Carnet de voyage

Transat et Petites Antilles

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Ce carnet commence au départ du Cap Vert pour la transat vers la Martinique et se continue dans les îles des petites Antilles.
Mars 2024
360 jours
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Ce nouveau carnet de voyage fait suite à nos deux précédents :

Nous l'ouvrons avec cette étape symbolique. "Transater" est un vieux rêve, nourri dès l'adolescence par des lectures de classiques de la littérature de navigation, les livres de Moitessier, des Damiens, de Sir Francis Chichester, de Tabarly, Colas et Kersauson, les récits et vidéos du chanteur Antoine, les récits de tours du monde de Joshua Slocun, Cook, Bougainville, les romans de Henry de Monfreid et ceux de R.-L. Stevenson dont notre bateau a hérité du nom.

Traverser l'Atlantique à la voile est devenu d'une grande banalité. J'ai bien expliqué à ma Maman que la partie la plus aventureuse de ce voyage était le départ de Paris par la Porte de Saint-Cloud. C'est à peine une plaisanterie. L'exploit est surtout d'amener son bateau à un niveau de fonctionnement opérationnel et fiable. Comme nous l'avons raconté dans les épisodes précédents, les défaillances concernent rarement la fonction "voile" du voilier, mais plutôt ses sophistications électriques, informatiques, hydrauliques et mécaniques. Après maints efforts sur ces thèmes, nous avons l'impression et la satisfaction fragile d'y être parvenus.

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Derniers jours au Cap Vert

A part Mindelo, nous ne connaissons pas du tout l'île de São Vicente. Nous consacrons une demi-journée à voir ce qu'on nous a indiqué de remarquable : la grande plage de São Pedro. Un coup d'aluguer pour nous y faire déposer et découvrir cette magnifique baie. Des barques de pêcheurs authentiques comme dans les cartes postales du Cap Vert.

Aluguer collectivo
Aluguer collectivo
São Pedro
São Pedro
Pour le vocabulaire
Pour le vocabulaire

Un petit coup d'aluguer collectivo au retour, entassés à dix-neuf dans un van, nous ramène à Mindelo. Ce sera notre seule visite, parce que le créneau météo a l'air stable pour le début de semaine prochaine. D'ailleurs nos voisins Blanche et Clément ont décidé de partir aussi bientôt et nous tentons de voir comment communiquer directement entre bateaux via Iridium. Et bien ça ne fonctionne pas, parce que les fournisseurs d'accès Iridium n'ont tout simplement pas prévu qu'on puisse adresser des messages entre usagers Iridium de providers différents.

Tentative de messagerie entre IridiumGO et Garmin InReach
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La logistique de cette nouvelle traversée qui s'annonce est spéciale. Nous connaissons bien les possibilités des petits supermarchés et marchés de Mindelo. Il faut faire avec. Des oranges, des pamplemousses et des bananes, beaucoup de bananes et à plusieurs stades de mûrissement. Nous les avons testées dans les jours précédents. Comme tous les autres fruits et légumes, ils sont cueillis au bon moment sur Santo Antão et transportés dans la journée. On peut les regarder mûrir de jour en jour sans traitrise. Des carottes terreuses non lavées, des avocats un peu durs. Depuis que nous sommes au Cap Vert, nous trouvons un excellent goût à tous les fruits et légumes consommés. Enfin des tomates qui ont du goût ! Nous remplissons plusieurs sacs de provisions, à la limite des capacités de stockage de la soute et du frigo. Un peu d'aliments en boîte, un peu de viande congelée qui dégèlera doucement dans notre frigo. Des yaourts, sans conviction parce qu'ils sont sertis à l'aide d'un film étirable et que nous avons un doute sur leur conservation. Pas de charcuterie, ce n'est pas la spécialité du coin, il nous reste du chorizo à longue conservation, apanage du monde ibérique que nous avons quitté.

A l'arrivée sur le bateau, tout est soigneusement traité : les cartons doivent rester dehors, les fruits et légumes passés dans une solution de permanganate de potassium (oxydant puissant). Toutes ces précautions sont indispensables pour éviter d'embarquer des insectes, et surtout des larves de cafards dont nous aurions le plus grand mal à nous débarrasser une fois au milieu de l'Atlantique.

A bientôt, Joëlle et Yves

Nous soignons particulièrement l'approvisionnement en eau. Nous partons avec quatre cent litres d'eau potable en réservoirs et trente litres en bidons et jerricans supplémentaires (pour la douche), auxquels s'ajoutent quarante litres d'eau minérale.

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12 mars 2024 - J0 - départ

De nombreux bateaux ont sélectionné le même créneau météo que nous. Certains déjà partis hier et le ponton est grand vide autour de nous. On a vu, entendu et participé à beaucoup d'au-revoirs. D'autres partiront bientôt. Certains, comme Nat et Teva que nous avions rencontré l'an dernier à Tenerife, sont dans l'attente de pièces moteur. Ils ont eu le courage de faire demi-tour en transat. Chapeau ! la décision de la cheffe de bord. Un quart environ des treize bateaux candidats à la transat va vers le Brésil, au moins un vers la Guyane et le reste vers les Caraïbes. Cela nous réjouit sincèrement d'apprendre que Tom, bateau-stoppeur persévérant et sympathique, vient de trouver un embarquement avec Clément et Blanche sur Appa, destination Martinique via la Barbade. Nul doute que nous nous reverrons bientôt.

Comme toujours, il reste une tonne de micro-trucs à faire avant le départ. Hier une dernière machine à laver ; installer une petite baille dans la descente pour mettre les gants, lunettes, téléphones ; remettre en place l'hydrogénérateur et régulateur d'allure ; effectuer les formalités de départ, surtout récupérer les papiers du bateau et le document de sortie du territoire ; solder le dû à la marina et leur rendre les badges d'accès...

Joëlle passe nous saluer. Avec leur voilier Nana, Yves et Joëlle vont faire un tour au Brésil, puis envisagent de revenir vers les Caraïbes.

Ce matin nous avons nettoyé le bateau de fonds en combles, aspirateur intérieur, rinçage, nettoyage du pont, des inoxs et des cordages, rinçages multiples. Il sort du sable rouge de tous les interstices, accumulation de plusieurs semaines de ce vent du désert. C'est lui aussi qui enrichit en nutriments la forêt amazonnienne, ai-je lu. Nos familles nous ont fait le plaisir d'un appel Whatsapp, un petit coucou avant le long silence prévu à douze jours dans les simulations, mais plutôt vingt si les alizés sont faiblards. Nous les prévenons bien. Nous avons Iridium bien sûr, mais les messages écrits et plutôt laconiques ne sont pas un lien bien affectueux. Les amis aussi nous ont envoyé des vœux de bonne traversée. Tout ça fait très plaisir. Liliane est partie acheter quelques pains à la seule vraie boulangerie. Leur pain est bon selon notre goût de parisiens gâtés, mais il se conserve mal.

Umberto, homme multiservice qui tente de s'employer auprès des navigateurs en les interpelant à la sortie de la marina avait bien compris au bout de quelques tentatives que nous n'avions pas de travaux à lui confier. Il a donc fini par demander un cadeau. Après réflexion, je lui dépose mon sac étanche un peu usé avec des chaussures de randonnée qui me font un peu double emploi. D'une part, je nourris ma bonne conscience à peu de frais et d'autre part, j'allège le bateau et réduis mon espace occupé à bord.

Nous avons réussi sans vraiment le rechercher à épuiser la totalité de nos Escudos avant le départ, les dernières pièces au Floating Bar, où nous prenons un café avec Hervé van V., membre très actif de l'association des RM et ancien voisin de ponton à Saint Malo en 2021. Le monde est petit. Il passait sur le ponton chercher son embarquement quand son regard a été arrêté par notre RM. Nous nous sommes rapidement reconnus. Comme tous les grands navigateurs, il partage volontiers et avec humilité son immense expérience de la mer. C'est un ancien de la marine marchande. Il vient aussi nous aider à démarrer. Avec la pendille, aucun bateau autour de nous et un vent arrière, c'est une manœuvre très facile. Il est seize heures. Je sonne traditionnellement trois longs coups de corne de brume à bouche.

Avec Hervé au Floating Bar
Top départ transat !

Dans l'avant-port, une toute petite houle fait osciller le bateau, ce qui révèle de l'eau sortant du coffre du Bib. Ce n'est que la rigole d'évacuation qui s'est bouchée, sans doute avec tout le sable nettoyé au jet ce matin. J'écope, mais cela donne un coup au moral, moi qui pensais que tout était parfaitement au point. J'ajouterai à la todolist de démonter ces tuyaux et de les récurrer. Il faut dire que le branchement avec de bêtes T n'est pas propice à l'écoulement des dépots. On a inventé le raccord en Y pour ça.

Nous craignions un courant d'air féroce dans le chenal entre les îles Sao Vicente et Santo Antao, comme lors de notre arrivée à Mindelo. Aujourd'hui le vent modéré de quinze nœuds en pleine mer ne déclenche pas un gros Venturi. Nous établissons les deux voiles d'avant en jumelles, sans grand-voile, plein vent arrière. Le génois au vent sur tangon et la trinquette sous le vent. C'est une première pour moi sur ce bateau. On étrenne donc le tangon, le renvoi du hale-bas en pied de trinquette mateloté récemment, la drisse de spi comme hale-haut de tangon et la configuration voiles jumelles. Je cafouille abondamment (la contre-écoute, c'est au-dessus du tangon(*), oui, je l'ai appris). Les longes de mon harnais essaient bien de me ficeler au tangon. Heureusement le plan d'eau est calme et le vent doux. Je corrige tout ça et nous voici plein vent arrière dans le vent qui coule entre les deux îles. Je mets le pilote en mode vent évidemment pour suivre ses éventuels changements. Il aime bien cette configuration. Le bateau est tiré "par le nez" et donc intrinsèquement stable.

🛠(*) explication technique : longtemps je n'ai pas bien compris pourquoi il faut mettre la contre-écoute au-dessus du tangon. Je demandais bien aux collègues navigateurs qui utilisaient le spi. "-C'est comme ça, il FAUT le faire". Maintenant je sais. Quand on tombe le tangon sur le pont et qu'on veut immédiatement faire porter la voile d'avant sur l'autre bord, façon virement à la bouée en régate, on peut ouvrir la voile d'avant, génois ou foc, et la border sans attendre que le tangon soit rangé. Dans le cas de notre modeste croiseur, c'est pour empanner tout de suite la trinquette qu'il aurait fallu que cette contre-écoute passât au-dessus. Qu'importe, nous n'étions pas en course et j'ai donc attendu de ranger proprement le tangon.

Une fois tout d'aplomb, le bateau descend dans le vent avec facilité et douceur. Un arrêt sur image pour savourer intérieurement ce moment. Nous voilà partis sur le grand tapis roulant des alizés. Les côtes qui s'éloignent nous renvoient les belles lumières du jour déclinant de leurs majestueuses falaises. J'éprouve (nous éprouvons ?) le tiraillement de tous les départs. Laisser les gens que nous apprécions, les lieux qui nous étaient devenus familiers. Nous profitons des derniers micro-watts des réseaux mobiles pour envoyer le dernier message d'au-revoir aux parents et amis sur les réseaux sociaux.

São Vicente à bâbord
Santo Antão à tribord
Descente vent arrière avec nos voiles jumelles
São Vicente : au-delà, l'Océan
En route sur le grand tapis des alizés
Grandes montagnes, grand dévent

Et puis, au fond de moi, je sens confusément un petit poids sur l'engagement de l'aventure à cet instant. Si quelque chose foire, il est très difficile de faire demi-tour. Confiant et plutôt bien préparé, oui, mais lucide sur les difficultés potentielles et l'esprit pas totalement léger.

La soirée se passe bien et la stratégie qui consiste à nous laisser suivre la veine pour ne pas tomber dans le dévent de Santo Antão semble fonctionner. Le dévent d'un île peut se faire sentir jusqu'à environ cent fois sa hauteur. Santo Antão a des sommets frisant les deux mille mètres d'altitude. Leur "ombre de vent" s'étend donc jusqu'à près de deux cents kilomètres en travers de la route directe. Nous commençons nos quarts à la nuit, après un rapide repas sur le pouce.

Chacun à notre tour, nous nous émerveillons du ciel à nouveau très étoilé, un croissant de Lune cendrée, Jupiter qui la suit à la verticale (nous sommes à 16° de latitude et l'écliptique sera à +20° à l'équinoxe prochaine), Orion ridiculement haut dans le ciel et la Grande Ourse qui vient gratouiller l'horizon nord.

Dans la nuit Liliane me réveille. "-On ne va pas dans la bonne direction". Effectivement, nous allons presque plein sud et le goto Martinique indique 99 jours ! La stratégie a partiellement échoué. Quand le vent contourne une île, il arrondit les angles, ce qui nous a finalement conduit dans le dévent qu'on cherchait à éviter. Heureusement nous n'intercepterons qu'un petit bout de la zone de calme. Il faut empanner pour repartir sur la bonne route. Avant de bondir sur le pont rentrer le tangon, je réfléchis plusieurs fois à l'ordre des opérations : allumer le projecteur de pont, enfiler le harnais (*), la frontale, enrouler le génois et son tangon, dégréer le tangon, continuer sous trinquette seule, ranger le tangon, son hale-bas et son hale-haut, empanner la trinquette pour nous mettre dans la bonne direction, enlever la bastaque bâbord, loffer un peu, hisser la GV avec Liliane, revenir sur la route en abattant, enrouler la trinquette, dérouler le génois, établir la bastaque tribord, régler aux petits oignons, retourner dormir. Quelques heures plus tard à l'allure du largue, nous sortons de la bulle de calme, nous marchons à un bon cinq nœuds, qui nous entraîne bien vers l'Ouest.

(*) j'ai constaté qu'on a intérêt à enfiler le harnais forfaitairement, même si on pense au début qu'on n'aura pas besoin de sortir du cockpit. Souvent, il y a un imprévu, une manœuvre qui se coince et alors l'esprit a tendance à bondir, au sens littéral, sur le problème et renacle à "perdre du temps" à enfiler le harnais, ce qui constitue un risque.

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13 mars 2024 - J1

Au lever du jour, on devine que le soleil restera un peu voilé dans la journée. Vite ! contrôle des batteries : 72 et 69%. Ça va, mais il ne faut pas laisser la charge se dégrader. Je profite que Liliane s'éveille pour mettre l'hydrogénérateur dans l'eau. Ensemble, nous partageons un petit déjeuner de pain grillé beurré. Rien à voir avec la Madeleine de Proust, mais l'odeur d'un pain grillé en pleine mer est exacerbée par le fait que notre odorat a été exempt d'odeurs depuis notre départ. Il est donc particulièrement sensible à toute effluve, impression déjà ressentie après une semaine de randonnée en montagne.

13 mars - 07h02
Sargasse, il paraît que ça se cuisine

Hier je me suis râpé le coude et la peau a suinté du sang dans la nuit sur le coussin de la couchette du carré où je dors quand je suis hors-quart. C'est glauque. Notre infirmière du bord me panse professionnellement. En revanche Liliane grommelle un peu.

Ensuite, je largue le ris restant de la grand-voile. Un exemple typique d'écart entre la simulation et la réalité. Cette nuit, nous avancions déjà un peu trop lentement, mais j'ai préféré reporter une manœuvre, alors le petit bateau bleu sur l'écran a pris de l'avance, lui qui n'a aucune peine à fonctionner toujours au top des performances du bateau.

La journée se passe. Il peut paraître incroyable que nous ne nous ennuyons pas. J'avais eu cette discussion avec mon copain de lycée Christian il y a plus de quarante ans. Il tenait pour sûr que la voile est une activité où il n'y a rien à faire et où il faut apporter beaucoup de livres à lire. Bof ! lire ou écouter des podcasts, un peu. Mais on passe beaucoup de temps à dormir, manœuvrer, veiller l'horizon et la route du bateau, gérer la consommation d'électricité et plus tard celle de l'eau.

Egalement mener à bien notre session Iridium quotidienne qui peut prendre une heure : rédiger un mail significatif pour nos veilleurs à terre, charger les fichiers GRIB de vent, examiner de manière critique ce futur qui vient de tomber sur l'écran. Dès que l'on est sous ce régime de données très limitées (on n'a pas Starlink), en plein océan, il est possible de charger les prévisions vraiment valides pour les quatre prochains jours. Au-delà, leur espérance d'exactitude décroit fortement, mais pour que le logiciel puisse exécuter une simulation jusqu'à la fin de la traversée, il lui faut des données pour tous les jours.

Nous avons choisi IridiumGO, et nous sommes satisfaits de ce choix. Sur les pontons, beaucoup de navigateurs ne jurent que par Starlink. A notre départ en 2022, Starlink n'était pas encore opérationnel et la question ne se posait pas. Mais s'il faut refaire ce choix pour la suite, je pense que Iridium reste un choix valide. En cas de départ en canot de survie, on peut l'embarquer. Et surtout sa consommation électrique est minime. On a vite vu en traversée que produire de l'électricité en quantité suffisante est tout sauf facile. Donc nourrir un boîtier Starling qui va encore consommer 40 Watt par ciel clair me paraît discutable. Il y a une question d'usage aussi. On entend des navigateurs contents de se connecter aux réseaux sociaux et regarder des vidéos en mer. Bof ! je suis sûr que si j'avais Starlink je serai irrésistiblement attiré vers ces sources de consommation de notre vie. Je suis bien content que le faible débit de Iridium nous invite à une certaine sobriété dans nos échanges. Cela laisse du temps pour regarder les étoiles, ce qui était pour moi le grand manque de la vie adulte, citadine et professionnelle.

🛠 Pour les fichiers GRIB, la différence avec les traversées précédentes est que je ne peux plus demander de couvrir tous le trajet avec tous les détails pour les quinze prochains jours. Cela ferait un gros fichier et Iridium a un si petit débit (2400 bit/s soit environ 300 octets par seconde) que la durée du chargement provoquerait systématiquement un échec. Je réduis donc la demande à une seul modèle (GFS), la maille des points à 1° en latitude et longitude, et l'intervalle de temps à un point tous les 6 heures. Le fichier devient d'une taille raisonnable, soit 353kO (kilo-Octets), ce qui peut paraître dérisoire quand on est habitué à la fibre optique, et la session aboutit.

Je profite d'avoir sorti l'Iridium GO pour charger la situation globale de l'Atlantique nord à l'aide de Sailgrib sur le Chromebook. C'est beau et délicieusement désuet une carte météo. C'est statique et truffé de symboles ésotériques, dont certains m'échappent encore ! L'intérêt de cette carte est de voir éventuellement venir de loin une grosse dépression ou, horresco referrens, un ouragan, quoique très peu probable en cette saison.

Lune et Jupiter - 13 mars 2024 - 20h33 UTC

Ce midi, Liliane sort un délicieux poulet-courgettes-citron assorti d'un boulgour bienvenu préparé lundi avant le départ, le tout agrémenté de radis du Cap Vert. Cinq étoiles.

Nous passons encore beaucoup de temps à dormir. La fatigue nous envahit facilement, effet de l'âge et des mouvements du bateau, quoique l'océan soit clément à notre égard en ce début de longue traversée. Nous avions choisi ce créneau météo aussi pour cette raison. La houle ne dépasse pas un mètre cinquante, ce qui permet de vaquer à la plupart des activités en faisant simplement attention.

A 17 heures, les batteries sont remontées à 100%. Nous pouvons donc conserver la procédure réfléchie de longue date avec Liliane : rien dans l'eau la nuit, et charge le jour.

Au repas du soir, le journal de bord indique : pommes de terre à la vapeur avec du mojo rouge des Canaries.

Nous entamons un débat tactique. Nous avons emporté quatre petits fromages de chèvre du Cap Vert, scellés sous vide. Pour une hypothèse de seize jours de traversée, cela ferait un quart de fromage tous les jours. A deux ! Je sais bien que c'est encore Carême, mais non, décidément, ce serait trop frustrant pour moi. Je préfère adopter un demi-fromage à deux tous les deux jours.

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14 mars 2024 - J2

Les quarts de nuit se succèdent. A peine trois cargos croisés de loin dans l'immensité qui nous entoure. Nous avons vu certains navires avec les yeux avant que l'AIS ne les détecte, et d'autres pas. La nuit était fort sombre, les nuages masquant le peu de Lune de ce jour. Certes, son croissant a cru, mais il nous restera caché.

La fin de nuit a été bruyante. Du fait de la baisse du vent, le génois claquait en se dégonflant et se regonflant au rythme de la petite houle.

Après le petit déjeuner, je vérifie la charge des batteries : elles sont à 58% chacune. Le ciel est toujours plombé, on ne peut pas compter sur les photons solaires pour les recharger. Je descends l'hydrogénérateur à l'eau et (surprise ?) il fonctionne toujours parfaitement. Ce ressenti mêlé de doute, d'appréhension et de fierté est un peu le résultat de nos déboires antérieurs. A peine deux passages en Brake dans toute la journée. A l'arrière, sur le pont se trouve un petit calamar mort. Dommage pour lui. Un oiseau marin a manifestement apprécié de survoler notre bateau dans la nuit et de nous laisser quelques témoignages blanchâtres. La mer est pourtant grande ! Peut-être lorgnait-il sur le calamar ?

Bad luck...
14 mars 2024 - 08h18 UTC

"-Bon, on se traîne", déclare Liliane, qui ne veut plus que sept nœuds sinon rien. Hélas le vent est mollasson. Une tactique serait de faire un peu de nord au largue plutôt que de suivre la route orthodromique. Ça fonctionne pour les bateaux de course, qui ont des vitesses stupéfiantes à ces allures, ce qui compense largement le trajet supplémentaire en zigzag. Je fais un rapide calcul, je trouve une centaine de milles supplémentaires. Chargés comme nous sommes, je doute un peu que l'accroissement de la vitesse compenserait ce supplément. Ce qui est sûr c'est que cela va occasionner une surveillance bien plus stricte de la route et que c'est un peu démoralisant de pointer son bateau dans une autre direction que le but à atteindre. Le vent promet de remonter un peu dans l'après-midi. En fin de matinée, je me résous à tenter encore une nouvelle configuration. J'installe le Code D. Comme déjà expliqué, c'est une voile taillée à mi-chemin entre un génois et un spi. Il est fait de toile très légère (et fragile) et il est un peu plus creux qu'un génois. Sa plage de fonctionnement se situe entre 90 et 120° d'angle. Nous sommes plutôt à 150° et dans la deuxième partie de la transat, l'alizé sera plein vent arrière à la route. A ces allures de grand-largue ou de vent arrière, la grand-voile dévente les voiles d'avant. Donc soit on les enroule, soit on les tangonne, soit on tombe la GV (soit on laisse battre les voiles et on en achète des neuves à l'arrivée). Qui ne tente rien... Je tente donc le Code D avec grand-voile totalement abaissée. Ça prend une bonne heure parce que je vérifie tout trois fois dans ma tête. Je déroule le Code D, Liliane a réservé une place d'orchestre dans le cockpit. Surprise, tout fonctionne ! Il semble que le code D accepte de se remplir plutôt par la chute que par l'amure ; en tout cas, il reste gonflé, ne claque pas, et veut bien nous haler en route directe vers la Martinique à six nœuds et demi, voire sept et huit dans les surfs. Tout est bien silencieux. La question suivante sera : va-t-on oser le laisser à poste dans la nuit ? Pour le moment, nous n'avons pas vu de grains orageux.

La zone plombée du ciel a fui vers l'ouest, laissant un ciel clair parsemé de cumulus humilis. Le chaleur envahit l'intérieur du bateau, avant-goût des Caraïbes.

A midi, Liliane exhume la deuxième portion du repas préparé d'avance, de poulet et boulgour complété de tomates et jus de citron. C'est bien pratique d'avoir ces plats cuisinés déjà prêts, déjà conditionnés en boîtes hermétiques pour un repas à deux. La logistique, je vous dis ! Et pour la bonne gestion des provisions, ainsi que la surveillance de notre équilibre alimentaire, Liliane tient à jour par écrit un tableau des menus.

Logistique et nutrition

Le soleil invite à une douche dans le cockpit. Y aller avec le minimum, parce que tout peut s'envoler. Une serviette nouée à la barre, le savon posé derrière le rail d'écoute, le harnais croché dans la filière arrière. La douche Decathlon reprend du service. Deux litres d'eau douce pour une micro-douche, un intense bonheur !

Le repas du soir est digne des mets des Dieux : des pâtes au fromage et à l'huile d'olive. Presque, parce que les Dieux de l'Olympe mangeaient très probablement des pâtes au blé dur et pas des pâtes "3 minutes". Nous avons prévu plusieurs paquets de ces pâtes rapides dans un but d'économie de gaz butane. Mais franchement, le résultat gâche un peu l'excellent Cheddar que nous avons ajouté dessus. Nous prenons une décision de niveau stratégique : dorénavant nous n'aurons plus de pâtes "3 minutes" et tant pis pour le gaz.

14 mars 2024 - 20h31 UTC

Nous sommes à deux doigts de prendre notre régime de nuit. Liliane de quart et moi au repos en début de nuit. Le bateau fait une embardée, parmi des dizaines déjà vécues à cause de la houle. Liliane me dit qu'il y a quelque chose de bizarre, le bateau avance moins vite. Je bougonne, tergiverse. Prêt à aller me coucher, je n'ai pas très envie d'aller voir. J'y vais : chaussures, gilet, harnais, projecteur de pont, frontale, gants. Flûte ! le code D est complètement à contre à moitié entre le génois et la trinquette et l'autre moitié entre la trinquette et le mât. Travers au vent, suite à un empannage intempestif, probablement dû à l'embardée citée. Je regarde la barre. Le pilote donne une commande à lofer. Incompréhensible. Qu'est-ce que Garmin a bien pu coder là-dedans ? Remarque, c'est bien stable comme ça : le spi veut nous faire abattre, le pilote veut nous faire lofer. Je reprends en manuel. Une courte réflexion : je ne peux pas tenter d'enrouler le code D qui frotte sur tous les étais d'avant, je risque de le déchirer ; je peux tenter de faire passer tout le code D entièrement sous le vent, mais ça va aussi frotter et il risque de faire des cocottes, ce qui compliquerait encore le problème. Bon, il reste la solution de refaire un empannage. Un coup d'œil à l'anémo, le vent apparent est un gentil quinze nœuds, on ne devrait rien casser. J'y vais lentement et hop ! le code D se regonfle du bon côté avec un claquement horrible à entendre. Je ne connais pas un propriétaire de bateau qui n'ait pas des serrements aux tripes en entendant claquer ses "chères" voiles.

C'est provisoirement réglé, mais la météo prévoit quelques rafales cette nuit. Le vent réel est monté à vingt nœuds. Rien de bien extraordinaire, mais c'est peut-être ambitieux de laisser le code D dehors avec notre niveau de navigateurs amateurs. Il a bien marché toute la journée, mais je préfère ne pas risquer un deuxième empannage intempestif. Le premier avertissement était gratuit. Je ressors le génois et finalement on avance bien et en silence comme ça. Une heure a passé. Allez, dodo ! Liliane continue son quart.

Aucun navire croisé dans la nuit. Des trouées entre les nuages me font découvrir sur l'horizon sud de magnifiques constellations que je ne connais pas. Il faudra prévoir une autre vie pour étudier tout ça. Les nuages sont noirs. Je commence à surveiller l'arrivée éventuelle des grains tropicaux. Normalement ce n'est pas encore la zone où ils apparaissent, les fichiers GRIB téléchargés hier comportent l'indice CAPE (Convective Available Potential Energy) qui évalue l'instabilité de l'atmosphère et aussi le niveau de précipitations, tous deux nuls à notre position. Ces nuages noirs sont probablement les mêmes cumulus que ceux du jour, mais je ne peux m'empêcher de leur trouver un air inquiétant. Difficile de rester rationnel la nuit, avec ces foutus cerveaux.

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15 mars 2024 - J3

Liliane a eu du mal à dormir. Quelques trains de houle venus du nord faisaient rouler le bateau, qui n'avançait pas très vite.

Au petit déjeuner, le pain grillé sent toujours aussi bon mais, déjà un peu rassis, il n'a pas le bon goût du pain de nos boulangeries françaises, qui même rassis continue de me délecter. Il doit manquer tout simplement un levain pour l'obtenir. J'avais prévu de faire notre pain et m'étais même entraîné pour ça, un coup au four, un coup à la cocotte. Mais bon, pas le temps, un peu de flemme...

15 mars 2024 - 08h50 UTC
What else ?

En faisant un petit tour dans le cockpit, je vois un poisson volant et des écailles un peu autour. Il a dû se débattre pour retourner à l'eau. Je le remets à l'eau. Sur le pont à l'avant il y a aussi des traces de matières organiques, qui ne ressemblent pas à des déjections. La mer est décidément pleine de cochonneries (du calme, les amis écolos, c'est une blague !).

L'état des batteries est maintenant une satisfaction quotidienne. Ce matin 60%. L'indispensable hydrogénérateur reprend le service. Il donne peu à la vitesse actuelle.

Je m'empresse de chercher une solution pour augmenter la vitesse. Je tente de dérouler le Code D. Hélas ! à cette allure à 170° du vent, il refuse de rester gonflé et il claque. C'est vraiment très en dehors de sa plage de fonctionnement. Je pourrais tenter de faire tenir son point d'écoute en bout de la bôme mais je me demande si les renforts de ce point sont vraiment dimensionnés pour ce fonctionnement où le vent passe "à l'envers" et les efforts aussi donc. Je tiens à le préserver, je l'enroule prestement, façon de parler. Du coup il reste la solution de jumeler les voiles d'avant, comme le jour du départ, génois tangonné au vent et trinquette sous le vent. Ça marche du premier coup, je ne vais pas tarder à donner des conseils d'expert aux autres, surtout depuis que je connais la définition de l'expert donnée par la bande dessinée humoristique de Dilbert : "un expert est quelqu'un à qui on confie une tâche d'expertise. Aucune autre qualification n'est requise." Nous avançons de nouveau à un honnête six nœuds.

Je me prépare tranquillement un café, pendant que Liliane est dans la soute bâbord, qu'elle nomme le "cabouin". Soudain, elle pousse un cri ! Je frémis, j'accours. Un court instant, j'imagine déjà une grosse voie d'eau dans la coque, un membre fracturé, que sais-je ? Il s'agit d'un citron, le troisième à présenter des traces vertes de moisissures. Surtout, le gredin a contaminé la carotte, sa voisine. Il est évidemment important d'inventorier quotidiennement notre stock de vivres frais pour les faire durer au maximum. Liliane s'y colle et trie inlassablement les priorités du jour. Elle revient donc avec le citron coupable, me montre la "chevelure de la carotte", nom poétique qui n'est pas celui d'une constellation du sud, mais bien le signe d'un pourrissement avancé. On imagine à quel point nos ancêtres navigateurs au long cours du XVème au XIXème siècle devaient peiner à garder de quoi subsister, avant l'invention de l'apertisation.

Bureau du Commissariat du bord
Liliane en son fruitarium

A propos de conservation des aliments, Liliane a tenté de faire du choux fermenté à Lanzarote, suite aux conseils donnés par Anne du Voilier Orion. Le résultat a été convaincant. En ouvrant le bocal, une bonne odeur évoquant la choucroute se dégageait. J'en ai goûté plusieurs fois et c'est donc un succès malgré l'utilisation de bocaux de récupération un peu inadaptés. Néanmoins pour cette longue traversée, nous avons préféré nous abstenir. Le risque de subir une forme d'empoisonnement en pleine mer nous paraît démesuré par rapport au bénéfice du légume fermenté. Quelques boîtes de conserve feront affaire, malgré la différence certaine de goût. Cette réflexion nous amène à nous intéresser à l'apertisation, qu'on pourrait réaliser dans la cocotte-minute. Nous convenons de creuser le sujet à la prochaine escale.

Memo à nous-mêmes : penser à contempler la mer, magnifique et lumineuse.

La session Iridium de ce jour confirme que nous allons rencontrer des bulles de petit temps. Juste après avoir chargé les fichiers de vent pour le reste de la traversée, j'effectue un nouveau routage sur W4D. Il confirme la proposition de descendre un peu au sud de la route directe puis remonter un peu nord. On va suivre ces indications pour l'instant, on verra si cela se confirme dans les prochains jours. L'indice CAPE est pour le moment à 6J/kg, c'est très peu et il n'y a donc pas de risque orageux. J'ai également chargé la situation Atlantique Nord des prochaines quarante-huit heures avec Sailgrib. J'adore cette carte, d'autant plus qu'elle confirme la stabilité du beau temps. Nous sommes planqués derrière l'anticyclone des Açores, qui est descendu bien bas, sous la latitude des Canaries. Les grosses dépressions sont loin au nord. Il ne fait pas bon se trouver en Ecosse. Je note qu'une seconde dépression va bientôt affecter les Açores, en pensant à ces belles îles que nous avons parcourues l'an dernier. De gigantesques ordinateurs, parmi les plus gros du monde, ont calculé tout ça pour nous. Merci aux météorologues.

Dans la journée la température monte considérablement dans le bateau. Le thermomètre nous dit 30°C. Avec réticence, nous décidons d'ouvrir un des petits panneaux de roof pour faire circuler l'air. Depuis notre départ de Roscoff, nous avons laissé tous les panneaux de pont et de cabines fermés en navigation, de peur légitime qu'une vague inattendue passe par-dessus le roof et remplisse le carré de quelques centaines de litres d'eau salée. Ce genre de craintes a déjà été avéré par les mésaventures d'autres équipages, trop confiants dans l'apparence de la mer tranquille. Nous mettons en place le pare-soleil micro-perforé du côté des panneaux bâbords, inondé de soleil toute la journée.

En milieu de journée, Liliane émet un jugement de fin du monde : "-J'ai trop cuit d'oeufs !". Moi, je trouve que ça passe très bien dans à peu près tous les plats les œufs durs. Mais Liliane redoute qu'il n'en reste pas assez pour en faire des préparations plus variées.

La vitesse du bateau faiblit encore. Quitte à ne plus rien charger en dessous de 4 nœuds, nous relevons l'hydrogénérateur et mettons en place le régulateur d'allure, que j'ai déjà abondamment vanté et expliqué. Cette fois-ci l'allure du quasi vent arrière est un nouveau défi. Ces engins ont la réputation de ne pas bien fonctionner aux allures très portantes, car la vitesse apparente du vent est faible (la vitesse du bateau se soustrait à celle du vent réel). Cela doit être un dicton hérité de l'ancien temps où les régulateurs manquaient peut-être de sensibilité. La précision des pièces mécaniques et l'aboutissement des quelques designs qui ont survécu font mentir l'adage. Notre Cap Horn québécois s'en sort très bien. Un peu plus zigzaguant que le pilote électrique, mais suffisamment stable pour que nous puissions vaquer à nos occupations après une courte période d'observation. Il est vrai qu'il est aidé par la configuration des deux voiles d'avant, intrinsèquement stable. L'avantage de traverser un océan est qu'on ne se sent pas très contraint par les bords, ni par les autres conducteurs.

Réglage des bosses du régulateur d'allure
Du matin...
...au soir !

Aucun navire croisé. Quelques rares oiseaux marins au loin. Enfin du temps libre. Pas d'accès Internet (Iridium permet seulement des échanges de SMS et mails). Je reprends avec plaisir la lecture d'un R-L. Stevenson et du mode d'emploi de la nouvelle VHF portable. Liliane bouquine et joue à un jeu de mot à deviner sur son téléphone. Hors connexion, elle n'a même plus de publicités.

Après le coucher du soleil, le crépuscule nous émerveille d'un fond de ciel rouge sombre parsemé de petits nuages noirs au dessus de l'horizon. Une image de transat typique de celle que j'appelais de mes vœux dans mes rêveries de la ligne 13 du métro, lorsqu'il sortait du tunnel pour passer au-dessus de la Seine et que le jour se levait. La fantaisie presque grotesque de la Lune à la verticale continue de charmer ; elle a maintenant largement semé Jupiter ; notre feu de route oscille dans Orion, vaine tentative d'y adhérer (raté, c'est trop loin).

Le repas du soir est fait de noodles instantanés. Un régal ! Ce n'est pas une plaisanterie.

Le quart de Liliane va commencer. Après discussion, nous laissons le régulateur d'allure barrer pour la nuit, en laissant le pilote électrique sous tension, mais débrayé, ce qui diminue sa consommation. Liliane et moi avons franchi un grand pas dans la sérénité en prenant confiance dans le régulateur. Il faudra penser à lui donner un nom, maintenant que nous le connaissons.

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16 mars 2024 - J4

Aucun navire croisé dans la nuit.

Le vent était terriblement faible toute la fin de nuit, conformément aux prévisions. Le régulateur d'allure avait du mal à conserver la route (moins de force sur la pale hydraulique, donc moins d'amplification, c'est-à-dire moins de gain dans l'asservissement). Il a conservé globalement l'allure de consigne, mais en faisant des zigzags. Le terme zigzag est d'ailleurs inapproprié avec tous ces Z pointus. Il faudrait nommer cela des "SigSags". Sur la trace, c'est ondulé, ce serait même plaisant si cela ne mettait à chaque fois quelques à-coups dans les voiles. On a déjà souligné le mérite de sobriété du régulateur, c'est parfait. Il a fait le boulot demandé toute la nuit sans empanner, sans se plaindre, sans faillir. On peut dire qu'il est validé (au sens de la norme ISO/IEC 15288, je sais, on s'en fiche un peu).

Dès le lever du jour, je remets le pilote électrique pour optimiser la trajectoire qui doit maintenant pointer vers l'ouest. Le chargement des fichiers GRIB du jour confirme que le vent devrait progressivement remonter. L'hydrogénérateur retourne à l'eau dès que tout l'équipage est debout, au petit déjeuner. La routine, quoi !

16 mars 2024 - 07h52 UTC

J'observe le courant de charge et je le trouve bizarrement faible, seulement 2A alors que nous sommes à plus de 5 nœuds. Le constructeur aurait-il menti ? Il me faut un moment pour comprendre que la vitesse affichée par le GPS n'est pas celle que voit l'hydrogénérateur dans l'eau. J'ai un repère pour cela : quand Liliane dit "on se traîne", c'est moins de quatre nœuds. Il y avait donc dissonance cognitive jusqu'à ce que je voie que la vitesse donnée par le speedo, celle du bateau par rapport à l'eau était effectivement trois nœuds et demi. J'observe un moment et l'écart entre vitesse GPS et vitesse sur l'eau persiste. Il y a donc du courant. Nous avons touché un nœud de courant portant vers l'ouest. Gratuit, cadeau de l'Atlantique.

Dans l'équipage, les avis sont partagés sur l'intérêt d'arriver au plus vite au but. Je trouve une grande sérénité à nous laisser glisser au milieu de ce rien, fût-ce à trois nœuds.

Dans la journée, le vent adonne et nous remettons la grand-voile. Nous avons passé la journée entière d'hier et la nuit dans la même configuration de voiles jumelles. C'est une différence majeure avec les croisières antérieures : la durée. A l'occasion de ce changement, je m'aperçois que l'écoute de génois a ragué sur la filière métallique et simultanément que la contre-écoute, trop tendue, a ragué contre la cadène de trinquette sur le pont. Les deux points de frottement, assortis du léger balancement permanent des écoutes, ont usé pendant des heures les deux mêmes points. Les deux gaines sont rongées, on voit l'âme. Ces écoutes ont l'âge du bateau et sont raides de sel et de soleil. J'avais envie de les changer depuis longtemps, mais nous faisions quelques économies tant que ce n'était pas indispensable. Ce n'est donc pas un grave problème, ça tiendra jusqu'à l'arrivée. Il suffit de régler le chariot d'écoute pour que l'écoute passe un petit peu plus en avant ou en arrière pour éliminer ces points de frottement. J'avais l'esprit obnubilé par les efforts du tangon ; cela m'apprendra à ne plus quitter le pont sans avoir bien examiné comment travaillent toutes les manœuvres. La deuxième leçon, c'est qu'il vaut mieux se contenter d'écoutes en polyester, parce que des écoutes de luxe en Dyneema auraient subi la même dégradation.

La satisfaction du jour : la fatigue regresse, effet habituel de l'adaptation de l'organisme. On peut vaquer à des loisirs. Et aussi veiller à soi-même : boire (de l'eau) avant d'avoir soif, manger avant d'avoir faim, dormir jusqu'à plus soif (!).

Après tout le temps passé sur les problèmes mécaniques et électriques, je m'attelle à la mise au carré de la configuration informatique.

J'ai déjà relaté mon désagrément du fait que la combinatoire matériels vs. operating systems vs. applications de navigation vs. cartographie soit un épouvantable casse-tête qui nécessite soit beaucoup de budget pour du matériel de course au large, soit plusieurs configurations difficilement compatibles entre elles. J'ai fini par adopter la combinaison iPad/Chromebook/téléphone x W4D/Sailgrib x Geogarage/Navionics. Pour avoir discuté sur les pontons avec d'autres navigateurs, dont certains bien plus expérimentés que nous, ils se débattent tous plus ou moins dans ce genre de réflexions.

🛠Une version nominale de cartographie fonctionne : c'est l'iPad avec d'une part l'application Navionics et sa cartographie et d'autre part l'application W4D et ses cartographies SHOM, UKHO, ENC Spain, achetées chez Geogarage. Maintenant je vérifie les systèmes redondants : j'avais prévu en secours : mon téléphone portable et un ordinateur Chromebook, dont les thuriféraires clamaient que ChromeOS étant un dérivé d'Android, toutes les applications Android peuvent donc fonctionner sur le Chromebook. En 2022, j'avais installé tout ça, chargé les cartographies (Geogarage et Navionics aussi) et fait de rapides essais. Un peu trop rapides, pas assez exhaustifs. En fait, ChromeOS n'est ni fait, ni à faire. Notamment au niveau API des couches réseau, il transmet parfois les paquets IP aux applis et parfois pas du tout. On ne sait pas pourquoi, je lance les applis de cartographie et même OpenCPN, sur lequel je n'ai pas prévu d'acheter des cartes. Toutes ces applis sont en attente des infos GPS. D'abord via le flux Wifi/UDP. Il est bien émis en Wifi puisque l'iPad le reçoit. Je l'ai paramétré à l'identique dans les trois applis et aucune ne le reçoit durablement. Ça peut fonctionner une minute ou une heure. Pas du tout opérationnel pour naviguer en tout cas, ça ressemble à Windows, l'OS fait autre chose qui lui paraît plus important, puis d'un coup se souvient qu'il doit aussi s'occuper des applis de l'utilisateur. J'ai aussi essayé le flux en Bluetooth, issu d'un GNS2000 indépendant, ça ne marche pas. Chrome OS me demande d'activer en mode Installateur un module qui justement ne se trouve pas dans la liste (NOM ?). Tout ce travail prend plusieurs heures. Finalement, je note que j'ai deux configurations parfaitement fonctionnelles : l'iPad et le téléphone portable. Ça sent le chemin du retour à Paris pour le Chromebook.

Le vent revient, comme prévu, après que nous sommes descendus un peu au sud de la route directe. Dans la configuration voiles jumelles, je ne peux pas trop lofer pour revenir plein ouest, le génois prend à contre et claque horriblement. Une manœuvre un peu longue, mais sereine : revenir en mode Cap sur le pilote, enrouler le génois, dégréer et ranger le tangon, ranger au fur et à mesure hale-haut et hale-bas, dégréer la bastaque sous le vent, libérer tous les ris de la GV, border la trinquette, lofer au près bon plein (en plein Atlantique, on a de la place, un peu comme dans un immense parking de supermarché complètement vide, c'est marrant de passer en diagonale), hisser la grand-voile avec Liliane, étarquer, vérifier que les ris sont "mous", abattre sur la route, déplacer la retenue de bôme au tiers arrière (selon commentaires de notre ami Alain, plein de bon sens), rentrer la trinquette, ressortir le génois sous le vent, ranger écoutes et drisse dans le cockpit. Aller faire un café. Vérifier après quelques minutes. Fin de la manœuvre.

Une grande jubilation de voir Tusitala glisser le reste de la journée dans la petite et la grande houle. La grande a une période de douze ou quinze secondes, majestueuse et puissante. On aimerait lui demander d'où elle vient et qu'elle nous raconte son long parcours.

Le repas du midi est le résultat de la cueillette du jour dans la soute. Tout ce qui mûrit est impitoyablement mangé, donnant lieu à de variables et délicieux mélanges. Ce déjeuner, c'est tomate, kiwi, oignon, ciboulette, œuf dur et reste de pâtes 3 minutes.

16 mars 2024 - 21h55 UTC

Aujourd'hui est une marque spéciale : nous avons dépassé le premier quart de la route jusqu'à notre but. Pas de champagne, mais une satisfaction certaine pour ce partiel réussi avant l'examen final.

Pour économiser l'usure de la drisse, nous rentrons le Code D dans son sac. C'est du boulot. Sur le pont à l'avant, je me délecte des grandes moustaches d'écume de l'étrave. Et en préparation de la nuit, la trinquette remplace le génois un peu trop puissant. On a vingt-et-un nœuds de vent, c'est juste parfait pour déguster des panais et des carottes à l'eau.

Le vent monte plus que prévu. Pas besoin de lire l'anémomètre pour savoir que la bateau est encore un peu surtoilé, selon nos critères de confort. Le bateau se satisferait de continuer comme ça, mais pour notre sommeil, nous décidons d'assagir la bête en prenant un ris pour la nuit.

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17 mars 2024 - J5

La nuit a été agitée avec pour résultat quelques plis sous les yeux. C'est assez déterministe : vindt-cinq nœuds de vent donnent un clapot désagréable, en plus de la houle. L'alizé est encore puissant malgré la saison qui avance. Pas autant qu'en décembre ou janvier cependant, où certains équipages et bateaux ont souffert de casses les années précédentes. Personne ne se plaint, hein ! Nous avons le privilège d'avoir choisi d'être ici.

17 mars 2024 - 08h45 UTC

🛠Je ne me satisfais pas du fonctionnement de l'hydrogénérateur. Certes il charge, mais il lui arrive encore de passer en Brake. Je ne comprends pas. J'investigue au fond du cabouin avec mon multimètre. Comme les paramètres de tension et courant n'arrêtent pas de varier, je filme avec mon téléphone pour réexaminer tout ça au calme et faire un rapport clair au fabricant. L'afficheur du convertisseur s'éteint au bout de quinze secondes et il faut appuyer sur un bouton pour le rallumer. Il me manque une ou deux mains pour tenir tout ça.

Aujourd'hui je tente le téléchargement d'un nouveau modèle de vagues. Quand on est à proximité des réseaux mobiles, Windy donne toutes les infos. Ici en mer je recherche parmi la grande quantité de modèles disponibles que je ne connais pas tous, un modèle pas trop lourd à charger par le lien très bas débit de Iridium. Je choisis le doux nommé MFWAM Global. Ça fonctionne, c'est même joli sur la carte (screenshot) sinon réjouissant. Il confirme ce que dont nous sommes déjà les témoins, trois mètres de creux, rien de bien problématique du point de vue navigation, sinon pour notre confort. A nos âges, les cervicales n'aiment pas être chafustées en permanence. Quand on veut dormir, il faut caler la tête avec un oreiller pour éviter qu'elle oscille pendant le sommeil. Le modèle annonce aussi que nous allons conserver cette mer pendant au moins trois jours encore.

Le paysage sous-marin est marrant. Nous passons à moins de cinquante kilomètres du Rocket Seamount, un gigantesque sommet à 112 mètres sous la surface, qui domine de plus de quatre mille mètres la plaine océanique avoisinante.

Vers vingt-et-une heure, nous avons fait un tiers du trajet.

En cuisine
17 mars 2024 - 20h47 UTC
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18 mars 2024 - J6

Pendant mon quart de nuit, comme certaines vagues envoient de l'eau bouillonnante sur l'arrière du cockpit, j'ajoute le plexi bas de la descente, des fois qu'une d'elles viendrait s'inviter plus avant.

Quelques heures plus tard, entre deux tours d'horizon, je suis allongé sur ma bannette, à regarder les étoiles à travers le grand plexi avant. Le cerveau prend l'habitude des bruits et des mouvements erratiques mais pas complètement aléatoires du bateau. Lorsque j'entends la trinquette qui fasseille plus longuement que d'habitude, je sens que quelque chose ne va pas. Le temps d'arriver à la descente, le bateau gite du "mauvais côté". Cela a aussi réveillé Liliane, qui m'interroge. "-On a fait un empannage." En douceur, grâce à la retenue de bôme que je venais précisément hier de regréer comme me l'a suggéré mon ami Alain dans un commentaire de notre blog. Il a raison, c'est bien plus pratique d'y avoir accès à partir du cockpit que de devoir aller sur les passavants. Le bateau est en quelques sortes à la cape bâbord amures. La trinquette à contre veut le faire abattre, la GV à contre veut le faire lofer, ainsi que le pilote qui a mis la barre en butée. Bon, il n'y a pas péril, on prend le temps de bien réfléchir à la manœuvre. Mettre le gilet dans "l'obscure clarté qui tombe des étoiles" (*). CLAC ! PCHHHHH ! Flûte ! la tirette de secours s'est coincée dans le petit caillebotis et le gilet commence à se gonfler. Je l'enfile quand même, un peu engoncé. Ensuite, tout devient clair. Reprendre la barre à la main et réactiver le pilote dans la direction que la bateau a envie de prendre. Reprendre la trinquette du bon côté, le bateau recommence à avancer. Le vent est à vingt-quatre nœuds, la trinquette nous tire à cinq nœuds. Le cerveau : "-Pourquoi t'embêtes-tu avec plusieurs voiles ?" Ensuite, doucement, tout doucement, larguer la retenue de bôme pour que la GV passe aussi du bon côté. Très bien, on avance vite. Restons calme. Loffer, border la trinquette, lofer encore. C'est prêt pour un virement. Ne plus toucher à la GV. Reprendre la barre à la main. Dans ma tête : "-Paré à virer ? ... -Paré !" comme à l'école. J'envoie le virement, ça se passe plutôt bien. Récupérer la trinquette du bon côté. Abattre, abattre, tout doucement jusqu'à l'allure prévue initialement. Remettre le pilote en mode Vent. Choquer la GV et reprendre la tension de la retenue de bôme. Régler aussi la trinquette. Ranger le capharnaüm de ficelles dans le cockpit. Vérifier avec les yeux et le cerveau que tout est en ordre. Et chercher à comprendre ce qui est arrivé. Franchement, difficile à dire. Le vent a-t-il molli et changé de direction soudainement ? Une vague a-t-elle soulevé la hanche bâbord du bateau et l'a fait pivoter ? Habituellement les vagues arrivaient de tribord. Elles soulèvent effectivement la hanche tribord, ce qui peut provoquer une auloffée que le pilote va récupérer plus ou moins rapidement, mais sans autre conséquence qu'une embardée. Je n'aurai pas la réponse. Pour le reste de la nuit, je prends un peu plus de marge par rapport au vent arrière, mais nous n'allons plus tout à fait dans la direction optimale.

(*) je ne me souvenais plus, mais c'est de Corneille.

Lune couchée, Le ciel est limpide et sombre. Je prends le temps de regarder. Parmi les constellations inconnues (de moi), je crois discerner deux taches pâteuses. Effet de mon imagination ou bien sont-ce les fameux Nuages de Magellan ? Je vais tenter d'élucider ça pour demain. En tout cas, c'est beau et émouvant comme la première fois que j'ai vu la Tour Eiffel en venant passer mes concours à Paris. Je cherche infructueusement la Croix du Sud, elle n'est peut-être pas visible toute le nuit. A voir...

Le lever du jour nous gratifie de la belle Venus, qui précède le lever du Soleil. L'ambiance est plutôt sereine au lever du jour, la mer assagie et le vent revenu à dix-sept nœuds. L'espace d'un instant je serais tenté de larguer le ris de la GV pour aller plus vite. Paresse aidant, je le laisse en l'état.

18 mars 2024 - 08h12 UTC

Ensuite nous prenons ensemble le petit-déjeuner. Curieusement, les trains de houle augmentent en manière de salut matinal. Toujours est-il que je suis bien content de n'avoir rien changé aux voiles, l'arrivée de la chaleur du jour est effectivement suivie de rafales à trente nœuds, auxquelles Tusitala et son pilote font face sans faillir.

En sortant faire un tour d'horizon, je trouve un micro poisson volant au milieu du cockpit, devant la barre. La taille d'un ongle. Il a fallu qu'il fasse un sacré vol pour arriver là, ou peut-être qu'il se trouve sur la mauvaise vague au mauvais moment. Désolé pour lui.

Micro poisson volant

Dans les eaux du Cap Vert, il était arrivé que nous prenions occasionnellement un brin de sargasse dans le bout de retenue de l'hydrogénérateur. C'étaient les premiers indices de latitudes tropicales. Depuis notre départ, leur densité est en augmentation continuelle. D'abord quelques brins isolés flottant de part et d'autres de notre sillage ; puis une présence constante de quelques groupes de taches brunes quel que soit le moment et le côté ; et ces jours-ci de longues nappes filamenteuses, pas encore extrêmement denses mais très fréquentes, signes de la prolifération des ces algues (lien wiki). Initialement attribuées à une production excessive d'engrais dans les bassins des grands fleuves d'Amazonie, ce qui a maintenant été démenti, ces plantes dérivent dans les vents et courants et créent de véritables nuisance lorsqu'elle envahissent les abords des terres, en se décomposant en en émettant des gaz toxiques.

A la revue maraîchère du matin, Liliane constate avec plaisir que les tomates et les concombres du marché africain de Mindelo sont encore en très bon état de conservation.

Les nouveaux GRIB annoncent des perspectives mitigées : la mer va rester dans le même état au moins les trois prochains jours. Ensuite le vent va beaucoup baisser, la mer un peu et des précipitations arriver au fur et à mesure qu'on approche des Caraïbes.

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19 mars 2024 - J7

Le lever du jour est un moment d'émerveillement quasi-infantile. Venus nous salue de son œil rieur, le temps de se trouver éclipsée par la lumière du Soleil, exemple persistant et ignoré de domination patriarcale.

19 mars 2024 - 09h05 UTC
Vers l'arrière à l'est
Vers l'avant à l'ouest

Le routage confirme obstinément qu'il reste au moins neuf jours de route. Une zone de vents plus faibles va survenir et le routage nous propose une route pour optimiser son passage, au prix d'un allongement de la route. Cette deuxième partie du trajet sera également émaillée de pluies et d'instabilité de l'atmosphère, synonyme de grains. Malgré les ordinateurs extrêmement puissants des organismes météo, ils ne peuvent modéliser la totalité du globe avec une maille inférieure à un demi ou un quart de degré en latitude et en longitude. Les turbulences d'étendues modestes, telles que grains et orages, passent littéralement à travers la maille, sauf avec des modèles locaux tels que Arome, qui n'est pas disponible en plein océan. L'indice CAPE, qui représente la charge en énergie par kilogramme d'atmosphère, est donc un moyen de donner une probabilité qu'adviennent ces phénomènes turbulents.

Nous poursuivons notre navigation au portant en mettant toujours un peu de nord dans la route, à 140° du vent apparent. A cette allure, seule la grand-voile est vraiment propulsive, la voile d'avant étant assez largement masquée par la GV. D'ailleurs nous laissons la trinquette et même partiellement roulée pour limiter les claquements. Elle sert uniquement à équilibrer la voilure quand le bateau part au lof. La voile d'avant redevient alors active et aide le pilote à récupérer l'allure.

Calme, calme

Nous trouvons enfin des moments de "tranquillité éveillée". En effet les premiers jours des traversées sont en général éprouvants, et dégénèrent parfois en mal de mer. Même sans mal de mer, nos organismes accusent le coup et réclament beaucoup de sommeil. Chaque équipier profite donc de ses moments hors-quart pour foncer sur sa couchette et dormir, dormir. Ensuite le cerveau comprend que ça va durer et l'adaptation fait son chemin. Les gestes minimaux de déplacement, les déplacements volontairement lents dans le bateau, permettent de mieux profiter des moments hors-quart et de l'absence de réseaux sociaux : météo, lecture, podcast, rédaction anticipée du présent blog, contemplation de la mer et des étoiles, réflexion sur la suite du voyage et la période cyclonique à venir, lecture des guides des îles des petites Antilles, planification d'un aller-retour en France, un petit café, un banane, un verre de lait d'avoine, le travail ne manque pas. Boire est un acte volontaire obligatoire, n'attendant pas d'avoir soif, sous peine de déshydratation, dont l'un des premiers symptômes est le mal au crâne. Nous veillons à boire une bouteille d'eau minérale par jour à deux, en plus des autres liquides.

Nous surveillons aussi la consommation de l'eau du bord. A ce jour, cent-sept litres en sept jours. C'est conforme à nos prévisions, moyennant une attention permanente l'économie. On aura un peu de marge pour augmenter les douches à l'approche, quand la mer sera plus calme.

Au rang médical, nous surveillons aussi les fonctions de transit intestinal de l'équipage. Quoique trivial, ce sujet est un point de surveillance majeur. Une occlusion intestinale en mer serait une indication sérieuse et cause possible d'évacuation. Les choix alimentaires et l'hydratation sont évidemment des composantes essentielles du bon fonctionnement de cet organe. Tout va bien.

La récapitulation des anciens et nouveaux travaux du bateau est une tâche incessante et sublime, qui nous ferait tutoyer Sysiphe comme un pote de lycée. A part quelques petites infiltrations, nous échappons, touchons du bois, à la fatalité du une-tuile-par-jour. Ce sont donc essentiellement les anciens items de la todolist qu'il faut revisiter et prioriser par rapport à nos perspectives de l'arrivée au Marin, de l'envie de n'y point traîner et de la prochaine session de chantier au sec. Nous commençons à examiner les possibilités des chantiers du sud des Caraïbes, en dessous de la limite toute théorique des 12,5 degrés de latitude qui nous mettraient à l'abri des ouragans. On envisage Grenada ou Trinidad.

La récolte d'images devient assez monomaniaque. Difficile de transmettre le relief de la mer. Elle apparaît souvent plate, il manque la stéréo. On trouve donc au chapitre des photos, beaucoup de levers et couchers de soleil, et au chapitre des vidéos, beaucoup de sillages du bateau. Le tout agrémenté de quelques moments de vie à bord, essentiellement autour des repas pris ensemble.

Ce soir, saucisses lentilles. Les saucisses longue conservation sous vide viennent de Madère. C'est délicieux.

Le vent monte après le coucher du soleil. Je prends le premier ris, tout va bien.

19 mars 2024 - 21h54 UTC
19 mars 2024 - 21h55 UTC

Les ennuis volent en escadrille disait Chirac.

Premièrement, depuis quelques jours, la barre grince lors des grands débattements. Maintenant elle grince aussi dans les petits débattements. C'est difficile de savoir exactement d'où viennent les grincements. En furetant dans la soute, je pense détecter que cela vient du frottement d'une bague en nylon sur le haut du tube de jaumière. Je consulte Yann par Iridium et il me répond de ne surtout pas mettre d'huile ou de graisse, seulement du lubrifiant sec type téflon (idéalement Mc Lube de Harken). Il fait nuit, on verra demain.

Deuxièmement, à l'occasion d'un tour d'horizon, mon regard passe machinalement sur la GV. Gloups ! La deuxième latte n'est plus reliée au chariot du mât. Je distingue la tête de vis et même son contre-écrou. La houle est remontée, je ne me vois pas aller au pied du mât revisser la latte de nuit, ce qui demande un peu de précision. Je vais donc juste récupérer l'écrou de peur qu'il se dévisse lui aussi dans la nuit et qu'on le perde. Mais pas question non plus de laisser la latte flottante. Je prends donc un deuxième ris pour l'enfermer contre le bôme. Dans la nuit, le vent va redescendre et nous serons sous-toilé. Tant pis.

Troisièmement, avant les quarts de nuits, je prévois de remonter l'hydrogénérateur. Je note systématiquement la charge des batteries en début et fin de journée, et ce soir ce n'est pas bon du tout. D'habitude la charge remontait vers 70 ou 80% après la journée entière d'hydrogénération. Ce soir nous sommes seulement à 55%. Rien de grave, cela suffit pour la nuit, mais c'est une anomalie qu'il faut comprendre.

Je relève donc l'hydrogénérateur pour que Liliane puisse quand même trouver un meilleur silence dans la cabine arrière. Ensuite je passe plusieurs heures à examiner les enregistrements de charge. Il y a de nombreux arrêts "Brake" (frein). Encore. Il y a aussi les arrêts lorsque bateau avance trop vite (à plus de huit nœuds, il semble que l'hélice cavite et ne produise rien), et d'autres arrêts lorsque le bateau va trop lentement (en dessous de 4,5 nœuds, comme l'indique la notice). Ayant passé quelques heures aussi à faire des mesures dans la soute, il y a quelques jours, je soupçonne encore des chutes de tension indues dans le raccordement. Plus précisément dans le porte-fusibles avec des lamelles élastiques pour tenir le fusible en verre et des vis pour fixer les câbles. Je me note ce travail pour demain.

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20 mars 2024 - J8

Pendant cette nuit surviennent deux évènements symboliques.

D'abord nous avançons l'heure du bord, pour refléter notre longitude croissante. Après discussion avec Liliane, nous avons choisi de faire ce changement comme pour les transitions heure d'été/heure d'hiver : en pleine nuit, à deux heures du matin, il est une heure. Nous sommes maintenant calés sur UT-2 (fuseau Fernando de Noronha), ce qui sera plus en adéquation avec la lumière du jour. Cela affecte les montres de poignet, les appareils téléphoniques, les appareils photos et GoPro, les MacBooks perso. Par contre, les appareils de navigation restent calés sur l'heure UTC.

Ensuite, au petit matin nous dépassons la marque de mi-parcours. Comme pour tout projet, il faut des objectifs intermédiaires pour maintenir l'équipe motivée. A cet endroit, nous étions exactement au milieu des 2080 milles nautiques entre Mindelo et le point sud de la Martinique. Comme le Petit Prince, à "mille milles de toute terre habitée"(*). Aucun mouton n'est venu nous réveiller.

(*) : ce n'est pas tout à fait exact, la Guyanne et le Suriname sont à une distance un peu moindre, mais on ne va pas ergoter...

20 mars 2024 - 09h12 UTC

Dès le petit déjeuner pris, la trousse à outil est de sortie, les travaux commencent.

🛠 Le premier sujet à traiter est le fonctionnement encore douteux de l'hydrogénérateur. Dans la soute, je dévisse complètement puis je resserre fermement les vis des fils électriques sur le porte-fusible. Je ne vois pas de différence claire, mais ça ne fait pas de mal. Je passe un coup de bombe Contact sur les lamelles du porte-fusible. Ensuite l'hydrogénérateur à l'eau; oui, mais avec deux ris et le vent descendu à treize nœuds, on n'avance pas trop et il ne produit pas. Patientons, le vent va revenir. Après le temps passé à examiner les courbes de charge des batteries, je sais maintenant distinguer entre les anomalies vraies (passage en Brake) ; les arrêts pour cause de sur ou sous-vitesse ; les périodes de charge normale. Je me note comme travaux non-impératifs à l'escale de refaire ce câblage en fil plus gros et remplacer le fusible verre par un fusible à boulonner.

🛠Le second sujet est la réparation de la latte de GV. J'ai des doutes sur le fait d'arriver à insérer la vis dans la tête de latte, debout au pied du mât avec les mouvements du bateau. Peut-être va-t-on devoir affaler la grand-voile. Finalement je tente, bien harnaché au mât pour avoir les deux mains libres. Les éléments sont bienveillants, la latte veut bien venir s'aligner face à la vis, la mer ne monte pas sur ses grands chevaux à ce moment, je ne perds pas le contre-écrou, ni la clé plate de 17, et le tout finit par s'emboîter. Les autres lattes ont l'air de rester bien vissées, il faudra contrôler tout ça à l'arrivée. On peut donc hisser toute la toile, le bateau reprend de la vitesse et l'hydrogénérateur ronronne de plaisir.

🛠Le troisième sujet consiste à aller pulvériser du PTFE sur la bague nylon. Auparavant, il faut vider les bacs de fruits et légumes, les réordonner dans le carré. Je pulvérise. Gros doute sur le fait que le Teflon arrive à pénétrer l'interstice entre les deux pièces qui frottent. Pas de réduction sensible des grincements. Je pulvérise encore un peu et on laisse agir. C'est seulement en fin de journée que nous constaterons que les grincements ont disparu. Pas sûr que ce soit dû au Teflon. La mer a changé, l'allure du bateau aussi. La barre force moins. On verra.

La journée se passe. Nous profitons de notre temps libre pour envoyer quelques nouvelles par Iridium aux amis et aux parents. Normalement cet outil de communication très lent est dédié à la météo et aux vacations de sécurité.

Touche finale d'anchois

Au chargement des fichiers de vent du soir, je vois que les derniers jours de la route, à l'approche de la Martinique offriront peu de vent. Le routage propose de tirer de nombreux bords de grand largue avec des empannages successifs pour optimiser le trajet. Un peu comme Waze en voiture qui, pour gagner une minute, est capable de nous faire faire plusieurs kilomètres de routes vicinales. J'examine les champs de vent, je soupèse l'augmentation des manœuvres vs. le gain espéré de vitesse. J'en discute avec Liliane. On va plutôt tenter autre chose : remettre en place les voiles d'avant jumelles. D'abord, c'est une solution très populaire dans le milieu des plaisanciers de la transat, c'est joli, stable, silencieux. Pas très rapide, d'accord. Pour nous c'est un peu une découverte, puisque nous ne l'avons expérimentée que le premier jour en partant du Cap Vert.

Allez, on se lance. D'abord revenir au près sous trinquette pour abaisser toute le grand-voile, la ferler proprement, qu'elle ne risque pas de se gonfler accidentellement sous une rafale, ensuite revenir au portant, gréer le tangon au vent, prendre l'allure proche du vent arrière et déployer le génois ainsi tangonné. Manœuvre terminée, je range et j'observe comment ça bouge. Ça ne me plaît pas du tout. Je vois le tangon, tenu en son milieu par le hale-haut et le hale-bas, ployer à chaque fois que le génois lui inflige un coup de boutoir. Ça ne va pas tenir longtemps si une grosse rafale arrive. Alors je recommence, enrouler le génois, descendre le tangon et aller passer le hale-bas en bout de tangon. Les efforts sur l'espar seront uniquement en compression, pas en flexion. Je me rends à l'avant. Flûte ! les diamètres de l'écoute et du hale-bas sont trop gros pour entrer ensemble dans le piston de l'embout du tangon. Je reviens chercher une manille Dyneema. Je n'en ai plus d'avance. Heureusement je trouve une boucle inutilisée. Parfait, l'écoute frappée sur cette boucle en bout de tangon, je peux ressortir le génois. Beaucoup mieux ! on voit le tangon travailler en compression. Le point d'écoute est modérément fixe et le génois assez bien ouvert. Je pourrais étarquer encore pour le faire plus plat, mais je trouve déjà les tensions importantes. Laissons mûrir cette installation et voyons comment on tient l'allure.

Comme conséquence probable de mon intervention sur les cosses du fusible, l'hydrogénérateur a chargé toute la journée sans discontinuité. Pas toujours plein pot, à cause de notre vitesse faible, mais de manière fiable. Liliane a l'oreille particulièrement calibrée sur l'état de fonctionnement de l'appareil. Un bonheur quand tout fonctionne enfin.

Liliane l'a baptisé Leo L'Hydro, parce qu'il ronronne comme un gros matou qu'elle a eu jadis.

Cela nous rend plus détendus pour le reste de la nuit.

20 mars 2024 - 20h48 UTC
20 mars 2024 - 21h34 UTC
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21 mars 2024 - J9

Les quarts nous régalent de ciels fascinants. Je profite du temps éveillé pour ouvrir mon application Stellarium (version mobile Premium). Le Grand Nuage de Magellan serait à peine visible (au sens astronomique) très bas sur l'horizon sud, avant vingt-et-une heures. Alors c'est fichu, parce que tous les horizons sont frangés de petits nuages de beau temps. Impossible de voir les astres sur l'horizon. Les deux taches aperçues il y a deux jours ne sont pas les galaxies satellites de la nôtre dont j'espérais la vue.

Toute une nuit à nous dandiner gentiment. Moins de claquements, moins de grincements, moins de consommation du pilote. Et surtout l'esprit tranquille par rapport à l'absence de risque d'empannage. A peine quelquefois un train de houle traversière vient perturber cette douce glissade.

21 mars 2024 - 09h21 UTC

Le vent confirme sa baisse et la mer s'y applique aussi. Nous enlevons le panneau plexi bas de la descente, aucune vague ne menace et l'air circule mieux. Je vais aussi installer l'occultant du panneau avant, on voit moins bien la mer, mais il tamise bien la lumière. Comme nous allons pouvoir rester plus facilement dans le cockpit, ce sera parfait.

La physionomie des nuages change un peu. Leur taille en altitude devient plus grande et ils commencent à avoir des airs moins mignons que les jours précédents.

La faible vitesse du bateau nous amène à changer notre méthode de charge. Puisque l'hydrogénérateur produira très peu aujourd'hui, et la meilleure énergie étant celle qu'on ne consomme pas, nous mettons en service le régulateur d'allure et coupons totalement le pilote électrique. Le soleil très actif à la verticale charge pas mal. En fin d'après-midi cependant il faudra le remettre un peu profitant de l'accélération du vent au moment du coucher du Soleil. On ne peut pas se passer de l'hydrogénérateur, ce que d'autres avant nous avaient déjà identifié, à moins de renoncer au frigo.

Régulateur d'allure donc, à l'efficacité confirmée. Plusieurs heures nous nous laissons mener par cet engin sans nom. Une petite sieste. Bizarre, le bateau accélère vivement, le Soleil est pile devant. Que se passe-t-il ? Je fonce dans le cockpit. Le bateau est vent de travers, quasiment plein sud. Je ne comprends pas pourquoi le régulateur, qui a sa pale aérienne inclinée du bon côté pour une correction à abattre ne parvient pas à corriger la route. Je mets ça sur le compte d'une vague atypique ou d'une survente, que je n'ai pourtant pas sentie. Je reprends à la main, remets le bateau au portant, refixe les bosses du régulateur sur la barre et j'observe. En trente secondes, le bateau est reparti au travers. "-M'enfin, quel est ce sortilège ?". Je vais rendre visite au régulateur et lui parler gentiment. En baissant les yeux, je vois sa pale hydraulique flottant à l'horizontale, retenue par les élastiques et le bout. C'est comme si nous avions heurté quelque chose, il y a une sécurité mécanique qui libère la pale pour éviter de tout casser. Je crois comprendre que la pale a été "disjonctée" par une sargasse qui se serait accrochée sur elle au lieu de glisser. Pas de trace de la facétieuse sargasse. Malheureusement, je ne vois pas de solution durable. Si je remets la pale, le phénomène va se reproduire. Cette surabondance de sargasses est aussi une plaie pour la navigation. Nous poursuivrons donc avec le pilote électrique.

Nous avions entendu les pires histoires au sujet des sargasses, qui étaient gênantes au point de ralentir le bateau de manière importante. Dans la perspective où il faudrait démarrer le moteur, un petit coup d'œil à la coque est nécessaire. Je fixe la GoPro en bout de gaffe. Avec l'avancement du bateau, même à notre vitesse modeste, impossible de tenir la perche tendue sous l'eau. Je fixe un bout à un taquet latéral et l'autre extrémité au bout de la gaffe. En plongeant dans l'eau c'est le bout qui maintient la GoPro dans le courant. Après quelques tâtonnements sur la longueur du bout, je parviens à capter des images sous-marines de la coque et des appendices. Je les examine soigneusement à la table à cartes. Contrairement au tableau que nous en avait dressé d'autres navigateurs, les sargasses ne sont pas agglutinées sur les appendices de notre bateau. Les bulbes métalliques sont dans le prolongement des voiles de quille et les sargasses ne trouvent pas de point d'accroche. Je m'aimerais pas avoir des quilles torpilles en ce moment. Même constat pour le safran, aucune branche. Il n'y a qu'autour du sail drive qu'on voit quelques brins. Rien qui puisse empêcher l'hélice de tourner, mais éventuellement gêner l'aspiration d'eau. Nous convenons de bien surveiller la sortie d'eau.

Dispositif de prise de vue sous-marine
Régulateur sous la Lune
Boîtier Iridium GO en service

Ce soir, du riz avec du chorizo longue conservation acheté dans le monde espagnol.

A vingt-et-une heures, Liliane envoie un message d'anniversaire à Agathe par Iridium. Avec le décalage horaire, il tombera juste demain sur la messagerie de l'intéressée.

Séquence émotion - 21 mars 21h14 UTC
Séquence émotion - 21 mars 21h15 UTC
Séquence émotion - 21 mars 21h16 UTC
Vue de l'intérieur
Séquence émotion - 21 mars 21h41 UTC
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22 mars 2024 - J10

Dans la nuit, je suis de quart quand tout d'un coup, le bateau semble "tout mou". Encore un empannage intempestif, sous pilote électrique cette fois-ci. Il faut dire que je lui demandais de suivre une route au 170°, c'est à dire à 10° à peine du plein vent arrière. Je n'aurais pas fait ça avec du vent fort. L'empannage nous met comme les fois précédentes à une forme d'attente à la cape. Je reprends la barre en main et je le remets en route, puis j'ajoute un peu de marge à la consigne du pilote. Rien de cassé avec ce vent léger, mais ce risque me crée une tension intérieure permanente. Au jour levé, il faudra prendre une décision : soit nous remettons plein vent arrière avec les voiles jumelles, soit nous prenons l'option de tirer des bords de grand largue.

Au briefing du petit déjeuner, nous convenons que la vitesse du jour ne va écorner les bœufs, peu représentés aux environs, il est vrai (*). Nous installons le panneau solaire nomade dépliable sur la capote, qui cumulera sa charge à celle du panneau orientable. Le vent modéré ne met pas en péril l'installation. C'est l'occasion de nettoyer cette surface, encore recouverte du sable du Cap Vert. Quand au panneau orientable, c'est de la fleur de sel qu'il faut enlever quotidiennement pour lui conserver son rendement.

Vue cabine
22 mars 2024 - 09h19 UTC

(*) l'expression paysanne parle d'un vent à écorner les bœufs, parce que les jours de grand vent, il n'y a pas de mouches risquant de contaminer la partie à vif de la corne coupée et d'y pondre leurs œufs. Ainsi ont-il dus apprendre empiriquement, bien avant de connaître l'existence des bactéries, que moins d'infections apparaissaient si on écornait les bœufs les jours de grand vent.

Le routage du matin confirme une tendance de ces derniers jours. A chaque chargement d'un nouveau fichier de vents, le nouveau routage est un peu différent des précédents. Mais je constate qu'ils s'accordent tous à dire que la route la plus rapide serait au nord de la route directe. Ce matin, nous décidons donc de suivre cette indication et d'ajouter un peu de nord à notre route. Je choisis de faire une manœuvre d'empannage, volontaire cette fois-ci. Le pilote électrique a une fonction pour ça : faire un appui long sur les deux touches de droite. Fastoche. C'est Liliane qui opère pendant que je suis avec mes gants derrière le chariot de GV pour reprendre le mou de l'écoute pendant l'empannage et relâcher doucement sur l'autre bord. Mais bon ça a été codé par des américains : après déclenchement de la manœuvre, l'écran t'affiche un message de cinq lignes, dicté par les juristes et le marketing de Garmin, pour t'expliquer que tu aurais aussi pu utiliser des menus déroulants à la place (le marketing !) et te demander si tu confirmes que tu veux VRAIMENT faire un empannage (les juristes !). "-OK", lui répond crânement Liliane. Et la manœuvre se finit bien. Encore un quart d'heure pour remettre en place bastaque au vent et retenue de bôme. Nous voilà partis à meilleure vitesse sur la route. Il est vrai que cela ne modifie pas la date prévue d'arrivée. Il y a un paramètre intéressant sur le logiciel W4D, c'est la Velocity Made on Course (VMC), littéralement la vitesse projetée sur la route (actuellement le Goto Martinique). Il calcule pour nous cette projection. A ne pas confondre avec la Velocity Made Good (VMG), idole vénérée des régatiers, qui leur donne la vitesse projetée dans la direction du vent à la descente comme à la remontée. Chacun son "trip", paraît une déclaration appropriée.

A un moment, je trouve une dissonance entre la vitesse du bateau et la valeur de la charge. Bizarre, encore des problèmes techniques ? Je passe faire un tour à l'arrière pour orienter le panneau solaire et voir tourner l'hélice de l'hydrogénérateur. Ah tiens ! une grosse touffe de sargasses tourne avec l'hélice ! C'est nouveau, jusqu'à présent elles ne se prenaient que dans le bout de retenue. Je relève l'appareil. La plante enroulée dans l'hélice est particulièrement longue. Manque de chance ou effet statistique de l'accroissement des nappes que nous traversons ? En tous cas, c'est un nouveau point à surveiller.

Depuis hier, les nuages ont progressivement changé d'aspect. Je m'extasiais il y a quelques jours des chapelets de petits nuages mutins qui défilaient au-dessus de l'océan. On voit maintenant de plus en plus fréquemment de gros cumulus dont l'extension en altitude est le signe de grandes ascendance d'air. Cela change le paysage, en lui donnant un côté plus dramatique, genre Chevauchée des Walkiries derrière nous.

En fin de journée, bien remontés au nord pour l'hypothétique vent optimal, nous repartons sur la route ouest. Tenant compte de la leçon de la veille, ce sera avec génois tangonné et trinquette jumelle que nous glisserons tranquillement presque au vent arrière dans un petit alizé de treize nœuds.

La fin de la traversée se dessine obstinément au moteur depuis plusieurs bulletins météo. Il faudra donc conserver le carburant pour cet épisode et l'utiliser avec circonspection. Contrairement à notre étape des Açores à Madère où nous n'avions pas moyen d'informer nos familles d'un retard, nous sommes cette fois-ci tranquilles sur cette éventualité de traversée une bulle sans vent.

Galettes pois chiches, tomates et blougour, épeautre, petits légumes. Le blog de Cheddar que nous avions demandé entier pour mieux le conserver, commence à donner des signes de fatigue. Mais il demeure excellent, une fois débarrassé de ses moisissures superficielles.

22 mars 2024 - 22h51 UTC
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23 mars 2024 - J11

Cela ne s'invente pas, ce sont les cartes de l'Amirauté Britannique qui l'affirment : nous sommes passés près du Royal Trough (N16°00 W048°30), une fosse gigantesque qui descend à 5744 mètres de profondeur au milieu d'une morne plaine à 3000 mètres.

Toute la nuit est émaillée de grains modérés. Le vent s'accélérait à vingt-cinq nœuds, avec une pluie fine. Pas de fracas, le pilote en mode vent et la configuration voiles jumelles sont résilients, le bateau accélère et suit le vent, généralement un peu sud puis reprend sa vitesse plutôt sobre et sa route à l'ouest une fois le grain passé.

Cela fait quand même passer une nuit de mauvais sommeil, parce que les voiles jumelles ne sont silencieuses que si elles sont pleines d'air. Dans un vent très faible, c'est la houle qui remue la coque et la coque qui fait battre les voiles et claquer les écoutes.

Au petit matin, la situation est tristounette. Le vent ne dépasse pas huit nœuds, les voiles humides pendent mollement, le bateau arrive cependant à nous offrir un ou deux nœuds de vitesse sur l'eau (plus un demi de courant équatorial). Le ciel est uniformément gris épais. Tous nos systèmes de charge sont compromis. Un instant, en pleine pensée magique, je dis : "-Il suffit d'attendre, le Soleil va purger ces nuages et l'alizé reprendre". Mais ça ne vient pas. Première mesure : on économise l'électricité, pilote OFF, régulateur d'allure au taf. Je le règle aux petits oignons, je m'extasie de sa sensibilité, avec seulement cinq nœuds de vent et deux de vitesse sur l'eau, il arrive à trouver les bonnes corrections de barre. Elles manquent un peu de pêche et ça lui prend plusieurs minutes pour corriger les écarts. Je trouve une astuce pour augmenter le gain de boucle (boucle proportionnelle - voir article sur le régulateur), en nouant les deux bosses plus bas sur la barre, c'est-à-dire plus près de l'axe du safran. Ça fonctionne, je suis content de moi comme un collégien qui a eu une bonne note, et je pars vaquer à mes occupations, ainsi que Liliane.

23 mars 2024 - 09h04 UTC

Une dizaine minutes plus tard, assis à la table à carte à charger les fichiers météo, le Soleil m'éblouit par le panneau plexi à ma gauche. Tilt ! "-Il devrait être à l'arrière à c't'heure-ci, qu'est-ce qu'il fait là le Caïd ?" Je sors dans le cockpit, le bateau file au sud, et même un tout petit brin vers l'est. Je regarde le régulateur. Même pas en train de prendre une mesure corrective, il est content de lui, ce zèbre ! Je reprends la barre en main, prêt à accabler le bougre à la mauvaise réputation, comme dans la chanson de Brassens. "-Oh, misère !". Le vent vient du nord, il bossait normalement le régul. Et avec les voiles jumelles, on peut difficilement faire autre chose que descendre dans le vent. On ne peut pas laisser comme ça.

Nous nous attelons à la manœuvre, moi à l'avant et en pied de mât, Liliane au piano. Sans rentrer dans le détail, on rentre les voiles jumelles et on revient sous grand-voile et génois au travers. Ça prend plus d'une demi-heure. Je commence à suer sous mon tee-shirt, gilet et harnais. Une fois les voiles prêtes, on fait porter et on règle l'allure et la route. Damn' ! Le temps que nous fassions la première manœuvre, elle devient obsolète, la couverture nuageuse a foncé droit devant, la chaleur du jour poussant devant elle la ligne de démarcation jour/nuit et chassant vers l'ouest les turbulences humides. L'alizé d'est-nord-est s'est maintenant rétabli. Le soleil cogne et le panneau solaire s'épanouit. La météo ayant confirmé que le vent restera modéré toute la journée, nous entamons la deuxième manœuvre, pour revenir plein vent arrière, avec une innovation (pour nous sur ce bateau) : grand-voile haute et génois tangonné au vent. C'est beau, ça fleure bon la transat des anciens et les livres jaunis aux photos délavées. "-Ce tangon que je voyais dans les filières depuis deux ans, il est enfin au travail depuis quelques jours", déclare Liliane.

Conséquence secondaire du retour de l'alizé, le bateau avance bien, l'hydrogénérateur et les deux panneaux solaires fournissent une profusion d'énergie. D'ailleurs une micro-stratégie à mettre en œuvre dans ce cas consiste à charger immédiatement tous les appareils possibles, téléphones, ordinateurs, caméras, liseuses, lampes... Car il est préférable de livrer les ampère-heures directement à l'équipement final plutôt que de les faire entrer dans les batteries du bord, et de les en faire ressortir ultérieurement, cycle qui comporte des pertes de rendement. Bon, voilà. C'est marrant aussi de penser aux petits photons partis du Soleil il y a huit minutes venir cogner notre équipement pour transférer son énergie aux petits électrons. Merci à vous, aimables collaborateurs.

Ce sont d'autres photons qui font beaucoup chauffer l'air dans la soute, mûrir bananes et tomates, et bougonner Liliane. D'ailleurs pour ceux qui rêvent de trouver le secret de la création spontanée de l'énergie perpétuelle, je leur prédis un meilleur business case en cherchant le secret de l'anéantissement spontané de l'énergie.

Air chaud et mer calme sont propices à la douche dans le cockpit. Foin des petites douchettes, Liliane et moi nous offrons les grandes eaux, soit pas moins de douze litres d'eau douce pour nous deux. Shampooing, savonnage complet et même les tongs y passent. Il est bon et luxueux ce moment de plein air avec l'Océan Atlantique comme salle de bain panoramique. En cas de pénurie, nous pourrions limiter l'eau douce en effectuant le premier savonnage-rinçage à l'eau de mer, façon explorateur dur à cuire. Mais nous n'en sommes pas à cette extrémité. C'est douze litrs de moins à porter pour la carène de Tusitala et au total plus de deux cents kilogrammes depuis le départ du Cap Vert, en ajoutant l'eau minérale bue et les fruits et légumes mangés.

23 mars 2024 - 21h19 UTC
Constellation des feux de route
Quart de nuit Lili
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24 mars 2024 - J12

Nous recalons nos montres sur UT-3 pendant la nuit.

Une nuit occupée à gérer la lente et inexorable décharge d'une des deux batteries. Je finis par couper la charge de celle qui va bien et couper la décharge de celle qui est à 25%, près du minimum à partir de laquelle le fabricant indique qu'on commence à dégrader sa durée de vie (20%). Au petit matin, les deux se retrouvent équilibrées à 30% et, profitant d'une apparition matinale de l'alizé, on peut relancer l'hydrogénérateur. Quand j'observe les courbes de détail, je ne comprends pas la méthode de calcul de ce pourcentage. Je me note de demander des éclaircissements au fabricant.

La journée est entrecoupée de grains, conformément aux prévisions de l'indice CAPE qui augmente, augmente (100J/kg et plus bientôt). Chaque grain qui arrive vers nous par l'arrière commence par accroître le vent. Le bateau, conduit par le pilote en mode vent, file dans la nouvelle direction. Ensuite, selon le dicton marin, le grain "vole le vent". Derrière lui, il laisse un chaos de mer clapoteuse et un vent quasi nul, voire d'une direction complètement absurde, qui donne au bateau une route tout aussi ridicule, genre plein sud (déjà vu hier).

Avant...
...après
En manœuvre sur le roof

A un moment, je compte trois grains à bâbord. Entre eux, la mer est le résultat du mélange aléatoire de toutes les influences de ces farceurs. Chaotique en diable. Le bateau est tourneboulé, nos sens également, les voiles et les écoutes claquent. Quoique la houle soit raisonnable, nous titubons dans l'absence de cohérence des mouvements, nous dégoulinons dans la moiteur poisseuse de l'air.

Grain...

Dans la journée nous essaierons successivement plusieurs allures, tribord amure, puis bâbord, puis encore tribord, avec génois tangonné au vent ou génois sous le vent. Avec pilote, puis régulateur d'allure dans l'ambiance molle où le bateau avance à quatre nœuds voire moins et le ciel couvert offre peu aux batteries. Je ne sais pas comment font les autres voiliers pour assurer leur autonomie énergétique mais je subodore que beaucoup utilisent l'énergie du moteur pour y parvenir. C'est un sacré défi en tout cas.

Le régulateur d'allure prend de plus en plus souvent la place du pilote électrique. Considéré au départ de notre projet comme un secours en cas de défaillance du premier, il devient maintenant une solution à parité d'intérêt. Son réglage est un peu plus subtil que l'affichage d'une consigne numérique. Il faut du doigté pour régler l'orientation de la pale aérienne au jugé, il n'y a aucune graduation. Ensuite quelques tâtonnements pour régler la tension des drosses sur la barre. Je m'améliore en rapidité de mise en œuvre. Liliane espère que j'aurai bientôt ma première étoile pour que la route suivie soit plus rectiligne. Il n'empêche, cet équipement nous conduit pendant des heures à des allures très près du vent arrière que je ne l'aurais pas pensé capable de tenir.

Pendant un moment, j'ai observé comment la pale dans l'eau s'en sortait au milieu des sargasses. Nous avons traversé plusieurs nappes et elles ont glissé librement autour de la pale. Sauf malchance, elles ne devraient pas s'accumuler au point de faire à nouveau disjoncter la sécurité.

Il resterait à inventer un hydrogénérateur pour basses vitesses, il suffit de concevoir une hélice plus large que celle que nous avons. Idéalement une hélice à pas variable.

Au repas du soir, nous expérimentons deux nouveaux plats lyophilisés achetés au Vieux Campeur. Je trouve ça plutôt bon et surtout ce sont des repas complets, répondant à la difficulté d'assurer un équilibre alimentaire correct dans la durée. Le prix unitaire peut inciter à la modération, mais il s'agit de les employer plutôt en fin de parcours, quand les aliments frais commencent à faire défaut.

Sous régulateur et sous la Lune
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25 mars 2024 - J13

C'est le jour du renoncement. La nuit a été émaillée de plusieurs tentatives de remplacer le pilote électrique par le régulateur d'allure. Cela m'a permis de perfectionner sa mise en œuvre et il finit par fonctionner encore mieux que je ne l'avais imaginé, notamment dans du vent assez faible au vent arrière, avec les voiles jumelles. Et nous avons gagné une telle ***confiance*** en lui que nous commençons nos quarts de nuit sous régulateur, avec le pilote électrique carrément éteint. Le frigo également. Tout ça pour ménager nos batteries qui commencent la nuit à 40% à peine. Hélas ! pendant le quart de Liliane, la pale du régulateur "disjoncte" encore. Nous nous retrouvons rapidement travers au vent, voiles battantes, écoute de génois sortie de l'embout du tangon (sans doute une sécurité pour ne pas casser l'espar). Rien de plus désagréable que de se réveiller après une courte heure de sommeil pour devoir bondir manœuvrer sur le pont. Pas le choix, on remet le pilote électrique, on enroule le génois, on rentre le tangon, on remet les voiles en ordre de route vent arrière. Je remonte la pale et nous resterons sous pilote électrique tout le reste la nuit. Heureusement, la mer est calme et le pilote ne force pas trop.

Au lever du jour, l'une des batteries affiche à peine 21%. C'est rouge ! Le lever du Soleil, magnifique comme toujours en mer, est bardé de gros nuages. Il faut plusieurs heures pour que les panneaux solaires commencent à charger. Je remets le régulateur, coupe à nouveau le pilote, la VHF et même, pour me faire quelques frissons, la totalité des instruments. Consommation, zéro. J'ajoute l'hydrogénérateur, avec un palan qui permet de lui interdire d'aller faucher la zone où opère la pale du régulateur. Nous faisons ainsi quelques douces heures, jusqu'à la réitération de la disjonction de la pale et du bateau qui part au lof, etc. Je remets tout ça en marche. La chaleur est intense, le tee-shirt poisseux.

25 mars 2024 - 09h03 UTC
Vue cabine

Echec et réflexion sur l'autonomie énergétique, à usage des autres plaisanciers

La réflexion avec Liliane est rapide : on ne va pas arriver à recharger d'ici ce soir. La nuit dernière a été limite-limite. C'est pour moi l'échec de ma quête de traversée en autonomie électrique. Le vent a tué l'hydrogénérateur, les nuages ont tué les panneaux solaires et les sargasses ont tué le régulateur d'allure. Rien à voir avec une quête écologique, encore moins écologiste, c'est plutôt un défi esthétique et romantique que je m'étais posé à moi-même. Il ne s'agit pas de viser une transat complètement dénuée d'énergies fossiles, mais juste de ne pas consommer une énergie fossile transformée en une énergie électrique, elle-même utilisée pour maintenir un voilier sur sa route et ses équipements sous perfusion d'électrons, processus que je trouve complètement absurde. Mais nous y voilà pourtant. Tout fier de mes choix techniques, et nonobstant les difficultés déjà racontées de mise au point, je dois convenir que nous ne parviendrons pas au bout sans mettre en marche le moteur. Ou alors au prix d'une entrée dans une autre dimension du voyage, avec manœuvres incessantes, arrêt de tout confort et autres contorsions sacrificielles qui ne faisaient pas partie de notre projet. Liliane a trouvé fort difficile les dernières nuits passées à gérer incessamment le sujet électrique, agrémentées de réveils surprises, voiles en vrac. Je la comprends. Moteur donc, ce qui aura le double avantage de charger les batteries et de vérifier son bon fonctionnement avant d'en avoir besoin "pour de bon", avec la pétole totale annoncée depuis quelques jours à partir de après-demain et jusqu'à la fin du parcours.

Une petite vérification des sargasses sous la coque, avec le dispositif mis au point il y a quelques jours. C'est correct, pas trop d'algues accrochées. Le moteur démarre bien (ouf !) et l'eau sort normalement de l'échappement. Tout en continuant d'avancer un peu à la voile, je mets une courte mais intense poussée de marche arrière pour chasser les quelques-unes accrochées au sail drive. Effectivement on voit une nappe d'algues se disperser dans le sillage.

Pendant une heure et quart, nous transformons donc des molécules de gasoil en précieux électrons, au travers d'une tout aussi absurde installation de pompes, pistons, villebrequin et alternateur nommée moteur. Il fait bien soixante degrés dans la soute moteur et les batteries sont guillerettes, passées respectivement de 39/48% à 57/69%. Je surveille sur l'application Victron du smartphone ce que fait le chargeur DC/DC de l'alternateur, acheté et installé à Las Palmas en remplacement du chargeur d'alternateur Sterling : parfait, il charge le courant maximal, soit 30A. Un moment plus tard, j'ouvre la trappe d'accès et je touche le boîtier : il est brûlant, comme le laissait supposer le rendement affiché par la notice du fabricant, un mauvais 95%. Le dernier modèle sorti, qui améliore ce point, n'était pas encore disponible au détail. Je touche aussi la plaque support en aluminium : brûlante également. J'ai bien fait d'ajouter cette plaque qui participe à la dissipation thermique.

Qu'aurait-il fallu pour réussir l'entreprise ?

  • D'abord trois batteries au lieu de deux. Vu le prix des modèles au lithium (Li-Fe-PO), ça se discute au minimum.
  • Ensuite, un hydrogénérateur capable de produire à plus basse vitesse, vers trois nœuds. Cela doit pouvoir se réaliser pour pas cher avec une hélice amovible qui aurait de plus grandes pales, mais le constructeur ne le propose pas.
  • Enfin, sans doute la Rolls des régulateurs d'allure, un Hydrovane, aurait passé outre les sargasses, car il dispose d'un véritable safran auxiliaire au lieu d'une pale pendulaire. Là encore, c'est trois fois le prix du nôtre, soit quatre chiffres en euros.

Aujourd'hui, c'est la fin des bananes ! Celles qui n'ont pas été mangées finissent dans un cake à la banane avant qu'elles ne dépérissent.

Pendant la fin d'après-midi, à l'abri du soleil, nous pouvons nous adonner à un flânerie bienvenue.

Jupiter à l'avant
La Lune à l'arrière
Orion au zénith
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26 mars 2024 - J14

Une nuit sereine et silencieuse à glisser tranquillement sous voiles jumelles. Un cargo croisé au petit matin, assez loin. Il ne déclenche même pas l'AIS.

Au matin, une surprise : le vent est un peu plus fort que présagé par les fichiers de prévision. Et il est orienté du sud-est, ce qui nous donne la possibilité de quitter le plein vent arrière pour passer à une allure de largue, plus rapide, tout en maintenant notre progression vers le but. Toute la matinée nous marchons ainsi sous génois et grand-voile.

Venus la belle - 26 mars 2024 - 09h12 UTC

Le soleil puissant et le maintien de houle à un niveau raisonnable nous permettent un douche dans le cockpit. Le deuxième des deux bidons de cinq litres prévus à cet effet est utilisé pour une délicieuse douche dans la salle de bain décor atlantique et le cockpit entier est notre receveur.

Comme le vent se maintient au niveau raisonnable de quinze nœuds, nous installons, hissons et déployons le Code D. Cette voile à la plage d'emploi un peu étroite trouve aujourd'hui son pleine efficacité. Cela nous propulse à six ou sept nœuds et les batteries chargent plein pot.

Vers seize heures un grain paraît à quelques kilomètres. Nos routes convergent. Pas tentés de voir ce que donnerait le Code D dans son périmètre, nous le rentrons. Timorés sans doute. Il s'enroule avec facilité autour de son emmagasineur et nous le remplaçons par le génois. Finalement le grain passe à notre tribord et disparaît. De toutes façons, nous n'aurions pas gardé le Code D la nuit, contrairement à certains navigateurs qui tiennent leur spi haut jusqu'à trente nœuds.

La Lune se lève alors que la nuit est déjà installée, très gros disque près de l'horizon derrière des nuages boursouflés. Effets théâtraux dramatiques garantis.

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27 mars 2024 - J15

Un grain, surgi du fond de la nuit, court vers l'aventure au galop. Juste vers nous. Le vent forcit, rien de très violent, mais il tombe des cataractes. Et surtout, il vient de l'ouest. De l'ouest ! Nous voilà à faire du près pour pointer notre étrave vers la Martinique. Cela confirme l'adage qu'on se tape toujours du près en croisière, à un moment ou un autre. Nous voilà remontant au nord. Je vire. Super. Quelques minutes plus tard, nous voilà plein sud. L'air est tellement rempli d'eau que un puis deux oiseaux marins approchent prudemment à la poupe en faisant du vol stationnaire par rapport à la coque et après plusieurs tentatives prudentes, finissent pas se poser, l'une sur la grosse bouée fixée au balcon arrière et l'autre sur la pale du régulateur, que le vent plaque à l'horizontale. Elles sont bien un peu effarouchée lorsque je me rends à l'arrière pour manœuvrer ou uriner, mais la planche de salut doit être assez bonne pour qu'elles y restent. Je suis trempé, Liliane réveillée.

Grain passé, vent volé, bateau à l'arrêt. Alors nous remettons le moteur, pas pour produire de l'électricité, mais pour avancer, c'est légitime. Le ciel reste très sombre, disons noir pour donner une idée.

Et d'aventure en aventure, de grain en grain, de bord en bord, nos passagers ont gardé la posture. (librement inspiré de S. Lama)

Au petit matin, je sens un frémissement du bateau, juste une petite inclinaison qui indique que la grand-voile porte un peu. Chouette, du vent qui pousse. Moteur aussitôt arrêté, nous repartons à la voile, timidement d'abord. Dans le lever du jour tout noir (si !) j'aperçois des feux de route à l'horizon. Rien à l'AIS, trop loin. Je l'observe un moment. Pas des feux de gros navire commercial, peut-être un voilier. Nous sommes en route convergente, son feu vert sur notre rouge, il va falloir rester attentif. Ça dure plus d'une heure. Difficile d'apprécier les distances quand la lumière est faible. D'un coup, nous sortons de la couverture nuageuse, ou plutôt c'est elle qui s'évacue de notre plafond. Tiens il fait vraiment jour, ce n'était donc pas le Soleil qui était en retard ! Le navire voisin se dessine mieux, c'est bien un voilier. Quelques minutes plus tard, l'alarme AIS retentit. Il nous double avec l'insolence de ses quatorze mètres de long et huit de large, lentement, sur une route quasiment parallèle. Un catamaran sans doute. On ne va pas l'aider, je fais quelques réglages en bordant les voiles à la main sans winch, en essayant de ne pas réveiller Liliane.

27 mars 2024 - 09h25 UTC

Au fil de la matinée, nous jouons à grappiller le vent, capter ces précieuses molécules animées qui nous font l'honneur de venir frapper nos voiles et leur communiquer leur impulsion. On est loin d'atteindre des vitesses à se rouler par terre de plaisir : trois nœuds, le sourire ; quatre nœuds, l'exclamation de joie ! Par bonté (divine ?) le vent s'oriente du sud-sud-est et nous permet de progresser dans la bonne direction au près serré, voiles bordées dans l'axe. Laissons aller tant que ça veut bien. La météo du matin confirme obstinément que le vent va venir carrément d'ouest (de face) en fin de journée et disparaître demain.

Le dernier radis frais est dévoré ce midi, dans un assortiment de poivrons (en boîte), lentilles ou pois chiche, fromage de chèvre, oignons.

La mer est belle, au sens météo, c'est-à-dire à peine ourlée de vaguelettes. Elle est aussi animée de la longue houle de période supérieure à douze secondes et d'amplitude un mètre soixante environ. Elle a la respiration d'une belle endormie.

Une bonne partie de l'après-midi se poursuit ainsi dans une grande douceur océanique. Lecture dans le cockpit silencieux, contemplation d'un énorme porte-conteneur à l'horizon, étonnement à l'ampleur que prennent les nappes de sargasses que nous traversons souvent en plein milieu tellement il s'en présente devant l'étrave. Un peu de remord de ne pas encore avoir tenté de pêcher, malgré les bonnes intentions affichées au départ. C'est bof ! Peut-être demain.

Sargasses
Porte-conteneur

Finalement, il faut convenir en milieu d'après-midi que même au près serré, le vent nous amène de plus en plus vers le nord. Il reste une composant de notre vecteur vitesse qui nous rapproche encore à deux nœuds et demi du but, mais ça devient anecdotique. Symboliquement, j'attends que la distance à parcourir soit juste moins de deux cents milles, puis nous mettons la bourrique en marche et prenons la route directe vers la pointe sud de la Martinique. Les ciels de gros cumulus sont une succession de paysages qui cherchent à gagner, j'en suis sûr, des concours photos. Ne manquerait qu'un bon photographe pour les fixer.

Comme chaque soir, le coucher du Soleil fait l'objet de la part de l'équipage d'une cour assidue quoique peu nombreuse. En retour, le ciel nous offre Mercure qui suit de peu le Soleil dans son plongeon et plus haut le Jupiter, qui surveille l'équilibre de tout ce ballet.

A la poursuite du soleil couchant
27 mars 2024 - 21h57 UTC

Ce soir, Liliane tente et réussit la recette de pizza de l'Atlantique de Mahina, revisitée sans levure puisqu'elles sont toutes périmées. De mon point de vue elle ne porte ce nom que parce qu'on l'exécute à cet endroit, aucune autre caractéristique n'est requise.

22h34 UTC
Et Jupiter fût !

Le ciel dégagé et la Lune tardive sont prometteurs pour le début de la nuit. Liliane et moi nous offrons un after en terrasse toutes lumières éteintes (sauf le feu de route bien sûr) et une fois nos yeux accoutumés à l'obscurité (compter vingt bonnes minutes), la Voie Lactée se dévoile. Il fait bon dans le faible souffle de ce début de nuit.

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28 mars 2024 - J16

Nuit au moteur, avec quelques grains de pluie modérée et toujours pas de vent. Ce n'est qu'au lever du jour que la girouette quitte l'axe du bateau pour indiquer la présence d'air à prendre. Comme nous avions conservé la grand-voile haute toute la nuit pour profiter de tout souffle favorable et gratuit, la manœuvre pour dérouler le génois est rapide. Quelques minutes d'observation et hop ! moteur éteint ; économiser le gasoil pour la fin, parce que la jauge de notre réservoir principal affiche seulement un quart. Nous voici dans la transatlantique "aller" au près serré dans dix nœuds de vent. On avance à quatre dans la bonne direction, ce qui est satisfaisant. Puis trois... C'est là qu'on peut rêver d'avoir un bateau de course, un Pogo par exemple, qui saurait exploiter ce zéphyr pour en faire du mouvement. Il faut virer de bord. Avec le faible élan de la carène, ça part pour un virement raté. Je fais comme en dériveur 420, je godille avec le safran de Tusitala. Pas bien élégant comme manœuvre, je l'avoue, mais le plan de voilure finit par passer. Le génois accroche tout ce qu'il peut au passage, il fait une poche autour de l'étai de trinquette, il faut que j'aille à l'avant pour l'aider à passer, je ne peux pas compter sur la force du vent. Pendant quelques heures, je peaufine le cap. Je remercie mes moniteurs de voile de m'avoir initié aux subtilités de la barre douce, avantage d'avoir grandi dans la zone de Méditerranée où il y a probablement le moins de vent au monde. C'est comme se déplacer en Espagne au moins de juillet : pour ne pas mourrir, il faut apprendre à bouger sans déplacer d'air, un long travail de mimétisme sur les autotochnes. Dans notre cas présent, modifier le cap du bateau sans quasiment toucher à la barre, régler les écoutes centimètre par centimètre. Tout mouvement énervé ferait perdre de l'énergie précieusement prélevée sur le vent.

Les fichiers vent du matin confirment que ça ne va pas durer. Le vent va progressivement refuser puis venir carrément d'ouest. Pas assez de carburant pour faire les derniers milles au moteur, même avec les trois bidons supplémentaires. Jamais je n'aurais pensé qu'en cette saison nous aurions plus de deux cents milles nautiques sans vent. Il faudra donc tirer des bords pour avancer au mieux. Personnellement je trouve agréable cette lenteur au milieu de l'immensité ondulante. Nous avons de l'eau et de la nourriture, pourquoi vouloir arriver vite ?

Aujourd'hui, nous nous délectons de la dernière tomate fraîche dans une salade.

Deux ou trois nœuds, c'est bien pour pêcher. Je ne suis pas un fan de pêche, sauf en chasse sous-marine dans mes jeunes années. Cela m'évoque la fin de mon service militaire, où avec mon copain Christian nous partions au Maroc en camping-car, dans une zone inhabitée (mais nous étions allé voir le Hadj du lieu pour lui demander l'autorisation, que nous avons ensuite abondamment récompensée en poissons et en lui laissant le vieux zodiac qui n'en pouvait plus). Puis plus tard dans les eaux corses. Nous étions dans l'eau du matin au soir. Nous revenions bleus de froid malgré les combinaisons en néoprène.

Je sors donc l'attirail, moitié acheté à la va-vite en partant de Roscoff, moitié cadeau de mon cousin Yann, le moulinet et les gros leurres. Ils me font peur ces leurres, parce que si un poisson est assez gros pour gober ce truc, je me demande bien comment je fais faire pour le sortir de l'eau. Je monte la ligne soigneusement comme il m'a appris et je jette le tout à l'eau, en sortant environ soixante mètres de fil. Au moins j'aurai essayé, pas de regrets. Régulièrement, je remonte la ligne pour enlever une poignée de sargasses.

Prêt pour remonter du gros

Un peu de lecture dans le cockpit pour étudier ce que seraient les éventuelles prochaines escales de l'arc antillais. Sainte Lucie, Saint Vincent, Bequia, Mustique, Tobaggo Keys, Grenadines, Carriacou et plus loin Grenada, Tobago... Plein de noms qui résonnent comme autant de paradis fantasmés. Nous les avons déjà visités en 2012, au pas de course, avec un équipage de neuf personnes en catamaran de location, dont mon regretté ami Michel M.

Dans l'après-midi, profitant d'une mer d'huile, après maints calculs, je complète le réservoir principal de deux bidons de vingt litres de gasoil. Je garde le troisième pour la soif, c'est-à-dire de dernier ressort pour l'arrivée au mouillage ou au port. Et surtout, je garde ce bidon pour le cas où quelque chose souillerait le gasoil du réservoir principal. La jauge remonte aux trois-quart, ce qui est réjouissant, mais ne suffit pas, calculs refaits, à rejoindre la Martinique en cas de pétole durable. Dans ce cas, nous devrons attendre le retour de l'alizé, que les prévisions indiquent pour le dernier jour de mars.

Faut pas gâcher !

Un douche aussi dans le cockpit, enveloppés dans la tiédeur du Soleil déclinant. Les bidons additionnels emportés pour cet usage trouvent leur emploi. Une douche complète avec shampooing, c'est un luxe à environ cinq litres d'eau douce (parce qu'on sait qu'on n'en manque pas, sinon on saurait être plus économe, en utilisant l'eau de mer).

Le jour se couche dans un air doux et calme. Trop calme. Le bateau avance doucement dans six nœuds de vent, et en plus nous n'allons pas vraiment dans la bonne direction. Mais on ne râle pas, c'est le jeu. Sinon, il ne fallait pas venir.

Un peu avant minuit, nous sommes au près serré, voiles bien réglées pour ne rien perdre du souffle environnant. Nous nous laissons bercer par le petit clapotis des filets d'eau qui coulent le long de la coque, pour un résultat de un nœud et demi dans la direction du but. Gagne-petit obstiné que je suis, je ne regarde plus les milles, mais les dixièmes de mille qui s'égrènent sur l'écran de la tablette. A chaque décimale passée, nous échangeons notre temps de "travail" contre du gasoil. Dans la dernière heure de ce jour, nous sentons le bateau qui accélère, ça clapote plus fort, puis ça chuinte et enfin ça siffle. Un grain nous a rejoint. Par bonheur, il nous propulse dans la bonne direction et nous gagnons très vite un mille. Merci, Grain !

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29 mars 2024 - J17

La rude lutte continue. Le vent tombe complètement. Nada, zéro, niente. La mort dans l'âme je mets le moteur. Au moins ça recharge les batteries. Evidemment tout devient plus facile. Quelques milles plus loin, en sortant faire un tour d'horizon, ma peau détecte un souffle de côté et je vois la grand-voile qui s'incurve joliment à tribord. Du vent ! En un tournemain, le génois est sorti, bordé plat, le moteur éteint. Il faut bien se reposer. Je confie la barre au pilote en mode vent. "-Fais de ton mieux", je lui dis. Il fait. Mais le vent est capricieux en force et en direction. La trace ressemble à celle d'un ivrogne titubant sur un vaste trottoir (ah ! j'étais sûr que vous comprendriez cette image). Si je n'y prends garde il nous renverrait bien subrepticement vers le Cap Vert. Des virements, si possible silencieux pour ne pas réveiller Liliane. Peine perdue, elle vit ces instants en direct et s'alarme que des yeux surveillent notre exercice. Perchée sur la grosse bouée, une mouette se cramponne à la surface de plastique, comme la nuit précédente. Des croassements furieux ! Une congénère tente une approche visant la bonne bouée. Repoussée, elle cherche une autre place, volette, tente plusieurs atterrissages, finalement choisit le bossoir en inox. Mais comment tient-elle là-dessus ?

Plus tard, encore des cris, une autre approche. Repoussée de même, elle élit le tangon comme perchoir. Une quatrième sur le même tangon, puis plus haut sur la première barre de flèche. Jusqu'à quatre passagers clandestins viennent trouver leur repos de nuit sur notre engin flottant, à contre-jour sur fond de nuages et de Lune, dans une ambiance toute hitchcockienne. Toute la nuit, pas rancunières, elles discutent. Devisant très probablement des mérites de ce ponton flottant par rapport à l'inconfort d'une nuit sur l'eau.

Au lever du jour, elles disparaissent discrètement, sans remercier autrement que par quelques taches sur le pont, ingratitude typique des dinosaures.

20 mars - 06h18 locale

Le Soleil nous apporte un supplément gratuit : du vent, de l'énergie. Dix nœuds ? Royal souffle ! Les cinq tonnes s'animent, l'étrave s'ourle de ce petit pli, sympathique comme des fossettes de sourire.

Je tente de récupérer de la nuit, pendant que Liliane prend un long quart de jour, en laissant par écrit des critères compliqués pour me réveiller. Au réveil, la mer est d'un lisse parfait, la chaleur intense, la ligne de pêche silencieuse et la douche bienvenue. Et c'est bien sûr lorsque je suis tout enduit de savon que la ligne part comme une fusée. Pas d'urgence, mais quand même, le moulinet se dévide bien vite. Le temps d'enfiler le harnais sur la peau nue détrempée et le crocheter dans la filière, je commence à remonter la ligne. Je n'ai pas pensé à ralentir le bateau, il aurait suffi d'enrouler au moins la voile d'avant. La ligne est tendue et la canne très arquée. Je bobine doucement le moulinet, pensant intérieurement que ça prendra de longues minutes... Soudain, la tension disparaît, la ligne est molle. Je sais immédiatement que le poisson s'est libéré. Au bout, il ne reste que la moitié du bas du ligne en tresse inox. Le leurre est parti avec. Il me reste des progrès à faire. Je crois aussi que la ligne en soixante centièmes est trop fine pour les poissons qui mordent à la vitesse de nos voiliers, mais en l'occurrence ce n'est pas elle qui a cassé. Allez, on range tout le matos. On verra plus tard comment mettre cette activité au point. Curieux comme il est difficile d'obtenir des renseignements précis auprès des professionnels. Aucun, je dis bien aucun, ne connait la pêche à la traîne en voilier. Quand aux voileux, ils ont chacun leur recette qui fonctionne, mais peinent souvent à la décrire. Ça va du "moi je mets tout en 100/100èmes avec un leurre que je fais moi-même avec des lanières de plastique", aux montages sophistiqués avec plombs intermédiaires, planchette, bas de ligne inox, etc. Même la question de taille des hameçons ne donne pas de réponses identiques: hameçons tridents ou pas, plusieurs hameçons en cascade ou pas. Moi, novice, je m'y perds. Je me promets d'approfondir le sujet.

Bas de ligne inox cisaillé
29 mars 2024 - 21h12 UTC

Vers seize heures, les jeux sont faits. Voiles battantes, coque immobile sur l'eau, nous ne progressons plus. La persévérance trouve ici sa fin. Nous remettons le moteur en marche et prenons la route directe vers la Pointe des Salines, au sud de la Martinique, en ajustant les gaz pour que la durée, assez déterministe, du reste du trajet nous amène à cet endroit au lever du jour. Cela laisse toute la journée de marge pour l'éventualité d'un retard, puis remonter tranquillement dans le côte sous le vent jusqu'à la Baie du Marin.

Un petit coup d'œil au chargeur DC/DC de l'alternateur avant d'aller dormir. Les batteries sont déjà à 100%, l'appareil reste en tension d'absorption et ne chauffe pas. Je le félicite en espagnol, sans doute la fatigue : "-Muy bien, sigue así, hasta lueguito".

Proche de l'écurie. 42 MN
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30 mars 2024 - J18

Quand même, cette petite inclinaison là à bâbord et ce souffle agréable sur le torse quand je sors faire un tour d'horizon dans la nuit, il faut vérifier. Je mets la manette des gaz au point mort, histoire que le bateau perde l'erre due au moteur. Avec juste la grand-voile, on avance encore à deux nœuds et l'aiguille de l'indicateur de vent réel montre un vent de travers à notre route. Chouette ! Inattendu. Je déroule le génois et hop ! quatre nœuds et demi. Moteur éteint immédiatement, le silence nous enveloppe, selon une expression fausse mais poétique.

Cette nuit-là, nous procédons au troisième décalage de l'heure du bord. Nous passons à UT-4.

Depuis le début de la nuit, nous voyions le halo des lumières artificielles de l'île sur l'horizon, et un peu à gauche, plus pâle, celui de Sainte Lucie. Terre ! Les découvreurs de ces îles n'ont pas bénéficié d'un tel indice évidemment. La lueur nous annonce le retour prochain à la présence des autres humains. Contents d'arriver, mais pas trop vite quand même. De plus, le bateau avance un peu plus vite que prévu au moteur et si ça continue on va arriver à la pointe sud de la Martinique de nuit. Cela ne nous convient pas, d'abord parce que ça nous volerait le plaisir de voir cette approche, couronnement de notre transat et surtout parce que le coin doit être rempli de filets et de casiers de pêcheurs et qu'il ne fait pas bon traîner ses quilles et son hélice dedans. Je me remémore le récit lu dans Voiles & Voiliers d'un bateau qui avait pris son sail drive dans un DCP (Dispositif de Concentration de Poissons) et qui a failli couler parce que la houle menaçait d'arracher tout le sail drive. Impossible de couper les orins, qui étaient en acier, acte criminel.

Bref ! après discussion, nous remplaçons le génois par la trinquette, juste pour ralentir. Je pars dormir une dernière heure avant l'approche, où il faudra rester éveillé jusqu'au bout. Liliane capte le lever du jour et à mon réveil, la Martinique se dessine nettement sur l'horizon.

La Pointe des Salines, derrière nous
L'Îlet Cabrits, son phare et le Rocher du Diamant au loin

Avec la satisfaction de terminer à la voile, nous passons doucement au large de l'Îlet Cabrits surmonté de son phare, bien contents d'avoir attendu le lever du jour pour slalomer entre les très nombreux casiers de pêche à peine signalés d'une bouteille en plastique. Après la pointe sud de la Martinique, nous lofons au maximum vers la plage de Sainte Anne. Le fameux Rocher du Diamant se dévoile. Un moment plus tard, le mouillage tombe. Nous sommes arrivés. La transat est bouclée. Nous l'avons fait, dix-sept jours et dix-huit heures à la poursuite du Soleil couchant.

30 mars 2024 - 10h22 UTC
Mouillage clair, repos !
Le Rocher du Diamant, vu du mouillage Caritan
Première transat : FAIT !
Mouillage à l'anse Caritan


Quelques heures de sieste plus tard, nous téléphonons à la marina du Marin, qui nous trouve une place. On lèvre l'ancre tranquillement et nous embouquons le chenal de la baie du Marin en répétant le mantra "-Rouge à tribord, rouge à tribord, rouge à tribord...", puisque nous sommes ici en zone de balisage latéral de type B ("Amériques"), où les couleurs vert et rouge sont l'inverse du reste du monde. Ce balisage imposé par les Américains aux zones qu'ils ont occupées (Japon, Philippines, Corée) a fini par être normalisé. Il s'agit donc de veiller à rester dans le chenal, entouré de Cayes où l'on n'a plus beaucoup d'eau. C'est comme pour la conduite à gauche : au début on est très vigilant, puis un jour, on tourne à droite sans prêter suffisamment attention et on se retrouve à contresens... Au bout du chenal, le dinghy de la marina nous attend et nous conduit à notre emplacement. Dans l'étroit chenal, je serre trop les pendilles pour positionner le bateau en marche arrière et notre safran se prend dans l'une d'elles. Le marin de la marina du Marin nous aide à nous sortir de ce piège et nous sommes bientôt amarrés au ponton 8.

A peine une heure plus tard, nous nous offrons un pot au bar Kokoarum. Et qui voyons-nous passer au milieu des tables ? Nos anciens voisins de ponton de Mindelo, l'équipage Clément et Blanche du voilier Appa, accompagnés de leur équipier-bateau-stoppeur Tom. Ces retrouvailles sont joyeuses, tous enthousiastes à raconter nos traversées. Les projets de ces jeunes sont plein de dynamisme, Blanche a déjà trouvé un emploi, Clément de potentiels clients de charter et Tom envisage la suite de son voyage vers le Colombie.

Devant le Club Med de Sainte-Anne
Dans le chenal de la baie du Marin
Marina du Marin - Martinique
Nous mettons systématiquement les gants en manœuvre
Dîner : un peu de viande et de poisson, ça fait longtemps
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31 mars 2024

Nous prenons assez rapidement nos marques : voisins, connaissances, commerces, laverie, shipchandler, restaurants...

D'autres surprises nous attendent pour les prochains jours. Ce sera la prochaine étape.

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Edit - 04 octobre 2024

Ajout de la video

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Bilan numérique

Distance orthodromique entre Mindelo et le point sud de la Martinique : 2080 MN

Distance parcourue (GPS) : 2167,4 MN

Distance odométrique du trajet (loch) : 2186 MN

Durée de la traversée (jusqu'au mouillage de Sainte Anne) : 17 jours et 18 heures, dont 35,3 h au moteur

Meilleures 24 heures : 162.4 MNMeilleures 24 heures : 6,8 ktMax STW 10sec : 7,9 kt

Eau douce : 323 litres (cuisine, vaisselle, lavage des mains, café) + 17 bouteilles de 1,5 litre (boisson) + 30 litres en bidons (douches de cockpit)

Poissons pêchés : 0

Trace Navygatio : ici

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Publié le 1er octobre 2024

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Rencontres et tourisme

31 mars 2024

Le lendemain de notre arrivée en Martinique, nous flânons sur le ponton principal de la marina du Marin, où les sociétés de location amarrent leurs énormes bateaux. Sur les pontons qui leur sont dédiés, en l'espace de cinquante mètres et sur plusieurs rangs flottent des millions d'euros de luxueux catamarans. Note attention est immédiatement captée par la silhouette connue d'un catamaran : c'est un Nautitech 442 nommé Namasté, une magnifique unité que nous avions louée en 2012. Difficile à croire, il est encore en location. On voit qu'il a pris des coups aux étraves mais il est toujours bien entretenu.

Ponton des voiliers de location

Notre curiosité attisée, nous poussons la porte du loueur et demandons des précisions. "-C'est bien le même que vous aviez loué en 2012, il était neuf et venait d'arriver quand vous l'avez pris." Nous lui vantons et il confirme les performances exceptionnelles de ce bateau, que nous n'avons plus jamais retrouvées dans les catamarans loués ultérieurement, alourdis de quatre sanitaires et triples ponts de bains de soleil.

Note place de ponton est plaisante, tout près de la mangrove, pas trop dans le passage des bateaux de location et avec quelques voisins plutôt cordiaux. Dès le deuxième jour, nous lançons la lessive aux machines de la marina du linge de nos dix-sept jours de mer. Ce confort technologique fait un bien fou.

Bateaux de voyage ou de résidence
Tout près de la mangrove
Jour de lessive

4 avril 2024

Small world ! Je regarde machinalement un passant sur notre ponton. Cette silhouette m'évoque une personne que je connais. La connexion neuronale se fait et lorsqu'il passe à l'arrière de notre bateau, je hèle : "-Rémi !". C'est bien lui, un chef de bord connu à la section Voile de Thales, avec lequel nous avons partagé quelques croisières en Manche, notamment aux Scilly's", son épouse Dominique, ex-collègue de travail dans le même centre que moi. Ils sont sur leur bateau, un ponton plus loin, un Via 36 en aluminium, alternant les séjours aux Caraïbes et en métropole. Plusieurs soirées en perspective pour évoquer nos souvenirs communs et raconter chacun nos aventures. Dotés d'une voiture de location longue durée, ils nous invitent à partager les plages de Sainte-Anne, puis la balade pédestre et les plages de Sainte-Luce. La mer est chaude et Liliane s'y plonge enfin sans réticence.

Plage de Sainte-Anne
Plage de Sainte-Anne
Plage de Sainte-Anne

🛠 En parallèle, les travaux reprennent sur Tusitala. Nous attaquons un sujet qui attend depuis deux ans : le ballon d'eau chaude. Dommage en effet d'avoir ce ballon à bord et qu'on ne puisse avoir d'eau chaude quand on a de l'électricité au ponton. Nous avions vainement tenté de réparer l'objet en nettoyant la résistance chauffante, que nous avions eu énormément de mal à démonter. Au passage, j'avais constaté que la puissance de celle qui était installée était bien trop élevée par rapport au modèle de notre ballon ; j'ai acheté une résistance neuve de 500W et il s'agit simplement de la changer. Rien de bien sorcier, juste du temps et la bazar habituel dans la cabine, matelas renversés, trousses à outils, graisse à joint, capots et vis démontés, eau de purge dans les fonds... Il faut faire attention aux branchements électriques, c'est du 220V, on ne plaisante pas avec le raccordement de la masse et la protection des connecteurs. Après plusieurs essais victorieux (ça ne disjoncte plus), nous concluons avec soulagement que ce thème est CLOS ! Nous pouvons enfin bénéficier du confort de l'eau chaude qui coule au robinet, notamment pour la vaisselle, ce qui est plus simple que de la faire chauffer à la bouilloire.

Résistance et joint changés
Tout remonté et branché (220V)

7 avril 2024

Plein d'émotion à retrouver nos amis martiniquais au Cap Chevallier. Je les ai connus au vingtième siècle, lorsque mes parents ont monté une exploitation agricole dans les environs et nos familles ont conservé des liens d'amitiés solides. Je m'étais promis de revenir ici avec mon voilier et cela a pris bien plus de temps qu'imaginé à ce moment. Ils ont maintenant respectivement quatre-vingt-quatorze et quatre-vingt-sept ans. Leur fils Eric, grand pêcheur sportif, était un gamin, et il approche maintenant de l'âge de la retraite. Liliane et moi les avions rencontrés en 2012, lors d'un séjour-croisière en catamaran de location (celui cité ci-dessus) et nous avions partagé de fameuses baignades et ti'punch face à l'Îlet Chevallier.

Îlet Chevallier
Territoire perdu
Passe d'entrée de la Baie des Anglais
Un détour par la mangrove
Dans la mangrove avec les crabes blancs
Cours de jardinage
Avec Lucien et Nicole

Eric rigole en entendant mon histoire de ligne de 60/100 et de mon bas de ligne en tresse inox gaînée. Il me donne plein de conseils pour la suite de mes pêches. Il me montre un hameçon ; énorme ! "-Mais bien sûr qu'il va avaler cette taille. Si tu mets des petits, ça va le déchirer." Tout en se moquant un peu de moi : "-Tu n'as rien attrapé (wièn atwapé) dans tout l'Atlantique et tu penses que tu vas prendre une dowad entre les îles !". Je les aime ces gens spontanés et rieurs.

Une courte balade à pieds jusqu'à la Baie des Anglais, mouillage isolé entouré de mangrove, avec un passage, répertorié mais non balisé, entre les récifs coraliens et un banc de sable à un mètre soixante-dix à marée basse. On pourrait y venir avec notre bateau, mais ça se réfléchit. C'est l'heure des au revoir dans le jour déclinant.

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8 avril 2024

Profitant de la location de voiture, nous partons visiter le magnifique Jardin de Balata qui, à lui seul justifierait le surnom de Madinina, île aux fleurs, de la Martinique. Tout autant que le lieu est intéressante l'histoire de son créateur Jean-Philippe Thoze, aventurier voyageur revenu au pays de son enfance pour y créer cet espace arboré, fruit de son expérience d'architecte paysagiste.

Les lecteurs voudront bien pardonner l'avalanche incontinente de photos souvenirs, malgré un tri sévère.

Jardins de Balata
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Les vacances et leurs devoirs

Dans les jours qui suivent, nous alternons journée de "vacances" avec journées de travaux à bord ; curieux de parler de vacances quand on est retraité ! La todolist n'a pas désempli ; ce sont maintenant de moindres réparations ou améliorations et aucune ligne ne serait susceptible de nous empêcher de naviguer. Une litanie de défauts à fixer comme disent les Anglais, avec ce joli terme qui me fait inévitablement penser à de la gomme à fixer.

Avec nos amis Dominique et Rémi, nous passons quelques heures sur les plages de Sainte-Luce et de Sainte-Anne. Ces parcours côtiers sont aussi l'occasion de repérer les possibilités de mouillages forains. Pour plus tard.

Chemin côtier et plages de Sainte-Luce
Another Day in Paradise
Avec nos amis Dominique et Rémi
Mouillage devant Sainte-Luce, mais le clapot ne donne pas envie

11 avril 2024

Les prochains jours nous réservent d'intenses chaleurs. En fin de mois, le Soleil passera au zénith de la Martinique, qui se trouve vers 14,5° de latitude (déclinaison du Soleil 14,6° le 30 avril). Ensuite, la trajectoire du Soleil va encore progresser un peu vers le nord jusqu'à 23,4° au solstice de juin (étrange, on le verra un peu à notre nord à midi !), puis revenir vers le sud et passer à nouveau au zénith de notre latitude. Bref, il va faire très chaud.

Nous installons le taud de pointe avant retaillé par la voilerie de la marina. Nous avions défini ses dimensions à l'arrache et commandé sa confection à Las Palmas. Ici nous avons pris le temps de bien mesurer les longueurs nécessaires, permettant de ménager un passage vers l'avant, et d'abriter la cabine avant de l'intense soleil et des grains ; puis de faire recouper l'excédent de tissu et ajouter des œillets inox. Je complète par du matelotage pour réaliser des tendeurs pratiques à installer. Son ombre fait baisser immédiatement la température intérieure, conformément à ce que prévoit la théorie du corps noir. En métropole, nos enfants peinent à apprécier la fraîcheur persistante du printemps tardif.

Avec tous les accessoires sortis des coffres, tauds, seaux, manche à eau, table et coussins de cockpit, le bateau commence à ressembler à une caravane comme on en trouve l'été dans les campings du sud de la France, à part le barbecue que nos expériences antérieures nous ont fait bannir. Nous sommes clairement en voie de tropicalisation, terme auto-explicatif, qui peut être péjoratif par ici, lorsqu'il désigne quelqu'un dont le bateau est devenu limite navigable et dont on sent vaguement qu'il ne repartira plus.

12 avril 2024

Les nouvelles annoncent la victoire de Pen Duick VI, l'ancien bateau d'Eric Tabarly, dans la quatrième étape de l’Ocean Globe Race, avec sa fille Marie Tabarly comme chef de bord. Moi qui avais passé l'été 1976 sur la plage de Nice à attendre les résultats de la Transat anglaise, où Tabarly père avait mené à la victoire en solitaire ce bateau taillé pour un équipage de douze personnes, je jubile à l'idée que ce ketch puissant puisse encore être à la hauteur des courses internationales autour du monde. Bravo Marie !

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Comme à chaque fin de croisière, Liliane inspecte rituellement les fonds sous les réservoirs d'eau douce. Et il y a encore de l'eau dans les coffres, malgré les rustines ajoutées depuis des mois. Juste cinq litres, rien de grave après dix-sept jours de traversée, mais ras le bol de ce problème récurrent ! En fouinant dans le site web de l'association des RM, je tombe sur le message d'un autre propriétaire qui montre que le nouveau réservoir rigide de Osculati entre "au millimètre" dans le coffre du RM1060. Je me documente, je mesure plusieurs fois, fais un petit plan, réfléchis à la nouvelle circulation des tuyaux que cela imposerait, soupèse les difficultés de cette évolution, qui sont forcément là où on ne les attend pas. Au bout de plusieurs jours, je me décide et je passe la commande en ligne chez un distributeur en métropole. Le commercial me rappelle le lendemain ; je dois acheter l'objet en hors-taxes, payer les frais d'envoi en Colissimo international (145€, réduits à 100€ par un geste commercial). Nous attendons le colis, espérant le meilleur et nous préparant au pire. Et le meilleur arrive : le lendemain matin, le colis quitte Roissy ; au bout de deux jours, la douane de Martinique nous envoie un message pour payer les taxes d'octroi de mer et la TVA réduite (total environ 20%), je paie immédiatement en ligne, et dès le lendemain le colis est annoncé au bureau de La Poste de la marina, pour un total de trois jours calendaires. Le meilleur, je vous dis ! Pour information, le devis d'un shipchandler local pour le même objet se montait à 280€ de frais d'expédition et deux mois de délais !

🛠Nous installons le nouveau réservoir. Les difficultés s'avèrent :

Primo, le réservoir qui entre au millimètre nécessite de limer un tasseau. Heureusement, j'ai apporté dans les outils un petit rabot qui permet d'accélérer le travail et de faire une surface lisse et droite. Je sue à grosses gouttes dans la moite chaleur du carré.

Secundo, les ouvertures des nouveaux accès au réservoir (remplissage, puisage) tombent face à une cloison. Je dois rehausser le réservoir pour pouvoir faire un trou dans la cloison assez loin de la coque. Pour cela nous cherchons dans tout le sud de la Martinique des panneaux de polystyrène extrudé (Styrodur). Nous avons arpenté tous les brico-trucs et magasins de bâti-matériaux de la Martinique sans en trouver. Nous nous sommes donc rabattus à contre-coeur sur du PVC expansé (e.g. Forex, Komacel), qui se travaille très bien, mais est plus cher et plus lourd. Encore deux jours à découper et perforer ces plaques, ainsi qu'à réaliser des cales.

Tertio, il faut bloquer soigneusement le réservoir. Je veux éviter de faire de nouveaux trous. Je réalise donc des estropes en Dyneema passées dans les anciens trous utilisés pour les réservoirs souples ; et j'ajoute une sangle de tension.

Quatro, on ne pourra plus passer la main dessous pour savoir s'il y a de l'eau stagnante. Je perce la cloison au fond du coffre pour que l'eau éventuelle dégueule dans les fonds où l'on peut accéder en soulevant le plancher. Percer, et ensuite mettre un petit tube enduit d'epoxy pour éviter que l'eau pénètre dans la cloison elle-même. Ça tombe bien, j'avais des chutes de tubes en carbone.

Quinto, les raccords de plomberie disponibles en boutiques ont un diamètre différent de celui des tuyaux d'origine. J'aurais pu tout commander en ligne, mais cela aurait supposé de projeter exactement la totalité de l'installation avant de commander, ce qui m'aurait pris plusieurs jours de réflexion. Donc j'improvise un mécano de tuyaux, en faisant de multiples allers-retours aux boutiques, en allant ensuite me faire rembourser les raccords non utilisés. Rien de bien sorcier, mais ça prend un temps fou.

Sexto, il faut ajouter un évent pour que le réservoir rigide puisse se remplir d'air par le haut quand on pompe l'eau par le bas, contrairement aux réservoirs souples qui s'aplatissent. Un instant je propose de laisser l'évent ouvert sur un tuyau fixé en haut de l'équipet à vêtements de Liliane. Mais la perspective qu'un débordement d'eau inonde son équipet ne lui plaît pas vraiment. J'envisage dont de percer un trou dans la coque, le plus haut possible au-dessus de la ligne de flottaison, juste sous le liston. Je cherche longtemps un évent qui dispose d'une petite grille pour éviter que les insectes n'entrent pas ce trou. Je finis par en trouver un en téléphonant, selon la méthode préférée de Liliane puis en me faisant accompagner en voiture par notre amie Dominique. La mort dans l'âme, je perce ce trou supplémentaire dans notre coque et l'enduis abondamment de silicone.

Septo, après la première sortie en mer au près, on s'aperçoit que le réservoir bouge un peu. Un peu, c'est trop ! Les sangles n'ont pas une rigidité suffisante pour maintenir un si gros volume. Cent litres, soit cent kilos de ballant latéral lorsque le bateau gite sur bâbord et tape dans la houle. Il faut aller jusqu'à la zone du chantier pour acheter chez le menuisier marine un solide tasseau. Pour le coup, il me vend un superbe morceau de bois exotique imputrescible et très dur. Il faut tout redémonter et visser ce support dans les cloisons. Je ne pense même pas à faire une photo finale tellement nous avons hâte de refermer les coffres.

Au total, il faut plus d'une semaine pour venir à bout de l'installation. Je sais maintenant que si le réservoir de tribord donne les mêmes signes de fuites, je choisirai de le remplacer par un rigide.

Ancien réservoir souple
Nouveau réservoir rigide
Au chausse-pied !
Plaque de PVC expansé (Komacel ou Forex)
L'évent nouveau
Tuyau de mise à l'air libre
Contorsionniste, un métier oublié
Du bien beau tasseau pour caler le réservoir

Parmi les travaux figure la mise au point des moustiquaires. Thème peu prioritaire en Bretagne nord, il devient maintenant important d'imposer à ces pénibles hexapodes de rester hors du bateau. Ils sont très discrets, malgré la mangrove toute proche, mais Liliane fait l'objet d'attaques aussi sournoises que nocturnes. Un moment, nous pensons être sauvés quand nous découvrons un mabouya collé à la cloison, espérant qu'il est insectivore. Nous décidons de le laisser faire sa vie à l'intérieur du bateau, j'envisage même d'installer une colonie d'araignées, idée que Liliane désapprouve. Il apparaît vite que nos moustiquaires existantes se verrouillant mal aux panneau ouvrants, que certains hublots n'en ont pas été dotés par le précédent propriétaire et que les effets prédateurs espérés du mabouya tardent à se faire sentir. Primo, rendre opérationnelles celles qui existent : dévissage des ergots de fixation, ajout de rondelles d'épaisseur adéquates, ça finit par fonctionner. Munis des références du hublot de notre cabine, nous cherchons vainement la moustiquaire adaptée, introuvable dans les shipchandlers du Marin. Liliane improvise un rideau de fin foulard qui remplit l'objectif mais obture un peu l'arrivée d'air. Le piquant sujet reste "ouvert".

Mabouya à bord
Délicieuses bananes plantains
Thon, cadeau de notre voisine
On s'embourgeoise
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19 avril 2024

A l'occasion de démarches utilitaires, nous redécouvrons avec plaisir le centre-ville de Fort-de-France.

Fort-de-France
Mouillage Baie des Flamands

Entre deux courses chez Bricorama et Batimat, nous casons la visite de l'Habitation Clément, ancien lieu de production du rhum éponyme. Comme le jardin de Balata, c'est un espace vaste et paisible, où il fait bon flâner, découvrir les sculptures éparses, apprendre l'histoire et la technique du travail de la canne à sucre, s'étonner des anciennes broyeuses à courroie, se laisser hypnotiser au tapis de l'embouteillage, humer la part des anges aux chais de rhum vieux, finalement déguster une lampée et céder à la tentation de l'achat de l'un d'eux.

22-23 avril 2024

On a parfois du mal à expliquer comment passe le temps dans notre situation. Outre les occupations déjà décrites, nous avons des relations sociales de voisinage qui occupent du temps sous forme de discussions apéritives, entraides ponctuelles.

Philippe, qui a construit lui-même son Ti Scow
Aide au déplacement de Ajoupa
Chez Vivi, notre sympathique voisine

Damien, Fannie et Ananda sont des navigateurs que nous avions rencontrés à Madère. Damien était monté à notre mât décoincer l'émerillon de génois avant que nous partions en chantier de rénovation du gréement. Eux sont passés par le Brésil et revenus via Tobago aux Antilles, où nous les avons retrouvés par hasard à la sortie des douches. Ils ont quelques soucis techniques à régler, le dernier étant d'avoir perdu l'hélice au moment de la prise de mouillage. Ils ont juste eu le temps de laisser tomber l'ancre et d'immobiliser le navire.

Bloc à regonfler
Dessin de reportage de Ananda

Damien vient me chercher en annexe avec mon matériel de plongée et nous retournons à leur bateau au mouillage . Je m'équipe et je plonge sous le bateau en suivant la chaîne d'ancre. Damien me suit en surface en annexe et balise ma présence par sécurité avec une bouée orange. Sous l'eau, la visibilité est très mauvaise, à peine deux mètres. Je suis la chaîne dans six mètres de fond. Puis elle s'enfonce dans la vase. Je tente de l'extraire pour la suivre encore, mais cela soulève un nuage de particules. J'avance un peu, dans la direction approximative de l'ancre. Je me retourne pour tenter de retrouver la chaîne, c'est pire, la visibilité tombe à moins de cinquante centimètres. Je progresse un peu au hasard. Au bout d'un moment, je sens une traction sur le bout qui me relie à Damien. Je fais surface et Damien me repositionne vers l'endroit où il pense plus probable que se trouve l'hélice. Je plonge à nouveau. Pas d'hélice, hélas ! Encore quelques tentatives, mais la recherche reste infructueuse. Je suis déçu de ne pas avoir pu aider cet équipage amical. De retour au bateau, Ananda m'offre un dessin qui représente ma plongée, avec plein de couleurs joyeuses et des détails attachants. Il a croqué ça en mode photo-journaliste.

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29 avril 2024

Tourisme : balade routière vers la Montagne Pelée, toute enveloppée de nuages épais.

Zone de mouillage à Fort-de-France
Lunette à l'abandon
Des Faisceaux Hertziens, de la 4G, des Grandes Ondes...

Retour en passant par le surprenant tombolo de Sainte-Marie. On entend souvent : il faut demander aux gens du coin. Bon, en l'occurrence, des "gens-du-coin" nous avaient certifié que le tombolo n'était pas présent en cette saison, ce qui était plausible puisque cette mince bande se sable émergé est l'œuvre des courants saisonniers.

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30 avril 2024

Tourisme : balade routière au Diamant, Anses d'Arlet et Trois Îlets. En passant par les divers points de vue, il est pratique de repérer et évaluer les mouillages de la côte. Plusieurs nous attirent et nous nous promettons d'y revenir avec Tusitala.

Le célèbre Rocher du Diamant
Trois-Îlets
Anse Mitan
Pointe du Bout
Trois-îlets
Mouillage des Trois-Îlets

01/05/2024

Nous revoyons avec plaisir Romain et Kilian, deux bateaux-stoppeurs rencontrés à Las Palmas. Nous les avons encouragés de notre mieux dans leurs moments difficiles de recherche d'un embarquement. Finalement ils sont parvenus en Martinique. Romain s'est ensuite posé et a relevé le défi inédit de traverser à la nage le détroit entre Marie-Galante et le Guadeloupe. Kilian faisait partie de l'équipe de sécurité et l'a suivi en canoë, ce qui en soi n'est déjà pas anodin. Cet exploit de natation a fait l'objet d'une diffusion d'actualité télévisée locale.

Avec Kilian et Romain
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02 mai 2024

Naviguer, à nouveau...

Nous succombons à l'invitation de nos amis navigateurs Rémi et Dominique. Ils viennent de changer intégralement le gréement de leur bateau Ajoupa, et ont l'intention de l'étrenner par une petite navigation jusqu'aux Anses d'Arlet. Nous sommes assez contents de quitter le confort doux du ponton pour aller passer une nuit au mouillage.

Cette navigation de quatre heures au portant est facile dans l'air chaud. Nous laissons même le bimini en place, histoire de nous habituer à le conserver en navigation, indispensable appendice de protection du soleil violent. Quelques rafales à vingt-trois nœuds au passage du goulet entre le Rocher du Diamant et la côte nous confirment qu'il est bien étarqué et solide. C'est l'occasion de tester des configurations que je n'ai pas utilisées en transat : le Code D au vent arrière avec l'écoute qui passe dans un anneau lisse en bout de bôme (sans grand-voile). Et bien ça ne fonctionne définitivement pas. Le Code D refuse de se gonfler et bat. Je le rentre pour économiser sa fine toile. Flemme de hisser la grand-voile pour les quelques milles restant, nous finissons avec génois et trinquette en ciseau. Cette dernière tenue au point d'écoute en bout de bôme. Ça fonctionne bien.

Il y a beaucoup de bateaux déjà mouillés, mais Grande Anse est... grande. Nous ancrons à proximité du bateau de nos amis. Nous allons aussi chercher en annexe au ponton un autre couple ami pour partager le déjeuner. Ensuite le programme de baignades dans l'eau à vingt-sept degrés, avec quelques tortues qui sortent respirer aux alentours.

03 mai 2024

Nous sommes réunis dans le carré de Tusitala quand un pneumatique de la marina de Grande Anse se pointe à l'arrière. Je sors les saluer. L'employé m'explique que Grande Anse est interdite au mouillage par arrêté préfectoral et que les quelques bouées sont également interdites jusqu'en juillet pour réparation. Un peu étonné : "-Alors tous les bateaux là (geste ample de la main) sont aussi en infraction ? -Oui, nous prenons les noms des bateaux et les communiquons aux Autorités." Dans ce cas, rien ne sert de discuter, ils font juste leur boulot quotidien. Je l'informe que nous allons quitter le mouillage. Ils ont juridiquement raison, mais qui consulte les arrêtés préfectoraux en mer ? "-C'est indiqué sur Navily, me dit-il". Je n'insiste pas mais intérieurement je me questionne : "-Ah bon ? l'application mobile Navily fait maintenant partie des moyens officiels de communication étatique ?". Plus tard, je vérifierai : les arrêtés de la Préfecture Maritime sont retranscrits sous forme d'AVURNAV (Avis Urgents aux Navigateurs) par le SHOM sur les serveurs publics de la Plateforme Nationale de l'Information Nautique (PING) et diffusés en VHF à la suite des bulletins météo. Les navigateurs que nous sommes n'ont donc aucune excuse à méconnaître ces arrêtés.

Ça n'empêche pas de trouver matière à râler un peu : c'est une des pathologies du monde contemporain. Interdire. Officiellement pour protéger le fond de sable des ancres des plaisanciers, les autorités maritimes installent des corps-morts et des bouées, payantes évidemment. Pourquoi pas, nous sommes d'accord pour payer la nuitée sur bouée, à condition qu'il y ait un véritable service d'entretien, un ponton à annexes et qu'il y en ait suffisamment pour accueillir les navires de passage comme nous et que les bouées ne soient pas squattées par des bateaux ventouses à l'année. En l'occurrence, nous avons du mal à trouver sur le plan d'eau les soixante bouées supposées déjà présentes. On en compte difficilement une dizaine. On imagine mal comment les quelques commerces de bars et restaurants de cette petite bourgade vont survivre à la disparition des plaisanciers.

Nous quittons effectivement le mouillage dans la matinée. Après un aller au portant, le retour vers le Marin se fait logiquement au près serré. C'est l'occasion de faire une route bord à bord avec Ajoupa pour photographier mutuellement nos yotes (alors que yacht, qui n'est pas un mot anglais, devrait normalement se prononcer yak). Après ces bons procédés, nos routes divergent, Ajoupa préférant rester près de la côte et nous tracer un bord vers le large, dans l'idée que peut-être nous allons finir la journée au mouillage face à la plage de Sainte-Anne.

Départ de Grande Anse
Ajoupa

Après ce long bord qui nous amène en pleine mer, c'est un plaisir que de calculer à la table à carte le point de virement optimal pour tomber en un seul bord sur la plage de Sainte-Anne. Tusitala sur mer plate par vent modéré fait environ 110° d'un bord sur l'autre. Une performance honnête pour un bateau de croisière bi-quille et bien chargé. Ça fonctionne, le vent se maintient et nous revenons effectivement au point visé. Nous allons mouiller face au bourg après une vacation radio avec Ajoupa pour leur indiquer notre décision. Quelques heures plus tard, nous entrevoyons la silhouette d'un RM arrivant au mouillage dans le soleil déclinant. La couleur de la coque et le gréement ne laissent pas de doute, c'est bien Vitruve qui sort probablement de son difficile chantier. Nous contactons son sympathique équipage Damien, Fannie et Ananda, pour envisager de partager un repas.

Liliane et moi profitons abondamment de la baignade autour du bateau. Les tortues ne sont pas aux alentours à ce moment. J'en profite pour aller jeter un coup d'œil au mouillage, voir comment l'ancre tient. La Spade ne déçoit pas, elle est profondément enfouie dans le sable, tout comme hier à Grande Anse. Rassurant.

Damien de Vitruve passe nous voir en annexe. Il a l'œil impitoyable et voit immédiatement les défauts sur notre bateau : débuts de corrosion, erreurs, traces, manques... Je profite de sa grande expérience pour lui indiquer l'entrée d'eau sur le panneau plexi panoramique. Nous en discutons un peu, rien de plus, autour d'un apéro improvisé.

04 mai 2024

Baignade le matin. Puis c'est notre tour d'aller sur Vitruve pour un repas partagé. Baignade l'après-midi, puis retour au ponton avec Tusitala.

Depuis deux jours, à chaque baignade, nous profitons de notre capital eau du bord pour une douche. Une douceur du soir. On apprécie de pouvoir emporter autant d'eau.

07/05/2024

On compte au moins six RM dans la zone du Marin et Sainte-Anne (trois RM1050, un 1060, un 1070+ et un 1250). Il y a toujours ce regard complice entre propriétaires de ces bateaux et ce plaisir de comparer les aménagements, les astuces et améliorations de chacun ; chacun repartant avec la ferme conviction qu'il détient le modèle optimal.

L'équipage de Vitruve passe nous voir avec une surprise : Ananda a monté un petit spectacle qu'il souhaite jouer devant nous dans le carré. Un petit décor fait de contre-plaqué et de carrés de carton peints. C'est sa deuxième présentation et il a le trac. Il s'en sort très bien à nous raconter une charmante histoire de volcan, inspirée par l'éruption de La Palma en février 2020 ; nous admirons et félicitons sa mise en scène, sa diction, sa prestation.

Décor, scénario et interprétation sont de Ananda

🛠 Damien ne perd pas le nord, il retourne voir le joint du plexi. Il soulève doucement de l'intérieur et trouve immédiatement l'entrée fautive où le joint ne tient plus. Voilà ! On avance dans le diagnostic et moi dans la connaissance de ce qu'on peut faire à un panneau plexi. Deux solutions : soit on colmate localement, soit on décolle complètement le panneau, nettoyer et refaire un joint complet. Pour lui ce ne serait pas une grosse difficulté de tout refaire, pour moi, c'est une grosse hésitation, de peur de remplacer un petit problème par un grand.

Finalement, quelques jours après, nous décidons de faire une réparation provisoire en bourrant la fente de silicone marin. Ça prend une paire d'heures et il faut laisser polymériser vingt-quatre heures. Quelques jours plus tard, en faisant un lavage du pont, nous constatons que la fuite est bien moindre, mais qu'une goutte perle encore sous le plexi. Il faudra remettre l'ouvrage sur le métier...

🛠 Damien m'instruit également sur la réparation de l'annexe. Depuis quelques temps, elle se remplit de plus en plus à chaque trajet, ce qui en soi ne constitue pas un danger mais le désagrément d'avoir nos pieds, nos chaussures et nos sacs trempés à l'eau salée. "Il faut une colle PVC bi-composants", dit-il. Dont acte, je me la procure chez La Survy, spécialiste de la réparation des annexes au Marin, et Damien passe du temps à me montrer comment décoller, nettoyer et recoller proprement la bande de PVC qui joint le tableau arrière au fond, à l'intérieur. Je m'applique pour coller sur son modèle une bande neuve à l'extérieur. L'aspect de la réparation est très convaincant, il faudra tester le résultat à l'eau plus tard. Intérieurement, je me dis "- Au prix de cette colle, j'espère qu'elle tient ses promesses !".

🛠Liliane en profite pour nous faire un superbe marquage "AXE TUSITALA" à la peinture rouge, remplaçant les lettres auto-collantes qui se décollent au fur et à mesure des dégonflages et pliages de l'annexe. Elle utilise ce qu'il reste de ces lettres comme pochoir de peinture en négatif.

Réparation joint du capot plexi avant
Enduction à la colle PVC bi-composants
Levée de rideau...
... et voilà le travail !

Il s'ajoute quelques travaux de menues réparations : recoller à l'époxy un capot de la pompe de cale, repercer et combler à l'époxy des trous de vis de la charnière du capot du Bib, remplacer des anneaux brisés de mousqueton par des tirettes matelotées, détartrer les canalisations du WC à l'acide muriatique...

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Depuis plusieurs jours, nous envisageons sérieusement la poursuite de notre voyage. Destination le sud, avec l'intention de laisser le bateau du côté de Grenade ou Trinidad pendant la saison cyclonique, refaire l'anti-fouling et en profiter pour retourner voir nos familles en métropole. Nous entamons l'étude des mouillages, des marinas, des chantiers et des capacités de retour en France ; lecture de guides et d'internet ; demandes de devis ; un coup d'œil sur les formalités d'accueil, oups ! le passeport doit avoir une validité de six mois au moins après la date de séjour à Grenade. Six mois ? Six mois ! Flûte, celui de Liliane serait valide pendant le séjour, mais il n'aurait pas ce crédit de six mois. En comptant sur une certaine langueur tropicale, cela pourrait peut-être passer, mais non, on ne va pas plaisanter avec la police des frontières. Changement de programme : nous resterons dans les pays qui ont des exigences moindres sur les passeports. Nous commençons à chercher une autre villégiature estivale pour Tusitala. Un dicton énonce : "les plans des navigateurs sont écrits sur du sable à marée basse".

En attendant la date de notre départ en métropole, approximativement fixée vers fin juin, nous décidons de nous offrir de vraies "vacances", c'est-à-dire profiter des Antilles en oubliant les travaux, les utilités et en favorisant la navigation côtière, les mouillages repérés d'avance et un peu de farniente.

Sérénité avant de nouvelles navigations


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Publié le 1er octobre 2024

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[Récit publié en décalage de trois mois par rapport aux évènements ! Tempus fugit énormément...]

Des vacances

Privés pour le moment de notre projet de descente à Grenade, nous optons pour une boucle dans l'archipel de Guadeloupe. Déjà visité à l'occasion d'une location en catamaran en 2014, nous étions restés un peu frustrés par l'obligation de progresser chaque jour, nécessité imposée par la date couperet de restitution du navire loué, la pression des réservations de retour, etc.

Après les semaines passées au Marin, encore émaillées de travaux, nous décidons que les prochaines seront entièrement dédiées aux loisirs. De vraies vacances sont au programme, avec une furieuse envie d'exploration des mouillages, de baignades, de flânerie et de contemplation. Une autre motivation me pousse : rompre enfin l'infernal silence de la terre, où il manque le bruit du vent dans le gréement, l'écume des crêtes qui brisent à proximité, le chuintement de l'eau contre la coque et les incessantes manifestations des objets du bord réputés inanimés .

Au sujet du mot "vacances", j'ai toujours trouvé regrettable que ce mot rattache ce moment de loisirs au fait que l'on laisse son poste et son bureau "vacants", c'est à dire d'exposer négativement une absence, quasiment un abandon, une désertion, une faute, au lieu de considérer la période qui s'ensuit comme permettant de "vaquer" et donc de l'écrire avec une joyeuse positivité "vaquances". Ceux qui on ainsi nommé ce moment ne l'approuvaient probablement pas.

Vaquons donc ! Vagabondons même, puisque le temps n'est plus compté. Nous envisageons de nous balader un mois de mouillage en mouillage, en espérant entre-temps obtenir une place au Marin pendant la saison des pluies.

 Martinique, Guadeloupe, Dominica et retour au Marin
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Mouillages sous le vent de Madinina

14 mai 2024 - Anse Chaudière

Après avoir fait le plein de carburant, gaz et eau, nous prenons le chenal de sortie du Cul-de-Sac du Marin un beau matin. Nous apercevons Romain sur un paddle, continuant avec persévérance la quête d'un nouvel embarquement. Un petit crochet pour le saluer, puis nous filons.

Il est toujours bon de commencer une croisière par une petite étape. Prenant acte de l'interdiction de mouiller aux Anses d'Arlet, qui nous avait été notifiée par le personnel de Grande Anse, nous visons la plus proche : l'anse Chaudière.

Nous connaissons déjà le trajet par la Passe de Fous, entre l'île principale et le Rocher du Diamant ; néanmoins nous souscrivons à l'émotion de passer près de ce gigantesque roc planté en pleine mer d'où des morceaux d'Histoire nous contemplent : les Anglais y ont résisté dix-sept mois aux assauts des Français, pour finir par une honorable reddition, après les effusions de sang coutumières.

Juste après ce passage, à l'approche de l'Anse Chaudière, nous nous attendons à voir une forêt de mâts digne de la Côte d'Azur. Surprise ! il n'y a que trois bateaux. Nous prenons prestement une place à l'ancre et nous nous jetons à l'eau conformément au planning des vacances. Sous ces latitudes, il est facile de prendre un masque et d'aller inspecter comment s'est posée l'ancre au fond, une pratique que les courants et la température de Bretagne nord rendent moins attirante. Je me réjouis de la voir impeccablement plantée dans le sable, la chaîne bien étalée, grâce à une manœuvre dont la perfection pourrait écorner notre modestie. Profitons-en, car nul ne doute que nous en raterons un de ces jours.

Ponton carburants
Namasté, nos routes se croisent encore
Romain, inlassable bateau-stoppeur
Gaffe : vert à tribord en sortant !
Contournable Rocher du Diamant
Baignade à Anse Chaudière
Anse Chaudière

15 mai 2024 - Trois-îlets

Avec le vent d'est, il faut plusieurs bords de près pour entrer au fond de la baie de Fort-de-France. J'aime les gros cargos mouillés en plein milieu, cela ajoute un petite jeu de navigation à la table à carte pour les passer sans perdre dans le vent tout en évitant de se trouver trop près d'eux au vent, pour le cas où on raterait un virement.

Départ : que c'est bon de mettre le bateau en marche !
Les Anses d'Arlet
Petit repérage à la Pointe du Bout
Baie de Fort-de-France
Surveiller la profondeur

Nous profitons de notre temps disponible pour visiter en bateau les beaux mouillages aperçus en voiture. Les chenaux entre les trois îlets de Trois-Îlets sont un peu envasés. On faut de peu s'échouer. Finalement nous mouillons sur ancre dans cet endroit assez paisible, à part les quelques navettes de jour qui relient Fort-de-France.

Pour la première fois, nous hissons à l'arrière le taud triangulaire, afin de nous abriter du soleil puissant.

Les yoles à l'entraînement
Bien serrer la bouée verte, le chenal est exactement là
Vers Le Lamentin

16 mai 2024 - Saint-Pierre

Un belle journée de navigation entre la baie de Fort-de-France et Saint-Pierre. Néanmoins, la montée vers le nord de la Martinique nous amène sous le dévent de ses hautes montagnes, et en particulier la Montage Pelée. Nous tentons un bord assez au large pour retrouver du vent. Ça marche un peu et nous revenons doucement vers la côte à la voile, ce qui est bien plaisant.

Yole à l'entraînement dès le marin
En route vers le nord de la Martinique

La zone devant la plage de Saint-Pierre est équipée de bouées. On a le droit de mouiller son ancre, mais les fonds descendent très vite à cet endroit et nous préférons dormir tranquilles. Une rapide inspection de l'installation sous l'eau est très rassurante. Les chaînes sont considérablement dimensionnées ainsi que les blocs de béton posés sur le sable. De plus, le montage est intelligemment réparti pour que les chaînes soient bien tendues à l'endroit des bouées et que les bateaux aient un petit cercle d'évitement. Ce détail s'avère d'importance, parce que nous ne cesserons de tourner autour de la bouée en fonction des vents capricieux, mélanges de brise thermiques et d'alizé en fonction de l'heure du jour et de la nuit.

Mouillage à Saint-Pierre. Avant à la plage...
...arrière à la plage
2 h du mat'. Liliane ne dort pas tellement c'est beau

17 mai 2024

"Il n'y a pas grand chose à voir à Saint-Pierre" dit le grincheux. Pourtant, nous aimons le charme suranné de ses rues et ses façades.

Nous passons aussi faire quelques provisions et un petit tour en pharmacie avec carte Vitale.

Nous faisons aussi un complément de remplissage des réservoirs d'eau. En attendant que le service d'avitaillement par une barge directement au mouillage soit opérationnel, la Capitainerie met à disposition un robinet, et l'eau est gratuite. Mais ça ne durera pas. Quelques allers-retours de bidons en annexe permettent d'ajouter une soixantaine de litres.

Une zone de mouillage fort bien organisée
Porte de la cathédrale
La beauté est offerte dans le prix de la nuitée
Façades inanimées, avez-vous donc une âme ? 
On ne s'en lasse pas

Et comme nous ne sommes pas pressés, nous passerons une seconde journée entière à cet endroit paisible.

18 mai 2024

Nous visons un atterrissage aux Saintes ; le routage prévoit une navigation d'une quinzaine d'heures depuis Saint-Pierre. Trop long pour tenter de le faire de jour, avec un risque d'arriver au mouillage après le coucher du soleil ; pas envie non plus de partir en milieu de nuit pour assurer une arrivée de jour. Nous préparons donc un départ en fin de journée, au jour déclinant et nous ferons le trajet de nuit pour arriver le matin, avec une marge de plusieurs heures en cas de problème. Je trouve ça plus tranquille pour l'esprit, sinon pour le sommeil.

Saint-Pierre est le dernier port avant les eaux internationales que l'on va traverser, même si c'est pour revenir ensuite en territoire français de Guadeloupe. La clearance de sortie du territoire français est donc obligatoire. C'est comme ça. Il est assez pratique de remplir les formulaires tranquillement sur le site web marina-martinique et d'aller juste à la Capitainerie, puis de récupérer le papier en papier signé par la Capitainerie. Je suis étonné d'avoir rencontré un navigateur qui affirme (ou se vante, je ne sais pas) qu'il ne fait jamais aucune clearance, "parce que tout le monde s'en fout et personne ne vérifie". Oui, bon, considérant les tracas que peut causer un douanier vexé, je ne comprends pas ce choix. J'adopte plutôt une vision pascalienne de ce pari et je souscris docilement aux formalités administratives. Comme tout dévot, je finis même par aimer les formalités en me disant qu'elles font partie du voyage.

Avant de partir, nous prenons soin d'approvisionner des fruits frais.


De retour au bateau, une dernière douche et nous choisissons de partir un peu avant le coucher du soleil, de façon à arriver en Guadeloupe en début de journée. Tusitala glisse dans la douceur du soir le long de la côte. Au bout de la pointe nord de la Martinique, nous retrouvons l'Océan.

Liliane largue la bouée dans le soleil couchant
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Navigation de nuit de Madinina à Karukera

19 mai 2024

Madinina est le nom historique de la Martinique, devenu plus récemment "île aux fleurs". Karukera celui de la Guadeloupe : l'île aux belles eaux en langue caraïbe.

La route directe vers les Saintes passe sous le vent de la Dominique. Le vent assez léger au départ disparaît complètement dans la nuit sous le vent des hautes montagnes de l'île. Cette côte est très sombre, à la fois du point de vue nautique, car on y trouve très peu de repères (merci la constellation GPS) et du point de vue des habitations ; à part les deux principales villes Roseau et Portsmouth, la zone côtière et les vallées sont presque complètement noires.

Nous passons quelques heures au moteur avant de retrouver le vent, au lever du jour, au débouché nord de la Dominique, dans le canal qui la sépare des Saintes. A cet endroit je craignais un fort effet Venturi, mais il ne se produit pas, l'alizé est très modéré en ce moment. Nous progressons sous voiles hautes, au près serré pour arriver si possible en un seul bord sur le côté Est de Terre-de-Haut et abattre ensuite au portant pour entrer dans les zones de mouillage. Ce n'est pas un gros enjeu, mais juste le soucis de faire "du beau" sur la mer, seule réelle justification de l'utilisation d'un voilier. Le plaisir aussi de tracer '"du propre" sur la carte électronique, un peu comme une belle trace en poudreuse.

Approche des Saintes par le sud-est
Terre-de-Bas, mouillage de Grand Bourg

Et ça fonctionne plutôt bien. On fait bien attention à passer du bon côté de la balise verte à l'entrée du chenal de la Baleine entre Terre-de-Haut et l'Îlet à Cabrit, c'est-à-dire de la laisser à bâbord, à l'inverse de la convention de couleur européenne. "-Vert à bâbord, vert à bâbord..." ressasse nerveusement le Capitaine. La petite récitation mnémotechnique en Français, "Un tricot vert et deux bas si rouges" (*), devient dans le monde américain "Red, Right, Returning" (**) et celle-ci reste imprécise sur la forme des balises.

(*) soit : balise impaire (un), à laisser à tribord (tri), de forme conique (cot), de couleur verte (vert) ; et balise paire (deux), à laisser à bâbord (bas), de forme cylindrique (si), de couleur rouge (rouges).

(**) soit : balise rouge (red), à laisser à tribord (right), lorsqu'on est sur le chemin du retour (returning).

Contents de trouver plusieurs bouées libres, en vertu de la basse saison, nous en choisissons une pas trop loin de l'embarcadère des navettes inter-îles et allons faire une grosse sieste.

La Capitainerie de Terre-de-Haut, nous profitons du temps libre pour aller nous baigner sur la belle plage de l'Anse du Bourg.

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Vagabondages aux Saintes

Terre-de-Haut

20 mai 2024

Il est facile de parcourir Terre-de-Haut avec une petite voiture de location électrique, façon voiturette de golf à deux places. Une journée suffit à explorer tous les recoins et en particulier quelques plages dignes des catalogues touristiques.

Nous aimons la plage de Pompierre, qui git dans une baie bien abritée de la houle et interdite aux navires. Malheureusement une petite ouverture entre des rochers laisse entrer les sargasses arrivant pile du large. Ces algues s'accumulent donc dans cette baie. On peut louer les efforts de autorités pour tenter de canaliser les nappes à l'aide de bouées afin de dégager la plage. Sur son côté droit, se trouve un passage à gué qui permet d'atteindre une petite île peu fréquentée. Liliane et moi avons nos affaires en sacs étanches et c'est un plaisir de nous livrer à cette petite balade. J'ai un peu honte de me retrouver en tongs pour monter le sentier jusqu'à la petite crête, alors que j'ai souvent désapprouvé les touristes mal chaussés croisés en randonnée dans le Mercantour. Certes, le sentier est facile, quoiqu'un peu caillouteux, mais on sait la difficulté de faire face à une simple entorse dès que l'éloignement et le relief s'en mêlent. La récompense est une vue magnifique, tant côté océan vers la Dominique, que côté Terre-de-Haut et la baie.

Au retour, nous croisons deux jeunes filles en tenues encore plus légères que nous. Elles demandent assistance, car elles n'ont pas l'heure. Je m'empresse de les secourir grâce à ma précieuse vieille Swatch Classic à pile, qui a la particularité rare de fonctionner chaque fois que j'en ai besoin, contrairement à beaucoup d'équipements électroniques plus récents. Compte tenu que ces jeunes voyageuses ne parlent pas un mot de Français et doivent prendre une navette de retour en Guadeloupe pour attraper ensuite un avion le soir même, je me prends d'admiration dans leur confiance à maîtriser le futur, à moins qu'il ne s'agisse d'une juvénile insouciance.

Commando Liliane
Au fond, la plage de Pompierre

Le tour de l'île se poursuit par d'autres plages aussi plaisantes.

Héroïque tentative de photo astronomique
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Îlet à Cabrit

21 - 23 mai 2024

Petit tour au bourg à la recherche de la Gendarmerie.

Nous déplaçons le bateau au moteur jusqu'à l'Îlet à Cabrit tout proche, où nous prenons une autre bouée.

Déplacement jusqu'à l'Îlet à Cabrit

L'annexe est restée suspendue aux bossoirs. Elle se met vite à l'eau et nous filons balader sur cette île, qui nous rappelle une précédente venue en catamaran de location. Liliane n'était pas allée au Fort Joséphine, et cette fois-ci elle décide d'y monter. Personne d'autre que nous sur cet îlot. La balade serpente entre les frondaisons tropicales, le sentier est très facile, c'est bien agréable.

Le fort est complètement détruit. On y monte pour le plaisir d'embrasser la mer entre les îles des Saintes et deviner en face sur Terre-de-Haut le Fort Napoléon.

Mouillage de l'Îlet à Cabrit
Vue vers Terre-de-Haut

Encore un saut de puce pour retourner à Terre-de-Haut, au mouillage de Petite Anse, au pied d'un Pain de Sucre. Encore une bouée. Toutes les bouées des Saintes sont opérées sous concession par LSM (Les Saintes Multiservices), au prix de 13€ la nuit. Lorsque passe le semi-rigide de LSM, on peut payer par carte bancaire et éventuellement plusieurs jours d'avance. Ils tiennent plutôt bien leurs comptes parce qu'ils savent exactement ceux qui ont déjà payé.

24 mai 2024

La baignade PMT (*) entre petite plage et rocher donne un aperçu mitigé. L'eau manque un peu de visibilité. Liliane étrenne prudemment son nouveau matériel. Je lui ai déconseillé les masques enveloppant tout le visage, que je trouve dangereux et encombrants. Le masque de plongée et le tuba demandent un peu plus d'entraînement avant de se sentir à l'aise.

(*) Palme, Masque et Tuba, ça sonne quand même plus élégant que l'éructant snorkeling.

Comparaison n'est pas raison

25 mai 2024

Allez ! aujourd'hui on va faire un tour à Terre-de-Bas. Nous partons tranquillement et flânons sur le trajet.

Mésaventure - Au milieu du chenal entre les îles, le téléphone de Liliane notifie plusieurs textos reçus. C'est inhabituel. Ces messages de son opérateur lui souhaitent la bienvenue... en Dominique. Catastrophique ! Profitant de l'absence de réseau, son téléphone s'est enregistré sur le réseau de la Dominique, certes plus éloignée, mais en visibilité directe, ce qui offrait un meilleur signal que ceux des îles environnantes. Comme nous sommes dans les DOM et que nos abonnements sont métropolitains, nous devons autoriser le roaming sur nos téléphones pour disposer des data mobiles et pouvoir utiliser éventuellement Whatsapp ou Google Meet pour joindre nos familles. Son opérateur a fini par désactiver les data au montant maximal atteint. Soit cent euros au total ! Nous prendrons la décision de couper systématiquement les data mobiles en mer.

Il n'y a pas de bouées à Terre-de-Bas, le mouillage se fait sur ancre. Heureusement en cette saison il y a peu de bateaux et nous pouvons poser trente confortables mètres de chaîne sans gêner de voisins. Toutes les anses exposées vers l'est sont tapissées de sargasses.

Cette île dispose de peu d'infrastructures, à peine un service de petits bus qui viennent récupérer les passants de la navette. Le petit port est réservé à quelques bateaux locaux et au service inter-îles. Nous sommes mouillés à l'Anse Fideling et nous partons explorer l'île à pied.

Il y a deux minuscules superettes où nous trouvons quelques légumes. Nous testons un restaurant qui figure dans les guides. On s'assoit sur la terrasse et le serveur vient annoncer le plat du jour. C'est tout. On n'a pas beaucoup de choix, vu les difficultés d'approvisionnement, mais c'est excellent en effet.

Côtes au vent, le fléau des sargasses
Une frégate, réputée oiseau le plus rapide


26-27 mai 2024

Départ de l'Anse Fideling par un temps maussade, en route vers Terre-de-Haut pour nous offrir une nouvelle nuit au mouillage du Pain de Sucre par plaisir ; dès le lendemain, nous retournons au mouillage de l'Anse du Bourg, tout près de l'embarcadère, car nous venons ici pour plusieurs démarches utilitaires, qui nous occuperont bien trois jours.

D'abord prendre rendez-vous par VHF avec la Capitainerie, qui offre aussi le service d'avitaillement en eau (6€ les 200 litres). Le rendez-vous se fait à l'embarcadère des navettes, à 7h30, avant l'arrivée de la première. Evidemment l'embarcadère n'est pas prévu pour notre hauteur franc-bord et ne dispose pas vraiment de taquets adaptés. Bon, on y parvient quand même et on prend l'eau (prévoir tuyau long et raccord à vis type jardinage).

Ensuite, Liliane cherche à finaliser sa procuration pour les élections européennes. Bien qu'elle ait une carte d'identité "pucée NFC", la validation en ligne via la connexion NFC du téléphone ne fonctionne pas ; il faut aller à la Gendarmerie de Terre-de-Haut. Cela paraît simple, mais Google complote en lui fournissant d'abord une fausse destination. C'est tout au bout de l'île et il faut y aller à pied, sous la chaleur intense. Cela fait partie du test de motivation citoyenne.

Départ de Petite Anse pour l'Anse du bourg
Peu de clients pour les procurations

Puis petit passage à la pharmacie. Tiens ! Liliane n'a plus sa carte Vitale. Après enquête téléphonique, elle est restée à la pharmacie de Saint-Pierre, qui comme toutes les pharmacies de France, détient une pile de cartes oubliées.

Nous nous offrons aussi du bon temps libre en petites balades et terrasses de jus de fruits frais.

La saison des pluies approche...

Enfin, quelques avitaillements pour les prochains jours, avec plusieurs mouillages forains prévus.

Ainsi vont les affaires des navigateurs en voyage. Tout est un peu compliqué, puis tout s'arrange avec du temps.

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Basse-Terre : mouillages sous le vent de Karukera

28 mai 2024

Nous quittons Les Saintes par l'est, assez satisfaits d'avoir flâné dans ces merveilleux mouillages, de parcourir tranquillement les quelques chemins menant à des plages que l'on qualifie communément de paradisiaques (au risque d'être un jour très déçu ; la faute au peu de documentation disponible sur le Paradis).

L'anse du Bourg au petit matin
En route !

L'alizé nous pousse favorablement vers le nord, jusqu'à ce que nous soyons masqués par les reliefs de Basse-Terre.

Initialement, j'avais proposé que nous relâchions dans l'Anse à la Barque, qui m'avait bien plu lors de notre passage touristique en voiture en 2014. Une fois arrivés à l'entrée, nous constatons que la petite baie est assez encombrée de bateaux et qu'on se sent un peu engoncé entre ses flancs rocheux, sur lesquels circule la route principale. Nous décidons vite d'aller voir un peu plus loin. Petite Anse, encore une, mais sur Basse-Terre cette fois-ci. Très vite, nous jetons l'ancre et passons une nuit très tranquille.

Petite Anse sur Basse-Terre


29 mai 2024

Une courte navigation nous mène à l'anse Malendure, face à la plage éponyme. Cet endroit est réputé pour ses eaux cristallines, à proximité de la réserve Cousteau, haut lieu de la plongée en Guadeloupe et sanctuaire interdit au mouillage. Dès notre arrivée, quelques tortues viennent faire surface à proximité.

Au départ de Petite Anse

30 mai 2024

Encore une belle navigation qui nous mène à l'anse Deshaies dans du petit air, sauf à l'arrivée pour le vent monte juste dans l'axe de la baie. Le bourg de Deshaies se situe tout près du flanc ouest de Basse-Terre et les reliefs masquent moins l'alizé.

Ce mouillage est plus fréquenté que les précédents. C'est le point d'atterrissage ou de départ des bateaux qui viennent ou vont à Antigua. Le bourg de Deshaies est plein de charme. Un peu désert aussi. Plusieurs restaurants sont fermés. L'un nous explique qu'il profite de la basse saison pour refaire la décoration. Malgré la présence de nombreux voiliers, on ne voit aucun shipchandler. Il ne doit pas être si facile de faire vivre un commerce ici. Seule l'activité plongée paraît florissante. Néanmoins, la boutique ne dispose d'aucune bouée de signalisation, celle que l'on traîne derrière soi pour être mieux vu des bateaux lorsqu'on nage en zone de mouillage ou en plein mer.

Anse Deshaies

Nous restons deux jours dans ce mouillage qui marque le terme de notre montée au nord ; pour cette saison, du moins.

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Basse-Terre : navigation retour de Deshaies à Îlet Gosier

01 juin 2024

Nous décidons de tenter un trajet direct de Deshaies à l'Îlet du Gosier. Depuis plusieurs jours, le ventilateur de la cale moteur ne souffle plus, bien que le reste des fonctions moteur soit opérationnel. Seule la marina Bas-du-Fort à Pointe-à-Pitre dispose des vendeurs spécialisés dans ces équipements nautiques. Comme nous n'avons pas réservé la marina, nous prévoyons de rester au mouillage de Gosier, le temps que nous soyons accueillis dans la marina.

La journée est une incessante alternance entre vents très variables. En quelques centaines de mètres on passe de rafales à vingt nœuds à totale pétole, de bâbord à tribord amure, de voile à moteur. Lors q'une séquence au moteur, nous devons traverser une immense nappe de sargasses. Quasiment dix centimètres d'épaisseur. L'hélice s'embourbe et ne propulse plus. Nous sommes complètement immobilisés, ce qui soulève une légère angoisse qui fait comprendre l'émotion que devaient éprouver les anciens navigateurs. J'alterne les petits coups de marche arrière avec l'avance lente en avant. Ça nous sort tout doucement de la nappe. On y passe bien une demi-heure. Si le vent avait été présent, nous n'aurions même pas sourcillé à la traversée de cette nappe. Mais avec une hélice !

Au débouché sud de Basse-Terre, dans le canal entre cette île et les Saintes, nous nous retrouvons à faire du près serré sous trinquette et GV arisée. De gros grains disgracieux défilent et font tomber des colonnes d'eau toutes les vingt minutes. La mer piqueté de blanc, c'est beau, carrément wagnérien, il ne manque que les éclairs. La visibilité tombe à quelques dizaines de mètres. Nous faisons confiance au GPS et à l'AIS. Selon le trajet du grain par rapport à notre position, soit le grain "vole le vent" et nous ralentissons, soit les rafales augmentent et nous accélérons. L'approche de Gosier est aussi éprouvante. Le GPS dit qu'il reste un bon mille avant l'îlet. En absence de cet outil, il resterait la foi en la navigation à l'estime, que les navigateurs de ma génération ont suffisamment pratiquée pour savoir à quel point sa précision peut rapidement se dégrader quand tout turbule et conspire à fausser les calculs : dérive, courant, erreur compas, route instable, vitesse variable, vent erratique... Eurêka l'entrée du mouillage à la faveur d'une éclaircie. Avec soulagement, nous plantons notre ancre sous le ciel encore sombre.

A tirer des bords entre Les Saintes et Basse-Terre
Approche de Gosier

Le mouillage à l'Îlet Gosier promet d'offrir une délicieuse nuit. Oui, mais pas samedi soir lorsqu'un un animateur vient sur l'îlet installer une sono digne des Rolling Stones (en termes de puissance sonore, pas d'éclectisme musical) et un barnum. Une noria de canots à moteur y amène ensuite les invités à la nuit tombée et la fête dure toute la nuit. Nous ne dormirons pas beaucoup.

Mouillage à l'Îlet du Gosier

Le lendemain, dimanche, nous nous empressons de contacter la Capitainerie de la marina Bas-du-Fort pour obtenir une place.

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Basse-Terre - Pointe-à-Pitre - marina Bas-du-Fort

3 juin 2024

Le trajet jusqu'à la Marina Baie-du-Fort fait à peine deux milles nautiques, mais nous mettons les voiles pour limiter le fonctionnement moteur en absence de ventilation de la soute, bien que nous n'ayons constaté aucune vapeur de gasoil lors des fonctionnements récents.

La Capitainerie nous installe sur le quai des maxi-yachts. La place y est fort large, et le personnel du semi-rigide très habile à nous aider à la manœuvre. L'inconvénient est que la hauteur du quai est aussi destinée au franc-bord de ces bateaux géants et que notre pont est bien en-dessous du niveau du quai. Nous n'avons pas de passerelle. Il faudra donc enjamber l'espace vertical, exercice encore plus difficile pour Liliane, surtout à marée basse (ce quai est fixe, pas flottant).

Le quai est trop haut ou la mer trop basse
Lessive day

Malgré nos fermes intentions d'éviter de laisser détourner nos vacances par des travaux à bord, il n'est pas sain de laisser le moteur fonctionner sans la ventilation de la cale. Le risque est une accumulation de vapeurs de gasoil, pouvant produire un incendie. Bien que notre moteur soit récent et ne génère pas d'odeur de gasoil, je préfère ne pas courir ce risque.

🛠 L'investigation électrique dans la soute est un peu ardue, sans doute à cause de manque de flexibilité notoire de mes articulations et aussi de la chaleur torride de la soute, en absence de vent dans la marina. Il apparaît enfin que c'est le ventilateur lui-même qui est mort. Je démonte. Le ventilateur est un bloc de plastique moulé, impossible de le démonter proprement pour tenter une réparation. Nous partons à la recherche de son remplaçant, munis de celui en panne. Difficile quête ; comme d'habitude, le modèle exact, de marque anglaise, n'est pas disponible. Je prends donc le plus approchant en termes d'interfaces et de performances. De retour au bateau, le montage s'avère impossible. La taille en pouces des buses d'entrée/sortie ne correspond pas exactement à son approximation métrique ; les buses du ventilateur ne rentrent pas dans les tuyaux du bateau. Le fabricant annonce fièrement sur l'étiquette : 3.0" = 80mm. Euh, non trois pouces, ça ferait plutôt 76mm. Je retourne interroger chacune des trois boutiques de matériel aux alentours du bassin. Les interlocuteurs tombent du placard. "-Mais normalement c'est standard ces tuyaux. -Oui, vous pourriez me montrer ?" (...) Échec, consternation. On appelle le chef, qui ne sait pas : "-Il faudrait aller demander à l'autre boutique, de l'autre côté de la rivière, c'est juste à vingt minutes. -En voiture ? -Oui. -Je n'ai pas de voiture, il y a des transports en commun ? -Euh, oui, mais non, c'est compliqué." J'envisage toutes les solutions : acheter un autre ventilateur, acheter un tuyau qui convient et le changer dans le bateau ; chercher en ligne et faire livrer... Rien de tangible. Et je n'ai plus confiance dans les dimensions indiquées par les constructeurs. Je décide de conserver le ventilateur acheté, après l'avoir connecté pour vérifier qu'il fonctionne bien en 12 Volt : en dernier ressort, je pourrai toujours mettre du ruban adhésif pour faire la liaison avec les tuyaux. Nous avons prévu de partir dans deux jours, la météo paraissant favorable.

🛠Le lendemain matin, j'entreprends de limer les embouchures pour gagner un petit millimètre de diamètre des buses et favoriser l'insertion. Dans le cockpit, je sue sous le taud, je ponce, je lime le plastique très dur, je me râpe un peu les doigts. Ça dure plusieurs heures. Je crois même que j'ai sauté la sieste ce jour-là. Au jour déclinant, un équipage sirote son apéro sur un bateau voisin. L'un d'eux descend et s'approche. "-Excusez-moi, je vous vois faire, je me mêle de ce qui ne me regarde pas, mais pense que vous risquez de casser l'embout. -Oui sans doute, mais ça ne rentre pas. -Oui, c'est normal, il faut chauffer. -J'ai déjà tenté de chauffer, mais le tuyau est armé et il ne se détend pas. -Justement, croyez-moi, c'est mon métier, c'est l'embout qu'il faut chauffer, pas le tuyau ; ça le rend mou, pas trop quand même, hein ! et ensuite il rentre facilement dans le tuyau." La stupeur doit se lire sur mon visage, je n'aurais jamais osé chauffer les embouts ventilateur neuf. Dont acte, je prends ma chaufferette et je procède à l'opération avec circonspection. Ça fonctionne effectivement. Joie ! J'ai appris quelque chose aujourd'hui. Je remonte toute l'installation, je branche. Nous testons en vrai. Tout est bon, le problème est réglé. Je remercie abondamment. Nous n'aurons pas l'occasion de les inviter puisque nous partons bientôt.

Liliane a profité de la parenthèse des réparations pour adopter une nouvelle coupe de cheveux. C'est un compromis à trouver dans les activités de voyage : longs, faciles à attacher ; très courts, aucun problème ; mais une longueur intermédiaire est une gêne permanente, avec le vent et la pluie qui s'en mêlent et les emmêlent.

Elle me plaît !
Tropic-coupe, mais pas trop !

Après quelques provisions au supermarché proche de la marina et les pleins d'eau, y compris les bidons supplémentaires pour la douche, nous quittons la marina.

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Marie-Galante - Saint-Louis

6-8 juin 2024

La simple évocation du nom de cette île nous embarque dans une aventure exotique, bercés que nous avons été par la douce chanson de Laurent Voulzy.

Marie Galante est au vent de Pointe-à-Pitre, pas très loin, à peine vingt milles nautiques, pile dans l'axe de l'alizé. Pour tirer des bords et remonter le vent, on sait qu'il faut s'obstiner un peu : deux fois la distance, trois fois le temps, quatre fois la peine, annonce le dicton marin, métrique empirique mais fort utile pour se faire une idée rapide de la navigation. Levés au point du jour, partis dès la prise de service du marin venu nous aider à larguer la bouée, nous passons cette journée au près dans l'alizé doux, en soignant le choix des virements et le réglage des voiles. On n'en voit pas la fin, mais de quoi se plaindrait-on, nous qui avons l'immense privilège de nous trouver ici par choix. En fin d'après-midi, nous jetons l'ancre avec plaisir dans la baie assez ouverte face à Saint-Louis. C'est un retour à ce mouillage que nous avions connu avec les enfants et petits-enfants de Liliane lors d'une location en catamaran ; cette fois-ci, nous sommes dégagés des obligations calendaires du boulot.

Mouillage en baie de Saint-Louis

"-Il n'y a rien à faire à Marie-Galante" nous ont dit des voisins de pontons. Nous persistons à ne pas les comprendre. Qu'ont-ils pu vivre d'extraordinaire qui les ait à ce point blazés ?

Nous nous offrons un apéritif et un dîner Chez Henri, bar-restaurant incontournable de cette plage. Sa terrasse ombragée aménagée dans le sable est connue dans toute la mer Caraïbe et au-delà.

On n'oublie pas le jour de lessive, qui commence par le repérage de la laverie, l'expédition en annexe avec deux sacs de linge et l'utilisation du sèche-linge, car un étendage dans le vent serait risque en cette saison humide. Comptez une bonne demi-journée pour cette opération.

Mouillage de Saint-Louis
Chez Henri #1
Lessive Day
Chez Henri #2
Chez Henri #2

Après un jus de fruit... chez Henri, une journée de location de voiture permet de faire le tour de l'île. Cela nous donne l'occasion de découvrir l'Anse du Bourg, choix de mouillage pour lequel j'avais hésité. Aucun regret ! A la vue du paysage tristounet offert par son bord de mer, le choix de Saint-Louis nous paraît heureux. Le bourg lui-même, avec son marché animé, est très agréable. Nous suivons la côte et découvrons au vent la pire accumulation de sargasses que nous ayons vue. L'odeur dégagée par la couche épaisse séchant au soleil gâche complètement le plaisir de parcourir cette route et le petit village de Capesterre-de-Marie-Galante. Cela doit être un crève-cœur pour les habitants. La route se poursuit par de hautes falaises trouées, puis un chapelet de plages plus attirantes les unes que les autres. La baignade dans les eaux claires de l'Anse Canot est bienvenue. La prochaine fois, c'est décidé, nous viendrons mouiller en face de cette plage.

Chez Henri #3
Chez Henri #3
LA zone de mouillage de Grand-Bourg ne fait pas rêver

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Rhumerie Bellevue
Rhumerie Bellevue
Flamboyant
Plage de ???

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Ecritures rituelles

La clearance de sortie du territoire se fait dans la boutique d'artisanat local Chez Zéles, après avoir renseigné les formulaires via Internet. J'en profite pour acheter deux poupées "tracas" pour mes petites-filles, de jolies poupées en chiffons auxquelles on peut raconter ses soucis le soir avant de dormir et qui les garderont confidentielles, avec la promesse que tout ira mieux le lendemain.

Saint-Louis de Marie-Galante

La clearance d'entrée en Dominique peut se préparer également sur Internet, via le site SailClear, pour au moins vingt îles des Caraîbes. Quoi de plus intelligent que ce site web fort intelligent et surtout unique à tous ces pays (sauf Martinique et Guadeloupe, qui ont leur propre solution, du fait du rattachement à la France). Evidemment cela suppose qu'on conserve un accès à Internet, ce qui est facile tant qu'on reste en Martinique et Guadeloupe, mais peut devenir très cher dans les autres îles. Le prix des cartes d'opérateurs téléphoniques "toutes Caraïbes" tels que Digicel nous incite à étudier la solution satellitaire Starlink. Il y a le problème de l'achat et l'installation plus ou moins fixe d'une antenne supplémentaire et de son raccordement électrique. Ensuite, le choix adapté pour notre mode de navigation serait l'abonnement roaming, soit environ 100 euros par mois, qu'on peut interrompre à tout moment d'un simple mail à l'opérateur.

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Dominica

9 juin 2024

Navigation de Marie-Galante à Portsmouth

Nous finissons par nous arracher au charme de Marie-Galante. La navigation de Marie-Galante à la Dominique est facile avec l'alizé un peu portant. La navigation entre ces îles est très facile, on pourrait aisément se passer de toute quincaillerie électronique et tracer sa route à l'ancienne, par relèvements. La seule tracasserie vient de l'énorme déclinaison magnétique (écart entre le nord magnétique et le nord géographique). Certes, une simple addition ou soustraction suffit à passer de l'un à l'autre, mais la valeur de presque 15° fait perdre toute intuition cartographique et oblige à un permanent calcul de tête.

Nous sommes accueillis en Dominique par quelques accélérations de vent au passage des pitons qui précèdent l'entrée dans la Prince Rupert's Bay. Un boat boy vient à notre rencontre. A ce moment une rafale arrive et Tusitala accélère en restant bien droit dans ses bottes. On se rend alors compte de la puissance du plan de voilure, parce que le canot à moteur ne parvient pas à nous suivre. La rafale se calme, il nous rattrape et sa première question "-First time in Dominica ?" est bien ciblée. A notre réponse, il comprend vite que nous ne serons pas consommateurs de service ; notre intention est seulement de procéder à la clearance puis de continuer notre route. Il nous salue et retourne vers la côte.

Déclinaison magnétique importante
A l'approche de Dominica
Entrée dans Prince Rupert's Bay
Dominica flag

Nous poursuivons jusqu'au mouillage que nous avons repéré à Portsmouth Beach Hotel, tout près du ponton des douanes. La fois précédente, nous avions mouillé devant la belle plage principale, au nord de Portsmouth, mais cela impose deux bons kilomètres à pied le long de la chaussée sans trottoirs pour les formalités. La zone hors douanes est près du Banana Wharehouse, entrepôt de bananes, dont l'exportation est ou a pu être une ressource importante de la Dominique. Cette zone hors douanes permet de circuler librement quand on n'a pas encore fait les formalités, bien qu'il y ait une certaines tolérance de circulation temporaire lorsqu'on est amené à mouiller ailleurs. Généralement, il est préconisé que le Chef de Bord seulement aille faire les formalités, muni des passeports de tout l'équipage qui attend sagement à bord. Il est toléré que l'équipage débarque, mais il est préférable de ne pas abuser de cette facilité.

Nous hissons le pavillon jaune "Q" jusqu'au lendemain.

Évènement majeur : Liliane sort une paire de gants de voile neufs, en remplacement de ceux qui tombent en lanbeaux.

Les soixante-dix-sept différences
Mouillage à Portsmouth

10 juin 2024

Clearance (ou clairance en Français)

L'annexe, qui ne prend plus l'eau depuis la belle réparation, permet facilement l'accés au ponton des annexes, acolé au quai de chargement des cargos. Il en coûte quinze dollars est-caribéen (EC$ ou ECD ou XCD, abréviation internationale), soit presque cinq euros pour laisser simplement l'annexe à ce ponton. Remarque, pour ce prix, on pourrait y rester vingt-quatre heures, ce qui n'a évidemment aucun sens. Quand les îles sous administration française choisissent un impôt élevé et un service public, les îles indépendantes choisissent que tout, absolument tout service ou produit se paie immédiatement et en espèces, ce qui permet d'entretenir une myriade d'emploi à plus-value très limitée. La préposée m'intercepte dûment et me délivre un reçu. Son accueil est plutôt sympathique. En voyant mon prénom, elle me confie en souriant que son nom de famille est le même, trace historique des occupations successives par les Français et le Anglais. J'ai un peu de mal à comprendre son accès anglais, mais je mets mon cerveau en mode kwéyol et tout s'éclaire. La réception à la douane est comme toujours impeccable. Les Officiers sont ici des notables.

En réponse à ma question, j'apprends que cette clearance vaut pour entrée et sortie avant deux semaines. Intelligent, je vous dis.

Le quai de chargement hors douanes
Petit ponton à annexes avec les pneus
Sur le quai
Bâtiment des douanes
Docking fees 15 EC$
Au fond, le Portsmouth Beach Hotel

Je profite du tour en annexe pour mitrailler (en photos) notre bateau sous toutes les coutures dans ce mouillage tranquille. Tellement isolé que nous hésiterions à y laisser le bateau seul et non gardé si nous voulions aller faire du tourisme.

Navigation de Portsmouth à Roseau

Nous repartons dans la matinée pour une courte navigation vers notre prochaine étape, Roseau, capitale administrative de l'île. La faible urbanisation de la côte, hormis les villes citées, nous avait déjà marqués lors de notre passage de nuit à l'aller. En comparaison de Porstmouth, Roseau est une ville étendue et animée.

Départ de Prince Rupert's Bay
Approche de Roseau

Le guide Imray indique une solution pratique pour la mouillage : l'Anchorage Hotel entretient et loue des bouées. Ilsuffit d'appeler à la VHF 16 à l'arrivée. J'appelle "-Anchorage Hotel, Anchorage Hotel, do you read me ?" Une fois, deux fois, trois fois ; pas de réponse. J'essaie d'autres canaux, VHF 09, VHF 12. Rien. Pendant ce temps, on tourne en rond aux alentours de ce qui nous paraît être un hôtel. Au bout de dix minutes, on voit une yole à moteur quitter un petit quai en ciment et se diriger vers nous. Le type à bord nous propose sa bouée, il nous a entendu à la VHF. Je lui demande d'abord s'il sait où est l'Anchorage Hôtel. Il me montre de la main le bâtiment effondré sur la plage. Nous y étions bien, mais l'ouragan Maria l'a ravagé en 2017. L'hôtel a restauré et réouvert une aile, mais ne propose plus les bouées et ne répond donc plus à la VHF. Il me montre son tee-shirt "Sea Cat Services". Dans ces endroits il suffit qu'un particulier ait obtenu une concession d'exploitation pour qu'il se lance dans l'entrepreneuriat et que cela lui permette de vivre. Nous avions déjà rencontré ce genre de micro-entreprise plus ou moins formelle au Cap Vert et en Irlande. Pas complètement convaincu que son exploitation ait davantage de consistance (entendre d'assurance responsabilité civile) que son tee-shirt, je lui demande quand même si sa bouée pourra tenir notre bateau. Il abonde en qualificatifs élogieux sur la masse de son corps-mort, la taille des aussières et celle prodigieuse des bateaux qu'il y a déjà accueillis. Le prix aussi est bien dimensionné : 60EC$ ou 20€ ou 20US$ ; simple et vous avez quinze secondes pour décider quelle monnaie vous avantage. On tope pour la bouée. Il propose évidement une palette complète de services, allant de la navette-taxi au plein de carburant et d'eau, sans oublier l'organisation de visites touristiques, le transport à l'aéroport et la location de véhicules. Multi-services, on vous dit. "-OK, thank you. We'll call you on VHF if we need more. -Yes, dont't hesitate to ask."

A peine est-il parti que je fonce sous l'eau avec mon masque vérifier l'état de son corps-mort. Il n'a pas menti sur le sérieux de l'installation. Par sécurité, je descends passer une de nos amarres en double directement sur la grosse chaîne du mouillage.

Approche de Roseau (Dominica)

A côté de l'Anchorage Hotel délabré se trouve l'Ocean Edge Restaurant and Bar, où on aperçoit du mouvement. Le soir tombé, nous prenons l'annexe et allons dîner sur leur terrasse. Le service est impeccable, le ponton est illuminé de lumières bleues, les toilettes sont propres, tout est fait pour l'accueil du visiteur. La bière locale se nomme "Kubuli", nom hérité de celui de l'île en langue des indiens Kalinago. Tout se paie au tarif "Européen", qui constitue un luxe pour la population locale. Point de soucis avec la monnaie locale. La plupart des établissements acceptent les Euros et les Dollars US, avec un taux de change qui les arrange et facilite la vie du visiteur et la monnaie est rendue systématiquement en dollars caribéen, une stratégie à cliquets qui fait rentrer des devises dans le pays. Il faut devenir un pro du calcul mental pour savoir rapidement quelle monnaie est la plus avantageuse.

Ocean Edge Restaurant and Bar
Bière locale Kubuli

11 juin 2024

Balade à Roseau

Dès le matin, nous passons au bar prendre un jus de fruit frais et nous renseigner sur les bus. Au passage, je demande si nous pouvons laisser l'annexe au ponton. Mais oui, le dock fee est de quinze XCD pour vingt-quatre heures ! Nous attachons quand même l'annexe avec son cadenas, habitude qui ne nous quitte plus depuis le Cap Vert, dès lors que le prix de revente d'un moteur d'annexe vaut l'équivalent de plusieurs mois de salaire local.

Dans ces pays où ont sévi la pensée et la common law anglaise, il me paraît raisonnable de préférer les transports en commun à la location d'un véhicule. De plus, notre sécurité individuelle me paraît meilleure dans un bus bondé. Et enfin, les pays à faible niveau de vie ont forcément un réseau de transport économique pour que les gens puissent tout simplement vivre et aller travailler. Cela se vérifie encore. La ligne de bus passe près du bar. L'ambiance à bord est joyeuse.

On a vite fait le tour du centre de Roseau. Les rues sont animées, colorées et industrieuses. Les trottoirs aux caniveaux très profonds, pour faire face aux brusques pluies torrentielles, obligent à une attention permanente. Il y a trois cathédrales qu'on pourrait vouloir visiter, hébergeant divers courants religieux. Toutes les trois sont plus ou moins effondrées et en travaux de restauration. Encore la faute à Maria.

Après le déjeuner en terrasse, nous reprenons pour l'équivalent de quelques euros le bus retour, en continuant jusqu'au bout de la Dominique, à Soufrière Bay, où se trouve un ancien cratère volcanique recouvert par la mer. C'est la basse saison et le bus nous dépose dans un village peuplé de ses seuls habitants. A pied, nous descendons jusqu'à la plage où se trouve le Bubble bar, dont le barman nous fait toucher le bain d'eau chaude à bulles qui sourd au bord de la plage.

Bus collectif
Soufrière Bay
Frégate
L'entrée du Bubble Bar
Bain chaud à bulles
Unique cliente des transats

Le retour en bus collectif est l'occasion de faire connaissance d'une famille surprenante, dont le père dominicain a épousé une américaine et ramène pour des vacances sur les lieux de son enfance toute sa progéniture élevée aux USA. Une de ses filles a un Phd en linguistique. Discussions passionnantes et étonnantes sur tous ces parcours de vie entre-croisés.

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Navigation de Roseau (Dominica) à Saint-Pierre (Martinique)

12 juin 2024

La Martinique se trouve légèrement plus à l'est que la Dominique. Selon les jours, l'alizé peut être plus ou moins orienté à l'est ou au nord-est. Nous choisissons le créneau météo de ce jour où le vent nous paraît assez favorable pour un retour direct.

Avant de partir, nous allons régler nos nuitées de bouées auprès du représentant Sea Cat Services et acheter quelques bananes à une épicerie locale, dans un environnement de bord de la route assez peu plaisant.

Dès le débouché du sud de la Dominique, après Scotts Head, un vent solide nous tire vers la Martinique que l'on aperçoit au loin dans la brume. Après plusieurs jours de mouillage, cela fait du bien de sentir Tusitala foncer au près bon plein à travers la houle de l'Atlantique. D'autres voiliers font la même route et nous faisons évidemment un peu la course. On s'applique à ne pas "gaspiller le vent". A part un sloop géant contre lequel nous n'avons aucune chance, nous explosons le compteur face à un catamaran. Liliane n'aime pas trop l'ambiance, mais il n'est pas question de réduire la toile dans ces circonstances.

Côte sous le vent de Dominica
Une carrière sur la côte de la Dominique
Vers Scotts Head
Ça mousse au près bon plein
Côte nord de la Martinique

Petit à petit, la côte nord de la Martinique se précise, magnifiquement verdoyante et hérissée de mornes pointus. C'est toujours un frisson pour moi d'arriver sur cette île. Le dévent de ces reliefs nous ralentit et nous finissons à petite vitesse en tirant quelques bords jusqu'au mouillage de Saint-Pierre où nous prenons une bouée la plus proche possible de la jetée.

Sur bouée à Saint-Pierre

Liliane court récupérer victorieusement sa carte Vitale égarée à la pharmacie. Tout rentre dans l'ordre.

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Navigations de retour au Marin

13 juin 2024

De Saint-Pierre à Pointe du Bout

Une belle journée en perspective, avec du vent parfois nul à cause des hauts reliefs de la Martinique. Lors d'un moment au moteur, nous traversons une grande nappe de sargasses, épaisse au point de nous immobiliser complètement. L'hélice pédale sans nous propulser ; il faut plusieurs coups de marche arrière pour la libérer et nous sortir tout doucement de la nappe. Ensuite, le vent revient et nous remontons toute la baie de Fort-de-France en tirant des bords de près serré jusqu'à la Pointe du Bout où nous jetons l'ancre entre quelques bateaux, dont certains ont l'air presque abandonnés.

Départ de Saint-Pierre
Rare vue dégagée sur la Montagne Pelée
Le terminal pétrolier
Impressionnante nappe de sargasses
Vérification du mouillage
Mouillage encombré de bateaux ventouses
On ne s'en lasse pas...
Mouillage à la Pointe du Bout

En plongeant pour vérifier l'ancre, je découvre avec stupeur que la chaine passe à proximité de l'épave délabrée d'un voilier, posée au fond par six mètres de profondeur. La coque éventrée, le gréement, le moteur, tout est là, pour le plus grand bonheur de trois magnifiques rascasses volantes qui y trouvent abri. Rétrospectivement, j'en ai quelques frissons ; si l'ancre était tombée au milieu de ce bric à brac, elle se serait probablement coincée. Depuis le Cap Vert, nous avons constaté nombre de ces vestiges abandonnés, témoins des tempêtes violentes et peut-être aussi de l'abandon pur et simple. On a aussi vu en parcourant cette zone de mouillage plusieurs bateaux à l'ancre dont l'état de saleté et de décrépitude du pont et du gréement laisse penser qu'ils sont quasiment à l'abandon.


14 juin 2024

De Pointe du Bout à Anse Chaudière

Courte et facile étape jusqu'à l'Anse Chaudière. Mouillage paisible et moins fréquenté que Grande Anse ; baignade PMT, douche au coucher de soleil, nous profitons à plein de la large provision d'eau douce.

Départ de la Pointe du Bout
De Pointe du Bout à Anse Chaudière
Anse Chaudière

Arrivés tôt au mouillage et bien abrités du vent, nous nous attelons au démêlage du code D (pas de photos, hélas). Lors de sa dernière utilisation, l'enroulement avait dégénéré en deux cocottes, que j'avais ferlées précipitamment et enfouies dans le sac. Il nous faut bien une heure pour en venir à bout. Le propre d'une double cocotte est que l'enroulement de l'une provoque le déroulement de l'autre et qu'entre les deux, la toile est coincée par elle-même. Il arrive que cela se décoince miraculeusement avec le vent, mais en général, c'est bien bloqué. A plat pont, nous arrivons à posément dérouler les immenses pans de toile autour du raidisseur central, qui est lui-même tire-bouchonné. Il arrive un moment où la toile coincée se trouve libérée soudainement par le dernière pli de sens inverse qui la bloquait. Alors c'est l'exultation à bord, tout devient clair, on hisse la voile à bloc, on déroule tout, on enroule tout proprement, c'est fini ! Les vacances reprennent.

15 juin 2024

De Anse Chaudière à marina Le Marin

Le retour au Marin se fait en quelques beaux bords de près, où Tusitala ne cesse de m'étonner par ses qualités de remontée au vent, pour peu qu'on prenne soin des réglages. Il y a sans doute un effet positif du gréement bien réglé lors de notre changement à Madère.

Départ de Anse Chaudière
Rocher du Diamant
Qui a vu le flotteur de casier ?
Approche vers la plage de Sainte-Anne

Arrivés dans le chenal de la marina, l'assistant du port nous guide jusqu'à notre place réservée. La Marina nous a attribué la même place que lors de notre précédent séjour ; juste à côté de Vitruve, le RM1050 de nos amis Damien, Fanny et Ananda.

Le Club Med de Sainte-Anne
Chenal du Cul de Sac du Marin

Ainsi se termine notre mois de vraies vacances, avec plein de souvenirs de mouillages magnifiques, de couchers de soleil, de balades tranquilles et sans chrono.

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15-24 juin 2024

Nous avons prévu plus d'une semaine pour effectuer tranquillement les opérations de mise en sécurité cyclonique. Il faut tout rincer à l'eau douce, tout sécher, tout dégréer, tout plier, tout ranger dans le bateau : les voiles, les tauds, la capote, les bouées ; hisser en tête et lover les drisses en pied de mât et les fagoter dans une bâche (pour minimiser le rayonnement UV sur les polyester) ; assurer les enrouleurs ; assurer le panneau solaire ; vérifier le moteur, remplir le réservoir à ras bord et rincer le circuit d'eau salée ; nouer les pare-battages par un bout sous la coque (pour éviter qu'ils s'envolent à l'horizontale en cas de très forts vents).

C'est la fin de la saison sèche, il pleut tous les jours et faire sécher les toiles avant de les plier est un jeu de cache-cache quotidien. Pour les deux derniers jours, nous avons prévu une location BnB, car l'intérieur du bateau est plein et inhabitable, surtout avec la chaleur ambiante. Nous apprécions particulièrement un peu de climatisation, qui permet de mieux dormir. Finalement arrive sans trop forcer le jour où tout est dégréé. Nos bagages sont prêts.

Capharnaüm était un bateau
BnB
Tusitala et son voisin Vitruve
Tusitala dégréé
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Paris

28 juillet 2024

Nous sommes heureux à la perspective de notre séjour en métropole. Revoir les enfants, les parents, les amis ; et Paris, ses rues et son swing qui nous manquent ; et aussi du bon pain. Tout ça.

Quelques jours après notre retour à domicile pétillent les notifications météo d'alertes du passage de l'ouragan Beryl. Ça fait peur. Il se trouve que sa trajectoire passe le 1er juillet à Grenade, pile là où nous avions initialement prévu de laisser le bateau pour le mettre à l'abri du risque cyclonique ! Nous y avions renoncé pour un bête problème de validité de passeport. Sur son passage, Beryl ravage des pauvres îles et les zones de mouillage. La Martinique reçoit beaucoup de vent et de pluies torrentielles, mais sans dégâts aux navires. Une de nos amies reste persuadée que notre bateau est sous la protection d'un ange gardien.


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Publié le 1er février 2025

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(Pour tous ceux qui veulent voir des images de navigation, mieux vaut sauter cette étape... Les prochaines pour bientôt, restez connectés)

Été, parents, enfants, JO, amis, Paris...

Notre foi vélique a résisté à une interruption de quatre mois et demi. Nommée "été" au-dessus des latitudes tropicales et "saison humide" en-dessous, cette saison est en général fuie par les navigateurs des Caraïbes. Nos voisins de ponton nous avaient précédés et reviendront bien après nous.

Notre été s'est nourri de retour aux liens familiaux à la fois au travers de l'aide que nous essayons humblement d'apporter à nos aînés et aussi par les moments affectueux et joyeux avec enfants et petits-enfants. Nous n'avons pas eu l'impression de beaucoup de temps libre, mais nous repartons avec la satisfaction d'avoir consacré un peu de temps à chacun.

Du temps à profiter de Paris aussi, déambuler la tête en l'air dans ses rues à l'architecture magnifique, goûter les richesses du marché, ses cinémas, et un peu de danse sur les quais de Seine. Que du bonheur !

Un peu de temps consacré aussi au montage de la vidéo de notre traversée Atlantique enfin publiée. Sept mois de délai, c'est bien trop ! Ainsi que la vidéo technique et pédagogique sur le régulateur d'allure.

Et un peu de travail créatif pour réaliser un logo numérique et quelques cartes de visite. Ces cartes permettent d'échanger rapidement nos coordonnées et celles du navire avec les navigateurs de rencontre.

Quelques achats pour le bateau aussi, bien moindres que les années précédentes, un signe certain de la maturité du bateau et son adéquation à notre projet. Ou peut-être un signe de notre adaptation au bateau, va savoir...

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12 novembre 2024

Nous atterrissons à Fort-de-France. Plusieurs bonnes surprises nous accueillent :

  • l'avion arrive en avance ;
  • la synchro est parfaite avec notre amie Fanny venue nous chercher à l'aéroport ;
  • l'intérieur du bateau est impeccablement sec ;
  • les batteries sont complètement chargées.

Nous retrouvons vite quelques bonnes habitudes telles que le chapeau et la chemise ou la robe longue protecteurs.

Nous apprenons que depuis les "évènements" sociaux en Martinique et Guadeloupe l'été dernier, on ne dit plus "la métropole", mais "l'hexagone".

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Réarmement

Réarmement, c'est le terme utilisé dans la Marine pour désigner les opérations visant à rendre un navire à nouveau opérationnel après une période d'entretien ou d'arrêt. Il ne s'agit pas forcément d'armes au sens militaire, mais de l'ensemble des équipements qui permettent de l'utiliser et cela inclut aussi l'équipage. Dans notre cas, l'opération consiste à faire passer un bateau complètement déplumé à l'état opérationnel navigable.

Suspendus et abrités pendant notre absence
Commence à ressembler à un voilier
Vérification du lashing et de l'angle de tire de la drisse
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Renouvellement des écoutes et palans

Un jour, en passant chez Le Ship (Caraïbes Marine), je tombe en extase devant un rouleau de cordage de 10mm. Je regarde la marque : Lancelin ; je frisonne de plaisir ; je caresse et malaxe sa gaine rouge vif : elle est douce et souple, promesse d'un grand plaisir à l'épisser. Je cède à ma pulsion et j'achète de quoi rénover les écoutes de génois, que les douze ans de service et une transat ont beaucoup usées. Trente-sept mètres quand même !

🛠Retour au bateau, je me lance illico dans la réalisation d'un œil épissé. C'est une sorte de quête personnelle de réaliser tout seul une épissure double tresse (âme et gaine). Je m'y frotte depuis trois ans, et pas seulement sur Tusitala, parfois aussi sur d'autres voiliers (salut les Mahina's !). Malgré la consultation de livres de matelotage les plus récents, et la visualisation quasi exhausitive des tutoriaux Youtube, je n'y suis jamais arrivé seul. Avec l'aide d'Olivier et son banc de traction à Madère, oui ; mais seul, jamais. Souvent, les tutoriaux vidéos éludent pudiquement la phase la plus difficile qui consiste à faire rentrer à la fin deux épaisseurs d'âme et deux épaisseurs de gaine dans une seule gaine, pour que plus rien n'apparaisse à l'extérieur. C'est toujours à cette étape que j'ai échoué.

Cette fois-ci, j'ai mis tous les atouts avec moi : cordage neuf, marque Lancelin et épissure selon la méthode proposée par Ino-Rope. Cette tentative, probablement la dixième, est la bonne. Après erreurs, frayeurs et sueurs, je finis par obtenir une, puis deux belles épissures, plus belles que dans mes rêves. Par souci scientifique, je tente à nouveau une épissure sur une vieille écoute, par la même méthode. Échec ! Impossible de faire rentrer l'âme dans le cordage. Le choix d'un cordage neuf et de marque adéquate est donc bien une condition nécessaire.

Nouvelle écoute prête à servir
Bosse du chariot d'écoute de génois

🛠Dans la foulée, je change aussi les vieux palans des chariots d'écoutes de génois et trinquette, en passant de 8mm à 6mm. Sans perdre le rythme, hop ! le vieux palan du chariot de GV passe aussi en 6mm. Bon, il faudra sans doute mettre des gants pour le manipuler, mais de toutes façons, c'est toujours préférable pour ménager la peau de ses doigts et conserver ses empreintes digitales. Il me devient évident que tous les réas des renvois de pont de ces chariots avaient été sélectionnés pour ce diamètre, et moi qui pestait depuis deux ans sur le mauvais coulissement de ces palans. Après ces changements, au bout de trois jours de matelotage, j'en suis à mon sixième œil épissé réussi.

🛠La noria continue : l'ancien palan de chariot de GV en diamètre 8mm va remplacer la bosse de la bordure de GV qui était encore en 12 mm.

🛠Et puis les palans des bastaques aussi avaient tendance à opposer de la résistance. Pourtant, ils sont déjà en 6mm depuis longtemps. Alors je profite du "Blue Friday" (25% de réduction) pour remplacer les deux poulies "violon" de diamètre 35mm par des plus larges de diamètre 50mm.

🛠J'avais aussi trouvé une fin de rouleau de drisses polyester en promotion en Guadeloupe. Je poursuis ma démarche votive de diminuer les diamètres et je remplace l'encombrant 12 mm par du 10 mm, largement suffisant sur un croiseur de la taille de Tusitala. Depuis que nous avons changé les bosses de ris à Madère, nous avons apprécié le plaisir que les manœuvres du gréement courant coulissent aisément. Nous ne supportons plus celles qui nous demandent une énergie musculaire indue.

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Eau, étanchéité, algues et mousses

Les pluies restent quotidiennes en cette mi-novembre. Cela permet de tamiser doucement le soleil qui menace de cuire notre épiderme, mais l'unique panneau solaire ne suffit plus à compenser notre consommation électrique. Comme nous entreprenons aussi des travaux et que le cockpit va être très encombré, nous renonçons à installer le panneau solaire amovible et avons recours au chargeur de quai. Les rivières se transforment en torrents, les mauvaises langues disent que la voiture de Gendarmerie s'est embourbée pendant l'alerte orange et le port prend une couleur boueuse qui sied à la bordure de la mangrove. On se croirait en Guyanne sur le Maroni.

Les trombes qui s'abattent sur le pont nous permettent de voir tout de même une goutte qui perle dans la cabine arrière sous le pied de l'arceau de bimini. Rien de grave, mais on ne va pas partir pour une nouvelle saison avec cette micro-fuite. Je démonte, nettoie, bourre les trous de silicone et remonte le tout. Même pour un petit travail d'étanchéité, il ne faut pas hésiter à prendre le temps de délimiter la zone par du ruban de masquage adhésif. Heureusement, il pleut encore beaucoup les jours suivants et on peut ainsi constater que le problème est réglé.

Liliane traque et chasse toute trace de champignon ou de mousse sur les toiles. Je fais de même avec les amorces d'oxydation sur les inox. Les trousses à outils et produits nettoyants sont de sortie.

Pied étanchéifié

Les panneaux occultants ont aussi des traces d'algues, on ne veut pas partir pour la nouvelle saison dans cet état. L'intérieur et les planchers en particulier ont droit aussi à un nettoyage en règle. C'est facile, mais ça prend un temps fou.

Panneaux occultants
 "Nettoyer, balayer, astiquer. Kaz la toujou penpan"
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Rénovation du Lazy Bag

19-27 novembre 2024

Chaque année, nous entreprenons une rénovation d'importance pour le bateau. L'an dernier c'était le gréement dormant, cette année ce sera le lazy-bag.

🛠Le lazy-bag est une toile fixée le long de la bôme ; elle vient recueillir la grand-voile quand on la descend et permet de la ferler proprement et surtout de l'abriter des UV. Les UV sont terribles pour dégrader le polyester du tissu et du fil de couture. Il est donc impératif d'enfermer autant que possible la voile quand on ne l'utilise plus. Cette discipline permet d'allonger la durée du vie des voiles, au détriment de celui-ci. Il a déjà quelques reprises de coutures, notamment celles que j'ai faites en 2023 à Sao Miguel. Après onze ans de service, il est cuit, comme on dit, et au sens propre.

C'est à notre ami, voyageur et maître-voilier Damien que nous confions le soin d'en réaliser un neuf, sur mesures. Il vient s'installer dans notre cockpit avec sa machine à coudre professionnelle, ses outils et son savoir-faire. Nous l'assistons autant que possible. C'est tout un travail minutieux de transformer une pièce de tissu rectangulaire, quelques sangles et du fil en un objet technique robuste. Nous cannibalisons l'ancienne toile pour en récupérer, à l'aide d'un "découd-vite" les renforts intérieurs en PVC, qui sont très bien conservés. Après un marquage soigneux du beau tissu gris foncé sur le ponton, couture après couture, zip après zip, apparaît le lazy-bag, muni de toutes les sanglettes permettant de le ferler, ainsi que quelques facilités de manœuvre. Après un dernier essai convaincant, nous pouvons le déclarer conforme à nos attentes.

Pendant que Damien coupe et coud, je remplace quelques rivets perdus sur le rail du lazy-bag pour accueillir le nouveau.


Mesures de l'ancien lazy-bag
Marquage précis
Découpe au fer chaud
Rivetage du rail
Découpe de la "chaussette" de mât
Atelier à bord

Le résultat final est magnifique. La couleur gris foncé se marie très bien avec le gris clair de la coque et des autres tauds. Et le lazy-bag se révèle très facile à utiliser.

Lazy-bag neuf
Lazy-bag neuf
Lazy-bag neuf

🛠Du coup, un lazy-bag neuf supporterait mal le coulissement difficile des lazy-jacks (ce sont les suspentes du lazy-bag). Trop de frottement sur le chemin des jacks, la faute à un passage assez laborieux dans un orifice du mât, solution que j'avais adoptée il y a deux ans pour éviter que les jacks restent le long du mât et claquent quand il y a du vent. Soit, ce point-là était résolu, mais au prix d'un maniement difficile. On ne peut pas tout avoir, je renonce donc au passage des bosses à l'intérieur du mât et je remplace ce dispositif par deux petites poulies volantes, tenues au mât par une petite boucle en Dyneema. Épisser la boucle est un matelotage rapide. Mais monter au mât est toujours une action à bien réfléchir. Je profite d'un matin ni trop pluvieux, ni trop venté, assez tôt en matinée pour éviter de me transformer en rôti. Finalement la montée-descente en auto-assurance se passe bien et le dispositif des deux poulies fonctionne du premier coup, et les lazy-jacks coulissent bien ; j'hésiterai moins, dorénavant, à retoucher au réglage de tension du lazy-bag.

🛠En parallèle aussi, j'ai démonté et apporté l'arceau inox du bimini à Caraïbes Métal, et avec l'aide de Damien, défini un nouveau cintrage (+7 centimètres en son milieu). L'arceau était trop "plat" ; comme la toile du bimini vient joindre celle de la capote par une fermeture-éclair, deux courbures différentes raccordées par une surface plane, c'est mathématique, ça fait des plis, à défaut d'élasticité de la toile. En donnant une courbure homothétique à celle de l'arceau de la capote, nous constatons dès le remontage que la toile du bimini est bien plus lisse. Évidemment cela fait une arche royale pour passer dessous, mon crâne n'effleure plus l'arceau. Le revers de la médaille est que la bôme au-dessus a moins de marge de circulation et que cela peut poser problème au virement de bord. Nous profitons d'un moment miraculeusement sans vent et sans pluie, juste après le passage d'un grain pour hisser la grand-voile et régler la balancine au plus juste. Nous verrons à l'usage en mer si l'arceau peut rester comme ça ou s'il faut recouper ses montants pour le faire descendre un peu et restaurer la marge sous la bôme.

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Révision du moteur

01-04 décembre 2024

Le carnet d'entretien est impitoyable, on y revient tous les ans. Comme je suis plutôt prudent, je séquence les opérations : vidange huile, vidange circuit de refroidissement, filtres à gasoil, circuit air.

🛠La vidange du circuit de refroidissement est l'occasion d'aller inspecter l'échangeur et le coude d'échappement (aussi nommé "pipe d'échappement"). Je démonte soigneusement tout ça, avec force photos-mémoire, dont nous épargnerons la publication intégrale au lecteur. Et bien c'est rassurant ; le circuit eau de mer de l'échangeur est un peu calaminé, assez normalement pour les onze ans de fonctionnement ; il a probablement été vidangé et nettoyé par l'ancien propriétaire. En revanche, le coude d'échappement est très encombré de suies grasses. Le diamètre de la sortie est réduit de moitié. Certains tentent de le nettoyer, mais la perspective qu'il puisse y avoir aussi une corrosion profonde du métal nous font prendre la décision d'acheter une pièce neuve.


Vidange huile moteur
Vidange du liquide de refroidissement
Faisceau de l'échangeur
Coude d'échappement
Coude d'échappement encrassé
Coude d'échappement et joints neufs
Équerre de support de connecteur électrique
Indispensable disqueuse
Équerre rectifiée pour passer la clé
Faisceau nettoyé
Faisceau nettoyé
Vase d'expansion nettoyé
Tout est remonté

Au démontage, je me suis arraché la peau des doigts pour dévisser le coude. Une équerre de fixation d'un connecteur électrique empêchait le passage des clés (plate, tube, cliquet, à œil, je les ai toutes essayées), ce qui pour moi dénote une conception médiocre des périphériques. C'est le travail du Bureau de Dessin de prévoir le passage des outils, y compris dans une cale étroite. Par curiosité, je suis allé voir un moteur neuf en exposition chez Caraïbes Marine : il n'a pas cette équerre. Elle figure pourtant dans le manuel atelier... Avant le remontage, je scie donc un bout de l'équerre pour faciliter le passage des outils. Heureusement que nous avons une disqueuse à bord, avec des disques professionnels, cadeaux de départ de l'ami Roland de Liliane. Cela prend donc moins d'une minute. Ce que voyant, le voisin s'empresse de me demander de lui scier un cadenas récalcitrant.

Après nettoyage du faisceau de l'échangeur, achat de la pipe neuve, remplissage des fluides propres, changement de la turbine à eau de mer et de tous les filtres, y compris le filtre à air, je remonte tout ça.

Les essais moteur sont bons, mais le moteur démarre poussivement. Il faudra améliorer ça. Plus tard... La Très-Sainte-to-do-list nous presse.

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Renfort du tableau arrière

🛠CP, résine époxy, ponçage, perçage ; de doux mots qui parlent aux propriétaires de bateaux. Je connais assez mal le travail de stratification et collage à l'époxy ; c'est encore Damien qui passe nous aider à renforcer la partie du tableau arrière qui soutient l'hydrogénérateur. Cela faisait longtemps que les efforts de plusieurs dizaines de kilos (~35 kg à 6 kt) sur les cinq millimètres du tableau arrière me souciaient. Avec une plaque de 15 mm de contre-plaqué, collé à l'époxy à l'intérieur du coffre, puis boulonné par les quatre vis de fixation de l'hydrogénérateur, je suis totalement rassuré. On coche une ligne de la liste !

Au passage, nous avons profité de cette évolution pour supprimer l'échelle de secours qui faisait une proéminence tubulaire en plastique à l'intérieur du coffre. Ce tube avait déjà été fissuré et recollé après nous avoir provoqué des entrées d'eau salée pendant longtemps. Bien qu'il soit maintenant étanche, le trou qu'il constituerait dans le tableau arrière en cas de casse me déplaît fortement. Je préfère donc qu'on le bouche à l'époxy. Je trouverai une solution pour installer l'échelle de secours complètement à l'extérieur, accessible depuis l'eau. L'échelle de bain peut déjà servir en ce sens.

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Le guindeau

🛠Il patiente bravement le moment de son entretien annuel. C'est maintenant : démontage du barbotin, nettoyage, dégraissage, désoxydation, graissage, remontage. Le doigt de sécurité, qui empêche le barbotin de se dérouler au mouillage, est lui-même tenu ouvert par une autre doigt lorsqu'on veut descendre l'ancre. Ce dernier, en plastique, est complètement fariné par les UV, sa vis de fixation tordue, une vis-goujon spéciale, que je n'ai pas trouvée dans le commerce. Evidemment, on ne trouve pas à l'acheter séparément dans les catalogues des distributeurs, il fait partie d'un kit de rénovation plus large et plus cher.

Je décide d'enlever les doigts de blocage en attendant de pouvoir l'acheter. Nos mouillages sont systématiquement sécurisés par la main de fer, que je trouve plus rassurante et qu'on utilisait déjà.

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Starlink Mini

Starlink a opportunément sorti une nouvelle antenne cet été. Je n'étais pas chaud pour installer les précédentes, fort gourmandes en énergie et nécessitant plusieurs boîtiers (routeur, alimentation, antenne). Le marketing de la Starlink Mini a tout compris : le routeur Wifi est incorporé à l'antenne, l'antenne a juste un fil d'alimentation en continu et elle n'a aucun dispositif mobile. Le tout s'installe en cinq minutes et démarre encore plus vite. La cible est le public itinérant, de type nomade. Il est explicitement dit dans les clauses que le service n'est pas prévu pour opérer en navigant, même s'il s'avère que cela fonctionne encore. C'est une clause de juristes, soit pour éviter qu'on puisse réclamer si ça ne fonctionne pas en navigation, soit pour être inattaquables si la concurrence se plaint des pollutions électromagnétiques de l'orbite (long story short).

Après avoir investigué le prix d'un abonnement Caraïbes chez Digicel, nous sommes donc revenus de Paris avec cette antenne et un abonnement mensuel 50GO à 40€.

Il se trouve que l'antenne requiert une tension d'alimentation entre 12 et 40 Volt à son entrée. En branchant la sortie des batteries (13V pour les batteries au Lithium) d'un côté du fil, il n'y a plus que 11,6V à l'entrée de l'antenne, car le fil fourni est assez fin et occasionne quelques pertes de tension. L'antenne ne démarre donc pas dans cette configuration. Nous utilisons provisoirement un petit convertisseur 12V/220V, et y connectons le boîtier d'alimentation Starlink 220V/DC. Cet empilement de convertisseurs est évidement absurde. J'ai vainement cherché au Marin, aussi bien chez les électriciens que les fournisseurs automobiles que les informaticiens, un convertisseur augmentateur de tension. Finalement je l'ai commandé sur Amazon : convertisseur 12/24V. En effet, ces convertisseurs sont destinés à l'automobile (matériels pour camions devant fonctionner sur une automobile) et ils sont donc produits en très grandes quantités. Il aurait été possible de trouver un convertisseur 12V/19V destiné aux ordinateurs. Le convertisseur retenu nous sera apporté par des amis qui viendront nous rendre visite plus tard. En attendant, ça fonctionne avec le montage shadok.

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🛠Ce qu'on vous a épargné :

+ L'inspection des tuyaux d'eau douce sous pression qui ne fournissaient pas le bon débit ;

+ La réparation du socle de la poubelle ;

+ La panne et le démontage de l'aspirateur rechargeable ;

+ Le nettoyage du store du panneau ouvrant de la cabine avant ;

+ Le nettoyage des bouts poisseux qui ont passé toute la saison des pluies sous la coque pour fixer les pare-battages, conformément aux recommandations des assureurs pour la saison cyclonique.

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Les rencontres

Chantal

Liliane tente de contacter une ancienne collègue de travail martiniquaise. Coup de chance, elle réside sur l'île en ce moment. L'occasion de passer un moment de détente avec elle et d'assister à un marché de Noël au Village de la Poterie aux Trois-Îlets, dans une ambiance très artistique et festive.

Chantal et Liliane

A cette occasion nous découvrons que sa fille est une graffeuse connue qui vit de ses peintures en Martinique.

Marion et Antoine sur Bord'Île

Lorsqu'un bateau nouveau vient s'amarrer au ponton sur une place attenante à la nôtre, il est d'usage d'aider aux amarres. Un jour arrive un voilier un peu désemparé, pas manœuvrant. Le zodiac de la marina est sur le plan d'eau pour l'assister. Je prends leur amarre pour les derniers mètres de marche arrière. Tout se finit bien. Le jeune Capitaine me dit : "Je n'avais plus de marche arrière et maintenant, je n'ai plus de marche avant".

Quelques minutes de discussion et d'investigation achèvent de convaincre l'équipage : le bateau n'a plus d'hélice. Probablement perdue dans le port. Cette mésaventure me rappelle celle de Vitruve l'an dernier. La recherche de l'hélice perdue dans le port s'avère impossible dans la très mauvaise visibilité.

Pendant plusieurs jours, nous faisons connaissance de ce couple charmant Marion et Antoine. Ils nous invitent un apéro sur leur bateau, un Folie Douce, acheté pour une aventure nautique programmée de quelques mois avant leur retour au travail. Ils repartent avant nous vers le Sud. Nous avons échangé nos coordonnées, avec promesses de retrouvailles. Sur la longue route des vagabonds nautiques.

Baluchon est arrivé au Marin
Soirée musicale au Marin
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Bouée couronne

J'ai longtemps résisté à l'achat d'une bouée couronne. Je trouve ça moche. La possession d'un "dispositif de repérage et d'assistance pour personne tombée à l'eau" est règlementaire et obligatoire. Nous avons une bouée couronne auto-gonflable dans un petit sac zippé fixé au balcon arrière. En cas de personne à la mer, il suffit de lancer la perche IOR, attachée à demeure à la dite-bouée couronne. Celle-ci se gonfle automatiquement au contact de la pression de l'eau, la perche reste verticale et son fanion orange se déploie. Même si le bateau s'éloigne, la procédure pour la personne tombée à l'eau consiste à se rapprocher de la perche, se cercler de la bouée couronne pour flotter (au cas où elle aurait "oublié" son gilet ce jour-là) et déployer totalement la perche pour rester visible. Une tête dans l'eau dépasse seulement de vingt centimètres et disparaît bien vite à la vue au milieu d'un modeste clapot, alors qu'un fanion flottant à deux mètres sera un excellent point de repère pour retrouver le naufragé. Tout cela répond donc bien aux deux critères : repérage et assistance.

Sauf que l'inspection du dispositif a montré que le zip du petit sac était figé dans le sel et la corrosion. Impossible de l'ouvrir rapidement. De plus, le percuteur et sa bouteille de CO2 comprimé sont obsolètes. Il faut donc restaurer tout ça. Réflexion, discussion avec Liliane. Pourquoi s'embêter avec un "machin" gonflable et technologique qui nous posera régulièrement le même souci. Dont acte, nous décidons de le remplacer par une bouée couronne en mousse.

Coup de chance, j'en trouve une près des poubelles, un peu défraîchie par les UV et une zébrure au cutter de l'enveloppe, mais néanmoins fonctionnelle : elle flotte, ce qui est règlementairement suffisant. Il est d'usage dans les marinas lorsqu'on jette un objet pouvant encore servir de le déposer sur un muret à côté des poubelles et pas dans les conteneurs. Je le récupère donc. Liliane fait la moue. Cela me permet au moins de faire des essais, mais nous finissons par en acheter une neuve, au grand soulagement de Liliane. La vieille est retournée à sa place près des poubelles, accompagnée de notre pipe d'échappement pleine de suie. Quelques jours plus tard, tout a disparu du muret.

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Hélice tripale

Depuis notre passage au chantier de Madère en 2023, je lorgnais vers les autres bateaux dotés d'une hélice tripale. Certains rêvent d'un gros bateau, moi je rêve plus accessible. J'ai fait beaucoup de recherches dans les catalogues et les forums pour déterminer si une hélice à pales repliables ou à mise en drapeau valait le surcoût. Les aventures de ceux qui ont perdu leur hélice m'ont convaincu qu'il fallait en avoir une de rechange à bord, car les prochaines îles visitées seront très démunies en matériels spécialisés. De plus, une hélice tripale est plus efficace qu'une bipale. C'est-à-dire que pour une énergie fournie par le moteur, l'avancement du bateau sera supérieur, ou pour un même avancement, on consommera moins de carburant. De plus, notre bipale actuelle présente quelques traces de corrosion anciennes, mineures certes. Tous ces arguments nous convainquent qu'il est nécessaire d'avoir une seconde hélice à bord.

Les repliables sont évidemment un degré de sophistication supplémentaire. Mais à un prix quatre fois supérieur. Et toujours un doute sur la solidité des pales mobiles, malgré les témoignages positifs des utilisateurs. Je rechigne à une telle dépense.

Je consulte donc le distributeur Volvo pour une tripale fixe, qui me propose une simulation avec leur logiciel. Il prend en compte les caractéristiques du moteur (vitesse maximale de rotation, rapport de réduction de la boîte), la masse totale en charge du bateau. La simulation conclut qu'il faudrait idéalement une 15X12LH. Le magasin a en stock une 16X11LH. Nous n'avons pas envie d'attendre une hypothétique livraison. J'achète donc celle qui est disponible immédiatement, avec le projet de la mettre en place au moment du carénage au sec à Grenade.

Carrément tripale !
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Essais et mouillages à Sainte-Anne

Arrive un jour où il faut bien se décider à prononcer la fin des travaux. C'est simple, il suffit de couper-coller les travaux non-faits dans une nouvelle liste pour plus tard.

Nous partons une première fois pour faire des essais en mer. Toutes les manœuvres fonctionnent. Même pas un ris passé de travers.

Nous passons deux nuits au mouillage à Sainte-Anne face à la magnifique plage du Club Med. Magnifique et bruyante : dès le matin, les sessions de ski nautique s'enchaînent à partir du même ponton que celui des Bronzés. La cadence est la même que le vols commerciaux à Charles-de-Gaulle : un toutes les deux minutes. Le circuit standard emprunte le chenal pour sortir, fait un demi-tour cinquante mètres à côté de notre bateau et repart vers le rivage. Cela s'arrête juste à l'heure du déjeuner et le soir pour laisser place à la musique d'animation qui sonorise toute la zone de mouillage jusqu'au milieu de la nuit.

C'est l'occasion de flâner dans les rues de Sainte-Anne et déjeuner au restaurant La Cour Créole, simple et de bon goût.

Mouillage de Sainte-Anne - beaucoup de bateaux
Sainte-Anne
Restaurant La Cour Créole
Mouillage de Sainte-Anne - face Club Med
Pas que beau, le temps
Le grain de 17h54

Ensuite nous retournons au Marin. Quelques derniers achats : les pavillons de tous les pays que nous envisageons de traverser jusqu'à la Colombie et même le Panama ; un mètre de chaîne de 10mm en inox pour pouvoir cadenasser l'annexe dans les prochaines escales ; de la colle PU bi-composant parce que je sens que l'annexe va beaucoup servir ; du produit Nauticlean 04 et trente mètres de polyamide de 16mm (voir plus loin). Nous nous procurons aussi deux bidons de peinture anti-fouling, soit dix litres, un peu plus qu'il n'en faudrait théoriquement pour notre bateau. L'avis général des pontons est qu'il est plus difficile et plus cher de se le procurer dans les autres îles. Une longue discussion chez Clipper Ship permet de le sélectionner soigneusement. Dans l'idée de réparer aussi quelques défauts de surface du pont, nous achetons également du Grip (poudre antidérapante).

Une ultime session de machines à laver complète notre préparation. Avec la chaleur ambiante, il faut deux jeux de draps housse (et vous l'avez deviné, pas de couette en cette fin décembre !).

Avant le départ, nous avons l'habitude de nous offrir un restaurant. Ce jour-là, le Chef propose une excellente choucroute, typique de ce pays (la France). Je bondis sur l'occasion, certain de son extrême rareté dans les îles de l'arc caribéen. Cela amuse beaucoup Liliane.

Et surtout le plein de provisions, dans les modestes limites de notre réfrigérateur en sachant que les yaourts nature seront les derniers avant longtemps.

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South bound

19 décembre 2024

Ce jour est le jour du départ du ponton, celui de la clairance de sortie (en Français dans le texte) ; celui où l'on coupe le lien avec la borne d'eau courante et d'électricité ; où l'on complète le plein de gasoil, d'essence et de Butagaz au ponton carburant avant d'embouquer le chenal de sortie du Marin (attention, les Bretons, c'est vert à tribord en sortant hein !).

La sortie du territoire a été déclarée pour le dimanche qui suit. Cela nous laisse donc trois nuits au mouillage de Sainte-Anne avant de passer en terres anglophones pour une durée que nous ne cherchons pas à prédire.

🛠Au mouillage, je profite qu'une grosse partie de la chaîne est sortie du puits pour accéder à l'épissure entre le bout de la chaîne et le câblot de trente mètres. Un travail en prévision des futurs mouillages, qui seront profonds : le câblot actuel est trop gros. Lorsque l'épissure passe dans le guindeau, il fait parfois un bourrage et l'épissure s'effiloche. Je la défais, je remise le gros câblot (qui servira de remorque ou d'amarre) et j'épisse soigneusement dans les règles (18 rangs du torons dans l'épissure) le nouveau câblot de polyamide de 16mm à la chaîne. Ce diamètre est celui conseillé par Lewmar, fabricant du guindeau, en combinaison avec la chaîne de 10mm. Quand on lit les données des fabricants de ces cordages, on voit que le 16mm a une résistance de rupture de l'ordre de 5600kg ; pour une telle valeur de traction, on imagine bien que c'est le taquet ou le guideau qui s'arrachera avant que le cordage ne casse. Mais j'avais eu tendance à Roscoff à surdimensionner ce câblot en vertu de l'adage "trop fort n'a jamais manqué". C'est cette tendance que je combats maintenant pour tendre vers une sorte de sublime perfection. Plus concrètement, Liliane demande qu'on fasse un essai, d'autant plus que c'est elle qui se trouve à la manœuvre du mouillage. On procède à un essai de passage de l'épissure dans les deux sens et c'est beaucoup plus fluide dans le barbotin.

Épissure trois torons sur chaîne

Depuis notre départ du ponton, nous vivons en autonomie. L'eau et l'électricité sont des préoccupations quotidiennes, parfois antinomiques : soit nuages et eau, soit soleil et électricité. Les pluies encore fréquentes nous donnent l'occasion de récupérer de l'eau douce, que nous utilisons dans des bidons séparés de l'eau potable, pour nos douches.

On prend vite goût à Starlink Mini : c'est deux ampères !

Je n'avais pas installé l'hydrogénérateur au port, de peur de le cogner en manœuvrant près du ponton. Au mouillage, en prévision du départ, je le sors de la soute. Et là, je constate immédiatement que l'hélice est bloquée. Je me remémore que nos amis de Nana ont eu un défaut similaire sur le leur. L'alternateur est probablement engorgé de sel et de corrosion. Je me retiens de forcer sur l'axe ; même si j'arrivais à le débloquer, l'alternateur tournerait probablement à une faible vitesse et aurait de piètres performances. Il faudra traiter cette anomalie avec le fabricant, bien que l'appareil ne soit plus sous garantie. En attendant, se contenter de l'électricité produite par le panneau solaire et rester économe.

21 décembre 2024

Je sais que la coque a fleuri de nombreuses poussées d'algues et de petits coquillages. Je n'ai pas eu envie de plonger dans l'eau du port. Au mouillage, la veille du départ, il faut quand même aller améliorer la glisse. Mon niveau d'apnée est redevenu celui d'un urbain. Je peine à gratter les concrétions qui menacent de boucher les ouïes d'entrée d'eau du sail drive. Les produits anti-fouling européens sont conformes aux normes écologiques. Ils sont respectueux de l'environnement et n'empêchent plus ni les algues, ni les coquillages de s'y fixer. Tout comme les colles industrielles qui ne collent plus et les soudures qui ne soudent plus. J'ai commis la légèreté de plonger sans gants, en croyant pouvoir les arracher à la main. Après avoir écorché tous les doigts, je finis par aller prendre la brosse métallique, qui en vient à bout. Ensuite un petit coup de brosse à balai sur la ligne de flottaison qui est aussi chevelue qu'un post-soixante-huitard et enfin un petit coup pour libérer la roue à aubes du speedo qu'un rien suffit à bloquer.

Cette plongée m'a convaincu que le chantier de carénage prévu à Grenade est incontournable.

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Un dernier apéro avec Damien, Fanny et Ananda qui sont aussi au mouillage avec Vitruve. Eux partent vers le nord, puis sans doute vers Cuba. Nous nous promettons une prochaine rencontre au Rio Dulce au Guatemala "sans trop y croire, mais quand même pourquoi pas".


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Publié le 14 février 2025

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De Martinique à Saint-Lucia

Dimanche 22 décembre 2024

C'est le vrai départ de notre nouvelle saison de navigation.

Après trois nuits devant la plage de Sainte-Anne en Martinique, nous quittons le mouillage juste après le petit-déjeuner. Liliane relève l'ancre et pendant que le bateau avance doucement, elle a l'habitude de la redescendre un peu pour la faire tremper et enlever le sable ou la vase. Et là, surprise ! le guindeau refuse de descendre. Rapide réflexion dans ma tête : si le guindeau électrique est en panne, il faudra remouiller "à la main" comme au bon vieux temps. Ici ou à la prochaine étape, de toutes façons c'est égal. Et comme nous avons déjà fait la clearance de sortie et déclenché celle d'arrivée à Sainte-Lucie (site web Sailclear), cela ferait beaucoup de procédure. Mieux vaut donc poursuivre notre navigation et régler le problème à Sainte-Lucie. Liliane remonte complètement la chaîne et nous méditons l'adage populaire "une panne par jour de navigation".

🛠Dans la traversée du chenal de la Martinique, la houle est assez raisonnable, je peux donc rapporter le câble de la télécommande à la table à carte et commencer à diagnostiquer le problème du guindeau. Je suis obligé d'ouvrir le boîtier que j'avais étanchéifié au Sika quand nous avions eu un premier défaut du boîtier d'origine au Cap Vert. Je m'attends à trouver un interrupteur tout oxydé, d'autant plus qu'il y a des coulures sur le bouton à l'extérieur. Pas du tout. L'intérieur du boîtier est sec, l'interrupteur est impeccable et il ferme correctement les contacts. Les coulures proviennent de la rondelle crantée extérieure qui n'est donc pas en inox 316. Je poursuis mon investigation à l'aide du multimètre. C'est plus loin que se situe le problème. Il me faut un bon moment pour réaliser que sur les trois fils de la commande, il y en a un, celui du sens "descente" qui ne conduit plus l'électricité. Incroyable ! L'information de l'interrupteur ne parvient pas à l'autre bout du fil électrique, trois mètres plus loin. Problème de soudure ? elle a l'air propre et brillante. Je remets le diagnostic à plus tard, au mouillage.

Comme nous avons aussi l'hydrogénérateur en panne, nous allons économiser l'électricité. Le trajet se fait donc sous régulateur d'allure. Un grand plaisir et une efficacité silencieuse, comme déjà expliqué. Même dans les rafales modérées du chenal entre Martinique et Saint-Lucia, il tient correctement la barre et nous faisant faire des sinuosités, ce qui correspond aux variations normales de direction du vent apparent. Je fais remarquer à Liliane que ce sont plutôt des "sig-sags" bien arrondis que des zig-zags et cela lui donne l'idée du "swing". Ainsi nous vient enfin le nom de baptême pour cet équipier fidèle, ce sera Mister Swing !

Départ de Sainte-Anne, Mister Swing à la barre
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(22/12/2024 - suite)

Rodney Bay

A quelques milles de l'arrivée, sous le vent de l'île la mer est plate. Cela me permet d'aller préparer le mouillage manuel à l'avant. Ne pouvant compter sur le guindeau pour la descente de l'ancre, je sors quinze mètres de chaîne de la baille à mouillage et la prépare sur la plage avant en "tas bien pensé", comme dans le cours des Glénan, sur un épais tapis de sol pour éviter de rayer le pont.

L'entrée dans Rodney Bay est rassurante : mer plate, beaucoup de place permettant d'envisager de nous y reprendre à plusieurs fois. Et finalement tout se passe bien, la chaîne part à l'eau bien ordonnée et nous voilà mouillés proprement. Il suffit d'ajuster la longueur en laissant glisser encore un peu de chaîne (le guindeau peut se déverrouiller manuellement avec une manivelle de winch, mais je n'envisageais pas de dévider ainsi les quinze mètres, avec le risque avéré que la chaîne se bloque au milieu de l'opération). Comme d'habitude, un petit coup de marche arrière pour vérifier la tenue du mouillage ; c'est bien accroché sur le fond de sable et de vase.

Rodney Bay - escale très appréciée
Rodney Bay, immense et bien abritée

Sans attendre, je m'attelle à terminer la réparation. Le bout du fil fautif est corrodé. J'ai du mal à y croire, mais il ne conduit pas le courant. Je dénude encore cinq centimètres, puis dix, puis vingt. Tout est corrodé, gris terne. Bizarrement les deux autres fils sont intacts et luisants. Liliane n'aime pas l'idée de récupérer ce bout de fil en nettoyant l'oxyde à l'acide. Elle énonce le théorème de Liliane : "Avec un faux boîtier, il faut au moins un vrai fil". Je consulte le tableur où nous avons normalement entré la liste des outils et fournitures de réserve. Ça fonctionne : à l'endroit prédit, au fond du coffre avant tribord, alvéole n°2, Liliane exhume un sac de pièces électriques où se trouve une bobine de fil trois brins, celui qui sert dans le bâtiment pour transporter le secteur avec sa masse.

Étape diagnostic
Étape réparation et tests

Heureusement le petit convertisseur 12V/220V suffit à faire chauffer le fer à souder. Rapidement le fil trois brins neuf prend la place de l'ancien corrodé, en conservant le précieux connecteur trois broches qui se raccorde à la cloison de la baille à mouillage. Je file essayer : le guindeau s'anime dans les deux sens. Petite victoire du jour, qui nous évite la dépense d'un cordon neuf vendu à prix d'or par les distributeurs locaux (à supposer que les références correspondent).

L'incontournable vendeur de fruits et légumes tourne doucement autour du bateau avec sa barge sur-réaliste. Celui-ci a tout compris : ne pas agresser les nouveaux venus par une présence trop insistante, avoir un grand choix, approcher très lentement sans donner l'air de tenir vraiment à faire commerce, juste rendre service. Il amorce la conversation en Français, souriant. On discute et finalement on lui achète quelques fruits, pour tester. Il a bien sûr un banana cake, fait par sa fille (ou sa femme, c'est selon ; à l'usage on peut penser que c'est authentique). On en prend un. La négociation ne donne pas grand chose, les prix semblent assez fermes. Plus tard on finira par comprendre que si on négocie le prix, on peut obtenir un petit rabais, si on ne négocie rien, on nous donne un petit cadeau à la fin de l'échange (e.g. un fruit supplémentaire).

Négociation (Negotiation)
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23-25 décembre 2024

Le lendemain, nous procédons aux formalités d'entrée à Saint-Lucia. La procédure par Sailclear a bien fonctionné et le premier fonctionnaire retrouve sans peine l'avis d'arrivée. Mais la seconde fonctionnaire, celle de l'immigration, m'avertit un peu sèchement qu'il faut remplir un autre formulaire avec un autre site web (travelslu.govt.lc), qui demande entre autres les mêmes informations que le premier. Heureusement il y a un accès wifi dans le bar proche. Je renonce à comprendre, ces péripéties font aussi partie du voyage.


Marina bien gardée

A partir d'ici et jusqu'à Grenada, la monnaie est le Dollar Caribéen, communément appelé "EC$" ou "EC" (prononcer "ici") ou Dollar (prononcer "dollar") tout court dont l'abréviation internationale est le XCD (ne pas tenter de prononcer). Il s'échange officiellement pour 0,36 € ou 0,37 US$. Mais le change officieux lorsqu'on nous rend la monnaie en EC$ est plutôt de 0,4€, car la multiplication par quatre, évidemment plus facile, permet à celui qui accepte les Dollars US ou les Euros d'empocher une petite commission. De fait, il est bien plus avantageux d'aller au premier distributeur venu et de changer une "grande" quantité d'euros. De toutes façons, on verra que la vie est plutôt chère sous les Tropiques. Par ailleurs, à part Sainte-Lucie où les Euros sont encore acceptés du fait de la proximité de la Martinique, les autres îles de l'arc antillais n'en veulent généralement pas, sauf éventuellement les supermarchés. On a même rencontré un vendeur ambulant qui voulait changer son billet de cinquante euros. Je ne me suis pas privé de négocier un prix plus proche du taux de change bancaire.

🛠Ensuite, comme une sorte de rituel, je passe à la "chandlery" de la marina (il n'y a que les Français qui appellent ça un "shipchandler"), je trouve un capuchon d'étanchéité qui va pile sur l'interrupteur. De retour au bateau, je remonte tout ça et j'encolle abondamment au Sika tout le boîtier. Le silicone adhère mal sur le PVC. Il faudra un jour que je me procure du liquide pour couler complètement dans le boîtier (pour les curieux, c'est la résine polyuréthane hydrophobique isolante électrique Scotchcast™ 40).

A l'arrivée, nous avions choisi notre place de mouillage au plus simple, à proximité du chenal d'accès à la marina, bien contents d'écourter l'incertitude de la manœuvre manuelle. Cela nous occasionne maintenant de bruyantes journées. Les canots puissamment motorisés faisant water-taxi empruntent ce chenal à la vitesse maximale permise par leurs moteurs (on voit des deux fois 300 chevaux), puis prennent la direction visée, en général une plage vers les deux pitons pour y déposer des touristes. La route la plus courte passe juste devant ou juste derrière nous. En parallèle, nous sommes également entourés d'énormes catamarans d'excursion, qui ont conservé une mâture par pure esthétique, construits comme de larges pontons destinés à charger plusieurs dizaines de visiteurs et leur offrir un tour en mer, des boissons, du soleil et de la musique. Musique omniprésente, c'est culturel. Même un canot en transit avec juste ses deux équipiers diffuse sa bande sonore à fond. A croire que la sono est câblé sans interrupteur de coupure.

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Noël

A terre, nous avons la surprise de trouver de sympathiques décorations de Noël, avec authentique Père Noël, traîneaux et sapins en plastique inclus, en décalage complet avec l'image tropicale. Les abords de la marina sont garnis de maison privées. Nous renonçons à prendre un taxi pour atteindre le centre-ville.

Tous les symboles de Noël

Nous recevons un message de Marion et Antoine, qui avaient quitté Le Marin bien avant nous. Ils sont sur le chemin du retour de leur périple aux Grenadines. Ils nous proposent de passer le réveillon de Noël ensemble. Probablement représentons-nous pour eux une figure grand-parentale qui s'accorde assez bien avec la période de Noël. C'est donc convenu. Les voici qui viennent nous rejoindre en annexe, avec un sac garni de langoustes. Nous ouvrons notre bouteille de champagne apportée de France depuis le départ. Ainsi se passera notre sympathique et inattendu réveillon de Noël.

Merci Marion pour cette photo

Ils repartent dès le lendemain, jour de Noël, en direction de la Martinique, vers d'autres aventures de loisir ou professionnelle.

Bon vent et bonne mer, les jeunes !

La liaison Starlink, que nous activons par intermittence pour limiter la consommation électrique, nous permet de passer des appels videos avec nos familles en métropole et nous associer à la fête de Noël.

Sapin de camping
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Marigot Bay - voir le lagon et fuir

26/12/2024

La navigation est courte et facile. Juste en sortant de Rodney Bay, on repère le mouillage isolé de Gascon Creek, pour un éventuel prochain passage. Puis au passage devant Castries, je repère à la jumelle les deux petites zones de mouillage possibles d'après les guides et les cartes nautiques. Enserrées entre les quais des navires industriels venus décharger matériaux et pétrole, avec pour panorama les énormes réservoirs d'hydrocarbures, le coin ne fait pas rêver. Mais il me paraît toujours bon de confronter les documents et la réalité, pour une éventuelle future escale. En effet, Castries est la capitale administrative de l'île et le point le plus proche de l'aéroport. Cela pourrait donc être utile un jour d'y faire un arrêt utilitaire sinon d'agrément. Malgré les inconvénients cités, les deux mouillages ont l'air plutôt paisibles et abrités.

Départ de Rodney Bay
Gascon Creek

Nous avions gardé un bon souvenir de notre précédent passage à Marigot Bay. C'est donc avec l'esprit ouvert que nous naviguons vers cette belle baie profonde, dont le fond se termine en une sorte de lagon entouré de mangrove, une vraie carte postale, dont les opérateurs touristiques usent abondamment.

Les dernières lectures de guides sur Marigot Bay indiquent déjà un changement par rapport à ce que nous avions connu : autrefois il était possible de mouiller à l'ancre des deux côtés du chenal d'accès, et l'intérieur du lagon était exploité par une marina qui offrait des bouées et des services payants. Actuellement le côté droit du chenal est lui aussi rempli de bouées, la zone autorisée à l'ancre est donc la moitié gauche. A l'heure où nous arrivons, il y a déjà plusieurs bateaux ancrés. Lorsque le boat boy vient nous voir, nous lui signalons néanmoins notre intention de nous mettre à l'ancre ; il n'insiste pas. Nous faisons une tentative dans un espace libre, mais le fond est un peu faible et le marnage pourrait nous faire toucher pendant la nuit. Nous tentons un autre endroit, plus près de la sortie. Nous voilà assez près des autres bateaux. Il ne faudrait pas que le vent tourne dans la nuit ! Finalement d'autres bateaux arrivent encore, un énorme catamaran se déplace, son ancre a dérapé, parce qu'en plus le fond n'est pas de la meilleure tenue. Nous n'aimons pas ça et choisissons, à contre-cœur, d'aller prendre une bouée. Quelques instants après avoir éteint le moteur, le boat boy revient nous voir. Il commence par râler parce que nous avons changé d'avis, puis explique qu'il est employé du restaurant qui exploite des bouées privées ; le tarif pour la nuit est 100 EC$ (36€). Je lui fais bien répéter, cela me paraît énorme. En fait, c'est le même tarif qu'à l'intérieur du lagon, soit 1 EC$ par pied et par jour.

Tentative à l'ancre, côté gauche du chenal...
... finalement bouée côté droit du chenal

Il faut donc prendre Marigot Bay pour ce que c'est : une magnifique carte postale pour bateaux de luxe qui ne rechignent pas à payer cher leur place. Cela me rappelle la conversation avec un voyageur croisé l'an dernier qui disait à l'emporte-pièce qu'il fallait fuir les Caraïbes (pas de détail), parce que partout, c'est devenu "money, money". Je pensais qu'il exagérait un peu, mais force est de constater que la pression sur notre portefeuille s'accroît comme sur une Côte-d'Azur débutante, avec le même résultat (intentionnel ou pas) : faire fuir les "congés-payés". Après la fuite des classes moyennes, puis des supérieures, la Côte-d'Azur a réamorcé un virage vers un accueil plus conciliant, mais les dégâts ont été faits, pour le plus grand profit de zones espagnoles, marocaines et asiatiques moins gourmandes et au bénéfice des transports aériens.

Je recommande aux futurs candidats voyageurs de faire un passage en annexe dans le lagon pour la vue, éventuellement prendre un mouillage temporaire pour un déjeuner et une sieste et ensuite de fuir cet endroit.

Lagon de Marigot Bay
Arrière-cour moins glamour

Puisque nous y sommes, nous allons faire un tour à terre. La balade est limitée aux abords immédiats de la marina. Au-delà, il faut prendre un taxi, qui d'ailleurs attend le chaland au bon endroit. Dès franchi le premier rang, les maisons perdent assez vite le lustre touristique pour donner un visage moins riant de la vie locale. Très probablement les habitants sont logés ailleurs et on ne peut se défaire d'une impression de luxe factice. Le long du ponton se trouve également un hôtel de luxe avec piscine. Curieux, nous nous arrêtons sur le fronton et discutons du charme étrange de cette résidence. Le gardien nous aborde gentiment. Souvent ça commence par une formule convenue "Welcome in Paradise", que nous approuvons toujours avec bonhommie, tant cette notion est subjective, puisque même les Américains sont persuadés qu'on voudrait vivre chez eux et comme eux. Il cherche à parler un peu Français. Il nous explique que souvent les équipages des super-yachts viennent attendre et embarquer les passagers qui arrivent par avion. Effectivement cela explique que nous avons croisé plusieurs personnes traînant sur le ponton de grosses valises à roulette, luxe que la taille de notre yacht interdit à nos amis-visiteurs.

Il est possible d'accéder à la plage qui borde la côté gauche du chenal à l'aide d'un passeur qui fait d'incessantes navettes. Nous profitons de l'annexe pour faire lentement tout le tour du lagon et longer la plage. Au milieu des yachts de luxe, on voit plusieurs bateaux qui semblent abandonnés ou en piteux état. Etrange impression que ce contraste. Un petit tour à la terrasse du bar-restaurant, parfaitement située pour saluer le soleil couchant.

Ici aussi le chenal est parcouru de bateaux à touristes animés de musique tonitruante. Cette activité s'arrête de manière immédiate dès que la journée de travail se termine, c'est à dire juste après le coucher du soleil. Les habitants se lèvent et se couchent au rythme du soleil. Petit à petit, nos propres rythmes se sont calés sur cet éphéméride. La nuit et le mouillage sont très paisibles à cet endroit.

Spectacle du petit matin

27/12/2024

Dès le matin, nous nous affairons, car nous n'envisageons pas de passer une seconde nuit dans ce mouillage. Pour le prix, nous allons leur laisser nos poubelles. Nous prenons aussi des renseignements pour un plein d'eau. Une pirogue local passe nous voir en matinée ; il propose des local crafts ; nous finissons par lui acheter un panier en palmes tressées, dont nous n'avons pas vraiment besoin, mais il est peu encombrant ; on lui trouvera bien un usage.

Local craft
Arrivée du puisatier
Deux allers-retours
20 + 2*10 + 3*5 = 55 litres

Deux allers-retours en annexe jusqu'au petit ponton de la marina nous permettent de remplir cent-dix litres d'eau, que je vais payer à la marina pour un prix plutôt raisonnable (6US$ pour les 110l). L'accueil est franchement sympathique et il semble même possible de se faire ouvrir les douches, bien qu'étant mouillés dans la zone privée. Nous n'utiliserons pas cette facilité.

Autour de nous, l'ambiance est très affairée sur les pontons ; bars et échoppes sont ouverts tôt pour cueillir au mieux la manne touristique.

Salon de coiffure

En début d'après-midi, nous démarrons pour une courte navigation vers l'escale suivante.

En passant devant Castries
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Soufrière Bay

A l'approche de Soufrière Bay (avec ou sans accent grave selon les endroits), le boat boy nous aborde. Pas d'hésitations ici, les fonds sont vraiment abrupts et la bouée est bienvenue. Il aide Liliane à passer l'amarre, aide dont Liliane aurait pu se passer aisément et il vient ensuite réclamer un "tip", parce qu'il n'est pas le "ranger" officiel du parc et que celui-ci passera ensuite pour réclamer la "fee" officielle de la bouée. Avec un peu d'agacement, je lui donne 15 EC$, soit environ 5€. Il part avec un visage mécontent.

Spectaculaire
Il nous a suivi !
Mouillage à Soufrière, vue vers Les Pitons

Dans la soirée d'autres passent nous voir, certains un peu agressifs pour la vente de divers objets, par exemple des bracelets et colliers "homemade". Autrefois, j'avais l'habitude de considérer qu'il fallait leur acheter quelque chose, puisque nous profitions gratuitement de la beauté de leur île. Cependant avec les tarifs élevés des bouées, je revois un peu ma position, puisqu'il s'agit d'un droit de stationnement qui nous est prélevé. Néanmoins les vendeurs ne perçoivent que très indirectement cette manne fiscale. Ils ont du mal à comprendre que malgré notre apparente richesse, nous ne voulions rien posséder de plus, ni consommer de services proposés : taxi, tour, garbage disposal, water or gasoil refill..., que nous avons toutes l'habitude de gérer par nous-même ; de même après avoir acheté de la nourriture (qu'ils se procurent su supermarché), que nous ne puissions pas en acheter "davantage" au vendeur suivant. Cela me rappelle considérablement l'agressivité des vendeurs des souks marocains et l'incompréhension totale des taxis de Bangkok lorsqu'ils nous voyaient marcher alors que nous pourrions logiquement nous payer le luxe minimal d'un véhicule ; aucun riche sensé ne penserait à marcher. Incompréhensions culturelles irréconciliables.

Les rangers passent effectivement. Leur bateau est siglé "Park Rangers". Le tarif est de 54 EC$, avec reçu en papier. Nous réservons directement deux nuits. Nous sommes amarrés au pied des collines et avec une belle vue vers le couchant, dont nous profitons chaque soir à l'heure de notre douche de cockpit. L'eau est d'un bleu sombre tellement le fond chute rapidement.

(27/12/2024)
(27/12/2024)

Depuis que nous vivons en bateau, le coucher de soleil, aussi bien au mouillage qu'en mer, est un moment de rassemblement général, de notre équipage aussi bien que des autres équipages du plan d'eau ; navigateurs, touristes et badauds cessent leur activité pour s'abandonner à la contemplation de ce moment m... magnifique (non, pas "magique" comme on le trouve paresseusement écrit à tort et à travers, parce que je pense que c'est précisément un moment de très tangible réalité, qui ramène chacun à l'instant présent, aux instants présents pourrai-je dire, puisque les spectateurs prennent soin de poursuivre chaque seconde du déclin solaire, jusque et même après sa disparition sous l'horizon. Je ne trouve rien de plus décalé que de qualifier un beau paysage de "magique". Celui qui utilise cette expression ne fait manifestement pas attention au sens des mots. Tous ensemble, résistons à l'envie d'utiliser le mot "magique" pour décrire une réalité qu'on a du mal à qualifier. Dans ce cas, le silence est un bel adjectif qualificatif.

28/12/2024

Avec les gros reliefs qui entourent la baie, les vents n'arrêtent pas de tourner. C'est une raison supplémentaire pour utiliser leurs bouées. Au matin, les deux aussières sont bien entortillées.

Nous avons plusieurs activités utilitaires planifiées ce jour.

Courses

Tout d'abord des courses alimentaires, agrémentées de flânerie dans les rues animées de Soufrière. Cela revient assez souvent, du fait de la grande chaleur et du petit frigo.

Depuis le début de Sainte-Lucie, l'alimentation est un vrai sujet d'intérêt. Ici on constate une américanisation assez avancée, qui ne nous quittera pas de tout l'arc antillais. Les yaourts natures, tu oublies (avec le roulis permanent du bateau, il est quasiment impossible d'en faire soi-même, ils ne prennent pas). Yaourts avec du lait, oui, mais largement pas le premier ingrédient. Etonnant, non ? Quant au lait, il est reconstitué à partir de lait en poudre, tout comme les jus de fruit. Pain non sucré, rare. Jus de fruit sans sucre ajouté, très rare. En revanche, on commence à voir des fruits exotiques d'une disponibilité "normale", bien que chers. Les fruits de la passion sont abordables, car produits localement. Des échoppes qui vendent des fruits et légumes, il y en a partout.

Notre visite au (petit) supermarché confirme que les prix ne sont pas spéciaux pour touristes. Ils sont affichés et les caisses sont à lecture de codes barres. Donc les habitants paient le même prix.

Nous déjeunons au Blue Ocean Restaurant & Bar. Le poisson y est très bien préparé et le vue grande ouverte sur la baie.

Clairance

Nous préparons notre sortie du territoire de Saint-Lucia. Les Douanes et l'immigration sont sur la rue du bord de mer, mais rien ne les signale. Ici nous pouvons constater la bonhommie de la population qui nous aide spontanément en voyant (et devinant) ce que nous cherchons le nez en l'air. L'agent de l'immigration nous demande d'aller d'abord voir les Douanes (il a raison, c'est le sens officiel pour la sortie et le sens inverse pour l'entrée). Moi bien discipliné, je ne conteste pas. Mais finalement il me prend les passeports et commence la moitié de la procédure et me dit juste de repasser après les douanes. Souple... Les Douanes réclament leur écot et me délivrent le sésame de sortie. Finalement, l'administration fiscale est probablement le trait culturel le plus constant et le plus universel qui unit l'espèce des Homo Sapiens Sapiens, sous toutes les latitudes et toutes les longitudes. De retour à l'Immigration, l'Officier me délivre les passeports joliment tamponnés. Qui a dit que les formalités sont compliquées ?

Sortie prévue pour le surlendemain.

Argent liquide

Juste à côté des bureaux cités se trouve une agence bancaire. Là où se trouvait le panneau, tout est fermé et abimé. Mais là où rien n'est écrit se trouve un local avec accès mobilité réduite, muni de deux ATM et, believe it or not, cli-ma-ti-sé ! Les gens font posément la queue. Nous sommes moyennement rassurés sur la réussite d'un retrait international et les frais afférents. Un client nous propose même de passer devant lui, mais non, restons zen, nous avons du temps. Pourquoi sommes-nous tant étonnés que l'opération se passe tout à fait bien et que notre banque ne prélève aucun frais de transaction ?

Balade

Nous allons balader à pieds sur les hauteurs de Soufrière. Passé le cimetière et le lieu de culte évangélique, il n'y a plus que la route tortueuse. Côté plage, la rue se transforme en terre battue. Les maisons témoignent de la vie difficile des gens. Nous comprenons que les barques motorisées amarrées devant cette plage sont celles qui viennent à notre rencontre en mer. Il est difficile d'imaginer l'équilibre financier délicat et hasardeux de l'entretien d'un moteur, du carburant quotidien en rapport des "tips" reçus. Nous avons de nombreuses photos de maisons décaties, de rus d'eaux usées coulant librement, que nous ne publierons pas, pour ne pas céder à un voyeurisme déplacé. Il faut juste savoir que le "tropical paradise" côtoie le purgatoire.

Sensibilité ou sensiblerie occidentale, nous nous attristons déraisonnablement d'un cochon attaché court sur la plage en plein soleil. Le route débouche sur un sentier qui prend de la hauteur pour nous permettre de photographier notre bateau, transfert narcissique de tous les propriétaires de navire.

Un des Pitons, vue de Soufrière
Soufrière bus station
Douceur du soir tropical

Le chemin des canots faisant navette entre Soufrière et les Pitons juste un mille plus au sud passe de part et d'autre de la ligne des bouées. C'est donc, comme à Rodney Bay, un incessant vrombissement de hors-bords qui anime le lieu en journées. Il est inimaginable de partir nager un tant soit peu loin du bateau sans une bouée de signalisation. Nous serions manifestement plus tranquilles en mouillant au bout de cette autoroute nautique, à l'Anse des Pitons, comme cette belle goélette qui a eu la sagesse de s'y rendre directement.

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Anse des Pitons

29/12/2024

Je fais un petit aller-retour en annexe jusqu'à la ville pour effectuer la clearance de sortie de Sainte-Lucie, à dater du sur-lendemain. Puis, navigation au moteur jusqu'à l'Anse des Pitons, pour nous éloigner des nuisances sonores. Nouvelle bouée, rangers, 54 EC$.

La clairance fait aussi partie du voyage
En route vers les Pitons

A l'approche du rivage, l'inévitable canot nous approche. Les bouées sont difficiles à voir et difficiles à saisir ; cela nous paraît d'ailleurs intentionnel, ou du moins personne ne se précipite pour améliorer le dispositif, des fois que les plaisanciers deviennent plus autonome, ce qui ferait décliner le business ; nous acceptons son aide. Après l'amarrage, il attend son tip. Je lui tends 15 EC$. Il paraît satisfait, sinon jovial. Son embarcation est dénuée de pare-battages et nous n'avons pas eu le temps de brandir les nôtres. Le clapot permanent mouvemente nos bateaux et il tient à la main la bonne distance entre les coques. Au moment où il redémarre, une malheureuse seconde d'inattention et le coin arrière de son embarcation frotte sèchement notre bordé en écorchant assez profondément la peinture et l'époxy. Le bois est à nu. Je l'engueule dans le soleil déclinant. "-It's robust !", répond-il. Que lui dire, à ce bonhomme un peu maladroit qui extrait son revenu d'un travail aussi aléatoire ? Quel recours ? Je touche là du doigt la notion toute britannique de "liability" figurant dans les contrats d'assurance.

Nous sommes bien plus tranquilles qu'à Soufrière. La vue sur les deux immenses pitons qui nous dominent quasiment à la verticale est étourdissante. On imagine le fond qui descend aussi à la verticale à leur pieds. Seul un petit épaulement face à la plage a permis de poser les corps-morts des bouées.

Sur la plage est installé un hôtel grand luxe. Il a l'air assez peu fréquenté, malgré la saison favorable. Difficile entreprise que le tourisme.

Comme nous avons déjà visité dans le passé le jardin botanique, les eaux sulfureuses et la cascade, nous n'envisageons pas de revisiter. La clearance est en règle, nous avons un semblant de hâte à quitter cette île et tenons surtout à passer un nouvel an ailleurs. Saint-Vincent présente tout à coup un air de nouveauté très attirant.


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Publié le 14 février 2025

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Saint-Vincent est l'île majeure de l'archipel qui constitue le pays nommé "Saint-Vincent and The Grenadines". Dans ces îles des Petites Antilles, on trouve donc les Grenadines de Saint-Vincent et plus au sud les Grenadines de Grenada.

Pour comprendre notre abord de cette île, il faut savoir que douze ans auparavant nous sommes passés dans cet arc antillais et que nous avions prudemment évité d'accoster l'île de Saint-Vincent dont la réputation était entachée de récits d'agressions et de vols à la tire. Un de nos guides nautiques, postérieur à ces évènements, indiquait que "the bad guys have been removed". D'autres navigateurs croisés au Marin nous ont indiqué que tout s'était bien passé pour eux. Nous avions donc décidé de tenter la visite cette île réputée pour sa beauté. Nous pouvons ici témoigner que partout nous avons été reçus avec des attentions au-delà de nos attentes, et de manière désintéressée pour autant qu'on dépasse un peu la première zone de contact. Même dans Kingstown qui nous avait été décrite comme un coupe-gorge, à aucun moment nous ne nous sommes sentis en insécurité. Tout au plus est-il conseillé d'éviter de partir seul dans l'est de l'île. Sans doute (pure spéculation) y a-t-il une séparation bien comprise entre les zones touristiques et les zones sous contrôle de bandes qui pratiquent d'autres commerces. Nous avons appris plus tard que le Gouvernement a longtemps diffusé des messages radiophoniques de formation de la population en vue d'un abord plus lisse de la relation commerciale aux touristes. C'est en tous cas assez réussi et Saint-Lucia gagnerait à s'en inspirer.

Navigation de Saint-Lucia à Saint-Vincent

30/12/2024

Nous partons tôt de l'anse de Pitons (Saint-Lucia), pour une douce navigation d'environ sept heures jusqu'à Chateaubelair (Saint-Vincent), en partie sous régulateur d'allure dans un alizé modéré de 10 à 15 nœuds. Nous sommes doublés par "Red Two" un class 40 que nous avions vu mouiller dans la baie des Pitons. Ce genre de bateau navigue à peu près à la vitesse du vent dans ces bonnes conditions, et nous plutôt à la moitié. Contrairement à nous, ce navigateur prend probablement un soin méticuleux à ne pas surcharger d'eau douce et d'outils son pur-sang. Contrairement à nous, l'équipage porte un ciré (léger).

Les pitons s'éloignent rapidement dans notre sillage, photogéniques jusqu'à la fin.

Autres mouillages possibles au sud des Pitons
Mister Swing à la barre

Pour ceux qui ont vu le film "1492" de Ridley Scott, les images de l'arrivée de Christophe Colomb face aux montagnes abruptes entièrement couvertes de végétation luxuriante sont comparables à notre impression lors de notre approche de Saint-Vincent. Les habitations sont rares, on les perçoit difficilement. L'arrivée sur une île me fait assez systématiquement l'impression d'une découverte (au sens littéral de "lever une couverture"), nonobstant le tombereau technologique sur lequel nous naviguons et sans le secours duquel nos navigations seraient plus "empâtées".

-Terre !
Sous le vent de Saint-Vincent
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Chateaubelair

Chateaubelair est le premier endroit de clairance possible à Saint-Vincent en venant de (ou en partant vers -) Saint-Lucia. Comme c'est au nord de l'île, la houle de nord-est de l'Atlantique parvient à la contourner. Pas de port, à peine un débarcadère pour le ferry. Un petit tour d'observation devant la plage et le ponton achève de nous convaincre qu'il est impossible de rester là pour la nuit. Une zone de mouillage sûre (du point de vue du fond de sable) se trouve un demi-mille plus au nord, à l'autre extrémité de la plage, devant de beaux rochers avec une crête de palmiers. Pendant que nous nous acheminons vers cet endroit, nous sommes rejoints par un gamin sur un paddle, muni de pagaies. C'est un des boat boys. Il nous fait des signes, de peur que nous soyons pris en charge par un autre. J'avoue me laisser attendrir par la persévérance de ce gamin, qui pagaie fort pour nous suivre (moteur au ralenti). Il nous "conseille" le meilleur mouillage, qui est de toutes façons repéré sur la carte nautique. Et aussi de faire attention au rayon d'évitage, car les vents tournent. Il a bien mérité son "tip", d'autant plus qu'il est probablement en vacances scolaires et pas en train de sécher l'école, ce que je n'aurais pas encouragé (Cf. expérience de Sal au Cap Vert).

La crête de la colline qui borde le mouillage est ornée de palmiers, particulièrement photogéniques dans la chaude lumière du jour déclinant. Seule la houle résiduelle promet de nous gâcher un peu la nuit. D'autres bateaux sont déjà ancrés dans les bons recoins, les mieux protégés. Nous prenons la deuxième ligne, par huit mètres de fond, en y mettant bien trente mètres de chaîne et beaucoup d'espace avec le voisin. Pavillon Q jaune (pour signifier que nous sommes sous douane), boule de mouillage.

Chateaubelair et sa plage
Mouillage à Chateaubelair

Nous voilà partis en annexe, vers ce qui nous paraît un petit village. Nous apprendrons plus tard que ce bourg d'allure modeste est tout de même doté d'une banque, d'un hôpital et de deux petits supermarchés.

"I've found no sign for the Customs, do you know...". Avant même d'entendre la fin, un interlocuteur attentionné nous montre les facilités du village. Il n'a rien à nous vendre, mais est content de nous parler. Deux femmes balaient la plage en enfouissant apparement les feuilles sous du sable. Dans un passage entre deux bâtiments se trouve une porte et c'est bien le bureau de l'immigration et des douanes. Fermé. L'explication est que le lundi est le jour où on apporte les documents à la capitale, pas du tout les horaires qu'on trouve sur Internet et les réseaux sociaux. Puisque c'est ainsi, nous reviendrons mardi.

31/12/2024

Mardi, jour de clearance. Il y a déjà deux skippers quand j'arrive. Leurs catamarans ancrés devant la plage, juste le temps de réaliser ces formalités, les skippers des charters connaissent toutes les astuces pour écourter ces procédures. L'un d'eux dispose d'un canot à moteur, il fait régulièrement, dit-il, le trajet vers Sainte-Lucie pour transporter du matériel ou des personnes, une sorte de service de ferry privé et individuel, l'équivalent nautique des avions privés affrétés à la demande. Small business is business.

Vue vers le nord
Le discret bourg de Chateaubelair

Au guichet de l'immigration, le poste radio diffuse de la musique au niveau maximal. L'appareil est posé précisément entre l'Officier et le client. Difficile de comprendre l'Anglais avec accent créole ânonné sur le ton administratif monocorde. Je reste toujours d'une extrême politesse avec tous les douaniers et policiers du Monde, qui ont le pouvoir de nous gâcher la vie. Finalement il baisse le son, d'un air lassé. La bonne nouvelle est qu'il trouve mon avis d'arrivée Sailclear sur son ordinateur. Nouveaux tampons sur les passeports, chouette ! Je suis le dernier client, il part. Ensuite la Douane le guichet immédiatement attenant et quelques XCD en moins dans le porte-feuille (71 EC$). Lui paraît plus conciliant avec les visiteurs, il va couper le poste radio de son collègue et m'explique plusieurs visites possibles de l'île. Un peu étonné qu'il fasse Office du tourisme, je l'écoute, soupçonnant la suite : une fois les procédures finies, il change de "casquette", il n'est plus douanier et me tend un bout de papier avec son numéro de téléphone. Il fait aussi taxi en dehors du Service.

La clairance nous autorise un mois de séjour pour la douane, qu'il est possible de prolonger ; et six mois pour l'immigration.

En balade à pieds sur la route qui longe la plage, on trouve encore des décorations en guirlande "Merry Christmas", ainsi que les rois mages et une cabane hébergeant un enfant-Jésus. Ce n'est manifestement pas l'endroit où afficher des convictions religieuses divergentes en portant mon tee-shirt du FSM.

Comme en Galilée
L'enfant Jésus, il y est !

Les maisons sont modestes et très colorées. Les passants nous saluent, plusieurs entament la conversation. On apprend ainsi qu'il existe un boulanger ambulant qui klaxonne lorsqu'il arrive, comme dans nos villages de montagne. Il ne semble pas y avoir de date certaine de son passage.

J'en aurais bien besoin...

Le route traverse une rivière où des enfants se baignent, une femme lave du linge. Cela m'évoque évidemment les images des pratiques lavandières du Paillon à Nice au début du siècle passé, que j'ai vue en cartes postales et que mes grands-parents ont connues.

De retour au bateau, il se trouve encore un vendeur de fruits en paddle. Nous lui achetons quelques concombres.

L'admirable persévérance du vendeur de fruits

Le réveillon de fin d'année s'organise à bord. Au Marin, par une sorte d'acte réflexe, j'avais saisi un bocal de foie gras à Auchan. Assorti d'un Médoc sorti des fonds et de petits toasts grillés avec le pain trouvé au supermarché, cela fera une excellente soirée à deux. Heureusement que c'est bon, parce qu'il faut tenir son assiette dans le roulis pendulaire.

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Mercredi 01/01/2025

Bonne année 2025 à tous les lecteurs, qui nous honorent de leur temps.

Bienvenue, jour 1 de 2025
Saint-Vincent and The Grenadines

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Cumberland Bay

Départ tranquille en fin de matinée pour une navigation d'à peine trois milles nautiques jusqu'à Cumberland Bay. Nous adoptons progressivement la nonchalance tropicale qui nous pousse à ne plus sortir qu'une voile d'avant, tellement facile en enrouler à l'arrivée. Elle suffit à nous déhaler à quelques nœuds.

Vers Cumberland Bay sous génois seul
Du très beau
Sous le vent de Saint-Vincent, plusieurs mouillages possibles

C'est un abri bien fermé, garantie d'un plan d'eau calme. Au milieu, la profondeur est de vingt-cinq mètres et elle chute rapidement à partir des bords. Il est impossible d'y faire tenir une ancre sur le flan pentu. Il est d'usage de pratiquer l'amarrage dit "à la tahitienne", c'est à dire de mouiller une ancre par vingt mètres en reculant vers la plage et de porter une amarre à terre sur un cocotier (généralement). Un boat boy nommé Cas (aka Casto), star des réseaux sociaux, vient nous voir avec son canot dès l'entrée de la baie et il propose de nous assister. L'assistance consiste à nous guider en marche arrière pour faire un créneau entre deux bateaux déjà mouillés, prendre notre amarre arrière, la tirer jusqu'à la plage (prévoir une bonne quarantaine de mètres), descendre dans l'eau et aller la nouer autour de l'arbre. Pour le coup, c'est un sacré boulot, il mouille sinon la chemise, du moins son short. Il fournit un service réel ("il délivre" un service aurait écrit un journaliste mal-traduisant de l'Anglais). Le tarif usuel était de 20 EC$ assez récemment, témoignage de Antoine et Marion. Il me demande 30 EC$, je fais l'étonné. Il m'explique gravement que depuis qu'ils ont des canots à moteur, c'est plus cher à cause du carburant. De fait, son assistant qui suivait notre manœuvre en restant à l'avant du bateau et en donnant à Liliane le top pour descendre l'ancre, propulsait sa barque à la rame. Cas m'explique que les trente EC$ couvrent les prestations des deux personnes. Je trouve le prix raisonnable. Dans la foulée, il m'explique que ce qu'il gagne avec les mouillages, c'est pour envoyer sa fille faire des études. Elle veut devenir Premier Ministre. Je l'encourage vivement ; mieux vaut rester dans les bons papiers avec la famille d'une future gouvernante, on sait jamais ! Cas tient aussi un restaurant sur la plage et il propose des excursions en taxi. Je note donc son numéro de téléphone portable.

Approche de Cumberland Bay
Contemplation amarre arrière
Ajustement des amarres
"-Il avait de très beaux yeux", dixit Liliane

La baie est remplie de bateaux, nous avons le plaisir de nous trouver quasiment au bout de la plage, un peu isolés des autres.

Paradis tropical ?
... une certaine façade du Paradis tropical
A la table de chez Cas

Nous passons un soir à la terrasse de son restaurant de plage : c'est très "root", ou "authentique" dirait-on pour se donner le frisson de vivre quelque chose d'exceptionnel dans une civilisation perdue. Tables et chaises sont en planches de récupération, menu "pork chop or chicken". Les deux goûtent bien, comme disent les Québécois.

02 janvier 2025

Nous avons repéré le "laundry service", tel qu'indiqué dans les guides nautiques et sur les réseaux sociaux (Navily). Le lieu se trouve au milieu d'une installation étatique de plusieurs bâtiments, qui fait comme une enclave au milieu des baraques et payotes privées comme on en retrouve sur toutes les plages des Caraïbes. Une magnifique machine à laver de 15 kg est sous la responsabilité de la souriante Sonia, qui tient aussi le bar attenant.

La lessive en voyage est une opération d'envergure. Nous débarquons le matin avec les sacs de linge pleins, soit deux semaines environ d'autonomie. Il faut dire que sous ces latitudes, on s'habille moins qu'à Paris en hiver. Le tarif (30 EC$) inclut la lessive et le soin que Sonia y apporte. De grands fils nous offrent le luxe de d'étendre le linge au grand air dans l'alizé.

Liliane et Sonia
Setting an appointment for water supply
Impressionnant : plus de dix-sept sacs poubelle déchargés de cette annexe

Nous avons réservé un tour en taxi, pendant que le linge sèche. C'est un copain ou un cousin de Cas, bien sûr. J'ai bien tenté de négocier le regroupement avec d'autres voyageurs, mais il n'y avait pas d'autre candidat en ce début d'année. Ce sera donc 50 US$ pour nous deux en taxi privatisé, c'est-à-dire qu'il ne prendra pas d'autre voyageur sur le trajet. Il faut comprendre qu'il n'y a pas grande différence de véhicule entre un taxi privatisé et un "bus", juste le service diffère. Destination traditionnelle : "The Waterfalls", chutes d'eau mises en exergue dans tous les circuits touristiques. Celles de Saint-Lucia nous avaient un peu déçus, il ne faut pas s'attendre à voir des chutes vertigineuses façon Iguazú.

Ces îles ont hérité des Anglais la langue, la conduite à gauche et, horresco referens, le jeu de cricket. Chaque village a donc un terrain doté d'une pelouse soigneusement tondue. Notre dynamique chauffeur manifeste de l'enthousiasme à nous faire connaître Saint-Vincent (une petite portion). Je le questionne au sujet des canalisations qu'on voit le long de toutes les routes, sans exception. Il s'agit vraiment du circuit de distribution d'eau potable, à l'air libre. Cette île a reçu le don de disposer de beaucoup de sources d'eau, don du ciel donc. Les habitants disposent de l'eau gratuitement et raccorder une nouvelle maison est on ne peut plus simple : une perforation, un collier, une vanne.

La route nous faire revisiter, vues d'en-haut, les baies que nous avons croisées par la mer et notamment le mouillage de Chateaubelair, décidément bien joli. A l'arrivée aux Waterfalls, le portail est fermé. Un collègue de notre chauffeur lui clame quelque chose en langage vernaculaire. Il sort discuter avec l'employé et revient nous expliquer : le pont d'accès est rompu. Des touristes trop turbulents (stupides ?) y sont montés en surnombre aux limites indiquées et ont joué à la balançoire sur le pont en bambou. Le chauffeur est visiblement marri. Je le rassure sur le fait qu'une autre balade nous conviendra. Il propose d'abord d'aller visiter une carrière. Allons-y. Quelques minutes de route et nous passons tout prêt d'une carrière de roche, avec des gigantesques engins de chantier. Impressionnant qu'au milieu de montagnes couvertes de végétation s'en trouve une, creusée et râpée comme une sorte de dent cariée. Dois-je lui suggérer de conserver son île entière, au risque de commettre un impair néo-colonialiste ?

Cumberland Bay, vue d'en-haut
Musique très appréciée
Traces culturelles du passages des Français
Chateaubelair vu d'en-haut
Discrète trace d'agriculture
Autre perspective de Cumberland Bay

Puis il nous propose d'aller voir un ami qui cultive, car je lui avais fait part de mon étonnement de ne pas voir de cultures alors que cette île est quand même le grenier de l'archipel. Il s'est pris au jeu et a cherché à nous montrer des clairières cultivées au milieu des frondaisons, parfois très en pente. Contrairement à Madère ou au Cap Vert, ici on ne voit pas de cultures en terrasses. La visite chez un cultivateur de légumes confirme la zone arboricole enserrée de forêts.

Après la distribution d'eau, je lui pose plein de questions sur la production d'électricité. Il est important de comprendre que beaucoup de ces îles ne sont habitables que grâce au pétrole. C'est le pétrole qui permet de produire de l'électricité et l'électricité qui permet de produire de l'eau douce en dessalant l'eau de mer (ou "dessalinisant", ce qui fait plus riche). On convertit donc assez souvent du pétrole en eau douce, pour faire court. Seules les îles montagneuses disposent naturellement d'eau courante. Notre chauffeur rebondit : "Justement je travaille à la station d'électricité, je peux vous faire visiter si vous voulez". Comme la plupart de gens croisés ici, il pratique deux métiers (au moins) pour joindre les deux bouts ("make ends meet"). Nous approuvons l'idée. En désespoir de ne pas pouvoir nous faire la visite prévue initialement, il semble heureux de trouver ces visites alternatives. Nous passons dans son village ; maisons colorées, rues vivantes, klaxons et interpellations à chaque voisin ou cousin croisé. Le long de la route à l'approche de l'usine se trouve un gros tuyau d'acheminement de l'eau sous pression destinée à l'usine hydroélectrique. En bois ! Difficile à croire, je lui fais bien répéter. Sur des kilomètres de distance et des centaines de mètres de dénivelé serpente ce gros boudin de fines lamelles posées bout-à-bout et côte-à-côte, tenues par des cerceaux de métal. Cela fait penser un peu au principe du tonneau, mais cylindrique. Cela évoque aussi la construction des coques de bateau en "strip-planking", mais sans colle. Notre chauffeur est précisément chargé de maintenir ces tuyaux en état, par exemple en changeant les lamelles qui cassent. Il répond à notre curiosité et nos étonnements. Nous pénétrons avec lui dans l'enceinte, puis dans la station de production, avec une salle de contrôle d'où le contrôleur supervise cette station, ainsi qu'une autre à distance. Toute l'île est ainsi dotée de plusieurs secteurs indépendants. Nous chaussons un casque de chantier obligatoire et entrons dans la salle des machines. Fascinant de voir les deux turbines turbiner et les alternateurs alterner. Petit moment de fierté nationale, la turbine est une Nyerpic, du temps où l'industrie française fabriquait. Les puissants jets d'eau, débarrassés de leur énergie potentielle convertie en énergie électrique, s'écoulent dans un canal qui rejoint la rivière, celle précisément où la lavandière lavait son linge quelques jours plus tôt.

Fascinant réseau de tuyau de lamelles de bois !
Côté droit la turbine ; côté gauche l'alternateur
Le meilleur, donc.

Ainsi prend fin notre visite touristique inattendue. Au retour à Cumberland Bay, je suggère au chauffeur d'inclure la station électrique dans un tour officiel. Pas sûr qu'il y ait de nombreux clients technophiles, mais pourquoi pas ?

03 janvier 2025

Nous avons réservé un créneau à dix heures pour faire le plein d'eau des réservoirs du bateau avant de partir dans la foulée pour notre navigation. C'est encore Sonia qui s'est chargée de la réservation auprès d'un employé débonnaire à l'allure et la coiffure rasta. Débonnaire, mais ponctuel. Contrairement à l'image charriée par les brèves de comptoir, tous les rendez-vous que nous avons pris dans les Grenadines ont été honorés ponctuellement. Pas nous ! Inquiets de voir un énorme ketch occuper le seul ponton d'accès au tuyau d'eau, je commence par m'y rendre en annexe. Le skipper m'assure que ça ne pose pas de problème, parce qu'il y avait déjà un bateau à côté de lui cette nuit. Bon, il va falloir faire la manœuvre d'amarrage en marche arrière tout seuls cette fois-ci. De retour au bateau, avec Liliane nous répétons soigneusement l'enchaînement : je recule, tu descends l'ancre à vingt mètres, je recule jusqu'au ponton, tu laisses filer, à trois mètres du ponton tu bloques, je lance l'amarre au rasta, tu reprends le mou pour rester bien droit. Un peu tendus, nous nous lançons... hourra ! ça fonctionne du premier coup.

En r'tard, en r'tard !
Démarrer (littéralement) du cocotier
Remplissage d'eau au ponton à Cumberland Bay

Nous prenons le tuyau et remplissons à la fois les réservoirs principaux et tous les bidons que nous utilisons pour nos douches, soit cinquante-cinq litres. C'est notre système bien rodé maintenant qui permet de conserver l'eau potable séparée de l'eau sanitaire dans laquelle je ne mets pas de pastilles désinfectantes (fort chères).

Voyant notre manœuvre, le ketch voisin en profite pour lancer l'opération de remplissage d'eau à son tour.

Je file payer (Sonia encore) : 60 XCD ; le prix est défini un peu au pifomètre, selon la taille du bateau, nous dit-on. Cela nous revient ici à environ 8 centimes d'euros le litre.

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Navigation de Cumberland Bay à Young Island

Le plein fait, sous un grain intense, nous débordons largement la pointe sud qui est indiquée comme pleine de récifs. La côte comporte de nombreuses petites baies où mouillent parfois des bateaux. Il faudra revenir pour explorer tous ces mouillages. Un jour...

Départ de Cumberland Bay sous grain

Au passage devant la baie de Kingstown, rien ne nous apparaît attirant. Quelques bateaux mouillés devant une immense zone portuaire et des tas de sable. Nous décidons de poursuivre notre route et d'y revenir par des moyens terrestres.

Nous prenons une bouée dans le chenal entre Young Island et Villa, une mini-station balnéaire. Il est difficile de comprendre à l'avance comment s'agencent les pontons, les installations privées et les accès routiers. Contrairement à nos régions où la loi Littoral impose que tout le littoral soit public, le bord de mer des îles est très souvent privé. Il faut donc tenter, et la plupart du temps on trouve, un ponton appartenant plus ou moins à un restaurant, qui tolère qu'on accoste. Il aurait été possible de nous ancrer en arrière de la zone des bouées, mais il y a beaucoup de courant dans la passe et je ne connais pas bien la tenue du fond. Nous sommes presque au sud de Saint-Vincent, les reliefs sont moindres qu'au milieu de l'île et nous protègent moins des rafales du vent.

Dans le chenal entre Villa et Young Island
Young Island

Un souriant boat boy vient nous expliquer qu'il habite sur le catamaran d'à-côté et qu'il collecte la redevance ("fee") pour le propriétaire de cette bouée. C'est bien compliqué ; je tente de négocier un prix ; seulement à partir de trois jours ; je me méfie un peu ; je note son nom et je paie seulement deux jours.

Un rapide tour à terre ne nous convainc pas ; les restaurants sont peu alléchants, bien que ce soit l'endroit réputé de l'île.

Dans la nuit, je suis terrifié de voir l'énorme catamaran à cinq mètres de notre arrière. Il est amarré sur deux bouées, donc lui ne tourne pas avec le courant, contrairement à notre embarcation. J'observe un moment, mais la situation reste stable.

Belle conjonction de la Lune avec Vénus au couchant
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04 janvier 2025

Kingstown

Nous nous lançons à pieds sur la route vers Kingstown. Avant même que nous soyons arrivés à l'arrêt de bus, un klaxon insistant nous avertit précisément de l'arrivée d'un bus collectif. Il s'agit bien d'un van dans lequel les passagers sont entassés. Nous comptons dix-neuf personnes. C'est très bien organisé : le chauffeur conduit, sono à fond, ne ménageant pas sa monture ; son assistant fait de la voltige par la portière latérale à chaque arrêt ou chaque départ, il encaisse les passagers qui descendent et ordonnance les passagers qui montent avec force strapontins et sièges pliants.

On ne peut nier le pragmatisme de cette solution où les multiples conducteurs de ces vans privés participent au réseau de transport de toute l'île. J'observe les montants payés par les autres passagers, qui confirment ce que nous avons lu sur les réseaux sociaux. C'est très bon marché (2,50 EC$ par personne). Nous descendons à ce qui nous semble être le centre ville de Kingstown, Google Maps aidant.

Astuce : en absence de réseau data, penser à télécharger les cartes Google Maps en local sur le téléphone lorsqu'un accès Wifi est disponible. Il suffit ensuite d'activer la localisation GPS pour pouvoir s'orienter sans consommer ni même activer les data.

Nous cheminons, un peu déboussolés dans cette zone animée et bruyante. Des gens partout, vendant des fruits, attendant (apparemment) un bus, nous interpelant pour proposer un taxi, des véhicules klaxonnant en tant que de besoin et toujours des radios à fond.

On ne se refait pas...

Le marché est assez abondamment fourni et nous repérons les deux supermarchés. Nous achèterons après avoir fait une petite visite de la ville. On fait assez rapidement le tour et on finit par se repérer. D'ailleurs cela nous donne un petit creux. On ne voit rien qui ressemble à un restaurant. Liliane avise une ruelle où s'agglutinent des locaux en file indienne. Il s'agit bien d'une sorte de self, méthode Mac Donald, mais cuisine aux odeurs d'épices. Difficile de comprendre comment ça fonctionne. Rien n'est indiqué par écrit. Je demande, mais les réponses sont contradictoires, une dame affirme "-Stay here, it's ok", un monsieur dit qu'il faut d'abord aller payer. Ah non, c'est seulement pour les grillades. Nous suivons la file. Un troisième s'étonne qu'on prenne aussi peu d'accompagnement, et nous invite à charger nos assiettes, c'est à volonté. Ça fonctionne et nous avons nos plateaux pour aller déjeuner à l'étage.

Plus loin, nous trouvons aussi un distributeur de billets. Il est parfois avantageux de changer "massivement" des billets pour limiter le poids de la commission bancaire et avoir un meilleur taux que directement auprès des vendeurs. Il se trouve qu'avec notre Carte Bancaire, aucun frais ne sera prélevé (Fortuneo). Bonne surprise. Finalement, rien n'est affiché, mais tout fonctionne.

Nous passons aux courses, munis de nos deux gros sacs Ikea bleus pliés.

Le supermarché nous baigne dans l'ambiance exotique du monde américain : du sucre partout. Nous passons pas mal de temps à lire les étiquettes. Dans un yaourt, le lait n'est que le troisième ingrédient. Seul survivant de l'ancien monde : le cheddar. L'ail aussi, à sa manière, fait de la résistance, il vient de Chine. Pourvu que cette information ne parvienne pas à la connaissance du Président Trump !

Retrouver le bus du retour dans une ville où rien ne figure par écrit et où les bus sont eux-mêmes des initiatives privées demande un peu de recherche. Il y a bien des endroits qui ressemblent à des arrêts de bus. Nous interrogeons une occidentale qui paraît savoir pourquoi elle attend le bus. Elle nous donne au moins un indice : la destination figure sur les essuie-glaces. Interrogeant un conducteur de bus, il m'explique à toute vitesse avec un terrible accent et je crois comprendre que nous ne sommes pas au bon endroit pour la direction visée, il nous invite à retourner au centre-ville. Le chauffeur de derrière nous klaxonne : explications, palabres au milieu de sa radio tonitruante ; il nous fait signe de monter. Musique et moteur à fond, le bus nous ramène vers le centre. Nous finissons par comprendre : tous les trois avaient raison : la destination est écrite sur les essuie-glaces, l'arrêt de bus était sur le chemin de l'aller et nous repassons donc par la station centrale, qui n'a ce statut que par le nombre de personnes qui y attendent. Après un court moment d'attente et toujours baigné d'un niveau sonore maximal, le bus entame son chemin de retour. Sur la route, je signale à l'assistant que nous devons descendre, en lui donnant comme indice le nom du restaurant où notre annexe est restée cadenassée au ponton. Je n'y croyais pas trop, mais ça fonctionne. Il faut comprendre la dynamique de l'action pour bien imaginer le scène : freinage brutal, ouverture fulgurante de la porte coulissante, assistant bondissant sur la chaussée pour livrer le passage aux clients et encaisser, air saturé de Reggaeton. Un peu stressés, nous nous hâtons tant bien que mal hors du van, dépliant nos articulations rouillées, avec nos gros sacs de course à l'épaule, portefeuille d'une main et billets de l'autre, chapeaux, tongs et lunettes de travers ; nous nous apprêtons à traverser la route, attendant que notre bus redémarre. C'est alors que se produit l'inattendu : voyant notre empêtrement, l'assistant attentionné se met en travers de la route et protège notre traversée, ce qu'il n'a fait pour aucun autre passager. Ainsi fut l'accueil des Vincentais pour nous ("vincents" en Anglais).

Waiting for the bus at the wrong place
L'assistant décide qui monte à l'avant

05 janvier 2025

Le matin, j'aperçois l'exploitant de notre bouée sur son pneumatique. Je lui fais signe, il approche avec les joyeuses salutations d'usage. Nous négocions une troisième nuit à la bouée. Nous obtenons un tarif un peu dégressif (60 EC$ au lieu de 70).

Plutôt que de poursuivre la route vers d'autres îles, nous allons mettre cette journée à profit pour une exploration des environs en annexe. Le vent est assez fort et le trajet face au clapot plutôt humide. D'abord jusqu'à Blue Lagoon Marina. Le nom fait rêver. Pour y accéder, il faut passer par un chenal très succinctement balisé entre les cayes. La lecture des documents nautiques et des cartes nous avaient dissuadés d'y amener Tusitala. Bien nous en a pris. L'intérieur du lagon est occupé par une marina, jouxtant une belle plage. La balade en annexe suffit, l'espace est très encombré de bateaux sur bouées et quelques uns à l'ancre. Nous sommes bien contents d'avoir pris un mouillage dans un endroit plus dégagé.

Navette entre Villa et Young Island Paradise
Balade en annexe vers Blue Lagoon
Balises d'entrée du Blue Lagoon
C'est bien une balise ROUGE
Un qui n'a pas dû respecter les balises
Du très beau catamaran

Nous ressortons du dit lagon, le long du bord de mer. La réputation d'une Riviera très développée nous paraît surfaite. Quelques restaurants tentent de présenter une façade attirante côté mer, mais l'entretien des structures fixes externes est sans doute difficile. On trouve peu d'accès à la terre, les pontons sont rares, les promenades sont aménagées avec parcimonie dans les limites de chaque domaine privé, hôtel ou restaurant. On tente quand même d'accéder à une terrasse, pour laquelle il faut repasser par la grand-route, car il n'y a pas de coopération entre restaurants pour offrir une promenade de bord de mer continue. L'entrée dans la zone du restaurant est payante car c'est aussi un accès à la plage entretenue. Le service en terrasse est au lance-pierres, les "-U'r welcome" de convenance, le repas assez quelconque, les prix élevés. Fuyons !

Nous revenons en annexe vers Young Island et l'île Duvernette, spectaculaire au milieu de la houle. Un fort tout en haut a été jadis construit par les Français avant de rétrocéder aimablement la gouvernance de Saint-Vincent aux Anglais en 1763. Nous renonçons à débarquer aujourd'hui, en laissant l'annexe amarrée en bas ; avec un peu de clapot, elle se ferait déchiqueter sur le minuscule quai de béton. Nous revenons à Young Island. Le petit quai sert à débarquer de fréquentes navettes remplies de touristes comme nous, qui viennent passer quelques heures et repartent sur Saint-Vincent. Le tour est vite fait : une baignade à partir de la plage et une balade à pieds au milieu des bungalows. Le dépliant annonce que c'est un endroit où on passerait une Lune de Miel paradisiaque. Certains bungalows sont mignons, d'autres moins. Bref, nous sommes loin d'être éblouis par ce qui nous était présenté comme un coin balnéaire hors du commun, contents d'avoir fait le tour et avec la perspective de partir le lendemain.

Duvernette Island
Vers Bequia
Le chenal entre Villa et Young Island

Ainsi se termine l'étape sur Saint-Vincent. Dès demain, nous entrerons dans les Grenadines de Saint-Vincent.

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06/01/2025

Battowia & Baliceaux

Avec l'alizé qui reste un peu nord-est, il est alléchant en quittant Saint-Vincent de faire un passage près des îles Battovia et Baliceaux, relativement inhospitalières et donc désertes. Partis assez tôt du mouillage de Young Island, un bord direct au près bon plein nous y amène. A partir d'ici se trouve un chapelet d'îles aux reliefs moins imposants. C'est aussi le début de la zone où la couleur turquoise domine les bords de mer.

En route !
Duvernette Island
Bye bye Saint-Vincent
Entre les îles, des sargasses...

Avec émotion, nous passons devant les austères rochers de Battovia au pied desquels bât la faible houle. Nous abattons ensuite légèrement vers Baliceaux, dont le côté sous le vent offre un longue plage, ourlée de cayes de coraux. Nous la longeons sur un bon mille, à la recherche d'une anse figurant sur les cartes, réputée propice à un mouillage, justement nommée Landing Bay. Impeccable pour un arrêt déjeuner et sieste à l'ancre, face aux palmiers dans de l'eau transparente. Cependant, la météo annonce que le vent va se renforcer dans les prochains jours ; le mouillage pourrait devenir très inconfortable la nuit.

Au bon plein vers Battowia et Baliceaux
Battowia et Baliceaux
Sous le vent de Baliceaux
Landing Bay à Baliceaux
Turquoise...
... et turquoise
What else ?
Pare-soleil improvisé
Battowia et Baliceaux dans le sillage

Quelques minutes après avoir levé l'ancre, Baliceaux s'éloigne dans notre sillage et nous croisons un catamaran qui se dirige vers la même baie, comme si une réservation avait cédé sa place à une autre.

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Mustique

Nous poursuivons notre courte route vers Mustique. Le vent est portant, nous nous laissons tirer par le Code D. Lors d'une précédente croisière dans cette partie des Caraïbes, j'avais gardé la frustration de ne pas pouvoir y venir par manque de temps. Mustique est une île à peu près complètement privée, gérée comme une co-propriété de riches propriétaires. L'approche le long du flanc ouest montre de très belles demeures spacieuses et espacées. L'île est devenue particulièrement célèbre lorsque Mick Jaegger y a élu domicile. Il a lui-même conféré ses lettres de noblesse à l'estaminet local nommé Basil's Bar.

Bonne idée, on va par là
Sous la voile, Canouan
Approche de Mustique
Mustique Island
Plages et constructions soignées
Mustique à gauche, Canouan sous le Code D


Mustique : la zone de mouillage

En approchant de la zone de mouillage nous sommes rejoints par une embarcation à moteur. Nous nous attendions à un prix dissuasif, avec l'intention de rester un minimum, mais finalement le tarif forfaitaire de 220 EC$ (~80 €) pour séjourner de une à trois nuits nous incite à rester plus que nous ne l'avions imaginé. L'utilisation d'une bouée est obligatoire tant qu'il en reste de disponibles. Elles permettent aussi d'approcher assez près de la plage et de raccourcir la distance à parcourir en annexe. La conversation est très cordiale et la règle n'a pas l'air si stricte que ça. Le ranger nous explique nos droits de déplacement, les échoppes de mode et de ravitaillement, les excursions possibles, en taxi privé bien sûr, parce qu'il n'y a pas de bus.

De notre mouillage on peut apercevoir dans le soleil couchant un chapelet d'îles appartenant aux Grenadines : vers l'ouest on voit Bequia, vers le sud, en subtils dégradés de gris, on aperçoit Canouan, Mayreau assez bas sur l'eau, Union derrière et tout au loin Carriacou. Ça donne une intense envie d'aller plus loin.

Près de la Britannia Bay qui est la seule autorisée pour nous, se trouve un immense yacht de luxe. Je regarde à l'AIS : c'est le Multiverse, 116 mètres de long. Tiens ! Serait-ce Mark Zuckerberg ? Pas tout à fait, c'est celui de son pote Yuri Milner.

Le Multiverse

Snorkeling ("PMT" en Français : Palmes, Masque, Tuba)

07/01/2025

Nous partons du bateau pour rejoindre à la palme le récif qui borde la plage. Des poissons, un peu, mignons et colorés, mais on est loin de l'aquarium tropical. La flore en général et en particulier le corail est une désolation, probablement haché par la houle du récent ouragan Béryl, dont nous allons progressivement voir les dégâts terrestres. Le récif s'étend tout au long de la plage. Il empêche d'y accéder en annexe et nous comprenons mieux d'avoir vu un plaisancier tenter plusieurs approches infructueuses avec la sienne. En nageant, on y parvient selon un chemin aléatoire et tortueux. Une photographe et sa jeune modèle maquillée et habillée de beau linge font un "shooting" et comparativement nous passons vêtus de guenilles, nos palmes sous le bras. Contrairement à l'image idéalisée de carte postale, la plupart des plages du monde sont assez inaccessibles, couvertes de cailloux pointus, de coraux brisés et de buissons épineux, voire de mancenilliers dégoulinants de sève urticante. Pieds nus, nous rebroussons chemin à la limite de la plage entretenue.

Basil's Bar

Cet établissement est à Mustique ce que le Peter Café est à Horta, une institution, un passage rituel des navigateurs.

Nous y reviendrons plusieurs fois. Une première fois y boire un verre, façon acte sacrificiel : mais non, les prix sont comparables au reste des îles déjà fréquentées, rien de plus effrayant. Nous y retournons donc pour dîner ; la pizza, d'un surprenant exotisme en ce lieu si éloigné de Naples, est de bonne facture. Un affichage nous apprend que le mercredi est jour de musique avec orchestre. Une troisième fois le lendemain sous prétexte de déguster un des (rares) cafés expresso de la région.

Et de quatre le mercredi soir pour la soirée musicale. L'entrée est payante (10­ US$) et la salle déjà bien remplie. Nous nous retrouvons à une table en plein air, à l'intersection de deux tentures qui dégouttent des restes de pluie. Aux alentours, on observe un mélange de navigateurs et de grosses tablées de jeunes résidants de l'île. On reconnaît la première catégorie, dont nous faisons partie, à leurs vêtements fripés, à leurs tee-shirts siglés d'îles européennes, aux tongs ternies par l'eau de mer et parfois comme moi, à l'élastique rouge sortant de la poche, ce fil torsadé en plastique qui permet de faire démarrer le hors-bord. Ceux de la seconde catégorie sont plutôt venus de leurs magnifiques maisons en voiturette, reconnaissables aux chemises locales, comme celle que j'ai failli acheter avant de comprendre que je lisais le prix en US$, aux beaux pantalons repassés et aux maquillages soignés. L'orchestre démarre et dispose d'un registre intelligemment éclectique ; la piste de danse se remplit vite d'un joyeux mélange des catégories précitées et de tous les âges. Nous participons, soucieux de maintenir sur la piste une moyenne d'âge représentative de l'assistance. Danser en tongs est une expérience incontournable des Caraïbes ; pour paraphraser un célèbre publicitaire, décédé récemment, "-Si à cinquante ans tu n'as pas dansé en tongs, tu as raté ta vie". Des tables se libèrent, Liliane migre fort opportunément vers un meilleur emplacement.

Contents de venir plutôt en bateau

Le retour en annexe dans la nuit noire et l'alizé, munis de nos lampes frontales se passe étonnamment bien malgré le piège tendu à la sortie du chenal par la Rescue Station locale, qui a pris la liberté d'amarrer sa vedette à une bouée au milieu du chenal. J'ai juste le temps de débrayer notre puissant moteur de trois-virgule-trois chevaux-moteur et le hors-bord se relève doucement au passage de la grosse aussière.

Mustique inland

08/01/2025

Passé le petit marché aux poissons alimenté par de réels pêcheurs, logeant dans des cases aux lits superposés, nous prenons la petite route parcourue de voiturettes de golf. Certaines sont électriques, ce qui est un peu absurde, dans la mesure où l'électricité est exclusivement produite à partir de pétrole. Nous avons bien vu sur le débarcadère commercial des palettes entières de panneaux solaires qui annoncent un changement à venir, avec les difficultés que l'on sait d'en extraire la puissance nécessaire au transport.

Le long de la route, le luxe inouï des demeures nous est interdit d'accès, même visuel. On l'appréhende mieux sur les réseaux sociaux. Le petit bourg qui surmonte la plage héberge des habitants locaux que nous interprétons comme les employés des divers services offerts aux touristes. Même le petit commissariat a l'air accueillant ; pour un peu on aimerait y séjourner.

Mustique Marina Office
On y revient de jour
Un véritable expresso !
Fish market
Soirée dansante au Basil's

Huile d'olive

La réserve d'huile d'olive du bord atteint un seuil bas minimal. Comme pour l'huile du moteur Diesel, cela pourrait devenir grave. Les divers supermarchés récemment visités n'en vendaient que de toutes petites bouteilles et parfois même, j'en frissonne, un mélange avec d'autres huiles. Chaque passage dans une île nouvelle est l'occasion de deux visites marginalement touristiques : le supermarché et le "shipchandler" éventuel. Après la boutique de vêtements branchés, celle de bijoux "homemade" et la "bakery" qui vend du pain "Français", nous passons donc à la supérette. Il ont cette huile dorée vénérée des Dieux de l'Olympe. Je calcule rapidement le prix au litre ; soixante-dix euros ! (ce qui justifie éventuellement l'absence flagrante des Dieux Grecs dans les Caraïbes). Pendant que je me perds en conjectures sur la provision du bord et les inévitables restrictions dont mes habitudes alimentaires méridionales vont souffrir, un bellâtre bronzé et musclé passe devant ce rayon et, incontinent, s'empare de trois bouteilles, dédaignant même d'honorer l'étiquette d'un regard. J'en reste un moment interdit, avant de me convaincre que cette huile est probablement frelatée, que la chaleur pourrait l'avoir gâtée et qu'elle n'est pas digne de notre cambuse. "Ils sont trop verts et bons pour des goujats", disait la fable.

Soit environ 67€ le litre

Commandes en ligne

Au niveau technique et travaux, nous sommes passés au niveau le plus bas : "vacances". A peine une commande Amazon pour améliorer l'alimentation de l'antenne Starlink (*) via un seul convertisseur DC-DC sans passer par du 220V. Cette commande nous sera apportée par des amis qui prévoient de venir nous rendre visite aux vacances de février de la Région Parisienne. J'avais préparé le panier depuis quelques temps et je n'ai passé la commande que lorsque leur venue s'est confirmée, en faisant livrer chez eux, ce qui a pu leur occasionner de multiples visites de livreurs. Je ne saurais trop les en remercier.

(*) Disclaimer : j'ai acheté ce produit avant que M. Musk ne participe au gouvernement.

Seau à compost

Les épluchures alimentaires s'accumulent vite dans la poubelle et celle-ci exhale en quelques jours une douce chaleur et l'odeur associée. Nous avons donc délocalisé (terme moderne s'il en est) le compost à l'extérieur, dans un seau revêtu d'un chiffon pour barrer la route aux insectes. Lorsque nous sommes en haute mer et que nous n'avons pas d'île sous le vent, nous jetons ce contenu dans le sillage. Nous savons qu'il ira poursuivre sa décomposition dans la mer des Caraïbes. Pour les militants qui contesteraient le bien-fondé de cette démarche, j'argumenterais que premièrement, il y a certainement moins d'impact à livrer ces déchets à la décomposition naturelle que de consommer du fuel pour les brûler, que deuxièmement la notion urbaine de composteur n'a aucun équivalent dans les régions parcourues ici, au même titre que la notion familière de tri ; que troisièmement, cette action devrait être obligatoire afin d'éviter la propagation des parasites végétaux d'une île à l'autre, problème particulièrement sensible dans les agricultures.

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Bien contents que le tarif forfaitaire nous ait incités à rester trois jours pour apprécier Mustique...


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Publié le 10 mars 2025

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09/01/2025

Bequia 🇻🇨

Mustique et Baliceaux étaient deux délicieuses cerises sur le gâteau des Grenadines. Nous allons maintenant faire une escale qui allie le plaisir de la visite à un nécessaire ravitaillement en vue des prochaines étapes. Le vent, encore de nord-est, permet de faire un peu de nord-ouest pour atteindre Bequia (qui se prononce "békoué", c'est comme ça) . Il y a peu à dire sur ces navigations courtes et faciles entre les îles.

Vue de Saint-Vincent au nord
L'entrée dans Admiralty Bay
Mouillage dans Admiralty Bay

Admiralty Bay, la baie principale de Bequia est large et profonde. Après un petit tour au moteur près de Port Elizabeth, nous décidons de jeter l'ancre hors de la zone encombrée de bouées et de gros catamarans, dans Princess Margaret Bay (ou Lower Bay selon les documents). Nous sommes assez loin de la ville, une vingtaine de minutes en annexe, mais face aux magnifiques plages et restaurants soignés qui bordent la pointe.


🛠Bequia est réputée être la seule île des environs dotée de ressources pour le dépannage des bateaux et des moteurs. Une fois au mouillage, j'en profite pour mettre le nez dans le nôtre. Depuis le départ de Martinique, le moteur cale plusieurs fois au démarrage avant de finir par tourner. Pas grand chose, mais je préfère n'y toucher que prudemment. Je procède à une purge soignée du circuit de gasoil : pré-filtre décanteur (très peu d'eau) ; purge soignée au niveau du bouchon de purge (c'est-à-dire qu'il ne faut pas hésiter à faire couler) ; et purge au niveau des trois injecteurs. Effectivement, le démarrage redevient impeccable et du coup, je vais pouvoir baisser le ralenti, ce qui économisera du carburant et ménagera les pignons de l'inverseur.

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10/01/2025

Nous allons nous balader dans Port Elizabeth, comblant ainsi le regret ancien de Liliane de ne pas avoir pu la visiter lors de notre précédent passage, pressés à l'époque par le tempo d'un bateau en location.

Encore un quatre-mâts qui nous suit
Princess Margaret Beach

La visite inclut un petit restaurant, l'exploration méthodique des deux magasins d'accastillage et du supermarché. En discutant dans les rayons, on entend : "-Ça fait du bien d'entendre parler Français". Deux bateaux-stoppeuses sont à la recherche d'embarquements, l'une vers la Guadeloupe, l'autre vers la Colombie. Nous ne pouvons pas beaucoup les aider, autrement que par nos encouragements...

Pas pressé

De retour au bateau, je commence à préparer sérieusement le chantier à Grenada, en demandant des devis. Les sites web des chantiers sont très complets et laissent une impression de professionnalisme.


11/01/2025

C'est jour de lessive. Après les vingt minutes en annexe, nous déposons nos deux sacs de linge. La boutique propose une seule option, la totale : lavage, séchage, pliage.

Au passage, nous faisons un petit tour en annexe vers le ponton censé offrir de l'eau. Vu de la mer, il faut viser une grande maison verte en bord de mer, située au nord de la zone commerciale des ferries. Tout près se trouve aussi celui qui donne accès aux locaux à poubelles et à la station routière des carburants, qu'on n'avait pas encore bien située.

Liliane à la barre
La maison vert-bleue pour le plein d'eau
Ponton d'accès aux poubelles et station de carburants
Business idea n°1 : floating bar
Business idea n°2 : water and diesel on-board delivery
D'anciens ferries nordiques

Nous avons repéré une terrasse qui offre deux délices très courues des navigateurs : du Wifi gratuit et du vrai expresso. Régalés de ces saveurs de haute technologie, nous passons échanger une bouteille vide de Butagaz contre une recharge. Le vendeur nous en sort une rouillée. L'inconvénient du système d'échange standard, c'est qu'on peut récupérer une bouteille en mauvais état, loin du système européen de retrait progressif des vieilles bouteilles. Bref, on la prend et elle n'est pas donnée, comme tout le reste.

Réarmement en vue
La Promenade des Français

Nous observons des enfants jouant et se baignant sur la plage de la ville. Cela nous évoque un souvenir d'enfants se baignant aussi en Irlande à Crookhaven. Alors que nous étions munis de nos polaires et cirés, il sautaient joyeusement et inlassablement dans le port. Ils étaient bleus et grelottants, c'était l'heure de l'apéritif, leurs parents les surveillaient depuis la terrasse du bar. Sous toutes les latitudes, on ne peut empêcher les enfants de sauter dans l'eau à la moindre ocasion.

Et Butagaz, aussi

Nous allons aussi compléter notre supermarché, en n'oubliant pas les boîtes rigides pour les œufs (sinon, c'est en vrac dans un sac plastique). Les prix sont affichés et donc les mêmes pour les habitants et les touristes.

Nos deux sacs bien pleins, nous passons chez les vendeurs de rue pour les fruits et légumes. Souvent, il vendent les mêmes qu'au supermarché, par exemple les carottes du Canada ou l'ail de Chine. Pendant que nous négocions nos achats en bord de rue, un taxi s'arrête et demande des bananes à notre vendeuse. Discussion ; le ton monte. Finalement il part sans les prendre. Nous n'avons rien compris de leurs échanges, mais nous en concluons que nous ne sommes pas les seuls à trouver les prix élevés.

Notre linge est prêt. Il est sec, assez mal plié, ce qui ne nous arrange pas du tout, car le but de notre démarche était de pouvoir le ranger directement. Lorsque nous le faisons sécher nous-mêmes à l'air libre, le vent se charge de le défroisser.

Nous retournons au bateau en annexe avec nos courses, nos sacs de linge et la bouteille de gaz pleine, juste à temps pour la douche dans le cockpit au soleil couchant.

12/01/2025

Le matin du 12 janvier
Rituel du matin

C'est mon anniversaire. Liliane m'invite à déjeuner au Tree House Bush Bar. Un jeune très motivé est passé la veille aux bateaux du plan d'eau pour distribuer des affichettes publicitaires pour son bar. Nous ne savons pas à quoi nous en tenir, mais les avis Google sont positifs et le garçon manifestait un enthousiasme communicatif.

Montée vers le Tree House Bush Bar
Admiralty Bay from above

Il nous faut quelques tâtonnements pour trouver le chemin. Normalement les taxis savent où déposer les clients au début du sentier pédestre, mais nos avons choisi de monter à pied, pour profiter de la belle vue tout au long de la courte montée. L'a-t-on dit, il y a peu d'indications routières ou publicitaires. Quant à Google Map, il ne peut pas grand chose pour trouver la modeste sente. Il nous conduit sur l'impasse routière la plus proche du point GPS.

Après quelques minutes de marche dans la forêt, nous découvrons la plate-forme construite dans les arbres et la superbe vue sur Port Elizabeth et Admiralty Bay. Nous sommes les premiers arrivés et en profitons pour prendre la meilleur place. La carte est très succincte, nous commandons deux plats. Les visiteurs suivants viennent seulement pour boire un verre, ce qui nous vaut une discussion intéressante avec le jeune propriétaire : il a tout construit de ses mains, en habitant une cabane (encore visible) et en montant tout à dos d'homme le long du sentier. Courageux et entreprenant. Le matin il arpente le plan d'eau en canot et ensuite il monte recevoir les clients jusqu'au soir, sept jours sur sept. Nous lui souhaitons le meilleur.

Recherche active du Bush Bar
Tu viens ?
Repas d'anniversaire mémorable

De retour au bateau, juste avant la douche, nous nous baignons autour du bateau, ce qui me donne la motivation nécessaire pour commencer à brosser la ligne de flottaison. C'est assez incroyable de voir comme les algues et coquillages peuvent vite envahir la coque et les appendices. On ne peut pas dire que les performances de glisse en soient sensiblement modifiées, mais ça fait quand même une trace moche sur la ligne du bateau. Par contre il est indispensable de maintenir les ouïes d'aspiration d'eau de mer bien propres pour assurer le refroidissement du moteur.

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De Bequia à Canouan 🇻🇨

13/01/2025

Nous savons que les prochaines îles sont assez isolées. Historiquement elles n'étaient habitées que par des pêcheurs. La manne touristique a provoqué une augmentation de la population, mais fondamentalement il n'y a pas de montagnes, donc pas d'eau. Outre les provisions de bouche déjà évoquées, nous amenons dès le matin Tusitala au ponton pour compléter le plein d'eau. Un assistant nous aide à l'amarrage (Liliane le trouve beau, comme celui qui vendait des fruits en paddle à Cumberland ; "-Il a un charme fou, il a de beaux yeux"). Il explique qu'il loge dans le trimaran qu'il répare et se charge de collecter le montant de la fourniture d'eau pour l'exploitant. Une histoire que nous avons déjà entendue et continuerons d'entendre encore longtemps à propos de l'eau, des bouées... Bref, on se met d'accord sur le tarif de l'eau et il ajoute que normalement il y a une fee pour l'appontement. Sans doute mon visage s'est-il un peu fermé à ce moment-là et je lui dis presque sérieusement que je peux mettre le bateau à distance du ponton avec l'ancre (ce qui m'aurait sûrement compliqué la tâche pour accéder à l'eau). Il n'insiste pas et me dit que le propriétaire fait cadeau de la docking fee. Va savoir ! il voulait sans doute juste s'assurer d'un pourboire, que de toutes façons je lui aurais donné.

Maison VERTE à viser pour le ponton eau

Nous chargeons un maximum d'eau encore une fois.

Dans la foulée, je vais en annexe faire le plein de carburants à la station routière qui jouxte le ponton. Un aller-retour pour les deux jerricans de gasoil (*) : fait ! Au tour du jerrican d'essence : "-Ain't no gasoline in the whole island. Don't know when there'll be." L'absence d'essence me perturbe moins que l'abominable double négation, qui noue mes tripes d'ancien élève latiniste ; encore l'influence américaine, je n'ai jamais entendu cette tournure chez un Britannique, sans doute un dernier sursaut d'atavisme européen. Quant à l'essence, peu importe ; l'annexe consomme peu, nous ferons avec ce qui reste.

(*) pour mémoire : gasoil à 13,20 EC$ / gal, soit environ 1,05 € / litre.

En milieu de matinée, nous quittons le ponton et partons en direction de la sortie de Admiralty Bay, puis à gauche vers le sud. Le Code D est seul sorti. La GV reste pliée. La navigation est vraiment douce. Quelques rafales proches de vingt nœuds finissent par nous faire rentrer le Code D, remplacé par le génois. Bequia s'éloigne dans le sillage et nous approchons rapidement de Canouan.

La sortie de Admiralty Bay vers le sud
Vers l'arrière : Saint-Vincent et Bequia
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Canouan 🇻🇨

La zone de mouillage de Grand Bay est vaste. La houle malheureusement tenace contourne Canouan par le nord et nous arrive par le travers. Certains bateaux tentent de se caser dans l'anse Guyac, une anfractuosité protectrice probablement moins agitée mais un peu trop loin de la ville à notre goût pour le trajet en annexe.

A peine l'ancre est-elle posée au fond que s'approche lentement un petit canot à moteur. L'homme brandit une langouste. Un rapide échange avec Liliane et oui, nous lui confirmons notre intérêt pour sa pêche. Discussion ; le prix nous paraît excessif ; pas de problème, il en sort une plus petite de son sac ; marché conclu, qui fera un excellent dîner ce jour même. Il est loin le temps mythique où une langouste pouvait se négocier contre une bouteille de vin français. Nous en avions prévu un plein fond de carré pour cet objectif, mais c'est bien un ancien mythe, car ces populations ont besoin d'espèces sonnantes et plutôt libellées en Dollar US qu'en Euro. Nous boirons donc ce vin.

Mouillage dans Grand Bay à Canouan
Face à Charlestown

14/01/2025

Dès le lendemain de l'arrivée à Canouan, nous partons en balade à terre. Encore une île que la rapidité de notre précédente venue nous avait interdit de visiter. A terre, on sent bien que l'atmosphère est différente de Bequia. Ici aussi les maisons sont très colorées et soigneusement tenues. On conçoit cependant avec difficulté de quoi est faite l'économie, dans la mesure où le tourisme est limité à un seul hôtel et la pêche n'a pas d'existence visible. Des traces de cultures et d'élevage laissent penser qu'une partie de la nourriture est obtenue en auto-suffisance, voire fournie à d'autres îles. En absence de montagnes, il est probable que l'eau douce est dérivée du gasoil. Chaque maison est évidemment dotée d'un gros réservoir en plastique permettant de collecter et conserver l'eau de pluie.

Du mouillage, nous avons décidé de viser le petit col au dessus de Charlestown. Le dénivelé est faible mais suffisant pour offrir de chaque côté une vue époustouflante (breathtaking, au propre comme au figuré).

Devant...
...derrière
Vue Grand Bay de Canouan
Breathtaking
Vue vers le sud, de la côte au vent

A la descente, nous nous arrêtons dans un établissement qui propose des menus. Les bancs de bois sont garnis de locaux qui font leur pause méridienne. Nous tentons un poulet maison. Liliane est un peu déçue de voir arriver des ailes de poulet nappées de sauce caramélisée. Il faut préciser que le poulet sous toutes ses formes constitue une base omniprésente de l'alimentation des Caraïbes. Malgré la variété des modes de cuisine, cela peut lasser le voyageur.

Visage éloquent

Retour au bateau par la zone portuaire où sont empilées et stockées des tôles ondulées. Nous associons ça au passage de Beryl qui aurait arraché les toitures et dégradé les habitations.

Après deux jours passées à Canouan, nous préparons la poursuite de notre route.


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☞ L'escale dans l'archipel Los Roques nous a tellement charmés que nous publions cette étape avant d'autres plus anciennes. Ce désordre pourrait être préjudiciable à une compréhension linéaire du voyage, mais bénéficiera d'une meilleure "fraîcheur" que les étapes de l'arc antillais, sur la rédaction desquelles nous sommes très en retard - décidément, on n'a le temps de rien...

Nous choisirons de faire escale sur douze des 350 îles que comporte l'archipel : El Gran Roque, Francisqui Medio, Boca del Medio, Boutchiyaco, Madrisqui, Noronqui, Crasqui, Sarqui, Cayo Carenero Este, Dos Mosquises, Becqueve et Cayo de Agua.

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Projets de discussion et discussions de projet

Les projets des marins sont écrits sur du sable à marée basse, affirme le dicton.

Projet de marin

Une fois parvenus à Grenada, qui était l'objectif initial de la saison 2024/2025, Liliane et moi avons longuement discuté de la suite de notre voyage. Une des possibilités était de remonter l'arc antillais, repasser par les mêmes îles en explorant d'autres mouillages et poursuivre au-delà de la Guadeloupe vers les îles que nous ne connaissons pas encore. Nos amis de Nana et de Vitruve ont choisi cette voie vers le nord. Mais cette perspective nous donnait un peu l'impression de revenir en arrière. Une autre possibilité était de faire route vers Trinidad et Tobago. Mais l'examen de la carte des vents et des courants contraires dissuadent vite de viser Tobago depuis Grenada. Quant à Trinidad, il semble que ce soit très industriel (pétrolier) et qu'on ait rapidement fait le tour des visites intéressantes. Un peu court pour les mois de saison sèche restants. Au départ de nos amis Hervé et Maryvonne, début mars, notre réflexion restait ouverte et quand nos parents et amis nous posaient la question de la suite, nous restions évasifs.

Ainsi le sud de l'arc antillais constitue un peu le "bout" de notre vision initiale du voyage. Le slogan d'une compagnie aérienne caribéenne est : "Once at the edge of the world, go a little further" (merci Jean-Marc L. !). J'aime bien.

Alors l'idée d'aller plus à l'ouest, s'enfoncer dans la mer des Caraïbes, vers la Colombie et le Panama fait son chemin. Ces deux pays ont des attraits que tous les navigateurs ont signalés de longue date dans les guides de voyage et plus récemment sur les réseaux sociaux. Et puis l'Amérique du Sud, c'est carrément un nouveau continent, une immensité potentielle à visiter de l'étrave et des pieds, bien humblement.

La réflexion est complexe. Dans cette direction, on descend dans le vent. Le vent portant a un effet "tapis roulant" qui rend un demi-tour difficile et improbable ; si on part vers l'ouest, il faut ensuite faire le grand tour, remonter par Cuba, Saint-Domingue pour revenir au nord vers le chemin du retour en Europe. S'ajoute la question d'un éventuel retour en urgence auprès de nos familles. Et en dehors de l'urgence, plusieurs évènements familiaux d'importance devraient survenir en mai en France. Un examen des dessertes en avion nous convainc qu'il n'est pas plus difficile de rentrer de Bogota ou Panama que de l'arc antillais. Et puis voilà ! vient un jour où il devient évident que nous allons partir vers l'ouest. C'est notre route, pas de doute. Le dernier argument a été : si on ne le fait pas maintenant, on ne le fera jamais.

Une fois cette décision prise, reste à préciser l'itinéraire. Cela fait longtemps que je tourne et retourne les diverses options. Liliane examine toutes les informations disponibles sur Internet. Je suis inscrit sur plusieurs fils de discussion WhatsApp qui donnent des indications.

Deux rencontres vont nous aider à finaliser nos choix. Par une coïncidence plaisante, nous avions croisé lors de notre chantier à Prickly Bay une plaisancière danoise qui avait bourlingué. Elle nous avait vanté l'escale de Curaçao. Très vite, les diverses informations recueillies ont validé cette option pour y laisser Tusitala en sécurité. Plus tard nous avons discuté avec Jean-Marc et Claire, rencontrés à la marina de Port-Louis sur leur RM1060. Lors d'une discussion légère d'apéritif, j'avais bien noté leur certitude : "-Il faut absolument voir Los Roques. -Oui, mais il y a des risques et puis c'est cher, gna, gna gna". Devant nos doutes, ils avaient itéré leur recommandation. Cela faisait longtemps aussi que cette destination un peu mythique me faisait des yeux doux et il n'en fallait pas plus pour abattre les dernières réticences.

Les réseaux sociaux bruissent de complaintes sur le prix excessif des droits d'entrée. Certains avis suggèrent même de passer Los Roques et d'aller directement à l'archipel suivant, Las Aves. Certes un Gouverneur avait haussé vertigineusement les tarifs il y a quelques années, avant que l'effet Colbert ne se fasse sentir ("Trop d'impôt tue l'impôt"). Alors cela reste cher, mais pas davantage qu'un séjour sur la Côte d'Azur, à Santorin ou à Prague. On entend aussi sur les pontons citer les abords du Venezuela comme zones à risque, avec des récits réels ou fantasmés d'agressions. Quand on cherche des informations factuelles (par exemple sur le site Caribbean Safety and Security Net auquel se réfèrent tous les autres sites d'informations), on trouve des récits de ces agressions : une ou deux, c'est à dire autant que dans d'autres îles des Caraïbes et beaucoup moins que dans la grande ville où nous habitons. Quand même, les images disponibles sur Los Roques donnent bien envie d'y aller.

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La préparation

Outre la préparation logistique habituelle pour une traversée, la dernière semaine est occupée par quelques points spécifiques.

Couchette de mer prête pour la navigation

Primo : un forfait Iridium pour la traversée. Heureusement que j'ai acheté en stock plusieurs cartes SIM d'avance en métropole, parce que le système Iridium annule définitivement la carte dès qu'on résilie l'abonnement mensuel, c'est à dire après chaque traversée. C'est absurde, c'est le choix de cet opérateur de satellites. Grâce à la réactivité de notre distributeur ROM Arrangé en métropole, la nouvelle carte s'active en moins de deux jours.

Secundo : nous faisons les braves, mais les histoires de piraterie ont quand même été notées dans un coin de nos mémoires. J'installe donc un petit câble sur une borne de contrôle de l'AIS où le fabricant a prévu deux broches permettant de couper l'émission, tout en laissant active la réception. Je cherche chez le shipchandler un bel interrupteur pour placer sur le panneau à la table à carte. La cloison est assez épaisse et il faudrait mettre un gros interrupteur avec un gros trou rectangulaire. Possible, mais ce boulot de menuiserie va encore retarder notre départ. Je renonce et je laisse pendouiller les fils que je pourrai relier à la demande avec un Wago.

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Navigation de Grenada à Los Roques

Départ 11 mars 2025 vers 16h00

La traversée au vent portant. Les simulations de routage préalables au départ indiquaient toutes qu'il valait mieux aller chercher du vent près du continent, tout près de la côte vénézuélienne. Oui, mais non. Je prendrai plutôt le bord qui nous éloigne en acceptant que le vent soit moins fort et le vitesse un peu moindre. Nous éteignons l'AIS en émission. De toutes façons, les seuls navires croisés sont des cargos géants, souvent des porte-containers en provenance ou à destination de Panama. Ce ne sont pas eux qui se dérouteront si nous avons une route de collision. Notre AIS sonne plusieurs fois. Je l'ai réglé sur deux kilomètres et quarante minutes, ce qui donne franchement le temps de procéder à une manœuvre d'évitement.

C'est parti
Grenada s'estompe dans le sillage
Premier coucher de soleil
Vénus suit le Soleil de près
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12 mars 2025

Au passage, nous essayons l'hydrogénérateur. Il ronronne d'un ton bronchitique et fournit quelques maigres ampères. La vitesse du bateau, environ quatre nœuds, ne lui permet pas de donner sa pleine mesure, même à l'état neuf. Pas de conclusion définitive, mais nous préférons le sortir de l'eau et retrouver les sons de la mer.

La route est quasiment plein ouest. On aurait pu aller plein vent arrière, mais c'est une allure inconfortable, le bateau roule, les voiles battent. Nous alternons des bords de grand-largue, alternativement bâbord et tribord amure, avec génois tangonné et grand-voile. Le roulis est quand même présent, mais raisonnable. Le bateau a une route stable, le pilote ne force pas. L'ensemble écoute, tangon, hale-haut et hale-bas tiennent fermement le point d'écoute du génois qui ne bat pas. Le tout est assez silencieux et confortable. Le prix de cette douceur est une vitesse un peu lente qui nous fait donc passer trois nuits en mer. Comme je me le répète souvent, c'est un privilège d'être là où l'on choisit. L'esprit se remet vite à cette routine rythmée par l'alternance des jours et de nuits, des levers et des couchers de soleil, des quarts entre Liliane et moi, des repas partagés. Les habitudes héritées de la transat de l'an dernier reviennent. Un oiseau adopte Tusitala comme refuge nocturne.

Lever
GV et Génois tangonné

Nous mettons de la musique, ce qui est assez nouveau pour nous en mer. Dire Strait à fond évidemment. Auparavant, nous n'en éprouvions pas le besoin. Cette traversée bénéficie de l'expérience des précédentes et nous sommes plus sereins, notamment sur l'absence de course à la vitesse. Un peu sous-toilé, Tusitala nous promène à quatre nœuds de moyenne dans le vaste océan. Pourquoi chercher à aller plus vite ? J'aimerais cependant avoir un spi symétrique. Parmi tous les conseils que j'ai lus ou entendus depuis que je prépare ce voyage, les plus mauvais concernent le choix des voiles. Les voiles d'avant en jumelles, oui ça fonctionne, rustique et efficace, mais le bateau est vraiment sous-toilé dans vingt nœuds de vent arrière. Le spi asymétrique, c'était mon achat de départ en 2022, mais lui aussi il fonctionne mal au vent arrière. Et le Code D, c'est une voile de régatier, qui fait gagner de la vitesse dans des configurations rares de direction et de force du vent. Si mon avis peut influencer de futurs candidats au voyage, je recommanderais vraiment un spi symétrique. D'ailleurs, j'y pense...

Quart Lili
Espèce d'oiseau : le clandestin
Dans la lumière du matin
Debout !
Comme des Fous de Bassan
Coucher
Lever de Lune sur coucher de Soleil
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Vendredi 14 mars

Venezuela, nous y voilà

En fin de matinée se dessine sous la bordure du génois une forme sombre, indubitablement les terres attendues. La forme grandit doucement et se précise. Émotion d'aborder une nouvelle terre, un nouveau pays.

Terre !

L'arrivée est surprenante comme toujours, jamais telle qu'imaginée. Un grand roc nommé justement El Gran Roque se signale de loin. C'est seulement à quelques milles nautiques qu'on voit apparaître au ras de l'eau plusieurs îles basses à son sud. Il y a bien des passes tracées sur la carte qui permettent de couper directement entre les deux premières îles de l'archipel, mais je préfère faire un tour prudent par le nord-ouest. On longe le tombant de ce roc vertical à quelques encablures de distance jusqu'à ce que le relief s'aplatisse. A part des installations techniques, l'unique petit village est construit en bordure d'une longue plage. les maisons basses sont avenantes et donnent envie de débarquer. Au-dessus, quelques collines désertiques, un phare, des mâts de télécommunication ou je repère des antennes GSM et des faisceaux hertziens tournés vers le continent.

Îles basses de l'archipel
El Gran Roque

Vers 15 heures, nous mouillons devant la zone habitée. Nous avions bien étudié avant de partir de Grenada les divers avis sur Navily et la carte marine. Il y a aussi un fil de discussion sur WhatsApp où les navigateurs donnent des avis ou des recommandations. Néanmoins, cela restait assez maigre pour l'archipel. On est loin des guides nautiques complets auxquels nous étions habitués, mais c'est suffisant.

Mouillage El Gran Roque
Boule de mouillage, main de fer et pavillon Q

Juste débarqués sur la plage en annexe, un passant à qui je demande où se situe les Coasts Guards pour les formalités nous suggère de passer par Alejandro, un agent bien connu de l'archipel. Je lui demande s'il sait où acheter d'abord un forfait téléphonique local. Il me tend gentiment son téléphone après avoir appelé Alejandro. Un peu réticent, je prends quand même rendez-vous avec lui pour le lendemain au bar Casa Play près de l'aéroport.

Première balade découverte sur El Gran Roque

Quelques minutes suffisent pour tomber sous la séduction. Les rues de "sable battu" sont délicieuses, décorées de fleurs, les maisons à un seul étage en général et très colorées, comme partout dans les Caraïbes. Partout une grande quantité d'oiseaux, des pélicans, des frégates, des sternes et des mouettes rieuses à tête noire, celles de Gaston Lagaffe.

Ça fait un bien immense d'entendre parler espagnol. Et en plus, il très bien prononcé, comme je l'ai appris au collège, moins chuinté qu'en Castille. Après des mois passés en territoires anglophones, enfin le retour en terres "hispanohablantes" (merci Bernard pour la référence linguistique). Du moins l'espagnol, c'est quand ils s'adressent à moi ; entre eux, ils parlent une langue qui sonne aussi comme de l'espagnol, mais qui est un mélange créolisé.

Multiples réserves d'eau
Transformateur triphasé moyenne-basse tension

Il y a plusieurs "posadas" qui sont des logements hôteliers ou des résidences à louer, aménagés avec goût. On imagine sans peine que le tourisme est la ressource principale. On est vendredi et l'aéroport commence à déverser son contingent de vénézuéliens aisés qui viennent passer le week-end dans l'archipel. Caracas est à peine à 165 km. Autour de cette manne, se sont développés les services hôteliers habituels, les charters pour amener ces visiteurs sur les îles, leur offrir un barnum et des boissons fraîches, éventuellement une plongée, qui est en fait une sortie snorkeling. On devine tout cela, mais c'est extrêmement discret ; aussi bien en quantité qu'en volume sonore, on est loin du tapage des Antilles Caribéennes.

Pas de voitures. Zéro, nada. Seuls les quelques camions font le va-et-vient entre la zone portuaire et le village. L'aéroport comporte une piste orientée est-ouest, avec un petit bâtiment qui sert de salle d'enregistrement. Les passagers embarquent à pied sur de petits avions bi-moteurs à hélice, plus rarement des jets.

Des habitants s'affairent dans les quelques commerces, les enfants sortent de l'école en uniforme unique : garçons et filles portent un pantalon, des chaussures fermées, une chemise. Les passants nous saluent, façon "Tiens, v'là des nouveaux !" On est loin de toute sensation d'insécurité.

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Samedi 15 mars 2025

En annexe, nous nous approchons de l'embarcadère le plus proche de l'aéroport. Il est haut sur l'eau, dimensionné pour des bateaux de passagers. Nous nous approchons de l'endroit où des traverses diagonales permettent de poser un pied. Je tiens l'annexe et Liliane entreprend de se hisser. Sur le ponton deux policiers et une policière s'approchent pour aider. La jeune femme tend une main à Liliane qui s'en saisit. Moi je suis en dessous et derrière Liliane ; je tiens l'annexe à la traverse et je ne vois pas ce qui se passe. J'entends Liliane crier, mauvais signe. Elle temporise et se plaint d'une douleur, elle finit par se hisser. Je la suis. Mais je dois ranger l'annexe ailleurs parce que ce ponton est réservé aux navettes. Pendant que je fais ça, Liliane s'éloigne vers le centre de la place. Je ne comprends pas qu'elle n'ait pas pris ses chaussures. Je vais amarrer l'annexe et quand je reviens auprès de Liliane, elle se tient les côtes et grimace. Un des policiers voit la scène et nous demande s'il peut aider. Liliane parle de côtes cassées, nous demandons s'il y a un hôpital. Oui. On ne retient pas encore cette option.

Modernité dans l'archipel lointain
Avec Alejandro

Nous rencontrons Alejandro au bar à l'heure prévue. Il est l'agent de la société Yacht Services Los Roques. Nous discutons un peu. Il s'inquiète pour Liliane et propose son aide si nécessaire. Pas pour le moment.

Le bar dispose de l'accès Internet en Wifi. Alejandro nous transmet un devis en ligne. Les frais d'entrée sont élevés, de l'ordre de mille euros pour deux semaines ; nous le savions par la lecture des blogs et de Navily. Liliane et moi considérons que ce sont nos "vacances" et que cet archipel mérite la dépense dont l'essentiel est le droit de séjour dans la parc protégé. Les prestations de Alejandro incluent l'exécution des quatre étapes de formalités d'entrées (Coast Guards, douane, immigration, parc naturel). Marché conclus. Nous lui demandons une autorisation pour deux semaines. Avant midi il est de retour, toutes formalités accomplies pendant que nous déjeunions.

Bateau de voyage vs. charter
Pavillon du parc naturel

Voilà, nous sommes officiellement entrés au Venezuela 🇻🇪.

Outre les papiers de clearance Alejandro nous apporte un drapeau rose fluo indiquant qu'on a bien payé les droits d'entrée du parc naturel. Il nous communique aussi ses traces de navigation dans l'archipel. Ça fait peur, elles passent sur des fonds où la carte Navionics affiche 0,5m de profondeur. Il explique que les cartes sont fausses, explication que j'ai déjà entendu de nombreuses fois sans y croire vraiment. Il me demande d'afficher les images satellitaires en surimpression. Effectivement, les cayes de corail sont bien visibles et souvent décalées par rapport à la carte. Et les profondeurs ? Alejandro m'assure que ça passe largement. J'importe les traces dans l'application Navionics de mon iPad. Comme nous sommes bien connectés à ce moment, elles se répliquent dans mon téléphone, qui sert de redondance.

Alejandro nous recommande aussi d'utiliser Airalo pour l'abonnement téléphonique local. Airalo semble être un opérateur virtuel. L'opérateur vénézuélien est Digitel, à ne pas confondre avec Digicel aux Caraïbes. Airalo permet de souscrire à un abonnement en ligne, car il propose de télécharger une e-SIM, ce qui évite de devoir trouver une boutique qui vend des cartes SIM physiques, comme nous l'avions fait à Grenada après l'arrêt du service de Starlink. Tout fonctionne parfaitement (il faut quand même disposer d'une connexion Wifi au départ pour y arriver). On avance, on avance...

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Dimanche 16 mars 2025

Liliane repose ses côtes sur le bateau. Je vais à terre pour quelques achats alimentaires. Je parcours la bourgade en observant comment vivent les habitants. Je trouve passionnant d'essayer de comprendre comment tout fonctionne.

Les touristes sont chargés au débarcadère qui a cassé les côtes de Liliane par petits lots sur des bateaux à moteur. On les amène sur les îles les plus proches bénéficier des plages de rêve.

Simón Bolivar et ...
Plus loin de Paris que du Chili !

Au total, je ne compte que trois camions, probablement fraîchement débarqués du cargo que j'entrevois au bout de l'île. A partir de ces camions, la distribution capillaire de tous les produits se fait sur des chariots poussés par la force humaine. Tout simplement. Il faut dire que les distances sont courtes. Le seul camion qui semble vraiment insulaire est celui qui transporte de gros réservoirs d'eau.

L'activité citadine est paisible et cordiale. Je commence à m'habituer aux saluts impromptus des gens et à les anticiper. "Buen Día" passe partout. Le supermarché n'a aucune enseigne, sur la base de "tout le monde sait bien où c'est."

Camion n°1
Vie paisible
Tout-à-l'égout et propreté

Je vais explorer la zone portuaire, tout au bout de la plage.

L'île est un roc désertique, sous perfusion de gasoil pour l'énergie et l'eau. A leur avantage, le Venezuela est un pays producteur de pétrole et les hydrocarbures sont subventionnés par l'État. Sur le plus grand roc a été installé un grand pylône de télécommunications qui "arrose" les environs. Aux pieds de ce rocher, dans le coin le plus nord, se trouve le quai de débarquement contre lequel un cargo roulier (aussi appelés Ro-Ro) a posé sa proue et abaissé sa rampe. Ce quai lui-même est un simple talus de terre-plein poussé au bulldozer au-dessus du rivage pour atteindre une profondeur suffisante.

Autour de ce quai se concentrent les réservoirs des hydrocarbures, très soigneusement entretenus, la station de génération d'électricité et la station de dessalement d'eau. Tout ça sous le vent de l'île dans l'alignement de la longue plage et des habitations.

Je crois comprendre que les carburants arrivent par un semi-remorque débarqué du cargo qui procède a un transvasement direct aux réservoirs à peine à cinquante mètres du quai. Les quelques camions entrevus dans l'île proviennent sans doute du même cargo.

C'est beau, un roulier

Juste à côté j'observe les éléments de la station de dessalement. L'eau de mer est prélevée par deux gros tuyaux qui plonge vers l'eau profonde. Il est rare de pouvoir approcher une installation industrielle. A force de suivre des yeux le chemin des tuyaux et des pompes , je retrouve à peu près les organes des éléments de dessalinisateurs de bateaux de croisière.

Station de dessalement d'eau
Prélèvement d'eau de mer

La station de génération électrique reste plus difficile à cerner. Je vois juste d'où partent les lignes à moyenne tension. Sur le flanc de la colline est installée une surface conséquente de panneaux solaires. Bel effort pour un pays que la manne pétrolière aurait pu éloigner de cette technologie.

Nous restons à ce mouillage pour la nuit.

Mouillage El Gran Roque

La cuisson des pâtes présente une sorte de corrélation statistique avec les pannes de bouteilles de gaz. Comprendre ; c'est toujours au milieu de cette cuisson-ci que le gaz s'épuise et qu'il faut aller changer la bouteille. Celle-ci n'a duré qu'une semaine, contre trois ou quatre pour une bouteille remplie selon la norme Butagaz. Nous éprouvons pour la deuxième fois une impression d'arnaque sur le remplissage des bouteilles ; la première fois c'était à Bequia et celle-ci a été remplie à la station de carburants de Saint-Georges. Il faudrait avoir sur soi un peson à chaque remplissage pour vérifier le poids des bouteilles. Pas sûr d'ailleurs que ce soit de l'arnaque. Les cours d'épistémologie suggèrent de ne pas attribuer à la mauvaise intention ce qu'on peut attribuer à l'incompétence.

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Lundi 17 mars 2025

Au matin, nous recevons livraison au bateau de l'eau douce commandée via Alejandro (je n'ai pas trouvé la veille une personne qui serait en charge de fournir de l'eau, j'ai demandé à Alejandro qui appeler et il n'a pas répondu à cette question mais m'a dit qu'il se chargeait de l'opération). La livraison prend la forme d'une solide barque armée de deux personnes et deux grands bidons bleus remplis à ras bord. J'avais pris la précaution de mettre des pare-battages des deux côtés, à hauteur des nables des réservoirs. Les deux gars comprennent vite qu'il faut remplir des deux côtés. Ils me demandent du courant électrique 110V ; je n'en ai évidemment pas. Alors je vois le plus jeune commencer à dénuder un fil ; il me demande un couteau. Je luis apporte un Opinel et une pince à dénuder. Il faut se trancher un doigt en enlevant la gaine, en concluant "-Corta mucho este cuchillo !" Eh oui, la qualité française ne se dément pas. Je lui dénude les fils à la pince. Il demande encore plus de fil dénudé : au moins dix centimètres. Ensuite il tortille chaque fil autour des tiges métalliques d'une prise domestique. Le service Assurance Qualité de mon ancienne entreprise aurait sans doute émis une réserve sur le procédé. Bref, après branchement de l'autre extrémité sur une batterie, la pompe démarre. L'opération dure un peu. Je peine à évaluer la quantité transférée, mais il a l'air de ne pas y prêter attention. Il m'explique en espagnol : "j'ai pris plus, au cas où". Ce sont donc deux bidons de deux cents litres. Je comprends qu'ils sont rémunérés pour le travail et l'eau par Alejandro qui lui-même prend sa marge sur notre paiement. C'est un peu cher 40$ pour 160 litres commandés. Mais bon, livrés au mouillage. J'apprendrai plus tard que ce tarif est un forfait pour jusqu'à cinq cents litres.

Alejandro prend de nos nouvelles "¿Qué tal las costillas?" ["comment vont les côtes ?"]. Cette expression aimable et rigolote deviendra un mème du bord pour les semaines à venir.

Je retourne au supermarché acheter les dernières provisions de nourritures fraîches. Façon de parler, parce que l'approvisionnement est renouvelé aléatoirement. Trois gros congélateurs contiennent aussi des surgelés. Je tente un peu de bœuf haché, après avoir fait préciser si c'est bien de la viande vénézuélienne, parce que j'ai lu que l'Amérique du Sud avait de la bonne viande. A voir.

Tous les prix sont affichés en Dollars US. Ici, la monnaie nous est aussi rendue en USD, sauf impossibilité manifeste. Nous avions l'habitude dans l'arc antillais que lors de nos paiements en USD, la monnaie nous soit systématiquement rendus en Dollars caribéens, ce qui permet aux commerçants de conserver davantage de cette monnaie qu'ils préfèrent. Heureusement que j'avais prévu des retraits dans cette monnaie au départ de Paris.

Règne du Dollar

L'Archipel

L'archipel a la forme d'un grand rectangle dont El Gran Roque occupe le coin nord-est. Au milieu, il est interdit de mouiller, c'est le parc naturel et personne n'a jamais hydrographié les fonds. Tout le pourtour est constellé d'îles, îlots, bancs de sable et récifs coralliens. Nous commencerons par explorer le petit côté du rectangle en descendant vers le coin sud-est. Pour nous roder, nous visons d'abord assez modestement Francisqui, l'île la plus proche de Gran Roque, donc la plus touristique. Si l'archipel de Los Roques était le Saint-Tropez du Vénézuela, Francisqui serait sa plage de Pampelonne.

Crédit VisuGPX
https://www.visugpx.com/Hxpf8isocp 


Navigation de El Gran Roque à Francisqui Medio

Francisqui est un groupe de trois îlots, avec une dénomination qu'on retrouve souvent dans ces îles : celui au vent prend le qualificatif de "arriba" (en haut) ou "barlovento", celui sous le vent "abajo" (en bas) ou "sotovento" et celui du milieu "medio". Plus rarement, on lit "este" et "oeste". Le vent est une boussole immédiatement disponible aux sens. Comme il a ici le bon goût d'être assez constant en force et en direction une bonne partie de l'année, l'usage l'a adoubé comme repère géographique. L'ensemble des trois îles fait un arc de cercle qui enserre un magnifique plan d'eau ouvert sous le vent et bien fermé au vent par de longues rangées de corail affleurant. L'entrée me paraît assez étroite, bordée de cayes de corail dont la carte ne prend pas la peine de donner la sonde. On ne peut pas trop faire confiance à la trace GPS, puisqu'on sait que la carte est décalée. La superposition de l'image satellite, imprécise, aide un peu. On approche doucement, les yeux rivés sur le sondeur. Un canot nous double à pleine vitesse. Il a confiance, lui... Au milieu de l'entrée, on trouve encore un peu plus de trois mètres, ça passe donc bien. Ensuite, soulagement, la profondeur augmente.

Départ de El Gran Roque
Vers Francisqui
Attentif
La passe passe

Liliane tient son poste à la manœuvre d'ancre malgré ses côtes fêlées. Je suis un peu plus tranquille sur les profondeurs lorsque le fond remonte. J'ai l'impression qu'ici le vent est très stable parce que les basses barrières de corail ne le modifient pas et il est donc celui qu'on l'on trouve en pleine mer et que les prévisions nous annoncent stable. Nous mouillons entre deux bateaux, dont l'un nous est déjà familier depuis El Gran Roque. Après avoir mouillé vingt mètres, je tire un peu sur le mouillage en marche arrière. Ça tient bien.

Nous sommes face à une superbe plage, avec quelques tentes façon berbère, un grand piquet central et six larges toiles fixées dans le sable. Ces tentes sont installées par les petits canots charters qui emmènent les touristes des hôtels jusqu'à cette plage pour la journée. Il y a une seule terrasse en bois avec un bar. On imagine que toutes les denrées et les boissons sont apportées quotidiennement depuis El Gran Roque, elles-mêmes débarquées du Venezuela par cargo. Du fait de la proximité avec l'aéroport, cette île est une des cibles privilégiées des charters qui amènent les touristes pressés en vedettes à moteur. Nous imaginons que les prochaines îles seront de moins en moins fréquentées à mesure de l'éloignement de Gran Roque.

En cette fin d'après-midi, la balade sur l'île nous offre un panorama de douces couleurs qu'on croirait sorti de la brochure d'une agence de voyages exotiques. Une saline asséchée tombe à pic pour mes premiers essais de drone. J'avais acheté ce DJI Mini 2SE l'été dernier. Je n'ai encore "pas eu le temps" de l'essayer. Il faut dire que je redoute de le perdre à l'eau et que j'ai rencontré peu d'espaces propices depuis notre nouvelle saison de bateau. Pour des essais de débutant, il paraît nécessaire de "Partir d'un point fixe", comme le suggère un passionnant podcast.

C'est aussi toute une logistique de recharge de batteries supplémentaires. Je débute et donc mon drone atterrit derrière moi, dans un arbre, ce qui lui casse une hélice. J'ai quand même eu le temps de faire ma première photo aérienne qui, comme la première gorgée de bière, promet de laisser un souvenir inoubliable.

Balade sur Francisqui Medio
Ma première photo aérienne

De retour au bateau, j'ai le soulagement de découvrir que le drone est livré avec plusieurs hélices de rechange ; je mets un moment à comprendre qu'il y a des hélices qui tournent à droite et des hélices à gauche (forcément, pour contrer le couple de rotation des unes, il faut les autres). Encore de la logistique de rechange à prévoir pour le prochain passage en France...

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Mardi 18 mars 2025

Les navigations entre les îles de l'archipel sont courtes. La matinée est donc réservée à flâner à nouveau sur Francisqui avant de naviguer. Nous prenons prétexte qu'il faut aider les populations locales pour nous offrir un délicieux ceviche de poisson. La mère de mes enfants, née en Amérique du Sud, m'avait vanté ce plat traditionnel. Elle avait raison, nous nous régalons des mélanges de baies et de citrons qui agrémentent un excellent poisson, du pagre. Étonnant pour un petit estaminet de plage.

Mouillage fréquenté
Enfin seuls


Navigation de Francisqui Medio à Boca del Medio

En début d'après-midi nous quittons le mouillage par le même chemin qu'à l'aller, avec une sortie beaucoup plus détendue quoique prudente entre les cayes de corail. Suivent quelques milles sur des profondeurs confortables, puis la route théorique fournie par Alejandro nous conduit en bordure d'une longue barrière de corail, dans une zone où la carte Navionics affiche des profondeurs dérisoires de l'ordre de un mètre. Dubitatifs, nous y allons donc au moteur, et au ralenti, prêts à battre arrière à la moindre alerte du sondeur. Pourtant, à l'approche du corail la profondeur reste importante. Bigre ! quinze mètres, dix-huit mètres, vingt mètres. Bien qu'on sache que les cartes ne sont pas alignées sur les points GPS pour des raisons historiques, à cet endroit, c'est gravement faux. Bon, la trace a l'air crédible, continuons. Avec étonnement, je marque les points de passage et les profondeurs. Aucun navigateur avant nous n'a jugé bon de contribuer à la communauté "Active Captain" pour documenter ces points ; je me note de le faire dès que j'aurai une connexion Wifi stable. Pendant une demi-heure, nous poursuivons ainsi notre route à toute petite vitesse au-dessus d'une espèce de sillon profond à la lisière du corail. D'ailleurs la couleur de l'eau guide l'intuition : à droite et à gauche, couleur bleu lagon-carte-postale, c'est peu profond ; au milieu couleur bleu océan, il y a de la profondeur en suffisance. Encore faut-il distinguer le bleu-marine du bleu-marron qui indique plutôt un récif. Arrive le point où nous devons sortir du sillon pour aller vers le mouillage. Doutes encore. Le fond remonte, nous passons un petit "col" à trois mètres cinquante, et puis la profondeur revient à un rassurant huit mètres.

Nous cherchons des yeux l'îlot supposé nous offrir un abri pour la nuit. Rien. Ou si ! un petit bout de sable qui dépasse de la ligne d'horizon, dans l'épaisseur du trait. C'est bien la direction indiquée sur la carte. On approche, il y a encore du fond ; plus près, pour tenter de poser l'ancre là où c'est bien turquoise. Soudain le sondeur passe brutalement de six mètres à un mètre vingt. Pouf ! on touche, heureusement à toute petite vitesse et sur la quille. Arrière. On mouillera donc dans de l'eau plus profonde. Tout va bien.

Départ de Francisqui
Îlot à Boca del Medio

Tout autour, c'est l'océan ; ou presque, parce que la houle du large est complètement cassée par les rangs successifs de récifs qu'on voit gerber au loin. Quand au vent, il poursuit librement sa course océanique, force inchangée. Je prévois que le bateau va se dandiner dans les rafales toute la nuit d'un bord sur l'autre comme s'il essayait de partir tirer des bords avec une laisse. A force d'essais, j'ai fini par trouver un chemin de passage de la main de fer sur la davier pour qu'elle n'interfère pas avec la chaîne ("grouing... grouing"), ni ne trésaute sur les parois du davier ("chtong... chtong"). Ne reste que l'allongement du cordage de nylon ("ffcrrrr... ffcrrrr") qui est le signe qu'il joue bien son rôle d'amortisseur. Nous progressons chaque jour et dormons plutôt bien. Pour gagner en sérénité, j'active l'alarme de mouillage sur mon iPad. Pas celle des instruments de bord, parce que cela consomme un peu trop de courant. Pas celle du téléphone, parce que le traitement des signaux GPS dans Android est gravement mal codée et il y a des sautes importantes de la position calculée, ce qui occasione de fausses alarmes très désagréables en pleine nuit.

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Mercredi 19 mars

Ce matin nous partons explorer en annexe le petit îlot devant lequel nous avons passé la nuit. Une impression de robinsonnade nous envahit, loin de tout contact humain, toutes proportions gardées. Mais cet isolement nous incite tout de même à redoubler de prudence. On n'oublie pas les pagaies, le grappin et le ligne de mouillage et une VHF portable. Nous chaussons nos chaussures de récif, car on ne sait pas sur quoi on va poser les pieds en débarquant. De loin, Tusitala a l'air d'être posé "au milieu de rien", pour autant que cette expression ait un sens. Des traits minces sur les horizons rappellent l'existence des autres îles. Le réseau mobile est en limite de réception, fortement affaibli par la distance. La couleur claire de l'eau signale parfaitement la présence des remontées coraliennes.

Au milieu des cayes de coraux

Nous avons pris les bons gestes pour que Liliane monte et descende avec ménagement de l'annexe. Tout se passe bien, elle pourra profiter des balades à terre. Le tour à pied de l'îlot prend exactement cinq minutes. Pas un troquet, pas une mobylette, rien ! (*) Côté océan, on voit blanchir la ligne des récifs qui nous protègent de la houle. Ils ne sont pas très loin, quelques milles tout au plus, mais très bas sur l'eau, c'est à peine une ligne blanche qui souligne l'horizon, en pointillés évanescents. Côté archipel, on aperçoit les autres îles de l'intérieur, celle dont l'accès est interdit à l'intérieur du parc naturel protégé. Le seul son est celui du vent. Le drone prend son envol. Les plans sont sans doute encore maladroits, mais on peut en tirer de saisissantes photos aériennes. J'ai pensé à tout, sauf à mon vêtement anti-UV. Entre tâtonnements techniques, recherche du plan de vol, le temps passe. La tête dans ma télécommande, le soleil fait son œuvre sur mon dos.

(*) crédit : Michel Colucci

Retour au bateau pour préparer la navigation du jour. Entre ces îles, nous conservons l'annexe pendue aux bossoirs, contrairement aux grandes navigations.

Retour au bateau


Butchiyaco

Comme la veille, nous quittons le mouillage du banc de sable à Boca del Medio en début d'après-midi et reprenons soigneusement le chemin vers le sillon profond. Il devient de plus en plus spectaculaire ; un régal des yeux.

La Boca de Sebastopol, au coin sud-est de l'archipel permettrait de trouver le chemin vers l'océan. Nous nous arrêtons juste avant, près de Butchiyaco, un îlot garni de mangrove. Fort de l'expérience d'hier, nous mouillons à bonne distance. De toutes façons, nous voulons aussi éviter le risque de recueillir des moustiques, bien ce ne soit pas la saison.

Nous sommes seuls au mouillage, au coin le plus sud-est de l'archipel. Aucun réseau téléphonique ne porte jusqu'ici. On fait donc attention à nous et au bateau.

Butchiyaco
Mise en place de la main de fer
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Jeudi 20 mars 2025

Balade en annexe jusqu'au récif et banc de sable. Il est entouré d'une immense zone où le fond est tout juste suffisant pour l'arbre du moteur hors-bord. Nous avançons en scrutant le fond. L'eau est si transparente que nous nous trompons sur la profondeur réelle. Un coup de pagaie vertical permet de mieux jauger que ça passe plutôt bien, entre cinquante centimètres et un mètre. Nous sommes vraiment loin de tout et casser l'hélice du hors-bord ici nous obligerait à pagayer un bon mille nautique en remontant le vent pour retourner au bateau, ce qui serait une épreuve. J'ai bien sûr emporté la VHF portable s'il fallait appeler au secours en cas de coup dur. Dans ma tête, j'élabore en silence un scénario où je commencerais par remonter le vent à pied le long du récif, puis je pagaierais travers au vent...

Lever de soleil à Butchiyaco
Ils sont contents d'eux

Heureusement, j'ai pris mes chaussures de récif, qui permettent de marcher les derniers cinquante mètres dans peu d'eau sur fond de corail cassé et à l'arrivée sur l'îlot de tirer l'annexe sur le sable. J'amarre l'annexe à un gros caillou avec une sécurisation bien au-delà du rationnel. Liliane explore méthodiquement l'îlot et découvre de superbes coquillages. La zone où on peut marcher facilement est beaucoup plus réduite que sur l'îlot d'hier. Ici, la zone sableuse fait vite place à l'immensité du récif inhospitalier pour la marche. Nous sommes au bord de l'archipel et c'est l'océan qui s'étend au-delà des brisants. D'ailleurs, son grondement est permanent, comme dans le remarquable film Seul au Monde (Cast Away) avec Tom Hanks.

Transparence
La vie persévère dans de rude milieu

Le banc de sable est un point idéal pour le décollage du drone. Les images aériennes sont à couper le souffle. Effet carte postale.

 Vois comme il le prend de haut !

Au retour, je préfère tracter l'annexe le plus loin possible à pied pour éviter tout risque à l'hélice. L'eau m'arrive seulement à la taille, jusqu'au bord du récif, où le bleu profond nous permet de remettre au moteur.

Le paysage nous fascine. La douche face au soleil couchant est grandiose (un peu comme tous les jours, pour être exact).


Madrisqui

Nous avons du temps et pourtant nous devons envisager la remontée vers Madrisqui, parce que l'autre côté de l'archipel est encore plus riche en mouillages prometteurs.

La remontée se fait en confiance en suivant la trace de la veille, par vent de travers et sous génois seul. Dans le sillon profond, nous apprécions maintenant ce chemin entouré de deux récifs turquoises. La tranquillité d'esprit est un des privilèges de l'expérience antérieure. Ce paysage produit des images purement graphiques.

A bâbord...
A tribord...
Tout doux sous génois seul
Approche de Madrisqui, El Gran Roque au fond

Le vent commence à monter, conformément aux prévisions. Le mouillage à Madrisqui est calme, aux côtés de plusieurs bateaux.

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Vendredi 21 mars 2025

Deuxième passage à El Gran Roque

Dès le matin, nous retrouvons l'affluence des vedettes vers la plage et ses tentes. Cela nous change complètement des deux derniers jours et ne nous donne pas vraiment envie de descendre sur l'île.Nous avons assez d'eau pour l'instant, grâce au plein fait il y a quelques jours. Mais en absence de congélateur, et avec les provisions réduites que permettent la superette, nous risquons de manquer de vivres fraîches. Alors nous décidons de faire une escale rapide à El Gran Roque.

Mouillage à Madriski
De Madriski, vue vers El Gran Roque

La navigation de Madrisqui à El Gran Roque est un saut de puce.

De Madrisqui à El Gran Roque

Nous appliquons la méthode qui permet à Liliane de ménager ses côtes : descente dans l'annexe à partir de l'arrière du bateau, en position assise. A terre, débarquement sur une plage de sable, sinon rien. Pas si simple ; depuis que le vent a forci plusieurs jours d'affilée, le clapot a remué l'eau qui est devenue tourbe ; on ne voit plus le fond près du bord. On y va à l'estime et je remonte l'annexe sur la plage juste. Nous allons faire un tour dans les charmantes rues, que Liliane peut apprécier mieux que la première fois. A notre retour à l'annexe, nous découvrons que la petite marée, quelques dizaines de centimètres au maximum, a découvert un rail de corail juste en-dessous de l'annexe. Rien de grave, je m'attelle à la soulever pour préserver le fond et la remettre à flotter dans l'eau. Nous nous en sortons quelque peu souillés d'algues et de vase.

Pour le cas où nous aurions eu besoin d'un prétexte pour aller au restaurant Casa Play, il y aurait la disponibilité de l'accès wifi. Cela nous permet de télécharger les cartes Google Earth des ABC, les îles qui sont à l'ouest de cet archipel ; d'effectuer la mise à jour des cartes Navionics de l'iPad et du téléphone ; et accessoirement prendre des nouvelles du Président des États-Unis.

Simón Bolivar et Francisco de Miranda
Besoin primaire : wifi

Chaque fois que nous sommes arrivés dans ce mouillage, Liliane m'a fait part d'une odeur de poisson. J'ai confiance dans le flair extrêmement sensible de Lili. Je préfère d'ailleurs qu'elle détecte une odeur de poisson que de gasoil. Nous abordons donc la plage et là nous comprenons : nous sommes tout près de la zone où les pêcheurs viennent vider et nettoyer leur poissons avant d'aller les vendre aux restaurateurs. Ils rejettent les restes directement dans l'eau, pour le plus grand bonheur de autres poissons. Curieusement, les pélicans prisent peu les carcasses, fussent-elles encore fraîches.

Courses faites, nous levons l'ancre direction l'ouest de l'archipel, vers Crasqui, une autre petite île vantée dans les guides pour son charme. Sous génois seul, les vingt-quatre nœuds de vent nous propulsent quand même à six nœuds.

De El Gran Roque à Crasqui
Mouillage Crasqui
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Samedi 22 mars 2025

Crasqui

Vaisselle terminée, nous prenons pied sur Crasqui en fin de matinée. La balade sur la plage laisse penser que plusieurs maisons peuvent proposer des menus. Ce n'est pas très clairement indiqué. Une de ces établissements a suscité plusieurs avis sur les réseaux sociaux auxquels nous pouvons encore accéder du fait de la proximité des antennes de El Gran Roque.

Vaisselle à l'eau de mer

Pas beaucoup d'animation extérieure, quelques pancartes dithyrambiques pour Deiby, qui nous conduisent une cinquantaine de mètres en arrière de la plage. En approchant d'un cabanon assorti d'un appenti, une terrasse ombragée abrite plusieurs guides locaux, reconnaissables à leur vêtements anti-UV totalement couvrants, manches et pantalons longs, cagoules et casquettes. Leurs clients sont attablés ; c'est plutôt bon signe qu'ils les amènent ici. Le jeune patron nous accueille avec un grand sourire. Un peu en Anglais, un peu en Espagnol : "Come back in half-an-hour, I prepare to you a dish. Con un pagre, ceviche de pescado, ceviche de caracol, camiguana de la lagune frita, caracol frito y langosta. Eighty dollars para la pareja". Le prix est un peu élevé ; il nous sort un plat témoin sous film étirable. En voyant l'intérieur de la cuisine décoré d'objets artisanaux, la joyeuse animation des trois cuisiniers qui s'affairent et l'odeur des plats en cours, ça donne envie. Un peu sonnés par l'abondance des mets proposés, nous acceptons.

La laguna donde pescan la camiguana

Le repas tient toutes ses promesses. Il y a ajouté des sortes de boules de semoule d'accompagnement que nous ne pourrons pas finir. La langouste et le poisson sont parfaitement cuits. Chaque plat est entouré individuellement de film étirable, et nous comprenons pourquoi. Les mouches ne demandent qu'à venir profiter des délicieux plats. Le vent est monté à vingt et quelques nœuds ces derniers jours, charriant aussi son lot de sable.

Chez Deiby

Après le déjeuner, nous continuons le tour de l'île. Etrangement on y trouve en construction de magnifiques lots de maisonnettes en bois à l'architecture luxueuse, un peu trop par rapport au lieu. Nous aurons l'explication plus tard : cette île fait l'objet de convoitises immobilières et pourrait devenir privée un jour.

Avec climatiseurs
Chauffage solaire pour l'eau sanitaire
Bien conçue et en beau bois

Plus loin les tas impressionnants de coquilles de lambis (aka. caracol en Espagnol ou conch en Anglais). (voir référence biblio [2] )

Cayo Carenero este

Crasqui c'est fini. Nous levons l'ancre pour nous déplacer à quelques milles nautiques plus à l'ouest. L'entrée dans le mouillage entre d'étroites cayes de corail est un peu effrayant, mais on voit à l'intérieur des bateaux plus gros que le nôtre. Quoi ? trois bateaux ? quatre ? C'est Saint-Tropez ! Le chemin dans la passe est un peu sinueux ; ensuite, le mouillage s'avère profond. Il faut aller poser l'ancre près de la mangrove et reculer dans le bleu foncé. Autour de nous, des annexes vont et viennent vers les plages des îlots alentours. Le silence se fait dès le soir déclinant. C'est une constante de cet archipel qui nous surprend par rapport à ce que nous avons connu dans l'arc antillais. A vingt heures, les bateaux sont silencieux et éteints. Au lit ! Sans doute l'épuisement dû à tant de beauté, atteints par la sidération du syndrome de Stendhal. Le vent siffle fort tout le nuit dans les haubans et le bateau se dandine allègrement autour de son ancre.

Cayo Carenero Este
Mouillage à Cayo Carenero Este

Dans l'idée de notre programme, nous allons vers l'ouest et quitterons ensuite l'archipel par cette extrémité. Ce programme austère nous incite à continuer en mode économie d'eau : vaisselle et douche se font à l'eau de mer.

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23 mars 2025

Le lever du jour dans ce mouillage illumine particulièrement les îlets couverts de mangrove alentour. Nous décidons d'aller faire un tour en annexe sur l'île principale de Carenero, une très longue langue de sable. Liliane s'inquiète des rafales et du clapot qui secoue ses côtes lorsque nous sommes face au vent au retour. J'élabore avec elle un scénario de retour le long du récif afin de raccourcir la distance, considérant qu'une des vedettes à moteur voudrait bien nous remorquer en cas de défaillance de notre moteur.

Sur l'îlot, nous passons comme d'habitude autour de toutes les habitations rencontrées. Au détour d'une terrasse se trouvent quatre hommes qui somnolent assis dans l'ombre. Immédiatement à notre vue ils s'animent et nous saluent de gestes cordiaux. Nous pourrions même imaginer qu'ils sont contents de nous voir distraire leur inaction. Ce n'est pas la saison de la pêche. Difficile de comprendre ce qu'est leur vie dans cet abri sommaire. L'un d'eux vient nous parler, demande d'où nous venons. "De Francia ? Ven a ver !" Et il commence à nous raconter l'histoire d'un navigateur Français venu de Martinique chercher le catamaran de son père à Curaçao sur un radeau en bambou. Ce radeau est posé au sec devant nos mines incrédules. Je lui fais répéter toute l'histoire. "-¿Vino con este barco? -¡Claro sí! -¿Y lo dejó aqui? -¡Sí, claro!". Dans la catégorie des folies humaines, embarquer sur ce radeau et traverser cinq cent milles nautiques d'océan ressemble fort au pari du Kon-Tiki. Une fois de plus, notre modeste bateau paraît d'un confort inouï en rapport de ce radeau.

Improbable radeau
Pas candidate pour essayer ce navire

Les chiens locaux, après avoir salué notre arrivée d'aboiements généreux, accompagnent notre déambulation venue distraire leur ennui. Poursuivant notre chemin le long des sentiers, nous parvenons à une magnifique lagune au vent de l'île. Le récif a dégagé une immense "piscine" turquoise. Si nous avions de l'eau douce à profusion, nous nous baignerions volontiers. Retour côté sous le vent ; vers le bout de la langue de sable se trouve installée une tente avec sono, boissons fraîches et deux sièges pliables occupés par des touristes. Nous approchons en essayant de ne pas interférer avec leur tranquillité. Malgré tout, nous ne voulons pas nous priver du plaisir de patauger dans vingt centimètres d'eau sur le sable doux. Nous nous saluons discrètement au passage. J'ai du mal à comprendre comment ils peuvent occuper leur journée. Peut-être ne comprennent-ils pas après quoi nous courrons.

Suivez le guide
Piscine naturelle
Piscines
Au bord de la piscine naturelle

Le retour au bateau face au clapot est bien humide. Pourtant le fetch n'est que de quelques centaines de mètre entre la mangrove et notre annexe, mais le vent est monté à vingt-cinq nœuds permanents et cela suffit à lever ce clapot. Comme nous allons très lentement pour ménager las costillas de Liliane, cela dure...

Mouillage à Cayo Carenero Este

Allez, allez, pas le temps de traîner. Nous levons l'ancre de ce bel endroit pour la promesse suivante.

De jour uniquement

Dos Mosquises

Dos Mosquises est un groupe de deux îles en arc de cercle avec la houle qui passe entre les deux. Sur l'une d'elles, Dos Mosquises Sur [sud], est installé un centre de recherche destiné à préserver les tortues. La perspective de cette visite nous enthousiasme. La tortue de mer est une sorte de Graal du voyageur tropical. Pas pour manger, non, juste pour les voir nager avec aisance et élégance sous l'eau ou musarder autour du bateau.

Nous arrivons en fin de journée en face du chemin d'accès supposé. Les cartes n'indiquent aucun relèvement d'entrée. Nous sommes encore à plus d'un mille nautique et le sondeur indique deux mètres d'eau au-dessus de certaines têtes de corail. Impression de piège quand on a déjà avancé dix minutes dans ce dédale uniformément turquoise. On essaie un peu plus à gauche alors. C'est mieux, il y a trois mètres cinquante et encore de la houle. Très lentement, nous parvenons près de la plage.

Seul bateau dans tout le lagon, nous prenons nos aises ; nous posons l'ancre pile devant les bâtiments de la station de recherche. Avec vingt-cinq confortables mètres de chaîne, c'est royal, je dormirai bien. Liliane énonce par trois fois : "-C'est magnifique". Le vent de Est-Nord-Est souffle de plus en plus fort, plus de vingt nœuds toute la nuit. Il y a un peu de clapot qui entre par la passe, reçu de face, donc le bateau bouge peu. Nous sommes en diagonale de la plage, la météo prévoit qu'il passe à l'Est dans la nuit, donc on se retrouverait perpendiculaire, travers à la houle mais en sécurité.

C'est magnifique à bâbord
C'est magnifique à tribord
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24 mars 2025

Du cockpit, on voit des tortues émerger aux alentours du bateau, parfois trois ou quatre simultanément à la surface à moins d'une centaine de mètres, avant de replonger. Nous n'en avons jamais vu autant.

Ce matin, on lit encore plus de vingt nœuds de vent à la girouette, c'est à dire à peu près la vitesse maximale de vol horizontal du drone (36 km/h). Il arriverait à peine à se maintenir immobile en luttant contre le vent. Sans parler des rafales, ni du fait qu'en altitude, le vent est probablement encore plus fort. Il y a donc un risque élevé, une quasi certitude mêne de ne pas le récupérer. Il restera dans son étui.

Nous nous rendons en annexe sur l'île visiter les installations de sauvegarde des tortues. Ce centre dépend de la Fondation vénézuélienne Fundamar Marina.

L'accueil est chaleureux, comme si nous étions attendus. L'un des interlocuteurs nous explique leur travail. A chaque saison de pontes, les gardiens du parc arpentent les îles avoisinantes à la recherche des lieux de ponte. Ils encerclent le nid d'un filet pour pouvoir récupérer les tortues à l'éclosion des œufs. Elles sont alors préservées dans des bassins en les nourrissant et leur apprenant à se nourrir de crabes, poulpes, coquillages... A l'état naturel, un à trois pour cent des œufs donnent une tortue adulte. Grâce au procédé de protection, la totalité des pontes sera libérée en mer à l'âge adulte. Dans les bacs, on voit donc des tortues à divers stades de développement, notamment de toutes petites très mignonnes. Il y a trois espèces distinctes de tortues élevées ici : les imbriquées, les vertes et les caouannes.

Histoire du nom Dos Mosquises : le guide nous parle du cycle météorologique. De août à novembre, il n'y a pas de vent, beaucoup de pluie et de moustiques. Je rebondis pour demander s'il y a un lien entre mosquito et le nom Mosquises. Le guide nous explique que c'était un mot amérindien désignant le chef. Comme il y a deux îles, cela a donné Dos Mosquises lorsque les Espagnols sont arrivés. Notre curiosité éveillée, il nous invite à le suivre plus loin dans une autre construction de bois qui présente l'état des fouilles archéologiques, par des chercheurs polonais. L'Histoire (avec majuscule) vaut le temps passé : les indiens du continent sont venus ici en pirogues vers le XIVème siècle. Ils vivaient de la pêche et retournaient sur le continent avec des matériaux rares. Au retour, il apportaient des amulettes protectrices à l'allure féminine offertes par leur femme. Le guide nous amène près d'un lieu de fouille censé être le tombeau du chef indien dont on a retrouvé le squelette. A côté se trouve une pirogue en bois, censée être la sienne. Je tais mes doutes sur l'attribution de la pirogue si bien conservée depuis le quatorzième siècle. A moins qu'elle n'ait été enfouie à l'abri de l'oxygène jusqu'à son extraction. Cette belle histoire m'a tout de même incité à y voir de plus près (voir Bibliographie ci-dessous)

Suivez le Guide

Nous entamons un tour pédestre de l'île pour autant que nos chaussures nous le permettent. D'abord une visite à la piste d'un aérodrome désaffecté, histoire de parcourir une fois dans ma vie une piste d'atterrissage. Ensuite les quelques sentiers praticables. Les paysages de cartes postales sont à chaque recoin des plages. On trouve au vent de magnifique "piscines" d'eau turquoise, protégées par la barrière de corail. De retour à la station, je demande si le "bar" est ouvert. Il s'agit d'une cabane de planches à peine plus large que le réfrigérateur qu'elle contient. Le guide nous sort deux petites bouteilles d'eau de 335ml. "-Aquí, agua es ORO !" dit-il en insistant sur le "oro". Nous savons qu'ils disposent à peine de 300 litres d'eau chaque deux semaines, en provenance de El Gran Roque. Et nous avons compté quatre personnes autour des installations.

Le prix total est modique : deux US dollars par personne pour la visite et un dollar pour chaque bouteille du précieux liquide. Evidemment, nous laissons plus que demandé, en guise de contribution à la sauvegarde de ces belles espèces de tortues.

Séquence gaminerie


La "cantine" des gardiens de la station
Retour au bateau

En milieu d'après-midi, nous nous arrachons avec quelques regrets à Dos Mosquises et levons l'ancre pour un saut de puce vers l'ouest. On ne s'autorise même pas à penser "à une prochaine fois".

Que te vayas bien, Dos Mosquises Sur
Dos Mosquises Norte


Becqueve

L'entrée dans la passe entre les deux îles Becqueve et Cayo de Agua paraît plus large, moins stressante que celles des jours précédents. Nous nous glissons assez près de la plage qui forme un arc de cercle un peu protecteur, parce que la passe est ouverte à l'est.

A l'approche de l'endroit qui nous paraît adéquat, Liliane part à l'avant, se saisit de la télécommande du guindeau. Elle me crie "-Ça ne descend pas !". Je fais demi-tour dans notre propre trace GPS sous pilote, pour prendre le temps de réfléchir. Finalement elle annonce "-C'est bon, ça marche". Re-demi-tour ; on mouille, mais ce défaut intermittent nous gâche un peu les arrivées.

Nous sommes vraiment isolés. On distingue un mât dépasser derrière l'autre île. Nous vérifions soigneusement que l'ancre tient bien, parce que sous le vent derrière nous, il y a du corail. Je mets comme dans tous les mouillages la main de fer et une alarme. La main de fer permet de reprendre les efforts de la chaîne sur un taquet, pour éviter que ce soit le guindeau qui porte la tension permanente du mouillage. L'esprit confiant, mais jamais totalement tranquille avec le vent qui monte encore.

Main de fer sur lemouillage

C'est à l'heure de la douche dans le cockpit que Liliane distingue une embarcation dans le soleil couchant. Genre bateau de pêche doté d'une structure haute. Il est sous notre vent et approche très lentement. Aussitôt, cela éveille des soupçons, ravive les souvenirs d'histoires lues ou entendues. D'où sort-il ? Vient-il dans notre direction ? Oui. Non. On dirait qu'il cherche à mouiller. Est-ce qu'il avance encore ? On ne voit pas sa ligne de mouillage. Mais pourquoi reste-t-il de l'autre côté des cayes de corail, en pleine mer ? Même après le coucher du soleil je cherche encore à distinguer sa silhouette et quelques lumières dans la pénombre. La nuit est noire, seulement percée par le feu périodique du phare sur Cayo de Agua, l'extrémité la plus occidentale de l'archipel. Il n'a donc pas mis de feu de mouillage dans la nuit. Aucune lumière intérieure. Vaguement inquiet, Je me lève plusieurs fois pour tentrer de le voir. Au lever du jour, je constate qu'il n'est plus là. Il était effectivement au mouillage et sans doute un navire de pêche.

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25 mars 2025

Toute la nuit, le clapot a clapoté et le vent a venté. Ce matin, on a encore 24 nœuds dans les rafales ; le drone ne sortira pas aujourd'hui.

Pas d'effet vestimentaire, comme on a peu d'eau douce, le short et le maillot de bain sont toujours un peu salés. Autant remettre les mêmes plutôt que de saler d'autres vêtements.

Lever du soleil à Becqueve

La plage de Becqueve est magnifique, immense. Nous nous méfions de cet aspect idyllique. Souvent de longues langues de corail parallèles à la plage sur plusieurs centaines de mètres rendent son accès délicat pour nos pieds et pour le fond de l'annexe. Prudence. Nous chaussons nos chaussures de récif (Décathlon, 5 euros) pour pallier tout risque de nous déchirer la plante des pieds. Il faut bien remonter un mille au vent pour accoster sur du sable. C'est grandiose. La plage est étroite et bordée d'une très longue dune couverte de végétation basse et piquante. Une rapide incursion sur la dune pour la vue du côté au vent où la houle vient se briser. Aux extrémités, le sable laisse place à des éboulis de galets plats et de brisures de corail. On peut y marcher, mais on avance lentement sur ce chaos corallien caillouteux. Cette désolation a quelque chose de sublime ; la végétation basse et les rares animaux qui y vivent sont adaptés à la quasi absence d'eau douce pendant neuf mois de l'année, la présence permanente de sel apportée par les embruns, le vent qui emporte probablement les germes reproducteurs au loin. Liliane photographie un caillou sculpté de formes naturelles vermiformes. Je me demande s'il s'agit de réels vers enfermés dans le corail ou si c'est le corail qui a créé ces formes par un jeu étrange de sa propre croissance. A l'occasion j'ai cherché des informations sur les vers polychètes (voir bibliographie) sans trouver cette réponse.

Sous le vent
Au vent
Herbes épineuses

Nous faisons quotidiennement l'estimation de nos réserves d'eau. Ça pourrait passer jusqu'à Bonaire. Alejandro a bien proposé de venir chercher nos passeports et nous les rapporter tamponnés pour la sortie du pays, sur l'île de notre choix. C'est sympa, mais nos téléphones ne reçoivent plus de réseau téléphonique depuis déjà deux jours. Les dernières bribes de connexion étaient à Carenero. Ce qui signifierait de toutes façons remonter au moins jusque là-bas au vent pour simplement pouvoir l'appeler. Il s'ajoute le fait que nos provisions sont au niveau bas, dans la mesure où il y avait peu de choses à acheter à Gran Roque. Ah évidemment, les bateaux qui disposent d'un congélateur et du gasoil pour le nourrir ont plus d'autonomie. Finalement, nous décidons de remonter à El Gran Roque pour refaire le plein. Vu le prix de la précédente livraison d'eau, nous envisageons seulement l'approvisionnement de nourriture et nous restons donc en mode économie maximale.

Économie max d'eau douce


Sarqui

Nous remontons dans l'après-midi au moteur face au vent jusqu'à Sarqui, où nous n'avions pas fait d'arrêt à l'aller.

Arrivés au mouillage, nous sommes encore trop loin de El Gran Roque pour recevoir un signal téléphonique. Je fais monter le téléphone dans un sac en tête de mât, espérant qu'il recevra un signal 4G là-haut et que nous aurons donc une connexion à Internet via sa passerelle Wifi. Et bien ça ne fonctionne pas. Le point d'accès modem reste muet. Il faudrait bricoler une antenne avec un meilleur gain.

Dans la foulée, je pars avec mon masque et mes palmes examiner l'ancre, histoire de savoir si elle s'est bien enfouie. Surprise, le fond est plein de gorgones sur toute l'étendue de la plage. Je trouve dommage qu'on nous laisse mouiller l'ancre par dessus, au risque de les arracher progressivement à chaque remontée des mouillages. J'apprécie le coup de chance qui fait que notre chaîne se soit glissée entre ces belles colonies. Au passage, je constate avec surprise et mécontentement l'état de la coque, déjà envahi d'algues et même de berniques. C'est fou à quelle vitesse l'anti-fouling refait à Grenade s'est chargé. Évidement, maintenant que les produits sont inoffensifs aux organismes marins il ne font plus leur fonction d'anti-fouling. Normal, tout comme les colles qui ne collent pas et les soudures qui ne soudent pas.

Épave sur Yanqui
Montée du téléphone en tête de mât

Les îles présentent de grandes similitudes de paysages. Pourtant, chaque jour, chaque mouillage me fait l'impression d'être le meilleur jamais rencontré et chaque plage, la plus exceptionnelle. C'est ainsi et il sera très difficile de répondre à la question "Quel est votre île préférée ?"

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26 mars 2025

Des rafales à 28 nœuds. Encore pas de drone aujourd'hui !

Deux autres bateaux de voyage sont au mouillage. C'est la première fois que nous voyons d'autres voyageurs depuis notre arrivée à Los Roques. Quelques saluts distants sont échangés, mais on les aperçoit à peine. Apparemment ils ne recherchent pas de contact plus rapproché.

Nous partons visiter Sarqui. L'exploration se limite vite à la lisière sableuse. Comme déjà expliqué, les îles désertes à l'état naturel se caractérisent par leur abord très inhospitalier : buissons épineux, larges espaces de coraux brisés et galets chaotiques, herbes rases aux boules piquantes comme des échardes et salines boueuses. Il faudrait venir en pantalons longs épais et chaussures de brousse pour progresser là-dedans.

Un gros tronc échoué sur la plage d'un archipel où il ne pousse que des buissons soulève des interrogations. D'où vient-il ? Est-il sud-américain ? Quelle tempête a bien pu le sortir de sa forêt d'origine ? Quelle longue traversée a-t-il faite ? A-t-il erré longtemps avant de prendre sol sur cette île ? Comment a-t-il pu traverser les barrières de corail interposées sur sa route depuis le continent ? A-t-il transporté avec lui des hôtes biologiques étrangers à la faune locale ? Quelle folle perturbation induit-il dans le milieu ? Restera-t-il longtemps ? A-t-il commencé sa route accompagné d'autres arbres dispersés par le hasard des vents et des courants ? Va-t-il repartir à l'occasion d'une prochaine grande marée tempétueuse ?

Bateaux de voyage à Sarqui
Sarqui
Sarqui
Échoué à Sarqui
Sarqui
Sarqui
 Couleurs non retouchées

Nouveau départ ; Liliane au balcon avant, le guindeau obtempère et l'ancre remonte. Hop ! en route vers l'île suivante dans l'après-midi.

Liliane au guindeau


Noronqui Arriba

Noronqui est une île double (Noronqui Arriba et Noronqui Abajo). On peut entrer entre elles par le côté sous le vent et le récif corallien au vent protège l'immense zone située entre les deux îles. A cet endroit, la houle, brisée par le corail a disparu. L'horizon est ourlé de blanc, mais autour du bateau l'eau est plate. Il reste les rafales qui tendent à mettre le bateau travers au vent si la propulsion est trop faible. Pourtant on aimerait bien avancer au ralenti, mais il faut garder assez de vitesse pour être manœuvrant. Passage délicat dans un chenal non matérialisé, et une carte marine qui indique peu de point de mesure de profondeurs. Nous naviguons à vue, c'est le cas de le dire, nos yeux grands écarquillés pour jauger la couleur de l'eau. Le sondeur est notre meilleur ami, dont Liliane surveille les moindres décimales et égrène les profondeurs à voix haute. Un petit coup à gauche, un à droite pour aller voir de plus près les abords du lagon. A coup de zigzags entre les couleurs douteuses nous aboutissons dans le lagon qui constitue l'objectif pour le mouillage, un trou de treize mètres de profondeur. Nous nous approchons du bord pour trouver une profondeur raisonnable où poser l'ancre. Je n'aime pas trop l'idée de mouiller l'ancre par cette profondeur. Cela oblige à mettre beaucoup de longueur de chaîne et je me dis que si le guindeau est déficient, j'aurai du mal à la remonter. De loin, on identifie qu'il y a déjà une canot et deux personnes marchant sur la plage. On approche et on finit pas descendre l'ancre dans six mètres d'eau. Une petite traction en arrière pour vérifier la tenue ; c'est bon. Soulagé, je vois qu'on pourra rester à ce mouillage, le plan B étant de changer d'île.

Au mouillage à Noronqui

Une rapide discussion avec Liliane sur le programme du lendemain nous convainc de partir visiter cette île immédiatement, car demain nous avons une journée chargée pour le retour à El Gran Roque, les provisions de départ et les formalités de passeport.

Les visiteurs emballent leur campement dans un petit canot à moteur et prennent la route de El Gran Roque. Nous voici seuls.

Côte au vent
Cairns
Message très inclusif
Noronqui, c'est fini, on rentre
Douche gratuite mais bien salée
YAS ! (Yet Another Sunset)

Depuis que nous sommes hors de la desserte touristique principale, les nuits ont changé d'aspect. Aucune lumière artificielle, pas de musique et par coïncidence, la Lune s'approche de son dernier croissant. La sortie du soir dans le cockpit au moment du brossage de dents permet de vérifier que la Grande Ourse et la Croix du Sud sont toujours à leur bonne place, respectivement à bâbord et à tribord, dans la mesure où le vent oriente toujours le bateau face à l'est. Ce sont des repères rassurants dans la nuit absolument noire. La belle Orion et les Pléiades, ainsi que les traditionnelles Jupiter et Saturne viennent décorer la voute. On n'aperçoit pas la Voie Lactée, le ciel est légèrement brumeux avec l'humidité ambiante. L'espace sonore est rempli sans discontinuité par le sifflement du vent dans les haubans et le mugissement du récif où la houle se brise. Artefact du cerveau, on entend le récif beaucoup plus proche qu'on ne le voit en plein jour, impression irrationnelle bien sûr, le point GPS est formel, le bateau se dandine autour de son ancre et j'ai triple-vérifié que l'alarme de mouillage est bien activée. Il faut se résoudre à s'arracher à ces émerveillements de son et lumière et aller dormir.

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27 mars 2025

La sortie du lagon en suivant la trace de la veille est triviale. Merci la technologie.

Entre Noronqui et Gran Roque, nous sommes quasiment en plein océan. L'île vers laquelle nous remontons le vent au moteur est encore trop loin pour que sa protection se fasse sentir. La houle est abrupte et chaotique, le fond plat de la coque tape souvent. Nous prenons patience et finissons par arriver à Gran Roque.


Troisième passage à El Gran Roque

Nous avons pris rendez-vous avec Alejandro en milieu de matinée pour les formalités de sortie du Vénézuela.

La leçon du jour

Nous nous présentons dans la zone de mouillage, en avance lente bien face au vent comme à l'école de voile. Avec la faible vitesse et le vent assez fort, il y a un court moment où je mets au point mort, le bateau s'immobilise, je crie vers l'avant "-Mouille !". Habituellement, Liliane descend rapidement les premiers mètres de chaîne, l'ancre touche le fond et ensuite la chaîne se dévide alors que vent emporte la bateau vers l'arrière. Aujourd'hui, la chaîne ne se dévide pas. Cela ne nous surprend pas outre-mesure. Je remets en marche avant et je dirige le bateau vers le large à vitesse lente. Je vais à l'avant et je constate comme Liliane que le guindeau refuse tout service. Comme ces derniers jours, dirait-on. Mais non, pas tout à fait, non seulement il ne descend plus, mais il ne monte plus. Je me dis "-Au moins la panne est franche, on progresse". Je soupçonne toujours le relais. Très sûr de moi, je dis à Liliane "-Tu vas voir, on va mouiller à l'ancienne." J'explique : "-Quand je te dis de mouiller l'ancre, tu déverrouilles le guindeau d'un quart de tour avec la manivelle et l'ancre descend toute seule. Pour arrêter la chaîne, tu verrouilles dans l'autre sens et c'est tout. -D'accord, montre-moi". Bon, j'essaie. Ça ne fonctionne pas. Muni de mes gants, je titille la chaîne. Elle sort difficilement. Pas normal. Je force, ça vient un peu. Pendant qu'on avance lentement, je sors quelques mètres de chaîne pour amorcer. Liliane fera le reste au moment de mouiller. "-On y va." Nous faisons demi-tour et nous représentons au mouillage. "-Mouille !". L'ancre descend un peu, mais le barbotin se coince et la chaîne ne se dévide pas librement, le bateau part en travers et dérape dans le vent, l'ancre cabane dans le fond en pente, les secousses débloquent le barbotin et la chaîne descend alors très vite. Liliane bloque comme prévu quand elle voit passer la marque des vingt-cinq mètres. Mais comme cela a pris trop de temps, nous sommes maintenant dans le bleu. Le sondeur indique douze, quinze, vingt mètres. Nous sommes en dérapage libre. Fiasco total. {divulgachage : une pièce du guindeau est complètement fissurée ; on ne le saura qu'à l'étape suivante à Las Aves.}

Je remets le bateau en avance lente vers le large. Vingt, vingt-cinq, trente mètres de fond. Bon, l'ancre est à pic, tout le mouillage pend à l'étrave. Il va falloir remonter tout ça. J'essaie à nouveau le guindeau. Rien ! Fichtre, il va falloir remonter vingt-cinq mètres de chaîne, plus les vingt kilos de l'ancre à la main. J'ai eu fait ça quand l'étais jeune, une fois à Chausey. J'en étais sorti avec le dos, les cuisses et les bras "chauds". A mon âge, il faut ménager mon dos, surtout ne pas ajouter un lumbago aux côtes cassées de Liliane. Je ne fais pas part de mes doutes à Liliane. Assis à l'étrave, les deux pieds calés contre le balcon, les mains gantées, j'essaie d'amorcer la remontée, prêt à enclencher la main de fer pour reprendre des forces. Je remonte bien péniblement un mètre, deux mètres, trois mètres. Je suis à bout. Pendant que j'essaie d'enclencher la main de fer d'une main, la chaîne que je retiens de l'autre main m'échappe lentement et inexorablement. Je reperds mes trois mètres, le mouillage continue de pendre sous le bateau... Je peste évidemment contre le constructeur qui n'a pas jugé utile de doter notre bateau de voyage d'un vrai guindeau, doté d'un levier manuel à cliquets, genre le modèle Caïman. Changeons de méthode : on va "faire marguerite", un long bout frappé sur les maillons de la chaîne, tendu jusqu'au winch de génois. On peut ainsi remonter deux mètres à la fois, puis aller à l'avant bloquer la chaîne, libérer le bout, le frapper le plus en avant possible et recommencer. Musculairement facile mais très lent. Après plusieurs tronçons, avec une coordination entre l'avant et le cockpit, nous avançons bien. Le bateau continue de s'éloigner lentement loin de la zone de mouillage. Il reste quinze mètres. Je teste à nouveau le poids. Tiens, ça paraît plus raisonnable. Je peux finir les quinze derniers mètres à la main. J'ai au moins appris ça aujourd'hui.

Fort de cette leçon, je dépose ces quinze mètres en tas bien pensé dans la baille à mouillage. Je bloque le reste de la chaîne pour qu'il ne sorte pas un mètre de plus. Et nous repartons nous présenter une troisième fois au mouillage. La fortune sourit aux persévérants. Quand Liliane libère l'ancre, la chaîne descend bien et cette fois-ci, l'ancre croche bien. Je teste au moteur la tenue. C'est bon, nous voilà ancrés proprement. Dans quatre mètres d'eau, les quinze mètres suffiront bien.

Leçon du jour :

1) le guindeau manuel est aussi d'un maniement aléatoire ;

2) à la main, ne pas descendre plus qu'on ne pourra remonter à la main (soit 15 mètres pour mon impressionante musculature).

Pas le temps d'investiguer la panne. Juste faire un message à Alejandro pour lui dire qu'on sera un peu en retard. "-­Tranquillo !" répond-il en proposant un autre horaire. J'aime l'Amérique Latine.


Nous embrayons sur la suite : annexe, recherche d'une zone de sable pour que Liliane puisse descendre sans contorsionner sa cage thoracique, on parcourt les rues pour aller au rendez-vous, Alejandro nous attend avec sa fiancée, il demande nos passeports, précipite un peu les opérations : "-Qual día quieres salir ? El veintinueve si es posible. Vale". Il part. A peine le temps de commander un café et de discuter avec sa fiancée au bar que voilà Alejandro de retour avec les passeports. Je suis incrédule, mais les formalités son bien terminées en un quart d'heure. "-I am the fastest clearance of the Carribean", s'amuse-t-il devant ma mine ébahie. Et la date est bien celle demandée, après-demain, le 29 mars, ce qui nous laissera le temps de nous poser une nuit avant de quitter l'archipel. En plus les tampons du Venezuela sont jolis.

Nous nous apprêtons à prendre congé. Alejandro nous demande s'il peut faire autre chose pour nous, par exemple un complément d'eau. Mon visage doit marquer mon hésitation. Il s'empresse d'ajouter que le paiement de la dernière fois correspondrait à un total de cinq cents litres d'eau et qu'on n'aurait donc rien de plus à payer. Du coup, Liliane et moi acceptons. Nos calculs montrent qu'on pourrait aller jusqu'à Bonaire avec ce qu'il reste, mais nous sommes alléchés à la perspective de prendre à nouveau des douches moins restreintes (quoique notre consommation d'eau reste largement inférieure à n'importe quel usage sobre de notre vie citadine).

Nous concluons que la livraison se fera le lendemain matin temprano (tôt). Du coup, cela annule nos plans de migrer vers Crasqui pour la nuit. Nous resterons face à El Gran Roque. De toutes façons, il reste le problème du guindeau à traiter. Alejandro me propose de lui envoyer la photo du relais supposé fautif et qu'il demanderait autour de lui. Sympa.


Bien que ce soit notre troisième passage dans cette île et son village-capitale, nous tombons encore sous le charme des portes, entrées, ruelles, patios joliment colorés et décorés. Il semble que nous n'en finissons pas de découvrir de nouveaux détails ; les photographies témoignent de nos étonnements.

A midi, c'est restaurant Bora del Mar. Il est tenu par une charmante femme d'origine catalane. Aussi bien elle que son fils nous servent avec le sourire et une approche paisible qui semble indiquer "nous avons le temps". Leur ceviche de pescado est tout simplement délicieux.

Restaurant Bora del Mar

Pas de sieste, il reste à faire les courses. On trouve toujours assez peu à acheter au supermarché. Les panaderias sont fermées et j'ai hâte d'aller investiguer la panne du guindeau. Il ne reste que le pain de mie du supermarché, très blanc, friable et un peu sucré. Vale (ça ira).

🛠Retour sur Tusitala. Muni du multimètre électrique, j'investigue ... Uh ? aucune tension sur le relais. C'est donc le disjoncteur qui s'est ouvert ; une fois réarmé, le guindeau fonctionne à nouveau. Bonne nouvelle. Je me sens un peu ridicule de ne pas avoir pensé tout de suite à aller voir le disjoncteur. Il n'est donc pas DAVANTAGE en panne que les fois précédentes où il refusait aléatoirement de descendre. S'il faut choisir (ce qui n'est pas vraiment une option), je préfère un guindeau en panne de descente qu'en panne de montée. A cet instant, il fonctionne dans les deux sens, je ne peux donc pas investiguer davantage. L'inspection visuelle des cosses, des câbles et du relais lui-même montre que tout est plutôt en bon état. Pas de corrosion. A tout hasard, je pulvérise de la bombe "contact" sur toutes les connexions et je referme soigneusement les boîtiers d'interconnexion.

A défaut d'avoir trouvé les yaourts de nos rêves, Liliane a remis en œuvre ces derniers temps le procédé de fabrication. C'est une alchimie délicate. Beaucoup vous diront "-C'est très facile", en pensant sans doute à la yaourtière thermo-stabilisée orange des années 70. En fait, c'est une alchimie précise. Trop chaud, ça tue les ferments lactiques ; pas assez chaud, ils sont inactifs ; dans les deux cas, ça ne fait pas du yaourt. Et si la durée de maintien à la bonne température (50°C) n'est pas assez longue, la consistance ne sera pas correcte. Idem si le bateau s'agite au mouillage pendant la fermentation. Liliane gère tous ces paramètres en chauffant le lait exactement à la "bonne température" (secret industriel), puis empile les bocaux dans la cocotte-minute dans un ordre exact pour en maximiser le nombre ; et laisse opérer en entourant le récipient de torchons isolants (non, ce n'est pas brevetable). Je témoigne que le résultat est excellent. N'était tout ce travail occasionné pour huit yaourts, on n'aurait plus besoin d'en acheter.

Sur Marine Trafic, l'AIS nous positionne encore à Grenada. Pourtant, le nôtre est bien en émission depuis notre arrivée à Los Roques. J'en conclus qu'il n'y a aucun récepteur en service officiel et connecté à Internet pour rafraîchir la position sur les serveurs publics.

Dernier soir à El Gran Roque
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Vendredi 28 mars 2025

Nous nous levons tôt pour nous préparer à recevoir la livraison d'eau. Pare-battages, entonnoir, nables ouverts, bidons et bouteilles de cinq litres vides attachés dans les filières, nous les attendons. Vers huit heures, nous voyons passer lentement la grosse barque près de notre bateau. Me voyant sur le pont, il me font comprendre "volvemo' " ("nous revenons", en ne prononçant pas le "s" final, évidemment). Et ils poursuivent en direction de la station de dessalement et du ponton attenant. Passe encore une heure. Nous patientons. La route prévue aujourd'hui a de la marge. Finalement on aperçoit la barque pointer son étrave dans notre direction. Ils sont deux. Le pilote manœuvre la lourde barque avec anticipation et dextérité. Je noue leur amarre arrière à notre taquet avant et la barque se range tranquillement dans le vent contre notre bordé. Ils me tendent un tuyau et branche le fil. Tout a l'air bien mieux préparé que la première fois. Ils me tendent aussi un tuyau plus gros qui s'emboite dans le premier pour pouvoir alimenter l'autre réservoir à notre bâbord sans déplacer leur embarcation. Bien organisés, vraiment. Pendant ce temps, j'avise le gros bidon posé au fond de leur barque ; c'est un deux cents litres. Je les informe que j'avais demandé à Alejandro plus que ça. "-Sí, sí, claro. Hay mucho mas aqui." en me montrant un énorme réservoir bleu au milieu du bateau, qui doit contenir au moins cinq cents litres. "-Tienne un balde? ¿un qué? un cubo! (seau)". J'apporte donc deux seaux. Et voilà l'assistant qui commence à transvaser à la main du gros réservoir vers le petit pendant que la pompe continue à remplir les nôtres. Simple et efficace, non ?

Après les réservoirs, c'est au tour des bidons supplémentaires et de plusieurs bouteilles plastiques de cinq litres d'eau minérale recyclées pour nos futures douches. A l'approche de la fin, l'assistant remplit mes deux seaux et les pose sur le pont. Plutôt généreux, ces gens-là. Je ne regrette pas de les faire travailler plutôt que d'aller chercher l'eau moi-même.


Nous préparons le départ. Un dernier message à Alejandro pour prendre congé et lui demander de m'envoyer la facture finale. Il m'appelle, nous souhaite une très bonne croisière, me donne son email pour que je le tienne au courant de notre départ. Il semble vraiment se préoccuper de ses clients, tout en se gardant d'intrusion dans notre programme. C'est plus qu'espéré. Au sujet du paiement de l'eau, il conclut que c'est cadeau ! J'en reste assez pantois, je le remercie abondamment et lui souhaite le meilleur de la vie. Finalement nous l'avons assez peu dérangé et il doit trouver que le paiement de son forfait de service suffit. Ainsi entretient-il sa relation commerciale avec soin. Il demande juste que je contribue aux réseaux sociaux pour dire ce que je pense de son service.


Cayo de Agua

Vers dix heures trente, le guindeau (*) accepte de coopérer et nous levons l'ancre. La route vers Cayo de Agua descend dans le vent. Nous partons avec génois seul au grand-largue. Naviguer avec une seule voile est un plaisir de jouisseur paresseux, façon Philippe Noiret. Pas de souci avec le risque d'empannage, réglage facile aux changements de direction, comportement doux et silencieux.

(*) Le lecteur connaîtra la suite de l'histoire du guindeau à la prochaine étape. Stay tuned !

La prévision de vingt nœuds n'est pas vraiment au rendez-vous. On aurait pu porter le code D. Qu'importe, c'est un tel plaisir de nous laisser glisser entre toutes ces îles que nous avons visitées toute la semaine écoulée (la semaine précédente, nous étions de l'autre côté de l'archipel). La houle est apaisée. "-C'est turquoise de chaque côté", déclare Liliane. Nous avançons dans les sillons qui partagent les îles et leurs récifs coraliens. A part Gran Roque, ces îles sont toutes très basses, quelques mètres au plus. Dès qu'on s'en éloigne, on n'en voit plus qu'une fine ligne couleur sable clair très lumineux soulignée de bleu turquoise. Encore un ou deux milles plus loin, on le perd totalement de vue ; tout au plus en reste-t-il un trait qui épaissit un peu l'horizon.

C'est émouvant de les voir défiler. Pas sûr qu'on y revienne un jour. ¿Quien sabe?

L'énoncé de leur nom évoque en nous le plaisir que nous avons pris à les visiter : Gran Roque, Noronqui, Crasqui, Sarqui, Cayo Carenero, Becqueve, Dos Mosquises et finalement Cayo de Agua.

En milieu d'après-midi, nous parvenons au but du jour, Cayo de Agua. Une superbe île qui fait face à Becqueve, déjà visitée. Nous allons voir le mouillage le plus à l'ouest, aux pieds du phare, qui paraît le mieux abrité à l'examen de la carte ; très vite nous voyons que même au fond du mouillage dans très peu d'eau, la houle entrera par le travers du bateau, occasionnant un roulis désagréable. Nous revenons sur nos pas à un mille à l'est, où se trouve une autre anse. Le plus possible au fond, dans deux mètres cinquante de profondeur, un peu de houle passe encore au-dessus des cayes de corail, mais moins qu'à l'anse de l'ouest. Nous posons l'ancre sur du sable turquoise, avec une confortable longueur de chaîne de quinze mètres.

Vite, annexe à l'eau, trajet vers la plage où se trouvent encore un canot à moteur et ses clients, sous une tente "meublée". On voit qu'ils plient bagage et embarquent, nous laissant seuls sur ces deux îles, reliées par une langue de sable à peine émergée, un tombolo où les vagues viennent mourir des deux côtés. Le vent permet de sortir le drone. J'explore de nouvelles fonctions. Je reste modeste dans les évolutions car je tiens à éviter de le perdre à l'eau ou de le casser.


Peu après le coucher du Soleil, dans ce lieu éloigné de Gran Roque et en période de nouvelle Lune, une nuit très noire tombe autour de nous. A quelques mètres du bateau, on ne distingue plus rien de l'eau qui nous entoure. Seul le bruit du récif nous rappelle sa présence. Autour du bateau on entend souvent des plongeons de poissons, parfois en cascades. On imagine des bancs entiers fuyant des prédateurs nocturnes.

A Cayo de Agua, nous sommes à l'extrémité la plus ouest de l'archipel, loin du réseau et de l'île principale El Gran Roque. Dans les starting-blocks pour naviguer plus à l'ouest dès demain.

Comment conclure une telle étape ? Peut-être en affirmant "Los Roques, escale incontournable !" et "Bravo Liliane pour les deux semaines de mouillages forains et explorations d'îles avec las costillas rotas".

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Recherches bibliographiques :

[1] Dos Mosquises. Isla sagrada del Caribe (en espagnol)

https://pueblosoriginarios.com/sur/caribe/dos_mosquises/dos_mosquises.html

[2] Pre-Hispanic Fishery of the Queen Conch, Strombus gigas, on the Islands off the Coast of Venezuela

https://www.arqueologiausb.org/_files/ugd/a91671_34aa456f08c04ba0a73a9dc13d4448e0.pdf?index=true

[3] Sourcing nonnative mammal remains from Dos Mosquises Island, Venezuela: new multiple isotope evidence

https://link.springer.com/article/10.1007/s12520-016-0453-6

[4] World Register of Marine Species (WoRMS)

https://fr.wikipedia.org/wiki/World_Register_of_Marine_Species

https://www.marinespecies.org/subregisters.php

[5] eBird

https://ebird.org/home

[6] Les Polychètes

https://fr.wikipedia.org/wiki/Polychaeta

https://www.researchgate.net/publication/309104334_Polychaetes_associated_to_calcareous_sediments_Venezuela_Canalipalpata


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