my friends". C'est en fait le propriétaire de l'hôtel qui vient d'arriver, cigare au bec et grosses bagues aux doigts. Après une discussion joyeuse, il nous propose une chambre dans son hôtel, gratuitement. Ni une ni deux, nous plions notre campement et les chaussettes qui sèchent sur le parking pour profiter d'un lit douillet.

Au Guatemala, près d'une vingtaine de dialectes cohabitent et sont courremment parlés par les locaux. Le castillan est généralement la 2nd langue. Un vieux monsieur a essayé une fois de nous apprendre quelques mots du Quiche. Peine perdue puisque dès la communauté voisine on parlait l'Aguateco.


Nous entrons victorieusement au Mexique en passant par la frontière pédestre de Gracias à Dios. Deux petites maisons font office de bureau d'immigration et nous obtenons un droit d'entrée de 180jours dans le pays, et ce sans aucune négociation. Merveilleux. Nous arrivons vite aux Lagunes de Montebello, parc national qui abrite de nombreux lacs. Nous prenons le temps de grimper à pieds dans les hauteurs et profiter de la vue sur ces étendues bleues et les petits îlots qui les composent.

Nous passons le nouvel an chez Zane, un américain exilé à San Cristobal de Las Casas, où nous avons retrouvé Mathilde pour continuer le voyage ensemble.

Je suis très excitée par la suite du Mexique. Pour l'instant la nourriture est bonne, rien n'est cher et surtout les mexicains rencontrés sont tous très gentils et avenants !



P.s. crédit photo réflexe Yohan aka @grinfinch sur les réseaux

San Cristobal de las Casas
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Publié le 23 janvier 2024

Pour cette 1ere étape mexicaine, nous avons traversé 3 états : Le Chiapas, Veracruz et Oaxaca.

Nous avons fêté glorieusement la nouvelle année à San Cristobal de las Casas chez notre hôte Zane. Depuis sa terrasse qui trône sur la ville, nous avons pu profiter des feux d'artifice qui explosaient partout à minuit. Ici, chacun peut lancer des feux d'artifice comme il l'entend, sans autorisation de la ville. Bien que conscients du désastre pour la faune, nous étions scotchés devant ses lumières jetées dans le ciel, éparpillées partout à l'horizon.


Au Chiapas, notre route a traversé le canyon de Sumidero, où paraît-il des crocos rôdent. Puis le Rio gigantesque de Grijalva.

Nous passons par l'isthme mexicain, chutant très (trop) bas en altitude. Dans l'Etat de Veracruz, nous tombons à 20m d'altitude, nous jetant alors dans la gueule de la jungle humide. Dès lors, la sueur qui colle à la peau a été notre compagne de route. Assommés par la chaleur, une glace ou un refresco à chaque pueblo étaient nos seules portes de salut. Les dernières heures de la journée sous la golden hour sont alors les plus agréables sur nos sentiers de terre.



Dans ce climat tropical, les moustiques, bichos et autres vermines sont omniprésentes. Un matin, nous nous réveillions avec des rangées de boutons sur le corps. Des heures de paranoïa plus tard (—et si on avait des punaises de lit ?), nous découvrons des petites bestioles accrochés à nos peaux. D'un millimètre de long, les "pinolillos" ne sont pas dangereux, mais pullulent partout dans la région. Chaque matin et chaque soir, nous sommes forcés de nous ausculter chacun, parfois dans les zones les plus intimes, pour en retrouver jusqu'à une cinquantaine, en train de croquer nos peaux.


Malgré tout, la jungle offre aussi son lot de plaisirs : la végétation est flamboyante, les troncs d'arbres sont massifs et abritent de nombreuses lianes. Les bananiers et arbres à papaye pullulent et nous apercevons un nombre incalculable d'oiseaux aux ailes colorées.


Nos coups de pédale nous ont fait traversé des paysages très distincts. Nous avons quitté progressivement la forêt tropicale, grimpant dans des massifs de moyenne à haute altitude. Dans l'Etat de Oaxaca, nous roulons de village de crête en village de crête. C'est un bonheur de retrouver un océan de montagnes bleutées autour de nous.

Une descente de 1200m nous fait d'abord traverser une forêt de pins et des arbres aux couleurs d'automne, avant de dévoiler la vallée aride d'Oaxaca. Nous sommes soudainement entourés de champs d'agave (pour le mezcal), de cactus géants et d'herbes dorées. Même si la chaleur sèche s'annonce intense, je suis ravie de ces nouveaux paysages digne de western.

Sur notre route, nous avons croisé divers peuples indigènes, chacun avec son dialecte dont le zapotec et le mije (qui varie entre le bajo, medio, alto).

Dès que possible, nous nous échappons des routes pour privilégier les petits chemins. A la sortie de San Pedro de Acatlan, nous nous lançons sur un single track dont la carte n'annonce pas de sortie. Le jeu en vaut la chandelle et nous nous régalons sur ce chemin de crête avant d'aborder la descente cabossée jusqu'à la rivière. Là, un drôle de pont avec quelques planches de bois et des fils de fer nous permettent de traverser la riviere.

La montée est moins drôle pour moi, les "hike a bike" sont épuisants pour mes petits bras. Mes compagnons de voyage, solidaires, m'aident dans ces moments en portant mon eau ou en poussant sur les pentes les plus ardues.

Bingo, le sentier débouchait bien sur le prochain village.

A Comotlan, nous prenons le même risque. Nous souhaitons prendre une route de terre plutôt que la route goudronnée, malgré les avertissements des locaux comme quoi la route serait fermée. Quand nous les questionnons, les réponses sont floues et nous finissons par comprendre que plus personne n'emprunte ce chemin et qu'ils ne savent pas très bien à quoi il ressemble.

C'est une journée où la brume et la fine pluie ne nous lâchent pas. Nous ne voyons pas à 10m et roulons doucement dans les descentes, ne sachant pas si nous allons tomber dans un ravin.

Sur cette route, abandonnée depuis plusieurs années, la végétation a pris possession des infrastructures humaines. Nous roulons dans une ambiance fin de monde. Complètement seuls. Nous dépassons finalement un éboulement de pierres et de sables. Rien qui n'empêche nos bécanes d'avancer.

Pour la pause touristique, nous sommes allés faire un tour aux fameuses Hierve el Agua. Une zone géologique avec des bassins clairs et des cascades de calcaire pétrifiées, qui dominent sur ces montagnes arides. Arrivés tôt le matin, nous avons pu inaugurer les bassins seuls avant d'être envahies par la foule :)

Nous pouvons compter sur la générosité des mexicains. A Veracuz, trempés de sueur dès 9h du matin, nous rêvons d'une douche chaque soir. Au départ, nous utilisons 1000 détours pour obtenir un robinet afin de nous rincer. Finalement, poser la question directement est tout aussi efficace puisque tout le monde —même une petite tienda de village— nous offre volontiers leur salle de bain (je précise que c'est simplement un robinet avec une bassine mais on en était très heureux). De même, si nous arrivons tard dans un village, il suffit de demander aux responsables del municipio un endroit tranquille pour camper : un cour, un bâtiment abandonné, un terrain de foot...

A Tepuxtepec, Mathilde et moi se retrouvons dans une pièce avec 20 policiers assis pour écouter notre demande avant que le grand chef nous indique un bâtiment municipal vide et les sanitarios publicos (douche froide gratuite à 2000m d'altitude, on dit jamais non).


Les responsables des pueblos sont généralement des groupes de citoyens élus démocratiquement au vote à mains levées, pour une année. Ils gèrent alors les affaires du village, l'organisation des fêtes locales ou la sécurité. Beaucoup des villages que nous croisons imposent encore un couvre-feu et nous disent de nous méfier des habitants des villages voisins. Pourtant, dans le fameux village voisin, une atmosphère paisible règne et nous sommes à chaque fois bien accueillis. Réflexe humain malheureux, il faut croire, de craindre systématiquement les peuples voisins.


Quand nous pensons avoir déjà reçu tellement des mexicains, ceux-ci continuent de nous bluffer par leur gentillesse. Alors que nous mourrons de chaud, Erica dans sa tienda nous offre des glaces à la noix de coco et 3L d'eau glacée. Après une ascension difficile à pousser le vélo, une vieille dame nous regarde ahurie et nous offre des fruits de son jardin. Sur la route, des passants ou des motards partagent avec nous un refresco.

A Juquila Mixes, nous nous goinfrons de tacos, tortas et autres mets locaux comme des bons cyclistes affamés, jusqu'à que Rigoberto, le cuisinier, nous dise que tout est offert. A cela, il ajoute 1kg de café et 1kg de graines de courges fraîchement toastés, rien que pour nous.

Un soir, sur une route de montagne goudronnée et à la recherche d'un lieu plat, nous croisons une maison avec un gazon douillet. Nous ne pouvons pas laisser passer cette chance. A l'entrée de la maison, nous entendons des rires, c'est généralement bon signe. La famille d'Acelduma nous invite finalement à dîner et à petit déjeuner et nous passons une très joyeuse soirée avec cette grande famille qui semble très soudée.

Déjeuner sous le porche, Érica et ses glaces coco, séchage de grains de café, famille d'Acelduma, famille de Rigoberto

Après 10jours de vélo d'affilés, nous cherchons un lieu pour nous reposer. Nous arrivons à San Juan de Mazatlan, supposément le plus grand village du massif que nous traversons. Nous imaginons un lit douillet dans un hostel, une laverie et du Wi-Fi gratuit. Il n'y aura rien de tout ça. Mais le municipio nous ouvre un bâtiment social abandonné, sorte d'urbex, où nous serons tranquilles avec une vue magnifique sur la montagne. Dès notre arrivée, nous sommes invités à participer à la fête du village. Celle-ci dure neuf jours !

Vendredi soir, c'est la soirée dansante et nous faisons au mieux pour suivre les pas de cumbia de nos partenaires de danse. Au moment de filer, trois jeunes filles nous attrapent en vol et nous invitent pour une dernière danse. Bons joueurs, nous acceptons. Le groupe de musique est chaud et nous pousse jusqu'à l'épuisement. Le morceau durera plus de 30 minutes ! 30 minutes à danser, à s'observer du coin de l'œil et à se retenir du rire pendant que le chanteur lance des "no paramooos para los gringoooos". Enfin, nous parvenons à nous échapper à minuit, malgré les plaintes de certains locaux éméchés qui voudraient encore nous inviter.



Pause à San Juan de Mazatlan

Pour nous occuper lors des routes ennuyeuses ou au contraire nous donner du courage lors des montées ardues, nous lançons en même temps le même album de musique et chantons en chœur. Jusqu'ici nous avons choisi des classiques : Kyo, le best of de Mylene Farmer, Saez. Je vous laisse deviner quel album j'ai proposé ;)


Comme à notre habitude, nous savons apprécier les saveurs locales. Comme le Mole, une sauce aux 1000 épices, parmi elles : de la cacahuete, du cacao, du piment, des raisins secs. Délicieux.


Bon appétit !

Nous sommes à Oaxaca pour reposer les muscles dans une sorte de squat d'artistes dans la campagne alentour.

Nous avons décidé de changer un peu notre trace, afin de rejoindre le volcan de Citlaltepetl, plus haut sommet mexicain et 3ème d'Amérique du Nord. Ça promet.


Dans l'ordre, Paramo, Bagarre et Coyote.

Crédit photo reflex Yohan aka Grinfinch

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Publié le 16 février 2024

A vol d'oiseau, la distance entre les villes de Oaxaca et Puebla n'est pas si grande. Mais la région est si riche de coins à explorer que nous allons nous y perdre pendant 3 semaines.


Notre première étape vise la cascade de Santiago Apoala, au nord d'Oaxaca. Pour y arriver, nous suivons une ancienne voie de chemin de fer avant d'emprunter des routes à la terre rouge et jonchées de grosses pierres. Quand la vue se dégage, nous apercevons au loin le volcan d'Orizaba que nous visons par la suite.

Nous empruntons quelques singletracks jusque dans la vallée d'Apoala, flanquée au milieu de falaises abruptes. A notre arrivée, les rayons de fin de journée s'échouent sur celles-ci.

Haute d'une quinzaine de mètres, la cascade d'Apoala est cachée dans une cavité de la falaise et tombe dans des bassins cristallins. Comme à Hierve el Agua, les sédiments déposés au fil du temps ont créé des formations colorées autours de la cascade. L'eau est très froide.

Pas le choix, nous lavons nos corps et nos vêtements comme des shlags au milieu de touristes qui viennent photographier le lieu.


Dans la vallée se cachent également un canyon et une grotte, qui semblent méconnus des visiteurs. Nous nous faufilons dans le canyon en suivant un sentier oublié, longeant un ruisseau, où nous devons sauter de pierre en pierre.

Les falaises sont majestueuses.

Enfin, nous finissons notre tour en explorant la grotte. L'entrée est libre, des casques sont posés devant et il n'y a pas plus d'infrastructures. C'est impressionnant de se retrouver dans cet environnement sombre et silencieux où les chauve souris tournent au dessus de nos têtes.

Au sortir de Santiago d'Apoala, nous grimpons dans un massif avant d'entrer dans la réserve de Cuitaclan. Nous côtoyons une "forêt enchantée". Des arbres tombent de longs feuillages gris blancs. C'est comme si la forêt avait dormi pendant des années et que la poussière l'avait envahie.

Nous plantons la tente au cœur de cette forêt surélevée. En effet, derrière les feuillages, nous pouvons apprécier la vue sur les montagnes et le coucher du soleil. La belle surprise quand on cherche un spot toilettes et qu'on découvre une vue inattendue !

La descente du col nous fait chuter de 2000m. Nous revoilà à 500m d'altitude sous la grosse chaleur et les moustiques. C'est à mon tour de me faire dévorer. Je compte une trentaine de piqûres sur chaque jambe.

Un villageois qui nous laisse camper dans son champs, nous offre une machette et nous explique comment tuer un serpent avec celle-ci. Le lendemain, nous regretterons presque de ne pas avoir accepté lorsque nous croiserons un gros serpent sur notre route !

A partir de la réserve de Cuitaclan, nous entrons dans un environnement hostile pour nos équipements. La végétation est très sèche et nous allons croiser de nombreuses espèces de cactés. Certains sont hauts de plusieurs mètres et ont un large tronc comme pied. Apparemment, ils grandiraient d'un centimètre par an, ce qui ferait d'eux des arbres plusieurs fois centenaires. Nous y verrons aussi des arbres entièrement verts. Un seul point commun à cette végétation : ces épines plus ou moins larges qui lacèrent nos peaux et pincent nos pneus..

Objectif : ne pas percer notre matériel. Bon'chance.

Les chemins en balcon que nous empruntons offrent une vue imprenable sur les montagnes : des canyons rouges, des massifs striées par les roches blanches et des champs de cactus verts hauts de plusieurs mètres. Les falaises alternent parfois avec des nuances ocres. Et le ciel bleu, tranchant l'aridité ambiante. Je suis particulièrement sensible aux couleurs et aux contrastes de ces paysages.

La blue hour reste mon moment préféré, quand les tons bleus et mauves s'emparent des montagnes.

Il n'existait pas de "route" officielle pour relier la réserve de Cuitaclan à celle de Tehuacan, pourtant côte à côte. Yohan, qui aime se réinventer cartographe, avait alors planifié un semblant de connector, avec son lot d'incertitude et d'exploration. Ces jours-là, nous dépassons rarement les 30kms.

Nous longeons un chemin de fer abandonné et certains ponts, contournant des crevasses et portant parfois le vélo sur des passages aériens. Dans ces moments, je m'efforce de faire taire mon vertige.

Parmi les chemins "intelligents", nous empruntons un sentier de plus en plus étroit, frôlant toute la végétation piquante possible. Nous retirons chacun à notre tour toutes les épines plantées dans nos pneus. Le jeu est alors de pédaler le plus vite possible une fois l'épine retirée pour que le liquide tubeless colmate le trou. Ça ne marche pas à tous les coups.

Avant d'arriver à la ville de Tehuacan, le chemin sableux sur lequel nous sommes est soudainement barré par un grillage haut. Nous cherchons une alternative, nous faisant griffer par les cactus qui nous entourent. Nous nous rendons à l'évidence et passons les vélos au dessus de la barrière malgré un large panneau "Prohibido". On croisera, après quelques instants, les gardiens en voiture qui ne semblent pas plus offusqués que ça et nous laissent tranquilles. Affamés et fatigués, nous jetterons la tente dans un recoin épargné de la végétation tranchante.


Un matin, alors que je fais pipi à travers champs, je ressens une soudaine douleur à la fesse droite. On rigole un peu. Mais la douleur est de plus en plus forte et s'étend à mon aisne et mon ovaire droit. On rigole un peu moins. Serpent ? Scorpion ? Araignée ? Je pédale avec difficulté vers le prochain village.

Les vendeurs de fruits et légumes nous partagent leur diagnostic : des fourmis rouges. Rien de grave mais cela devrait durer encore quelques heures, voire quelques jours au vue de "ma peau delicate", selon eux. Ils m'offrent une tomate bien mûre à m'écraser sur la fesse pour me soulager. Scène cocasse où Mathilde et deux mexicaines m'inspectent le derrière, en pleine rue, pendant que j'écrase une tomate sur mon popotin. Malheureusement Yohan n'a pas été assez rapide pour immortaliser le moment. Deux heures après, la douleur s'est évanouie.

L' anniversaire de Yohan fut une journée haute en émotions. Elle commence par une matinée chaotique où le pneu de Mathilde lui a dit merde. Yohan, loin devant, finit par s'inquiéter de notre absence et remonte le col en plein cagnard.

A midi, la gérante du comedor nous offre du mezcal pour se requinquer. Puis elle nous propose de faire un tour dans son jardin pour connaître les différentes espèces endémiques de la région plutôt que de payer l'entrée du parc biologique à côté.

Juste après le déjeuner, Yohan ne me voit pas freiner et fait un soleil par-dessus son vélo. Son majeur droit se déboîte. Dans l'urgence, il se le reboite seul mais son doigt triple de volume dans la journée. Pas le mieux quand on fait de la piste sur de la caillasse et que ça secoue fort.

Au village, Mathilde et moi partons en mission frites pour préparer la raclette surprise du soir. N.b. Faire cuire des patates sur nos petits rechauds nous a paru un peu trop ambitieux .

Entre temps, une pièce de l'arceau central de la tente se casse. On parvient a la maintenir debout mais c'est précaire.

Le soir, nous oublions toutes nos (més)aventures autour de notre raclette de camping et vin rouge.

Nous avions prévu une petite escale dans la ville d'Orizaba avant d'entamer le tour du volcan. Antonio, un mexicain rencontré sur la route nous avait laissé son contact pour que nous logions chez lui si nous passions dans les environs. Le jour J, les réponses d'Antonio à nos messages sont floues jusqu'à cesser de nous répondre. Il est 20h, nous sommes en ville et nous ne savons pas où dormir. En attendant de trouver une solution, nous nous installons dans le premier bar venu. Nous avions pedalé 100km ce jour là et nous ressentons vite les effets de la bière.

Nous demandons l'hospitalité à la caserne de pompiers qui nous renvoie vers le commissariat général. C'est un vrai bunker. Je toque à une porte blindée, à défaut d'avoir une sonnette. Pas de réponse.

Tant pis, nous nous dirigeons vers un petit hôtel à côté. Là, alors que nous sommes devant l'hôtel, trois voitures de policiers nous encerclent. Apparemment je n'aurais pas dû toquer à cette porte, "c'était dangereux". Nous leur expliquons la situation et ils se mettent en quête de nous trouver un campement pour la nuit. Avec leur aide, nous posons la tente sur le parking du parc d'attraction de dinosaures de la ville. Derrière nous, les immenses structures robotiques qui se mouvoient.

Il est 23h et nous sommes exténués de la journée. Malheureusement nous subissons un vent violent jusqu'au matin, nous forçant à nous lever pour replanter les sardines ou maintenir les arceaux qui se plient sur nous.

Pour finir l'étape, nous nous attaquons au plus haut sommet mexicain : le pic d'Orizaba ou Citlaltepetl en nahuatl. Culminant à 5600m, il domine au milieu de ce paysage aride.

Une des particularités de la région est le sable et la poussière permanente. Nous mangerons de la poussière toute la journée pendant cette semaine. Laissant nos visages noires et abimant notre équipement.



Le stop à 3 avec 3 vélos, yeah

Notre trace vise d'abord un col à 4000m d'altitude, donnant sur la face sud du volcan. Mon premier 4000 à vélo !

Pour l'atteindre, nous empruntons un chemin off road. Ce qui veut dire qu'on ne sait jamais ce qui nous attend ! Entre autre : des chemins sableux à pousser le vélo sur une pente à 20% (j'ai envie de crever dans ces moments là), passer sous des troncs d'arbres barrant la route ou traverser des hautes herbes.

Néanmoins, le sommet d'Orizaba nous accompagne tout au long du chemin et nous rappelle pourquoi nous faisons ça.

Au col, nous grimpons jusqu'au Sierra Negra à 4500m. Un sommet qui fait face au volcan. C'est encore un sentier de terre, et vu l'altitude nous poussons le vélo plus que nous pédalons.

C'est un simple aller retour et au départ je ne crois pas être capable de monter jusqu'en haut, vu mon état de fatigue. Pourtant, les mètres passent et j'arrive finalement au sommet. Record battu !

C'est la fin de journée quand nous descendons du Sierra Negra et une lumière rose tombe sur le volcan et les autres montagnes alentours. Quel cadeau !


A 4500m !

Le lendemain, la descente du col est loin d'être reposante. La route est très sableuse, nos roues s'y enfoncent et c'est difficile de ne pas déraper. La pente, en plus d'être raide, est en biais, longeant des crevasses.

Nous redescendons à 3000m environ pour faire le tour du volcan et aborder sa face nord.

Un bivouac à 3700m et un lever à 5h du matin pour affronter le fameux pic ! Nous avons encore 450 de D+ avant d'arriver au refuge pour commencer la rando. A cette heure à 3700m, il fait nuit et l'air est gelé. Nous partons avec toutes nos couches de vêtements et les frontales sur la tête.

Petit à petit, le jour pointe son nez et nous admirons les couleurs du matin sur les montagnes alentours et notre mastodonte.

A 4000m, la vallée est couverte de páramo et dévoile enfin le volcan dans son ensemble. Ses pieds de roche noir, et plus haut sur son flanc des vagues rouges et ocres.


Au refuge, nous laissons nos vélos et commençons à marcher. La pente est très très raide puisque il y a à peine 2km jusqu'au pied du glacier.

Le sentier est jonché de larges pierres volcaniques noires. Petit à petit, il faut éviter les amas de neige. Cela ressemble plus à de l'escalade que de la randonnée.

A 4800m, je déclare forfait. Les jambes tiennent de moins en moins et l'altitude commence à taper la tête. Mes compagnons poursuivent jusqu'à 5150m.

Je profite d'un moment suspendu, seule à 4800m, face au glacier, à me dire que j'ai beaucoup de chance que mes jambes m'aient porté jusque là. Record encore battu ;)


Voilà plus de 2 mois que je suis partie. Mon départ et les routes du Guatemala me semblent être à une éternité maintenant.

Une des magies du voyage est la perception du temps qui évolue. Une journée est extrêmement riche en paysages, rencontres et surprises. On ne sait jamais ce qui nous attend vraiment.

Pourtant, nous avons développé une routine de voyage et j'ai l'impression que les semaines filent à toute vitesse.

Après 2 mois, il faut aussi subir l'équipement qui lâche ou qu'on perd. C'est dernières semaines, c'était la fête du slip. Entre autre :

La pédale de Mathilde qui tombe au milieu de la route.

L'appareil photo de Yohan qui fait des siennes.

La tente qui vit toujours avec un arceau pété.

Une mauvaise chute a tordu mon porte bagage. La poussière ambiante des derniers jours ont eu raison de la fermeture éclair de mon framebag. Et surtout, mes chères sandales Keen se sont fait la malle lors d'une descente cabossée.

Même si tout ça n'est que matériel, il faut avouer que nous vivons avec si peu de choses que cela impacte parfois le moral.


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Publié le 18 mars 2024

A Puebla, Lucero et sa famille nous ont accueilli 4 jours dans leur chaleureuse maison. Dès notre arrivée, des citations peintes sur la façade extérieure nous font bonne impression. Lucero habite avec son mari Cris, la petite Citlali, la grand mère Luz et l'oncle Martin. Chaque jour, ce dernier nous cuisine des bons petits plats tandis que Lucero et Cris nous racontent leurs aventures et la vie mexicaine. Sur leur vélo de montagne s'installe Citlali, 2 ans, totalement à l'aise malgré les secousses. Le père de Cris, grand cycliste, est également venu nous rencontrer et nous aider à faire des réglages sur nos vélos. Enfin, Luz nous a beaucoup inspiré par son ouverture d'esprit. Non, l'âge ne fait pas automatiquement tomber dans l'aigreur et la peur.

L'énergie et les relations de cette famille nous ont marqué. Et j'avoue avoir ressenti un petit pincement au cœur au moment de partir. Cela donne très envie de rendre la pareille à notre retour.


Puebla marque aussi la fin du voyage de Mathilde. Elle s'est envolée vers la France, où 1000 projets et un amoureux l'attendent. Je n'ai plus mon jukebox ambulant. Nous voilà donc orphelins à recréer un rythme à deux.


La belle famille de Lucero


Depuis Puebla nous suivons la ceinture volcanique au sud de la région de Mexico avec l'intention de monter sur les plus hautes cimes du pays. Nous avions déjà coché le pic d'Orizaba et le Malinche, 5e sommet. Mathilde et moi en avons fait le tour à vélo seulement, mais Yohan n'a pas pu s'empêcher de partir l'escalader.


Les volcans Popocatepetl et Iztaccihuatl se font face. Au centre, le col de Cortez qui les sépare. Le Popocatepetl toujours en activité, culmine à 5452m. Un nuage de fumée s'en dégage constamment. C'est le 2ème sommet du Mexique. L'Iztaccihuatl atteint 5230m et entre en 3ème position.

Il pleut tout le jour où nous pédalons pour atteindre le col de Cortez à 3700m. A Santiago Xalitzintla nous rencontrons un groupe de pèlerins du "Señor Chamaya" qui nous invite à partager leur repas. Après une matinée sous la pluie, réchauffer nos pieds autour du feu est revigorant avant une après-midi à monter encore 1000m.

À mesure que nous approchons, le chemin devient de plus en plus boueux. Des voitures qui essayent de s'y aventurer s'enfoncent.

Une fois au col, c'est un spectacle grandiose. Il est 18h30, le ciel se pare de larges nuages roses. Au loin, des éclaircis et un ciel bleu. La récompense après une journée dans le froid et la grisaille.

A notre gauche le Popocatepetl qui continue de cracher de la fumée, à notre droite l'Iztaccihuatl et ses nombreuses cimes. A nos pieds, de la neige. La pluie des deux derniers jours a gelé à cette altitude. Événement rare en cette période de l'année puisque nous sommes en saison sèche.

Il est l'heure de camper et par chance nous trouvons refuge sous une petite construction en briques qui sert de comedor le jour. Nous avons un toit et quelques murs pour nous protéger de la température glaciale qui règne. Vite, un feu au réchaud pour maintenir nos mains au chaud.

Le matin, nous décidons de monter jusqu'à la Joya, un campement à 4000m où débute la randonnée de l'Iztaccihuatl. Refusant de payer l'accès à la montagne, nous passons sous les grillages et suivons d'autres chemins abandonnés avec le temps. C'est la première fois que Coyote et moi pédalons sur la neige et j'adore le bruit de mes roues qui crissent. Nous traversons une forêt et les seules traces sur ce lit blanc sont celles d'animaux. Il n'y a que 300m de D+ à monter mais la route est longue du fait de nos détours et la neige nous ralentit. Aussi, le froid creuse les estomacs et nous avons de plus en plus hâte d'arriver à la Joya pour déjeuner. De retour sur le chemin principal, la neige a laissé place à des amas de boue, difficile de ne pas déraper dans ce merdier !


Une fois en haut, nous croisons quelques randonneurs, munis de crampons, qui restent là plusieurs jours afin de s'acclimater. Malgré le soleil de la journée, la falaise est toujours enneigée, voire gelée. Sans crampons, nous n'irons pas très loin. Après une longue concertation, nous reprenons la descente vers le col par des petits chemins de traverse. Mauvaise idée. D'abord, des montées et descentes incessantes dans la neige. Puis une pente abrupte, pleine de trous et longeant de très près un vieux barbelé. Impossible de pédaler. Pire, il faut ensuite remonter tout ce que l'on a descendu, sur un ancien sentier défoncé. Il est jonché de bottes de hautes herbes avec un gradiant qui fait froid dans le dos. Nous continuons un moment à pousser les vélos sur un terrain glissant. Ca tire les bras, le dos, tout.

Le hic avec les cartes komoot c'est que la légende est variable. Ces chemins dégueulasses et abandonnés sont indiqués comme des routes de terre pratiquables en voiture...

Une fois la route conventionnelle retrouvée, nous entamons une longue descente de 1500m. Les prochains jours, nous continuerons de voir au loin ces deux géants de neige qui flottent dans le ciel et dominent toute la vallée. Le soir, leurs pieds sont mauves et les sommets rosés.


Nous poursuivons la ceinture volcanique et pédalons sur des sentiers oubliés, traversant des plaines vertes, sans âme qui vive sur une quarantaine de kms. Nous longeons les volcans éteints depuis bien longtemps, parfois sans les distinguer derrière la végétation. Nous privilégions l'exploration lorsque un petit chemin allant dans notre direction se présente à nous. Bon flair, il se transforme en singletrack dans la forêt jusqu'à rejoindre le volcan Tlaloc à 3500m d'altitude. La vue se dégage pour une large plaine dorée. Parfait pour bivouaquer.


Sur toute la chaîne volcanique, nous dormons entre 3000m et 3500m. La nuit, le gel prend possession de la toile de tente et de nos vélos jusqu'au petit matin. Malgré mon bon équipement, je souffre du froid.

A Tenango de Arista nous cherchons un endroit où laisser nos vélos la journée. En effet, nous souhaitons faire un détour par le sud pour aller visiter la grotte de Cacahuamilpa. Nous nous résignons à payer un hostel pour la nuit, le 3ème en 3 mois !

Cacahuamilpa se situe seulement à 70km au sud. Nous tentons d'abord le stop. C'est un échec cuisant (litteral car nous sommes en bord de route sans une once d'ombre). Je vois bien une voiture qui passe une fois, deux fois, trois fois... yes elle s'arrête ! On nous tend alors un billet de 50 pesos. Mince, on doit vraiment faire de la peine. Nous expliquons au couple ce que nous faisons et finalement ils nous déposent au supposé arrêt de bus, de l'autre côté de l'échangeur. Ici il n'y a pas de panneau, il faut savoir que de ce côté de la bande d'arrêt d'urgence, un autobus passe. Quelques galères de bus et de stop plus tard, nous arrivons en milieu d'après-midi à Cacahuamilpa. Malgré tout, on ne regrette pas de ne pas l'avoir fait à vélo, nous avons chuté de 1000m d'altitude et l'atmosphère est lourde. Par chance, nous sommes les derniers visiteurs à cette heure et nous avons droit à une visite guidée juste pour nous deux.

La grotte de Cacahuamilpa fait 2km de profondeur et son plafond s'élève à 80m au-dessus de nos têtes. Les formations de stalactites et stalagmites de plusieurs mètres de haut sont envoûtantes. J'y vois des mini mondes creusés sous terre.

Nous continuons notre ascension des volcans avec le Toluca, le 4ème pic du pays. Nous entrons dans le parc del Nevado de Toluca par l'est en suivant une route de terre, loin des voitures et du monde. A 4200m, nous arrivons dans le cratère du volcan. Il se compose de deux lacs aux eaux bleues vertes.

Nous accrochons les vélos pour poursuivre à pieds jusqu'au col d'abord. A nouveau, nous marchons dans la neige. De là, nous souhaitons franchir el Pico de Fraile, le sommet à 4690m. Depuis la face sud-est où nous nous trouvons, il n'y a pas de sentier apparent. Nous coupons à travers les hautes herbes jusqu'à atteindre un gigantesque pierrier à escalader. A mesure que nous approchons, les pierres deviennent de plus en plus instables et la peur commence à prendre aux tripes. Yohan part en éclaireur. Malheureusement, le sommet est caché derrière une barre rocheuse, et le sol est trop gelé pour continuer. Nous devons rebrousser chemin et retrouver nos fidèles destriers. Nos longeons la face sud du volcan pour en faire le tour, et ainsi éviter l'entrée officielle. C'est une route encore oubliée sur laquelle nous dégringolons à vélo. Nous pouvons admirer la face sud du volcan à la golden hour. L'un de ses flancs exhibe des coulées de terres blanches, jaunes, rouges. Nous plantons la tente sur une crête, face à un soleil couchant.


Dès que nous le pouvons, nous faisons des stops dans les villages pour profiter des larges marchés, des mets locaux et barratos et surtout des aguas frescas ! A défaut de proposer de l'eau potable, les comedor offrent des jus de fruits frais (maracuya, goyave, citron vert, pastèque, tamarine...). On ne sait pas à quelle sauce on sera mangé aux États-Unis alors on en profite ici !

Nous terminons notre chasse au volcan par El San Antonio. La carte indique un tracé noire qui traverse toute une zone naturelle et borde le volcan. Au vue de nos dernières expériences, ça peut aussi bien être une route extraordinaire comme une sente toute pétée. Finalement nous pédalons sur un chemin de forêt qui se transforme régulièrement en singletrack sans encombre. Nous nous maintenons à une altitude de 3400m au milieu des géants conifères. Au dessus de nos têtes volent des centaines de papillons monarques. C'est encore la saison et nous sommes tout proches de la réserve. Sur les derniers kilomètres, des troncs sont échoués au milieu du chemin. Au début, c'est ludique. Au bout du 15eme tronc, nous commençons à fatiguer de soulever les vélos.

Les deux jours suivants, nous pédalons en direction de Zitacuaro où nous comptons prendre un bus jusqu'à Guadalajara, dans l'Etat de Jalisco, où se trouve mon ami Mario. Sur la route nous rencontrons la famille de Eddy dans le paisible village de Macheros, aux pieds de la réserve des papillons. Ils nous laissent camper sur leur toit avec vue et nous passons la soirée en leur compagnie. Eddy a passé 30ans de sa vie aux États-Unis et vient de revenir sur sa terre natale.

Nous rencontrons également un cycliste canadien qui fait la route inverse de la nôtre. Il nous avertit que la région est pleine de narcotrafiquants et que nous devons rester prudents. Quand nous écoutons son expérience, nous avons l'impression de ne pas avoir vécu le même Mexique. Est-ce nous qui avons une bonne étoile ou eux qui ont un mauvais karma ?

Le Sinaloa est effectivement habité par les narcos. Mais comme nous l'expliquent les mexicains, les narcos n'ont généralement que faire de cyclotouristes comme nous et n'ont pas de raison de nous embêter si nous ne nous mêlons pas de leurs affaires. Certains nous disent même qu'ils les préfèrent à la police, extrêmement corrompue. Sur la route entre Durango et Mazatlan, nous suivons les précautions habituelles comme ne pas camper sur un lieu visible depuis la route. Nous continuerons notre périple, sans incident, perchés dans nos montagnes.

Nous avons fait une parenthèse dans le voyage chez Mario et sa femme Marcela à Guadalajara. Rencontré sur les bancs madrilènes de l'ESCP, Mario était mon coup de foudre amical. 10 ans plus tard, je viens enfin lui rendre visite sur sa terre natale :)

Accueillis comme des rois, nous profitons de la boulangerie française d'à côté pour acheter notre baguette, faisons des grasses matinée à n'en plus finir ou mangeons des glaces devant Netflix. Ambiance gros tas. Ca faisait du bien. Nous avons testé la boîte de nuit disco de la ville et Yohan s'est essayé au padel en gueule de bois le lendemain matin. Grâce à eux, nous goûtons d'autres spécialités locales comme la carne en su jugo (miam) et les tortas ahogadas (double miam).

Au fur et a mesure que nous avançons, les paysages mexicains et les modes de vie évoluent grandement. Le pays Mije du Veracruz nous semble très loin de la vie citadine de Guadalajara tant il y a des disparités dans le pays. D'ailleurs Mario et Marcela ne connaissaient pas l'existence de ces peuples et dialectes.


Une de nos philosophies est l'anti tourisme. Généralement nous trouvons la même beauté ailleurs, loin de ce que peuvent annoncer les guides. Lorsque nous décidons quand même de nous rendre vers un lieu populaire, nous tentons autant que possible de ne pas tomber dans les pièges à gringo. Aussi, nous braquons les parcs naturels, estimant que ces montagnes n'appartiennent à personne.

Notre mode de voyage ne laisse aucune trace sur son passage, à l'inverse du tourisme de masse.


Petit point itinéraire, nous avons pris la décision de skipper une partie de la Trans Mexico North. En fin de compte, la route semble très goudronnée et surtout nous préférons privilégier du temps pour la Baja California et les États-Unis ensuite. D'autant plus que nous sommes très dépendants des saisons : si nous tardons il va faire trop chaud sur la Baja et l'Arizona. Mais si nous sommes trop rapides, nous aurons de la neige et de la boue dans le Colorado. La fenêtre est courte !


Depuis Guadalajara, nous prenons un bus de nuit jusqu'à Durango, au nord est du pays. Il nous reste 350km jusqu'à Mazatlan où un bateau nous attend pour la Baja California. Nous passons par la Espinosa del Diablo, une route mythique du pays qui traverse toute la Sierra del Norte. Longue d'une centaine de kilomètres, elle est abandonnée de la plupart des voitures qui préfèrent l'autoroute à ces virages infinies au milieu des falaises.


Chaque nuit est étoilée et parfois nous retirons le double toit de la tente. Je me sens alors très chanceuse de ce quotidien sans pollution lumineuse. Il arrive qu'une grosse lune jaune veille sur nos têtes. Et le matin on aperçoit les lumières du petit jour à l'horizon. Signe qu'une nouvelle journée riche nous attend.

Nous arrivons enfin à Mazatlan où nous grimpons dans un ferry pour traverser la mer Cortez. On y apercevra des dauphins qui sautent autour du bateau.

C'est parti pour un sacré morceau, la Baja California !


Crédit photo reflex, Yohan aka Grinfinch.


Pour les petits curieux, notre route officielle du Guatemala ici : https://www.komoot.fr/tour/1459472933?ref=atd

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Publié le 3 mai 2024

La Baja California. Ca faisait un moment qu'on en parlait de cette route.

Située sur le bras ouest du Mexique, cette parcelle de terre est imbriquée entre la mer Cortez et l'océan Pacifique. Un désert dit-on. Nous nous préparons à porter suffisamment d'eau et de nourriture pour tenir entre chaque pueblo.


Nous faisons l'inventaire de notre équipement et donnons tout ce qui n'est pas indispensable : une pompe, le jeu de cartes, la trousse à medicaments (inutile depuis le début), la couverture de survie, etc. Yohan, pris de frénésie, découpe toutes les étiquettes de mes affaires. Tout gramme est bon à gagner sur cette route exigeante.


Depuis Mazatlan, nous embarquons 12h dans un ferry peu confortable mais avec l'avantage d'être aux premières loges pour observer les dauphins. Sur les portes des toilettes est uniquement indiqué en français, "Ne pas se laver les pieds dans le lavabo". Il semblerait que notre réputation nous précède ;)

Pourtant on aime se laver les pieds dans les lavabos.

La Baja California est très riche. Et pour cause, de nombreux gringos (= green go = americains) y ont élu domicile. Aussi, elle fonctionne comme une île et presque tout y est importé. Ca n'arrange pas nos affaires, le cours du tacos a grimpé en flèche !

Nous nous dirigeons d'abord vers le cap pour en faire le tour. Nous suivons le bord de mer, ses villas gigantesque et terrains de golf au gazon verdoyant — outrageant pour ces sols blancs et arides. Les pancartes "Se vende" sur des parcelles vides se multiplient. Ce morceau de terre sera certainement méconnaissable d'ici quelques années.

Nous cheminons de crique en crique le long d'une côte encore sauvage. Le bruit des vagues, l'odeur marine et le bleu de l'eau me font trépigner d'excitation. C'est notre premier tronçon au bord de la mer depuis le début du périple et je dois avouer que ca m'avait manqué. Aussi, le poisson a enfin remplacé la carne asada. Ceviche, camarones, pulpo, tout est fraîchement pêché et degusté.

Sur ce nouveau terrain de jeu, les pueblos se font rares et nous devons calculer précisément la quantité d'eau et de vivres nécessaire sans trop alourdir nos montures (et sans mourir de soif) :

une première étape de 50 km sans eau que nous sous-estimons comme des bleus entre les lits de rivières extrêmement sableux et les chemins de crête. L'après-midi et la matinée sont très longues sous ce soleil de plomb. Heureusement, des ranchos nous permettent de se réhydrater sur les derniers bornes.

Ici l'eau est rare et elle se partage. Nous pouvons compter sur la générosité des mexicains pour remplir nos gourdes d'eau potable. Sur les chemins esseulés, les rares pick-up s'arrêtent pour s'assurer que nous allons bien.

Nous sommes à la mi-saison, entre l'hiver et l'été, période tardive pour se lancer dans la Baja Divide du fait de la chaleur. Nous modifions notre rythme pour pédaler plus tôt et siester le midi. Malgré tout, certains jours le soleil nous frappe le visage dès 7h30, ne nous laissant aucun répit et nous cuisons ! Ce n'est qu'à 17h que la température baisse enfin, jusqu'à la tombée de la nuit, c'est notre moment préféré de la journée. Nous bénissons les jours (ou les heures) nuageux.

Nous passons quelques jours paisibles dans la famille d'Artemisa à San José del Cabo, sur la pointe de la Baja. Los Cabos est la 2ème municipalité la plus riche du pays. Artemisa parle parfaitement français et l'a appris à ses enfants, maintenant bilingues. Le samedi matin, le marché bio et artisanal, avec ses food trucks et ses concerts, nous rappelle notre vie européenne. Le soir, nous allons festoyer à la feria locale. Artemisa est une ancienne cheffe cuisinière, pour le plus grand bonheur de nos papilles : pancakes, cheesecake, pastel azteca etc.

La plage de los Cabos est colonisée par les touristes blancs, allongés sur leur transat un verre à la main. Les seuls mexicains sont les serveurs et balayeurs. A quoi bon voyager si c'est pour rester dans l'entre-soi ? Je trouve ce spectacle désolant.

Après 4 jours de repos, la route nous appelle même si c'est toujours difficile de quitter un séjour aussi agréable.

Il nous arrive de faire du stop pour éviter des routes goudronnées et très empruntées. Nous attendons rarement longtemps, le Mexique est une terre fertile pour les autostoppeurs.

Entre Todos Santos — où il y a le fameux Hotel California des Eagles — et La Paz, nous rencontrons Naz. Tunisien qui a grandi au Canada, Naz est un entrepreneur à succès qui a posé ses valises et ses 1000 projets à La Paz, capitale de la Baja. Son immense 4x4 transporte déjà deux moutons et un autre mexicain, mais ça ne lui fait pas peur d'y ajouter nos bécanes. Comme il dit, il "ramasse" tout le monde. Nous passerons finalement la nuit dans son rancho en construction.

J'admire la manière d'être de Naz. Généreux et ouvert, il a une confiance naturelle dans les gens, qui le lui rendent bien. Ainsi il proposera spontanément au mexicain qui voyage jusqu'à Tijuana sans un sous, de travailler dans son rancho quelques jours pour payer son périple.

Naz mesure en réalité 2 mètres et s'est plié en deux pour rentrer dans la photo

Je connais ma chance de voyager en tant que française. Ma nationalité m'ouvre de nombreuses frontières et n'est pas source de méfiance. Les locaux me viennent spontanément en aide et la police ne m'importune pas. Je ne suis pas une venezuelienne fuyant la répression. Si demain la situation politique ou économique de la France venait à changer, serais-je toujours aussi bien reçue ?

En outre, je suis jeune, blanche et pas trop laide, ce qui apparemment m'octroient encore plus de sympathie.

Néanmoins, cela peut aussi me jouer des tours. Un sourire de trop peut être mal interprété et je dois parfois m'astreindre à ne pas être trop avenante.

Les mexicains ne sont pas loin de recevoir la palme des habitants les plus accueillants et sympathiques que nous ayons pu rencontrer au cours de tous nos voyages. Pourtant, ils s'accordent à dire qu'ils se méfient les uns des autres, et que notre statut d'étranger nous dote d'une aura de bienveillance.

Un stop de qualité

La Baja California Sur est une terre aride entourée d'eaux bleues. Nous empruntons des chemins isolés dont la surface est majoritairement blanche et sableuse. Nous traversons l'isthme, alternant entre la côte Pacifique et la mer Cortez. Ce n'est pas le chemin le plus direct jusqu'aux États-Unis, mais certainement le plus tranquille.

Sable, taule ondulée, cailloux, les routes nous éprouvent. Nous pédalons lentement et tâtonnons pour trouver les mètres les plus lisses et pédalables. Dans l'idéal, il nous aurait fallu des pneus en 3 pouces minimum, Yohan est en 2.8 et moi en 2.4. En clair, on rame et même Yohan finit par se réjouir des rares tronçons asphaltés. Véridique !

Les paysages nous rappelent la reserva de Tehuacan avec ses cactus immenses en haut desquels les vautours nous observent. Nous assistons à des spectacles vraiment époustouflants, pédalant le long d'une mer turquoise bordée de cactus, et au loin des géants de pierre.

Lorsque nous nous éloignons de la côte, c'est pour traverser des canyons dont les parois oscillent du pourpre au vert. Plus haut, nous côtoyons des plateaux rocailleux et sommes entourés de volcans éteints.

Une chaîne montagneuse traverse toute la Baja, et son sommet culmine à 3096m, mais nous resterons essentiellement entre 0 et 1500m. Déjà, nous avons l'impression de dominer toute la vallée.

La Baja abrite tout de même quelques rivières. Logées dans les gorges des montagnes, elles donnent naissance à des oasis. C'est dans ces eldorados verts que d'anciens villages de missionnaires se sont fondés. Le choc est brutal entre la monotonie du désert et l'apparition soudaine de dattiers, de verdure et même de fleurs qui ennivrent nos naseaux.

Nous croisons souvent des carcasses d'animaux ou des os proprement rongés par la faune. Le désert abrite beaucoup de vie animale, nous apercevons des cerfs, des écureuils, des lièvres, des crotals (qui se dorent la pilule en plein milieu du chemin), des balbuzards, des grands geocoucou (aka Bip-Bip) et des coyotes ! Hauts comme des renards, le mythe voudrait qu'ils soient de terrifiants mangeurs d'hommes. En réalité, ils nous fuient surtout, nous observent parfois de loin.

La région est aussi témoin de la migration des baleines. Nous aurons la chance d'en apercevoir une au loin alors que nous pédalons. Les ossements de ces cétacés sont exhibés par les locaux dans leur jardin et nous donnent une idée de leur taille monumentale.

Nous nous lançons dans plusieurs expéditions avec une autonomie de 2 à 4 jours. Nous portons alors jusqu'à 13L d'eau chacun et de quoi se remplir le gosier. Bref, les vélos deviennent des tanks très lourds pour nos jambes pourtant endurcies.

Le long du Pacifique, nous devons aussi faire face à un adversaire de taille : le vent, qui vient toujours du Nord Ouest. Voilà pourquoi personne ne fait la route dans notre sens !

Deux beurres de cacahuete se cachent, saurez-vous les retrouver ?

Malgré une faible densité de population, nous enchaînons les belles rencontres.

D'abord à Ciudad Constitucion où un message envoyé sur le groupe whatsapp de la RAC (red de apoyo de ciclovajero de mexico) pour demander l'hospitalité quelques jours nous surprend ! En effet, je reçois une réponse positive de Hugo à ma bouteille à la mer lancée sans grand espoir. Une fois sur place, nous découvrons que Hugo est en fait Padre Hugo, le prêtre de la ville ! Cycliste lui aussi, il accueille les voyageurs dans les dortoirs vides annexés à l'église.

La maison est vivante entre les allées et venues des séminaristes, des habitants et amis qui viennent prendre le thé pour discuter ou préparer les événements saints. Padre Hugo nous amènera dîner chez sa sœur en présence d'amis, dont le futur président de la municipalité. Nous écouterons avidement ses projets pour la ville tout en sirotant un vin rouge local. Y a pire.

Pour atteindre San Juanico, petite ville de surfeurs au bord du Pacifique, nous couperons par une route tellement sableuse que nous devrons pousser les vélos sur une dizaine de kilomètres. Nous arriverons à 20h chez Matti. Famille italienne qui a enfin posé ses valises ici après des années à voyager et travailler dans diverses parties du monde.

Nous logeons dans une de leurs cabañas paradisiaques, prévue normalement à la location pendant la saison du surf. Matti nous cuisine un risotto et nous nous prêtons à imaginer nos futurs périples inspirés par ce baroudeur.

Depuis San Juanico, nous remontons la côte Pacifique. Le vent puissant empêche toute végétation. Nous traversons des espaces complètement vides où l'eau s'est retirée, laissant sur son passage une croute de sel qui craque sous nos pneus. Des petits salars qui prennent parfois une teinte rose.

Progressivement, nous nous enfonçons dans les terres et sa chaîne montagneuse pour rejoindre à nouveau la mer Cortez.

En haut du dernier col : les montagnes rocheuses recouvertes de cactés qui tirent sur le mauve en fin de journée et au loin la mer Cortez, notre objectif.

Le 3ème jour, nous arrivons à Bahia San Rafael où une petite communauté de pêcheurs organisée en coopérative s'est installée.

Tout de suite, Juan nous prend sous son aile. Il nous offre de l'eau et nous propose de manger du poulpe ce soir. Nous pensions qu'il n'y aurait rien ici et que ce serait encore pâtes. On ne se fait pas prier. Nous discutons avec la petite dizaine de pêcheurs qui sont là 4 mois dans l'année. Vivants dans des cabanes construites sur la côte face à la mer, la vie est plutôt douce. A l'aube, ils pêchent depuis leurs lanchas. Le midi, déjeuner collectif. L'après-midi, ça sieste puis chacun vaque à ses occupations de bricolage ou de tissage de hamac.

Le lendemain matin, alors que je souhaite faire un plouf dans la mer, je marche sur une raie pastenague qui m'enfonce sa queue dardée dans le pied.

La douleur est vive. Les pêcheurs le savent bien et s'occupent de ma blessure. Ici il n'y a rien et ils connaissent tous les premiers secours. Ils aiment s'appeler los piratas. Eau brûlante pour soulager, sève de Lomboi pour la cicatrisation et cataplasme d'aloe vera pour aspirer le venin. Pause forcée, nous resterons la journée à profiter des hamacs au bord de l'eau et à manger du poisson frais en papotant avec nos nouveaux copains.

L'arrivée à Bahia de los Angeles est magique. La côte se dévoile avec sa quinzaine d'îles et notre route fait face à une imposante montagne rouge.

Bahia de los Angeles était encore vierge il y a 25 ans nous racontent les locaux. Après 9 jours sans douche ni río, nous trouvons une tienda qui loue la douche froide 1,20€. Nickel c'est dans notre budget ! Pendant que Yohan se déleste de sa couche de crasse, un vieux monsieur m'aborde. Yves est un suisso-mexicain, il a vécu à Paris quelques années et est ravi de pouvoir pratiquer à nouveau son français. 91 ans et le regard pétillant, nous sympathisons vite. Son ami, John, un américain qui a une maison magnifique sur la plage, nous propose de dormir chez lui. John est un reporter photo retraité qui a notamment passé un an sur un bateau Sea Sheperd. La classe.

Sa maison avoisine celle d'un autre américain qui a jugé bon d'afficher partout son soutien à Trump. Curieuse chose que de soutenir un tel homme tout en s'installant au Mexique...

John et Yves habitent tout deux à San Diego et nous ont invité chez eux à notre arrivée aux États-Unis. Les belles rencontres tiennent vraiment à pas grand chose.

Lors d'une traversée de 4 jours en autonomie, nous pensons avoir trouvé un raccourci sur la fin. Nous nous lançons tête baissée, rêvant d'un ceviche et d'un gros soda frais à midi pour célébrer notre étape.

Nous ne sommes qu'à 6km à vol d'oiseau de Cataviña mais la route sent de plus en plus mauvais : nous nous sommes enfoncés dans un lit de rivière trop sableux pour pédaler et les traces de Jeep s'effacent progressivement. Nous n'apercevons pas de chemin qui se détacherait des collines qui nous encerclent. Revenir en arrière et remonter toute la pente sableuse n'est pas pensable et nous nous obstinons à pousser, espérant une échappée derrière chaque courbe.

Après une heure ou deux, des palmiers nous indiquent qu'il y a une source. Les gourdes pleines, je n'ai plus aucun problème à me perdre encore quelques heures.

Petit à petit, les collines s'affaissent et des déchets marquent la présence d'humains (tristement). À 16h nous arrivons enfin à Cataviña. Pour un raccourci, c'est râpé !

Perdus dans le lit de rivière.

Le nord de la Baja California affiche une autre allure. Le sable laisse place à une terre ocre et les cactus aux arbres. Les paysages sont verts et l'arrivée du printemps annonce les premières fleurs. C'est arrivé brutalement, au détour d'un chemin que nous souhaitions explorer. Comme l'impression d'être dans Voyage au centre de la terre. La route nous fait gagner de la hauteur et nous avons même froid le soir !

2300 kms au compteur sur la Baja California, notre tracé est disponible ici


Nous arrivons sur la fin du Mexique après avoir arpenté pendant quatre mois un millième de ce que le pays a à offrir. Nous avons adoré le Mexique et la chaleur de ses habitants.


Nous sommes maintenant très excités à l'idée de passer une nouvelle frontière et de découvrir les États-Unis !

Crédit photo Yohan aka Grinfinch

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Publié le 6 juin 2024

Nous sommes entrés fin avril aux Etats-Unis par le petit poste frontalier de Tecate. Un passage de frontière est toujours angoissant surtout lorsqu'il s'agit des États-Unis. Yohan ayant voyagé en Iran quelques années auparavant, son entrée pouvait être compromise— ceci lui valant des sueurs froides. Je lui avais même coupé les cheveux et la barbe pour effacer tout soupçons. Finalement, pas d'interrogatoire ni de fouille de vélo, nous passons presque facilement !

Après un mois et demi dans le désert mexicain, fouler le sol Etats-unien fait tout drôle.

Nous sommes en Californie du sud et faisons un détour par la montagne Otay avant de rejoindre nos amis à San Diego. Le parc de l'Otay autorise le recration shooting. Autrement dit, des gars habillés en G.I. Joe et leurs nanas tirent avec des armes de guerre comme activité familiale le dimanche. Nous pédalons à côté d'eux, stupéfiés.

Nous sommes sur un sentier gravel très agréable jusqu'au sommet où nous plantons la tente. Nous pouvons voir le Mexique d'un côté, de l'autre la côte de San Diego sous le brouillard du Pacifique. De nombreuses patrouilles et hélicoptères passent pendant la nuit car cette montagne serait un lieu de passage des mexicains clandestins. Des américains nous avertissent de faire attention aux dangereux migrants qui pourraient nous attaquer. Nous avons plutôt l'impression qu'ils se sont construit un mythe.


Deuxième jour aux USA : nous traversons l'immense ville de San Diego. Les maisons individuelles de plein pieds, les drapeaux américains dans les rues, les boîtes aux lettres typiques et les larges avenues : nous sommes plongés dans l'imaginaire que nous avions des États-Unis.

Après quelques heures, nous arrivons dans le centre-ville chez notre ami John, rencontré quelques semaines auparavant à Bahia de Los Angeles au Mexique. John et Karen nous accueillent à bras ouverts dans leur belle maison. Karen a fait du jardin un havre loin du tumulte de la ville et tous les matins les écureuils viennent lui rendre visite.

Ils nous baladent aux quatre coins de la ville pour faire réparer notre matériel ou découvrir la ville. Vu la taille de San Diego, ils nous font gagner un temps précieux.

Après plusieurs mois à galèrer pour trouver certaines pièces comme le hub de notre tente cassée ou l'objectif de l'appareil photo de Yohan, nous sommes comme des petits fous ici où tout existe et est disponible en 24h. Mon vélo prend un coup de neuf : nouvelles pédales, nouveaux grips, nouveaux galets, youpi !

Nous partageons le quotidien de John et Karen et les classiques de la vie américaine — match de baseball, bière, pizza oblige.

Nous dînons aussi chez Yves et sa femme Maria, soulagés de nous voir arriver sans un bleu ! Nous nouons une belle amitié avec ces personnes encore inconnus il y a quelques semaines.

J'expérimente à mon grand désespoir la réalité du système de santé américain. Je veux faire vérifier une angine par un médecin : 10 minutes de consultation, aucun instrument technique, 200 dollars. Bim. En parallèle, je découvre les escroqueries organisées, aka les assurances de voyage.

Les États-Unis sont un pays très contrasté, hyper conservateur sur certains aspects, ils sont en avance sur d'autres. Par exemple, la plupart des Etats ont légalisé le cannabis et nos amis retraités nous amènent dans un dispensaire où l'on peut trouver tous les produits dérivés imaginables. Eux-mêmes prennent régulièrement des bonbons ou du chocolat au thc pour se détendre.

6 jours de repos plus tard, nous reprenons la route par les pistes depuis l'Est de San Diego. Nouveau pays, nouvelles habitudes. Ici c'est le royaume de la maison individuelle et les villes s'étalent sur des kilomètres. Aussi, les maisons comme les prairies et les forêts abordent très souvent ces gentils panneaux "Private property, no trespassing". Jouer la carte de l'ignorance va devenir plus difficile. Mais nos routes n'étant pas toujours actualisées, nous devrons passer au-dessus des barrières dès le premier jour pour éviter de longs détours. Quelle bande de dangereux malfrats.

Il faut reconnaître aux États-Unis leur sens des réserves naturelles. Au départ de San Diego, nous allons en traverser plusieurs par des chemins et des sentiers bien entretenus. D'autre part, ils jouent la carte de l'intelligence collective et laissent ouvert les trails à la fois aux marcheurs, aux cyclistes et aux cavaliers, quant en France nous trouvons plus simple de tout interdire.

Très vite, nous trouvons un singletrack génial qui nous amène à la réserve de Cuyamaca où nous reprenons un petit peu d'altitude. Nos vélos vont même geler pendant la nuit à 1500m — nous qui croyions qu'on était tard dans la saison !

Nous pédalons sur un chemin qui longe le PCT ou Pacific Crest Trail, cette fameuse grande randonnée qui traverse l'Ouest des États-Unis avec, au loin, des sommets encore enneigés. Quel plaisir que ce sentiment de liberté, seuls sur nos sentiers de montagne.

La route nous fait vivre une magnifique descente, et à 600m nous sommes rattrapés par une climat désertique. Nous nous enfonçons alors dans la réserve d'Anza-Borrego par un chemin sableux qui monte progressivement jusqu'à une pente bien raide. La récompense est au col avec cette chaîne montagneuse envahie par les tons bleus du soir. Les monts rocailleux qui nous entourent reçoivent encore les rayons du soleil. Le vent se lève et il fait très froid au moment de redescendre, mais le paysage et la doudoune nous font vite oublier la morsure du vent. Impossible de cuisiner le soir, ce sera dîner granolas à l'abri dans la tente, comme de grands enfants.

Le lendemain, la chaleur se fait sentir dès 7h du matin et nous partons tôt. Nous dévalons une route magnifique le long des montagnes arides. Elles dessinent de nombreuses rainures avant de s'enfoncer dans le sol. Filer à toute allure accompagnés de ces paysages nous remplit d'énergie de bon matin. Nous continuons jusqu'à Salton Sea par une route qui borde une multitude de canyons sinueux. Ca donne très envie de plonger dedans pour rider.

Salton Sea est une ville qui fait froid dans le dos. Installée au bord d'un lac né de la fuite d'un canal de la rivière Colorado, elle a connu de glorieuses heures touristiques jusqu'à ce que l'utilisation de pesticides à outrance contamine l'eau. C'est à présent une ville sans charme et à moitié vide. Nous sommes sous le niveau de la mer, le soleil brûle et on décide d'autostopper sur cette route mortellement chaude.

Surprise : la première voiture qui s'arrête est une famille mexicaine — toujours là dans les bons coups. J'avoue ressentir une petite pointe de nostalgie en discutant en espagnol avec eux.

Nous roulons sur une route étrange, semée de champs de dattiers, alors qu'une montagne de 3000m d'altitude encore enneigée n'est qu'à quelques kilomètres.

Aux États-Unis, les 3/4 des véhicules sont des pickups massifs. Il est donc très facile d'autostopper avec deux vélos, ce qui nous arrange bien. En effet, nous devons être à Salt Lake City mi-juin et le pays étant gigantesque, nous nous épargnons les longs tronçons de rien sur du goudron. Ici les gens sont très fiers de montrer leur appartenance politique et des pickups roulent avec des drapeaux pro Trump.

Jacob nous voit trop tard lorsque nous levons le pouce et fait demi-tour pour revenir nous chercher. Il habite à Joshua Tree et nous invite à camper chez lui, à deux pas de l'entrée du parc national du même nom. Jacob et sa femme Kat sont deux gros grimpeurs, contents de pouvoir rendre la pareille après des années de vadrouille. On passe une belle soiree en leur compagnie à profiter d'une douche chaude, d'une bière et de tous leurs conseils pour la suite du périple. Quelle chance.

Le Joshua Tree est un parc national qui se situe entre plusieurs déserts, le Mojave Desert, le Joshua tree Desert et le Colorado Desert. Nous entrons par l'entrée ouest du Mojave Desert. La grande particularité du parc sont ces colonnes de magma sculptées par les séismes, l'écoulement de l'eau et l'exposition au vent. La végétation se compose essentiellement des arbres joshua et des pins près des rares points d'eau. Dans ce paysage sec et chaud, une montagne enneigée continue de se démarquer.

À mon grand regret, le parc est traversé par une belle route goudronnée et tous les visiteurs se déplacent dans leur gros véhicule entre chaque highlight. Malgré tout l'acharnement des rangers à protéger la faune et la flore du lieu — jusqu'à interdire de pédaler sur le sentier — rien ne semble ébranler la sainte reine voiture individuelle.

Après s'être baladés dans les différentes vallées à observer ces drôles de formations rocheuses, nous nous échappons de la route principale par un sentier de terre oublié de tous. Nous passons la nuit dans le parc et sortons par la petite porte sud, en traversant un canyon sinueux et semé d'embûches. Malheur, la sortie du parc naturel se révèle être une décharge où des individus vont s'entraîner au tir, bordée d'une grosse usine. Je plains cette hypocrisie, d'une nature sacralisée puis saccagée dès qu'on sort des limites que l'humain a défini comme juste (ou rentables).

Nous filons alors vers l'Arizona, direction Phoenix grâce au camion de Gary. De là, nous allons suivre l'Arizona Trail, un itineraire mythique qui traverse l'Etat du Sud au Nord jusqu'en Utah !


Anecdotes américaines :

Dans un restaurant, la pinte est le plus petit format.

Amazon a son propre supermarché, Whole Food Market, et le pire, c'est qu'il est bien.

La voiture autonome fait son entrée, c'est glaçant de voir un véhicule qui roule sans personne au volant.

Notre itinéraire depuis la frontière est dispo ici.


Comme d'habitude, credit photo réflexe Yohan aka Grinfinch.

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Depuis la ville californienne de Indio, nous sommes pris en stop dans le camion de Gary, direction l'Arizona. A 19h, nous arrivons à l'entrée Ouest de la ville. De là, nous devons supposément nous rendre chez nos hôtes Susan et Jim, situés à l'Est de Phoenix. Ô malheur, la ville est gigantesque et la carte indique 70 kms à parcourir entre les deux. Trois options s'offrent alors à nous :

- faire du stop depuis la gas station où nous nous trouvons — malheureusement aucun pick-up ne va dans notre direction.

- camper dans cette gas station qui sert aussi de truck stop pour la nuit — on a bien repéré un petit bout d'herbe mais c'est pas jojo.

- trouver un nouvel hôte plus proche pour la nuit — Miracle, Micah répond positivement à notre SOS sur Warmshower.


Il nous reste tout de même 25 kilomètres à pédaler jusqu'à sa maison dans le centre-ville. La nuit est déjà tombée et la ville est traversée par de larges avenues à 8 voies. Les voitures peuvent rouler jusqu'à 80 kms/h et elles sont mécontentes de devoir partager la route avec nous. La ville n'est clairement pas bike friendly et nous nous faisons klaxonner ou huer. On finit par suivre le canal, habité par les sans abris et les camés de la ville, tristement nombreux.

À 22h, nous arrivons enfin chez Micah, pleins d'émotions. Après notre rencontre avec Gary — convaincu que les États-Unis ont le meilleur système au monde et que les endroits où il y a le plus de tueries sont ceux où les armes ne sont pas autorisées — nous sommes contents de pouvoir discuter avec Micah qui tranche littéralement avec ce discours. Globalement, nous sommes confrontés à une grande diversité d'opinions qui déchirent les États-Unis à quelques mois des élections présidentielles. La plupart des personnes qui nous accueillent sont de francs démocrates, désillusionnés par la politique actuelle et le système social de leur pays.


Le lendemain, nous arrivons enfin chez Jim et Susan, un couple de canadiens retraités expatriés à Phoenix. Chaque année, ils partent plusieurs mois à vélo. Il existe milles manières de voyager en pédalant, ce qui rend ce mode intéressant. Nous croisons des personnes de tout âge avec des organisations différentes selon le moment de vie. C'est très inspirant pour la suite, nous avons encore de beaux jours à vélo devant nous.


Mis à part nos belles rencontres, Phoenix est une ville que nous avons détesté. Il fait déjà une chaleur étouffante en mai et la population survit seulement grâce à la climatisation à outrance. Nous nous sentons comme dans une grande dystopie où plus personne ne marche et tout a été pensé uniquement pour la voiture. Il n'y a pas de centre-ville mais des immenses centres commerciaux à la chaîne. Les villes américaines ont clairement raté leur urbanisme.

De sérieuses tendinites aux genoux et aux épaules compliquent mon quotidien. Pendant plusieurs jours, je boîte chaque matin et mes épaules me privent des mouvements les plus simples. Yohan doit m'aider à pousser le vélo dans les montées raides ou à tasser mes affaires dans mes sacoches. Tout prend alors plus de temps et c'est extrêmement frustrant. Satanée trentaine.

La situation s'améliore au fil des jours mais je dois faire attention malgré tout.


Depuis Phoenix, nous suivons l'Arizona trail, un sentier pour marcheurs, cyclistes et cavaliers qui traverse l'Etat du Sud au Nord. Il se compose uniquement de dirt road et majoritairement de singletracks. Nous empruntons d'abord l'Apache trail, une route historique du pays.

Officiellement, la route est fermée, mais nous passons sous la barrière, n'ayant pas l'intention de revenir sur nos pas. Un sentier en balcon nous fait plonger dans le canyon et nous en prenons pleins les yeux. Nous comprenons vite qu'un éboulement bloque la route. Toutefois nous ne sommes pas les seuls cyclistes à déroger à la règle puisque un petit passage permet de se faufiler entre les blocs de pierre.

Le lendemain, nous traversons le canyon sous une forte chaleur et je craque dans la montée, au bord de l'insolation. Nous trouvons refuge sous une ombre artificielle jusqu'à ce qu'un pick-up nous propose de nous déposer au prochain restaurant pour nous ravitailler en eau. J'accepte volontiers mais Yohan préfère pédaler et me rejoindre là-bas. Malheureusement il prendra la mauvaise direction et sera déjà loin avant de réaliser son erreur. Pendant ce temps, je m'inquiète de ne pas le voir arriver. Nous n'avons pas de carte SIM pour nous joindre et en plus c'est lui qui porte la tente ! Même si nous critiquons beaucoup d'aspects des États-Unis, les américains sont franchement très gentils et aidants. Ce jour-là, un monsieur me demande si tout va bien alors que je guette vainement Yohan au loin. Il part faire un tour en voiture pour m'avertir s'il l'aperçoit mais revient bredouille. J'arrête alors le premier pick-up pour partir à sa recherche dans l'autre direction. L'histoire se termine bien, je le retrouve finalement dans l'autre restaurant, 25 kilomètres plus loin. Journée haute en émotions.


L'Ouest des États-Unis est très peu dense contrairement à l'Est du pays. Et encore plus particulièrement par la route que nous suivons. A la différence du Guatemala ou du Mexique où chaque maison est à moitié une tienda ou un comedor, ici nous devons constamment porter 4 à 5 jours de nourriture. Parfois, nous croyons arriver sur une route avec suffisamment de passage pour espérer un minishop. Grossière erreur. Mais là encore, les américains se montrent généreux et vont jusqu'à faire des allers-retours jusque chez eux pour nous offrir des sodas ou de l'eau. "He is a good guy, he is a sherif" m'entonne un américain alors que son ami est parti chez lui prendre des boissons. God bless America.

Au fur et à mesure que nous nous enfonçons dans l'Arizona trail (AZT), nos bilans kilométriques sont de plus en plus minables. Nous le savions, l'AZT est une route particulièrement technique et nous sommes relativement lourds. Nos sacoches portent 6 mois de vie et 4 jours d'autonomie alimentaire. D'autre part, nos montures sont rigides alors que certaines portions du trail demanderaient volontiers des suspensions.

Notre journée la plus longue et la plus dure fut le long du Mogollon Rim. 34 kilomètres au compteur en pédalant de 8h à 22h. C'est un singletrack très engagé, avec des descentes abruptes qui remontent tout aussi raides, des escaliers et des racines à enjamber, et enfin des virages secs le long du vide. Le chemin est très sinueux et, dans ce contexte, les kilomètres s'étirent. Néanmoins, c'est un itinéraire le long d'une paroi rocheuse assez extraordinaire que nous n'aurons pas l'occasion de revivre.

Pendant la nuit et toute la journée du lendemain, nous croisons des cyclistes en pleine course. Encore plus idiots que nous, ils pédalent plus de 300 miles sans dormir pour faire une boucle autour de Flagstaff. La plupart des vélos sont tout suspendus et presque sans sacoche. Nous discutons un peu avec eux, chacun admirant l'autre dans sa discipline. C'est ainsi que nous rencontrons Kyle, qui nous accueillera un mois plus tard dans sa maison à Salt Lake City.

La journée se termine avec une dernière montée de 250 mètres de dénivelé positif étalés sur deux kilomètres. Il fait déjà nuit mais nous voulons en finir. C'est un chemin qui, même en randonnée, n'est pas agréable. La pente est très raide et semée de grosses pierres qu'il faut enjamber. Mes tendinites aux épaules m'empêchent de pousser mon vélo sur une telle inclinaison. Pour compenser, je prends un maximum de sacoches sur moi et marche pendant que Yohan pousse difficilement les vélos l'un après l'autre.

Quelques fois, je préfère les nombreux chemins gravels qui entourent l'Arizona trail pour économiser mon corps. Toutefois, cette stratégie n'a pas toujours été concluante. Il est arrivé que le chemin mène à une crevasse sans prévenir et que je doive retourner sur mes pas pour trouver une autre alternative. Je me dépêche alors pour ne pas inquiéter Yohan de l'autre côté, qui a poursuivi sur l'AZT.


Dans les environs de Flagstaff, nous allons prendre de plus en plus d'altitude et quitter les terres rouges pour les forêts de pins. Là, nous sommes accueilli par Joe, dans sa maison où les meubles sont suspendus au plafond. Vice du grimpeur ;) Nous l'accompagnons dans un des moments particuliers de l'année : une descente à vélo de 1000 mètres d'altitude depuis le Sunset Crater, éclairé uniquement par la pleine lune.

De Flagstaff au Grand Canyon, nous suivons toujours l'Arizona trail, mais le singletrack de terre est tout doux et nous filons comme des flèches ! C'est grisant.

Nous roulons vers le Grand Canyon avec l'intention de faire la randonnée qui le traverse du Sud au Nord. Avant même d'arriver, nous longeons des points de vue déjà très impressionnants : les falaises rouges gigantesques et les plateaux traversés d'une large fissure. Le vertige nous prend lorsque nous nous approchons tellement le canyon est profond.

Coup de chance, des espaces dans le campground du Grand Canyon sont réservés pour les personnes qui font l'Arizona trail comme nous. Autrement, il peut y avoir des semaines d'attente.

La randonnée part du Kaibab South Trail pour remonter jusqu'au North Rim par le Kaibab North trail. Entre les deux : 35 kilomètres, 1400 mètres de descente puis 1800 mètres de grimpette. Bien sûr, cette randonnée est interdite aux vélos. Je fais envoyer le mien sur la North Rim avec un maximum d'équipements, tandis que Yohan a demonté la roue avant de son vélo et accroché le tout sur son sac à dos. C'est une charge lourde et encombrante qui lui tape dans le dos. Comme si c'était pas déjà assez dur. Les marcheurs que nous croisons sont scotchés et le saluent d'un "You're a beast". Flatteur.

La Kaibab South Trail est une violente descente pour les genoux. Les chemins sont creusés à flanc de montagne, presque invisibles, et nous perdons 1400 mètres en 10 kilomètres. Les nuances des falaises se dévoilent à mesure que nous descendons et prennent des tons époustouflants. En effet, la roche du canyon se compose de diverses couches de minéraux et de sédiments, d'où une large variété de couleurs et de textures. C'est un paysage exceptionnel et nous savourons le moment présent.

Nous empruntons quelques chemins de crête, offrant une vue sur l'immensité du lieu, avant de plonger un peu plus dans les profondeurs du canyon et de sentir l'air se réchauffer.

A 21h, nous sommes en bas et jetons la tente dans le campground au bord du Colorado river, à 750 mètres d'altitude. La nuit va être courte. Nous nous levons tôt. Il nous reste encore 22 kilomètres jusqu'au North rim et la chaleur monte vite. Les jambes sont douloureuses de la veille — la marche sollicite d'autres muscles que nous n'avons pas préparés à ça.

Toute la matinée, nous longeons un affluent du Colorado river sur une pente très légère. Il est plaisant de voir que le Grand Canyon n'est pas Disneyland. Toutes les infrastructures ont été pensées pour avoir le moins d'impact et ceux qui se lancent dans la randonnée sont des marcheurs aguerris. Certains courrent les 35 kms sur la journée, d'autres font l'aller-retour sans dormir.

Après une bonne sieste le midi, il est temps d'affronter la remontée : l'essentiel des 1800 mètres de dénivelé positif est concentré sur les 10 derniers kilomètres. Le chemin est étroit, sinueux et toujours à flanc de falaise. Encore une fois, les kilomètres s'étirent.

Le Grand Canyon est absolument gigantesque, il n'y a qu'une seule randonnée balisée qui le traverse du Nord au Sud. Le reste est pour l'essentiel vide de visiteurs.

À 20h30, nous sommes enfin en haut, exténués, mais très heureux. C'est certainement l'un des plus beaux endroits que nous avons pu arpenter jusqu'ici. Nous sombrons vite dans les bras de Morphée, les yeux pleins de ces roches colorées.

Dix heures de sommeil ne suffisent pas, et nous nous recouchons après avoir petit-déjeuné !

Le North Rim se situe à 2500 mètres d'altitude et les paysages se traduisent par de hautes forêts de pins. Néanmoins, nous gardons régulièrement un point de vue sur les canyons rouges.

Vu l'environnement, nous commençons à avoir un peu peur des ours et accrochons notre nourriture en hauteur. Même si nous apprenons après qu'il n'y a pas d'ours dans la région !

La dernière section de l'Arizona trail est bien plus basse en altitude et le singletrack est bordé de cactus — il ne faut pas se rater ! C'est un passage difficile pour terminer ce trail mythique : une sente en mauvais état, des rochers à gravir et des plantes piquantes.

Après trois semaines en Arizona, nous entrons en Utah à 1500 mètres d'altitude. La chaleur est écrasante mais dès la frontière, nous côtoyons une géologie extraordinaire qui nous pousse à avancer.

Crédit photo réflexe Yohan, aka Grinfinch.

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Une descente en lacets serrés sur un singletrack—  bouquet final de l'Arizona trail — marque notre entrée en Utah. Dans ce nouvel Etat, nous prévoyons de relier plusieurs boucles bikepacking entre elles, avec son lot d'improvisation, jusqu'à rejoindre Salt Lake City.

Nos premiers coups de pédale en Utah sont sur un sentier gravel encaissé entre deux environnements géologiques : un plateau de roche vert à notre gauche et une paroi rocheuse rouge vif à notre droite.

Les pieds des collines forment des dunes aux couleurs rouges, vertes, oranges et même parfois roses. Encore une fois, le soleil nous écrase alors qu'il n'est que 10 heures du matin. Mais un peu de musique dans les oreilles et les yeux rivés sur ce qui nous entoure nous font oublier les grosses gouttes qui perlent à nos fronts.

Derrière chaque courbe, nous sommes surpris par une nouvelle montagne qui sort d'un Holi Run. La large route goudronnée serpente elle aussi entre ces façades colorées. Parfois, un cailloux haut d'une dizaine de mètres est posé là, seul, au bord de la route.

Mais quels mystères se cachent derrière cette géologie merveilleuse ?


C'est alors qu'une voiture s'arrête sur le bas côté, le passager avant sort et nous regarde, interloqué. Nous ne nous arrêtons pas et nous nous questionnons sur ce que nous voulait ce type. Quelques instants après, la même voiture ralentit à côté de nous et nous entendons "Yohan, c'est toi ?". Incroyable hasard, nous tombons sur Cyril, un ami de Yohan vivant à San Francisco et en vacances en Utah. Nous avions abandonné l'idée de le voir, ne pouvant prévoir notre avancée et surtout n'ayant aucun moyen de communication. Coïncidence improbable, vu l'immensité de l'Etat, de se retrouver au même instant sur cette route. Nous en avons des fous rires.


A regarder de plus près la carte, nous sommes sur une zone complètement inhabitée. C'est donc avec une grosse désillusion que nous découvrons que l'unique restaurant de bord de route qu'on avait repéré sur la carte, est abandonné. Déjà 8 jours que nous nous alimentons de nourriture déshydratée. Même si nous pouvons tenir encore 2-3 jours sur nos réserves, nous rêvons d'un repas frais. Mais cela impliquerait, au mieux, un détour de 60 kilomètres sous le cagnard.

La semoule au concentré de tomate avalé sans plaisir, nous rejoignons la route du Grand Staircase Escalante Monument. C'est une zone presque vierge du sud de l'Utah qui couvre de nombreux canyons, et des plateaux multicolores qui s'enchainent en escalier.

Nous traversons des vallons encaissés entre des parois colorées, des colonnes de pierres et des montagnes aux crêtes dentelées. A 19h, il fait toujours aussi chaud, et nous n'arrêtons de pédaler qu'à la tombée de la nuit.

Le lendemain, les falaises nous protègent du soleil et nous laissent dormir plus longtemps. Une dizaine de kilomètres plus loin, nous rejoignons le Cottonwood Canyon. Une marche de 5 kilomètres dans un canyon étroit et aux parois dansantes. Les canyons ne manquent pas dans la région mais certains sont accaparés par l'industrie du tourisme et il faut parfois payer jusqu'à 80€ pour avoir le droit d'y mettre un orteil. Le Cottonwood Canyon, quant à lui, n'appartient à personne et nous ne croiserons qu'une bande de copains retraités sur notre chemin.

Le vélo nous permet cette liberté, une manière de nous réapproprier l'espace et le temps.

Nous déjeunons et siestons aux pieds d'une arche de pierre, avant de prendre de la hauteur. Le chemin de crête offre une vue 360 sur les canyons gris et blancs qui nous encerclent.

Nous rejoignons la ville touristique d'Escalante où enfin, nous avons le droit de manger des produits frais (et un fastfood en bonus) !

Nous continuons de grimper sur une route gravel jusqu'au lac Posey à 2600 mètres d'altitude. L'air frais est un vrai bonheur et je profite de l'eau gelée du lac pour prendre un bain après des derniers jours suant.

Dans cet environnement, nous croisons de nombreux cervidés, plus ou moins curieux. Sur nos chemins de forêt esseulés, nous tombons même sur un troupeau entier qui s'arrête et nous observe en remuant leurs grandes oreilles. Ce sont quelques secondes suspendus avant qu'ils ne se décident à fuir en bondissant.


Nous rejoignons le Great Western Trail (GWT), un chemin de randonnée et vtt qui traverse les États-Unis du Montana à l'Arizona.

Une cinquantaine de kilomètres seulement nous sépare de notre destination, mais cette portion du GWT est loin d'être aisée. Nous enchaînons des montées descentes raides sur des cailloux et nous sautons par dessus de nombreux ruisseaux. Du fait de l'altitude, l'environnement qui nous entoure n'a plus rien à voir avec les deux premiers jours en Utah.


A Torrey, nous faisons une pause chez Amiee dans sa magnifique maison autoconstruite. Nous la relayons pour l'aider avec le fougueux Harry, deux ans. La parentalité c'est dur.

Yohan imagine notre futur maison

Nous reprenons la route le long du Capitol Reef, un parc national au coeur du red rock country. Nous filons entourés de montagnes qui varient rapidement, passant du rouge au jaune puis du jaune au blanc.

Nous sommes redescendus à 1400 mètres d'altitude et l'atmosphère est lourde. Les moucherons et taon nous privent de sieste à midi.

Nous quittons ensuite le Capitol Reef pour s'enfoncer dans la Cathedral Valley, par une route bikepacking qui traverse ces paysages lunaires. Nous ne nous lassons pas de ces formations géologiques ondulées et striées de minéraux clairs et foncés. Leurs pieds semblent sableux tandis que des roches compactes forment les sommets. La saison est aux orages l'après-midi, créant une atmosphère toute particulière.

Nous campons à l'entrée du parc des Temple of the Sun et Temple of the Moon, deux blocs de pierre immenses. Cette nuit, nous aurons des voisins : un couple d'instagrammeurs maîtres dans l'art de l'illusion des réseaux sociaux —ce qui nous amuse beaucoup.

Le lendemain, nous vivons certainement la pire matinée du voyage. La tente se transforme vite en four mais les centaines de moucherons qui nous attaquent dès que nous mettons un pied dehors sont encore pires. Minuscules et rapides, il est impossible de s'en débarrasser. Ils nous tournent autour, nous piquent partout et s'infiltrent dans nos narines, nos oreilles, nos yeux. C'est insupportable. Nous restons dans la tente le temps du petit déjeuner, suffoquants.

Nous devons limiter les pauses pendant la journée, nous faisant sans cesse attaquer par les moucherons.

La Cathedral Valley porte bien son nom, certaines structures rocheuses ressemblent étrangement à des édifices humains. A d'autres endroits, des crêtes noires me font penser à des écailles, comme si un animal gigantesque s'était endormi là et que seuls ses écailles dorsales étaient visibles.

La gestion de l'eau est toute une stratégie dans cet environnement hostile. Nous cherchons les rares sources sous la végétation haute ou les bidons d'eau que d'autres voyageurs auraient laissés là. La peur d'avoir soif m'obsède et je suis prête à tous les détours pour remplir mes gourdes.

Nous quittons la Cathedral Valley pour retrouver des plaines, des rivières et des villages où nous reprenons des forces.

Nous comptons suivre la Skyline Drive, une route de terre qui traverse un massif au Sud Est de Salt Lake City, afin de se maintenir un maximum en altitude.

Sur la montée, nous croisons un garde forestier qui nous informe que la route est fermée à cause de la neige mais que nous devrions nous en sortir à vélo. Certes, nous sommes friands des plans foireux, mais là, le garde forestier nous l'a bien mis dans l'os.

La montée jusqu'au col aurait dû nous donner des indices. Déjà, la neige envahissait la moitié du sentier alors que nous étions face sud. Le chemin devient vite invisible et nous devons pousser le vélo sur des couches de neige hautes et glissantes. Les jambes s'enfonçent et la neige s'infiltre dans les chaussures, il faut remuer les orteils constamment pour les maintenir "chauds". Dire que la veille nous étions dans un environnement sec et chaud et que là nous sommes entourés de neige au milieu des pins, à 3400 mètres d'altitude.

Aussi épuisante soit-elle, nous ne pédalons que 34 kilomètres au cours de la journée.

Toutefois, nous campons avec une vue exceptionnelle sur la chaîne de montagne et le coucher de soleil — comme l'impression que le monde est à nos pieds.

Le matin nous sommes toujours empêtrés dans nos névés et nous nous perdons dans ces vastes étendues blanches.

Nous descendons lentement, espérant que la route du Skyline Drive sera à nouveau pratiquable. Mais nous continuons de faire face à des murs de neige. Nous réalisons qu'à cette latitude, la neige ne quittera les sommets que courant juillet. Nous décidons de bifurquer pour redescendre dans la vallée même si cela signifie retrouver le soleil de plomb. Ici, c'est tout ou rien.

Le chemin de terre n'est qu'un tas de boue — du peanut butter comme disent les américains. Des énormes couches de boue s'accrochent à mon vélo et se coincent entre mes roues, mon porte bagage, ma transmission. Merde, première fois en 7 mois que ma faible clearance pose soucis. La boue est tellement dense que je ne peux pas pousser Coyote et je dois retirer ces amas tous les dix mètres.

En fin de matinée, je traverse mon premier "torrent". Inquiète de ne pas pouvoir retenir mon vélo dans le courant, Yohan s'est bien moqué. Il était en réalité plus impressionnant que puissant !

Notre traversée du massif par la Skyline Drive est donc un échec. Il nous reste 24 heures pour rejoindre Salt Lake City et c'est officiellement ma dernière journée de vélo du voyage. Nous avons le choix entre continuer sur des routes à travers champs et pavillons de banlieue, ou tenter notre chance sur une autre route de montagne scénique, la Mont Nebo Wilderness. La deuxième option est la plus attrayante mais aussi la plus longue. Or, nous manquons de temps. Après de longs débats, nous décidons de tenter notre chance et d'essayer d'autostopper les pickups tout en pédalant, pour ne pas perdre une minute.

Coup de bol, le pickup plein à craquer de Tonya s'arrête. Nous n'allons pas laisser passer cette opportunité et nous jouons à Tétris pour coincer nos vélos dans le coffre. Tonya est une femme inspirante. Issue d'une famille mormone conservatrice, elle est parvenue à s'émanciper malgré un mari et des fils oppressants. Forcément, le mormonisme avantage les hommes et cette idéologie me répugne profondément.

Deuxième coup de chance, le ranger ouvre la route au col, encore fermée à la circulation la veille. Nous économisons ainsi 1000 mètres de dénivelé et profitons du Mont Nebo sur une descente de 1500 mètres, les cheveux dans le vent. Le Mont Nebo est une montagne inversée, où les pierres les plus jeunes sont au sommet.


Ce chipmunk essaye de me voler mon déjeuner

Nous arrivons rapidement à la ville de Provo, dans la banlieue sud de Salt Lake City, où nous grimpons dans le train de la métropole. Celui-ci comporte de vastes espaces pour les vélos — par pitié, que la France en prenne de la graine !

Dans le wagon, nous sympathisons avec un cycliste qui, une fois dans le centre-ville, nous accompagne jusqu'à son bikeshop préféré. Bon flair, non seulement le vendeur a un carton de vélo (pour le transport en avion) à me donner, mais en plus il me propose de le déposer en voiture jusque chez notre hôte à quelques kilomètres de là ! Imaginez, j'avais un carton de 1,5 mètres de long à transporter je ne sais pas comment sur Coyote, dans les rues chaudes et très empruntées de Salt Lake City. Cet homme m'a épargnée une virée infernale, spontanément.

C'est une dernière journée de voyage qui me sourit, avec ses belles rencontres et son lot de surprises bienvenues. Nous rions beaucoup de notre chance tout au long de la journée.

Le soir, nous souhaitons acheter deux bières pour fêter l'étape et la fin du voyage à vélo pour moi. Sauf que nous sommes en Utah, un Etat mormon et par conséquent, puritain. On me refuse mes deux bières car une pièce d'identité sur le téléphone ne suffit pas. Apparemment je fais moins de 21 ans et c'est très grave d'acheter de la bière à 5%.

Yohan s'en va alors tenter sa chance, découvrant volontairement quelques poils de torse de son tee-shirt. Lorsque le vendeur lui demande sa pièce d'identité, il prend sa plus grosse voix, toute virilité dehors, pour montrer son indignation face à cette demande. Et le pire c'est que ça marche. C'est très regrettable de voir qu'on accorde plus de crédit à une paire de cojones plutôt qu'à une paire d'ovaires, mais bon nous avons obtenu nos bières de la victoire !

Nous dormons chez notre ami Kyle, rencontré sur une course sur l'Arizona trail. Adorable, nous pouvons laisser nos vélos chez lui les trois prochaines semaines. En effet, dès le lendemain les parents de Yohan débarquent et nous partons pour un roadtrip en voiture autour des parcs nationaux.


Je nettoie et démonte mon précieux Coyote, c'est la fin de notre duo pour cette fois. Mais je suis sereine, d'autres aventures à vélo m'attendent !