Nous avons quitté Cuba le 10/05 vers 18h pour le gros morceau de navigation de cette année sabbatique, la partie qui fait peur, la partie la moins facile, la partie la plus capricieuse météorologiquement parlant, bref la partie tant redoutée par les familles qui comme nous font ce voyage France/Antilles Aller/retour dans la même année.
Nous avons donc quitté Puerto Vita pour une longue et belle navigation de 2650 milles (4907,2km) qui nous fera traverser l'archipel des Bahamas, le triangle des Bermudes (Brrrr), la mer des Sargasses (Ssss), passer au dessus de la dorsale middle Atlantic et autres montagnes sous marines au doux noms de New England Seamount ou Corner seamounts et flirter avec la Shom Abyssal Plain...quand je vous disais que ça foutait les j'tons...!
Nous voici donc partis pour l'aventure, la vraie.
On a commencé par faire 12 heures de nav et faire un petit Stop de 48h sur une petite ile des Bahamas nommée Ragged Island pour y rejoindre nos copains Lolitiens partis 2 jours avant nous et nous faire un dernier bain dans les eaux turquoises et chaudes de l'arc antillais.
Aaah qu'il était bon ce bain...enfin pas vraiment car un gros, voir très gros baracuda se promenait sous le bateau quand nous étions dans l'eau. Aussitôt vu, aussitôt sorti de l'eau car le bestiau faisait quand même un peu peur. Du coup, on s'est replié sur un banc de sable au milieu d'une baie où tout le monde avait pied sauf ledit poisson par la force des choses.
Le 13/05, nous sommes donc partis pour la fameuse transat: 2600 milles de mer intense avec une météo plus que capricieuse nous obligeant à tirer des bords et faire du moteur pour s'extraire des calmes dominant dans cette zone. Au fur et à mesure de notre avancée, notre route s'est rapprochée des iles des Bermudes. C'est donc aux Bermudes que nos bateaux seront à leur prochaine escale. A l'aide du routage quotidien, fin et précis de Hubert, pour rappel frère du captain et fin navigateur, le frère pas le captain, enfin si le captain aussi, mais pas là, enfin si là aussi mais...bref, d'un commun accord entre Lolito, Hub et Archipell, nous avons décidé de relâcher aux Bermudes jusqu'à ce qu'une bonne fenêtre météo s'ouvre pour la suite du périple. Nous sommes donc entrés dans la baie de St Georges le 20/05 en fin de journée après une nav de 8 jours et de 840 milles (1555km).
La particularité des Bermudes est d'être un paradis fiscal. C'est le pays au monde où le salaire moyen par habitant est le plus élevé.
Les prix pratiqués sont en rapport avec ce salaire moyen et nous nous rendons compte de cela assez vite en allant regarder les tarifs d'une pizzeria sur le port: 25$ la pizza...plus tard et après être rentré diner à bord évidemment, nous confirmons en allant faire des courses dans la superette. Exemple: LA pomme à 1 $US pièce, le paquet de céréales type Corn Flakes à 8$US. Autre particularité plus éphémère celle là, mais d'importance pour tout voileux qui se respecte: l'America Cup. LA régate des régates, le summum de la voile, la crème de la crème de ce qui navigue, les Top Gun des plans d'eau sont là. A quelques encablures de nos bateaux. Cette année, comme la fois précédente, ils ont des bateaux qui volent. J'entends déjà vos rires moqueurs: "rhin rhin rhin, en fait ils font de l'avion..." que nenni, ce sont bien des bateaux, et je laisse là le soin à notre ami Thomas, qui en a conçu, le soin de vous expliquer la chose si le coeur lui en dit, ou alors je vous invite à aller faire un tour sur youtube pour vous rendre compte. Bref, en attendant la fameuse fenêtre météo, nous espérions bien pouvoir aller faire un saut dans La Mecque de la voile pour constater de visu que tous ces bateaux vont très vite.
Et bien nous n'aurons pas le temps de sortir de St Georges car arrivés le 20, nous en sommes partis le 23. Comme le disait Mike Brant quand la fenêtre est ouverte, il faut savoir en profiter. Nous avons donc appareillé en même temps que 7 ou 8 autres voiliers pour les Açores. 1775 milles (3287 km) à parcourir.
Là encore, nous faisons route bord à bord avec Lolito. Nous sommes toujours routés par Hub et même si nous prenons également à bord les bulletins météos, nous échangeons tous les jours nos impressions et sommes assez d'accord sur la trajectoire pour commencer cette traversée.
A ce point de l'histoire, je précise tout de même que nous nous méfions pas mal des conditions de vents qui peuvent être assez musclées dans cette partie de l'océan lorsqu'une dépression formée sur la côte Est américaine viens à traverser l'atlantique pour venir lécher les côtes bretonnes et vendéennes et mourir en Ecosse. Nous prenons donc de grandes précautions dans l'analyse et l'interprétation des bulletins qui ne sont pas toujours très fiables aussi bien en direction de vents qu'en force. La nav devrait durer environ 15 jours. Pour commencer, nous décidons de rester sur la route directe pendant la première semaine. Au bout de 4 jours, 2 options s'offrent à nous car un front va passer et les conditions vont forcir: soit nous restons sur la route directe (plus courte et probablement plus rapide, mais moins confortable) soit nous appuyons vers le Sud pour rester dans des vents cléments (quitte à nous ralonger de plusieurs jours). Nous choisissons la deuxième option, étant par nature prudent et par expérience peu enclin à faire le gros dos dans du fort vent dans le nez.
Ayant perdu le visuel depuis 2 jours avec Lolito et également le contact VHF, nous nous rendrons compte après 1,5 jour que nos routes se sont séparées au moment de cette décision. Ils sont restés sur la route dite "Nord" alors que nous sommes sur la route "Sud"...Nous espérons que tout ira bien pour eux et que le vent sera moins fort que prévu.
Voici un petit aperçu du déroulement d'une journée type lorsqu'on est en navigation hauturière.
- 06h00: Yves chuchote: "Céline...Céline...c'est l'heure". "Ok, j'arrive..."
Céline se réveille et s'habille pour prendre son quart. Yves va se coucher. Elle profite d'être tranquille pour allumer l'ordinateur et faire une connexion pour prendre une météo et envoyer un mail à Hub ou aux autres bateaux de la petite flotille partie le même jour de St Georges et ayant la même destination.
- Entre 7h et 8h; les filles se réveillent, lisent un peu dans leur lit, puis finissent par se lever parce que la faim les tirailles et que nous ne leur apportons pas leur petit dèj au lit même si elles en rèvent.
- Entre 8 et 9h, Yves se réveille. Va jeter un oeil sur la météo et sort sur le pont pour aller faire pi...régler les voiles. Céline va se recoucher pour finir sa nuit.
- Entre 9h et midi, les filles jouent à la Nintendo, lisent, dessinent, s'occupent comme elles veulent. Parfois Eugénie ne se sent pas très bien et demande à prendre un médicament anti-mal de mer. En général, ça va mieux 30 minutes après.
- Vers midi, on se demande ce qu'on va préparer à manger. Plus les jours passent plus les menus s'amenuisent car nous n'avons plus de produits frais. Riz, pates, semoules sont déclinées à toutes les sauces que l'on peut: sauces tomates avec ou sans épice, ketchup, thon à la crème, beurre... On ne pêche pas de poisson et c'est dommage car on aimerait bien de la chaire fraîche!
- Entre 13 et 14h, nous déjeunons et faisons la vaisselle, ensuite, place aux activités de l'après midi qui ressemblent étrangement à celles du matin: jeux, lecture, sieste etc...
- Vers 18h, nous faisons une connection pour recevoir le mail d' Hub avec sa prévision et ses conseils. Nous notons que nous sommes assez raccord sur la route à suivre.
- Ensuite, nous préparons le diner qui ressemble aussi étrangement au déjeuner. Souvent, les filles qui ont commencé à regarder un film le finisse pendant le repas. Nous tolérons des trucs que nous n'acceptons pas à la maison!
- Vers 20h30, Céline va se coucher et les filles suivent de près. Il y a toujours l'une d'elle qui vient dormir dans notre cabine.
- A 21h, le quart d'Yves commence. Il va durer 3 heures.
- A 00h, Yves réveille Céline qui prend le quart jusqu'à 03h
- A 03h, Céline réveille Yves qui prend le quart jusqu'à 06h...et on recommence...
Pour être tout à fait franc, on s'ennuie un peu et les grandes navigations ne sont pas les parties du voyage que l'on préfère. Mais bon, c'est une expérience...
Comme je le disais plus haut, nous sommes partis de St Georges le même jour qu'un certain nombre d'autres bateaux. Nous ne connaissons que l'un d'entre eux car nous l'avions rencontré dans les BVI, il s'agit d'Arwen, Fred et Mélanie, un couple de trentenaires très sympa. Eux sont restés aux Bermudes une quinzaine de jours et ont lié contact avec d' autres bateaux. Du coup, avant le départ, Arwen nous a donné les adresses mails des bateaux partis le même jour. C'est pratique en cas de besoin et sympa au quotidien. Du coup, nous nous envoyons des mails régulièrement en nous donnant nos positions et quelques nouvelles du bord: menu du jour, moral, santé...C'est marrant car nous n'avons jamais vu ces gens mais nous avons l'impression malgré tout de les connaitre. Citons tout de même ces bateaux: Lolito (évidemement), Arwen, Océanix, Opack, Dremwell, Anima 4.
Je pense que quand on va les retrouver aux Açores, il va y avoir une sacrée fête!
Un événemment très important est arrivé sur Archipell le 01 Juin. Depuis que je navigue, j'ai vu un certain nombre d'animaux de mer: Tortues, raies, crabes nageurs, baleines en tout genre, globicéphales, dauphins, requins, thons, espadons, poissons volant, morues des faubourgs, j'en oublie peut être. Tout ces animaux sont toujours une récompense quand on les voit. C'est souvent assez furtif, très rapide,cela ne dure que quelques secondes, une minute tout au plus, mais c'est toujours très intense et procure une émotion, la sensation d'être privilégié d'avoir pu voir ces animaux dans leur milieu naturel. Soyons honnète, on les voit beaucoup mieux dans les reportages animaliers, mais les voir en VRAI est très différent. A part pour les dauphins qui viennent jouer le long du bord pendant plusieurs minutes, pour les autres, il faut être à l'affut ou tout simplement avoir du pot. Lors de ce voyage, un des objectifs était de pouvoir montrer quelqu'uns de ces animaux aux filles. Elles en ont vu, un certain nombre et c'est toujours une grande joie de les voir s'extasier devant le spectacle. Cependant, il y a un animal que je n'avais jamais vu et dont je rêvais de voir. Et bien le jeudi 01 juin 2017, on l'a vu!
Il s'agit de l'orque. Le seigneur des mers, la baleine tueuse. Vers 7h du matin, le temps était très calme, pas de vent, pas une ride sur l'eau, juste une houle assez longue, tout le monde dormait à bord et j'en profitais pour mettre la ligne de pêche à l'eau quand j'ai entendu un gros souffle d'animal et entre-aperçu un aileron qui me semblait vraiment plus gros que celui d'un dauphin. Après quelques secondes à regarder dans la direction de ce souffle, j'ai vu un aileron noir, bien pointu sortir doucement de l'eau, puis le son du souffle a retenti à nouveau. Je n'en croyais pas mes yeux. Impossible de se tromper, il s'agissait d'une orque! Je suis descendu en trombre dans le bateau faire le branle bas express et dire aux filles de monter dar dar sur le pont pour voir un truc exceptionnel. Elles sont arrivées et ont vu aussi ce magestueux aileron, le dos de la bête, la tache blanche derrière son oeil. On a vu 3 fois l'animal, puis il a changé de direction et nous l'avons aperçu une dernière fois un peu plus loin. Magique, émouvant. Une grande satisfaction. C'est sans doute la seule fois dans notre vie ou nous verrons cela. Un moment exceptionnel je vous disais!
J'écris ces lignes alors que nous sommes à 2,5 jours de l'arrivée. Même si cette étape n'est pas tout à fait terminée, nous nous risquons à faire un petit bilan "j'aime-j'aime pas":
- Apolline: J'aime; regarder des dessins animés pendant le dîner. J'aime pas; quand le bateau bouge trop.
- Eugénie: J'aime; le moment où on a vu l'orque. J'aime pas; quand j'ai mal au ventre et que j'ai encore un peu le mal de mer.
- Gabie: J'aime; que l' on se retrouve tous les 5 à partager des bons moments comme rire, voir les animaux, jouer. J'aime pas; quand les parents ralent quand la météo n'est pas bonne ou quand le bateau prend des gros coups de roulis.
- Céline: J'aime; quand les filles viennent dormir avec moi dans notre cabine à tour de rôle. J'aime pas; le près quand le bateau tape fort.
- Yves: J'aime; l'ambiance à bord sur cette transat retour et avoir vu l'orque. J'aime pas; quand le vent monte dans la mauvaise direction.
Prochaine escale, les Açores à Horta sur l'ile de Faial.
Nous sommes arrivé le 06/06 à 06h du matin. 14 jours pour ce morceau d'océan, on est très content d'être là...Nous allons avoir la visite de Mamouni, ma maman!
On vous racontera...