Carnet de voyage

Les Îles de l'Atlantique

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Des îles, des rencontres et des traversées...
Du 18 janvier 2023 au 11 mars 2024
419 jours
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Nos amis nous ont fait l'honneur de lire et commenter les précédents épisodes, et plusieurs de nous dire qu'ils les ont appréciés. Nous allons donc poursuivre l'insolente prétention de raconter et de publier la suite de notre récit de voyage. Quoique ! finalement, je les comprends nos amis. Parce qu'ils peuvent toujours survoler d'un oeil les photos, parcourir les vidéos en trois clics, zapper les incessantes digressions du rédacteur, tout ça en écoutant leur podcast préféré ou en sirotant leur apéro. L'existence même d'un blog permet d'éliminer le risque, à notre retour à Paris, d'une épouvantable soirée de projection photos, émaillée de l'insupportable récit des souvenirs des voyageurs. Je les comprends.

Le croirez-vous ? Ce blog nous sert également de mémoire de notre voyage. Nos mémoires ont vite fait de mélanger les paysages, intervertir les escales, brouiller les noms des rencontres. C'est aussi un distillat de l'essentiel des milliers de photos récoltées.

18 janvier 2023

Faisant suite au carnet qui racontait notre parcours de Roscoff à Cascais au Portugal, celui-ci envisage de présenter les étapes insulaires de notre vie nomade. Il démarre au moment où nous reprenons pied sur Tusitala à Cascais après un intermède continental et familial.

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Déjà douze jours que Tusitala se dandine au ponton de Cascais. Objet inanimé qu'on peine pourtant à laisser seul.

De retour d'une incursion utilitaire en Espagne, nous nous activons pour remettre Tusitala en état de navigation. Lorsque nous le fermons pour plusieurs jours, nous démontons tous les équipements extérieurs amovibles, afin de diminuer leur exposition inutile aux intempéries et aux éventuelles fausses manoeuvres des autres bateaux du port. Il y a aussi pléthore d'objets qui prennent des libertés aux escales et qu'il faut remettre à leur place, fixés, ficelés, coincés en filets, emballés, élastiqués pour rester immobiles et silencieux lorsque le bateau s'animera. Tout remettre en ordre de marche nécessite une journée de manipulations.

Survol du Tage à Lisbonne
Survol du Tage à Lisbonne
Appontage
Appontage
Les magnifiques sanitaires de Cascais
Les magnifiques sanitaires de Cascais

Avec Liliane, nous passons du temps à soigneusement analyser les prévisions météos. Vent, houle, pluie, une combinaison complexe de critères, jamais tous parfaitement favorables, qu'il s'agit de peser en termes de sécurité, de rapidité et de confort. Pour l'heure, à notre retour sur la côte portugaise, il ne fait pas un temps à mettre un remorqueur dehors, avec six à sept mètres de creux. Une fenêtre favorable se profile pour le 20 janvier, avec vent portant inférieur à vingt-cinq noeuds et houle inférieure à trois mètres. Au fil des mises à jour des modèles, la fenêtre se décale au 21, puis au 22. Nos familles suivent en temps réel nos atermoiements, avantage et piège de l'instantanéité des réseaux sociaux. Le créneau visé laisse entrevoir du vent portant pendant plusieurs jours. Une sorte de cadeau plein de tendresse après les mois à subir du vent frontal depuis notre départ.

On va attendre un peu...
On va attendre un peu...
Prévisions pour l'arrivée à Porto Santo
Prévisions pour l'arrivée à Porto Santo
Nettoyage de l'hydrogénérateur plein de sel
Nettoyage de l'hydrogénérateur plein de sel

(le lecteur pressé pourra sauter les deux prochains alinéas sans perte excessive de substance)

La traversée prévue de Cascais à Porto Santo, première île de l'archipel de Madère, devrait durer environ quatre jours. La présence de vent suffisant signifie que le moteur restera à l'arrêt pendant toute la traversée. Il devient donc nécessaire de mettre en place les dispositifs qui nous rendront autonomes en électricité pendant toute la traversée. Outre le panneau solaire, qui couvre environ la consommation intermittente du réfrigérateur lorsque la journée est ensoleillée, c'est l'hydrogénérateur Seatronic qui va générer suffisamment de courant électrique pour compenser toute la consommation, essentiellement celle du pilote électrique et des instruments de navigation & sécurité. Le reste, éclairage, PC, téléphones et appareils photos, est marginal. L'hydrogénérateur est un alternateur, muni d'une hélice que l'on plonge sous l'eau à l'arrière du bateau. Lorsque le bateau avance, le flux d'eau fait tourner l'hélice, qui génère du courant électrique, comme tout alternateur. Cette énergie est donc "prélevée" sur celle du navire. Le ralentissement est minuscule, insensible, car propulser un bateau de plusieurs tonnes nécessite une énergie autrement plus importante que celle produite par l'hydrogénérateur. On peut donc dire que cette énergie est d'origine éolienne, puisque c'est bien le vent qui génère l'énergie primaire propulsant le bateau. Quand on poursuit le raisonnement, on peut se dire que le vent est issu du contraste thermique entre zones froide et chaude lié au rayonnement reçu du soleil. Lequel soleil rayonne cette énergie à partir de la fusion de l'hydrogène. Ce qui veut finalement dire que tout notre bateau fonctionne à l'énergie nucléaire ! Plus prosaïquement, notre hydrogénérateur est bloqué par le sel des précédentes navigations. Décoinçage de l'axe au chasse-goupille ("Comment, vous n'avez pas un chasse-goupille dans votre bateau ?"), rinçage, nettoyage, enduction de graisse silicone... et réinstallation.

En complément, nous avons un régulateur d'allure. C'est un dispositif purement mécanique qui permet de conserver une allure constante par rapport au vent. Il peut jouer le même rôle que le pilote électrique, certes moins précis, mais avec une consommation absolument nulle, puisqu'il n'utilise que les forces du vent et de l'eau pour maintenir la barre du bateau. C'est un équipement dont le principe date des années cinquante, il a bercé l'imaginaire de tous les voileux de ma génération, nourri par les lectures des navigateurs de l'époque, essentiellement Bernard Moitessier, Robin Knox-Johnston, Eric Tabarly, Francis Chichester et les Damiens. Il fleure bon le romantisme de boomer post soixante-huitard : "on n'installe plus ce genre de chose" me disait avec un air condescendant le jeune commercial d'un salon nautique à qui je faisais remarquer que le minuscule tableau arrière de son bateau interdisait l'accueil de ce genre d'équipement. Paradoxalement, c'est l'écologisme politique contemporain qui redonne de la vigueur au choix conscientisé d'un régulateur d'allure, à faible empreinte décroissante, environmentally-friendly, low-tech, éco-responsable et durable, limite néo-luddiste, en tous points conforme au plan gouvernemental d'économie énergétique. Bref ! c'est un plaisir de voir cet appareil tenir le bateau sur sa route, barreur infatigable, silencieux et sobre. Pour rationaliser ce choix, Liliane et moi le considérons comme une redondance en cas de panne du pilote électrique, plutôt que d'emporter un vérin électrique ou un calculateur de rechange. C'est rassurant de savoir que nous avons un bonne disponibilité opérationnelle pour la fonction de pilotage, qu'il est hors de question d'assurer nous-mêmes à la barre sur un longue durée. Le nôtre est un modèle Cap Horn, conçu par Yves Gélinas.

Une part importante de la logistique concerne la nourriture. Il est capital en traversée de pouvoir se nourrir à moindre effort les premiers jours, quand la fatigue et le mal de mer se liguent pour inciter l'équipage à abandonner toute velléité de cuisine. Nous prévoyons donc avec soin des plats préparés à bord la veille du départ, disposés en boîtes hermétiques, si possible assez variés, caloriques et pas trop gras pour que la digestion soit facile (tout ce qui est digéré ne sera pas vomi). Au-delà de deux jours, il redevient plus facile de vivre à bord et de cuisiner quelque chose. Nous constatons à l'occasion de ce dernier supermarché continental à quel point il est difficile de se procurer ne serait-ce que des yaourts sans sucre, luxe de bourgeois néo-bobo. Dans la philosophie de l'acheteur Auchan de Cascais, si tu veux des yaourts sans sucre, c'est que tu es malade et donc il seront aussi à 0% et planqués dans un coin marginal du rayon laitage, une sorte d'achat honteux, comme les préservatifs dans les années soixante-dix. Nous avons depuis longtemps aussi renoncé au fromage non pasteurisé, comparable, en dehors de la France, à l'ingestion de Fugu.

En prévision d'une traversée plus longue que les précédentes, nous faisons aussi avancer le projet de rangement des panneaux de descente. C'est une sorte de mini scandale de notre époque moderne que le constructeur d'un bateau à plusieurs centaines de milliers d'euros (neuf sortie usine) ne prévoie aucune solution pratique pour fixer les deux panneaux de la descente lorsqu'on les enlève en navigation (dans le cas le plus général, la descente reste ouverte, à part s'il y a du très gros mauvais temps). Un peu comme si la porte d'entrée de votre appartement devait être rangée dans la chambre d'amis quand vous êtes chez vous. Ces deux panneaux de plexiglas encombrent donc l'intérieur et chaque propriétaire se débrouille à les caser tant bien que mal. Jusqu'à présent nous les posions sur les matelas de la cabine avant, inutilisée. Mais c'est quand même une solution désordonnée et impraticable si l'on naviguait avec plusieurs équipiers. Après de nombreuses réflexions et observation de la solution du bateau Noramax rencontré à Bénodet, nous choisissons de bricoler un système de fixation à base de pontets et d'élastiques. Avant de faire des trous dans une cloison, nous mesurons et re-mesurons soigneusement, faisons un maquettage, une présentation à blanc, etc. Une fois l'installation terminée évidemment on se dit "on aurait dû... plus haut... plus bas..." Néanmoins, c'est fait, nos panneaux ne traineront plus sur la couchette des invités. On avance. A l'arrache, mais on avance. Ça nous a quand même occupé une demi-journée.

Nous réactivons l'abonnement Iridium. Ce lien par satellite permet de maintenir un contact avec une personne amie restée à terre. Que la situation soit bonne ou mauvaise, il est très rassurant de savoir qu'une personne attentive surveille notre route et capte nos messages. C'est très rassurant aussi pour la famille de recevoir une mise à jour de situation. Nous rédigeons un message quotidien. La plupart du temps, il consiste en "TVB" ("Tout Va Bien") assorti d'une situation nautique succincte. Si ça allait très mal, de toutes façons on appellerait directement le CROSS ou le CCMM. Bref, encore un magnifique exemple de notre sublime et désespérante dépendance à la technologie. Qu'aurait donc pu écrire Homère si Ulysse avait eu une messagerie Iridium pour donner des "news" à Penelope ? Penelope aurait-elle attendu Ulysse si elle avait su dans quelles difficultés à forte probabilité létale il se trouvait ?

Nous nous efforçons aussi de tout assécher à l'intérieur et dans les coffres avant le départ. Les dernières semaines ont été très (très) pluvieuses au Portugal, les cloisons, les vêtements, la literie... tout poisse. C'est un élément de confort fondamental en mer de pouvoir aller dormir dans un duvet sec. Comme le vent portant est un flux de nord-est, il promet d'apporter avec lui un rafraîchissement notable, quoique sans commune mesure avec ce que vivent nos parents ou amis en France.

La vérification de nos "grab-gabs", que Liliane gère méticuleusement fait aussi partie de la préparation au départ. On installe aussi le "pinger" dans un seau à l'arrière, prêt à être jeté à l'eau en cas d'attaque d'orques, que la terminologie écolo-normée nomme "interactions", afin de ne pas stigmatiser les orques.

Les derniers jours sont encore ventés et pluvieux. Cela fait s'évanouir la possibilité de monter en tête de mât pour remplacer les godets de l'anémomètre. Nous partirons en l'état. Comme déjà dit, on peut naviguer sans connaître la vitesse du vent au noeud près.

Liliane et moi allons entamer avec confiance une traversée que nous n'avons jamais faite en équipage réduit. Les traversées de la Manche ou du Golfe de Gascogne étaient limitées à un peu plus de 24 heures, et menées en équipages plus étoffés. Je crois que nous nous sentons prêts.

Il nous reste juste le temps d'une courte balade sur les pontons, entre autres pour aller observer le gréement de deux bateaux de course que je lorgne depuis notre arrivée à Cascais. Il y a toujours de bonnes idées à glaner sur les bateaux des coureurs. Et aussi le temps d'un dernier restaurant, ce qui nous évite d'avoir à faire la vaisselle la veille du départ.

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Traversée de Cascais à Porto Santo

Publié le 1er février 2023

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L'océan, enfin ! Il est juste là de l'autre côté du brise-lame. Quatre-cent-soixante-seize milles nautiques d'eau à courir au portant sur la route directe jusqu'à Porto Santo.

Dimanche 22 janvier

Lever sans urgence ce dimanche matin, un peu fébriles quand même à l'idée de la traversée qui se concrétise. La mise à jour de la météo confirme les précédentes estimations. Quand on part pour quatre jours, on n'est pas à une heure près. Et d'ailleurs, nous en perdons une d'heure, à attendre que la pompe à gasoil soit libre, un énorme catamaran à moteur venant prendre incontinent pas moins de neuf cents litres. Lassés d'attendre qu'il dégage la place, nous transvasons un jerrican de notre réserve dans le réservoir principal et je vais à pied remplir mon bidon. Vingt litres, c'est assez ridicule, mais cela doit donner une mesure approximative cohérente, bien que peu scientifique, de nos coûts respectifs de fonctionnement.

Vent prévu au départ
Vent prévu au départ
Houle prévue au départ
Houle prévue au départ
Vent prévu à l'arrivée
Vent prévu à l'arrivée
Houle prévue à l'arrivée
Houle prévue à l'arrivée

A la sortie du port, voiles hissées, nous prenons la route calculée le matin au petit déjeuner, sur la base des derniers fichiers du vent prévu pour les prochains jours. Ces simulations ne sont "que" des calculs. Même s'il faut leur accorder une confiance prudente, ils présentent l'avantage de donner une indication intéressante sur la route optimale. Quelque effort que l'on fasse en mer, le bateau réel sera toujours moins performant que le bateau théorique. Tous les navigateurs de croisière qui utilisent ces outils savent que c'est une course perdue d'avance que de poursuivre le petit bateau bleu (ou vert ou rouge) sur l'écran du traceur. Il est toujours devant. Mais cela donne un objectif de bonne tenue de la route. Ne pas se relâcher. Pas trop. Les premiers temps où j'utilisais cet outil, il était gravement optimiste. C'est à dire que les temps calculés étaient inatteignables. En effet, nous voyageons avec un bateau très chargé (400 litres d'eau, 180 litres de gasoil, du matériel de sécurité et des provisions de long cours), au total pas loin d'une tonne de poids supplémentaire au poids de sortie usine. Cela impacte les courbes de vitesse du bateau, qui sont données pour un plan d'eau parfait. A force de corrections méticuleuses à la baisse, nous arrivons à disposer d'une simulation plus réaliste et crédible. Résultat à évaluer dans quatre jours.

Ponton d'accueil, en attente que le ponton carburant se libère
C'est parti
Premier déjeuner en mer
Frein de bôme à poste
Le panneau solaire est orienté pour maximiser le flux reçu

Le vent est léger au début, nous sommes encore abrités du flux de nord-est par les effets de la côte. Quelques heures plus tard vers le sud-est, nous touchons enfin le vent prévu ; et la houle qui va avec. Nous établissons les voiles pour une allure au grand-largue. Il faut dire que le vent se trouve pile dans l'axe de la route directe de Cascais à Porto Santo. Pour des raisons techniques, un bateau pile vent arrière va moins vite que s'il est légèrement décalé, disons de vingt à trente degrés de cette route. C'est le grand-largue. Le routage théorique, qui prend en compte cet effet, nous propose donc de décrire un grand "S" de part et d'autre de la route directe. Juste avant la première nuit, nous établissons un ris dans la grand-voile, en conservant le génois.

Dans l'après-midi, alors que je reprends la tension du hale-bas, j'entends un claquement, je vois à l'avant un petit objet noir qui tombe sur le pont. Je me harnache et je vais voir. C'est la poulie de renvoi du hale-bas qui s'est cassée. Le cordage est sorti du réa et a écarté la joue en plastique de la poulie, qui a fini par casser. Pire, le cordage est resté bloqué. Le hale-bas ne fonctionne plus du tout. Une minute de réflexion. On ne peut pas rester comme ça, surtout s'il fallait plus tard prendre un deuxième ris. Je ne vois pas d'autre solution que de "shunter" la poulie qui coince. Avec la pince coupante, que nous avons toujours sous la main dans la descente, je coupe la bosse du palan de part et d'autre de la poulie et ensuite, je raboute les deux bouts du palan. Sans sa poulie, il tire un peu de travers mais fait son office. Ça ira bien jusqu'à ce que je puisse réparer proprement.

Les heures s'égrènent. La lumière décline. Quelque magnifique que soit le coucher de soleil, l'arrivée de la nuit apporte toujours une légère anxiété. La Lune est à peine un mince croissant, et la mer sera très obscure. Nous nous préparons à la nuit, notamment en enfilant des vêtements chauds. C'est aussi le moment d'adapter toute l'ambiance lumineuse du bord : atténuation à 15% des rétroéclairages des instruments, basculement des applications de navigation en mode "nuit", atténuation des écrans des téléphones, utilisation des frontales en lumière rouge exclusivement, extinction des plafonniers. Et même ajout d'un bout de scotch sur deux diodes bleues de prises USB un peu trop lumineuses (il faudra mettre du vernis à ongle). Rien ne doit perturber la vision de nuit qui se détruit en une seconde avec une lumière blanche et met une vingtaine de minutes à se reconstituer. J'adorerais avoir un seul interrupteur "jour/nuit" qui bascule tous ces réglages. Et aussi trouver une lampe frontale qui fasse du vert au lieu du rouge, parce que le vert permet de continuer à voir beaucoup de nuances alors que le rouge écrase la luminance de toutes les couleurs. Va trouver le poussoir bleu de ton Bic quatre couleurs quand la lumière te les montre toutes monochromes identiques !

Poulie de renvoi du hale-bas de bôme
Ecce RM !


C'est la première fois depuis l'achat de notre bateau que nous prenons la pleine mesure de ses capacités et de son confort sur une période de plusieurs jours dans du vent soutenu. Se détacher de la côte, de la nécessité d'arriver avant la nuit, de la marée, de l'heure de fermeture du port, des cailloux à contourner, des bateaux de pêche à slalomer permet de se laisser complètement imprégner de la sensation de glisse. Nous le savions rapide (en tant que croiseur de voyage, rien à voir avec un bateau de course). Le Golfe de Gascogne ne nous avait pas offert de vent portant durable. Maintenant Tusitala nous étonne vraiment. Le vent s'est maintenu plutôt stable en direction, d'une force raisonnable (on avait tout fait pour sélectionner cette option météo, non ?), ce qui nous permet de descendre continuellement dans le vent, poussé également par la houle arrière et d'en profiter pendant les jours et nuits. Franchement, je trouve cette sensation fascinante. Regarder le long sillage mousser à l'arrière. De la plage avant, embrasser du regard tout le pont du bateau surfant comme un ski en poudreuse (pour ceux qui aiment). A l'intérieur, sentir les accélérations de la glisse lorsque le bateau descend le flan d'une vague et par les panneaux latéraux, voir enfler la vague d'étrave. Sur la carte électronique, voir s'allonger la petite trace en pointillés.

Lundi 23 janvier

Après cette première nuit à deux, le lever du jour est bienvenu. Le ciel est grand bleu d'un horizon à l'autre, le vent frais et soutenu.

Le contrôle des batteries montre que la consommation électrique du frigo, du pilote et des instruments a siphonné presque la moitié de la capacité (reste 55/52%), soit 100Ah sur les deux cents que nous avons au total. Nous descendons donc l'hydrogénérateur à l'eau, qui commence à ronronner et à produire 8A en moyenne. Un bonheur. Je mesure l'évolution de la charge des batteries et je retiens comme règle du pouce que pour une vitesse de l'ordre de 6 à 7 noeuds, il charge 3% de la capacité totale par heure de fonctionnement (tout en alimentant les consommateurs déjà cités).

Le ciel limpide est l'occasion, à la tombée du soir, de voir Vénus près du tout premier croissant de Lune faire la course pour aller se coucher à la poursuite du soleil ; puis la nuit, appuyé sur les filières arrières (1) voir scintiller le plancton dans les remous du bouchain et du safran ; et surtout surtout, laisser son regard flâner sur les constellations aux noms familiers, les planètes Jupiter et Mars au milieu de la nuit, grosses comme des gommettes, se délecter de la Voie Lactée, tellement lumineuse qu'on la dirait crémeuse et étalée au rouleau. Tiens c'est extraordinaire cette Petite Ourse si basse qu'elle touche l'horizon nord, et ce baudrier d'Orion si haut ! la théorie de la Terre plate en prend un sérieux coup. Tout ça est un peu la concrétisation du rêve d'ado, l'accomplissement de cet imaginaire hérité des lectures déjà citées. Cela ravive aussi avec une exaltation toute proustienne des souvenirs des nuits d'été en montagne, dans le Mercantour, avec mes amis lycéens niçois, où j'étais déjà en proie aux mêmes émerveillements face au ciel nocturne immense.

(1) par exemple, pour manœuvrer l'hydrogénérateur, soigneusement harnaché à une longe que nous laissons à demeure à l'arrière, jaune pour qu'on la voie même dans l'obscurité, gros mousqueton facile à clancher sur notre harnais.

A la poursuite d'un idéal vert
Réconfort du soir : un plat chaud

L'observation astronomique dure peu, il fait quand même froid, d'autant plus que le vent arrive par l'arrière et que le cockpit est donc exposé, sans abri possible sous la capote. Pas question de bailler aux étoiles filantes. Une fois fait mon tour d'horizon de surveillance, un coup d'oeil au ciel et je rentre me mettre au chaud quand je sens que le froid pénètre les polaires. Bon, c'est très relatif comme froid. Nous ne portons pas de ciré, comme c'est souvent le cas en Manche même en plein été. L'air est à 16°C et le vent souffle entre 15 et 22 noeuds. C'est aussi pour beaucoup grâce à cette rare possibilité offerte par ce bateau de surveiller la mer directement de l'intérieur, le séjour à l'extérieur peut être réduit à son minimum. On pourrait même rester en Croc's et grosses chaussettes mais je redoute de devoir sortir dans l'urgence et ce serait risqué d'avoir de mauvaises chaussures. La personne de quart se chausse donc de manière adéquate pour bondir éventuellement sur le pont (il paraît que cette habitude se perd sous les tropiques, nous verrons bien).

Le tour d'horizon est assez régulièrement bredouille. Pas un navire, pas un dauphin, pas un troquet. Rien ! Tout au plus l'AIS nous signale-t-il parfois un croisement lointain à plusieurs milles nautiques. Une fois passés les rails de commerce proches du Portugal, la mer est un vaste désert.

Ces deux premiers jours, la vitesse dépasse parfois nos envies. Quand une rafale nous pousse à 9 noeuds, qu'elle se conjugue à une vague qui attrape la coque de l'arrière, le bateau accélère au-delà de 10 noeuds, on sent que le pilote "mouline" beaucoup pour tenir la trajectoire. Il y parvient, mais nous découvrons que dans les mouvements extrêmes il grince. A cette vitesse, il apparaît plein de nouveaux bruits, l'emballement de l'hydrogénérateur, le sifflement de l'eau sous la coque, des craquements sur les diverses manœuvres lorsqu'elles se tendent, parfois le claquement d'une vague à plat-coque. Nous ne sommes pas (encore) habitués à ce régime furieux. Difficile d'aller dormir en redoutant un empannage intempestif, si le pilote venait à être débordé. Soucieux de ménager le matériel, nous réduisons la toile. En plus du ris déjà pris dans la grand-voile, nous rentrons le génois en début de nuit. C'est au moment de ce changement que je me rends compte que nous avançons presque aussi vite sous GV seule. Normal, à l'allure du grand-largue, la grand-voile masque presque entièrement le vent de la voile d'avant. Elle est donc inefficace, et elle bat constamment, se vidant et se gonflant brusquement, ce qui occasionne des claquements violents de son écoute et du chariot. Dans la journée, j'avais commencé par moufler avec un vieux reste d'amarre l'avaleur d'écoute qui cognait. Ça avait bien atténué le bruit. Mais quand nous nous retrouvons carrément sans voile d'avant, le silence est encore plus profond, on n'entend plus que le bruit du sillage. Amélioration bienvenue, surtout pour celui qui dort. Nous resterons sous grand-voile seule à un ris pendant les jours suivants. La bôme est bien tenue par le frein de bôme et elle reste donc fixe et silencieuse. Evidemment toutes ces manœuvres sont très tendues.

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Mardi 24 janvier

Au soleil levé, après les rituels chargements de fichiers météo par la connexion Iridium et petit-déjeuner avec Liliane, la manœuvre suivante consiste à empanner. Nous avons suffisamment fait d'ouest et nous allons maintenant descendre au sud, tout en conservant l'allure de grand-largue, mais sur l'autre bord (bâbord amure). Ce nouveau cap nous amène normalement en route directe vers Ilheu de Cima, le point visé pour préparer l'atterrissage, au-delà duquel il reste juste un petit mille pour rejoindre le mouillage de Porto Santo.

Improbable rencontre à trois au milieu du désert
Bienvenu lever de soleil
Vue de la banette, juste avant de fermer les yeux
C'est bientôt bon pour empanner vers le sud

Dans la nuit, le vent a baissé, on aurait pu techniquement renvoyer toute la toile. Mais le sommeil de celui qui est hors-quart est bien meilleur quand le bateau est un peu assagi. En général, nous évitons les manœuvres la nuit. Il y a toujours un "truc" qui foire et nécessite d'aller se promener à l'avant avec la frontale. Quelques heures plus tard, je suis de quart et je commence à larguer le ris pour remette la grand-voile haute. Il ne vient pas. Je vais en bout de bôme pour l'aider à passer, et là je constate que le cordage a perdu sa gaine sur un bon mètre. Il ne reste que l'âme, la gaine est toute boudinée plus loin. Cela ne diminue pas sa résistance en traction, mais il ne sera pas possible de le faire coulisser. Je retends donc le ris comme il était pour que la voile reprenne sa forme et son efficacité. Difficile de comprendre ce qui est arrivé à cette bosse de ris. Sans doute usée par un frottement excessif pendant plusieurs jours consécutifs. Cela corrobore la théorie du "un emm... par jour de navigation".

Nous avançons toujours, mais à cinq noeuds seulement, ce qui contraste terriblement avec les précédents jours. Bizarre cette impression de "perdre son temps" quand le bateau n'est pas à son maximum, et paradoxalement de souhaiter que le plaisir d'être en mer dure. Je gamberge... Il serait possible de larguer le ris en le démontant par l'autre bout, côté bôme, ce qui permettrait de renvoyer la toile. Mais ensuite, s'il fallait reprendre ce ris dans l'urgence, cela prendrait trop de temps de le regréer. Il paraît probable qu'à l'approche de la terre le vent se renforcera localement. Une autre solution serait d'inverser les deux bouts de la bosse en utilisant lui-même comme messager à l'intérieur de la bôme, mais ça prendra une bonne heure (si tout se passe bien) et ça ajoutera de la fatigue. Prudemment je décide de conserver le ris jusqu'à l'arrivée, et tant pis pour la vitesse un peu lente. Les bruits de la coque et du gréement sont bien moindre à l'intérieur. On devrait encore mieux dormir. Ah mais non. Parce que cette petite cuillère qui tinte dans la tasse et les bols qui glissent dans la cuvette et le bocal qui fait cloc-cloc dans l'équipet deviennent maintenant insupportables avec la houle et le roulis qu'elle induit. Une lavette micro-fibres au fond du bac à vaisselle, un calage adéquat des bols et du bocal, problèmes résolus. Un combat incessant...

Liliane a pris le rythme des quarts, de jour comme de nuit. Lorsque nous naviguions en club, nous prenions en général les quarts à deux. Maintenant, c'est simple, nous sommes deux au total... Donc pendant que l'un dort, l'autre est de quart. Assez inquiète au début, il était convenu que Liliane devait me réveiller au moindre doute, à la moindre inquiétude. A cette difficulté s'ajoutait parfois un peu de mal de mer et le froid, qui rendaient difficile la tenue d'un quart de plusieurs heures. Nous avons donc abandonné l'idée d'une durée fixe de quarts et adopté la méthode consistant à réveiller l'autre juste avant de n'en plus pouvoir. Et ça fonctionne. Au début les quarts de Liliane faisaient une heure et demi, et dans les derniers jours, plutôt deux heures, deux heures et demi et finalement trois heures. Royal ! Précisons que les quarts se poursuivent nuit et jour. Il y a deux moments où nous aimons être réveillés ensemble, c'est le matin juste après le lever de soleil pour prendre le petit déjeuner (pour autant que ce mot ait encore un sens dans un régime de quarts roulants) et le soir, juste après le coucher du soleil, où nous faisons de la grande cuisine, c'est à dire un plat chaud de raviolis ou de pâtes. A part ces deux moments, nous nous croisons à chaque relève de quart pour échanger les informations sur les évènements ou la situation courante. C'est assez rapide, parce que celui qui termine son quart est assez pressé d'aller dormir.

Pour celui qui reste de quart, c'est le début de l'alternance entre les tours d'horizon soigneux, au minimum chaque vingt minutes, la surveillance de la route et des cibles AIS éventuelles, et des activités plus personnelles, grignotages, lecture... En ce qui me concerne, j'ai (re)découvert toute la richesse de l'offre des podcasts, grâce à notre amie Séverine, elle-même autrice. J'en ai téléchargé une grande quantité avant de partir. Philo, histoire, littérature, sciences, ça prend peu de place sur le téléphone. Et je peux donc en écouter avec un écouteur (un seul, il faut garder une oreille disponible pour les alarmes et les bruits du bateau). C'est très pratique, on peut écouter assis à la table à carte, debout en train de se préparer un café chaud, et surtout dans le noir, qui permet de continuer à surveiller la mer à travers les panneaux transparents. Merveille que cette conception de l'habitable du RM1060, permettant de voir sur presque 360° à l'extérieur tout en restant au chaud.

Liliane a pris confiance dans l'AIS. Quand l'alarme sonne, pas de panique, le navire que nous allons croiser est encore loin. Il y a le temps pour l'identifier visuellement et voir sa route. Et vice-versa, quand on voit un navire par ses feux, on peut aller chercher sur la carte quelle est sa route.

Nous pratiquons le principe de la "bannette chaude", c'est à dire une seule couchette gréée avec une toile de roulis. Lorsqu'arrive le moment d'aller dormir, éperdu de reconnaissance pour l'équipier du quart montant, c'est un grand bonheur de se glisser dans le duvet laissé chaud par lui. Se blottir et se sentir calé entre le toile de roulis et le dossier de la couchette est un grand réconfort. En position allongée, les mouvements du bateau paraissent bien plus doux. En général, on sombre très vite dans le sommeil.

(le lecteur pressé pourra sauter l'alinéa suivant)

Dans ce vent modéré subsistent des périodes de rafales. Pour des raisons de composition vectorielle entre la vitesse du bateau et celle du vent, cette augmentation de vitesse aboutit à modifier l'orientation apparente du vent, parfois de plus de dix degrés. Cela pourrait être négligé si notre allure n'était pas si près du vent arrière, avec le risque d'empannage intempestif. Un bon barreur humain adapterait son cap de façon à conserver la même orientation apparente du vent. Mais le pilote électrique est actuellement en mode "conservation du cap". C'est donc le moment où je me dis qu'il faut utiliser le mode "vent" du pilote, qui utilise l'information de la girouette pour faire comme le très bon barreur. Je n'ai jamais eu trop confiance dans cette élaboration logicielle complexe du pilotage électronique. Souvent je vois la girouette faire des bonds. Comment le calculateur du pilote va-t-il interpréter ces variations ? Bon, j'essaie. J'observe un moment le comportement du pilote, en surveillant ce qu'il fait pendant les sautes de vent. Apparemment il filtre bien les variations trop courtes d'information de la girouette et conserve une allure correcte dans les surventes. Après plusieurs minutes, la confiance vient un peu. Il faut encore un bon moment pour que j'ose le quitter des yeux. Pour ma tranquillité, j'ajoute quelques degrés de sécurité sur la consigne de maintien, à 150° sur bâbord. Deux heures plus tard, c'est le quart de Liliane. Je quitte donc mon quart en laissant le pilote en mode vent. Finalement, ce mode a l'air de vraiment bien fonctionner malgré la houle qui persiste à agiter tous les capteurs.

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Mercredi 25 janvier

A mon réveil, je constate que tout s'est bien passé pour le pilote laissé en mode vent. Le bateau a fait quelques ondulations sur la route puisqu'il a suivi les variations d'orientation du vent. Nous le conserverons dans ce mode jusqu'à l'approche de Ilheu de Cima.

Comme tous les matins, je charge les fichiers de vent prévu (GRIB) et je recalcule un routage pour l'arrivée. Le vent doit forcir un peu mais cela reste conforme aux précédentes prévisions. Les derniers calculs montrent obstinément que nous devrions arriver de nuit, surtout avec la journée un peu lente d'hier où nous sommes restés sous-toilés. Cela fait partie des aléas de la voile. Il est impossible de garantir une heure d'arrivée. Liliane et moi réfléchissons aux divers choix, après lecture attentive du Guide Nautique. Nous optons pour le mouillage à l'ancre à l'abri de la jetée. Nous prévoyons même qu'il pourrait y avoir plusieurs bateaux et qu'il faudra allumer le projecteur pour savoir où mouiller. Avant le coucher du soleil, je vais à l'avant préparer l'orin de l'ancre à la bonne longueur pour éviter de faire tout ça de nuit dans la précipitation.

Another Day in Paradise

L'arrivée devrait avoir lieu vers 3 heures du matin le lendemain. Nous nous organisons pour avoir chacun quelques heures de sommeil en prévision des manœuvres d'approche et de mouillage.

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Jeudi 26 janvier

En fin de nuit, le vent forcit comme prévu. Les dernières heures se font donc souvent à sept noeuds. Au passage on observe la carte marine qui montre que l'on navigue tout près de gigantesques montagnes sous-marines de trois mille mètres de hauteur par rapport à la plaine abyssale. Pas de risque de toucher les sommets, ils sont encore à plusieurs centaines de mètres sous l'eau. Ces sommets sont aussi le reflets de ce qu'on voit au-dessus de la mer. Et c'est Liliane qui flippe un grand coup au milieu de son quart en voyant les énormes "picos" noirs droit devant. Bien que nous soyons encore à plusieurs heures de route, leur masse se détache distinctement sur le fond des nuages éclairés d'en-dessous par les lampadaires de la ville, lesquels sont invisibles, cachés derrière ces sommets. Ça peut se lire sur la carte, mais rien d'évident. La raison qui nous dit que les paramètres sont corrects et que le bateau va passer juste à gauche du cap lutte contre la peur diffuse du noir et de ces blocs sombres d'apparence monstrueuse et agressive. Une arrivée de jour paraîtrait dérisoirement plus sereine.

Sommets sous-marins
Time-To-Go 1 heure 39 min, ça sent l'écurie

L'arrivée dans la baie se confirme sportive. Plus personne n'a envie de prendre des photos. Le vent moyen est encore monté aux abords du cap et les rafales font blanchir la mer. Après le passage du phare, la baie s'ouvre en grand et dévoile la rangée de lampadaires sur la plage de neuf kilomètres de long, il est temps d'empanner à nouveau pour faire route vers le rivage. Afin d'éviter un véritable empannage par ce vent un peu fort, nous procédons à un virement lof pour lof. C'est à dire qu'on fait faire au bateau un tour presque complet sur lui-même, en commençant par remonter vers le vent, puis on vire face au vent et on redescend sur l'autre amure. Très bien, ça avait marché au milieu de la traversée. Mais cette fois-ci ça échoue, on reste planté au vent de travers, cap vers le rocher à sept noeuds. Pas de panique, la raison dit bien que nous sommes à presque un mille du vilain caillou et qu'on a donc le temps de finir la manœuvre. Oui, mais la grosse masse noire, qui obstrue quand même un quart de notre horizon, parle à nos tripes plutôt qu'à notre raison. Les curieux pourront zoomer sur la trace de notre trajectoire à ce moment et voir qu'il faudra nous y reprendre à trois fois, incluant de remettre la trinquette pour mieux équilibrer la voilure et rendre le bateau mieux manœuvrant. Au deuxième échec nous préférons faire un bout de chemin pour nous éloigner de l'inquiétant pico. Une fois qu'une certaine sérénité est revenue dans l'équipage, la nouvelle route nous propulse vers la plage. Encore un moment d'incertitude pour identifier l'entrée du port. La carte dit bien qu'elle est à droite, bon sang. Il faut encore une bonne demi-minute pour convaincre l'esprit de pousser le regard bien à droite, tout près de cette masse noire que l'on toujours n'a pas très envie d'approcher. Les deux feux, rouge et vert de l'entrée sont bien là.

Le temps de mettre le moteur en marche, assez tôt pour vérifier qu'il veut bien, rentrer la trinquette, puis tomber la grand-voile. Il faut aussi pousser le moteur assez haut pour faire face aux rafales qui déboulent maintenant de l'entre-deux-picos et font dévier l'étrave. Un premier passage devant la zone de mouillage nous convainc que la mise à l'ancre est une mauvaise solution, la houle balaye toute la plage, pas aussi haute qu'en pleine mer évidemment, mais suffisamment pour rendre le mouillage invivable. D'ailleurs il n'y a aucun bateau, contrairement à d'autres périodes où cet endroit est très fréquenté. Avec Liliane, nous envisageons donc les diverses options pour entrer dans le port, bouées, quai d'accueil, pontons. Si l'intérieur est très plein, il doit y avoir peu de place pour manœuvrer et avec ces rafales on va éviter d'y traîner. On fait donc des allers-retours le long de la plage et de sa rangée de lampadaires pour installer les amarres, les pare-battages, tout ça des deux côtés puisqu'on ne sait pas comment on sera amarré. On y va. Entrée facile, petit tour vers le quai d'accueil. Ça se présente "compliqué". Il reste une place entre deux autres gros bateaux. Objectivement, il y aurait la longueur pour s'y mettre, mais il faudrait faire un créneau. Bof bof. Marche arrière. Inspection rapide des pontons. Pas de place. Re-marche arrière, heureusement le vent est pile dans l'axe. Décision rapide, on va prendre une bouée dans le port, comme au bon vieux temps de la Bretagne. Liliane n'aime pas. Un passage pour choisir la plus facile, avec examen de la profondeur. C'est bon, on y va. Liliane avec la gaffe à l'avant, moi à la barre. On approche, pas trop vite. Une rafale prend l'étrave et nous met en cinq secondes vent de travers. On recommence. Approche lente, pas de rafale. "Je l'ai", crie Liliane. Je fonce l'aider à l'avant. Une amarre, le noeud au taquet. Ouf, respirez.

Tranquillement ensuite, doublage de l'amarre, pavillon jaune (Q) dans les barres de flèches (*), extinction des feux et de la navigation, les dents, et au lit, dans la cabine double cette fois-ci. Il est trois heures du matin.

La traversée a duré trois jours et dix-sept heures. La mer et le vent ont été conformes aux prévisions et cléments pour nous. C'était une belle traversée, la première si longue à nous deux et la confirmation que ce bateau nous convient.

(*) ce pavillon permet de signaler que nous n'avons pas encore fait la "clearance" administrative.

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Encore le jeudi 26 janvier

Après quelques heures de sommeil dans notre cabine, nous prenons un petit déjeuner et nous gonflons l'annexe pour nous rendre à terre. Formalités administratives obligatoires. On ne plaisante pas avec ça. S'il y a bien une activité humaine que la mondialisation a réussie, c'est la propagation de l'Administration du pole nord au pole sud et sous toutes les longitudes. Pour mieux vivre ces moments obligatoires, il suffit de considérer que cela fait partie du voyage, voire de son exotisme. Ça se passe bien. Au-delà d'une semaine, on a intérêt à payer un mois pour la modique somme de 122€.

La marina fait libérer une place par un petit bateau qui peut tenir sur un ponton plus petit. Le maître du port vient même à pied nous montrer la place. "Muito obrigado". Retour au bateau en annexe, nous quittons la bouée et migrons vers cette place confortable au ponton.

Dans la marina de Porto Santo, Tusitala est entouré de bateaux occupés, ce qui nous change des derniers mois. Malgré nos dates non conventionnelles, nous ne sommes pas seuls sur la route. Un petit bateau est arrivé quelques heures après nous. La mer les a sans doute beaucoup plus malmenés que nous. Ils sont jeunes et confiants. Sur les quais, on voit l'animation des équipages (parfois constitués d'une seule personne). Dès les premières discussions du matin nous constatons qu'il y a une immense majorité de bateaux français, un voisin polonais, un belge, un allemand, un néerlandais.

Bouée du matin
Formalités accomplies, descente du pavillon Q
Loka procède à l'inspection de notre bateau. Ya pas d' lézard

Nous sommes entrés dans le monde des voyageurs. On en voit de toutes sortes. Ceux qui en sont à leur septième année de voyage, ceux qui ont définitivement adopté le bateau comme logement et la marina comme domicile fiscal, ceux comme nous, qui vont "descendre" (i.e. aux Canaries), ceux qui prévoient plusieurs mois de réparations au sec... C'est l'occasion aussi de "mesurer" à quel point diverge l'appréciation de la longueur de bateau nécessaire à ces navigations. Lors de séminaires et rencontres de plaisanciers en France nous étions placés dans la catégorie des petits bateaux, certains considérant que 45 ou 50 pieds (~15 mètres), voire un catamaran de ces tailles étaient requis pour leur projet, notre 35 pieds paraissait presque un engagement étrange. Ici, nous rencontrons des couples sur des huit mètres, voire un peu moins. Ils assument leur choix, essentiellement fait de contraintes budgétaires. Ils ont aussi traversé et on se doute que leur perception de la mer doit différer de la nôtre. Comme disent les Anglais "Go small, but go now".

L'indice majeur du voyage, c'est le mur intérieur de la digue couvert d'écussons peints par tous les bateaux de passage, vieille tradition tolérée par les habitants et les autorités locales.

Timeli, un autre RM, a laissé son écusson
Petite marina accueillante et peu chère
Porto Santo 

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Publié le 16 février 2023

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Tourisme à Porto Santo

Porto Santo est une île charmante. Loin de toute fureur touristique en cette saison, la vie s'y écoule paisiblement. C'est le bon endroit pour louer une voiture et visiter les environs. Une journée suffit amplement à faire le tour de l'île par "la" route. Elle serpente entre les picos et on retrouve la vue sur la mer à tout bout de virage. La végétation est rase, les arbres très rares et ajoutés par de patients jardiniers. De loin l'herbe paraît fluo et rappelle certaines couleurs de l'Islande. De près on voit qu'il s'agit de petites fleurs jaunes au milieu de l'herbe. Nous passons aussi une petite demi-heure sur le sentier pédestre qui mène au Pico do Castelo. De là-haut, la vue est admirable sur tous les côtés de l'île.

Ici aussi il y a des amateurs de belles voitures anciennes
Vue plongeante sur la marina de Porto Santo
Malgré la couleur, l'herbe fluo ne se fume pas !
La route fait le tour du Pico do Castelo
La prochaine étape, c'est par là !


Peinture rupestre

Il est de tradition pour chaque voilier de passage de laisser son empreinte sur le mole en béton de la jetée, long de plus d'une centaine de mètres. Chaque équipage invente son logo avec une créativité illimitée. Les talents (ou leur absence) s'y expriment librement. Nous passons deux bons jours à préparer notre oeuvre rupestre. Trouver la superrette qui vend les petits pots de peinture et les pinceaux, préparer un croquis, rechercher une place sur le mur en veillant à ne pas recouvrir un précédent écusson, tracer à l'échelle notre logo et découper un pochoir dans un carton récupéré dans la poubelle jaune, peindre le fond blanc après avoir vérifié les prévisions météo, laisser sécher, revenir terminer le logo et les écritures, admirer le résultat. Deux jours.

Un autre RM passé par ici
Et des bateaux connus !
Peinture du fond blanc
Confection du pochoir
Job done !

Vie de pontons

Trois autres jours passent étonnamment vite, entre petites réparations, discussions de pontons, apéro avec notre voisine Alice et son chat Loca del Mar, lessives, courses... La chasse à l'humidité nous occupe aussi. Ayant parfois négligé les recommandations de nos prédécesseurs, consistant à supprimer tout carton dès la sortie du supermarché et marquer les boîtes métalliques et sachets plastiques au feutre indélébile (et on nous l'avait bien dit). Nous découvrons certains paquets garnis de moisissures. La leçon pas chère aboutit à jeter quelques denrées.

Le vent dans le port est incessant. C'est bien pratique et économique pour faire sécher et déplisser la lessive.

Quelque chose a fondamentalement changé depuis notre arrivée : la température ambiante plus douce, notamment la nuit.

Vérification des stocks et chasse aux paquets humides
J'en veux mille comme ça.

Porto Santo est plaisant et la marina pas chère, au tarif mensuel de 122€, qu'il devient avantageux de souscrire au-delà de quatre jours. Il arrive néanmoins un moment où l'envie de reprendre la route nous démange à nouveau.


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32.741799,-16.712173

Madère, le grand jardin

Publié le 22 février 2023

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Traversée vers Madère

3 février 2023

Nous choisissons un jour de beau temps avec un vent d'est assez modéré. C'est l'occasion de tester à nouveau le spi asymétrique. Nous l'avions déjà envoyé dans les sorties préparatoires de Roscoff en septembre. Un jour de vent trop faible, il s'était accroché dans les barres de flèche qui lui avaient fait un accroc et nous l'avions fait rapiécer chez le voilier de Roscoff, tout en gainant soigneusement les extrémités des barres de flèche. Nous préparons le spi avant le départ du port pour simplifier la manœuvre.

Quitter la marina et les connaissances que nous y avons faites est un petit arrachement. Nous savons que dans quelques heures nous rencontrerons d'autres gens passionnés et passionnants, et aussi que sur ces routes de traversées il est fréquent de retrouver des navigateurs déjà croisés.

La journée est délicieuse, il fait déjà chaud, le vent est portant, la houle très faible. Le spi nous tire gentiment entre quatre et sept nœuds dans les légères surventes. Un bonheur tranquille. Les cumulus de beau temps ornent tout l'horizon. Je m'adonne pendant de longues minutes au luxe de les contempler sans contrainte. Le souvenir de l'horizon limité de la ligne 13 du métro refait brièvement surface. Dans le sillage s'amenuise Porto Santo et à la proue grandit Madère, bordée d'immenses falaises d'origine volcanique. Sur bâbord se dessinent les Ilhas Desertas, encore un sauvage amas de rochers qui seront sur notre route vers les Canaries. J'ai lu que le temps passé en mer nous sera décompté du Paradis, mais quand même, sans lésiner sur la dépense, je prends avec plaisir ces moments-là.

Le déroulement d'une journée parfaite est-il simplement communicable ? Peut-être suffit-il de noter "rien" sur son agenda, comme Louis XVI un certain 14 juillet.

La marina dans le sillage
Bye Bye Porto Santo
Jolis cumulus de beau temps
Seconde sortie pour les coussins de cockpit
On rentre le spi suffisamment tôt

A l'approche de Madère, après avoir prudemment rentré le spi, nous nous glissons entre Ilheu do Faro et Madère, passage étroit et vaguement inquiétant, bien que dénué de danger. L'eau est profonde, les deux parois sont espacées d'une centaine de mètres. Un passage court, comme chez Ikea, qui fait gagner un bon mille de route.

Approche de Quinta do Lorde

Le marinheiro de la Marina Quinta do Lorde nous accueille en venant prendre nos amarres sur le ponton, nous indique les principales "attractions" locales : la salle multimédia wifi, la buanderie, le bureau de la marina, les douches, la petite épicerie et le bar. Et c'est tout, car toute la cité autour de la marina, joliment architecturée de petites maisons aux couleurs et formes variées est en fait un village fantôme, suite aux difficultés financières de ses promoteurs. Parfaitement entretenue et éclairée dans l'espoir d'une reprise touristique, nous nous souvenons, d'un précédent voyage, qu'il était assez fascinant de s'y promener de jour comme de nuit et d'emprunter les multiples escaliers, passerelles, corridors, places publiques, tous absolument silencieux et vides. Maintenant des gardiens veillent jour et nuit et font respecter gentiment mais fermement l'interdiction d'accès à cette zone privée où les travaux de remise en état sont en cours.

Entrée de la marina Quita do Lorde

Nous avons maintenant conscience d'être loin de notre point de départ. D'ailleurs seule une dernière tête d'oignon de Roscoff fait la trapéziste avec sa queue de cheval au-dessus de la table du carré.

Ce soir, c'est apéro à bord de Tusitala avec nos voisins de ponton, Jérémy et Gaëlle. Après avoir entamé un tour du monde à la voile, ils sont arrivés à Madère. Séduits par cette île, ils sont installés depuis un an dans la marina sur leur bateau Sailing Kerguelen et ont mis en place une activité professionnelle nomade. Jérémy pratique régulièrement des trails athlétiques sur l'île. Leur expérience est une mine d'information.

Une étoile est née
Une pensée pour les amis lointains
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Réparations & améliorations

Les deux ruptures de poulies avaient été réparées provisoirement en mer. Las de ces poulies qui coûtent une fortune (dans les soixante euros pièce pour le modèle Lewmar, et encore plus pour le modèle Harken), je prépare leur remplacement par des anneaux lisses et un transfilage en Dyneema® (anneau lisse 20x14 en aluminium à trente euros et 1,20m de tresse Dyneema 3mm à un euro le mètre). Cette solution héritée de la course au large est à la fois moins chère, plus légère et plus durable. Elle occasionne un petit travail de matelotage que je trouve plaisant.

Petit matelotage en cours pour remplacer la poulie
Travaux d'aiguille
Anneau lisse et transfilage Dyneema

Au total deux poulies (ris n°1 et hale-bas) à remplacer. J'en profite pour améliorer le trajet du ris n°1 et intervertir les trajets entre ris n°1 et n°3 dans la bôme. L'axe de tire de ces ris le long du mât sera plus direct ce qui diminuera les frottements inutiles. Ce n'est qu'à l'usage en mer qu'on pouvait voir ces défauts.

Olivier, qui tient ici le magasin Sailing Madeira Performance, est aussi gréeur sur son chantier à Funchal. Il connaît bien les bateaux de course et se montre prodigue de conseils. Il énonce même les améliorations que nous pourrions faire, sans d'ailleurs pousser à la consommation. "La voile est un peu courte, il suffirait d'un petit lashing (*) au-dessus de l'émerillon pour améliorer l'angle de tire de la drisse". Régatier lui-même, passionné par les gréements, il pourra tout vous expliquer sur le réglage du hale-bas et du chariot de votre grand-voile pour soulager dans la brise, et retrouver de la puissance quand nécessaire.

(*) lashing : transfilage en Français

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Tourisme à Madère

7 & 8 février 2023

Sur notre demande, une agence dépose la voiture de location directement sur le quai de la marina. Deux jours afin de réaliser notre avitaillement et quelques balades sur des itinéraires remarquables préparés par Gaëlle et Jérémy.

Le réseau routier de Madère est un enchaînement fascinant de tunnels et de viaducs serpentant entre de vertigineuses parois abruptes couvertes de végétation luxuriante. Dès qu'on s'élève, la route traverse des forêts d'eucalyptus. Le côté nord de l'île est face aux vents dominants chargés d'humidité qui viennent se condenser abondamment sur les premiers versants rencontrés dans leur long trajet océanique. L'eau coule de partout et a été canalisée intelligemment depuis des siècles par un impressionnant réseau d'aqueducs, les levadas qui transportent par simple gravité l'eau du versant nord au versant sud, en suivant des courbes tortueuses à flancs de montagnes. En observant les vallées et les pentes, on se dit "voyons, par où est-ce que je pourrais bien faire passer un canal ?"

Après Funchal, notre première visite est à un magasin d'accastillage où nous cherchons du matériel nautique (rechange de fusibles 40A du pilote automatique, housse de protection du moteur hors-bord, nouvelles jumelles avec compas intégré), puis "bien sûr" Decathlon (lampe frontale tombée à l'eau à Porto Santo) et enfin Leroy Merlin (clé Allen de 4mm tombée à l'eau).

Ensuite seulement commence le vrai tourisme par une visite à la falaise du Cabo Girão, une des plus hautes du monde. Très peu de touristes, contre toute attente. C'est spectaculaire et vertigineux. Par hasard, la réplique de la Santa Maria, un des trois navires de Christophe Colomb passe en bas à ce moment. Ce navire est basé à Funchal et embarque des visiteurs pour un tour en mer.

Câmara de Lobos
En contre-bas, on trouve même quelques champs cultivés

Le lendemain, nous partons à l'ascension du Pico Ruivo (1862m), point culminant de l'île. Madère est le paradis des randonneurs. Et pour les moins sportifs, certains chemins sont tracés et aménagés afin de préserver la flore du piétinement des marcheurs. Dès le parking, le froid nous rappelle que nous sommes en montagne. L'ascension est d'un niveau très facile. Les nappes de brouillard parcourent les vallées et parfois masquent les autres versants. Fort heureusement du sommet nous pourrons apercevoir la mer au milieu de trouées de nuages. Un peu de pluie et un peu de neige pour souligner la beauté sauvage et donner une leçon de modestie aux touristes qui ont oublié leurs gants (nous !). Dans la descente, des jeunes entreprenants ont installé une buvette où la soupe de cresson chaude atteint la dimension du nectar des Dieux.

Ponta de São Lourenço, côté nord
Chemin de randonnée de luxe !

Après le Pico Ruivo, il reste un peu de temps pour tenter de voir la Levada dos Balcões, qui promet encore une vue à-pic vertigineuse. C'est là que la technologie montre ses limites. Par flemme, nous programmons la destination telle quelle sur Google Map. Nous suivons ses indications, y compris lorsque la douce voix synthétique nous propose de sortir de la route principale et de nous engager sur une piste assez large et un peu boueuse qui suit le fond d'une vallée. Quelques kilomètres de montée plus loin, nous croisons deux voitures. Tiens d'autres touristes ! Plus loin, au milieu de nulle part, Google annonce fièrement : "Vous avez atteint votre destination. Votre destination est sur votre gauche". A gauche, une falaise verticale montante. A droite, le fond de la rivière. Ah flûte ! Nous sommes bien à vingt mètres de notre destination sur la carte, mais à cinq cents mètres en dessous. Correction, nous reprenons la piste et le bonne route.

En bas du balcon
Agapanthes à gogo
Le long d'une Levada
En haut du balcon
En haut du balcon
Ilhas Desertas, vers le Sud

12 février 2023

Lors de l'apéro sur Tusitala, Jérémy et Gaëlle nous ont gentiment proposé de nous faire découvrir le marché agricole de Santo da Serra. C'est une expérience étonnante. Perché au bout d'un route très pentue (on monte parfois en première), le marché du dimanche concentre des cultivateurs qui viennent vendre leur production, modeste en quantité pour certains, et d'apparence artisanale. C'est l'occasion de découvrir des produits qui commencent à nous dérouter de nos habitudes continentales : anona (ou pomme-canelle), monstera deliciosa (ou ananas-banane), tamarilho (genre de tomate), pitanga (ou cerise du Brésil, ou cerise du Suriname ou cerise de Cayenne). Nous faisons une large provision de ces fruits et bien sûr de patates douces, petites bananes et fruits de maracujá à prix fort raisonnables.

Avant de quitter le marché, nous nous offrons une poncha, boisson locale à l'alcool de canne à sucre et fruits. Et sur le chemin du retour, un passage pique-nique au Pico do Facho, d'où la vue surplombe toute la pointe de l'île à l'est (São Lourenço). Nous y avons dégusté des bolos do caco, spécialité locale à base de pâte à pain et de patate douce.

Mercado Agrícola Do Santo Da Serra
Poncha avec Jérémy et Gaëlle
Vue du Pico do Facho
Ponta de São Lourenço, côté sud. Au fond, Porto Santo
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Et autres travaux...

13 février 2023

Au Portugal, je comptais commander plusieurs pièces de rechange pour les réceptionner à Madère. Echec ! Premièrement, des supports de vérins de capots : impossible de les commander en tant que particulier. Et les distributeurs habituels (AD, SVB, H2R, U-ship...) ont des modèles différents à leur catalogue qui obligeraient à percer d'autres trous, et l'accastilleur de Madère ne tient pas à commander chez un fournisseur qu'il ne connait pas... Deuxièmement, une cage de ridoir de bas-hauban que je voudrais avoir en rechange. Mon modèle n'est pas disponible sur place, le catalogue du fabricant du mât propose un modèle en filetage ISO et un autre en filetage impérial. Flûte ! comment savoir lequel est monté sur notre bateau. Enquête auprès de l'association des RM, auprès du chantier. Attente des infos. Il faudrait une jauge de filetage. Re-flûte, cet outil ne fait pas partie de notre trousse pourtant déjà bien garnie. Heureusement Olivier en a une qu'il nous prête gentiment.

En attendant, petit passage des inox extérieurs à la pâte Wichinox pour enlever les traces d'oxydation (qui ne sont pas réellement l'oxydation du métal lui-même, mais l'oxydation des dépots qui s'y sont collés.) Et Liliane nettoie les pare-battages qui ont déjà des traces noires. Il y a toujours de quoi occuper une journée sur un bateau... Et je m'attelle au démontage du vérin du pilote automatique pour essayer de comprendre l'origine des grincements entendus dans notre traversée de Cascais à Porte Santo. L'inspection en compagnie d'Olivier de Sailing Madeira montre qu'il est en bon état. Pas la moindre trace d'usure suspecte des pignons ou de la courroie. Après remontage, je relève soigneusement la configuration logicielle. Quelques paramètres me paraissent bizarres. A suivre...

L'absence de vent fort ce jour permet enfin de monter au mât pour remettre en place les godets neufs de l'anémomètre. Mais il apparaît vite que l'axe de rotation est grippé. L'injection d'huile aide à fluidifier le mouvement, mais ne suffit pas pour lui redonner toute sa sensibilité. Par cinq nœuds de vent aujourd'hui, il ne tourne tout simplement pas. Suspendu à mon baudrier, j'évalue les solutions. Tout démonter pour dégripper en profondeur ? oui, mais pas de garantie de meilleur résultat et risque de dégrader la fonction girouette qui fonctionne bien et me sera plus utile que l'anémomètre. Changer tout le module aérien ? Oui, mais toujours la même difficulté pour les délais de livraison, avec en plus le risque de casser autre chose (les connecteurs, les câbles...). Par défaut, je laisse les godets en place et ne touche pas à la girouette. Olivier (Sailing Madeira) me prête un outillage Raymarine pour voir si ce serait compatible au niveau connectique. C'est vite vu : le Raymarine a besoin d'un afficheur pour convertir les informations analogiques des capteurs en données numériques, alors que le Garmin sort directement des informations numériques du capteur aérien. Le lendemain, le vent se lève et les godets de l'anémomètre commencent à tourner. L'information est manifestement fausse, mais quand même, ça vit. Je repense au dicton de notre cher Président de la Section Voile, fruit d'une expérience concrète dans le développement de matériels pour la Marine et qu'il aime donner en Anglais : "If it ain't broken, don't fix it". (Si ce n'est pas cassé, ne le réparez pas.) Je me range à cette sagesse et j'entérine qu'on partira avec l'anémomètre dans cet état.

Nous avons la satisfaction de récolter nos premières graines germées faites en bateau, ce qui agrémente les plats. Ça fonctionne, grâce à la formation que nous ont dispensée Roland et Jaky, grands experts des graines germées, avant notre départ de Paris. L'objectif est d'enrichir notre alimentation de fibres végétales, de vitamines et de minéraux lorsque nous serons (bientôt ?) en traversée de longue durée.

Réducteur et embrayage (clutch) du vérin du pilote auto
Protection de la cage de ridoir contre le raguage (ou "ragage")
N'oubliez pas votre peigne (ou jauge) de filetage
Première récolte de graines germées à bord
Première sortie opérationnelle de la table de cockpit
Brouillard sur Caniçal
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Et après ?

15 février 2023

Mais quoi, mais quoi, déjà mi-février ! Les jours passent terriblement vite. "On n'a le temps de rien". Et la saison avance. Il est temps de songer à la suite de notre parcours. Depuis quelques jours, nous regardons quotidiennement les prévisions météo sur la route des Canaries. Nous faisons le décompte des dernières actions pour remettre le bateau en état de marche. Vérifier et sécher les fonds, recharcher les nombreux appareils électriques à batteries, acheter une recharge de gaz, vérifier le moteur, vérifier si toutes les cartes numériques sont à jour, préparer les repas de mer, ranger, ranger...

A propos de charge des appareils, pour les candidats au voyage, n'oubliez pas de prévoir tous les raccords permettant de faire face à la diversité des connecteurs en vigueur à bord : USB-A, mini-USB (il y en a encore), micro-USB, USB-C, Lightning, Magsafe, Jack DC 5.5*2.1, Jack DC 3.5*1.35. Tout ça en double exemplaire si possible, et avec les chargeurs 12V ou 220V correspondants.

Jérémy et Gaëlle ont bien tenté de nous convaincre de rester encore à Madère, sous prétexte de Carnaval à Funchal. Et il faut dire que le charme de cette île s'insère doucement dans l'esprit de ceux qui la parcourent. En retour, nous avons vilement tenté de les convaincre de naviguer avec nous jusqu'aux Canaries, jouant sur l'appel du large, corde sensible de tout voileux.

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Samedi 18 février 2023

Le départ est fixé à ce samedi, essentiellement sur la base du critère météo. Une mer assagie après les épisodes très ventés des derniers jours, un vent modéré et décroissant, encore sous l'influence de l'anticyclone des Açores, car les alizés sont encore loin. On ne vous avait pas tout dit. Une pluie abondante a persisté toute la dernière semaine à Quinta do Lorde, du fait que cette pointe de l'île est très étroite et condense les pluies venues du nord.

Tapas à base de notre récolte de graines germées
Préparation de la navigation

Les préparatifs sont plus sereins que les précédents, nous avons eu plusieurs jours pour y penser. Nous avons maintenant bien intégré en mémoire la check-list départ, affichée sur la cloison de la table à cartes ; chacun de nous en prend une partie en charge et "les choses se font". Nous choisissons de partir en fin d'après-midi pour essayer d'arriver de jour aux Canaries. Et cela nous permet de nous offrir une sieste avant le départ.

Jérémy et Gaëlle viennent nous saluer au bord du ponton. Marche arrière, marche avant. Un dernier au revoir, et chacun continue sa route.

Juste après la sortie du port et l'établissement des voiles sous un ris et génois, nous mettons le cap sur La Gomera.

Quinta do Lorde s'éloigne
Ponta de São Lourenço
Vous ne voyez rien ? Normal, il n'y a rien à voir

Pourquoi La Gomera ? Nous avions déjà eu l'occasion de passer à La Graciosa et à Lanzarotte lors d'un précédent voyage en bateau, et de visiter Fuerteventura en séjour touristique. Nous avons trouvé ces îles magnifiques, toutes différentes, mais y repasser nous motivait faiblement. De plus, les grandes marinas des Canaries, victimes de leur succès, exigent des réservations préalables. La Gomera est une petite île, épargnée par les promoteurs et les énormes flux de passagers ; sa forme ronde lui donne un aspect très sympathique d'Île au Trésor ; les guides lui attribuent un charme sauvage ; elle porte une part symbolique de l'histoire de Christophe Colomb qui en est parti pour découvrir les Amériques, et on aurait mauvaise grâce à négliger un tel symbole.

Certains grincheux argumenteront que, bien avant Christophe Colomb, les Vikings, les pêcheurs de morue portugais et bretons (un pêcheur ne dévoile jamais où il pêche), les Danois avaient pris pied sur ces terres. Je me range plutôt à l'avis que "dé-couvrir" consiste à enlever ce qui cache une information, à "dé-voiler", à révéler l'invention à la connaissance publique. On peut donc affirmer, tout en reconnaissant leurs capacités de navigateurs, que ces prédécesseurs ont plutôt couvert leur secret et qu'ils ne méritent pour cela aucune reconnaissance de l'Histoire.

Cap au sud, avec un vent légèrement sur bâbord arrière de la ligne directe. Après avoir joué un peu avec nos voiles en ciseau, nous faisons un contre-bord tribord amure pour nous éloigner du vent arrière. Deux bords de grand largue valent mieux qu'un seul au vent arrière. Par prudence, nous avons hissé directement avec un ris. Le vent est moyen et augmente à peine lorsque nous sortons du dévent de l'île (soit cent fois la hauteur, dit-on). Nous constatons vite que nous pourrions naviguer grand-voile haute ; manœuvre pour larguer ce ris et re-manœuvre pour empanner avant la nuit. On avance bien, mais pas à huit nœuds comme le prévoyait la simulation.

Je tente d'appliquer le réglage de grand-voile expliqué par Olivier. Contrairement à ce qu'on apprenait autrefois, où il fallait descendre le chariot sous le vent et étarquer le hale-bas pour faire une grand-voile très très plate quand le vent montait, Olivier explique que la tendance "moderne" est de laisser la voile haute, de monter le chariot au vent et laisser le hale-bas molli. Ainsi dans les surventes la bôme remonte et le haut de la grand-voile se vrille, ce qui résorbe la rafale. Si on a besoin de plus de puissance, il suffit de reprendre la tension du hale-bas pour aplatir le haut de la voile et augmenter la puissance. Ce réglage permet aux coureurs de retarder le moment de prendre un ris. Bref, l'exact contraire de tout ce que nous avions appris jadis. Je tente. Ça semble fonctionner. Ah oui, mais notre hale-bas grince lorsqu'il est détendu ; et l'écoute de grand-voile rague contre l'arceau de bimini, au risque de l'user. On oublie donc le réglage "coureur". Pour les RM-istes qui liraient ces lignes, pensez à avancer le bimini pour autoriser ce réglage.

Le temps brumeux enfouit trop vite les falaises de Madère dans le sillage. Sur notre gauche, on devine à peine les Ilhas Desertas, ce qui est dommage parce qu'elles sont habituellement spectaculaires. La brume nous "volera" tous les spectacles des deux jours, la vue de Madère et des îles au départ, les couchers et levers de soleil, les étoiles et la Voie Lactée, la vue de Tenerife et La Gomera à l'arrivée. Liliane résume la traversée sans ambages : "il n'y avait rien à voir". Ajoutons que durant deux jours nous n'avons croisé que deux bateaux, et de très loin. Les quarts se bornaient donc à surveiller un paysage marin vide. Un des deux navires n'ayant pas de signal AIS, mais seulement un feu blanc qu'on voyait par intermittence dans la houle, il nous a offert un peu d'exercice intellectuel pour le croisement dans la nuit ; l'occasion de revenir à la méthode traditionnelle : ressortir le compas de relèvement, mesurer le relèvement de la petite lumière blanche toutes les dix minutes et vérifier qu'il change lentement. Pas de route de collision. Arrivé de tribord, il disparaît complètement une heure plus tard sur notre bâbord.

Cette absence de paysage (et donc de matière multimédia) conduit assez naturellement à l'introspection, que je n'épargnerai pas aux lecteurs.

Tout d'abord, je m'étonne de la rapidité avec laquelle le temps passe, même quand on n'a "rien" à faire. Ecouter quelques podcasts enregistrés tout en surveillant la mer et hop ! c'est déjà la fin du quart. Heure assez théorique puisqu'il est convenu entre Liliane et moi que nous allons réveiller l'autre lorsque la nécessité s'en fait sentir. Souvent je retarde un peu ce moment pour rester encore dans le plaisir de la glisse et de la mer.

La liste des livres à lire sur ma liseuse ne cesse de s'allonger, ma lecture du kiosque de la revue Voiles&Voiliers est en retard de plusieurs mois. Comment arrivions-nous à caser des après-midis entières de lecture à l'adolescence, que nous n'arrivons plus à caser à la retraite ? Cela me rappelle une discussion irréconciliable avec mon copain de lycée Christian, qui considérait que la voile était un loisir où l'on s'ennuyait. Parlions-nous du même loisir ? Entre les temps passés aux manœuvres, à régler des problèmes inattendus, aux calculs de navigation, à la gestion des batteries, de l'eau, des repas et du sommeil, au téléchargement des fichiers météo et la vacation Iridium quotidienne avec nos contacts à terre, au doute qui pousse à vérifier plus souvent que de raison les paramètres de la route, il reste vraiment peu de temps pour vaquer aux loisirs.

Dimanche 19 février

Maintenant que nous avons confiance dans le mode vent du pilote, nous n'hésitons plus à lui confier la charge de conserver l'allure du grand largue. Après chaque repos, je constate que la trace de la route a bien ondulé en fonction de changements de vitesse et de direction du vent. En fin de matinée, après une assez forte averse, en quelques minutes le cap du bateau est plein ouest. Ah ! c'est le front d'une (petite) dépression qui vient de passer. Sans vigilance, on aurait évidemment fait fausse route un moment avant de s'apercevoir du changement. Je note qu'il sera sans doute utile d'ajouter une alarme sur le cap dans les plus longues traversées qui s'annoncent.

Dans la journée, un grain fait tomber des trombes d'eau ; la grand-voile en récolte abondamment, la conduit jusqu'au lazy-bag qui à son tour la canalise jusqu'en bout de bôme. De là, des seaux se déversent sur le banc du cockpit tribord. Liliane, en repos dans la cabine, reçoit deux gouttes. Deux gouttes, c'est peu, mais c'est une fuite. Dans la série "un emm... par jour", j'ajoute au Journal de Bord de refaire l'étanchéité des vis du pied tribord avant du bimini. Un seul pied ou les reprendre tous les quatre ? No ! Repeat after me : "If it ain't broken, don't fix it". En attendant, je choque un peu l'écoute de grand-voile pour que l'eau se déverse plus loin. Je n'ai enfilé que la veste de quart, je suis donc à moitié trempé. C'est le moment où la pluie s'arrête. Question intérieure : "Tu préfères être trempé ici ou au sec dans la ligne 13 ?"

Après le grain

La journée s'écoule au rythme des quarts. Le vent faiblit comme prévu et la mer est paisible.

20 février 2023

Le vent nous pousse à trois nœuds et demi. En préparation de l'arrivée, la lecture du guide nautique nous a appris toutes les richesses de La Gomera. Nous avions réservé pour trois jours par e-mail, et nous savons déjà avant d'arriver que nous aurons envie de rester davantage. Je pestais contre cette contrainte qui nous impose de réserver au risque d'être rejeté à l'entrée. La réservation tue la nonchalance de la plaisance. Nous nous serions bien laissé traîner à trois nœuds sur la mer plate et cela nous aurait fait arriver le lendemain. Mais la présence d'une date à tenir pour le port nous a incités à finir au moteur.

L'approche des Canaries génère un phénomène nouveau, dont l'explication un peu technique devrait parler aux navigateurs. Dès que le bateau se trouve à portée de radio VHF de la côte, il commence à capter les signaux des sémaphores, le poste sonne alors régulièrement, plusieurs fois par heure. Il me faut quelques occurrences pour comprendre. Le sémaphore de Tenerife commence par faire un appel de sécurité sur le canal 70 ASN (appel à tous les navires). Cela a pour effet de faire sonner le poste et afficher sur l'écran un message proposant de basculer sur le canal 16 (même si le poste y est déjà, comme ça ils sont sûrs qu'aucun poste ne restera par erreur à l'écoute sur un autre canal). Ensuite, sur le 16, la voix du sémaphore déballe à toute vitesse une longue liste de fréquences à écouter selon où l'on se situe. "Pour Tenerife, passez canal 65, pour La Gomera passez canal 01". Cette cérémonie louable pour la sécurité en mer se déroule une fois en Anglais, une fois en Espagnol. Après ces informations d'entropie nulle, si on bascule sur ledit canal, on obtient une véritable information, la météo ou l'état d'avancement des travaux de la digue du port de Los Cristianos, qui ne nous concernent pas vraiment. Impossible à contourner. Bien obligé d'écouter, car il peut aussi y avoir des informations importantes pour nous... Pas de chance quand ça tombe deux fois dans la même période de repos.

Comme je crains de ne pas comprendre du premier coup les infos reçues à la VHF, débitées très vite et avec divers accents locaux, j'enregistre l'audio avec mon téléphone et ensuite je peux repasser plusieurs fois le message, que je finis en général par comprendre. Après plusieurs semaines à baigner dans le vocabulaire portugais, que j'ai pourtant très mal su appréhender, c'est une nouvelle gymnastique que de repasser dans un référentiel espagnol. Plus facile dans ce sens quand même, pour moi qui ai appris cette langue avec d'excellents professeurs et ensuite parcouru l'Espagne quelques étés en camping-car avec les amis de nos vingt ans.

Le bateau aussi nous parle, sans d'ailleurs exiger de réponse. Et nos cerveaux restent, même en dormant, assez étrangement sensibles aux bruits inhabituels. Tour à tour le chuintement de l'eau sur la coque, le ronronnement de l'hydrogénérateur, la vibration du pataras textile, le grincement de la bôme nous annoncent que quelque chose a changé : la vitesse qui s'emballe ou au contraire s'encalmine, le réglage des voiles qui devient inapproprié, la houle qui a modifié sa force ou sa direction.

Un mot sur la forme physique en navigation. En bateau, les muscles sont rarement sollicités avec une haute intensité. A contrario, l'organisme effectue en permanence des micro-mouvements, chaque fois qu'il faut se plier pour aller chercher un objet dans un coffre, crapahuter sur le pont, manœuvrer ou tout simplement se tenir debout en compensant les mouvements du bateau. Du coup, le mal de dos caractéristique de nos vies sédentaires de bureau, qui irradiait en douleur cervicale a totalement disparu.

Longtemps à l'avance, nous scrutons l'horizon dans la direction de notre but. Déraisonnablement trop à l'avance, car il n'y a aucune chance de les voir à cinquante milles, mais bon, c'est l'occasion de sortir les jumelles neuves avec compas de relèvement intégré et de jouer avec. Le haut sommet du Teide à 3718 mètres sur Tenerife devrait se voir de loin. Que nenni ! au dessus de la brume basse, on ne voit que des nuages hauts.

Encore quelques heures et on commence à distinguer des masses noires floues qui se confirment. Etrange plaisir que de "découvrir" les îles à la place attendue. Pourtant l'artillerie technologique qui accompagne chaque bateau, fait de constellations satellitaires GPS, GLONASS, Beidou, Galileo et Iridium, de multiples antennes (en comptant celles des téléphones), de tablettes et de cartographie électronique, annulent l'incertitude de la navigation, ce qui pourrait réduire considérablement la joie de la découverte de l'île attendue. Et bien non, c'est peut-être moi qui ai gardé cet émerveillement infantile, mais je m'extasie à chaque fois : "ça marche, l'île est vraiment là". J'éprouve la même extase d'ailleurs à chaque fois qu'un avion décolle. Je connais pourtant quelques principes de l'aérodynamique, mais "incroyable, ça décolle !". Et encore mieux les principes du GPS, mais c'est fou ! on a trouvé La Gomera à la place prévue.

Un clic pour soi, deux mains pour le bateau
Dans cet amas de nuages, il y a les 3718 m du Teide
La Gomera à l'approche
La Gomera
La côte nord de La Gomera
San Sebastián de La Gomera

Arriver sur une île, c'est bien plus excitant que d'atterrir dans n'importe quel port du continent. Difficile de cerner pourquoi. Probablement une part de romantisme associé à nos anciennes lectures et aux rêves qu'elles ont suscités.

Cela me rappelle une histoire, qu'on voudra bien me pardonner de placer ici. Nous sommes en 1978. Michel est un fidèle ami de lycée, malheureusement disparu maintenant, avec lequel nous avons navigué de nombreuses heures à Nice en 420 puis sur son 470, désalé souvent ensemble, ignoré longtemps ce qu'étaient les prévisions météo marine. Cette année là, séparés par des études distantes, nous nous retrouvons à Nice en début d'été, et forts de nos vingt-et-un ans, nous décidons de louer un bateau et de partir en mer. Ne doutant pas de notre totale maîtrise de la navigation, nous choisissons d'aller en Corse. Quitter la terre des yeux sera une première pour nous deux, mais ce n'est pas susceptible de nous freiner. Nous persuadons même deux autres copains nommés aussi Michel, totalement novices en matière de voile et de navigation, de nous accompagner dans le périple. Nous voilà donc louant un Arpège (un bateau de conception magnifique, au passage). Les parents informés de notre projet ont bien tenté de nous orienter "Peut-être que ce serait suffisant de longer la côte vers les îles d'Hyères". Mais têtus nous sommes, à nous l'aventure du large. En quittant mon domicile, j'emporte au dernier moment mon radio-cassette, muni d'une seule cassette. Nous partons. Michel est chef de bord, je me charge de la navigation. La journée et la nuit se passent bien à la voile. Nous écoutons en boucle l'unique cassette "Say It Ain't So Joe" de Murray Head. Le lendemain, à mi-trajet, la Méditerranée nous la joue "pétole". Nous nous baignons dans la mer lisse comme un miroir. A un moment, l'un des quatre, resté à bord, repère une forme longue et noire qui approche du bateau et lance l'alerte. Je ne sais pas combien de temps il nous a fallu pour sortir de l'eau, mais je pense que c'est un record mondial de rapidité. C'était un paisible troupeau de globicéphales, dont nous ignorions même le nom avant d'ouvrir pour la première fois, scolaires que nous étions, le guide nautique de la Méditerranée. Plus personne n'envisageant de se baigner, nous repartons au moteur. A cette époque, le principal moyen de trouver la bonne route en haute mer était de tenir une estime soigneuse de notre route et de notre position, ce que nous faisions. Néanmoins, ce moyen pouvait être complété par un des très rares moyens de navigation électronique, bien avant l'arrivée du GPS (qui était en cours de conception aux USA). Et nous avions justement à bord le summum de la technologie disponible au grand public des années 70 : un récepteur gonio ! Muni d'écouteurs, le fier navigateur entreprend donc de trouver la direction du radiophare de Calvi. Pour cela, il faut faire tourner l'antenne lentement jusqu'à ce qu'on entende distinctement le code Morse de la station. Ensuite il faut chercher la direction du maximum et c'est donc la direction du radiophare, permettant de se repérer sur la carte. Après plusieurs minutes de tentatives vaines, je dois convenir que nous ne captons pas le signal radio. Michel et moi vérifions plusieurs fois notre estime, relisons notre journal de bord, le mode d'emploi de l'appareil, réestimons la distance à laquelle nous devrions entendre le phare. Nous essayons à nouveau. Pas de signal. Consternation. Le phare serait-il en panne ? Aurions-nous si largement dérivé de notre route que l'émetteur serait hors de portée ? Michel et moi passons toutes les hypothèses en revue, pendant que les deux autres amis, toujours aussi confiants, n'ont pas l'air de s'inquiéter. A un moment l'un d'eux demande naïvement : "est-ce que les piles de l'appareil sont bonnes ?" Bon sang ! des piles, vite ! Flute, aucune pile de rechange dans les tiroirs du bateau. Les regards convergent vers mon radio cassette. Nous sacrifions l'écoute de Murray Head et quelques instants plus tard, c'est formidable, le casque siffle fort et clair le code Morse attendu. Nous ne raterons pas la Corse ! Voilà, c'était l'histoire de deux futurs ingénieurs expérimentant les bénéfices de la pensée pragmatique.

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Quand nous entrons dans le bassin de la marina de San Sebastián de La Gomera, nous comprenons mieux pourquoi une réservation est nécessaire. Le port de plaisance est plein à craquer. Des bateaux partout ; pas des bateaux ventouses comme on en voit sur certaines de nos côtes, plutôt une majorité de bateaux "de voyage". A quoi reconnaît-on un bateau de voyage ? A un indescriptible fouillis sur le pont, un "tuning" extrême, des appendices fixés à l'arrière, des filets de fruits suspendus, des panneaux solaires, du "trop-fort-n'a-jamais-manqué", c'est à dire des manœuvres, des chaînes, des ancres, des balcons, des poulies et des manilles largement surdimensionnées pour la taille du bateau, et globalement l'impression que le bateau est toujours trop petit, quelle que soit sa taille, pour contenir les équipements que l'équipage a voulu emporter. Parfois aussi des choix techniques incompréhensibles mais auquel le propriétaire doit tenir dur comme fer. Et surtout, sur les poupes, des régulateurs d'allure omniprésents, de toutes marques, de tous âges, hors d'âge. Les pontons sont également rempli de monde, les équipages s'activent. Des outils sont éparpillés sur le ponton autour de certains bateaux, on entend des bruits de disqueuses, de scies, de râpes. Des conversations se mélangent, nombreuses en Allemand, et en Globish pour les autres. Les voyageurs sont de tous âges, groupes de copains, couples jeunes en année sabbatique ou en travail intermittent, retraités... Peu d'enfants sur les pontons en cette saison ; ceux en âge scolaire qui accompagnent des parents voyageurs sont déjà passés, car en général ils veulent boucler le tour de l'Atlantique en une saison scolaire et filent donc aux Antilles plus tôt en saison.

Chenal d'entrée San Sebastián de La Gomera
Canaries : La Palma, Tenerife, La Gomera, El Hierro
La Gomera

La marina de San Sebastián est en pleine ville, coincée entre collines et falaises. C'est un avantage considérable de pouvoir accéder à pied au centre, au marché, aux restaurants...

Et en ville, c'est l'effervescence du Carnaval. Nous y sommes pile ! Parades de rues, orchestres, danses sous le grand préau municipal où se rejoignent toutes les générations, déguisées de costumes créés probablement longtemps à l'avance avec soin et imagination.

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Carnaval à San Sebastián de La Gomera

Lundi 20 février 2023

Dès le soir de notre arrivée à San Sebastián de La Gomera, nous avons été plongés dans l'ambiance festive et populaire du carnaval.

Comme dans plusieurs autres carnavals du monde, il y a la soirée "blanche". Toute la population joue le jeu, habillée de blanc. Nombreux sont ceux (*) munis d'une boîte de talc pour en saupoudrer les passants. Dès le premier soir, la scène municipale couverte d'un préau est animée par un orchestre et cela durera ainsi pendant quatre jours, où nous aurons spectacle gratuit, musique et danse. Nous faisons le plein de merengue, y compris jusque très tard dans la nuit et jusqu'à l'intérieur du bateau.

Le spectacle est aussi dans la rue de jour, avec les parades de Carnaval. Une école de danse de La Gomera donne un spectacle. Moins sophistiqué et cossu que le carnaval de Nice ou de Venise, mais ce carnaval est animé par une bienveillante et joyeuse ferveur de toutes les générations.

(*) les jeunes lecteurs voudront bien indulger mon écriture de Boomer. Il faut lire : "celleux, muni·e·s". Je me suis appliqué, c'est un point médian (·), et point un paresseux point de ponctuation (.). Celui-là s'obtient sur MacOS avec les touches ⌥ alt + ⇧ maj + F , si l'agencement du clavier est français ou belge.

Jeudi 23 février 2023

La perspective de temps sec permet de lancer une grande lessive, incluant duvets et housses de couette. Nous prenons notre tour à la lavanderia de la marina, où les trois machines à laver tournent à plein régime, car cette marina voit un fréquent passage de bateaux de voyage ou de location. La session de lavage est peu chère (4,5€ au lieu de 8€ à Quinta do Lorde). Notre séchoir habituel utilise les dormants des bastaques, de longueur suffisante pour étendre deux lessives. Nous ajoutons une quinzaine de mètres d'étendage entre les haubans. Une rafale inopportune descendue de la vallée vient à bout des quatre pinces à linge et on doit récupérer un duvet dans le port. Pour les candidats au voyage, prévoyez une bonne centaine de pinces à linge.

Grande lessive
La Torre del Conde
Illustration de la distorsion du champ gravitationnel
Lucidité...
L'outil indispensable du voyage : le chariot à roulettes

En attendant la fin d'un programme de machine à laver, je picore dans la bibliothèque en libre-service qu'on trouve à peu près dans toutes les marinas. Ces bibliothèques sont constituées des livres que chaque équipage abandonne, souvent parce que cela encombre, des livres de toutes les langues des navigateurs de passage, ici beaucoup d'ouvrages en Allemand, diverses langues scandinaves que je ne sais pas différencier, en Anglais et un peu en Français. On peut se servir librement, emprunter ou emporter, peu importe. Je retrouve par hasard le n°200 de SAS La vengeance du Kremlin, que j'avais commencé en 2021 à Quinta do Lorde ; je l'avais laissé dans la salle de lecture sans le finir et quelqu'un d'autre s'en était emparé. Cette fois-ci, je l'embarque ! Est-ce le même ou carrément le même ? Voilà plusieurs décennies que je n'ai pas lu un SAS ; il prend donc la priorité à Proust et Flaubert que je m'étais pourtant promis de lire. Je n'ose pas écrire "relire", parce que le survol imposé de ces œuvres au Lycée fut vraiment superficiel.

Nous ajoutons aussi un filet suspendu sous la capote. Il commence à faire chaud dans la cabine.

L'ensoleillement des prochains jours est prometteur. Pas pour bronzer, mais pour tester notre capacité de charge solaire à son maximum. Nous exhumons donc de la soute le panneau solaire nomade (Seatronic), qui est un panneau triple dépliable, doté d'un long câble. A Roscoff, j'avais installé une prise de raccord dans un coin abrité du cockpit. Nous l'orientons ainsi que le panneau fixe sur mâtereau, bien perpendiculairement aux rayons du Soleil. Toute déviation par rapport à cet axe se paie d'une atténuation au cosinus de l'angle. Facile à calculer, pour 60° d'écart, on perd exactement la moitié de l'énergie gracieusement envoyée par notre réacteur atomique préféré. Evidemment les rayons solaires sont eux-même soumis à l'atténuation atmosphérique en début et fin de journée, ou lorsque l'atmosphère est encombrés de nuages. Je mesurerai ainsi jusqu'à 10A avec les deux panneaux cumulés. De plus l'observation sur deux jours montre une amélioration de la charge de la batterie, qui passe de 50% à 70%. La consommation du bateau au port est essentiellement celle du frigo, de l'éclairage et de la pompe à eau. Il est vrai que les ordinateurs sont branchés à part sur le secteur 220V du quai, et qu'il faudrait donc les ajouter pour que l'essai soit représentatif. Nous pensons pouvoir assurer que par cet éclairement solaire nous resterions autonomes au mouillage.

Ce jeudi soir, le défilé accompagne Carnaval au bûcher, contrairement à la tradition où c'est normalement le mercredi des Cendres. En l'occurrence il s'agit d'une sardine géante qui sera brûlée sur la plage. Le cortège figure dans le plus joyeux brouhaha à la fois des personnes en deuil de la Sardine, des pleureuses bruyantes et des personnages variés allant du militaire à l'évêque. On y croise aussi Darth Vador et nombre de petits Spidermans, un peu décalés. Toute la population a sorti ce qu'il avait dans ses armoires.

La Sardine, symbole de l'ancien, qu'il faut brûler

Le dernier jour de carnaval, nous avons droit à un concert d'une ancienne célébrité portoricaine. Effectivement toute l'assistance connaît et entonne les paroles de ses chansons.

Alignement Lune, Jupiter, Venus

Comme on pouvait le soupçonner, la mémoire de Colomb est à chaque coin de la ville. Du côté de Madère aussi il y a une opportunité touristique à saisir du passage de cet influenceur sur l'île.

La vie est facile à San Sebastián. Les courses de proximité se font à pied. Certains équipages utilisent des vélos électriques ou des trottinettes. Nous avons fait le choix de nous passer des ces appareils après considération de leur coût, leur poids, leur possible dégradation dans l'ambiance humide du bateau et le doute qu'on puisse toujours les recharger, notamment au mouillage. Nous avons donc sorti notre "killer" : le chariot à provision à roulettes pliant en alu.

Soldes !
Port propre, comme à peu près partout en Europe
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Circuit touristique

Mardi 28 février et mercredi 1er mars

Le manque de plages géantes de sable clair et la présence assez permanente de houle qui déferle peut expliquer l'absence de tourisme de masse sur cette île, même si on voit régulièrement arriver de gros bateaux de croisière. Ces visiteurs débarquent, font un petit tour et rembarquent dans la journée.

Les agences de location de voiture sont à la sortie du terminal du ferry, tout près de la marina. Nous réservons une Volkswagen Polo. Un accord entre le loueur et la marina nous permet d'avoir toutes les assurances incluses dans le prix de base.

Sur La Gomera, il y a peu de grandes routes, essentiellement nommées GoMera-1 et GoMera-2, et beaucoup de petites. Contrairement à Madère, il y a peu de viaducs et tunnels, les routes serpentent le long des pentes et on y circule plutôt lentement en moyenne. L'impression qui nous saute très vite aux yeux est la transition rapide entre systèmes végétaux très variés : un peu sec du côté sud-est, le passage d'un col nous offre une forêt de feuillus, et quelques kilomètres plus loin une sorte de forêt primaire dans laquelle nous prendrons un chemin de randonnée. De multiples miradores sont disposés le long de ces routes.

Le champion photogénique toutes catégories est bien sûr le Teide sur l'île Tenerife en face, qui nous accompagne longtemps et surgit dans le paysage au détour des virages. Côté nord, la brume persistante nous empêche de voir l'île de La Palma (à ne pas confondre avec Las Palmas de Gran Canaria). Côté sud-est, on devrait voir El Hierro juste dans la direction du départ vers les alizés.

Le Teide sur Tenerife
Raso de la Bruma
Raso de la Bruma 


Vers Valle Gran Rey




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Jeudi 2 mars

Depuis notre arrivée à San Sebastián il n'a pas plu. Après avoir complètement asséché le coffre de cockpit tribord, nous avons observé le fond tous les jours. Pas une goutte d'eau. Ouf ! la coque est donc bien étanche. Il reste à trouver par où s'infiltre le résidu d'eau salée que nous constatons à chaque fin de navigation. Premier suspect : l'échelle de secours qu'on avait "jajattée" à Muxia. Dans le milieu technique, la "jaja", c'est n'importe quelle colle ou mastic qui permet de boucher ou réparer facilement un défaut, d'où le verbe "jajatter". Un arrosage simple du tableau arrière au jet sous pression ne montre rien. Après installation de Sopalin dans le fond et arrosage à grand coups de seaux d'eau de mer, nous finissons par trouver que la fuite provient d'une des vis de fixation de l'hydrogénérateur. Le lendemain, après réflexion, nous décidons de reprendre complètement l'étanchéité. Soit démontage des quatre vis, des deux plaques de polymères isolants et de la contre-plaque en inox. Pour cela, Liliane accepte de s'enfermer dans le coffre avec la clé à cliquet, pendant que je tiens la clé Allen à l'extérieur. Après raclage et nettoyage des résidus de colle silicone, dégraissage de toutes les surfaces, trous et pièces métalliques, nous reprenons soigneusement l'encollage et revissons le tout. Tout cela nous occupe une bonne partie de la journée du vendredi, suivi de vingt-quatre heures de séchage, suivi d'un test au seau d'eau concluant.

Tout bon chef de projet pourra expliquer que pendant que la colle sèche, on lance d'autres tâches. C'est donc l'occasion de monter la canne à pêche pour la ligne de traîne et aussi d'apprendre à faire un bas de ligne avec les hameçons achetés à Saint-Pol de Léon juste avant de partir en octobre. Ces hameçons me paraissent énormes...

Lili sort la crème solaire, un signe qui ne trompe pas !
Canne prête pour la transat (pas nous)

Yves, du bateau voisin Nana, passe nous voir, intéressé par notre hydrogénérateur Seatronic, dont il vient aussi de recevoir un exemplaire pour installer sur son superbe Delher 42. Yves, passionné de drones, tient le non moins superbe vlog Sailing Nana. Le soir, c'est apéro sur Nana avec Yves et Joëlle, où sont également invités Marc et Ded d'autres voisins sur Play. Le lendemain, Nana s'en va vers El Hierro où il est facile et peu cher de mettre au sec et nettoyer sa coque. En revanche, il faut y aller avec son matériel et sa peinture, il y a très peu d'infrastructure et de commerces.


Lundi 6 mars 2023

Apéro sur Play avec Marc et Ded ce lundi, suivi d'un apéro retour avec ces mêmes charmants voisins sur Tusitala le lendemain. Nous échangeons nos histoires de bonnes ou mauvaises fortunes de mer, de métiers et de vies. Play s'en va vers Mindelo au Cap Vert où ils prévoient de rester quelques jours avant de partir en transat. Marc caresse le vieux rêve d'arriver dans la Baie des Pirates à Tobago (ne pas confondre avec Tobago Cays, des Grenadines de Saint-Vincent, qu'il ne faut pas confondre avec les Grenadines de Granada). Nous leur souhaitons bonne traversée en ne doutant pas que nous nous croiserons à nouveau quelque part.

Départ de "Play"

Normalement les galères romaines font partie de l'Histoire de l'antiquité. Faux ! Elles sont maintenant nommés "assurances". Je gère donc la galère des assurances. Ce sont ces compagnies qui encadrent les limites de notre parcours : pas l'Afrique continentale (trop de pirogues agressives contre les coques occidentales supposément riches), pas les USA (trop de dangereux lawyers). On est amené à faire un puzzle entre elles pour arriver à voyager en étant assuré pour la valeur du bateau. Jongler entre les latitudes et longitudes des clauses de la zone CAPVERDE et CARMEX pour transater, bien comprendre que ceux qui assurent cette zone exigent qu'on en sorte au 31 mai (risque cyclonique). Rechercher une autre assurance qui pourrait raisonnablement nous assurer du côté de Trinidad à l'été 2023, où nous visons de mettre Tusitala au sec pour un petit chantier de vérifications et révisions. Pfff...


9 mars 2023

C'est le jour des lessives de vêtements et literies d'hiver. Exit la couette, après exposition au soleil, exit la housse de couette et les gros duvets 0°C après lavage en machine et séchage au vent.

Apéro avec Mathilde sur A Cappella (deux p, deux l), son vénérable Melody qui a quarante-quatre ans et fort belle allure.

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Encore quelques travaux

10-12 mars 2023

La température monte doucement : 23°C le jour et 18°C la nuit.

On serait d'humeur à ouvrir une bouteille de champagne après que le marinero toque au bateau ce matin pour nous annoncer la réception d'un colis. C'est un Colissimo envoyé par Yann de Pornic le 18 février, contenant une cage de ridoir de hauban, pour remplacer celui qui est un peu usé par le frottement de la filière (probablement 10 ans de frottement pour arriver à éroder un bon millimètre d'inox). Je croyais ce colis retenu par des douanes suspicieuses, mais non, trois semaines est le délai normal d'acheminement d'un colis. Je crois comprendre qu'à la transition vers l'Espagne, un bureau de poste de Toulouse ajoute une étiquette avec un numéro de suivi international. Dès lors, le numéro de suivi initial de Colissimo ne donne plus aucune info de progression, et le bureau de correos espagnol ne connaît pas le numéro initial français. Le colis est quelque part dans un univers informatique parallèle.

Je passe un moment à mesurer au pied à coulisse la position des haubans avant démontage (et bien oui, il faut emporter un pied à coulisse en bateau).

Un jour sans vent est idéal pour procéder au changement de la cage de ridoir tribord. Rien de bien technique. Etarquer fort le pataras, ce qui fait mollir les haubans (pour un gréement à barres de flèches poussant) ; desserrer les galhaubans progressivement et symétriquement de chaque côté et surtout éviter de laisser tomber des pièces ou des outils dans le port ; visser la nouvelle cage côté tribord ; ensuite retendre les deux galhaubans comme ils étaient dans mon relevé. Cela ne me dit pas si ce sont les "bonnes" tensions. Je suppose ce réglage inchangé depuis la sortie d'usine du bateau en 2013. En prévision de la transat, je suis curieux de savoir comment elles sont réglées. J'interroge les bateaux alentours pour savoir si quelqu'un aurait un tensiomètre. No ; Non ; Nein ; Nié ! Bon, j'appelle un gréeur indépendant, qui est connu sur les pontons. On l'a vu changer prestement un étai sur un bateau suisse voisin. Vite, réviser le lexique nautique en Anglais. C'est donc le gréeur Darrin Lee qui vient inspecter le mât, corrige un peu la rectitude et confirme que tout va bien sur les tensions.

Colis enfin arrivé de Pornic !
Au boulot
Usure de la cage de ridoir par un câble de filière
Cage neuve de ridoir installée
Darrin Lee meticulous inspection
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La isla tranquila

Nos journées se passent entre farniente et tracas administratifs de la gestion à distance des affaires personnelles. Un Notaire qui prend une semaine pour nous octroyer un rendez-vous téléphonique. Un courtier d'assurance qui promet une offre rapide, mais ne rappelle pas. Un autre assureur qui nous demande pléthore de justificatifs pour finalement nous dire que notre projet est hors de sa zone de chalandise (pourquoi ne l'a-t-il pas dit dès le premier mail ?). Une amende modique récoltée en mai 2022 avec ma 205, acheminée à une ancienne adresse, qui a enflé comme la grenouille et menace maintenant rien moins que la saisie de mes biens si je ne paie pas immédiatement (curieusement cette deuxième lettre a trouvé la bonne adresse). Nous remercions bien Sylvie de collecter notre courrier et de nous alerter dès la moindre lettre à logo tricolore. Conseil aux apprentis voyageurs : liquidez un maximum de biens matériels avant de partir en voyage. Ils pèguent, comme on dit dans le sud.

Bateaux de voyage
Avec Joëlle, Yves, Mathilde et Dominique

Parfois des accès de colère ou de blues face à tous ces freins, mais de quoi se plaindrait-on ? Rappelle-toi de la ligne 13 du métro. Finalement la vie est si douce ici.

Maintenant qu'il commence à faire chaud, Liliane relance la fabrication de yaourts maison, pour agrémenter nos menus pendant la transat.

29°C. Liliane relance la prod. des yaourts
Navires de croisière géants
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Décision

Face aux retards successifs qui nous rapprochent tranquillement du mois d'avril, Liliane et moi considérons les options. Il reste possible de traverser vers les Caraïbes en avril et nous trouver en sécurité avant la saison cyclonique. Le temps de nous reposer à l'arrivée, ce sera fin avril. Descendre vers Trinidad dans le courant du mois de mai, sans flâneries aux Antilles. Avec difficulté pour y recevoir famille ou amis et partager quelques moments de bien-être tropical. La saison des pluies approchera, avec son lot de grains pluvieux. Les contraintes familiales seront encore plus difficiles à gérer avec le décalage horaire. Bref, cela signifie qu'il faudra encore courir après le temps.

L'autre option serait de rester dans le bassin Atlantique proche de l'Europe et explorer plus largement ces Îles de l'Atlantique. D'ailleurs, c'est ainsi que nous avons nommé ce carnet de voyage. Le printemps constitue la meilleure période pour remonter un peu vers le nord et visiter les Açores. Je pourrais mieux stabiliser la situation de mon père dans le sud de la France en restant à distance raisonnable. Et nous pourrions flâner entre ces nouvelles destinations qui s'ouvrent à nous. Les inconvénients de cette option sont essentiellement la frustration de voir les circonstances nous refuser l'étape rêvée, juste avant le départ et aussi l'incertitude sur le fait que l'an prochain sera plus favorable. Tempus fugit.

La 20 mars, nous prenons la décision de rester côté Europe jusqu'à la prochaine saison favorable, qui se présentera à nouveau fin novembre. Différer de huit mois la traversée est un gros changement de projet. Plusieurs nuits de mauvais sommeil pour aboutir à cette décision. Une bonne décision est une décision prise, ai-je appris dans mes cours de chef de projet. Nous étions au plan F (environ) du projet précédent. Nous voici au plan A du nouveau projet.

Quelques points positifs en corollaire de cette décision : je n'ai pas encore acheté le pack de cartes marines pour les Caraïbes ; et le courtier ne m'a toujours pas envoyé sa proposition pour l'assurance transat et je suis donc libre de tout engagement ; il y a des chemins de randonnée aux alentours de Sans Sebastián ; un équipage Allemand croisé à Madère nous a assuré que son escale de cœur aux Canaries est l'île de La Palma (à ne pas confondre avec Las Palmas de Tenerife).

Nous nous mettons au travail. Il y a plein de choses à approfondir pour le nouveau programme : examen des statistiques météo des prochains mois, examen des distances nautiques, routages d'évaluation, téléchargement des cartes de détail pour les Açores, lecture des sites relatifs aux ports et aux îles que nous ne connaissons pas encore, réflexions sur les aéroports reliant le continent, réflexion sur l'endroit où nous mettrons Tusitala en chantier de révision annuelle...

27 mars 2023

Cinq semaines. CINQ SEMAINES que nous sommes dans le paradis ouaté de San Sebastián de La Gomera. Les discussions de pontons et d'apéros avec les équipages alentours confirment les programmes aussi précis que le nôtre : remonter aux Açores ; bientôt ; sortir le bateau au sec pour l'entretien annuel ; quelque part ; retourner voir la famille ; au bon moment ; redescendre aux Canaries ; sans doute. Nous échangeons les tuyaux : les marinas pas chères et sympas ; les trop bruyantes ; les chantiers.

Nous commençons à préparer le bateau pour une courte navigation vers une île voisine qui fera l'objet d'une autre étape.

Parmi les préparatifs figure le Grab Bag (lien vers la description du contenu), susceptible de permanents réajustements.

Et nous nous laissons embarquer pour un dernier apéro, juste la veille du départ, sur Black Bush le superbe Dufour 40.5 de Marc & Isabelle.

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La Palma, la Isla Bonita

Publié le 2 mai 2023

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Navigation de La Gomera à La Palma

28 mars 2023

Visiter la mer, c'est une question de discipline (euh... mais pas que). Nous nous levons tôt pour parcourir les cinquante-et-un milles de San Sebastián de La Gomera à Santa Cruz de La Palma. Tabarly disait que naviguer c'est accepter les contraintes que l'on a choisies et que c'est un privilège.

La Palma est une île des Canaries située au nord-ouest de La Gomera et de tout l'archipel. Dans notre nouveau programme, c'est une étape intéressante pour préparer la remontée vers les Açores.

Aujourd'hui, la météo est favorable, c'est à dire un sympathique vent de quinze nœuds de nord-nord-est, qui devrait nous permettre une remontée vers La Palma sur un seul bord de près. On sait bien que dans le canal entre Tenerife et La Gomera, il sera pile face à la route et sans doute renforcé. Ce dernier point est absent des prévisions météo, dont la maille est de vingt-cinq kilomètres, mais c'est un fait connu et accepté qu'on peut trouver vingt-cinq nœuds, voire plus, dans le canal quand il y a quinze nœuds de vent synoptique.

Comme toujours, nous mettons le moteur à chauffer quinze minutes avant le départ, pendant qu'il reste les derniers préparatifs (pipi, crème solaire, gilets, amarres passées en double...). Nous démarrons, au sens propre de "enlever les amarres". Notre voisine Mathilde pointe le nez dans son cockpit pour nous dire au revoir et, personne n'en doute, à bientôt. Dans le port, le vent est faible, la manœuvre aisée. En chemin vers la sortie, nous voyons Serge, ami des Nana's, venir nous saluer au bout du dernier ponton. Tout ça fait chaud au cœur.

Le ciel est lumineux dans le jour levant. Le temps de hisser la grand-voile et mettre en route au moteur vers le nord et voici le soleil qui émerge derrière Tenerife. Encore dans le dévent de La Gomera, le vent est très faible. A deux milles devant, on voit la mer frisotter et blanchir. Effectivement, à cent mètres près, le vent passe de cinq à vingt-deux nœuds et, comme prévu, pile face à la route. Nous sortons la trinquette et partons au près. Le bateau avance bien. Un long bord vers Tenerife nous fait croiser une navette qui court à trente nœuds vers le nord en soulevant des gerbes d'écume. Personnellement, je trouve ça beau. Mes goûts esthétiques pour les bateaux de commerce, y compris les porte-conteneurs, les cargos, les méthaniers, les minéraliers... peuvent surprendre. J'assume une attirance technophile pour les avions et les bateaux de tous types.

Mein Schiff encore endormi
Île de Tenerife dans le levant
L'annonce d'une belle journée
Faro de la Punta de San Cristóbal (encore lui...)
Bye bye La Gomera, nous reviendrons probablement

A vue d'œil, nous nous situerions bien à mi-chemin entre les deux îles, mais la carte infirme cette impression. A peine un tiers. Pourtant nous sommes déjà dans le dévent de Tenerife. Virement de bord, mais bizarrement le vent tombe : retour au moteur. Du vent : on remet la trinquette. Pétole : moteur. Il faudra arriver bien au nord de La Gomera pour "toucher" (comme une bonne paie) enfin le vent prévu. Avec dix-huit nœuds, c'est parfait. Grand-voile haute et génois nous tirent exactement dans la bonne direction, au près serré. Tribord amure, pourvu que ça dure. Et ça dure effectivement jusqu'à l'arrivée, sur un même bord, d'autant que nous mettons à profit toute adonnante pour gagner quelques degrés plus au nord de la route, "au cas où" le vent refuserait plus tard. Malgré les tergiversations voile-moteur du matin, c'est une très belle journée de voile qui nous a été offerte. Avec ce vent, la mer est peu agitée.

Nous nous offrons même quelques petits quarts de sommeil chacun et un déjeuner debout dans le carré. En milieu de journée il y fait très chaud, mais pas question d'ouvrir les panneaux d'aération, même les latéraux, quand nous sommes au près. Des claquements aléatoires sur la coque nous rappellent que même de petites vagues peuvent faire de grandes gerbes.

La journée se passe à ce bonheur tranquille de voir Tusitala progresser par rapport aux îles alentours. Il arrive un moment où nous en discernons quatre dans la brume : La Gomera dans le sillage, La Palma qui s'approche devant, El Hierro à l'arrière du travers bâbord et Tenerife à l'arrière du travers tribord. Epoustouflant paysage qui donne une texture incroyable au temps y passé. D'ailleurs, il m'arrive de penser que je suis immobile et que c'est le paysage qui recule.

Un bord de près vers La Palma

A l'approche de Santa Cruz de La Palma, nous voyons converger deux autres voiliers, d'abord sur l'AIS, puis visuellement. Deux autres ferries nous croisent. Malgré leur vitesse et leur taille impressionnantes, aucune inquiétude. Ils sont pilotés par des équipages particulièrement compétents et les croisements se font à bonne distance.

Manœuvres de préparation des amarres
Sante Cruz de La Palma

A deux milles nautiques du port, il faut d'abord appeler le Centro de Control de Tráfico sur le canal 06. C'est la règle. Chaque bateau le fait et ils répondent à chaque fois, mais on sent une certaine lassitude. Je pense que la règle est établie pour les bateaux de commerce et que les voiliers de croisière leur génèrent une multitude d'appel. "–Yes, you can proceed. Call the marina on channel nine. –OK, channel nine ; zero-nine, for the marina. ¡Muchas gracias! Tusitala out". Dans l'approche finale, les deux autres voiliers sont prêts avant nous. L'un était au moteur, l'autre avait déjà affalé directement au large et installé ses pare-battages. Avec Liliane, nous avons une approche plus classique. Faire durer le plus possible à la voile, mettre le moteur à chauffer, rentrer le génois, mettre bout-au-vent, affaler la grand-voile, reprendre le route et installer pare-battages et amarres dans l'avant-port, à l'abri de la houle, quitte à faire quelques allers-retours. Lorsque nous ne connaissons pas d'avance le côté de l'amarrage, nous installons trois amarres de chaque côté (une pointe avant, une garde et une pointe arrière), prêtes à servir. Cela prend un peu de temps.

L'entrée de la marina est située au fond du port de commerce et possède une énorme porte coulissante pour protéger l'intérieur de la houle résiduelle. Les instructions disent de traverser bien perpendiculairement l'entrée du port de commerce jusqu'aux bouées rouges, puis de rester bien à gauche pour éviter toute gêne aux navires de commerce. Nous voici donc en file avec les deux autres voiliers, qui appellent chacun leur tour le canal 09. Le ponton d'accueil est évidemment trop petit pour trois bateaux. Nous attendons dehors. Pas longtemps. Le Bureau du port nous rappelle et autorise l'entrée. Nous passons lentement entre les deux impressionnants montants métalliques de la porte, dotée de deux feux verts et un feu blanc. Le marinero nous fait signe et nous aide à amarrer au ponton d'accueil, nous tend un formulaire et nous indique qu'il faut se presser parce que le bureau ferme dans dix-minutes. Formulaire complet, avec numéros de passeports de l'équipage, dates de naissance, adresse (à Paris, à quoi ça peut bien leur servir ?), adresse mail, numéros de portable. Je bondis au bureau avec tous les papiers, assurance, passeports, formulaire. "¿ –Primera vez aqui ? - Sí, Señor." Le Capitaine nous fournit deux cartes de douche et nous indique une place de port tout près de l'entrée, face au ponton d'accueil. Je tente bien de demander une autre place, plus près des douches et plus loin des ferries, mais il m'explique que les autres places, plus grandes, sont très chères, parce qu'on paie la surface de l'emplacement, pas celle du bateau. Le bureau ferme derrière moi. Le marinero nous aide encore à l'amarrage. Pas mal de ressac dans le bassin. Toutes les amarres grincent.

Dans le port de commerce
La porte coulissante de l'entrée de la marina

L'accès Internet par Wifi est inclus dans le prix de la nuitée, mais le débit laisse à désirer. A part éventuellement pour récolter ses mails, la plupart des usages multimédia nécessitent d'utiliser nos forfaits mobiles. Pour nos opérateurs (Orange et Free) il n'y a pas de frais supplémentaires, mais celui de Free limite la quantité de data incluses dans le forfait. Le fait que le Wifi des marinas est d'un débit cacochymique semble une généralité dans l'ensemble du voyage au long cours. J'imagine, peut-être à tort, que le déploiement de la fibre, que beaucoup critiquent en France, est encore moins développé par ici.

Une heure plus tard, à la tombée de la nuit, les portes du bassin se ferment et l'eau se calme un peu. La nuit est bruyante. Sur les quais voisins, des camions en attente de transit par le prochain ferry laissent tourner en permanence leurs compresseurs frigorifiques.

29 mars 2023

L'arrivée du jour confirme qu'il fait très chaud et nous installons même le taud supplémentaire à l'avant pour réduire la chaleur intérieure du bateau.

Installation du taud sur la plage avant

Nos craintes se confirment. Depuis le lever du jour, cinq ou six bateaux de location partent et manœuvrent entre Tusitala et le ponton d'accueil. Pas de fausses manœuvres ce jour-là, mais cela ne nous dit rien de bon pour laisser le bateau lorsque nous irons visiter l'île. Le passage de ces bateaux nous génère une attention constante. Ces bateaux de location sont immenses. Quarante-cinq, cinquante pieds (quinze mètres), c'est devenu courant maintenant. Un équipage de dix personnes, ça optimise le prix perçu.

Puisqu'ils partent, il doit y avoir des places libres. Je cours au Bureau de la Marina et effectivement on peut négocier une meilleure place. Le Capitaine est même particulièrement attentif à bien nous placer. Cela confirme l'impression générale de l'excellent accueil dans Les Canaries, pour autant qu'on respecte leur requête de réserver à l'avance. Les avis des navigateurs sont partagés sur ce sujet.

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¡ Qué bonita Santa Cruz de La Palma !

Il est très agréable de déambuler dans la ville de Santa Cruz de La Palma. Les rues du centre sont très favorables aux piétons, les façades en bel état de propreté et de décoration. De plus, c'est l'approche de la Semaine sainte, pour laquelle les habitants ont déployé des tentures bordeaux aux fenêtres.

La ville est réputée pour la conservation de ses anciens balcons en bois aux façades.

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Tourisme à La Palma

31 mars 2023

Les voitures de location sont disponibles au terminal du ferry, tout proche. Vraiment très proche... Deux jours permettent de faire un tour complet de l'île par les routes principales et sans trop s'attarder aux multiples lieux qui auraient mérité une visite approfondie.

Les reliefs volcaniques donnent à la côte un aspect très austère.

Nous tentons bien d'aborder les plages de l'île, mais nous avons quelques difficultés, car la dénivelée entre la route principale et la mer est souvent importante, l'accès aux plages nécessite d'emprunter des routes étroites et sinueuses, heureusement fort bien entretenues, puis de crapahuter en descente encore une ou plusieurs centaines de mètres. Bref, pas de difficulté technique, mais on n'improvise pas une baignade au milieu d'un parcours touristique, il faudra choisir.

Descente vers Puerto de Televera
Descente vers Puerto de Televera
Autre tentative d'accès à une plage officielle

En partant vers le sud, la route croise la coulée de lave récente (éruption du volcan officiellement terminée le 25 décembre 2021). L'ancienne route est ensevelie et une piste provisoire permet l'accès aux habitants. Beaucoup de maisons sont détruites ou rendues inaccessibles par la coulée de lave solidifiée.

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Nous passons faire un tour au port de Tazacorte sur le côte est. La marina est plutôt bien protégée, semble confortable et calme. Un peu trop calme peut-être : le village permettant de faire les courses et partir en excursion est à au moins vingt minutes de marche du port.

Nous voulions faire le tour de l'île pour revenir à Santa Cruz et par chance nous nous sommes perdus, ce qui nous a permis de découvrir les immenses bananeraies. La route circule en ligne droite pendant des kilomètres entre de longs et hauts murs de parpaings, à l'intérieur desquels se trouvent les bananiers, à divers stades de pousse. Personnellement, je trouve ça fascinant.

1er avril 2023

La principale attraction naturelle de l'île est quand même la caldeira que l'on atteint en passant par Roques de los Muchachos. Sur la crête de la caldeira se trouvent aussi les observatoires astronomiques qui constituent le centre européen de l'hémisphère nord, celui du sud étant au Chili. Et notamment le magnifique MAGIC II, dont les paraboles jumelles observent les sursauts de rayons gamma, signe d'évènements cataclysmiques, telles que la fusion de deux étoiles ou trous noirs.

Le chemin piétonnier vers le bord de la caldeira est aménagé et très facile d'accès.

Belle route et miradores
Telescope MAGIC II
Contemplation géologique
Au bord de la caldeira, on vous dit !
Non, non, ce n'est pas dangereux, il y a un chemin en-dessous
La caldeira

L'île est parcourue de nombreux chemins de randonnée, entre montagnes pelées et forêts luxuriantes.

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Semaine sainte et nuits agitées

La ville de Santa Cruz et cette chaleur déjà estivale rendent nos journées agréables. Le magasin d'accastillage local ne permet pas de trouver un pare-battage identique à celui qui est abimé. Après le carnaval à La gomera, c'est ici la Semaine sainte qui anime les rues d'une ferveur religieuse que nous connaissons partiellement en France, par exemple lors du Catenacciu de Sartène.

Le centre ville de Santa Cruz de La Palma est plein de charme et agréable à vivre.

Sur les pontons, nous commençons à faire connaissance avec Gaëtan & Véronique de Loreleï déjà entrevu à La Gomera et dont le safran a été croqué par des orques. Il y a aussi Paul & Christelle avec leurs enfants sur Merzadenn, ainsi que Olivier & Julia sur Metis, un Bavaria plein d'astuces et de beaux matelotages. Il est clair qu'aucun de ces équipages ne souhaite s'attarder dans cette marina, pourtant si proche de la ville et nous n'aurons pas le temps d'approfondir les contacts avec ces voyageurs.

Les ferries arrivent à flux réguliers et celui qui décharge et recharge sa cargaison de semi-remorques vers quatre heures du matin tout en diffusant par hauts-parleurs les messages à destination des passagers rend nos nuits un peu pénibles. Malgré la porte métallique, un résidu de houle entre dans la marina et bouscule en permanence les pontons. Des amis parisiens envisagent de venir nous voir et nous préfèrerions visiter avec eux une île que nous ne connaissons pas encore. Ces diverses raisons nous poussent à envisager un départ vers Tenerife.

Où est Tusitala ?

Je file négocier une ristourne de la semaine écourtée déjà payée à la marina. Le Capitaine de la marina doit demander par mail à son chef, qui gère le réseau des marinas privées Calero Marinas. Le lendemain, la réponse arrive : "- El jefe dijo que no podemos devolver el dinero". Ils ne peuvent pas nous restituer la partie des montants payés à la semaine, pour des raisons de comptabilité. Nous apprenons bien la leçon, il vaut mieux toujours payer en partant.

Nous préparons le bateau pour un départ, en nous remémorant que le plus beau voyage, c'est celui qu'on n'a pas encore fait (aphorisme attribué à Loïck Peyron).


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[Islas Canarias] Tenerife

Publié le 21 mai 2023

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Traversée de Santa Cruz à Santa Cruz

6 avril 2023

La simulation de route indique une traversée de vingt-deux heures entre Santa Cruz de La Palma et Santa Cruz de Tenerife. Nous choisissons de partir en milieu de journée le jeudi, ce qui nous permettrait d'arriver de jour à la marina que nous avons réservée par email, avec une réponse de Lola en excellent Français s'il vous plaît.

Le vent souffle en rafales aux abords de La Palma, par l'effet d'accélération dû à la côte bordée de hautes falaises. La manœuvre de départ peut être classée dans la vaste catégorie "foireuse", et Liliane y perd un gant ainsi qu'un morceau de peau en protégeant la coque. Nous partons sous un ris et trinquette. Nous avons un certain plaisir à quitter cette marina agitée, malgré la charme de l'île. Dans l'avant-port, alors que nous sommes en pleine manœuvre de rangement des amarres et des pare-battages, les pilotes du port nous poursuivent avec de grands gestes pour nous demander de bien rester sur le bord du chenal. ¡Si! claro, entendido. Juste après la sortie, deux énormes navettes l'une sortant, l'autre entrant, nous donnent une furieuse envie de nous retrouver enfin au large.

Dès que possible, nous sortons la trousse de soins et nous soignons la coupure de la main à l'aide de Steri Strip, qui ne tiendront pas bien longtemps au pli du pouce.

Chenal de sortie de Santa Cruz de La Palma
La mer, enfin !

Après quelques heures, le vent devient celui prévu, aux alentours de quinze noeuds. Nous larguons un ris, puis sortons le génois. Pourvu que ça dure. Ça ne dure pas, il baisse et continue de baisser toute la nuit, jusqu'à nous laisser tomber au petit matin.

Bye Bya La Palma
Rétro-éclairage des instruments en mode "nuit"

La nuit de veille le long de la côte nord de Tenerife impose une vigilance accrue. Les lumières de la côte pourraient dissimuler des feux de route de navires, bien plus qu'en haute mer où la moindre lumière attire immédiatement l'attention. Le seul voilier que nous croisons n'a pas d'AIS.

Passage de quart à Liliane

L'approche de Tenerife par le nord fait défiler, comme sur les autres îles, des falaises qui plongent à la verticale dans la mer. Pas étonnant qu'on ne trouve aucun mouillage.

7 avril 2023

Quelques heures de moteur dans la nuit jusqu'au phare de la Punta de Anaga, puis un souffle revient et nous ressortons les voiles. Pas longtemps, parce nous passons assez vite dans le dévent du Roque Bermejo en début de matinée et l'approche finale se fait au moteur.

Approche de Tenerife au petit matin
Vue sur Roque Bermejo


Plusieurs magnifiques cargos sont à l'ancre face aux longs brise-lames de Santa Cruz, notamment un méthanier, dont l'équipage flâne sur les diverses passerelles du château. Après les appels VHF rituels au Port Control, puis à la marina, les marineros nous accueillent avec bienveillance au ponton. Ce fut une traversée facile.

Pantalán 4


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Santa Cruz de Tenerife

En ville, les manifestations de la Semaine sainte sont en pleine effervescence.

Nous prenons vite nos marques dans cette belle marina. Le personnel est fort accueillant et parle un excellent Français. Heureusement, il reste possible de pratiquer Espagnol en ville et Anglais avec les voisins de pontons. Sauf que beaucoup de voisins parlent aussi Français. A côté de Tusitala, nous faisons connaissance avec Valéry et Stéphanie sur Oriyo. Leur histoire est pleine de sel et de charme. Encore un superbe blog à explorer. Valéry est un des anciens propriétaires du célèbre Canquin.

Nous apprécions d'avoir changé le nom de notre bateau, car l'ancien, "Horatio", aurait pu être mal perçu dans cette île où l'Amiral Nelson a perdu son bras droit en tentant de l'envahir.

Marina Santa Cruz, et plus loin, le terminal des ferries

Plus prosaïquement, la session de machine à laver est à 5€, lessive incluse.

Le marché de la ville est accessible à pied et très fourni en commerces de bouche. Bien que l'essentiel de la production vienne d'Espagne et que les marchés en France nous aient habitué à trouver de bons produits issus de ce pays, il nous sera encore difficile de trouver des tomates ayant du goût. Les jambons et fromages ibériques y sont très bien représentés. Une boutique du marché propose des fromages français à prix raisonnables, mais il s'agit de fromages au lait pasteurisé.

La rencontre avec Markus & Natascha du bateau Mon Amie, que nous avions déjà croisés à La Gomera, nous donne l'occasion de mieux connaître ce charmant couple de Suisses en voyage sabatique et de profiter ensemble d'un repas partagé.

Avec Markus et Natascha sur Mon Amie
Délicate attention, à l'occasion de Pâques

C'est un grand plaisir de flâner dans les rues animées de Santa Cruz de Tenerife. C'est la capitale administrative de l'une des deux provinces de la Communauté autonomes espagnole des Canaries et il y a donc une activité plus importante que dans les autres villes visitées jusqu'à lors.

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Visites de l'île avec nos amis

14 avril 2023

Hervé et Maryvonne nous rejoignent en avion.

Liliane avec Hervé & Maryvonne

Dès le lendemain, après un tour au marché, nous faisons une visite à la ville historique de La Laguna.

Helados #1

L'île de Tenerife est pleine de lieux passionnants à visiter, notamment sous forme de parc régionaux.

16 avril 2023 - Journée au parc Anaga

La route du nord de Tenerife vers le parc Anaga passe par la charmante plage des Teresitas pour ensuite monter en lacets. La brume mobile et persistante en altitude nous masque souvent les sommets. Le paysage reste d'une surprenante variété à chaque détour de la route. Le bain de milieu de journée est bienvenu grâce aux piscines aménagées.

Café (mauvais) à la Playa de Las Teresitas
San Andrés


17 avril 2023 - Parque Nacional del Teide

La route TF21, qui traverse toute l'île par les crêtes et aboutit au Parque del Teide est une délectation. Aux miradores, la vue est souvent limitée par la brume tenace depuis plusieurs jours, mais avec l'altitude nous nous retrouvons vite au-dessus des nuages, en même temps que la végétation cède le pas à un paysage totalement rocailleux de lave. Le Teide enfin se dégage et il mérite bien sa réputation touristique et légendaire. Ensuite, on peut parcourir les étendues de lave solidifiée en grand désordre, parcourues de sentiers, hérités d'anciens chemins muletiers et fort bien balisés.

Le Teide, enfin !

La montée au sommet du Teide doit être planifiée longtemps à l'avance et réservée sur un site web dédié, éventuellement via un guide de montagne pour écourter les files d'attente. On peut aussi monter de nuit, auquel cas il n'y a pas de contrainte, mais il faut évidemment être équipé pour bivouacquer au-dessus de 3000 mètres. Il existe un téléphérique qui permet de monter aux deux-tiers, mais lui aussi doit être réservé, et sur Internet uniquement. La montée à pied est possible à hauteur du téléphérique sans réservation, mais cette randonnée en plein soleil doit être préparée soigneusement. Bref, nous n'avons préparé aucune de ces possibilités et nous ferons donc le tour par la route, qui offre déjà de quoi réjouir l'esprit et remplir nos mémoires (je parle de celles de nos appareils photos).

Tout ça donne chaud. Nous nous souvenons que l'île est entourée d'eau fraîche (+18°C) et nous choisissons la Playa de San Juan pour une baignade de fin d'après-midi.

Playa de San Juan

18 avril 2023 - Sortie en mer

La météo est parfaite pour une sortie en mer. C'est aussi l'occasion d'essayer le régulateur d'allures sans la contrainte d'une grande traversée.

Comme partout dans les îles Canaries, les vents sont très variables en fonction du relief. Les variations d'intensité du vent provoquent des variations de sa direction apparente. Le régulateur d'allure corrige donc sans cesse le cap du bateau, ce qui est son rôle. Le temps d'arriver à trouver un réglage correct et nous voilà presque arrivés à notre objectif de mi-journée : la Playa de Antequera. Entourée de rochers escarpés, la plage est assez réduite et le mouillage impressionnant. De plus, le vent turbulent tourne en permanence et nous fait parfois approcher de la falaise. Nous devrons nous y reprendre à trois fois pour trouver une place rassurante. Il faut juste résister à l'envie d'être trop près du bord. On mouille bien par huit mètres d'eau.

A repêcher la bouée d'orin
Zone de mouillage a Playa de Antequera

A l'heure de la sieste, l'alarme de mouillage retentit (j'utilise SailFreeGPS sur mon téléphone pour la sieste, de façon à ne pas réveiller tout le monde). On a dépassé le cercle des 25 mètres. Je l'élargis à 50 mètres. Quelques minutes plus tard, encore l'alarme. Je ne comprends plus. Le bateau n'a pas l'air de faire de telles embardées. J'observe un moment la trace. Incroyable : on voit des excursions de plus de 250 mètres en quelques secondes, et retour dans le cercle. Ça ne correspond manifestement pas aux mouvements réels du bateau. Cette expérience reste un mystère pour moi. Dysfonctionnement de l'application ? Réflexions parasites du signal GPS sur les parois des falaises ? Distorsion de l'espace-temps ?

Étrange évitement au mouillage à la plage de Antequera
"C'est Léonard de Vinci qui était spécialiste des dégradés de gris" (MVH)
Retour à Santa Cruz de Tenerife
Préparation du départ de Mon Amie, destination Méditerranée

Le retour à la marina au moteur, où le vent manque un peu, est l'occasion de tester la transvasement de bidon de gasoil dans le réservoir. Depuis Cascais, nous n'avons plus fait le plein et nous arrivons au bout du réservoir principal. Le moteur a quelques ratés. Nous transvasons donc un des trois bidons de vingt litres, en le siphonnant à l'aide du tuyau spécial, doté d'une bille anti-retour. Il suffit d'agiter l'extrémité dans le bidon pour que le siphon s'amorce. C'est une première pour nous en mer et ça fonctionne très bien. Bon, il faut dire que la mer était clémente...

19 avril - Parque rural Teno

Sur la route du parc du Teno, on traverse la charmante ville de La Orotava ayant préservé et entretenu des maisons et palais aux poutres, portes et fenêtres de bois. Les Anglais sont tout de même parvenus à laisser une empreinte culturelle tenace : la fenêtre à guillotine, probablement la plus mauvaise solution de fenêtre jamais inventée.

La discussion portait sur la taille des poissons rouges

L'ambiance est plus campagnarde dans ce parc d'altitude et néanmoins visuellement proche de la mer. Le paysage étonnant du barranco de Masca est l'occasion de profiter de sa vue spectaculaire tout en pique-niquant, après avoir patienté longuement pour trouver une place sur le parking sous-dimensionné, dans le flanc escarpé de la colline, ce qui limite de fait le nombre de touristes simultanés.

La barranco de Masca
Au fond, vue sur La Gomera

Ce jour-là, nous tentons vainement de nous baigner aux célèbres piscines naturelles (c'est à dire alimentées à l'eau de mer) de Garachico sur la côte nord-ouest. Elles sont fermées en basse saison et interdites d'accès. La chaleur de la journée nous invite donc à terminer par une baignade à la magnifique plage de Las Teresitas au retour de notre périple. Elle est un peu loin de la marina et nécessite un moyen de locomotion, autobus, vélo, automobile...

Le lendemain, c'est le jour du départ pour nos amis. Ces journées en leur compagnie sont hélas bien vite passées.

Bye bye Maryvonne et Hervé
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Pffuit ! Encore deux semaines qui passent...

Nous n'osons pas expliquer à nos enfants et amis encore en activité que nous n'avons le temps de rien...

Le remplissage du gasoil à la Marina Santa Cruz est on ne peut plus pratique. Sur réservation, une camionnette-citerne vient sur place dérouler un long tuyau et apporter le pistolet à carburant directement au ponton.

Il y a aussi deux jours consacrés à la peinture rupestre rituelle du blason Tusitala sur le quai de la marina, où il devient difficile de trouver un espace libre.

Chercher le logo Tusitala

Pourtant nous optimisons nos journées, notamment celle où nous enchaînons avec une voiture de location Leroy Merlin (clé à pipe percée de 10 et 13, gants pour Lili), Ikea (sur-matelas et oreiller ergonomiques), Decathlon (palmes pour Lili), Carrefour (courses de denrées non périssables) puis baignade à la plage de Las Teresitas au coucher du soleil.

Test méticuleux du sur-matelas
Parking Decathlon avec vue sur la mer. Mieux ?

La remontée des températures nous invite à peaufiner l'installation du bimini complet avec ses auvents latéraux. Un aperçu de ce qui nous attendrait aux Antilles. Depuis Roscoff, c'est la première fois que cela devient vraiment utile. Un bonheur ! Tout comme la baignade sur la magnifique plage de Las Teresitas.


Hommage Hollandais au célèbre mathématicien
Tout au fond, le Teide !
Ecce balineator
Fin de la plage, début des falaises au nord-est
Encore une représentation masculine incitant à l'objectification de son corps

Fin avril et début mai 2023

Les journées et les soirées sont particulièrement douces en ville et les terrasses accueillantes.

La cour intérieure de l'Office du Tourisme à Santa Cruz de Tenerife
Fin de la plage, début des falaises du nord-est
Un budget différent...
En noble compagnie
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Fête de la Croix

Santa Cruz de Tenerife nous réserve encore une surprise. Après le carnaval à La Gomera, les célébrations de la Semaine sainte à Santa Cruz de La Palma puis à Santa Cruz de Tenerife, voici la fête de la Croix, avec défilés, tambours, danses traditionnelles, repas collectif de la ville entière en costumes traditionnels et feux d'artifice. Le grand jeu !

Swing ?
La Vraie Croix
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Il est temps de bouger

Depuis plusieurs jours, nous observons quotidiennement l'évolution des prévisions météorologiques. Un flux de nord-nord-est est bienvenu pour monter aux Açores. Au programme, du beau temps, une remontée au près, mais sur un seul bord et une mer raisonnable.

Il commence à être temps de remettre le bateau en ordre de navigation, après ces semaines de marina, où les objets ont une tendance spontanée à sortir des coffres et s'épandre.

Vent modéré de NNE prévu
Gran Canaria, comme posée sur la jetée...
Expansion spontanée des objets...

Cette navigation d’une durée de cinq à six jours va nous permettre de nous confronter à l’exercice des graines germées de A à Z. De la production à nos assiettes ! Liliane a rédigé un article complet sur le sujet, en mettant l'accent sur l'adaptation aux conditions de navigation.

Rendez-vous bientôt aux Açores !

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Publié le 17 juin 2023

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Traversée de Santa Cruz (de Tenerife) à Vila do Porto (Santa Maria)

Après mûre réflexion nous avons décidé de partir le vendredi 5 mai. Les prévisions météo pour un départ la veille nous promettaient vraiment trop peu de vent au milieu de la traversée, avec quasiment deux jours complets de calme plat au moteur. En cette saison, un vent plus ou moins du nord est inévitable et croiser la zone très calme de l'anticyclone des Açores également. Pour un départ ce vendredi, la situation paraît plus favorable, la simulation indique une remontée au près certes, mais sur un seul bord (i.e. sans tirer des bords pour remonter dans le vent) et environ vingt heures au moteur. Nous visons d'atterrir à Vila do Porto sur Santa Maria, la première île des Açores qui se présente sur la route. Pour un total de cinq jours et une quinzaine d'heures. Il faudra juste soigner l'allure du près pour ne pas "perdre" sous le vent.

La veille du départ, Damien & Claudie nous invitent à une collation sur leur catamaran Myrtille. Un catamaran de neuf mètres, à l'allure robuste et marine, bourré d'astuces et d'aménagements intelligents. On n'en fait plus comme ça.

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5 mai 2023

Départ détendu peu avant onze heures. Damien & Claudie viennent nous aider à larguer les amarres et nous nous saluons en quittant la marina. Bons vents à vous.

Arrière lente...
Avant lente...

Nous commençons par longer la côte est de Tenerife au moteur face au vent, aidé par la grand-voile. Le Teide a bien voulu se montrer ce matin, un plaisir rare depuis notre arrivée à Tenerife. C'est au débouché de la pointe nord-est que nous pouvons abattre et partir complètement à la voile. L'allure du près serré nous fait longer la côte nord et passer juste au vent des îles Roque de Fuera. Le passage de ces deux îles proches de la côte donne très envie de passer entre les deux. Mais la carte indique un rocher affleurant juste derrière, sans aucun repère terrestre. Faute de connaissance préalable du coin, il faudrait une confiance aveugle en son GPS. On reste donc au vent et on s'applique à ne pas "gaspiller du cap". Après être passé au vent, on voit clairement ce caillou sur lequel la houle vient briser.

Good Bye Tenerife


Un dernier message avant de perdre le réseau...
Passage devant la Playa de Las Teresitas
Confortable poste d'observation de la route

Ensuite, cette allure nous fait longer la côté nord de Tenerife vers l'ouest. Pas moyen de faire plus de nord. L'espace d'un moment, je me demande même si nous allons pouvoir passer au vent de La Palma sans devoir tirer un autre bord. Pas glop ! Mais ayons confiance dans les prévisions remarquablement précises de notre époque. Effectivement au fil des heures de la nuit, le vent adonne et notre route s'infléchit vers le nord.

Roque de Fuera et Roque de Dentro
Le caillou affleurant (Baja de la Palometa)
Good Bye Teide

La nuit au près se confirme pénible, comme toujours. Heureusement, la mer est peu agitée. Néanmoins, quelques semaines à terre nous ont fait perdre notre amarinage. Le mal de mer me gagne. Heureusement le partage des quarts avec Liliane permet un sommeil bienfaisant. Le bateau à fond plat tape un peu dans les vagues. De grandes claques sonores réveillent en sursaut celui qui se repose. A chaque fois, on pourrait croire qu'un hublot a été défoncé ou que la coque est disloquée. Mais non, tout va bien. Et le dormeur se rendort. Des paquets de mer occasionnels déferlent sur la plage avant, et recouvrent le roof, c'est même assez joli sur le plexiglas, puis l'eau ruisselle vers l'arrière le long du pavois sous le vent. Nous apprécions que le cockpit reste à l'abri de ces écoulements.

Dernière vue sur le Teide
Mieux que la vue de la ligne 13...

Nous pouvons prendre notre quart en restant au sec et en sortant seulement pour faire notre tour d'horizon périodique. Le gilet est disponible à portée de main s'il est besoin d'aller manoeuvrer, mais de pouvoir l'enlever à l'intérieur est un allègement appréciable sur les épaules et la nuque.

La mer est vide, aussi bien à la surveillance visuelle qu'à l'AIS.

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6 mai 2023

Au petit matin, nous passons sans peine au large de La Palma, direction nord-ouest. La couverture nuageuse est assez dense, malgré le régime anticyclonique. Elle nous vole le lever du soleil et une partie de l'électricité solaire attendue. C'est donc le moment de mettre en œuvre l'hydrogénérateur.

Penché à l'arrière au-dessus de la filière, à genoux (et attaché par mon harnais, bien sûr), un coup de roulis me fait glisser et mon nez frotte sur le câble métallique de la filière. Je n'y prête pas attention, mais de retour dans le carré, Liliane voit du sang. C'est donc la deuxième sortie opérationnelle de la trousse de premier secours (espérons ne jamais sortir les deux autres trousses). Juste une éraflure, mais c'est fou de constater à quel point on est vulnérable. Liliane panse mon nez.

Nez pansé

A onze heures, Liliane me réveille pendant son quart. Constat : le sac à spi qui était attaché à la filière à l'avant a disparu ! Nous calculons rapidement : Liliane fait un tour d'horizon toutes les vingt minutes au moins, l'absence du spi lui a sauté aux yeux. Il ne doit pas être plus loin que vingt minutes de route à six ou sept nœuds. Il est probable qu'il a coulé. Mais vu le prix de l'objet, ça vaut quand même le coup de tenter de le retrouver. Et puis cela réduira les regrets du type "on aurait pu, on aurait dû...".

Spi absent, deux sangles intactes
Suivre la trace de l'aller. Dur dur...

Nous faisons demi-tour et prenons au portant la route inverse de l'aller. Je m'aperçois vite, qu'il est extrêmement difficile de faire route exactement sur la trace enregistrée. Du moins si on recherche une certaine précision. La route oscille autour de la trace à moins de cent mètres, mais c'est déjà beaucoup pour trouver un hypothétique sac flottant noir qui serait à ras de l'eau. Le clapot et la houle nous laissent peu d'espoir malgré nos deux paires d'yeux scrutant la mer des deux côtés. Au bout d'une heure à sept nœuds, nous estimons avoir largement dépassé la position supposée de chute à l'eau. Nous repartons au près en essayant à nouveau de suivre la trace et avec le même soin de recherche. Au passage nous imaginons à quel point il serait difficile de trouver une personne dans ces conditions, ce que les stages de sécurité nous ont déjà maintes fois expliqué. Il arrive un moment où nous repassons la position de notre demi-tour. Avec un peu de regrets et beaucoup de colère intérieure contre moi-même, je décide que nous poursuivons notre route. Inutile de tenter un deuxième aller-retour.

La perte est probablement survenue au moment d'une vague plus forte, ou par l'accumulation de paquets de mer qui ont fait glisser le sac à spi hors des deux sangles, puis ont brisé les trois crochets en plastique. Il aurait fallu mieux l'attacher. J'aurais dû aussi laisser le point d'amure fixé à sa bosse, ou un brin de Dyneema au pied d'un chandelier, ou fixer le sac à une filière à l'arrière plutôt qu'à l'avant. Les crochets de sac sont faits pour tenir le sac vide à la filière lorsque le spi est hissé, pas pour retenir toute la voile. La leçon est chère et amère. Passons à autre chose si vous le voulez bien.

A l'approche de la nuit, nous aimons partager un repas chaud, avant que l'un de nous deux parte dormir. Des gnocchis par exemple. Ce soir, le bateau tape dans la houle de face. Je suis fatigué par la journée de contrariétés diverses. Et bien, croyez mon expérience, les gnocchis, c'est pâteux et pénible à vomir.

Vue de Liliane à la table à carte
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7 mai 2023

Après le petit déjeuner, comme tous les jours, je recueille les fichiers météo par la liaison Iridium et prépare un mail de situation pour nos amis référents sécurité à terre. C'est plutôt satisfaisant. La bulle de vent nul se déplace vers le nord sur l'avant de notre route, nous y entrerons donc plus tard que calculé initialement, ce qui nous permettra de rester à la voile plus longtemps que prévu, même si la vitesse du bateau sera un peu moindre qu'au moteur. Finalement, pourquoi se presser lorsqu'on est bien en mer ?

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8 mai 2023

L'atmosphère est plus tiède, le vent plus faible que les jours précédents. Nous approchons de la bulle de calme anticyclonique.

Le routage du jour avec les nouveaux fichiers de vents prévoit une arrivée le 11 mai au lever du jour, ce qui nous plaît bien.

Les mouvements modérés du bateau permettent de meilleurs repas. Liliane nous prépare de fantastiques œufs sur le plat. C'est peut-être un détail pour vous, mais pour nous ça veut dire beaucoup. Je sais, je sais, il y a des navigateurs qui peuvent cuisiner un bœuf bourguignon dans la bafrougne, mais nous n'avons pas (encore ?) ce niveau.

Le reste de la journée se passe aux quarts de veille et aux activités personnelles, podcasts, lecture, repos.

En fin de journée les batteries sont rechargées à 99%. Je relève donc l'hydrogénérateur. Toute la journée, il a ronronné, ronflé ou rugi. Pour l'équipage, ce bruit familier donne au passage une notion analogique (i.e. non numérique) de la vitesse du bateau. Quand il rugit, le bateau file huit nœuds, quand il cavite, c'est qu'on surfe à neuf nœuds...

La mer est belle et le vent faiblit encore.

Liliane prend son quart avant la nuit
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9 mai 2023

Dans la nuit, nous avons croisé trois navires commerciaux, une foule soudaine après ces derniers jours de désert.

Le ciel est limpide. C'est plein d'étoiles ici ! Le sillage est fluorescent de plancton.

Vers quatre heures, lors d'un changement de quart, Liliane pousse un cri strident. Ses doigts se sont fait prendre dans la porte des toilettes. La porte a échappé de son loquet bloque-porte et s'est refermée sur ses doigts, heureusement pas côté charnières. Ce loquet est pratique au port parce qu'on peut le bloquer d'une simple pression et le débloquer d'une simple traction. Mais lorsque le bateau gite et tape dans la houle, le poids de la porte suffit à échapper et la porte claque alors violemment (idem pour celle, symétrique, de la cabine). Nous avions exceptionnellement détaché la porte, alors qu'elle reste d'habitude attachée par un bout lorsque nous sommes au près. Vite, la poche de froid ! Apparemment pas de cassure, mais une douleur fulgurante et intense (qui persiste encore légèrement à la date de publication de ces lignes). Auto-prescription du médecin de bord : antalgiques, anti-inflammatoires et dispense de tour de vaisselle.

Au lever du jour, la routine reprend : délectation silencieuse du lever de soleil, hydrogénérateur en place, fichiers météo, petit déjeuner en commun, vacation Iridium avec la terre, contemplation de la mer. Les doigts de Liliane fonctionnent. Douloureux et bleus mais entiers. Pour la suite, j'attache ensemble les poignées des portes de la salle d'eau et de la soute. Cela leur impose de rester ouvertes.

En faisant un tour sur le pont, je trouve une petite goupille. Très fine, moins de un millimètre de diamètre et un centimètre de long. Mais d'où ça peut bien venir ? C'est toujours inquiétant de trouver une pièce perdue sur le pont. L'inspection visuelle du gréement aux jumelles ne donne aucune indication. Ah si ! tout en haut, la girouette, pas celle qui donne une valeur numérique aux instruments, mais celle qui sert de témoin visuel pour régler ses voiles, a perdu un de ses deux témoins réfléchissants. Pas grave. Pour la changer ou la réparer, il faudra que je monte au mât voir le système et le diamètre de l'axe de fixation . On fera ça quand on sera aux travaux d'entretien annuel. Bientôt.

Quelques oiseaux marins, mais très peu. Dans l'après-midi, nous croisons une grosse bouée flottante, type bouée d'amarrage. Nous la perdons rapidement de vue. Elle ne représente pas un gros danger pour la navigation, mais à tout hasard, j'envoie un message de sécurité au CROSS Gris-nez. Plus tard, il me répondra que le message a été transmis aux autorités locales.

Lever de soleil
Grosse bouée flottante
Sterna hirundo

L'allure du près devient moins chaotique et cela permet d'envisager une douche sereine. A l'arrière, soigneusement harnaché et avec le minimum de matériel pour éviter toute perte. Une douche en plein air est vraiment un plaisir. Nous utilisons une douche solaire Décathlon que nous avions remplie à l'avance et attachée sur le rebord du tableau arrière. L'eau a un peu chauffé. Je me lance, Liliane observe avec une certaine circonspection le cycle de savonnage et rinçage, visant à minimiser la consommation d'eau. Total, shampooing inclus : cinq litres, ce qui est déjà un luxe. C'est juste pour l'exercice, parce que nous avons une large quantité d'eau douce pour cette courte traversée, mais il est important de nous entraîner pour une prochaine transat, qui est toujours dans le projet. Il est même prévu dans ce cas que le savonnage et le premier rinçage se feront à l'eau de mer, et nous disposons du savon et du shampooing adaptés à l'eau salée. Dans ce cas, la consommation d'eau douce devrait tomber à 1 litre.

En fin d'après-midi, l'hydrogénérateur s'arrête spontanément de ronronner. L'indicateur des batteries indique 99%. Le BMS des batteries les a donc déconnectées, ce que voyant, le régulateur de l'hydrogénérateur s'est désactivé. Son hélice tourne, mais il ne produit plus de courant (l'alternateur n'est plus excité, sa FEM est nulle). Cela confirme si besoin était que cet appareil est parfait pour garantir l'autonomie électrique en navigation.

Le repas chaud du soir est encore l'occasion d'un moment de douceur. La cocotte-minute est l'outil indispensable de la simplification, tant en préparation qu'en vaisselle.

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10 mai 2023

Pendant le quart de Liliane en début de nuit, une lumière blanche apparaît devant sur l'horizon. Puis disparaît, réapparaît... Difficile à interpréter ; le navire doit être vraiment à l'horizon visuel ; masqué de manière intermittente par la houle. Elle ne défile ni à droite, ni à gauche. Nous l'observons de longues minutes et formulons des hypothèses : soit c'est un navire de commerce, avec ses deux feux superposés au loin et il nous arrive de face ; soit c'est un voilier et il fait route dans la même direction que nous. Rien sur l'AIS. Soit il est hors de portée (plus de dix milles nautiques), soit il n'en a pas ou il l'a éteint. Cela semble confirmer l'hypothèse du voilier, parce qu'un navire de commerce aurait un AIS de classe A, de portée supérieure. Ça dure... Comme il ne se passe rien de nouveau, nous le laissons sous observation et continuons nos quarts.

Dans la nuit, le vent tombe vraiment. Pendant mon quart, on avance encore à la voile à trois nœuds et demi sous génois et grand-voile haute. Sur la mer plate, c'est doux et silencieux. Vers quatre heures, la vitesse du bateau descend à deux nœuds ; les voiles ballotent d'un bord sur l'autre ; de guerre lasse, nous allumons le moteur à petite vitesse. La route est maintenant assez déterministe. Nous sommes à peu près certains d'arriver plus tôt que prévu, en pleine nuit. Nous aurions voulu l'éviter mais il est impossible de maîtriser exactement la vitesse en voilier sur cinq jours. Nous envisageons de ralentir encore pour arriver au lever du jour, mais ça n'a rien d'amusant de traîner au moteur et on consommera davantage de carburant. Donc nous continuons.

Le feu blanc est encore devant nous ; il est maintenant présent en permanence. Vers cinq heures, son identifiant AIS apparaît sur les instruments. C'est bien un voilier (Sy Bruce), il fait la même route que nous, et nous faisons à peine un nœud de plus que lui. Il faudra bien encore six heures pour qu'on le double. Six heures à le surveiller comme le lait sur le feu, évidemment. Lui aussi doit trouver pénible d'avoir cet écho qui le poursuit depuis cette nuit.

La journée entière se passe au moteur à petite vitesse sur la mer lisse et plate. Le soleil et la chaleur nous font ressortir les coussins de cockpit, où il fait bon lire et contempler. C'est aussi le moment que choisit Liliane pour prendre sa douche en plein air, à l'aide d'un bidon d'eau de 5 litres qu'elle juge plus pratique que la douche à pompe. Bon, chacun sa méthode... De mon côté, je teste pour cette deuxième douche un autre outil : le pulvérisateur de jardin (Leroy Merlin), qui permet un mouillage et un rinçage encore plus économiques en eau. Il faut dire que les conditions nautiques du moment sont particulièrement faciles pour ces essais.

Nous avons mesuré les températures : douche Decathlon : 25,7°C ; douche en bidon stocké dans le coffre du cockpit : 28,5°C.

Lecture dans le cockpit

Cette platitude permet de distinguer de nombreuses Physalis à la surface. Cette espèce bien plus dangereuse que les méduses en cas de contact n'est pas un animal, mais une colonie de plusieurs animaux spécialisés et coopérant entre eux. Les longs filaments capturent les petits poissons et les empoisonnent, d'autres les digèrent, une poche replie de CO2 sert de flotteur et de voile ce qui maximise les déplacements. Il y a des voiles tribord et des voiles bâbord, sans doute un processus évolutif de l'espèce, qui minimise (statistiquement) la létalité des tempêtes qui les échouent. Lili les nomme des raviolis, mais elle sont généralement nommées galères portugaises (galère au sens du navire, c'est à dire une caravelle portugaise, dont les trois mâts et les voiles d'avant donne une allure de demi-lune à la voilure).

Caravelle (azulejo)
Physalia Physalis

On croise plusieurs navires de commerce. On sent que l'archipel des Açores approche.

Le journal de bord indique méticuleusement : pâtes au chorizo & parmesan, yaourt, pomme. C'est à dire un festin de princes !

La nuit promet d'être courte et mouvementée avec l'arrivée au port de Vila do Porto sur l'île de Santa Maria. Nous nous organisons pour avoir quelques heures de sommeil avant de devoir rester tous deux éveillés pour les manœuvres de port.

A la recherche du rayon vert
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11 mai 2023

Sur la tablette, on voit trois cibles AIS qui semblent converger vers la même destination que nous à Vila do Porto. Cette impression se confirme au fil des heures. Flûte ! Ils vont prendre toutes les places...

Le Guide indique que l'entrée du bassin de la marina est étroit et le déconseille de nuit pour une première entrée. Vu. Mais il est cinq heures et demi et la perspective d'attendre le lever du jour encore deux heures à l'extérieur dans la houle sans vent ne nous réjouit guère. Nous tentons l'entrée. De nuit, l'abord est assez inquiétant parce que l'entrée du port n'est balisée que sur la jetée à bâbord et l'autre coté une colline sombre se devine dans le noir. Le Guide nautique n'aide pas : "Attention aux blocs de béton qui dépassent de la jetée". Finalement, c'est facile. Pour la suite, l'entrée du bassin de la marina est déclaré "très étroit ; deux bateaux ne peuvent pas s'y croiser". Mais bon, à six heures du matin, il n'y a pas foule. Un pêcheur quand même qui sort son petit canote. Nous prenons un soin extrême dans l'avant-port à la préparation des pare-battages, des amarres, de la torche. Les appels VHF à la marina restent sans réponse. En plein milieu de l'entrée, une petite bouée verte nous invite à serrer la jetée sombre et haute, bien plus que nous ne l'aurions fait spontanément. Partons du principe que ces indications sont là pour nous aider. Nous nous appliquons. Liliane éclaire le chenal. Ça passe (largement en fait...). Dans le bassin, je me remémore le mail du bureau de la marina qui disait littéralement : "We don’t make reservations in this marina, but we have enough place free for you to come." Mais quand nous entrons dans le bassin, on n'en voit cure, des places. Comme soupçonné plus tôt dans la nuit, plusieurs bateaux que nous suivions à l'AIS ont vu le même créneau météo que nous et sont arrivés quelques heures avant nous. En fouinant un peu, une place est libre entre un catway et un beau Grand Soleil. Nous nous y glissons en essayant de rester aussi silencieux que possible et éteignons le moteur dès la manœuvre terminée. Nous rangeons sommairement les voiles ; les dents, et au lit pour une heure de sommeil sur un matelas enfin horizontal.

Six heures et dix
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Au réveil du réveille-matin, nous savons que nous avons du travail pour la journée. Formalités d'accueil, inspection du bateau, nettoyage du bateau, lessives, courses. La marina a l'air paisible et souriante. Nous sommes assez contents de notre remontée, malgré les vicissitudes relatées.

Vila do Porto sur Santa Maria (Açores)
Gros travaux sur la jetée de la marina
Un beau bord de près

Nous croisons rapidement d'autres Français sur les pontons, en particulier ceux qui sont arrivés la même nuit que nous de divers horizons. Nous apprenons que les cibles AIS vues dans la nuit venaient tous trois de Porto Santo.

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Santa Maria est un des points de convergence des équipages aux Açores. Certains reviennent de leur tour de l'Atlantique, d'autres du "petit tour", c'est à dire limité aux archipels de Madère, Canaries, Cap Vert, Açores. Beaucoup de Français, Allemands, Belges. Inévitablement, les langues structurent les groupes. L'ambiance fort conviviale des pontons nous embarque très vite et le restaurant de la marina est l'occasion d'échanges enthousiastes et enrichissants. On y parle bateau, voyage, vie à bord, météo, étapes paradisiaques, travaux, astuces, chantiers, galères, mal de mer... Des enfants courent joyeusement sur les pontons d'un bateau à l'autre et échangent jeux et BD. Pour plusieurs, c'est la période du retour vers le continent, en vue de la reprise professionnelle et scolaire. La caractéristique des quelques équipages de retraités est qu'ils ont un programme très très flou...

Marina Villa do Porto (Santa Maria)

Une bonne journée est nécessaire au nettoyage complet du bateau, intérieur et extérieur. De plus, les cinq jours de près avec des vagues de face laissent penser que de l'eau a abondamment ruisselé dans la baille à mouillage (ce qui est un fonctionnement normal, cette eau s'évacue par de petits orifices latéraux). Mais pour une raison difficile à comprendre, le concepteur du RM1060 a cru bon de mettre une trappe de visite au fond, juste sous le mouillage (40 mètres de chaîne de 10mm + 40 mètres de gros câblot de 22 mm). Cette trappe en plastique n'est évidemment pas parfaitement étanche malgré les joints. De l'eau suinte en-dessous, dans la crash box. Outre que la crash box se remplit progressivement d'eau salée, elle communique par une autre trappe de visite avec l'intérieur du coffre bâbord de la cabine avant. L'eau perfuse lentement dans le coffre situé sous la couchette avant, que nous laissons vide depuis que nous l'avons découvert avant le départ de Roscoff. Il n'y a donc pas de dégâts, mais nous retirons un demi-seau d'eau au total. Puis rinçons tout à l'eau douce et laissons bien sécher. Ensuite, il faut refaire le joint avec du ruban silicone. - Comment disiez-vous ? Naviguer, c'est aller d'un port à l'autre pour faire des travaux. - Oui, c'est ça !

La marina de Vila do Porto est sans doute une des meilleures des Açores. Nous y prenons assez vite goût. Un bus permet d'aller faire les courses à la ville toute proche. Le restaurant du port, aux horaires assez stricts (pas de mousse au chocolat pour Liliane, trop tard !) nous tend les bras.

Carte routière de Santa Maria
Marina Vila do Porto, Santa Maria, Açores


Point d'Anglois à l'horizon
En attendant le bus...
"que pode ser mais ?" (bovin açoréen, pour une publicité imaginaire)
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Tourisme à Santa Maria

16 mai 2023

Santa Maria porte plusieurs noms : l'île du Soleil (parce que c'est la plus au sud de l'Archipel des Açores), l'île Jaune (parce qu'elle est moins boisée que les autres), l'île Oubliée (parce que les tours operators ne l'incluent pas dans les voyages standards). Pour moi, elle évoquerait aussi Sark, dans les îles Anglo-Normandes, par son côté de prairie hors-du-monde et champêtre, garnie de vaches en liberté encadrée par des murets de pierres volcaniques. Elle est parcourue de nombreux sentiers de randonnées, parfaitement balisés.

Le loueur automobile est à l'aéroport, mais il propose assez spontanément de venir nous chercher à la marina. Dont acte.

L'île est petite et une heure suffit à la traverser en voiture. Les routes, même secondaires sont en excellent état. Chaque virage est une occasion de s'arrêter pour contempler un paysage de mer ou de collines. Nous croulons vite sous la quantité de photos. Nous savons qu'elles sont de qualité photographique assez quelconque, mais elles évoquent toutes pour nous des moments plaisants, y compris en absence de soleil.

Notre surprise est qu'il y a très peu d'infrastructures hôtelières. Un seul restaurant ouvert en cette saison en dehors de Vila do Porto. Plusieurs ont porte ouverte mais sont en travaux et ne reçoivent pas le public. Dans tous les villages du littoral, les maisons joliment colorées ont les volets clos et les bars sont en cours de travaux ou fermés. La haute saison commence en juin, nous explique un américain de Boston qui vient passer systématiquement ses loisirs ici. Cette rencontre évoque l'histoire des Açores, très liée à celle des Etat-Unis et qui a favorisé les allers-retours des habitants vers "les Amériques".

Principales migrations açoriennes historiques et contemporaines

Les routes bien plus verdoyantes qu'aux Canaries. On sent que l'atmosphère y est plus humide.

Sans surprise en revanche, Cristobal est passé là avant nous et il est célébré ici comme aux Canaries. Un autre hommage est celui fait à Galilée, puisque Santa Maria héberge une des stations de l'ESA qui participe au contrôle des satellites Galileo (ce n'est pas celle sur la photo ci-dessous).

Cristobal
Consentement bovin


Farolim Ponta de Norte
Antenne de contrôle de satellite

17 mai 2023

Le ciel se couvre. Contrairement aux Canaries, la situation météorologique évolue rapidement aux Açores. Il suffit que l'anticyclone bouge un petit peu et le temps local bascule vite du grand beau au grand gris.

La vigne est cultivée à ras du sol, dans de minuscules parcelles entourées de murets de pierre, pour limiter l'effet du vent permanent. Cela rappelle certaines îles grecques.

Pieds de vigne
"Je t'assure, elle est bonne"

Du bord de mer vers le centre de l'île, la végétation offre une variété de paysages, pas aussi divers que dans les îles très montagneuses comme Madère ou La Palma, mais tout de même de majestueuses étendues de cryptomerias.

Le point le plus haut est le Pico Alto, à 450 mètres. Notre tentative d'embrasser de son sommet la totalité de l'île du regard circulaire s'est soldée par un spectacle de brume et de nuages épais. Il faudra peut-être revenir ! Heureusement de belles antennes de Faisceau Hertziens datant d'avant l'époque des satellites et des fibres optiques viennent égayer le paysage.

Du haut du Pico Alto
Forêt de cryptomerias

Nous terminons la journée à Ribeira do Maloás où un sentier aménagé nous conduit en descente à une cascade coulant sur un lit de basaltes. Cette formation provient d'une coulée de lave ayant rencontré la mer. Comme partout, le chemin est accessible à tous les niveaux de marcheurs.

Ribeira do Maloás

Le chauffeur de l'agence de location qui m'a ramené à la marina, et à qui je faisais remarquer que leur île fait peu de publicité pour attirer les touristes, m'enjoint avec humour de ne pas divulguer l'emplacement de leur île afin qu'elle reste plutôt solitaire. Je ne vous dirai donc pas où la trouver sur la carte, comme au bon vieux temps où les cartes marines des Portugais, les Portulans, étaient des secrets d'Etat ! D'ailleurs, les lignes de ferries qui reliaient Santa Maria aux autres îles de l'archipel des Açores ont été supprimées. Le seul lien restant pour les habitants est la liaison aérienne.

Seul lien entre les habitants de Santa Maria et le reste de l'archipel
Un Super Arlequin, avec deux personnes à bord venues de France

Nous avons décidé de partir vendredi 19 pour continuer de visiter l'archipel des Açores. Trois autres bateaux prendront le départ le même jour vers São Miguel. La veille se passe en préparatifs du bateau et formalités : restitution des multiples clés physiques pour WC, buanderie, douches et surtout le Registro de Saída de Embarcação qui est le sésame pour l'entrée dans le port suivant. Sentant proche la séparation avec certains des équipages avec lesquels nous avons sympathisé, nous organisons informellement un dernier apéritif partagé au bar du Clubo Náutico. Nous renouons avec la pluie que nous n'avions plus connu pendant tout notre séjour aux Canaries. L'apéritif permet d'échanger sur les programmes des autres navigateurs.

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Publié le 1er juillet 2023

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Traversée de Santa Maria à São Miguel

19 mai 2023

Au petit matin on sent une certaine fébrilité sur les pontons. Pas moins de six équipages s'affairent à la préparation de leur départ, ayant ciblé ce même créneau pour une arrivée à São Miguel en fin d'après-midi. Sachant que la météo prévoit une route tribord amure, nous n'avons rempli que les réservoirs à eau de tribord, ce qui devrait permettre de garder plus de toile au près et améliorer la vitesse du bateau. Dès la sortie du port, chacun établit ses voiles dans l'ordre de sortie. Le froid, tout à fait relatif par rapport à l'Europe continentale, nous amène à ressortir nos vestes de quart.

Au petit matin, peu de mammifères
Vila do Porto
Départ groupé
Santa Maria vers l'ouest, deux caps à passer avant de faire du nord
Adeus ! Santa Maria

Toute la journée, nous suivons les autres navires visuellement ou à l'AIS et nous restons dans l'ordre de départ, avec la satisfaction de faire jeu égal avec les 40 pieds voisins. On sait que le RM n'est pas un bateau de près ; avec ses deux quilles et son large bau, il "pousse de l'eau". C'est sûr, confirmerait Kant, le RM naviguerait mieux s'il n'y avait pas d'eau !

La mer est assez désagréable, croisement de houle courte et des vagues du vent de nord-est avec rafales, le ciel couvert toute la journée. Le bateau marche fort. Il faut dire qu'aucun des autres bateaux n'a envie de réduire la toile au risque de se faire doubler, sauf à l'approche de São Miguel où on se fait cueillir par des rafales à vingt-cinq nœuds. Malgré cette belle navigation, cela laisse un souvenir mitigé : mer chaotique, un peu froid, mal de mer...

Un dernier message en s'éloignant de Santa Maria
Inévitable envie de régater avec les autres
Approche de Ponta Delgada
Marina ouest - entrée à côté du trimaran

A l'arrivée, les équipages connus à Santa Maria viennent nous aider à l'amarrage. Bien que nous soyons entrés aux Açores depuis Santa Maria, le passage administratif à São Miguel est très complet et très professionnel : marina, douanes, puis police des frontières.

Les rues de Ponta Delgada sont animées et plusieurs restaurants nous tendent les bras.

Ponta Delgada
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Court séjour à São Miguel

20 mai 2023

Dans la marina de Ponta Delgada sur São Miguel, on aperçoit du beau monde : le Rustler 36 Noah's Jest appartenant au navigateur canadien Edward Walentynowicz, prêt pour la prochaine Golden Globe Race (abandon en 2022).

Bien que cette marina offre toutes les commodités, les pontons sont en permanence remuants. En effet, le facétieux concepteur du brise-lame intérieur a choisi de mettre des blocs de béton troués. Le ressac passe donc à travers la construction. Chaque fois qu'il peut, le port de commerce range un cargo le long de ce quai, de façon à barrer la houle entrante (*). Et un bateau militaire contribue aussi à cette protection. Néanmoins, les amarres tiraillent les taquets assez rudement. Nous achetons un amortisseur d'amarre plus gros que les deux existants à bord.

(*) mais comme le cargo n'absorbe pas l'énergie de la houle, parce qu'on ne voit pas très bien ce qu'il pourrait en faire pour la dissiper, à part peut-être faire chauffer ses amarres, elle rebondit sur sa coque et repart en direction du brise-lame extérieur où elle rebondit à nouveau vers la marina. La seule manière de supprimer la houle est de la faire se disperser dans des jetées de rocs ou de tétrapodes en béton. Les tentatives de transformer cette énergie en électricité sont restées au niveau des prototypes, auxquels le milieu marin mène la vie dure.

Noah's Jest (Rustler 36)
Au moins il amortit la houle entrante

Nous avons déjà eu l'occasion, il y a quelques années, de passer dix jours à São Miguel ; nous préférons écourter l'étape et aller visiter d'autres îles. Quelques menus travaux notamment sur une couture du lazy bag dont un gousset s'effiloche depuis un moment et laisse sortir le jonc raidisseur. Il faut dire que cette toile est d'origine (2013). La couture à la main prend une bonne paire d'heures ; le résultat donne satisfaction pour faire durer l'équipement.

Gousset à réparer
Couture haute
"C'est du bon boulot mais c'est très moche" (Lili)

Quelques courses alimentaires et nous repartons vers l'ouest.

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De São Miguel à Terceira

23 mai 2023

Le départ de São Miguel se fait avec un vent faible, masqué par l'île. Nous sommes très lents dans la matinée. Après une tentative héroïque au vent arrière dans cinq nœuds de vent, nous mettons au moteur pendant une bonne heure. Finalement, au débouché ouest de l'île, le vent arrive. C'est l'occasion d'essayer à nouveau le régulateur d'allure (faisant suite à la sortie de test à Tenerife le 18 avril). Après quelques réglages techniques, il conduit le bateau de manière acceptable, en zigzagant un peu.

Départ de la marina de Ponta Delgada
São Miguel s'éloigne dans le sillage

Pour les curieux, il est important de comprendre que le régulateur d'allure, comme tout asservissement de position (position angulaire pour le coup), va fonctionner autour d'une valeur moyenne et dans les limites de sa plage de fonctionnement. Si on veut qu'il puisse faire face aux changements de condition de vent, il faut impérativement régler la barre pour que sa position neutre (quand la pale aérienne est alignée avec le vent) soit une position stable de route. Si le bateau est ardent, il faut donc un léger écart de barre permanent (pour le faire abattre), que l'on appellerait "trim" dans le cadre d'un asservissement. C'est également ce que fait de manière inconsciente un barreur humain et qui d'ailleurs peut finir par le fatiguer si la barre est dure. Sur Tusitala, la barre est légère et ce trim s'obtient simplement en augmentant la tension de la drosse au vent par rapport à celle sous le vent. Ensuite, il faut observer un moment comment se comporte l'aérien. Si tout est bien réglé, l'aérien doit s'incliner parfois d'un côté, parfois de l'autre, c'est à dire provoquer des corrections tantôt à l'abattée, tantôt à l'auloffée.

Certains l'appellent "Raymond"

Dans les heures qui suivent, pendant mon quart, je conserve le régulateur d'allure. Le vent forcit et même dans les rafales, il fait un bon boulot. C'est un grand plaisir de le voir opérer tranquillement, sans rien consommer et en silence (parfois le pilote électrique se plaint...). J'ai tourné plusieurs gigaoctets de vidéo tellement je trouve ça beau (une vidéo et un article spécifiques sur ce sujet sont en préparation).

Il n'y a que pour prendre un ris que j'ai préféré remettre le pilote électrique, mais s'il avait fallu continuer sous régulateur, je pense que ça aurait pu fonctionner. Pendant la nuit aussi, nous remettons le pilote électrique. Dans les limites de cet essai, cela valide que le régulateur d'allure est opérationnel et qu'il peut efficacement venir en secours, et pourquoi pas en principal, du pilote électrique.

Nous sommes encore à plusieurs dizaines de milles de toute côte. J'entends "cui-cui". Nouvelle alarme de la tablette, ou nouveau grincement du bateau ?. Un moment plus tard, un oiseau fait irruption dans la cabine, un tour rapide au fond et ressort aussi vite. Ça ressemblait à un passereau. Je l'entends encore appeler. Je me glisse avec une caméra dans la descente, il s'envole, tourne autour du bateau, d'abord de loin, puis se rapproche et se repose, dans les deux sens du terme.

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Terceira

24 mai 2023

Nous arrivons à Terceira de nuit. A l'approche de l'entrée des brise-lames, tous les feux semblent écrasés sur un même plan : un feu rouge, un feu vert, une cardinale sud et un feu directionnel rouge-blanc-vert. La bouée clignotante sud, qui n'est pas dans le guide nautique (mais elle est sur la carte Navionics), balise l'entrée, parce que le bout de la jetée s'est effondré et des blocs de pierre sont donc affleurants côté nord de l'entrée. De jour, ce serait tout à fait anodin, mais la nuit rend tout plus inquiétant.

Une fois passée cette entrée, la baie est large et bien abritée derrière ses brise-lames. Cela nous permet de faire les manœuvres de préparation du mouillage sur un plan d'eau calme. Nous n'essaierons pas d'entrer dans la marina, qui est toute petite. L'ancre descend vite et nous mouillons par six mètres sur fond de sable, en face d'une grande plage. Facile, malgré l'orin que nous laissons sur l'ancre pour le cas où le fond serait encombré d'obstructions ou de vieilles chaînes. Hop ! au lit.

Mouillage à Praia da Vitória

Terceira porte ce nom car elle est la troisième île des Açores qui ait été découverte.

Après le petit déjeuner, nous gonflons l'annexe et filons à la Capitainerie. Il est assez général que les Capitaineries refusent les réservations par mail ou par téléphone, mais trouvent une place disponible une fois que nous sommes sur place. Après un petit tour en ville, nous migrons Tusitala au ponton. L'entrée de la marina passe très près de la plage, l'entrée s'ensable constamment et les services publics draguent le sable à la pelleteuse en préparation de la saison estivale. On espère que les employés en charge de ce travail de Sisyphe en ont adopté la vision heureuse de Camus face à l'inéluctable retour du sable apporté par les courants.

Praia da Vitória a de jolies rues pavées bordées de façades peintes de diverses couleurs.

Mouillage à Praia da Vitória
La digue effondrée et sa cardinale Sud
Rua de Jesus, Praia da Vitória
Rare fois où on déplace le bateau avec l'annexe suspendue
Vue sur le port de Praia da Vitória
Tout se passe dans la Rua de Jesus
Sisyphe à la pelleteuse
Jeu : où est Tusitala ?

26 mai 2023

Deux jours de tourisme en voiture de location sont un peu courts pour voir toutes les richesses de cette île. Il suffit de se laisser conduire le long des petites routes tortueuses. Certains terrains sont, pour des raisons historiques autant que géopolitiques, utilisés par les militaires américains, on y voit de beaux champs d'antennes de communications à longue distance.

Magnifiques antennes grandes ondes

Un passage à Angra do Heroísmo nous conforte dans notre choix de la marina de Praia da Vitória. Cette marina est très occupée et les pontons visiteurs, installés juste en face de l'ouverture des brise-lames sont très agités malgré la faible houle extérieure. La cité est très jolie et dispose d'un centre historique riche ; il est facile de comprendre pourquoi autant de bateaux veulent y séjourner. "Un peu de couleur !", s'exclame Liliane.

En terres portugaises, c'est Vasco de Gama, Magellan et Henri le Navigateur qui sont à l'honneur dans l'espace public et les musées (Christophe Colomb ayant œuvré au titre de la couronne d'Espagne). Nos modestes et faciles navigations doivent une énorme part à ces géants sur les épaules desquels nous progressons.

Vasco de Gama, un des géants de la navigation
Marina Angra do Heroísmo
Heureux d'aller à l'école !

27 mai 2023

Dans les collines, le soleil alterne avec des périodes de nuages et brouillard. La piste serpente entre les forêts de cryptomerias à l'intérieur desquelles règne une grande obscurité.

Fougères géantes
Dans les cryptomerias

La côte nord reçoit une houle de deux mètres environ à ce moment. Les piscines naturelles sont aménagées intelligemment et il se trouve toujours quelque bassin calme au milieu des chaos de laves. Néanmoins, elles peinent à nous attirer en absence de soleil.

Côté intérieur de la piscine naturelle
Hortensias
Arums
Volubilis

Dans toutes ces îles, il est surprenant de constater à quel point sont rares les restaurants pour accueillir les visiteurs. Volonté politique délibérée de minimiser le flot touristique ? Toujours est-il que nous cherchons vainement des restaurants ouverts en suivant les avis Google. Heureusement il se trouve une brasserie attenante à un club de sport local, où les gens des environs et spécialement ceux qui travaillent viennent se restaurer. C'est haut en couleur et en niveau sonore.

Bar-restaurant local

A Algar do Carvão, l'aménagement d'une grotte pour les visites nous permet de descendre à 90 mètres sous terre. Cette formation volcanique provient de bulles de gaz ayant solidifié leur plafond à l'intérieur d'une coulée de lave. Spectaculaire ! Cela achève de me convaincre que la spéléologie n'était pas faire pour moi.

Algar do Carvão
Lac souterrain

29 et 30 mai 2023

Nous commençons à nous préoccuper de trouver une marina calme pour y laisser le bateau quelques semaines en vue de retourner en France rendre visite à nos familles. La Capitainerie de Praia da Vitória nous répond en substance "n'y pensez même pas ; tous les bateaux stationnés au sec sur le terre-plein vont retourner à l'eau pour faire place aux animations d'été sur le port". Celle d'Angra, que nous avions interrogée lors de notre visite en voiture, nous avait aussi enlevé nos illusions en expliquant que "de nombreuses courses d'été ont besoin de places aux pontons et on ne peut pas réserver". Nous allons donc continuer notre route vers l'ouest.

Bientôt le départ...

Petite marina, très animée
Rangement en cours
Dernière baignade à Terceira ("Je t'assure, elle est bonne")
Du SABLE !

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Publié le 5 août 2023

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Navigation de Terceira à São Jorge

30 mai 2023

Pour un court trajet d'environ une vingtaine d'heures, il est assez pertinent de régler notre départ de Praia da Vitória dans l'après-midi, de sorte à arriver à destination en plein jour. Avant le départ, nous nous offrons une dernière baignade sur la belle plage de Praia da Vitória.

A la sortie de la marina, nous avons le plaisir d'approcher La Perla 4 qui est au mouillage. Nous faisons le tour de leur bateau pour échanger de joyeuses et sincères salutations. C'est aussi l'occasion rare de photographier mutuellement nos bateaux. Ensuite nous établissons rapidement la grand-voile à l'abri des deux brises-lames et nous filons vers la sortie pour prendre la route d'abord vers le sud, puis vers l'ouest. Les contours de Praia da Vitória s'estompent vite dans la lumière déclinante et la légère brume.

En route vers la sortie
Ilhéus das Cabras

Au large de la côte sud, émergeant à plus d'un mille et demi, il y a un îlot non balisé (Ilhéu dos Fradinhos). Il ne comporte aucune balise, juste couvert par le secteur rouge du phare de Ponta das Contendas. Comme la nuit tombe, nous le laissons largement à tribord. Dans la pénombre, je me raconte des histoires de navigateurs portugais du XVème siècle se refilant les tuyaux nautiques sur l'approche de l'île, à l'époque où il n'y avait ni GPS, ni cartes hydrographiques officielles : "Capitão, il faut faire route en arrivant par le sud. La nuit, la silhouette de l'Ilhéu das Cabras se détache à l'horizon. Vous ne pouvez pas vous tromper, il a l'allure d'une motte de beurre qui a reçu un coup de sabre. Conservez bien un relèvement de ses falaises plus grand que de nord-ouest et continuez jusqu'à voir la Ponta das Contendas dans votre nord-est. Alors là, si Dieu veut, le danger sera paré. Prenez garde à ne point parler trop ouvertement de cela, car les agents de Gênes rodent sur les quais et épient nos conversations."

De nos jours, ça fonctionne aussi un peu comme ça à l'apéro entre voisins de ponton. Nous nous refilons des infos sur l'intérêt des mouillages ("Est-il rouleur ?" "C'est du sable au fond ?"), sur l'accueil des marinas ("Combien coûte la machine à laver ?" "On peut faire la clearance d'entrée ?" "Quelqu'un répond à la VHF la nuit ?" "Il y a de l'eau chaude dans les douches ?" "Tu reprends un ti-punch ?").

31 mai 2023

La nuit se passe calmement et le lever du jour dans le large chenal entre São Jorge et Pico est grandiose et impressionnant. En quelques dizaines de minutes, nous passons de la nuit à la lumière. Les reliefs des îles sont entourés de nuages, le mont Pico de l'île de Pico est complètement couvert. J'ai pris une route qui nous laisse pas mal de marge sous le vent des hautes falaises de São Jorge, mais cela n'empêche pas le vent de se montrer très facétieux, passant du calme plat à une courte et soudaine rafale à vingt nœuds en l'espace de quelques centaines de mètres. Pire, il arrive par deux fois que les rabattants descendus en rouleau de la falaise nous fassent subitement passer de tribord à bâbord amure, génois à contre. Faut rester vigilant dans le cockpit, prêts à intervenir aux écoutes. De courtes averses alternent avec de petits arcs-en-ciels. Nous expérimentons ce matin-là toute la combinatoire : lumière intense et vent, lumière tamisée et calme plat, arc-en-ciel et rafales...

Sous le vent de São Jorge au lever du jour


Mieux qu'un ciel bleu-bête
Pico à demi
Calme plat et arc-en-ciel #1 (discret)
Calme plat et arc-en-ciel #2
Arc-en-ciel #3 et brise
Arc-en-ciel #4
Arc-en-ciel #5
Courtes rafales

Après dix-huit heures de navigation, nous parvenons en matinée dans la petite baie de Velas. A l'approche du brise-lame, j'appelle la Capitainerie à la VHF. Pas de place pour l'instant, mais des bateaux doivent partir dans la matinée et il faut rappeler plus tard. Nous jetons donc l'ancre dans ce mouillage tranquille au pied des falaises. Effectivement, lorsque nous rappelons, la Capitainerie nous invite à entrer dans la marina. Le plan des pontons montrait bien qu'il y avait peu de place, et cela se confirme dès l'entrée. Le dernier virage nous amène de justesse à l'emplacement où le Capitaine nous faisait signe et il nous aide à l'amarrage en nous félicitant pour la manœuvre (pour être honnête, j'ajoute qu'il félicite avec bonhomie chaque équipage qui vient au ponton, quelle que soit l'élégance de l'arrivée).

Velas vue du mouillage
Voisins de mouillage

Comme dans chaque île visitée, les premiers jours se passent à repérer les commerces et autres facilités en arpentant les rues. Bien que ce soit le chef-lieu de l'île de São Jorge, Velas est une petite ville et le supermarché est moyennement approvisionné. Quelques petites épiceries permettent de compléter le marché. La halle aux poissons est surtout destinée à expédier les pêches locales (d'énormes poulpes, entre autres) vers le Portugal continental. La quête du yaourt nature va reprendre.

Au loin, le Pico
Impressionnante infrastructure de tri pour une petite île

Un jour nous recevons la visite impromptue de Philippe (Bateau L'Air du Temps) qui a connu Mahina et son équipage lors de leur tour de l'Atlantique en 2022 et qui est de passage à Velas sur sa route de retour en France. Small World !

Vela - la zone de mouillage au pied des falaises
Velas petit port très actif
Velas - piscines naturelles aménagées
Marina de Velas, au chausse-pieds
Au chausse-pied et au pied des falaises

La marina de Velas est aux pieds des falaises, qui la protègent de potentiels forts vents de l'ouest à l'est par le nord. Nous apprenons vite que ces falaises sont, précisément à cette époque, le lieu de nidification des puffins cendrés. Nous les avions croisés par centaines posés sur l'eau en approchant de Velas. Ces puffins pondent un seul oeuf par couple, le couvent et le nourrissent jusqu'à ce que le poussin soit en âge de voler. Ils l'abandonnent alors soudainement et, faute de nourriture, celui-ci maigrit jusqu'à atteindre le poids optimal quand il se décide à voler. En attendant, une autre caractéristique de cette espèce est de commencer son activité à la tombée de la nuit et de virevolter en criant jusqu'au lever du jour. Nous sommes aux premières loges. Leur cris ressemblent terriblement à des gémissements d'enfants. On peut trouver ça effrayant ou ridicule, c'est selon. Heureusement, leurs déjections ne sont pas à la hauteur de leur ramage. Au bout de quelques jours, nos cerveaux ont intégré ce bruit de fond et nous arrivons à dormir au milieu de ce vacarme.

Les cris des puffins cendrés la nuit aux pieds des falaises de Velas, São Jorge, Açores, Portugal 
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Visite de Pico

2 juin 2023

Sur l'île de Pico, située à peine à dix milles de São Jorge, la ville de Madalena est un des deux ports d'accueil des ferries. Il est possible de mouiller dans la baie pour deux ou trois bateaux, mais nous n'aimons pas la perspective de laisser le bateau à l'ancre dans cette petite baie assez étroite et ouverte aux vents et à la houle de nord-ouest, potentiellement forte en cas de dépression. Nous décidons donc d'aller visiter Pico en ferry, en laissant le bateau à Velas. Notre entraînement aux anciens horaires SNCF, avec leurs multiples exceptions, renvois et longues listes de gares desservies aide bien à comprendre les horaires des ferries qui desservent en noria les cinq îles du groupe central des Açores (São Jorge, Pico, Faial, Graciosa, Terceira). De Velas, c'est bien pratique d'aller à Pico, on peut partir le matin et revenir le soir même. Nous y réservons donc un logement par Airbnb pour deux nuits, une voiture de location et prenons deux places de ferry.

Madalena
Atlântico Line - Linha Verde - Horários
Atlântico Line - Linha Verde
Appartement BnB sur Pico, (inutilement) grand et central
Mouillage étroit et ouvert au nord-ouest

Après la belle traversée du spectaculaire chenal entre les îles, nous nous élançons sur les routes de l'île. Une des caractéristiques des paysages sur Pico est la couleur et les formes tourmentées des laves solidifiées. Je me prends à imaginer l'avancée de ces coulées un jour liquides, puis pâteuses et finalement figées dans une posture chaotique. Une gigantesque chorégraphie photogravée en 3D par un sculpteur.

Nous roulons sur la route du Pico jusqu'au parking d'où part la randonnée de l'ascension du sommet, qui constitue la plus haute montagne du Portugal. Pour y accéder, la route passe par la plus longue ligne droite de l'archipel, soit dix-neuf kilomètres rectilignes au milieu des champs.

Rien à droite
Impressionnant 19 km de ligne droite
Rien à gauche

Nous n'avons pas prévu de matériel de randonnée, ni réservé le passage qui est extrêmement contrôlé et modéré. Normalement il faut s'inscrire à l'avance. Il est aussi possible de tenter sa chance pour une place disponible mais cela suppose d'attendre le créneau opportun. Je pense qu'il faut venir exprès sur l'île pour faire l'ascension dans les meilleures conditions, et si possible avec du matériel pour bivouaquer au sommet, voir le coucher et le lever du soleil.

Fan club
Faial, comme suspendu
Vue sur Faial à l'ouest
Petite zone de mouillage dans l'avant-port de Madalena

3 juin 2023

La journée commence par un pequeno almoço au bar de la place centrale de Madalena.

Ensuite notre journée de visite démarre, comme souvent, par un tour tranquille par la route, en empruntant les traverses selon notre humeur. Nous faisons assez souvent confiance à notre orientation approximative plutôt qu'à Google Map ; il est plaisant de déambuler et de se perdre (un peu) sachant que sur une île, on est toujours près de la route principale. Toute l'île est un enchaînement de somptueux paysages, avec la photogénique omniprésence du Mont Pico. Que sa silhouette se dégage d'un ciel bleu et domine majestueusement tout le panorama ou qu'il soit complètement gainé d'une épaisse couche de nuages, on SAIT qu'il est là et il sert intuitivement de repère d'orientation. Il y a très peu de circulation sur les routes.

(nous sommes partagés sur l'intérêt de cette photo...)

La mini-marina de Lajes do Pico est difficilement praticable. L'entrée est très tortueuse entre les cailloux et la place très réduite. On imagine mal arriver dans ce port à l'improviste. En ce moment, de gros travaux visent à renforcer le brise-lame, comme déjà vu sur Santa Maria et comme entendu raconté sur Graciosa. Il semble que les tempêtes d'hiver mettent les ouvrages à rude épreuve.

Lajes do Pico - chenal
Lajes do Pico - danger
Pourquoi choisir ?

Culturellement, Pico nous fait le coup de la baleine : whale-watching, sculptures de pêches à la baleine, musées sur la pêche à la baleine...

Un bain de fin de journée est toujours apprécié.

Toujours aussi bonne
Coucher de soleil sur Faial
Piscines aménagées sur Pico


4 juin 2023

Aujourd'hui nous avons planifié la visite de la Gruta das Torres. C'est un des plus grands tubes laviques d'Europe. Nous l'avons réservé la veille, car le nombre de visiteurs quotidiens est limité. Sur le chemin, nous prenons un auto-stoppeur. Il s'avère être un authentique explorateur belge, qui se promène par le monde avec une petite figurine en plastique (d'un auteur de BD belge connu) et la met en scène dans les photos de ses voyages, façon Amélie Poulain.

Après une courte video de présentation de la formation géologique, la guide nous invite à nous munir d'un casque, d'une lampe torche et de la suivre dans le tunnel de lave. Il est beaucoup moins aménagé que la grotte de Terceira : aucun éclairage fixe à l'intérieur, aucun escalier au-delà de l'entrée. La guide explique fort bien la manière dont le tunnel s'est formé et nous montre diverses particularités, notamment des stalactites et des stalagmites qui n'en sont pas. Il faut imaginer une rivière de lave très liquide dans un vallon, dont la surface à l'air libre refroidit et durcit progressivement par le dessus, formant une voute solide (d'où le tunnel) pendant que la rivière continue de couler dedans et de se vider vers la mer ; et plus tard le plafond qui "goutte" encore de lave pâteuse. Puis des coulées liquides ultérieures qui viennent déposer une nouvelle couche de pâte feuilletée au fond du tunnel. Fascinant !

Au plus profond de la zone autorisée aux visiteurs, la guide nous propose d'éteindre tous nos lampes et de faire silence, en prenant soin de préciser qu'en cas de trouble, chacun peut rallumer. Tout le monde joue le jeu et ces quelques minutes de noir et de silence absolus sont une expérience intérieure étonnante.

Dans un recoin du tunnel, on nous montre un dépôt de bouteilles de vin. C'est une expérience scientifique sur le vieillissement du vin à température très constante. J'ai bien demandé à participer à l'expérience, mais ma contribution n'a pas été acceptée.

Expérience scientifique en cours
En compagnie de Louis-Philippe Loncke

La suite de notre route consiste à parcourir la crête de l'île, garnie d'un chapelet de lacs d'origine volcanique, eux-mêmes garnis de vaches. Les paysages champêtres s'enchaînent, avec vue sur la mer alternativement côté nord et sud. La vitesse moyenne chute considérablement, principalement à cause de la multitude de photos que nous sommes enclins à prendre. Ces photos iront occuper les tera-octets de disques-mémoire dont nos enfants hériteront et qu'ils seront bien en peine de regarder et a fortiori de trier. D'où le retour de certains aux photos argentiques 😉.

A l'ouest, l'île de Faial
Vue vers São Jorge
Vue vers São Jorge

La tournée s'achève à Madalena où nous restituons le véhicule et reprenons le ferry pour Velas.

Départ de Madalena
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Séjour à Velas et visite de São Jorge, l'île des fajãs

Le port de Velas est très mouvementé en ce début juin. C'est la saison du retour de nombreux voiliers des Caraïbes et ils arrivent majoritairement à Horta sur Faial. La Capitainerie de Horta est débordée et envoie l'excédent de bateaux sur São Jorge, où Jose tente de les recevoir au mieux. Outre le mouillage qui est assez encombré, les bateaux au quai se retrouvent à couple, parfois en troisième position.

Les créneaux météos favorables à la navigation sont propices à quelques changements simultanés de voisins, ceux partant vers la France remplacés par ceux arrivant de l'Ouest, ou ceux qui, comme nous se baladent. Nous nous trouvons à côté de Boomerang, un Fabulo 36 immatriculé à Saint-Malo, tout comme Tusitala. Ils s'en vont terminer leur boucle atlantique pour la rentrée scolaire prochaine.

Plus tard arrivent successivement trois Pogo (un 36, un 30 et un 10.50). L'un d'eux s'appelle Boomerang 2 ! Ce sont justement les anciens propriétaires de Boomerang de la semaine précédente. La discussion s'engage, et il apparaît vite qu'ils connaissent Daniel, l'ancien propriétaire de Tusitala, que nous avons acheté aussi à Saint-Malo. Cet exemple montre comment se tisse la subtile toile d'araignée des connaissances entre équipages voyageurs. Ces liens sont ténus, éphémères et mouvants, mais ce réseau informel est intensément maillé.

Notre voisin Boomerang 2
Départ de Exeo
Mouillage bien rempli en cette saison

8 juin 2023

Bien contents d'avoir pu mettre Tusitala au ponton et y rester, nous entreprenons de visiter maintenant São Jorge. La location auto à Velas coûte 77€ par jour. Cher ! Le tarif sans assurance ni suppression de franchise est à peu près le même qu'à Pico avec ces avantages y inclus.

Au passage, j'ai découvert l'application mobile OsmAnd qui offre de meilleures cartes que Google Map et la possibilité de télécharger localement les cartes sur son téléphone afin de s'orienter lorsqu'il n'y a pas de réseau mobile. Cela nous permet de suivre notre route comme sur une carte routière en évitant le routage pénible de type Google Map, qui ne favorise pas l'impromptu.

L'île est étroite comme une lame, avec un relief de plateau bordé de falaises vertigineuses. De ces falaises ont coulé des laves qui se sont parfois épanchées dans la mer et solidifiées en plate-formes spatulées qu'on appelle des fajãs. Ces fajãs ont progressivement été utilisées par les habitants pour construire et cultiver. Les routes ou les sentiers de randonnées permettent de s'y rendre.

Pas le bon jour pour sortir son bateau de l'eau
Navigation entre São Jorge et Pico
Catamaran connu à Roscoff
La marina et la ville de Velas
Pico, indémodable
Nous
Installations abandonnées à la pointe ouest de São Jorge
Liliane ne veut plus sortir

10 juin 2023

Après une journée de travaux divers, dont la plongée sous la coque pour nettoyer la roue du speedomètre, nous louons à nouveau un véhicule pour une deuxième journée de visite de São Jorge.

"Bouge pas, je reviens de suite"

Nous en profitons pour monter au Pico da Esperança, point culminant de l'île à 1053 mètres. Il y a du vent et des nappes de nuages en déplacement rapide qui nous laissent par moments entrevoir les mer. C'est magnifique et de mon point de vue "plus beau qu'un ciel bleu-bête". Mais un jour clair, on doit pouvoir voir d'ici toutes les autres îles du groupe central (Terceira, Pico, São Jorge, Graciosa, Faial). Faudra revenir...

Sur la route du nord de l'île, où nous apprécions les magnifiques falaises et le piste caillouteuse isolée de tout, nous apercevons Graciosa, une autre île du groupe central. C'est une première pour nous qu'elle ait bien voulu se montrer au milieu de la brume.

Graciosa
Graciosa aussi !
Côte nord, côté ouest

Préparation de notre intermède estival en France

Du 11 au 27 juin 2023

Nous avons depuis longtemps identifié que juillet serait propice à un retour en France, ce qui nous permettrait de rendre visite à nos enfants et petits-enfants, autant qu'à mes parents, dont j'aurai à prendre soin.

La dernière semaine est très occupée à mettre le bateau en conditions de départ, prévenir la Capitainerie, négocier sa surveillance par une personne locale bienveillante ; rentrer tout ce qui peut être stocké à l'intérieur ; rincer, sécher, plier et ranger l'annexe ; tripler l'amarrage ; puis préparer soigneusement le minimum de bagages, en faisant aussi un tri des vêtements excédentaires ; prendre quelques rendez-vous médicaux de contrôle, généraliste, dentiste ; préparer des commandes en ligne de matériels qu'on a du mal à faire expédier dans les îles et qu'il vaut donc mieux récupérer à Paris pour les rapporter en bagages soute...

Et puisqu'il nous reste un peu de temps avant le départ, nous le mettons à profit pour aller illustrer le mole de notre logo peint. Le mur montre que les talents et temps investis dans ces logos sont très divers.

Depuis plusieurs jours un transpalette s'affaire sur le quai. Il dispose des blocs de béton pour isoler une partie du parking. Un jour, j'interroge le Capitaine : c'est pour le show musical de vendredi. Quoi ? mais la scène est tournée vers l'eau du port. Effectivement un bateau à deux mâts autoportés en carbone est amarré devant. Je reconnais la goélette Lady Flow, qu'on avait vue il y a longtemps sur Voiles & Voiliers. Sa propriétaire y a installé un dispositif permettant de hausser un piano à partir de la cabine arrière au travers du pont. L'équipe de Pianocean donne des spectacles dans les ports qui les accueillent et financent un spectacle pour créer de l'animation. Nous avons donc l'occasion d'écouter un spectacle nocturne musical et poétique. Il y a beaucoup de spectateurs de la ville et des environs.

Le Lady Flow


Le lecteur pressé pourra sauter le gros paragraphe suivant. Son entropie est proche de zéro, mais je prends un plaisir cathartique à raconter tout ça.

Ces derniers jours à Velas sont flippants. Nous avons réservé un vol par l'agence en ligne eDreams. Le trajet est réservé pour un bond de São Jorge à Terceira, puis Porto, puis Orly. Apparemment tout s'est bien passé jusqu'au moment où un premier mail nous invite à téléphoner, à cause d'un changement d'horaires de la compagnie aérienne. On sort alors du territoire "web-processus-automatique-standard" pour entrer dans la zone du traitement des exceptions. On sent venir la galère. Le numéro indiqué nous raccroche immédiatement et systématiquement au nez. En fouillant le site Facebook de eDreams, je tente le chatbot. Il ne sait traiter (évidemment) que le cas standard. Mais j'y trouve un autre numéro, planqué dans une réponse du bot. Ce nouveau serveur vocal tente par de nombreux menus de nous dissuader de demander un opérateur, y compris en nous parlant un peu portugais. Au bout de plusieurs dizaines de minutes, une opératrice prend l'appel et confirme qu'il faut changer nos horaires. Elle promet un nouveau plan de vol pour le lendemain. Le lendemain et le jour d'après, il n'y a aucun mail ("évidemment" pense-t-on très fort). Nouvel appel, nouveau combat avec le serveur vocal (je connais maintenant ses faiblesses, et je sais quelles réponses permettent de couper au plus court et d'obtenir un humain). Nouvel interlocuteur, qui nous confirme aussi le problème et nous propose très vite un plan de vol, qu'il transmet par mail séance tenante. Ah oui, mais on arrive à Lisbonne et on doit repartir de Porto quelques heures plus tard, ça ne va pas marcher. Il demande à ce qu'on rappelle le sur-lendemain, parce que la back-office est fermé le week-end. Nouvel appel le lundi matin à l'ouverture. Une nouvelle interlocutrice, dotée d'un accent épouvantable (en Anglais), nous informe alors que son collègue n'aurait jamais dû nous envoyer le précédent mail, que effectivement nos billets ne sont pas bons. Elle nous met en attente pour consulter le back-office. Finalement, elle nous annonce qu'elle ne peut rien pour nous. "Comment ça rien ? - Oui, le mieux est d'aller au comptoir de la compagnie SATA." Heureusement, il y a un bureau SATA dans Velas. Cela fait plusieurs jours que ça nous démangeait d'aller les voir. Nous y allons et expliquons. Le personnel parle un excellent Anglais, ce qui rend les choses plus faciles. Très vite, l'hôtesse ouvre des yeux ronds et commence à parler en Portugais à son chef en lui montrant son écran. Lui aussi il a l'air bien embêté. Ça sent le "compliqué". Sous la dictée du chef, elle tape de longues commandes (ce sont encore des commandes script sur le système AMADEUS, qui ressemblent à "SO TP C LISMAD" comme dans cet exemple). Nous sommes derrière les écrans, mais nous comprenons bien que leurs tentatives échouent. Ça escalade : l'hôtesse appelle au téléphone, rediscute avec son chef. Puis elle nous regarde avec l'air d'un officier qui vient annoncer à la famille le décès d'un soldat sur le front. "J'ai trouvé une solution (pause). - Oui ? - Alors voilà (pause). - Oui ? - Départ à l'heure prévue mardi matin ; à Terceira, votre vol pour Porto (pause) décolle à 21h40". Intérieurement, c'est presque un soulagement ; sept heures d'attente, ce n'est pas un drame, on va déjeuner, lire... Mais, j'attends la suite ; je me souviens que c'était une stratégie de communication de chef de projet de commencer par annoncer un retard des travaux de neuf mois, pour finir par le réduire à - seulement - six mois. La dame continue : "vous arrivez à Porto à minuit-cinq (gloups, aéroport fermé ?) et vous repartez, (pause) à six heures cinq." Je sens Liliane tressaillir à côté de moi. Nous tentons d'argumenter, de défendre que le tout premier plan de vol était bien. Rien à faire, c'est la seule solution. Finalement nous acceptons. Cela fera vingt-quatre heures de voyage. "Okay, let's go this way, obrigado !". Nous rentrons semi-contents au bateau avec nos numéros de réservations et un moment plus tard, nous entreprenons de nous enregistrer en ligne avec nos bagages. Il semble que nous ne sommes pas assis côte-à-côte sur le vol Porto-Paris. Puisque le système propose de changer de place, je coche la place à coté de Liliane, qui est affichée libre. Et hop ! le système décoche ma place initiale et me demande illico 65 euros pour changer de place. Je clique sur "Annuler". Il annule, mais je n'ai plus aucune place et pour en retrouver une, le système réclame toujours le paiement de ses 65 euros. Restons calmes (pas vraiment). Je retourne à l'agence SATA. Notre interlocutrice me reconnaît. Elle ouvre son système et voit bien le problème. Ah oui, mais c'est sur le vol TAP, c'est un "sharing partner", je ne peux rien pour vous, je n'ai pas l'accès à l'enregistrement, il faudra voir directement au comptoir TAP à Terceira, ça tombe bien, vous avez trois heures d'attente."

27 juin 2023

Jour du départ de notre long retour à Paris en aéroplane. Nous arrivons très fatigués le lendemain, mais nous récupèrerons vite.

Dame, que Paris est beau ! Et les femmes ... [censuré par Liliane]. Et le marché alléchant avec ses fruits juteux, son Comté de 24 mois et son Camembert fermier. Et le pain au levain croustillant et goûteux. Et les cafés nombreux et joyeux. Et les salles de cinémas pléthoriques. Plaisir que de retrouver le son et l'air poisseux du métro. Bonheur de retrouver nos familles.

Retour aux Açores prévu début août pour de nouvelles navigations.

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Intermède parisien, tourangeau, porniçais et niçois

L'enthousiasme des retrouvailles de nos familles et nos amis fait chaud au cœur. C'est une des difficultés du voyage que de gérer cet éloignement et d'en accepter les frustrations.

A l'aéroport de Nice, un retard important nous vaut l'obtention d'un bon d'échange pour aller acheter une collation. Arrivé à la caisse de la petite brasserie, je présente mon bon et je dis "– J'ai un voucher" que je prononce vuʃe comme il se doit en Français. Le caissier se moque de ma prononciation avec son pote serveur et reprend "– Oui un vo-oucheure" en exagérant un accent supposément américain. J'explique donc à ce freluquet que, premièrement voucher est un mot d'origine française, ce dont je suis persuadé qu'il n'a cure, mais qu'il aura au moins entendu une fois dans sa vie et que deuxièmement en Anglais cela se prononce vaʊtʃɝ et pas vouʃɝr. Peut-être en restera-t-il quelque chose.

Mon père m'offre un stage campagnard "haie piquante, élagage de prunier, mise en sac et débarras de déchets verts à la déchèterie", qui achève de me convaincre que j'ai bien fait de choisir l'option "mer". Je sais que mon ami René soigne avec bonheur ses oliviers, mais pour moi, s'il existe une bonne raison de naviguer à la retraite, ce serait que cela nous évite toute tentation de jardinage. En osant paraphraser le célèbre dicton britannique, je dirais : "A sail a day takes the garden away".

Le court séjour à domicile a été l'occasion de passer quelques commandes par Internet, essentiellement pour le bateau. Entre autres, la petite enceinte Bose était tombée en panne. Elle permet de nous alerter en Bluetooth dans le cockpit quand une alarme issue de la cartographie sonne à la table à carte. Remboursée rubis sur l'ongle par Amazon, nous en avons commandé une autre, identique, ce qui ne cesse d'interroger sur le cycle de vie fou de ces produits. D'autres articles, tels que émerillon d'ancre, nous sont parvenus à l'extrême limite de notre séjour à Paris.

Quelques tracas administratifs nous occupent aussi une bonne partie du temps. Il est curieux de constater que les ennuis arrivent toujours sous forme de courrier papier. C'est précisément ceux que la pourtant efficace Administration de recouvrement des amendes aurait intérêt à traiter par voie électronique. Même le fisc a compris. Mais non ! on a beau cliquer partout pour recevoir tout sous forme électronique et désactiver partout le courrier papier, les poursuites liées aux amendes routières nous chassent dans la boîte à lettres. Heureusement, notre amie Sylvie, vigile de notre boîte à lettres m'a alerté et j'ai pu procéder au paiement. Mais j'ai quand même tenté de demander l'annulation de la majoration. Par imprimé papier, oui, posté des Canaries, oui, je ne doute de rien. Il se trouve que le document n'est pas arrivé dans les temps ; qu'il a donné lieu à la poursuite des poursuites ; que la grenouille s'est enflée sous la forme d'un huissier qui menace rien moins que la saisie des tous mes biens. Bon, il y a un moment où il vaut mieux payer que de discuter, avec le sentiment d'injustice quand même.

Lors de notre passage à Paris, j'ai tourné et retourné l'idée de rapporter aux Açores le code D sur emmagasineur que j'avais stocké à la cave l'an dernier, en remplacement du spi perdu. Le code D est une voile en tissu léger, moins creuse qu'un spinaker, mais plus grande et un peu plus creuse qu'un génois. Elle s'installe et se met à poste en un tournemain en la déroulant, et se rentre aussi facilement en l'enroulant. Je l'ai remonté dans le salon, nettoyé, compacté, ficelé, pesé et mesuré. Rien à faire, il ne rentre pas dans le gabarit de transport des bagages en soute de SATA. De plus, il y a trois avions pour retourner à São Jorge, avec un risque élevé de perte des bagages. Finalement nous avons renoncé.

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São Jorge - le retour du jeudi

4 août 2023

C'est autant une difficulté intérieure de quitter la France et nos relations que dans l'autre sens lorsqu'il faut s'arracher à notre bateau. Et dans les deux sens, c'est aussi un moment agréable que d'arriver. Il faut dire que São Jorge sait y faire pour séduire.

A l'arrivée à São Jorge, nous sommes derniers et penauds face au tapis vide de bagages. La procédure a l'air très rodée dans l'aéroport, les formulaires nous sont fournis en un clin d'oeil. Le personnel a l'air de savoir exactement où sont nos bagages, car ils nous assurent qu'ils seront livrés dès le lendemain. Nous sommes quand même bien contents que notre code D n'en fasse pas partie. Nous voilà détenteurs d'un droit de dépenser cinquante euros chacun pour des affaires d'urgence (il ne s'agit pas d'un voucher 😉). Nous partons donc flamber en ville l'équivalent d'une nouvelle brosse à dent chacun, un tee-shirt et une robe (non, la répartition budgétaire n'a pas été équigenrée).

Finalement, le lendemain un taxi apporte nos bagages à la marina, sales mais intacts.

Pour faire rembourser les cent euros, ce n'est pas si simple : il faut rapporter en personne à l'aéroport les tickets justificatifs, le formulaire renseigné et le RIB imprimé sur du papier ; le temps de chercher une boutique qui imprime ; puis sans voiture, nous explorons avec l'aide d'Internet l'offre de bus intercités. Pas si simple : l'arrêt de bus est difficile à trouver et ne comporte aucune indication de ligne de bus ; ceux qui prennent le bus savent bien où il passe ; l'Office du Tourisme est notre ami. Une fois trouvé, je le photographie, cet arrêt de bus à côté du Charlie bar et je le documente sur Google Map (412 vues au jour de cette publication). Ces démarches prennent bien deux jours. A l'aéroport, bien reçus par le personnel SATA, il nous assure que le remboursement suivra. [je vais vous le divulgâcher : fin septembre 2023, le remboursement est reçu !].

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Encore quelques menus travaux...

Dès l'approche des pontons, de loin, on voit que l'antenne en tête de mât a une allure bizarre. Effectivement, de plus près je la vois inclinée et ballottante. Je dois donc monter au mât.

Pico teint
F... antenne collée au Sika
Au loin, Faial, notre prochaine destination

Une fois arrivé en haut avec mon dispositif d'ascension, je constate qu'un des supports est collé avec du Sika, les quatre rivets ont dû casser et l'employé qui est monté au mât n'a pas eu envie de remonter avec une riveteuse. Je trouve ça très cavalier, mais je recule aussi devant l'idée de monter faire ce travail assis dans le harnais. C'est vite épuisant. J'intervertis donc l'antenne VHF avec celle de la radio FM, donc le support est bien fixé, et heureusement du même diamètre. Je nettoie et recolle au Sika le support qui est maintenant devenu celui de l'antenne FM. Nous avons prévu de mettre le bateau en chantier bientôt à Madère et la réparation tiendra bien jusque là-bas. Mais je fulmine un peu qu'un chantier professionnel (je ne sais pas de quand ça date) ait pu planquer l'absence de rivets sous de la colle...

J'enchaîne les menus travaux avec l'installation de l'émerillon tout neuf sur la chaîne principale et déplacer celui acheté à Pico sur le mouillage secondaire. Je regarde bien le mode d'emploi et je suis heureux de constater que le constructeur confirme ce que j'avais déjà entendu et admis rationnellement : l'émerillon est fait pour encaisser les efforts dans le sens longitudinal. Or quand le vent et le courant font tourner un bateau au mouillage, avant que l'ancre ne s'aligne dans la nouvelle direction, il y a bien un moment où la chaîne titre "de travers". Et d'ailleurs l'ancre peut très bien rester coincée dans la position initiale et ne jamais vouloir s'aligner. Alors si c'est l'émerillon qui encaisse cette traction latéralement sur ses deux pattes, elles pourraient casser. Contrairement à ce qu'on observe sur des dizaines de bateaux en passant sur les pontons, il faut donc bien ajouter une grosse manille Omega sur le jas de l'ancre, ce qui ajoute un degré de liberté et permet une orientation permanente de l'émerillon dans l'axe de la chaîne. Je suis assez content de cette adéquation entre une sorte d'évidence mécanique et le mode d'emploi du fabricant. D'autant plus que Liliane et moi envisageons de rester au mouillage dans notre prochaine escale à Horta. J'installe tout ça sans oublier la colle frein-filet. Le tube de Loctite bleue est finie, je cours donc en acheter chez le quincailler local. Il n'a que de la verte, la "medium", qui ne se décolle pas à la main. Il faudra la chaufferette pour défaire les vis, mais , je préfère galérer au prochain démontage que de risquer de perdre l'ancre au mouillage. Au fil du temps on s'aperçoit que les vis ont toutes tendance à se dévisser, même sur un voilier, probablement à cause des heures de vibration du moteur.


Bientôt le départ
Aux pieds de la falaise accueillante et sûre

Pendant notre absence, Metis, un bateau que nous avions connu brièvement à La Palma s'est glissé dans la marina. Cela nous procure naturellement quelques agréables soirées-apéro d'échanges avec Olivier & Julia, encore des gens "extra-ordinaires" au sens tout à fait littéral. A l'occasion d'une visite sous l'eau, Olivier en profite gentiment pour venir inspecter notre coque. Il confirme ce que je savais déjà, le joint "bavette" du sail drive est assez décollé. A ajouter à la liste des futurs travaux. Et c'est à leur tour de partir vers d'autres horizons ; nous sommes certains que nous allons nous revoir.

Départ de Olivier & Julia sur Metis
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Courte traversée vers Faial

11 août 2023

Après les courses et préparations habituelles du bateau pour une navigation, nous payons les deux mois et demi passés à Velas. Une somme quand même, mais moindre qu'une location de vacances. Le matin du départ, nous allons saluer et remercier chaleureusement Jose, dont la présence et l'assistance bienveillante et permanente sur les pontons dépasse largement les services attendus d'une marina. C'est émouvant de dire au revoir à ce brave type. Il nous souhaite "bon vent" et je le crois sincère.

En cette saison aux Açores, nous sommes sous l'anticyclone éponyme. Exactement au milieu, où le vent est quasiment nul depuis plusieurs jours. Les prévisions laissent penser qu'un épisode de vent d'ouest arrivera la semaine prochaine et nous voudrions en bénéficier pour le suite du voyage. On aurait pu attendre le vent à Velas et partir directement vers Madère ; mais venir jusqu'ici, dans les îles centrales de l'archipel des Açores, sans faire escale à Horta sur l'île de Faial, ce n'est décidément pas possible. A juste vingt-et-un milles nautiques de Velas, Horta est l'escale un peu mythique de tous les navigateurs ; étape de repos souvent bienvenue de la plupart des transats de retour des Caraïbes. Nous traversons au moteur vers Faial, en partie pour la satisfaction un peu dérisoire de cocher "Horta, fait".

Colonie de puffins cendrés au repos
Bye bye Velas !

Rien sur l'eau, à part les puffins qui se reposent de leur nuit bruyante et agitée. Nous ne comprenons pas comment les multiples organismes "whale watching everyday", qui embarquent de pleins pneumatiques de touristes arrivent à trouver les baleines. Certes, ils sont assistés de guetteurs munis de grosses jumelles, en haut des falaises. Mais quand même, pourquoi les baleines ne sont-elles pas sur notre route ?

Approche de Horta
Dans le port de Horta

Nous avons décidé de mouiller dans l'avant-port de Horta, ayant entendu depuis des semaines que la marina était pleine et refusait les bateaux. Juste pendant la manœuvre d'ancre, nous sommes croisés par deux embarcations remplies de gens en maillot de bain. Elles les débarquent à la cale de l'autre côté du bassin du port, tous en rang. Notre chance de tomber pile au milieu d'une compétition de natation. Et à peine notre chaîne dévidée, une corne donne le signal départ. Une foule impressionnante de nageurs empressés, heureusement d'intention pacifique, fonce vers nous, se sépare en deux troupeaux passant devant ou derrière notre bateau. Les tout premiers sont de vrais athlètes et viennent pour gagner la compétition ; nous encourageons les derniers, ces amateurs dilettantes qui donnent leur dernier souffle dans l'épreuve ; le tout dernier candidat nage même avec une bouée, sous la surveillance bienveillante du semi-rigide de sécurité.

Nous avions appris que notre arrivée coïncide avec la Semana do Mar, festive et joyeuse. Nous sommes dans les derniers jours des épreuves.

Après avoir gonflé l'annexe, nous laissons Tusitala à l'ancre sur fond de Pico, et c'est avec une certaine émotion que nous nous dirigeons vers les pontons de la célèbre cité.

Mouillage Horta

Nous tentons bien d'aller boire un verre chez Peter, dès le soir de notre arrivée. Ce bar, tenu par le petit-fils du fondateur, est aussi réputé que l'escale. Tout navigateur se fait un devoir d'y venir consommer. En fait, il est rempli de touristes plus que de navigateurs. Notre première tentative se solde par un renoncement. Un peu déçus, nous consommons à l'Oceanic Café, plein de charme cosy.

Oceanic cafe

12 août 2023

L'accueil administratif est très formel : document de sortie de l'escale précédente, pièces d'identité de l'équipage et du navire, d'abord au bureau de la marina, puis à la police maritime et aux douanes, heureusement tous situés dans le même bâtiment.

Le montant de la nuitée au ponton est 12,30€ hors taxes, comme à Velas. Auquel s'ajoutent les taxes, en particulier l'IVA à 16% (Imposto sobre o Valor Acrescentado), où chacun aura reconnu la TVA, géniale invention française dont le mécanisme de parfaite horlogerie a garanti un succès et un déploiement planétaires. Après trois minutes de discussion, le responsable de la marina nous propose de venir au ponton, il a de la place. Mais nous décidons de rester au mouillage, ce qui fait tomber le prix de moitié. Comme il y a du ressac dans la baie, nous sommes finalement bien mieux à nous dandiner au bout de la chaîne que d'entendre constamment les pare-battages raguer sur le quai et couiner les amarres. De plus, les douches chaudes sont payantes unitairement (1,63€ TTC), ce qui ne laisse pas de me réjouir chaque fois que je prends une douche froide dans le cockpit à la nuit tombée ; j'ai l'impression de gagner de l'argent. J'aime l'écologie de récompense.

Il a plu ce matin ; nous avons perfectionné notre système de seau et bassine pour collecter l'eau de pluie, qui nous sert pour divers rinçages dans le cockpit, en particuliers nos pieds quand nous revenons d'un tour en annexe, dont le fond fuit un peu et où nous pataugeons dans l'eau salée. Ça marche un peu, mais il faut reconnaître que ce n'est pas avec la quantité récoltée qu'on pourrait survivre...

Horta, escale mythique et même un peu mystique puisque certains navigateurs superstitieux croient qu'y passer sans laisser son logo sur un mur porterait malheur. Il y a donc des centaines de peintures, dont certaines très ornées et soignées. En arpentant les quais, nous y retrouvons quelques écussons de bateaux déjà croisés, Akol Tov, Le Majouli, Mahina et au passage, le légendaire Pen Duick II.

Les célèbres quais de Horta
Mahina : émouvant de retrouver sa trace
Mythique, on vous dit !

Aujourd'hui les épreuves de la Semana do Mar sont les régates de pirogues baleinières à voile aurique traditionnelles, d'une folle élégance. Puis les mêmes équipages prennent le départ de courses d'avirons dans les mêmes embarcations baleinières démâtées.

De retour à l'annexe, nous remplissons des bidons d'eau pour compléter le réservoir du bateau, car nous avons l'intention de repartir directement du mouillage. Cela rappelle à Liliane l'époque de son enfance où elle devait chercher l'eau à la source de Cressay en région parisienne.

Après une seconde vaine tentative chez Peter, nous nous attablons au U-Bar, qui jouxte un magasin U-Ship. Comme je vais moi-même chercher les consommations au comptoir, la conversation s'engage avec le barman, qui se trouve être le co-fondateur de ce lieu, originaire de Lorient, où il a pratiqué la préparation de bateaux de course au large ; il connaît bien le milieu. Attablés à la petite terrasse face au port et au magnifique paysage de mer, nous sirotons notre Pico-bière (facile...).

Cette marina a tenu à conserver des employés pour gérer l'accès aux douches, plutôt que d'installer un digicode ou un système de badges. C'est louable, cela crée des emplois. Mais les horaires des gardiens sont compliqués, avec trois coupures quotidiennes et un changement selon la période de l'année, précisément autour de la mi-août. Avec une touchante naïveté, nous venons nous doucher à l'heure théorique d'ouverture ! C'est seulement trente minutes plus tard que le gardien, souriant et empressé, se pointe pour nous permettre accéder aux locaux. Dans les îles, la notion d'heure a un côté impressionniste que nous avions un peu oubliée.

Pico ou bateau, c'est beau !

13 août 2023

Arrivés tôt au Peter Café Sport, nous pouvons enfin nous attabler en ce lieu culte. Les murs sont ornés de nombreux pavillons des bateaux connus et moins connus dont les équipages sont venus boire un verre à l'arrivée de leur traversée. Les serveurs sont d'une efficacité redoutable. Pas question de laisser attendre un client, il en va de la rotation des tables. Néanmoins, nous prenons le temps de savourer l'ambiance.

Les navigateurs savent tout ce qu'on lui doit

Ensuite, nous amorçons la balade à pieds sur la crête de Monte da Guia, par le chemin qui surplombe la double caldeira. Du sommet, la vue vers l'ouest donne sur... l'océan. Ça fait une sensation tripale de se dire que dans cette direction, l'océan est vide pendant plus de trois-mille-trois-cents kilomètres (jusqu'aux Bermudes). Comme un grand vide sous les pieds, mais horizontal. Enfin, vous voyez ce que je veux dire. Il y a un sommet couvert d'antennes, essentiellement de téléphonie mobile, de services radio VHF et probablement de service public de sécurité. Je sais que c'est discutable, mais je trouve ça beau une antenne, pleine de coûteuse ingénierie, silencieuse et serviable.

Puis la descente côté plage nous permet une baignade à la plage de Porto Pim. C'est la deuxième baignade pour Liliane. Comme partout dans ces régions, une douche est disponible sur chaque plage. Puis retour pour un pot chez Peter avant de rentrer au bateau, satisfaits de notre journée de balade.


14 août 2023

C'est jour de courses pour la préparation de notre prochaine traversée. La ville comporte beaucoup d'églises, dont les dépendances de certaines abritent apparemment des administrations. On comprend les autorités ecclésiastiques, soucieuses que la distance à parcourir ne fût jamais un frein à l'assiduité au culte. Pour les temples du XXème siècle, ceux de la consommation, la réflexion a sans doute supposé que tous les fidèles utilisent une automobile. C'est parfois le cas des navigateurs, qui embarquent divers moyens électriques, trottinettes ou vélos, mais pas nous. Et pas de voiture cette fois-ci. Alors sous la chaleur torride, nous partons à pied avec nos sacs à provisions.

Sur les trois bouteilles de Campingaz modèle 907 du bord, deux sont déjà vides et la dernière est en cours d'utilisation. Nous n'avons par pu acheter de recharge jusqu'à aujourd'hui, ce modèle ne se fait pas aux Açores. Sauf ici à Horta, où sans doute le patron du U-ship local a compris le créneau marketing représenté par les nombreux bateaux français de passage. Nous en faisons remplir un exemplaire le jour même au U-ship. Remplir, c'est à dire qu'on dépose la bouteille vide le matin avec le nom du bateau écrit au feutre sur la bouteille et qu'il va faire transvaser du gaz à la station service à partir d'un réservoir plus grand de butane. Nous la récupérons pleine en fin d'après-midi. Tout ça à base d'allers-retours en annexe entre le bateau et le quai du port. Opportune coïncidence, la bouteille en service se termine le soir même pendant la cuisson ! nous sommes passés à deux doigts de la vraie panne, éventuellement en mer.

15 août 2023

Le créneau météo se confirme. C'est notre dernier jour à Horta. Les prévisions annoncent du vent d'ouest, pas très fort, mais portant. Il y aura bien une grosse journée de moteur pour traverser le cœur de l'anticyclone, où règne une totale pétole (j'aime la sonorité des ces deux mots joints).

Nous passons à la Capitainerie pour les formalités de sortie des Açores et payer le mouillage, surpris que tous les bureaux de la marina soient ouverts un 15 août, ce que nous avons vérifié hier. Une des questions rituelles des agents de la Police Maritime est : "Est-ce que l'équipage est le même ?". Bien sûr cette escale est fréquemment mise à profit par les chefs de bord pour changer les équipages, avec des transitions faciles en avion vers le continent Européen ou les Amériques. Mais lorsqu'elle s'adresse au couple que nous sommes, j'ai toujours l'impression que l'agent nous demande si nous prévoyons bien de continuer le périple "ensemble". La réponse est "oui" (ouf !).

Un peu à l'arrache le dernier jour, nous sacrifions au rituel quasi-religieux de peindre le logo du navire sur le mole ou les quais du port. Cette accumulation de peintures fait maintenant l'objet d'études iconographiques sérieuses, tant elle signe l'appartenance à un groupe (les navigateurs) et un mythe (arriver à Horta par la mer). Le plus difficile est de trouver un espace raisonnablement libre de peinture antérieure. Il n'y en a tout simplement pas, si on exclut évidemment les murs blancs du local à poubelles ; non que l'espace des poubelles soit frappé d'indignité, mais plutôt parce qu'il sera repeint dès la fin de saison. Comme les autres navigateurs, nous avons à cœur de laisser une empreinte un peu durable, contrairement à celle en carbone qu'il nous est vivement conseillé de décroître. A défaut d'espace vierge, nous devrons comme les autres choisir de recouvrir une vieille peinture suffisamment dégradée pour qu'il soit acceptable de la faire disparaître. Cet effet de palimpseste fait aussi partie du phénomène sociologique. Après ce "travail", nous nous offrons un nouveau pot chez Peter, où il est possible (parfois) d'avoir du jus d'orange pressé. Autant le noter, avant qu'un de nos abonnés nous le fasse remarquer, nous avons aimé et sommes passés plusieurs fois dans ce lieu, où nous avons apprécié la cuisine autant que le bar.

Peinture du fond blanc
En célèbre compagnie (Banik)

Pendant que le fond blanc sèche, nous partons en balade sur la crête de Monte Queimado, en pleine chaleur de midi pour bien estimer la teneur de ce nom. Le sentier nous offre de magnifiques vues sur la marina d'un côté, et la plage de l'autre. Comme tous les navigateurs que nous connaissons, nous n'avons de cesse de revenir à la vue de notre bateau comme un chien à sa gamelle et de le photographier sous tous les angles. Cela apporte aussi un sentiment de réassurance sur le mouillage, la tenue, les voisins, le rayon d'évitage, la houle...

Oui, bonne réponse. Le Pico !

La descente se fait de l'autre côté de la colline et nous profitons d'une baignade à la plage de Porto Pim. C'est la troisième baignade pour Liliane, qui finit par convenir qu'elle est bien agréable.

Au bout de la plage se trouve précisément un traiteur qui propose des boissons, des sandwiches et des quiches. Tenu par de jeunes entreprenants, il fait le plein quotidiennement. Et leurs quiches au thon, au poulet ou aux légumes sont excellentes.

Nous achevons in extremis le logo peint. Liliane improvise un pinceau à l'aide d'une brindille, le pinceau fin étant resté à bord. Cela lui rappelle le bon temps du système D à l'Éducation Nationale. Il nous faut une patience toute bouddhique pour conserver notre calme lorsqu'à plusieurs reprises un enfant veut venir patouiller nos peintures avec son chien sous le regard admirateur de ses parents. Il n'est pas gâté le pauvre : sa mère ne trouve rien de mieux que de lui montrer comment (il ne faut pas) mettre ses doigts sur la peinture fraîche.

Le résultat de notre quatrième fresque murale nous plaît bien.

Outil improvisé

Une dernière bière chez Peter dans la lumière déclinante et nous terminons la journée par un chargement additionnel de jerricans d'eau. La provision est très largement dimensionnée pour que nous n'ayons aucune retenue à prendre des douches en mer si l'envie nous prend.

La soirée est calme. Nous nous sentons prêts et demain se dessine un départ tranquille : pas de marée, pas de renverse de courant. Nous devons juste prendre le vent lorsqu'il va se lever afin de ne pas "gaspiller" le portant.


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Publié le 28 octobre 2023

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Traversée de Horta à Madère

16 août 2023 (J1)

Mercredi, c'est le jour du départ. Les simulations nous indiquent cinq jours de navigation, dont un peu plus de vingt-quatre heures de moteur pour traverser la zone de calmes plats de l'anticyclone des Açores qui, en cette saison, trône précisément entre les Açores et Madère. Il faut bien passer au travers. Nous sommes tranquilles, nous avons pour plus de soixante heures de moteur en gasoil (soit le réservoir principal de 130 litres, plus trois bidons de vingt litres, moins les heures déjà faites depuis Velas à raison de 2,8 litres à l'heure à 1800 tour/minute).

Le vent medium semble au rendez-vous. Après les préparatifs de dernière minute, notamment ceux relatifs à la sécurité, Liliane remonte l'ancre au guindeau. Soulagement, l'ancre sort sans difficulté. Je craignais que le fond du port soit encombré de vieilles chaînes oubliées et de diverses obstructions qui auraient pu la bloquer, comme cette possibilité est évoquée dans le guide. Lors de notre arrivée, je n'avais pas voulu mettre l'orin, car la manœuvre est déjà assez compliquée avec tous les autres bateaux proches. Si elle s'était bloquée, j'aurais pu plonger la décoincer assez facilement dans six mètres d'eau, mais la perspective de perdre plusieurs heures ne m'aurait pas enchanté. Jeu gagnant donc. En voyant émerger l'ancre pleine de sable compact, Liliane énonce "elle n'était pas près de déraper".

Nous sommes aussi content que le défaut constaté il y a quelques jours, ne gêne pas le fonctionnement. Liliane m'avait indiqué de la limaille de métal sur le pont autour du guindeau lorsque nous avions descendu l'ancre. C'est le doigt du cliquet anti-retour qui était revenu en position fermée pendant la remontée de l'ancre et a donc "gratté" les dents de la couronne du barbotin. Pourtant, je l'avais graissé à Roscoff, ce doigt. Sa vis de fixation était tordue, bon signe, elle a fait fusible. Du travail d'entretien en perspective. Finalement à quoi sert ce doigt, puisque nous reprenons systématiquement les efforts de la chaîne par une amarre au mouillage ?

La montée de la grand-voile se fait facilement dans l'avant-port et nous nous éloignons du brise-lame à la voile dans la petite brise portante. C'est toujours un petit déchirement de quitter un endroit qui nous tenait sous son charme, mais être à nouveau en mer est une douce excitation de l'aventure des jours à venir.

La nonchalance prend fin quand je me rends compte qu'il va falloir bien serrer le vent pour passer la pointe ouest extrême de Pico. Le vent du sud-ouest se sépare en deux flux lorsqu'il arrive sur l'île et celui du nord devient de plus en plus facial pour nous. On s'applique et c'est de justesse qu'on passe à quelques encablures de la Ponto do Calhau sans avoir besoin de pousser au moteur, tout à l'ouest de Pico. Ensuite, la côte s'infléchit vers l'est, et l'océan ouvert est devant nous. Ce n'est pas gagné pour autant, parce que le vent redevient portant, mais beaucoup plus faible que le vent prévu par la météo. C'est un phénomène courant semble-t-il que même au vent des îles montagneuses, le relief "vole" le vent. Les collines font remonter les flux d'air et à leur base près de la côte, il n'y a plus un souffle. Il nous faut gagner au moteur quelques milles au large pour retrouver le vent prévu et le bateau s'anime alors.

La mer, enfin !
Serrer le vent
On passe la Ponto do Calhau

C'est dans cette phase qu'un troupeau de dauphins vient jouer autour du bateau.

Une longue journée à courir toute la côte sud de Pico au grand largue.

Dans le jour déclinant, nous apercevons vers l'arrière au loin des sauts de baleines joueuses. Comme dans les documentaires animaliers, on les voit sortir de l'eau et on devine de grands splashes. Après le stress des orques entretenu par les réseaux sociaux, on est finalement assez content de rester à bonne distance, même si on sait que ce sont des espèces distinctes. Bon, nous avons aussi en mémoire l'histoire du voilier Zamour, qui a failli couler en 2021 après l'attaque (oui, c'est le mot !) de paisibles globicéphales.

Au soir Pico s'éloigne dans le sillage.

Un dernier Pico pour la route

Dans la nuit noire de la lune nouvelle, Tusitala trace son sillage de six nœuds entre le plancton luminescent et la Voie Lactée. Les deux sont impossibles à photographier, il faudra nous croire sur parole.

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17 août 2023 (J2)

Après un nuit sereine, dans la matinée nous sommes à l'approche de São Miguel, que nous passerons d'un peu trop loin pour l'apercevoir. Même entre les îles majeures de ce groupe des Açores, pourtant relativement proches l'une de l'autre puisqu'on les qualifie d'archipel, la mer est immensément vide. Le constat de cette viduité m'évoque à chaque fois une autre immensité, celle du vide de l'espace interstellaire et encore plus intergalactique, dont même le ressassement intérieur de ces distances permet très difficilement de les appréhender intuitivement.

Le bateau avance bien au portant toute la journée, avec le vent conforme aux prévisions aux alentours de 12 à 15 nœuds. Sauf pendant deux longues heures dans la matinée, où il faiblit sérieusement. Comme la direction reste la même, je me dis que ça doit être momentané. Heureusement, le vent revient ensuite et ça repart à la bonne vitesse. Peu de manœuvres. En fin d'après-midi, le vent forcit, avec des rafales ; nous passons sous trinquette, ce qui sera de toutes façons plus confortable pour la nuit.

En soirée, nous nous trouvons dans le nord de Santa Maria, qu'on ne voit pas. Plus exactement nos yeux ne la perçoivent pas en lumière visible, mais nos téléphones affirment sa présence sous forme d'une modeste barre de signal. L'occasion de charger les derniers fichiers de vent, refaire un simulation Weather 4D et envoyer un dernier message à nos correspondants à terre, Philippe et Yann, avant la disparition du signal. A ce moment, notre course est presque conforme aux prévisions et je commets l'imprudence de leur confirmer la date d'arrivée pour dans trois jours. En effet, pour cette traversée relativement courte, j'ai choisi de ne pas réactiver le forfait Iridium, tout simplement pour économiser deux cents euros (quand même...). La nuit tombe et nous apercevons un phare ainsi que les faibles lueurs de la côte de Santa Maria avant qu'elle s'éloigne dans le sillage.

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18 août 2023 (J3)

La nuit est encore très noire, la Voie Lactée peinte au rouleau. Le vent est encore monté, le front de la dépression est en train de passer. Vers deux heures, je prends un deuxième ris. La présence du bimini rend la manœuvre pénible. D'abord on voit mal l'effet de ce qu'on fait aux winches, il faut passer la tête dehors pour vérifier comment ça coulisse en bout de bôme ; et puis le ris fait remonter la bôme (normal), alors la balancine devient molle et en profite pour aller faire un tour sur l'avant de la deuxième barre de flèche et y rester coincée, impossible de la convaincre de revenir ; alors je la défais simplement du bout de la bôme et je l'arrime au balcon arrière, content d'avoir mateloté une manille textile. Lorsqu'il fera jour, j'irai la sortir de la barre de flèche. Potentiellement c'est grave et c'est la deuxième fois que ça arrive. Si on empannait violemment avec la balancine coincée derrière la barre de flèche, ça pourrait la faire plier et tomber le mât. Je décide que d'enlever la balancine devra faire partie de la manœuvre de départ.

Les premières lueurs du jour viennent éteindre Orion à bâbord. Le vent est un peu retombé.

En fin de matinée, en moins d'un quart d'heure, le vent bascule au nord. Pas une bascule de noroît comme dans le cours des Glénans, non, plein nord. Nous empannons dans un vent mollissant.

Les batteries sont à 50%. Nous mettons l'hydrogénérateur à l'eau ; son ronronnement nous est maintenant familier.

Puis, la zone de calme arrive. C'est elle qui nous tombe dessus, plus que nous qui y entrons. La vitesse s'effondre. Nous mettons au moteur.

Les coussins ressortent dans le cockpit et je me pose beaucoup de questions sur la position de la bulle anticyclonique, qu'on était censé toucher plus tard. La situation isobarique aurait-elle tant changé que ça ? Faute de liaison Iridium, je n'aurai pas la réponse.

 Frise

En fin de journée, le vent revient, un petit dix nœuds ; nous ressortons toute la voilure disponible, ce qui nous permet de déguster les tortellini-ricotta-épinard tranquillement, dans le relatif silence du glissement de la coque à quatre nœuds et demi.

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19 août 2023 (J4)

Et ainsi toute la nuit, émaillée de quelques grains.

À faible vitesse, l'hydrogénérateur produit très peu. Je profite de ce moment très calme pour remettre en service le régulateur d'allure. Aux Açores, j'avais concocté une petite amélioration de la fixation des drosses du régulateur, et ça fonctionne plutôt bien. C'est un moment de plaisir. Et le régulateur Cap Horn marche bien ; plusieurs heures.

En service
L'aérien dépasse, de justesse
Drosse du régulateur d'allure

Pendant quelques minutes, je coupe précautionneusement le pilote, puis tous les instruments du bord, histoire de voir s'afficher une consommation totalement nulle sur le contrôleur de batteries. Dans cet intervalle, Tusitala n'a plus aucune existence électrique ou électro-magnétique (à part le frigo, d'accord, je l'ai laissé en marche). Il reste le compas magnétique. Un moment jouissif, une expérience "affiérante" ("proudful" me vient à l'esprit), dans la recherche bien modeste, de ce minimum nécessaire décrit par Moitessier, l'inspirateur de notre adolescence. Ensuite, je me résous à rallumer les instruments, sauf le pilote. La raison raisonnable c'est pour être au moins visible des autres à l'AIS. Parce que pour la route, on n'a pas vraiment besoin d'un point GPS toutes les secondes.

Depuis le départ de Horta, nous avons laissé le bimini en navigation, en prévision des jours de chaleur qui se profilent et aussi parce qu'il faut bien se faire un idée de comment tout ça va fonctionner sous le soleil accablant des tropiques. Je constate que la pale aérienne du régulateur dépasse un peu au-dessus du bimini. Pas beaucoup, pas autant que j'aurais voulu, mais quand même suffisamment pour quelle reçoive le vent correctement s'il fallait faire du près avec cette gite. Il faudra confirmer ce point positif lorsque le bateau gitera davantage.

Pendant que j'y suis, je capture sons et images dans la perspective de réaliser une vidéo explicative de l'installation et la mise en œuvre de ce modèle de régulateur d'allure sur les RM1060. Cette vidéo viendra compléter un article existant. Ça prend un temps fou ; un coup c'est le son, je bafouille, le vent bruisse ; un coup c'est l'image, mauvais cadrage, ou plein de gestes parasites. Pas facile d'expliquer clairement.

Ensuite, je poursuis les expérimentations. Je considérais que l'hydrogénérateur et le régulateur d'allure s'excluaient mutuellement, en raison du risque de chocs entre les pales à l'arrière du tableau. En utilisant le brin en Dyneema pour brider l'excursion de l'hydrogénérateur vers bâbord, ce risque disparaît. Et nous pourrons utiliser les deux fonctions simultanément. Dans les limites de mouvements du bateau ce jour-ci, je retiens que ça fonctionne.

Le régulateur d'allure nous conduit ainsi jusqu'à la tombée de la nuit. Le signe du succès, c'est qu'on finit par oublier que c'est lui qui tient la barre pendant que nous vaquons à nos occupations, lesquelles incluent évidemment de surveiller la route. Il est de tradition de donner un nom de baptême à son régulateur ; nous n'avons pas encore trouvé de nom plaisant ("Raymond" est déjà pris – "Raymond barre").

Ce soir, nous testons les lyophilisés achetés au Vieux Campeur. Je trouve ça très bon.

Lyophilisés
Chasse aux bruits parasites du gréement

Alors que nous nous apprêtons à commencer les quarts de nuit, coup de théâtre : le vent passe au sud-est. Parmi les trois-cent-soixante directions possibles, il a choisi pile celle qui est face à notre route, pile de face. Et il est très faible, cinq nœuds environ. Pas besoin de faire une grosse simulation informatique pour savoir qu'on ne va pas arriver à tirer des bords dans ce vent cacochymique pour nous rapprocher efficacement du but. Nous mettons au moteur et revenons sous pilote électrique.


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20 août 2023 (J5)

Au lever du jour, après une nuit au moteur, les batteries sont à 99%. Heureusement le vent se lève du sud. Retour sous voiles, au près serré tribord amure. Bizarre ! Le vent attendu à l'approche de Madère serait plutôt du nord-est. Trois heures plus tard, nous déchantons, c'est pétole et le moteur reprend du service. Il semble que c'était seulement un effet thermique dû à l'apparition du soleil. Apparement nous sommes bien dans la bulle de calme, qui semble bien plus étendue que prévu.

D'accord, c'est flou
Malchance

Calculs d'autonomie. Calculs et re-calculs. Si on doit continuer au moteur jusqu'à Madère, toute la réserve de gasoil n'y suffira pas. Pas le choix, il faut profiter de tout souffle de vent pour avancer à la voile. Nous abaissons nos exigences en matière de minimum vitesse ; trois nœuds et demi, trois nœuds, deux et demi ; on ferme les yeux quand on voit un peu moins de deux... En supposant que la réalité sera conforme aux GRIBs chargés à Santa Maria, on devrait toucher le vent d'est puis de nord-est au milieu de la nuit prochaine.

En fin d'après-midi, je transfère deux des trois bidons de gasoil dans le réservoir principal. Dans le cas où on serait vraiment à cours, le dernier bidon sera réservé pour la toute dernière approche du port. Je rumine de ne pas avoir mis une hélice tripale en remplacement de celle qui était corrodée l'an dernier. Cela aurait amélioré le rendement...

Shower time

Mon moral oscille au gré des couvertures nuageuses, alternance entre grisailles poisseuses et ciels grands-bleus griffés de long cirrus. Je prédis l'arrivée du vent avec une espérance de réussite proche du loto. Toute plate depuis hier, la mer commence à clapoter. J'y vois un signe de présence du vent, plus loin, avec une foi apostolique.

Remplis d'espérance, nous faisons sacrifice d'un demi-chorizo dans les gnocchis du soir.

Jamais deux fois la même lumière

21 août 2023 (J6)

Le journal de bord de la nuit fait état de plusieurs tentatives de poursuivre à la voile se soldant par plusieurs échecs, lorsque la vitesse est tellement faible que le pilote ne parvient même pas à conserver le cap. De plus, il y a un peu de houle qui suffit à faire battre douloureusement les voiles vides de vent. Il reste 150 milles avant Madère et notre autonomie gasoil restante, soit un demi réservoir et un bidon de 20 litres, ne permet pas de les couvrir au moteur. Cette expérience permet de toucher du doigt les limites. Un voilier doit vraiment naviguer à la voile.

Ce n'est qu'au matin que ça veut bien tenir. Le vent vient enfin de l'est puis progressivement du nord-est. Nous passons du prés serré bâbord amure au bon plein. Cela fait chaud au cœur.

 Puffin cendré

Le principal souci n'est pas de naviguer lentement, ni de passer plus de temps en mer. C'est de penser que nos familles pourraient s'inquiéter de l'absence de nouvelles. Normalement, nos deux correspondants à terre savent bien à quoi s'en tenir à propos des aléas de l'élément liquide, et ils resteront sereins encore un moment avant de s'alarmer.

A mon tour d'aller dormir
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22 août 2023 (J7)

L'allure se maintient ainsi toute la nuit, avec une vitesse modeste mais satisfaisante d'environ quatre à cinq nœuds.

Dans la nuit une adonnante d'au moins trente degrés est fort bienvenue pour me permettre de faire plus d'est. Cela sécurise la route en montant un peu plus dans le vent que strictement nécessaire en route directe, ce serait trop bête de nous retrouver sur la côte nord de Madère avec un vent qui refuserait.

Vers deux heures, on commence à distinguer et reconnaître le feu de Ponta do Pargo, qui est sur la côte ouest de Madère. On entend aussi des conversations indistinctes sur la VHF 16, sans doute des pêcheurs.

Au petit matin, nous constatons que nos téléphones sont passés à l'heure UT+1, heure portugaise de Madère. C'est le signe objectif d'une fin de traversée.

Le vent retombe. Le gasoil disponible s'avère suffisant pour les cinq ou six heures qui restent à courir et nous terminerons au moteur dans une houle un peu désagréable, d'autant plus que pour ménager les voiles, je préfère les ferler complètement, ça fait trop mal au ventre de les entendre claquer.

L'approche de Madère en fin de matinée laisse deviner les hautes falaises au milieu d'une atmosphère brumeuse.

Nous retraversons la trouée entre les immenses falaises de la magnifique Ponta de São Lourenço, un raccourci de quelques milles vers la marina de Quinta do Lorde, notre destination. C'est pendant l'approche finale de Madère que je reçois le mail de confirmation qu'une place est disponible.

Raccourci
Tendue

En fin d'après-midi, nous sommes amarrés au ponton de Quinta do Lorde, qui nous est maintenant familière ; c'est notre troisième passage dans cette agréable marina, une fois en 2021 avec Mahina et deux fois cette année avec Tusitala.

La première gorgée...
 La synthèse de la traversée  / The outline of the crossing
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Préparation des travaux à Quinta do Lorde

Le lendemain de notre arrivée à Quinta do Lorde, nous retrouvons Olivier de Sailing Madeira Performance. Avec sa tranquillité habituelle, il nous confirme que l'accueil du chantier est prêt pour la semaine prochaine, le temps que nous préparions notre hébergement. En effet, le bateau sera mis au sec, nous pourrons y travailler dessus mais pas y séjourner.

Comme le mât va être descendu au chantier, nous commençons par dégréer les voiles. Pour cela nous guettons le jour où le vent est modéré. Grand-voile : facile ; trinquette : très facile. Nous en profitons pour examiner toutes les coutures et bandes de protection UV dans le hangar de la Marina où Joana a bien voulu nous autoriser à les déplier. Bien plus pratique que sur un ponton. Nous notons soigneusement les quelques points qui semblent usés. Le lendemain, génois : ah tiens, ça ne veut pas descendre ! l'émerillon se bloque aux deux-tiers, puis il ne veut plus ni monter, ni descendre. Evidemment, le temps passe et le vent de fin de journée remonte. Je saucissonne tant bien que mal le génois autour de l'étai. Je soupçonne que ce sont les vis des tubes de l'enrouleur qui se sont dévissées. Il est un peu tard pour monter au mât, on verra demain. Je fulmine, parce que ces vis ont déjà bloqué la montée de l'émerillon au moment d'installer les voiles en octobre 2022. Nous avions pourtant demandé une inspection complète au gréeur à Roscoff. Il nous avait rédigé un rapport, mais quand on lui a montré que ça bloquait, il a avoué qu'il n'était pas monté à l'avant (!). Il est alors monté rapidement corriger le problème en revissant les vis fautives. Oui, mais il n'a alors pas pris le temps de mettre du frein-filet. Donc au bout de presque un an, elles sont ressorties subrepticement, sous l'action des vibrations, en particulier au moteur. C'est grave, parce qu'affaler le génois peut être une manœuvre de dernier recours en mer, si l'enrouleur fait défaut. Avec ces vis qui bloquent la descente, nous aurions été dans une situation bien embarrassante et potentiellement dangereuse en cas de fort vent en traversée. Damien, notre charmant voisin de ponton, de son RM1050 Vitruve voit nos déconvenues. Il vient nous dire que dès demain, il peut monter au mât. Il est jeune et dynamique et j'avoue que ça m'arrange bien, j'en ai ma claque des montées au mât avec les récents problèmes d'anémomètre et d'antennes radio.

Somptueux Bolo do caco de Madère
Jour de lessives
Patates douces des Açores
Inspection
Repérage des accrocs
Pliage
Solidarité : notre voisin Daniel

Le lendemain Damien, ponctuel, escalade rapidement jusqu'à l'émerillon et débloque la situation. Cela nous permet enfin de descendre le génois, de l'inspecter et de le ranger.

Génois coincé, ferlage provisoire
Pas glorieux
Solidarité : notre voisin Damien

Comme l'anémomètre ne donne plus aucune information, je ne vais pas tenter de le réparer encore une fois. J'envisage de le changer. Olivier me prête à nouveau le kit NKE pour tenter de le connecter à notre bus NMEA. Le matériel NKE fonctionne en NMEA0183. Pour s'interfacer avec notre bus NMEA2000, d'un standard différent, j'essaie avec un convertisseur Actisense. Cette fois-ci, je vais jusqu'à brancher les appareils pour les voir s'animer. Je décortique manuels et circuits. Ça devient vite le bintz à bord, avec des fils volants partout. Mais non, ça ne marche pas comme ça ; le boîtier d'adaptation de la girouette NKE incorpore les infos NMEA0183 directement au bus de son réseau Topline et n'y donne pas accès, alors que le convertisseur Actisense a besoin d'une entrée NMEA0183. Pour convertir en NMEA2000, il faudrait utiliser un autre boîtier d'interface, vendu par NKE, qui se charge de récupérer les infos du bus Topline et de les convertir. Comble de l'ironie, le boîtier d'adaptation NKE dispose d'une entrée libre pour le cas où on voudrait incorporer un équipement non-NKE à son système Topline ; c'est la méthode Apple : tout fonctionne parfaitement tant qu'on reste dans son éco-système. Le somme totale pack aérien, boîtier d'adaptation et boîtier de conversion ferait une somme rondelette ; ça ferait encore plusieurs boîtiers à visser dans les cloisons ; et je n'aime pas me sentir poussé à l'achat par un fabricant. Je ne critique pas sa solution ; elle fonctionne très bien et le monde de la course l'utilise avec bonheur. Mais la migration à partir de notre solution Garmin serait vraiment coûteuse et compliquée. Il faudra trouver une autre solution que NKE.

Boîtier d'adaptation NKE
Installation d'essais
Le bintz

Nous ne manquons pas de mettre à profit quelques soirées disponibles pour des apéritifs avec Damien, Fannie et leur fils Ananda, ainsi qu'avec Daniel & Carole du voilier québécois Vendredi.

Marina Quinta do Lorde

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Une décennie !

Nous avons acheté Tusitala d'occasion en 2021. Il a maintenant dix ans et c'est comme pour les dents, des vérifications approfondies sont nécessaires : gréement, anti-fouling, anodes, révision moteurs in-board et hors-bord, réparation des éclats de peinture sur la coque, révision des voiles, révision du guindeau, détartrage des tuyauteries... La liste s'allonge rapidement. Au début, il nous semble que nous avons plein de temps. Nous aurions pu faire ça avant de partir à Roscoff en 2022, mais cela aurait encore retardé notre départ. Forts de l'adage qui dit que "si tu attends d'être prêt, tu ne pars jamais", nous avions préféré partir en reportant ces révisions. Il est temps de les mener, à la fois pour notre tranquillité d'esprit et pour des questions d'assurance.

Avertissement : pour les lecteurs qui rêvent de beaux paysages ou de glissades effrénées au portant, il est préférable de sauter cette étape. On y parlera boulons, inox, graisses, huiles, gasoil, pompe, vidange, ridoirs, cadènes, galhaubans, filtres, corrosion, anodes, hélices, outillage, câbles, antennes, colles, plomberie, drisses, surliures... Pour nous, cette rédaction indigeste permet de mémoriser un historique complexe et de comprendre plus tard à quoi ont bien pu être employées ces innombrables heures de chantier.

Une belle liste de travaux
 Todo list préliminaire de travaux
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Au sec à l'Estaleiro Naval

30 août 2023

Nous convoyons Tusitala au moteur jusqu'au chantier (Estaleiro Naval) de Agua de Pena. Les voiles sont restées au hangar de la marina. Je n'aime pas naviguer sans voiles. En cas de panne moteur, le bateau devient un bouchon à la merci des éléments. En une heure, nous rejoignons le petit port. Les caristes nous attendent. Manœuvre en marche arrière pour entrer dans le petit travel-lift. Le chantier se trouve sous la piste d'atterrissage de l'aéroport de Madère. Sorti de l'eau, et après un rapide passage de la coque au jet sous pression, notre bateau se retrouve posé entre les piliers de béton qui soutiennent la piste, au cœur d'une sorte de grandiose cathédrale. On entend parfois les avions atterrir ou décoller au dessus de nous, impression étrange.

Dans le sillage s'éloigne Quinta do Lorde
Agua de Pena devant
Sous la piste, une cathédrale
Estaleiro Naval de Agua de Pena

En inspectant les œuvres vives, je vois que l'anode de l'embase du sail drive et celle du passe-coque qui sert de condenseur pour le frigo (*) sont absentes. Je ne sais pas dire si elles étaient mal fixées (vis sans frein-filet, une fois de plus) ou si elles ont été très vite rongées par l'électrolyse. Il était temps de faire ce chantier.

Anode du condenseur disparue, mais il reste les deux vis
Vue quotidienne sur les îles Desertas
Aspect meilleur que nous le craignions

(*) Notre frigo dispose d'un condenseur refroidi à eau de mer, plutôt que le classique échangeur air et son bruyant ventilateur. pour cela, le condenseur est un serpentin enroulé dans le passe-coque qui sert aussi à l'évacuation de l'évier de la cuisine. Ainsi, il n'y a pas de trou supplémentaire dans la coque. L'avantage est une meilleure efficacité thermique, surtout dans les pays où l'air est chaud. L'inconvénient est que le frigo ne peut fonctionner si le bateau est hors d'eau.

A peine le bateau calé à son emplacement, nous préparons le démâtage en lovant toutes les drisses, la balancine, le pataras, et en démontant la bôme. Il faut aussi décâbler à l'intérieur du bateau les fils et coaxiaux qui passent dans le mât et qui vont devoir glisser dans l'épontille lorsqu'on va soulever celui-ci.

Câbles bien repérés, on commence à débrancher

Ce chantier est fermé la nuit et il est interdit de rester à bord. Nous devons donc trouver un logement à proximité, ainsi qu'une voiture de location. Pendant ces deux semaines, nous irons donc "au chantier" tous les jours de l'ouverture à la fermeture. C'est du boulot ! Les dimanches sont jours de relâche, parce que le chantier est fermé.

Les logements sur l'île de Madère et en particuliers sur la côte Sud sont chers, très chers. Des appartements à plusieurs milliers d'euros la semaine ! On ne trouve pas de petits logements, tous ceux en location du genre B&B sont immenses, prévus pour des familles ou des groupes plutôt que des couples. En jonglant avec les différents sites de location, Liliane nous organise un parcours appartement - hôtel - appartement - hôtel qui nous fait ainsi loger à Santa Cruz et à Caniço.

La première location se trouve tout près de l'église, dans le charmant bourg de Santa Cruz, à quine minutes de voiture du chantier. Après le confort correct mais frugal de notre bateau, nous apprécions l'espace hallucinant qui nous est alloué, agrémenté par un jardin privatif immense et égayé par la cloche de l'église qui décompte scrupuleusement chaque heure de la nuit, sans omettre l'Angelus du matin.

King size
Bonne nuit, les petits
Jardin privatif

La suite des activités est difficile à décrire, tant un récit séquentiel rend mal le perpétuel enchevêtrement des travaux entamés, différés, repris, mis de côté, repris encore, ainsi que les nombreuses options examinées face à chaque obstacle, notamment la recherche permanente de fournisseurs ou de solution de livraison.

31 août 2023

Dès le lendemain, le camion grue prend place au chausse-pieds entre les bateaux et Olivier pilote le démâtage. Une fois le mât posé à l'horizontale commence le démontage complet des diverses ferrures, barres de flèche, tête de mât, enrouleurs. Classiquement, on trouve de la corrosion aux points de contact entre l'inox et l'aluminium. Quelques rivets sont cassés. Une vis refuse obstinément de se dévisser malgré nos efforts et on l'extrait finalement à la perceuse.

Démontage, inspection... C'est parti !
L'albatros aux ailes coupées

Le bloc vent Garmin (girouette/anémomètre) est en piteux état. Déjà réparé en février, l'axe de l'anémomètre est oxydé et l'anémomètre ne fournit plus d'indication de vitesse de vent. Je décide donc de changer carrément tout le bloc, pour éviter de futures déconvenues. Olivier ne distribue que du matériel haut de gamme (NKE ou B&G). J'étudie le changement. Cela pose diverses questions de compatibilité au niveau du bus NMEA : le bloc Garmin s'interface directement en NMEA 2000 et incorpore donc une terminaison d'adaptation du bus en tête de mât. Sur notre installation d'origine, le câble de l'anémomètre Garmin est raccordé en prolongation du backbone. Alors que le B&G est s'interface comme un simple abonné du bus et qu'il faut donc prévoir une terminaison d'adaptation en plus. Très bien, ça a l'air facile comme ça. Nous allons chez Naútica Madeira à Caniço, mais ils n'ont pas ce genre d'article. Au secours Amazon !

Olivier démonte très consciencieusement les enrouleurs, tous les tubes, toutes les éclisses, toutes les vis, en les examinant. Plusieurs sont bloquées par la corrosion. Certaines sont d'un modèle où les pointeaux appuient simplement dessus, d'autres sont percées, ce qui pose des questions sur la fourniture. Son avis est que le mât est plutôt en bon état de conservation. Il en profite pour nous donner du travail de nettoyage, détartrage, désoxydation. C'est autant qu'il n'aura pas à nous facturer et il apprécie sans doute de se consacrer à des tâches plus nobles. De notre côté, c'est l'occasion de parfaire notre connaissance détaillée du gréement. Aucune pièce ne doit être laissée sans examen critique.

1 septembre 2023

Nous prenons nos habitudes de chemin matinal du chantier, comme d'autres prennent le métro. La vue des îles Desertas est un plaisir renouvelé, quelle que soit la transparence de l'atmosphère.

Heure d'embauche sur le chantier

On traite ainsi les chariots du guindant de GV, qui coulissent mal depuis un an, au point que je pensais que des billes du roulement étaient carrément cassées. En 2021 j'avais pulvérisé du lubrifiant Teflon, ce qui avait momentanément amélioré la glisse des chariots. Mais en 2022 ce vieux Teflon avait fait une sorte de pâte blanchâtre qui semblait coller les chariots. Liliane commence par lessiver les chariots et le rail pour que le détergent entre dans les billes, mais cela n'arrange pas grand chose. On démonte chacun des neuf chariots, on sort ses trente billes, on les fait tremper dans l'acétone, on fait disparaître toute trace de l'ancien téflon au coton-tige, on les remonte. Ça marche un peu mieux, mais certains chariots continuent de grenailler. Je vérifier les billes au pied à coulisse. Impossible de voir si certaines sont ovales ou pas. Olivier nous apporte un sac de billes neuves (Harken, sachet de 25 billes de Torlon 8mm). Ces billes coûtent plus de 1 € pièce. Quand on change toutes les billes d'un chariot, il se met à coulisser fantastiquement bien. Il y en a plus de trois cents dans l'ensemble du rail de GV. On ne va donc pas changer "bêtement" toutes les billes, mais faire un peu de tri.

Notre voisin, Martin, qui a un RM 1200 lui aussi au sec, et qui habite sur Madère, nous donne gracieusement quelques unes de ses billes restantes. Solidarité nautique. Malheureusement pas du bon diamètre pour notre mât.

Les soirées à Santa Cruz sont douces et terrasses de restaurants animées. La beauté du site maritime contraste terriblement avec l'austérité de notre cadre de vie diurne.

Santa Cruz
Santa Cruz
Santa Cruz
Super Lune à Santa Cruz
Super Lune à Santa Cruz

2 septembre 2023

Je démonte hélice de l'embase du sail drive. J'examine l'embase avec soin. Il faudra refaire le joint élastomère, qui est déchiqueté. Spectaculaire mais mineur. L'anode du sail drive est aussi absente, et c'est difficile à expliquer. Déjà rongé au bout d'un an ? Peu probable. Je crois plutôt qu'elle a mal été vissée et sans doute sans frein filet. Les vibrations du moteur sur le long cours sont redoutables pour tout ce qui est mal assuré. La peinture de l'embase est un peu corrodée. Rien de grave dans tout ça, mais les soirées sont occupées à déterminer les références des pièces pour pouvoir commander les rechanges. Il y a un revendeur Volvo sur l'île, comme sur la plupart des lieux où roulent des camions. Pas si simple : je me déplace évidemment chez le vendeur avec toutes les pièces à changer dans mon sac, en plus de la référence constructeur. Le vendeur Volvo identifie immédiatement que cette belle vis à tête Allen n'est pas d'origine constructeur. Celle de Volvo a une tête hexagonale. Va-t-elle permettre de fixer correctement l'hélice ? Evidemment, je doute, je tergiverse, je retourne le lendemain au bateau vérifier les côtes... tout cela prend un temps fou. Non, ça ne marche pas, il faut aussi changer l'anode. Le vendeur ne parle pas Anglais, ni moi Portugais. Mais ça avance en lisant ensemble le catalogue atelier du moteur. Ah ! mais la vis n'est pas disponible, il faut la commander. Deux ou trois jours, oui.

Anodes sail drive disparues

Le nettoyage de tous les points de corrosion du gréement nous prend plusieurs jours. Le meilleur produit pour l'inox est finalement un desoxidante acheté chez un quincaillier local (Ferragens Vieira à Machico). C'est tout simplement de l'acide phosphorique que nous avons vainement cherché chez Leroy Merlin. Nous avons plaisir à retrouver petit à petit du matériel "comme neuf".

C'est aussi l'occasion de rincer à l'eau douce et baigner dans de l'assouplissant toutes les drisses et les amarres. De toutes façons certaines commencent à être assez usées et il faudra investir dans des bouts neufs.

En bon état après dix ans
Feux de tête de mât

Comme toujours, le bateau ressemble rapidement à un atelier de mécanique. Trois trousses à outils, caisses de boulonnerie, d'électricité, d'abrasifs, bidons de nettoyant, sprays de dégraissage, chiffons, seaux, balais, serpillières...

Au niveau des antennes de tête de mât, je vais pouvoir refaire proprement les fixations avec des rivets neufs. D'ailleurs, j'en profite pour faire sauter tous les autres rivets et nettoyer tout ça. Sur l'enveloppe en fibres d'une des antennes dont la peinture est partie, je passe un produit de revêtement (coating) pour circuits imprimés.

Ce jour-là, nous découvrons que le circuit automobile qui jouxte le chantier est animé des compétitions du week-end. Vrombissements et crissements masquent le chuintement délicat de nos chiffons.

3 septembre 2023

Nous nous accordons quelques moments de tourisme le dimanche en visitant les extrémités de l'île que nous n'avions pas vues en février. Jardim do Mar, Porto Moniz...

Jardim do Mar
Jardim do Mar
Jardim do Mar
Jardim do Mar
Jardim do Mar
Jardim do Mar
Porto Moniz
Porto Moniz
Porto Moniz
Porto Moniz

4 septembre 2023

Retour au boulot ! Nous commençons nos journées à l'ouverture du chantier et nous les terminons quelques minutes avant la fermeture de la grille. Six jours par semaine. Les employés nous reconnaissent et sont cordiaux et aidants.

Liliane nettoie au pinceau et à la brosse à dents l'emplanture du mât dur le pont. Là encore, on trouve de la poussière et un peu d'alumine, mais finalement la pièce de fonderie d'aluminium est en bon état. Agréable surprise.

Nettoyage de l'emplanture du mât

Les soirées à Santa Cruz ou Caniço sont "chaleureuses". C'est à la fois une sympathique ambiance de jovialité, mais aussi une impossibilité de dormir tant que les fêtards de cette fin d'été ne sont pas couchés. A un moment, je demande même à changer de chambre d'hôtel pour ne plus avoir fenêtre sur rue. Les restaurants finissent par nous reconnaître, nous faisons partie de la clientèle habituelle. Les petits déjeuners complets d'un montant modique nous comblent.

5-7 septembre 2023

On rentre dans les inspections de détail. Le nettoyage de toutes les traces d'oxydation permet de vérifier qu'aucune fissure ne se cache dessous. Le mât et les barres de flèche font l'objet de nos soins minutieux.

Ouverture de la tête de mât
Goulotte électrique un peu trop pleine
Inspection des réas de tête de mât
Inspection des ferrures des étais
Élégante même au chantier

Les œuvres vives font aussi l'objet de nos soins. Le speedo est démonté. Ce capteur est en fait triple source de données : vitesse sur l'eau - sondeur de profondeur - température de l'eau. Depuis les Canaries, il lui arrivait de ne plus donner d'information. En plongeant sous la coque avec une brosse, j'enlevais les algues les plus faciles à extraire, mais ça restait un nettoyage superficiel. Je redoutais qu'il soit complètement coincé. C'est une pièce en plastique et si on force trop, on risque de le casser. Heureusement, il sort sans effort et il est ensuite facile de le faire tremper pour le débarrasser de ses algues et crustacés. Après quoi il sera remonté avec un peu de vaseline dans le conduit.

Capteur tri-data

L'offre de restauration à Santa Cruz est suffisante pour agrémenter nos envies de plats bien cuisinés. Liliane aime un poissons nommé "espada" (soit quelque chose comme ou épée ou espadon, mais ça n'en est pas un). C'est un poissons des grandes profondeurs, dont l'aspect noir pourrait être dissuasif quand on l'a vu à l'étal des poissoniers. On le trouve partout dans les îles des Açores ou Madère. Nous aimons aussi goûter parfois une "espetada", à ne pas confondre avec le précédent. Il s'agit de viande de bœuf, servie sous forme d'une épéée, néologisme sur le modèle de cuillerée ou pelletée, reflétant la présentation le long d'une pique, c'est à dire en Français une brochette.

Charmante place centrale de Santa Cruz
Espetada

8 septembre 2023

Depuis plusieurs jours, une odeur tenace d'essence envahissait parfois la cabine. Essence, ça veut dire moteur d'annexe. Effectivement, en sortant le moteur de l'annexe du coffre de cockpit, je découvre son petit robinet d'alimentation cassé. Probablement lors du dernier rangement à Horta. Ce robinet a un axe en plastique de 2 mm. Il est cassé net. Irréparable. L'essence qui restait dans le réservoir et que par flemme je n'avais pas complètement vidée, perlait doucement dans le fond du coffre et des effluves parvenait à se frayer un chemin vers l'habitacle. Je vide le reste de réservoir en récupérant l'essence, je démonte le robinet et je vais demander à la boutique d'accastillage située à quelques pas du chantier, un antre un peu fouillis. Le patron m'assure que la pièce de rechange sera là dans trois jours. C'est l'occasion d'ouvrir complètement le moteur Mercury et de commencer à le bien nettoyer en prévision de sa révision annuelle.

Robinet essence cassé net
Plutôt un très bon état
Fin de journée

Nous amenons les voiles au maître-voilier à Caniço. Il commence par nous prévenir au téléphone qu'il va compter une heure pour l'examen des voiles. Ceci pour que son temps soit payé dans le cas où il n'y aurait rien à faire sur les voiles. Cela me paraît normal, mais il craint sans doute que je refuse de payer pour une simple inspection. Finalement nous convenons de quelques points de réparation, notamment la ralingue du génois et quelques accrocs dans sa bande UV. Il ne pousse pas à la consommation. Pour certains défauts, il nous dit clairement "les protections cuir des amures génois et GV, c'est du cosmétique" (oui, il parle Français). Quelques jours plus tard, les voiles sont prêtes. Je vais les chercher et il a aussi fait les corrections cosmétiques, et pour le tarif qui était convenu.

9 septembre 2023

Journée de courses à la FNAC locale. Un grand centre commercial, avec une vue sur la mer. Inhabituel pour nous.

Mouillage devant Caniçal
FNAC

10 septembre 2023

Ce dimanche tombe très bien le jour anniversaire de Liliane. Nous partons nous balader aux plages de Caniço sous un chaud soleil. Le littoral de falaises et de plages de galets d'accès difficile nous conduit jusqu'à Funchal, contraste de grands immeubles de luxe et de ruelles pleines de charme.


Nous partons faire du tourisme à Funchal tout simplement. Nous n'avions fait qu'y passer rapidement en février. La zone de grands hôtels modernes et dotés de piscines est d'une architecture moderne plutôt luxueuse. Les vieilles rues sont abritées du soleil et il fait bon y flâner à pied.

Funchal

Le soir, de retour à notre résidence, nous fêtons avec des bulles l'anniversaire de Liliane.

11-12 septembre 2023

Nous avons la surprise ce beau matin de voir passer, suspendu au travel-lift, un bateau aux lignes classiques ; quille longue, large pavois, allure trapue et marine. Je remarque son régulateur d'allure et son hydrogénérateur, tous deux hauts de gamme, des logos de sponsors sur le bordé. La curiosité s'accroit. Bon sang, c'est Minnehaha ! Le bateau de Kirsten Neuschäfer, qui vient de gagner la dernière Golden Globe Race, course autour du monde en solitaire sans escale et sans usage de moyen de navigation ou de communication électroniques. Et d'ailleurs sa capitaine suit à pied. J'ai juste le temps de la reconnaître (en doutant un peu quand même d'être en présence de la dernière star de la voile mondiale) et de la féliciter, tout ému. "Thank you" dit-elle simplement. Du beau monde sur ce chantier. Je ne l'ai pas revue les jours suivants, sinon je serais bien allé lui demander ses impressions du grand sud et comment elle a pu gérer l'arrivée des dépressions sans outil de prévision. A l'ancienne, en observant les nuages et la houle.

Minnehaha à Agua de Pena
Minnehaha à Agua de Pena
Belle ligne classique
 Minnehaha de Kirsten Neuschäfer

Plus concrètement, sur Tusitala c'est l'heure de préciser les travaux de coque. Le chef de chantier est passé nous voir et nous lui avons demandé un devis pour rénover l'anti-fouling. Son devis est raisonnable et nous avons pu voir la qualité du travail exécuté sur les coques avoisinantes. C'est parfois hallucinant de voir l'énergie déployée pour que toute la coque brille sous les coups de polish (option que nous n'avons pas demandée). Alors pour cet exercice pénible pour le dos, nous avons retenu son devis et il feront ce travail pendant notre absence prochaine. Contrairement aux premières apparences, l'anti-fouling de l'an dernier n'a pas tenu partout. Bizarrement tout autour de la ligne de flottaison apparaît une zone où il part en plaques. Difficile de comprendre pourquoi. On peut imaginer qu'il a été appliqué sur une coque incomplètement sèche, comme cela peut s'imaginer en Bretagne. Normalement, cela ne devrait pas arriver. Le chef de chantier est de bon conseil et ne pousse pas à la consommation, il propose de poncer à cet endroit jusqu'à obtenir une bonne adhérence.

En préalable à l'anti-fouling, je dois d'abord mettre en place le joint neuf du sail drive. Et ça commence par un nettoyage complet de l'ancienne colle et un dégraissage soigneux de la zone où prendra la nouvelle colle. Ceux qui ont déjà nettoyé et poncé un plafond savent à quel point il est fastidieux de travailler le dos courbé à l'envers. Content de n'avoir qu'une petite surface à préparer.

En parallèle, les tâches de fond continuent ; désoxidation des métaux, détartrage, dégraissage de toutes les pièces d'accastillage,. D'ailleurs, nous aussi sommes lessivés.

Et voici le résultat !
Espada et bacalhau à la Taberna do Petisco

13 septembre 2023

C'est le jour du retour de Liliane en France.

Survol de la Ponta de São Lourenço
Vue sur l'île de Porto Santo
Les Ilhas Desertas, vues de Santa Cruz
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14 septembre 2023

Je profite que Liliane est repartie en France pour lancer les travaux poisseux. La vidange d'un moteur est un moment d'intimité avec lui, susceptible de mettre en péril le couple le plus solide. Il est important de faire disparaître toute trace de ce moment fusionnel : chiffons de gasoil, soute huileuse, parquet tâché, bidons dégoulinants, tee-shirt maculé, outils graisseux. Tout. Dans Tusitala, la trappe d'accès aux filtres à huile et gasoil s'ouvre à partir de la cabine, à quinze centimètres de la couchette ; un matelas tâché et c'est l'incident conjugal !

Paradoxalement, le moteur est une partie importante d'un voilier. Bien sûr, il y a des héros qui naviguent sans moteur et s'en sortent très bien. Les travaux sur le moteur sont assez classiques :

  • vidange, changement du filtre à huile
  • changement du pré-filtre et nettoyage du bol après inspection et graissage du joint
  • changement du filtre à gasoil et son joint
  • changement de la turbine de la pompe à eau de mer et son joint
  • rinçage du circuit de refroidissement primaire à l'eau douce et si on a le temps à l'aide d'acide oxalique (ou sel d'oseille)
  • nettoyage ou changement du filtre à air
  • vidange de l'embase du sail drive
  • nettoyage et graissage de l'arbre d'hélice
  • changement du joint de coque du sail drive
  • éventuellement vidange du circuit de refroidissement secondaire et détartrage de l'échangeur.

Au début, ça fait un peu peur de commencer à démonter des pièces. Mais la raison et les formations suivies disent que c'est simple et rationnel un moteur. Si on procède avec méthode, on doit aboutir à une révision et un fonctionnement corrects.

Il faut réviser cinq (*)(**) circuits de fluides :

  • le circuit d'eau de mer,
  • le circuit du liquide de refroidissement,
  • le circuit d'huile,
  • le circuit de gazole,
  • le circuit d'échappement.

(*) EDIT : correction suite au commentaire de Sylvie, qui a tout lu avec attention. Chapeau !

(**) EDIT : correction suite au commentaire de Alain, qui a tout lu avec attention. Chapeau !

C'est banal de le dire, mais ce travail demande d'être assez méticuleux, prendre les circuits un par un et aller au fond de la révision en examinant impitoyablement les joints, les vis de fixation, les rondelles et les durites.

Après chaque opération, je teste le fonctionnement du moteur. Pour alimenter en eau le circuit de refroidissement alors que le bateau est au sec, j'utilise de petites oreilles à fixer sur l'embase. Le tuyau "gave" d'eau les évents de l'embase et elle circule dans l'échangeur comme le ferait l'eau de mer. Ce système est simple à mettre en œuvre, mais il s'avère pénible. Impossible de laisser tourner le moteur en ayant l'esprit tranquille : avec les vibrations, la pince glisse et le moteur se retrouve sans refroidissement. Je passe mon temps à vérifier que tout "baigne". Au bout d'un moment, je remplace ce dispositif par un simple baquet surélevé, qui englobe l'embase et je plonge le tuyau dans le baquet. Je vérifie juste que le débit parvient à combler la "soif" du moteur et ensuite je peux vaquer à mes réglages.

Je peste contre le concepteur du moteur (Volvo) et l'architecte. Les filtres sont d'accès difficile, il faut se contorsionner, on peut difficilement tourner la clé et tenir un chiffon dessous. Aux stages de formation le moteur est posé sur un tréteau et les stagiaires peuvent tourner autour, passer les deux mains et les yeux. Ici, les filtres ne tombent même pas en face de la trappe et la cloison laisse juste passer un bras. Un moteur, on voudrait que ce soit comme pour les sacs à dos : tout doit être sur le dessus !

Volvo D1-30F
Oreille d'alimentation en eau
Filtre à huile, accès difficile
Le pré-filtre gasoil
Nettoyage du bol du pré-filtre
Filtre fin à gasoil ; ne pas en mettre partout...
Solution plus simple : un baquet surélevé

En vidangeant l'embase du sail drive, je constate que l'huile n'a pas une couleur normale ; ni claire, ni foncée, ni limpide. Elle est couleur moutarde. Ce n'est pas tout à fait ce que l'on nomme "mayonnaise", parce que cette huile ne chauffe pas à cet endroit, mais c'est bien une émulsion d'huile et d'eau. C'est un indicateur que le joint Spi de l'arbre n'est plus bien étanche. En regardant bien je vois une trace d'huile aussi sur le bord du joint, côté arbre d'hélice, ce qui confirme le diagnostic : l'huile sort et l'eau entre !

Vidange embase : pas bon du tout cette couleur

La turbine de la pompe à eau de mer est craquelée. Il est indispensable de la changer, sinon, un morceau pourrait se détacher et aller obstruer le circuit. Cette turbine a été changée il y a un peu plus d'un an, soit 270 heures de fonctionnement. Au passage, j'en profite pour déplacer l'anti-siphon qui est vissé juste au dessus du silent-block et de l'alternateur. A priori pas de gros problème, mais en réalité, il y a toujours un peu d'eau qui suinte et cela mouille ces deux organes. Mais pourquoi l'installateur néglige-t-il ce genre de détails sur un bateau de série ? Qu'on rate les premiers exemplaires, je comprends, tout ne peut pas se définir à la table à carte. Mais le n°44 devrait voir ces défauts corrigés, d'autant plus que cela ne coûterait pas plus cher à produire.

J'enveloppe aussi de PVC auto-adhésif certaines durites, à l'endroit où elle se croisent et frottent l'une contre l'autre. Sinon, un jour, il y aura une fuite.

Entre deux travaux moteur, je m'intéresse aussi au filtre Vetus anti-odeur du réservoir des eaux noires. J'ai vidé le réservoir et je l'ai abondamment rincé. Le filtre est très encrassé, il faut bien aller l'extraire avec les doigts. Nous en avons un de rechange, mais il est opportun de le remplacer. Alors commence la longue quête de la pièce de rechange. Je commence par aller au shipchandler de Madère. Ils ne font pas ce modèle. Alors Internet. Amazon ne connaît pas. Les autres fournisseurs ne donnent pas de délais clairs. Je passe la commande en espérant le recevoir lors de mon séjour à Paris.

Pompe à eau de mer
Il est temps de remplacer la turbine fissurée
Filtre anti-odeurs Vetus NSF16FES
L'antisiphon et les protections PVC des durites

En parallèle, je commence à étudier le branchement du ballon d'eau chaude sur le circuit de refroidissement du moteur. En effet, le ballon d'eau chaude sanitaire est raccordé au chauffage à gazole Webasto. On peut comprendre ce choix du propriétaire précédent, dans la mesure où la navigation en Bretagne nord tout au long de l'année peut donner souvent l'occasion de démarrer un peu de chauffage et se faire ainsi de l'eau chaude. Néanmoins, nous sommes maintenant en voyage longue durée dans les eaux plus chaudes et nous ne démarrons jamais le chauffage. Je voudrais (plus tard) transférer les durites du circuit de chauffage Webasto au circuit de refroidissement du moteur. Ainsi nous obtiendrions de l'eau chaude sanitaire marginalement gratuite, puisque le moteur démarre un peu tous les jours en entrées/sorties de ports ou de mouillage. Cette étude va au-delà d'un simple transfert des durites du chauffage au moteur. Il se pose la question du diamètre des raccords (3/8 de pouce), du filetage (NTP américain ou BSP britannique ou ISO-métrique), de la température finale de l'eau chaude (le moteur monte couramment à 90°C), du risque de défaut du ballon qui ne doit pas mettre en défaut le moteur. Je prépare une liste de raccords laitons à acheter pour notre prochain passage à Paris.

19 septembre 2023

C'est mon tour de suspendre le chantier pour rejoindre ma famille à Paris. Une bonne journée à tout ranger, fermer, débrancher. Déposer les trois voiles à la marina de Quinta do Lorde, en attendant d'y revenir en bateau. Et profiter encore de la douceur du soir à Santa Cruz.

Passage éclair à la marina Quinta do Lorde
Santa Cruz
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Intermède parisien

20 septembre - 4 octobre 2023

Nous avons fait coïncider les dates du chantier avec un évènement familial qui nous permet de retrouver parents, enfants (Jessica et Nicolas) et petits-enfants (Juliette et Charlotte). Une grande et belle cérémonie nous donne son content d'émotions. C'est aussi l'anniversaire de Marie qui célèbre un joli nombre rond.

Nous parvenons à jongler avec les agendas de nos amis issus du monde de la danse ou de la section Voile de Thales. C'est chaleureux et joyeux.

L'escale est mise à profit pour commander des articles qu'on peut difficilement faire livrer dans les îles.

Comme les vols Transavia sont directs de Paris à Madère, cela permet aussi d'envisager de rapporter au bateau le code D qui attendait à la cave, après une minutieuse vérification des poids et taille maximaux des bagages en soute, en catégorie équipement sportif.

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Assurance de bateau, galère assurée !

<Gros paragraphe de digression>

Il faut que je raconte ce long et aride parcours que constitue la recherche d'une assurance au long cours. Déjà, de base, il faut comprendre qu'un assureur préfèrerait que vous laissiez votre automobile au garage et votre bateau au port, et encore pas n'importe où. Mais naviguer ? Sur l'eau ? De mer ? Loin ? Comment ça, vous ne revenez pas ? C'est normal tout ça. Pour un assureur, il est très difficile de se faire une idée probabiliste du risque assuré avec une population hétérogène et réduite d'usagers qui parcourent des zones du monde elles-mêmes hétérogènes. Une copieuse flotte marchande, ça oui, ça peut se soupeser, se moyenner, s'écart-typer, ça vous fait de plantureuses populations d'échantillons pour gaver votre tableur et les passer sous le joug de la loi du χ2. Mais des plaisanciers bizarres et changeants, diantre ?

Notre bateau est assuré pour la zone Europe, incluant les îles de l'Atlantique Açores, Madère et Canaries, puisqu'elles font partie de l'Europe. Dès qu'on commence à envisager d'étendre la zone de navigation aux îles du Cap Vert, la discussion devient difficile. L'Afrique ? Houlà ! Depuis un an, je demande des devis juste pour faire le grand classique Canaries - Cap Vert - Transat - Caraïbes.

Par charité et pour m'éviter un procès en diffamation, je ne nommerai évidemment aucune des compagnies contactées.

Alors il y a Assurance #1, qui nous fait remplir un copieux dossier avec nos deux CV nautiques, la fiche déclarative du bateau, sa situation administrative et fiscale, la description détaillée de notre projet nautique, et qui refuse tout net sans explications. Vexée, Liliane va tanner le service clientèle au téléphone pendant plusieurs jours pour obtenir une justification, ce qui donne en raccourci : "– Nous n'avons pas à justifier un refus de devis – Oui, mais quand même on voudrait bien comprendre ce qui vous empêche de nous assurer. – Ecoutez, n'insistez pas ! – Ben si j'insiste, ce n'est pas très pédagogique cette réponse et vous êtes bien le service clientèle, non ? – Je vous dis que nous ne pouvons pas vous faire un devis, vous êtes en dehors de la zone de navigation, c'est tout. – ¿ Euh, mais quelle zone de navigation ? je vous ai écrit dès le premier mail que nous recherchions une assurance pour une transat. – Oui d'accord, mais vous êtes en dehors de la zone, c'est la seule explication que je peux vous donner, n'insistez pas." Probablement que Assurance #1 n'a pas vraiment besoin de clients.

Assurance #2 nous fait un devis très complet et un projet d'assurance assez cher, c'est à dire plusieurs milliers d'euros de prime annuelle. Juste une petite clause qui gène : il faut être trois à bord pour la transat. Ah non, ça ne va pas le faire alors, parce qu'on est un couple. Discussion avec le courtier : "– Est-ce qu'il est possible de discuter ? – Oui, mais il faut être trois, ça on n'y peut rien, c'est l'assureur qui l'exige."

Assurance #3, qui a répondu très rapidement avec une proposition assez chère aussi. Alors il y a bien une clause qui dit que pendant la saison cyclonique, il faut naviguer en dehors de la zone qui descend jusqu'au 5ème parallèle. Moi : "– Le 5ème parallèle ? Mais c'est la latitude de Kourou en Guyanne ! Ce n'est carrément plus le même projet de voyage. – Oui, oui, on sait que ça ne va pas, mais notre assureur demande ça...."

Assurance #4, qui a une grande réputation de sérieux. Pas rapide, mais après avoir demandé à ses assureurs, le courtier nous fait une offre qui, par son montant princier, sent bon le cousu main, comme un authentique canapé cuir Chesterfield. Pour être exact, ce courtier nous contacte de lui-même pour avoir des nouvelles, parce que je lui avais déjà demandé une offre en 2022, mais suite aux problèmes de santé de mon papa, je n'avais pas donné suite puisque nous sentions bien que notre programme de transat risquait d'être chamboulé. Super contact commercial. Vendredi : "– Sympa de me rappeler, vous tombez bien, est-ce que vous pouvez remettre votre offre de 2022 à jour ? – Oui, bien sûr, juste après le week-end, je vous transmets ça par mail". Semaine suivante : "Bonjour, j'attendais une offre, mais je n'ai rien reçu. – Ah, mon collègue est en vacances [de ski], je prends ses appels, mais je vais m'occuper moi-même de ce dossier, ne vous inquiétez pas." Deux semaines plus tard : "– Bonjour, vous avez passé de bonnes vacances ? Votre collègue devait m'envoyer une offre, mais je n'ai rien reçu. – Ah désolé, il était débordé. Je vais vous envoyer une proposition très étudiée pour votre projet. L'affaire de quelques jours pour consulter notre assureur." ... Plusieurs mois après cette conversation, je n'ai toujours pas de proposition. J'en conclus que ce courtier gagne trop d'argent.

Assurance #5 : ce courtier Antillais me rappelle très vite après un premier contact par mail. En discutant, j'ai l'agréable sensation qu'il comprend très bien ma demande et connaît par coeur la problématique de la période cyclonique pour laquelle il a des exigences raisonnables et relativement standard. Il me promet une offre très vite. Effectivement elle me parvient rapidement par mail mais ne couvre pas la transatlantique. Je l'appelle : "Ah oui, désolé, mais nous ne pouvons pas vous faire une offre pour la transatlantique parce que vous avez déjà demandé une offre à un de nos partenaires (celui qui veut qu'on soit trois pour la traversée) et nous avons des accords. Donc vous pouvez souscrire avec nous à partir des Caraïbes". En regardant les zones couvertes, je vois qu'on devrait faire la moitié de la traversée sans être assuré et rentrer dans la zone assurée à 50° de longitude ouest.

Je peux difficilement envisager de prendre ce risque alors que la prime d'assurance serait quand même assez élevée. Dans ce cas, autant faire toute la traversée en n'ayant qu'une assurance responsabilité civile, ce que finissent par faire beaucoup de bateaux. Après une période de découragement, je profite de mon séjour à Paris pour reprendre ma quête.

Assurance #6 - conseillère n°1 : "– Bonjour Madame, je voudrais assurer un bateau au long cours. – Oui bien sûr, décrivez-moi votre bateau. – Bla, bla, bla. – Oui très bien, et quel est son port d'attache ? – Alors il n'a plus de port d'attache puisque nous voyageons au long cours. – C'est le port où vous allez revenir après votre croisière. – (restons calmes) Et bien, nous n'avons pas prévu de date de retour, justement parce que nous avons un bateau et que nous voyageons loin. – Ah oui, mais vous naviguez sans revenir à votre port d'attache, je ne peux pas vous faire d'assurance, désolée. – Mais ? Je suis le seul à faire ce genre de demande ? (le doute me gagne) ; je suis bien au Service Maritime ? – Ne quittez pas , je vous mets en attente, je vais me renseigner..." Et hop la ligne est coupée pendant l'attente.

Assurance #6 - conseillère n°2 : Mêmes échanges avec le serveur vocal et la nouvelle conseillère, j'oriente assez vite la conversation : "– Est-ce que je suis bien au Service Maritime ? – Ne quittez pas je vais vous transférer..." Et hop, la ligne est coupée pendant le transfert d'appel, mais j'ai au moins appris qu'il existe bien un service spécialisé pour les bateaux.

Assurance #6 - conseillère n°3 : (mêmes échanges avec le serveur vocal et je demande tout de suite à parler au Service Maritime) : "– Un bateau oui bien sûr, quel est son port d'attache ? – (je ré-explique la notion de voyage au long cours) - Ne quittez pas, je vais consulter le service technique – Euh et si ça coupe ? – Si ça coupe, je vous rappelle 😀 ... – Allo ? oui, merci d'avoir patienté. Et bien il n'y a pas de notion de port d'attache, c'est une erreur, il faut simplement que le bateau soit immatriculé en France (ouf !). Et ça coûterait donc xyz € par an pour une assurance mondiale – Ah mais très bien, c'est parfait, ça me convient. Savez-vous que vous êtes la première à me tenir ce discours depuis un an que j'essaie de souscrire chez vous ? – Oui, c'est un peu normal, parce que d'habitude les assurances bateaux, ça se fait plutôt en agence qu'au téléphone. – (moi, impitoyable) Justement, l'an dernier j'ai commencé par votre agence de Morlaix ; (carrément cruel) il est vrai qu'ils sont un peu loin de la mer ; cette conseillère m'a aussi expliqué qu'il fallait revenir à son port d'attache une fois par an. Donc je pense qu'il y a vraiment un problème de communication dans votre réseau. Mais bon, très bien, vous pouvez m'envoyer le devis et l'offre ? – Oui bien sûr, je l'enregistre et vous la recevrez par mail dans cinq minutes. – Merci, super ! au revoir."

Une heure plus tard, je n'ai toujours pas reçu le devis dans mes mails. Je rappelle le serveur vocal, on se connaît bien maintenant. Après la touche 4, je lui dit qu'il fait un boulot formidable. "– Désolé, je n'ai pas compris votre réponse." Je laisse tomber et reprends le fil normal. Imperturbable, il me passe un conseiller.

Assurance #6 - conseiller n°4 : "– Oui, je vois très bien votre devis (ouf !), mais on ne peut pas transmettre ce devis par mail, il doit sûrement apparaître dans votre Espace Client. – OK, on reste en ligne et je me connecte immédiatement... Désolé non, il n'est pas dans mon espace. Il est écrit ‘Aucun devis‘. – Ne quittez pas, je demande au technicien... Allo, oui, en fait c'est normal, les devis pour bateaux sont faits avec un ancien logiciel, genre Minitel, qui n'est pas connecté au reste du système. Donc j'ai demandé au technicien, qui va régler ça dès que possible, demain ou lundi prochain.

Lundi matin, je reçois un SMS qui m'indique qu'il y a un devis dans mon Espace Client. Je frétille de joie, je me connecte. Rien ! nada ! Je rappelle le service client.

Assurance #6 - conseillère n°5 : "– Non, c'est impossible de vous transmettre ce devis de manière électronique." Coupé !

Assurance #6 - conseillère n°6 : explication du contexte... Coupé !

Assurance #6 - conseillère n°7 : "– Passez-moi le Service maritime. – Oui, ne quittez pas (...)

Assurance #6 - conseiller n°8 : – Bonjour Monsieur – (explications...) – Un devis pour quoi ? – Un bateau – Ah mais je vous arrête tout de suite, ici c'est le service des assurances Santé (¡ pfff !). Si vous voulez assurer un bateau, demandez ‘Auto‘ ; auto, moto, bateau, c'est le même. Je vous repasse le standard.

Assurance #6 : serveur vocal ... ‘je voudrais un devis Auto‘ ... conseiller n°9 (Aurélien) : "– Oui, c'est normal, on ne peut pas transmettre les devis de bateaux, mais patientez en ligne, je vais demander. – Euh mais ça fait plusieurs fois que ça coupe. – Ne vous inquiétez pas, j'ai votre numéro, je vous rappelle. (...) – Allo, vous êtes là ? – Mais oui, je vous écoute. – Je vais vous l'envoyer par mail. – Ah bon ? – Oui, en fait c'était une fonction que je ne connaissais pas moi non plus, mais c'est très simple à faire. Je vous l'envoie immédiatement. – Alors je vous donne aussi un deuxième adresse mail, parce qu'on ne sait jamais avec Free si ça va bien arriver. Et je vous félicite, vous êtes le neuvième conseiller en ligne et le seul qui y soit parvenu."

Bon, le mail arrive quelques dizaines de minutes plus tard, mais il ne contient pas le devis, seulement les conditions générales. On ne va pas renoncer si près du but ; je prends donc rendez-vous en agence, pas trop loin de mon domicile mais avec un créneau disponible le jour-même.

Assurance #6 - conseillère n°10 (Frédérique, in vivo) : Avant de passer au devis, cette charmante personne vérifie que tout mon dossier client est bien à jour, puis passe en revue avec moi les clauses générales (48 pages quand même). Elle répond à mes questions et vérifie par téléphone. "On fait rarement des assurance de bateaux, ça me fait réviser ; oui, on vous assure bien tout autour du monde (!) ; oui, les voiles sont bien incluses, malgré la phrase ambigüe ; oui, vous pouvez partir plus d'un an, c'est pour la clause d'Assistance personnelle que le Bénéficiaire doit revenir en France, question de nous garantir qu'il prend un minimum soin de sa santé (les dents !). Bon, passons au devis. Non, si vous n'avez pas de biens personnels très chers, ce n'est pas la peine de prendre cette option. Non, ce montant-là, c'est s'il fallait rapatrier le corps par exemple. Oui, je vous l'imprime immédiatement." Ce sont des paroles de miel que distille cette délicieuse personne. Nous parlons voyages, temps libre. Elle m'indique qu'elle a une vie sociale très riche depuis qu'elle a divorcé. Je lui donne illico l'adresse du Temple du Swing, qu'elle note avec soin. Et je repars avec un devis !

</fin/Gros paragraphe de digression>

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Back to shipyard

6 octobre 2023

De retour au chantier à Madère, nous découvrons la nouvelle robe rouge de Tusitala. Les travaux d'anti-fouling ont bien eu lieu en notre absence, ce qui dénote le sérieux de ce chantier. De même que les réparations des accrocs de peinture au-dessus de la flottaison et le joint Spi de l'embase.

Coque impeccable
Embase avec des joints Spi neufs
Les vieux joints Spi, un peu fissurés mais pas trop

Le nouveau gréement a également été livré. Celui de la trinquette arrivera plus tard. On complètera l'installation à Quinta do Lorde. J'observe notre maître-gréeur Olivier passer soigneusement les haubans et remonter l'enrouleur de génois.

La priorité de la semaine est de finir la préparation du mât. Les connexions électriques intérieures sont faites à base de Wago. Je préfère mettre des cosses serties étanches, qui vieilliront sans doute mieux dans ce milieu humide. Avant de refermer les capots, je pulvérise de la bombe "Contact".

Je reçois la nouvelle girouette B&G, je la teste "en pendouille" dans le cockpit. Tout fonctionne ! Faut-il s'esbaudir que des équipements de marques différentes ayant adopté le même standard de communication veuillent bien dialoguer harmonieusement ? Oui, on peut ; ça aurait pu être pire. La réjouissance sera tout de même atténuée par le fait que le connecteurs B&G de dorsale NMEA a une orientation mécanique à 45° par rapport à celui de Garmin. Ils se connectent bien, mais on ne peut pas les fixer à plat. Je cherche à comprendre lequel est non-conforme au standard ; au fond d'une boîte je trouve un ancien raccord Amphénol et il a bien la même orientation que le B&G ; il semble donc que ce soit Garmin, une fois de plus l'américain, qui ait jugé utile de mettre son détrompeur à un angle différent (WTF ?) ; j'installe un petit bout de câble de dorsale fourni par Olivier, ce qui permet de séparer la ribambelle des connecteurs Garmin du nouveau ; du coup l'ensemble se monte à plat sur l'étagère de l'équipet qui accueille tous les raccordements électriques et en particulier le bus de communication NMEA 2000. Problème de compatibilité résolu, mais au prix de un ou deux jours de boulot. Je comprends que les professionnels préfèrent recommander : "Monsieur, il faut tout remplacer", plutôt que de passer des heures à se plonger dans ces problèmes labyrinthiques.

Standard : ça se connecte mais ne se monte pas à plat !

Au passage, nous avons perdu l'information de pression barométrique, parce que la nouvelle girouette ne fournit pas cette information. Ce problème, je ne l'avais pas vu venir. Il faudra donc acheter un nouvel équipement, petit par la taille, sinon par le prix. En attendant, le téléphone portable fournira la pression barométrique.

Ensuite nous passons plusieurs heures à tenter de passer le nouveau câble de la girouette au milieu de la goulotte qui contient les anciens. Pas facile. Il y a trop d'antennes en tête de mât, la goulotte est pleine. On risque d'abimer le nouveau câble si on force le passage. Un changement d'apparence facile devient un problème compliqué.

L'enveloppe plastique de la petite antenne est fissurée, mais la partie radioélectrique a l'air intacte. Vu que ça fonctionnait bien comme ça, je me contente de bourrer du Sika dans l'enveloppe plastique pour restaurer l'étanchéité. Cela limite les frais.

Mais pourquoi donc le constructeur en est-il arrivé à installer trois antennes : deux grandes (type VHF, longueur 1,2m, gain 6dB environ) et une petite (3dB). Juste parce que c'était plus facile à installer ? Juste parce que c'était inclus dans le pack avec les équipements ? Olivier, qui a l'expérience de la course au large, me dit que sur les bateaux de course il n'y a qu'une antenne avec un splitter ; c'est moins lourd et aussi fiable. Je réfléchis encore. C'est toujours un crève-coeur de supprimer quelque chose qui fonctionnait. Je consulte les forums, peu d'information claire, voire des contradictoires. Telles qu'elles étaient montées, l'une connectée à la radio VHF, l'autre à l'AIS et les deux fixées côte-à-côte à trente centimètres l'une de l'autre, c'est une très mauvaise solution. Quand la radio VHF émet 25W, l'autre antenne, celle de l'AIS est aux premières loges pour recevoir plein pot la puissance de ce signal pour laquelle le récepteur AIS n'est pas fait.

Toutes mes certitudes s'effondrent lorsque je constate que l'AIS était émis via la toute petite antenne. Encore un moment "WTF" (*). Alors plus d'hésitation, on simplifie tout ça. Il faudra un câble de raccord (prises PL ou UHF) pour aller de la VHF à l'AIS et les deux utiliseront la même antenne, qui sera mieux adaptée à la fréquence de l'AIS (161,9 - 162,025 MHz), très proche de celle de la VHF (156,25 - 157,425 MHz en émission et 157,425 - 162 MHz en réception). L'installation d'origine était doublement absurde. Par suite de la suppression de deux câbles radio, la goulotte est maintenant suffisamment large et le câble de la girouette passe facilement. Je passe quand même deux fins messagers textiles, on ne sait jamais. Il faut donc utiliser un splitter qui va aiguiller les deux signaux vers une seule antenne (il mélange les signaux émis et sépare les signaux reçus). Je relis toute la documentation du boîtier AIS, qui contient justement un splitter. Ce serait bien pour la VHF et l'AIS mais nous n'aurions plus de réception FM, à moins d'ajouter un splitter triple, qui nous sortirait le signal FM en réception. Soit quelques billets de cent euros supplémentaires. Est-ce si important ? Je trouverai bien une solution pour recevoir la radio FM. Quelques soudures en perspective, remises à plus tard. Pour aller du chantier à la marina de Quinta, il suffit d'avoir une VHF opérationnelle.

(*) WTF : "What the fuck ?", que l'on peut traduire par : "A quel esprit retors doit-on ce baroque aménagement ?"


Puis, nous finalisons le remplacement des 300 billes des chariots de grand-voile. Au fur et à mesure du remplacement, nous constatons avec plaisir qu'ils glissent beaucoup mieux. Au prix de chaque bille, nous aurions bien aimé pouvoir trier les billes défectueuses. Nous les avons lessivées et dégraissées à l'acétone, rien n'y fait, ça grenaille toujours. Pas trouvé de moyen de trier : à l'oeil et même au pied à coulisse, on ne trouve pas d'écart entre elles. Il doit bien y en avoir puisque le remplacement par des neuves produit une amélioration spectaculaire.


Dimanche 8 octobre 2023

Dimanche c'est vacances ! Heureusement que le chantier ferme le dimanche, ce qui nous oblige à lever la tête. Nous allons enfin randonner à la Ponta de São Lourenço. Depuis 2021 où nous sommes passés pour la première fois à Madère avec Mahina, un autre bateau, nous savons que cette balade qui passe sur les crètes de la longue pointe de rochers est magnifique. Aujourd'hui nous allons en profiter ; enfin. Beaucoup de touristes ont eu la même idée, certains débarqués par cars entiers. Nous les croisons sur le retour.

Douce ambiance de Sante Cruz
Vers la Ponta de São Lourenço

09 octobre 2023

C'est le jour où nous parvenons à faire rendre gorge à la résistance du ballon d'eau chaude, qui nous résiste (dans tous les sens du terme) depuis l'an dernier ! Plusieurs mois que nos persévérons pour tenter de la démonter (sans tout casser), avec diverses clés à mollette ou autres clés de plombier, qui n'entrent pas dans l'alvéole. Maintenant que nous sommes au sec, que le matelas de la cabine est sur la tranche et que nous nous sommes procurés sur Amazon la grosse douille de 55mm nécessaire au démontage (utilisée par les mécaniciens auto), nous avons les coudées franches pour lancer ce chantier humide. Grâce à la douille, la résistance finit par "venir". J'exulte ! Pas si sale que ça, mais des concrétions calcaires et organiques semblent court-circuiter le barreau de cuivre et la masse. Et l'anode a complètement disparu. On nettoie, on détartre, on en profite pour nettoyer toute la cuve du ballon, on sèche, on graisse un peu le pas de vis, et on remonte le tout ; ça prend plusieurs jours. On conjoncte le courant (220V du secteur) ; suspens ... l'eau devient chaude, nous ne sommes pas loin de fêter victoire, mais non, le disjoncteur du bateau saute encore au bout de vingt minutes. Le nettoyage n'a pas suffi à régler le problème. Il faudra donc acheter une résistance et un thermostat neufs. Au moins nous avons progressé dans le diagnostic et l'intervention. Mais le chemin est encore long. La résistance est évidemment disponible sur Internet, mais faire livrer dans les îles est un chemin de croix. On le laisse donc le tout monté et débranché. Il n'y aura pas d'eau chaude pour les prochaines croisières.

Résistance chauffante

Comme nous menons en parallèle plusieurs tâches, l'intérieur et les abords du bateau sont un capharnaüm quotidien. Vers dix-sept heures, nous entamons un compte à rebours pour parvenir à rentrer les outils à l'heure de la fermeture et éviter de laisser traîner tuyaux, fils électriques, pièces mécaniques, produits d'entretien et outils pendant la nuit.

Nous apprécions les soirées à Santa Cruz, bien que nos yeux soient généralement pressés d'aller dormir. Heureusement que Liliane pense à photographier des fleurs et des paysages. Je suis en permanence la tête dans ma liste de travaux qui avance très lentement.

Capharnaüm
Pluie de fleurs


Vendredi 13 octobre 2023

C'est fou tout ce qu'on doit fixer sur un mât. Galhaubans, bas-haubans, inters, bastaques, pataras, cage à réas, antenne, girouette Windex, girouette G&G... Avec en permanence l'idée que tout doit rester bien fixé malgré les secousses, l'eau, le vent et parfois le sable et le sel. Si possible pour les dix prochaines années.

Le jour arrive où le mât est fin prêt (sauf l'enrouleur de trinquette, d'accord). Les bastaques et le pataras neufs prennent place sur le mât.

Fixation des barres de flèche
Passage des galhaubans
Coquille des bas-haubans
Bastaques neuves
Pataras neuf
Girouette B&G
Pataras à poste
La bastaque tribord
Girouette Windex
Détail fixation câble antenne VHF

Sur la coque, nous installons les beaux ridoirs BSI neufs et tout brillants. De magnifiques pièces en inox 316. Prêts à recevoir les haubans.

Nonobstant la date de ce jour, la grue est convoquée et le mâtage se passe bien. Ça fait peur de voir le mât de balader à quelques centimètres du pont, le haut flottant entre les piliers de la cathédrale de béton. Olivier se charge de serrer provisoirement les haubans, juste pour pouvoir remettre à l'eau et nous rendre au moteur à la marina.

La ferveur populaire n'est pas un vain mot au Portugal

Il faut encore recâbler à l'intérieur du bateau les connexions des fils venant du mât (antennes, feux de tête et de hune). Un long moment à crapahuter à quatre pattes dans les fonds et les équipets. Liliane part au fond du parking avec la VHF portable pour un essai de communication concluant. Je vérifie que le site MarineTraffic a bien reçu notre signal AIS. Tout fonctionne.

Opération câblage

Liliane et moi passons encore quelques jours à tout nettoyer, ranger, remettre le bateau en état de navigation.

15 octobre 2023

Encore un agréable dimanche à explorer quelques recoins de Madère. Il reste une zone où sont encore entretenues des maisons traditionnelles en toit de chaume. Evidemment fort agrémentées pour l'aspect photogénique. On imagine que la vie quotidienne paysanne y était moins glamour.

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Retour à l'eau

16 octobre 2023

La mise à l'eau et le départ du chantier se font malheureusement un jour de grand vent de travers. Malgré ma demande, les professionnels du chantier ne veulent pas nous amarrer côté au vent du portique. Nous glissons donc lentement le long du quai sous le vent, la coque protégée de notre mieux par les pare-battages. Pas moyen d'écarter l'avant, car le bassin est assez étroit. Avec les mouvements de balancement, un chandelier accroche et la vis de fixation casse net.

Santa Cruz au petit matin
Dernier coup d'anti-fouling sur les quilles
Lift off ...
... and splash

Le trajet dans la houle au moteur nous laisse un souvenir désagréable. Avec vingt-cinq nœuds qui poussent à l'arrière, nous sommes à 8 nœuds. Nous sommes soulagés de nous amarrer à Quinta do Lorde. La marina est pleine car plusieurs dépressions sont annoncées.

Approche bienvenue de Quinta do Lorde

Toutes ces menues misères ne doivent pas masquer que nous vivons dans un monde de beauté. Où que nous soyons, la mer omniprésente nous offre des paysages qui remboursent les vingt ans de ligne 13 quotidienne du métro, laideur tellement absolue qu'elle en pourrait devenir un objet de curiosité et d'investigation des Beaux-Arts. Au chantier à sec, sous les pistes de l'aéroport, nous entamions notre journée avec la vue des Ilhas Desertas vers le sud, plus ou moins embrumées, plus ou moins éclairées ; de la fenêtre de nos logements successifs et sur la route du chantier le matin, il y avait toujours un coin de mer ou de la Ponta de São Lourenço vers l'est ; et perpétuellement la vue des falaises et des collines qui surplombent la route du bord de mer.

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Poursuite du chantier à Quinta do Lorde

18 octobre 2023

Olivier vient installer l'enrouleur de trinquette et son étai neuf, puis finalise les réglages des tensions de haubans. C'est le premier gréeur que je vois opérer avec un tensiomètre, un vrai appareil de mesure. Les autres font ça au doigt mouillé ; un doigt d'expert, certes. J'en profite pour accumuler tout ce que je peux de son savoir, qu'il prodigue avec générosité.

Monter l'enrouleur de trinquette
Régler la tension du gréement

Je découvre le plaisir de sentir Tusitala redevenir un voilier opérationnel, comme une sortie de convalescence. J'installe les pataras, les bastaques, les drisses. Si je n'étais conscient du biais de projection anthropomorphique, je dirais qu'il trépigne d'impatience et nous remercie chaleureusement de restaurer ses plus beaux atours. J'apprécie de sentir la tension de ses galhaubans quand je m'y tiens, comme une forte et franche poignée de main qu'il me donne quand je monte à bord.

20 octobre 2023

C'est l'anniversaire de notre départ de Roscoff. Un an de pérégrinations différentes du plan initial, mais pleines de découvertes de paysages, de rencontres... et de doutes aussi.

Le week-end interrompt les travaux, d'abord parce qu'aucune boutique n'est ouverte, et surtout parce qu'un coup de vent est annoncé. Ce samedi matin, tous les bateaux sont agités de fébrilité. Les équipages doublent les amarres, ajoutent les amortisseurs, lovent tous les bouts, rangent tout ce qui est amovible, sanglent les équipements de pont, zippent les tauds et les lazy bags ; certains passent même de nouvelles amarres carrément d'un ponton à l'autre en travers du chenal.

Le coup de vent vient vite. La dépression est juste entre les Açores et Madère. Nous sommes aux premières loges pour le vent d'ouest. Conforme aux prévisions et aux cours météo : premier front, pluie, soleil... deuxième front, rafales et averses toute la nuit... puis calme irréel au petit matin. Il faisait cinquante nœuds dans la nuit sur certains bateaux. Sur Tusitala plutôt bien calé près de la falaise, nous n'avons pas vu plus de trente-cinq. Un ponton a quand même cassé tout au bout. Le personnel de la marina intervient rapidement pour réparer ça.

Anniversaire de notre départ de Roscoff

23 octobre 2023

Nous nous attaquons maintenant au gréement courant. Nous envisageons de changer certaines manœuvres, qui portent des traces d'usures. De plus, toutes les drisses et certaines bosses de ris sont en diamètre douze millimètres, ce qui est énorme pour un bateau de cette taille. Elles nous ont fait suer, au sens propre. C'est l'héritage du slogan "trop fort n'a jamais manqué" que l'on trouve entre autres dans le Cours des Glénans. Certes, ça ne rompt pas, mais les frottements rendent toutes les manœuvres inutilement difficiles. Ça frotte, ça rague, ça force dans les réas, les coinceurs et les poulies. Il y a bien longtemps qu'on remplace tout ces cordages inutilement sur-dimensionnés par du plus petit en Dyneema. Dans le principe, nous sommes partants. Mais vu le prix au mètre du Dyneema, nous allons migrer progressivement vers ces nouveaux textiles, après mûre réflexion et discussion avec Liliane. La drisse la plus manœuvrée est certainement celle de grand-voile, qu'on n'arrête pas de hisser et affaler à chaque entrée ou sortie de port, ainsi que pour prendre ou relâcher un ris. Nous remplaçons donc les trente-quatre mètres de l'ancienne de 12mm en polyester, dont la gaine est raide et râpée, et la couleur affadie sous l'effet des UV, par une neuve en Dyneema gainé de diamètre 10mm. Elle est rose fuchia et bien souple sous les doigts. Après installation, nous nous empressons de la tester. Ajouté au changement des billes de chariots, c'est avec l'aisance d'un jeune équipage que nous l'envoyons à la volée. Nous testons aussi l'affalage rapide ; elle descend seule et entièrement en cinq secondes, ce qui constitue un gage de sécurité s'il fallait l'affaler précipitamment en navigation. On termine proprement les extrémités avec des ligatures cousues et un beau nœud de capucin côté manille de têtière. Ce nœud élégant a le mérite d'être très compact et de moins fragiliser le cordage qu'un nœud de chaise par exemple.

Nous passons ensuite aux ris. Même logique : le diamètre 10mm en polyester devient du 8mm en Dyneema. Un ris, fastoche ! Deux ris, tranquille ! Troisième ris : nous décidons qu'il restera en pied de mât et en bout de bôme, disponible mais pas gréé sur la grand-voile. Cela évite d'avoir encore vingt-deux mètres de cordage à hisser. Si on devait prendre le troisième ris, de toutes façons, il y aurait de la préparation en pied de mât, il n'est pas automatique.

Aux points d'écoute de chaque ris, la bosse est maintenue par un anneau qui coulisse sous la bôme. Lorsqu'on étarque le ris, cet anneau a tendance à trop avancer et la bordure de la voile est trop creuse, ce qui est d'autant plus préjudiciable que lorsqu'on prend un ris, c'est qu'il y a beaucoup de vent et on a donc besoin d'une voile bien plate. Pour éviter ce défaut il faut maintenir les anneaux à leur place soit en les rivetant, soit en les retenant à l'aide de trois petites estropes en Dyneema (une pour chaque ris). La solution des rivets a l'inconvénient d'être trop définitive, on peut vouloir changer le réglage. Je prépare donc la solution des petits bouts de Dyneema, qu'il faudra ajuster en mer. C'est une satisfaction parce que ça fait au moins dix mois que cette action est notée dans la todolist (depuis La Gomera).

Des ligatures et de beaux nœuds terminent une journée bien remplie.

Que faire des anciens bouts ? Les jeter nous dérange vraiment. La partie non usée de l'ancienne drisse de GV ira remplacer la bosse de bordure de GV. L'ancien ris numéro 1 ira remplacer le vieux bout d'amarrage de l'annexe, tout rapé et usé. L'ancien ris 2 pourra servir de rechange d'écoutes de nos voiles d'avant.

Les nouveaux éléments de la garde-robe de Tusitala font bel effet, avec leurs couleurs chatoyantes et leur cure d'amincissement.

24 octobre 2023

Au tour des voiles d'avant, génois et trinquette. Pour compléter la qualité de la rénovation, nous suivons le conseil d'Olivier (lors de notre passage en février) d'ajouter un transfilage (en Anglais, un "lashing") sous l'émerillon, pour qu'il monte plus haut et que l'angle de tire de la drisse soit plus ouvert. Cela évite tout risque qu'une drisse aille s'enrouler autour de l'enrouleur et le bloque. Pas facile de déterminer la bonne longueur. Nous nous y reprenons à trois fois. C'est à dire qu'on hisse quatre fois cette lourde voile. Oui René, je sais, ce serait plus facile avec un winch électrique. Je sais. Mais bon on y arrive avec Liliane qui guide la ralingue et une astuce : mettre de la graisse silicone le long de la ralingue pour que ça glisse mieux dans la rainure.

Ensuite la trinquette, que nous réussissons en deux hissages seulement.

26 octobre 2023

Les vieux bouts prennent la direction de la sortie, histoire de faire de la place. Nous en gardons seulement quelques portions en bon état qui étaient dans le mât ou la bôme à l'abri des UV. Liliane les lessive soigneusement, un jus noir en sort, après dix ans de service (des champignons, des algues, de la poussière...)

Le patron du chantier à qui nous avions confié le chandelier cassé nous le rapporte, ressoudé et brillant comme neuf. Il a juste raccourci de 1 mm à cause du trait de scie er il faudra ajouter une rondelle. Il récupère les vieux bouts, "ça sert toujours à fixer des choses sur le chantier", dit-il dans un Français parfait. Olivier aussi en récupère quelques uns. "Je les donne à mes voisins, ça sert à attacher les chèvres".

C'est le jour de la rénovation du circuit de gaz butane. Il n'est pas si facile que ça de se procurer à Madère des tuyaux IGT1/DIN4815-2/EN16436-1, c'est à dire des tuyaux certifiés gaz, avec des embouts sertis à jonctions sphéro-coniques (JSC, norme NF E 29-536). Nous les avons donc approvisionnés lors de notre passage à Paris. Un long moment de doute m'envahit lorsque je les sors de leur sachet. Pas de joint. Pas de joint ? Internet, vite ! Rien. Aucun des fournisseurs ne les propose. Même pas dans l'encart "d'autres clients ont aussi acheté..." Je consulte les canaux voileux de WhatsApps. Réponses mitigées. Radio ponton des bateaux voisins : "Euh... justement il faudrait aussi qu'on change nos tuyaux, vous nous direz..." Retour penaud au bateau, je croise à nouveau le patron du chantier. Il est formel : les raccords olive se montent sans joint souple, métal sur métal et sans colle. Sur sa grue, il y a des centaines de bar de pression hydraulique dans les tuyaux et c'est étanche comme ça. Bon, le butane, ce n'est pas tout à fait comme l'hydraulique d'une grue, mais allons-y. Après montage des quatre jonctions JSC (vous suivez ?), j'ouvre les vannes de la bouteille Butagaz, je renifle bien partout, Liliane aussi, avec son flair de limier Saint-Hubert ; je mets de l'eau savonneuse sur les tuyaux, pas de bulles. On croise les doigts. Tout fonctionne, la gazinière peut reprendre du service (depuis plusieurs semaines, nous utilisons une petite plaque vitrocéramique à un feu pas chère, branchée sur l'électricité du ponton).

On coche : rénovation installation gaz - FAIT.

On est loin d'avoir terminé la todo list.

27 octobre 2023

Préparation des travaux du week-end qui annonce 100% de pluie. Nous achetons de quoi faire du matelotage.

Puis je m'attaque au hale-bas rigide. La mécanique est un piston doté d'un ressort qui pousse vers le haut la bôme pour la faire tenir en place au repos. Souvent, ça ne suffit pas et il faut utiliser la balancine, comme au bon vieux temps. Aussi loin que je me souvienne, je l'ai toujours entendu grincer. Au point que dans le petit temps, lorsque le bateau balance d'un bord sur l'autre, je le souquais plus que nécessaire, juste pour faire cesser ce bruit désagréable. Il n'est plus question de différer ce travail. J'avais déjà mollement tenté de le démonter, mais je n'avais pas osé forcer pour extraire le piston. En fait, il suffit de tirer et de vaincre les (dix) années de graisse figée, de sel et de poussières.

J'y passe plusieurs heures étalées sur plusieurs jours. Dégraisser, gratter, désoxyder à l'acide, passer au papier de verre... Olivier m'avait prédit un ressort rouillé irrécupérable. Étonnamment, c'est un ressort en inox et il ressort tout brillant du traitement.

Je le remonte en enduisant toutes les pièces mobiles avec générosité de graisse au silicone, celle qui craint le moins le passage de l'eau. Je le remets en place et sans réelle surprise, il est devenu silencieux comme un chat.

28 octobre 2023

Je replace le chandelier réparé. L'alignement avec la rondelle qui compense le trait de scie est presque parfait. C'est au moment de coller le tout avec du joint silicone transparent (Tikal® clear 10) que je constate que le produit est devenu trop pâteux dans la cartouche déjà entamée pour être utilisable. Je tente celle de Sika® : même constat. Celle pour les joints sanitaires intérieurs : idem. Finalement trois tubes prennent la direction de la poubelle de recyclage. C'est désolant qu'il n'existe pas de petit format pour tous les produits. Au fond de la caisse de produits, je trouve un petit tube de Sika 591 utilisable. L'inconvénient de ce produit est qu'il est blanc et que les coulures se voient. Mais je m'applique à les nettoyer soigneusement à l'alcool. Même Liliane est impressionnée... Quelques contorsions sont nécessaires pour aller revisser le chandelier sous le pont dans le caisson des branchements électriques. Je peste contre le concepteur. Il n'a pas beaucoup pensé au passage des outils. Il faut une clé à tube longue ainsi qu'une plate pour arriver à visser correctement les deux écrous pourtant identiques. Deux écrous, deux outils, on est loin des contraintes de conception en vigueur dans l'aéronautique. Heureusement, c'est du diamètre 13 et justement j'ai tous les modèles de clés dans ce diamètre. Pour les candidats au voyage, n'oubliez pas les clés de diamètres 10, 13 et 17 mm. La 14 pour les borniers électriques de gros calibre. Et juste pour l'hélice Volvo, la 15 !

Vivre et laisser coller

29 octobre 2023

Journée pluie et matelotage des anciens bouts que l'on a conservés. Même sur les manœuvres qui étaient à poste, il manquait plusieurs ligatures. Parfois le bout s'effilochait un peu. Ce travail était noté "à faire", mais reporté souvent. Cette fois-ci, pas d'excuses. Il y en a une vingtaine au total que je fais en séquence à la table à carte. Ce travail détend l'esprit autant qu'il agresse les mains. Je m'en tire avec seulement deux trous d'aiguille dans la peau.

L'écoute de GV, propre et aux belles terminaisons ligaturées reprend sa place. Tusitala est de plus en plus proche d'un voilier opérationnel.

31 octobre 2023

Comme nous savons que nous allons bientôt passer un temps indéterminé à Nice, je prépare des paniers de commandes pour les faire livrer directement chez ma mère. Il faut jongler avec les fournisseurs et leurs solutions de livraisons ; DHL, Chronopost, à domicile, en point relais... en espérant qu'aucune livraison ne va nous obliger à rester sur place au-delà du temps qui nous sera nécessaire pour mener à bien nos affaires familiales.

Graisser les ridoirs des filières à la vaseline, installer les protections contre le ragage des haubans et régler les tensions.

Amélioration de l'ouverture des mousquetons de coupées : Liliane trouvait à juste titre que les mousquetons d'ouverture des coupées lui résistaient parfois, toujours au mauvais moment, dans les entrées de port, précisément quand il faut être prêt à bondir sur le ponton pour arrêter le bateau au taquet. Aujourd'hui, je graisse donc ces mousquetons et je règle la tension des filières pour que tout s'ouvre comme à la parade, avec deux doigts. Travail simple, mais chronophage.


1er novembre 2023

Exercice : monter au mât pour rectifier la position du réflecteur radar. Ça fait plusieurs jours que nous nous disons que c'est le moment, lorsque l'air et sec et calme. J'avais fixé le réflecteur radar au galhauban, côté intérieur du gréement, au chantier lorsque le mât était encore à l'horizontale. Très facile comme ça. Et puis au moment où la grue a soulevé le mât à la verticale, le réflecteur a fait un demi-tour autour du hauban et il est donc venu se mettre à l'extérieur. Rien de grave en soi, mais si une voile (au hasard, un spi) vient s'y frotter, il y a un risque sérieux qu'elle se déchire sur une aspérité. Il faut donc monter le remettre côté intérieur et faire en sorte qu'il y reste.

J'ai la mauvaise idée de vouloir changer ma méthode de grimpe, alors que la nouvelle drisse est d'un diamètre différent de l'habituel. Au lieu de tirer l'ascendeur Lov-2 par un bout autour du cou, j'envisage de le tirer par une poulie fixée au bloqueur manipulé par la main droite. De plus, je suis convenu avec Liliane qu'on simplifie l'assurance, en supprimant la deuxième drisse dont elle reprenait le mou. Deux drisses, c'est fort compliqué et encombrant. En effet, comme la drisse de GV est neuve et qu'elle reste statique, fixée au bloqueur par un nœud, il n'est pas nécessaire d'en ajouter une seconde. On discute juste de la méthode pour me redescendre au winch dans le cas où je resterais coincé et inconscient (cas déjà rencontré sur d'autres bateaux).

Trois changements le même jour, c'est ambitieux. Je commence l'ascension, péniblement. A chaque fois que je me hisse sur la pédale, le bloqueur ne monte que de dix centimètres à chaque fois, il ne tient pas tout seul en attendant que j'y mette mon poids, parce que la drisse est plus fine qu'antérieurement. Je fatigue inutilement. Echec. Au bout de quelques mètres, je renonce, je redescends et je grée le système de montée comme les fois précédentes. Avec la nouvelle drisse, d'un diamètre de dix au lieu de douze, ça monte effectivement mieux. On ne s'emmêle plus les pinceaux avec deux drisses. J'arrive vite à la deuxième barre de flèche. J'ajoute un collier plastique autour du réflecteur pour l'empêcher de tourner et je peux redescendre. Alors, je me régale de la descente facile avec le Lov-2 en mode descente.

Le même jour commence une autre tâche d'entretien : la vérification de toutes les filières, le réglage de leur tension, la vérification des goupilles, le graissage des pas de vis à la vaseline et l'enrubannage de ces fixations, pour éviter qu'une voile ou une amarre ne vienne s'y égratigner. Travail facile, long et un peu fastidieux, mais tellement important pour la sécurité. Cela prendra plusieurs jours pour en venir à bout.

2 novembre 2023

C'est comme une jour de relâche des travaux. Nous avons réservé une voiture de location que le loueur nous apporte au matin sur le quai de la marina. Formalités rapides et nous partons faire les courses de nourriture pour au moins une semaine, dans la perspective d'un départ vers les Canaries.

Au passage, nous faisons une petite incursion chez le shipchandler Madeira Nautica à Cancela, près de Funchal pour nous procurer la buse de sortie d'air de la ventilation soute moteur. J'avais démonté cette pièce fissurée pour être sûr d'acheter exactement le même modèle. Ouf, la pièce est la bonne et disponible en stock.

Ensuite, c'est une grande demi-journée de week-end, que nous passons au Jardim do Monte. Superbe moment paisible au milieu des espèces tropicales, des flamands roses et des cascades alimentées par d'authentiques levadas.

3 novembre 2023

Journée ensoleillée et sèche, idéale pour des travaux extérieurs : changement de la buse de sortie d'air de la ventilation de la soute moteur.

Il faut d'abord gratter le vieux joint d'étanchéité, du dehors et en dedans, couché au fond du coffre de cockpit, dégraisser à l'acétone à la fois le support et la pièce neuve, laisser sécher, préparer les outils de collage, encoller au Sika 591, positionner la pièce sans en mettre de partout, visser délicatement, nettoyer les débordements à l'alcool, retourner au fond du coffre pour jointer correctement le pourtour intérieur, faire disparaître toute trace visible de Sika.

Une journée pour ça ? Non, il faut inclure une plongée sous le bateau pour aller récupérer un rouleau de scotch. Pas question de l'abandonner, Nous ne savons pas (à ce moment) quand on aura encore l'occasion de faire des achats. La marina de Quinta do Lorde est vraiment isolée. Et puis on ne va pas laisser du plastique traîner au fond du port.

Buse de sortie de l'extracteur d'air de la soute moteur
A la recherche du scotch noir

Et souvent, je passe du temps à concevoir les travaux des prochains jours, dont la liste est en permanence sur la table à carte. Liste sous forme papier plutôt qu'électronique, parce qu'il est plus jouissif de rayer la tâche faite au stylo que de la cocher dans un téléphone portable. Old school indeed !

Depuis quelques jours nous savons que nous allons devoir faire un aller-retour à Nice pour assister mon père âgé dans son déménagement. Cela permet de caler nos activités restantes et de réfléchir à les suites des navigations. Initialement nous pensions aller aux Canaries avant ce déménagement. Mais les évènements se sont précipités et cela cadre avec le fait qu'il est très difficile d'avoir une place aux Canaries en cette saison, à cause des nombreux rallies qui débarquent (littéralement) en groupe de quarante bateaux et retiennent toutes les marinas un an à l'avance. Cela cadre aussi avec les travaux qui ne sont pas terminés. Du moins les tâches de priorité 2 et 3. La priorité 1 était ce qu'il fallait absolument faire avant de partir aux Canaries. A ce jour, il ne reste que trois tâches de priorité 1, c'est le guindeau, le gainage de protection de la nouvelle drisse et des nouvelles bosses de ris, et la sécurité des portes des cabines. La priorité 2 est ce qu'il faut faire, mais qui n'empêcherait pas de partir aux Canaries. Et la priorité 3 est ce qu'on a envie de faire, mais qui peut se différer sans conséquences (autre que la frustration...). Un petit doute aussi sur le ralenti du moteur, qui n'a pas l'air bien calé pour démarrer correctement à froid.

Comme nous avons l'impression que le gros des travaux est passé avec succès, nous commençons à être plus détendus dans nos journées. D'ailleurs, nous ne mettons plus de réveille-matin depuis quelques jours.

4 novembre 2023

Journée de menuiserie intérieure. Nous voulions ajouter un tasseau dans la soute pour maintenir séparément deux rangées de boîtes de rangement. Une journée pour ça ? Oui, parce que je tiens à ce que le tasseau soit démontable et que l'implantation fixe soit minimale, soit un seul trou pour une seule vis et un peu de colle. Précisons également que le tasseau en bois dur a été récupéré dans une décharge et qu'il n'a pas une épaisseur constante. Ça complique un peu. J'aurais aimé être ébéniste, manipuler un matériaux aussi sensuel que le bois et en faire émerger de belles et utiles formes (ce qui pour moi est le même objectif ; je vous prie d'excuser l'expression incontinente de ce classicisme ; j'apprécie marginalement l'art contemporain).

Au milieu de la caisse qui contient toutes les colles, il manque la colle à bois. Liliane accepte de bon gré d'aller la chercher au fond du coffre des "spares", tout à l'avant. Je suis content d'avoir emporté un bon étau et quelques outils de perçage. Evidement, malgré l'approvisionnement de plus de mille articles de visserie au départ de Roscoff, il manquera les deux vis qui auraient été parfaites : des vis à bois tête fraisée de 3x45mm. Je trouve une taille approchante, mais je trouve ça agaçant et je passerai une partie de la soirée à refaire l'inventaire de la visserie et à préparer une commande pour compléter la série. On pourrait croire à une forme d'intégrisme bricoleur, mais il s'agit bien de prudence, dans la mesure où, si notre voyage se poursuit comme prévu, nous devrions être bientôt encore plus éloignés des sources d'approvisionnements habituelles, et il faudra rester le plus autonomes possible.

Etabli de campagne

Le résultat du travail de "l'ébéniste" est encollé au jour déclinant et il faudra attendre demain pour pouvoir installer les caisses.

5 novembre 2023

Journée sympa à installer de nouvelles drisses de pavillon roses fluo. Une journée pour ça ? quasiment. Outre que je tiens à ce qu'il y ait le minimum de nœuds et que les pavillons puissent monter bien jusqu'en haut sous les barres de flèche, il faut tenir compte qu'il y a des pavillons de plusieurs tailles. J'en profite pour réaliser de petites estropes en Dyneema pour réaliser les deux drisses avec une seule bobine de garcette, tout juste. Le matelotage, j'aime ça et c'est joli. Inclus dans le temps passé, il faut compter la plongée sous le bateau pour tenter de récupérer un petit anneau Antal 07.05. Je le trouvais mignon cet anneau et il m'a échappé des mains. Et puis il n'est pas donné. Je n'ai pas réussi à le retrouver au milieu des cailloux et de la lumière pâlotte d'automne.

Une partie de la soirée est aussi mise à profit pour configurer le téléphone de Liliane et le nouveau mien pour communiquer avec l'équipement IridiumGO. Je bous, parce que l'application mobile Iridium Android est de très mauvaise facture ; ni fait, ni à faire. Elle ne supporte pas qu'on clique sur "Connecter" alors que le lien Wifi local avec l'équipement n'est pas encore établi. Et l'application vous le fait payer en refusant ensuite de vous connecter, même si le Wifi devient disponible. Il faut arriver à la "tuer" puis tout redémarrer dans l'ordre. Pas du tout opérationnel en cas de problème urgent à bord, dans la panique. C'est du travail de stagiaire mal managé ; "codée avec les pieds", comme on dit. Il faut que je songe à m'en plaindre sur le Play Store. Bon, finalement ça fonctionne et on pourra activer le service avec une carte SIM pour notre prochaine traversée un peu longue.

6 novembre 2023

"On n'a pas avancé aujourd'hui". Pourtant la journée a été passée à préparer des commandes en ligne, avec livraison à Nice.

Je fais l'inventaire des cosses électriques à sertir qui commencent à manquer. Chez Leroy Merlin on ne trouve plus que des sachets d'assortiments de plusieurs tailles et couleurs. Assortiment, ça veut dire un sachet dont on n'utilisera que un cinquième. Je sais exactement quel diamètre il me faut, puisque la quasi totalité des équipements du bateau est câblée en 2,5 ou 4mm2. Je cherche sur Amazon : chouette, il y a cent cosses bleues du bon diamètre. Quand on raccorde un zéro volt en bleu, on a généralement à raccorder un douze volt en rouge. Je clique donc sur l'icône rouge juste à côté de la bleue, que Amazon me propose cordialement. Ah mais non, en rouge, ce n'est pas le même diamètre. Impossible d'en trouver ! Mais quel pervers chemin commercial a produit ce résultat abracabrantesque ? Au bout d'un long temps de recherche, j'abandonne. Je reprendrai un assortiment.

Du temps aussi pour comprendre comment utiliser des inserts bois et métaux. Nous avons un filetage abimé sur le rail de GV qu'il faut réparer, en ajoutant un hélicoil, par exemple. Après avoir écumé de nombreuses pages Amazon et Leroy Merlin, où les informations sont soit manquantes, soit contradictoires, je finis par téléphoner à un grand revendeur spécialisé dans l'inox marine en France. Est-ce que le diamètre est celui de l'extérieur de l'insert ou celui du filetage qu'on veut réparer ? Et dans le premier cas, le diamètre de perçage ne peut pas être celui indiqué dans la page web. Très aimable et constructif au bout du fil, il convient que ce n'est pas clair et qu'il doit réfléchir avant de répondre. Au passage il me suggère que pour mon utilisation, il vaudrait mieux mettre un écrou à riveter. Une pince de plus à ajouter aux outils...

Le matelotage des surgaines demande quelques réflexions : où faut-il mettre les protections en Technora® des nouvelles drisses et bosses de ris ? En effet, ces manœuvres subissent de fortes tensions et sont retenus par un coinceur. A l'endroit où le coinceur appuie sur le cordage, il y a un risque que la gaine se déchire et que l'âme file à l'intérieur. Le cordage est alors détruit (et la voile probablement partie en vrac). Alors pour retenir correctement une bosse il faut une surgaine à l'endroit du coinceur. D'abord pour protéger ponctuellement la gaine de l'érosion du métal, et surtout parce que la surgaine a un effet constricteur qui va retenir la bosse sur toute sa longueur, qu'on prendra de l'ordre de un mètre pour chaque point de fixation (zéro ris, un ris, deux ris). C'est élégant et intelligent. Les tutos youtube aident à apprendre la bonne manière de poser la protection.

Emerveillement quotidien sans effort
Les nouveaux beaux bouts en Dyneema
Un dernière lessive avant le départ

Je commence par épisser la première gaine à la position du ris n°3. La tresse fait un pli à l'intérieur de la gaine et mon aiguille à long chas se casse. Ça fait une sur-épaisseur et la drisse ne coulisse plus aussi bien. Il faudra recommencer après notre aller-retour à Nice.

8 novembre 2023

Un petit travail facile. Je change les prises USB de la table à carte. Avant de partir de France, j'avais installé des prises USB-A directement connectées au 12V du bord. Je me doutais que des équipements de plus en plus nombreux allaient nécessiter un chargement. La présence du secteur 220V étant un luxe promis à disparaître au cours de notre voyage, il me paraissait évident que seul le 12V des batteries pourrait être pérenne, surtout en traversée. Celles que j'ai installées alors ont très bien effectué le service. Souvent je chargeais pendant la navigation mon téléphone portable (pour écouter des podcasts ou envoyer des messages Iridium), ou mon iPad (pour la navigation). Hélas, je n'avais pas envisagé la courte durée de vie des technologies. La plupart des nouveaux équipements ont d'une part une prise USB-C, d'autre part besoin du courant qui va avec cette norme (3,5A). Par exemple, le nouvel ordinateur de Liliane ne peut pas se charger sur les anciennes prises USB-A. Ce n'est pas une question de format dela prise, mais bien une question de valeur du courant qu'elles peuvent fournir.

J'ai donc acheté (Amazon, oui !) deux prises encastrables 64W (hallucinant !) comportant une interface USB-A et une USB-C chacune. Evidemment, je n'avais pas vu venir le fait que leur diamètre est légèrement plus grand que les précédentes, que le fusible est plus gros... Donc le petit travail facile s'est étendu pour adapter l'installation. Plus question de récupérer l'alimentation sur le fil qui alimentait la lampe de la table à carte. Il faut tirer une ligne 2,5mm2 à partir du tableau électrique, la gainer proprement, ajouter les fusibles adéquats et élargir les trous de la cloison. Rien de bien sorcier, mais du temps, du temps.

Tableau électrique déjà bien occupé
Deux nouvelles prises USB-C

D'ailleurs, il faudra que je songe à remplacer mon vieux rasoir 220V par un modèle capable de se charger sur batterie. J'imagine que les camping-caristes ont déjà suscité ce besoin.

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Retour de Nice

Nous passons tout le mois de novembre dans la région de Nice pour assister mon père et son épouse à leur déménagement. Tusitala est confié aux bons soins de la marina de Quinta, dont nous avons pu apprécier la qualité, notamment le clapot raisonnable en période ventée. Nous avions évidement triplé les amarres et mis tous les amortisseurs.

Fin de l'opération déménagement des parents
Départ de Nice (clin d'œil " Chez Pipo")

Nous n'oublions pas que la suite sera faite aussi de gestion à distance d'un certain nombre de problèmes, qui n'est possible que grâce à Internet et le téléphone mobile.

11-12 décembre 2023

Les prévisions météo ne sont pas favorables pour les prochains jours à une traversée vers les Canaries. Ça tombe bien, il reste du travail à bord.

J'installe le tout nouveau baromètre numérique qui se connecte directement sur le bus NMEA du bateau et permet de lire la pression atmosphérique directement sur le traceur.

Le moteur présente toujours une difficulté à démarrer. Apparement, il y a de l'air dans le circuit gazole. En purgeant l'air, tout fonctionne bien. Je constate que la vis de purge ne comporte pas de joint. La documentation constructeur ne donne pas les références de ces joints, qui ne peuvent pas être les mêmes que pour l'eau. Les joints résistants aux hydrocarbures doivent être en nitrile (NBR) ou en métal. Ça tombe bien, nous avons une voiture de location pour faire les courses. Après avoir rempli le coffre de provisions de bouche, nous filons arpenter les divers fournisseurs de l'île : Matmax, Madeira Nautica et finalement CYR dans la zone industrielle de Cancela, où l'employé m'explique en excellent Anglais que le meilleur joint pour ça est en cuivre ("brass").

Digital barometer Yacht Device
Vis de purge AVEC sa rondelle

Retour vers la marina, en faisant un arrêt à Santa Cruz, aux rues toutes illuminées pour Noël et l'apparition de l'enfant Jesus (apparemment, personne ne se sent stigmatisé ?). J'en profite pour un passage chez le coiffeur avec une coupe aux ciseaux et shampooing au prix de 9,50€.

A Machico, nous nous offrons un repas au restaurant Mercado Velho, à la réputation d'excellence justifiée.

13-14 décembre 2023

Je termine le matelotage des surgaines, en défaisant le travail insatisfaisant du jour précédent et en reprenant soigneusement les épissures, pour éviter toute sur-épaisseur. Satisfait du résultat, je limite le surgainage de la drisse au ris n°1 et à la position GV haute, car ce sont les deux seules sur lesquelles on a besoin d'étarquer fort la drisse. Pour les ris n°2 et 3, la voile restante sera déjà bien assez plate sans besoin de l'étarquer fortement. Du moins on verra à l'usage...

15 décembre 2023 (***)

Deuxième essai moteur, avec la vis de purge dotée d'une rondelle d'étanchéité en cuivre ! Il démarre sans caler et tient son ralenti. J'autorise tout mécanicien averti à se gausser qu'il m'ait fallu trois jours pour trouver ce défaut élémentaire. J'accepte sans honte mes tâtonnements.

Ensuite on passe à l'installation de la nouvelle drisse de spi, commandée avant notre départ. Quand on parle de spi, dorénavant, il s'agit du Code D sur emmagasineur. Trente-sept mètres de Dyneema gainé de 10mm. Identique à celle de GV, mais d'un joli vert fluo chiné de noir. La longueur est calculée pour que le point de drisse puisse revenir dans la descente, pour le cas où il faudrait affaler le spi qui refuserait de s'enrouler. L'affaler sur le pont avec du vent peut être difficile parce qu'il a tendance à se regonfler. Dans ce cas, on peut fourrer le spi directement dans la cabine, ce qui le calme. Trente-sept mètres donc, que nous passons soigneusement à bâbord à la place d'une vieille drisse de polyester un peu râpée. Il restera une drisse de spi en polyester de 12mm, qu'on considère être en secours de la première. Son diamètre et sa raideur sont dissuasifs, maintenant que nous avons goûté le plaisir des manœuvres qui coulissent aisément. L'emmagasineur nécessite d'être fortement étarqué pour fonctionner correctement. J'installe son amure sur la delphinière à l'aide d'une boucle en Dyneema qui permet de bien le tenir en l'empêchant de vriller. C'est important.

J'ajoute aussi sur la bosse de l'emmagasineur un petit frein très simple à base de nœud de prussik pour éviter qu'elle ne se dévide par inadvertance en laissant le code D se dérouler intempestivement. (PHOTOS à ajouter...)


16 décembre 2023 (***)

Troisième essai moteur concluant. J'en profite pour vérifier le fonctionnement du guindeau en descendant l'ancre dans le port. Il grince un peu au début. Son nettoyage et graissage étaient prévus dans la liste des travaux du chantier de septembre, mais ça a dérapé et on partira aux Canaries comme ça.

Nous commençons à préparer le bateau pour un essai en mer dimanche qui vient. La pale du régulateur d'allure l'hydrogénérateur et la Silzig reprennent leur poste à l'arrière. Nous nettoyons les fonds du carré, rangeons tout ce qui traîne. Les derniers achats techniques n'ont pas encore tous trouvé leur place, mais cela se résume à un gros sac de course à caser quelque part dans la soute. Plus encombrants sont les vieux bouts que nous avons décidé de conserver et qui prennent aussi l'espace d'un gros sac de courses dans le coffre de cockpit. On sent bien qu'on est à la limite des capacités du bateau. La mort dans l'âme, je jette une vieille pince étau qui fonctionne mal et une vieille bastaque dont je conserve les anneaux lisses d'extrémités. Des "ça peut...".

La journée et le début de soirée se passent l'esprit tranquille à l'idée que le bateau est prêt à naviguer pour demain. Mais non, ce serait trop facile ! C'est ce soir que la lunette des WC décide de casser une de ses pattes en plastique. Dix ans à supporter le poids des équipiers, on la comprend, le plastique est tout fissuré. Mais flute ! pourquoi aujourd'hui ? Tout va être plus difficile aux Canaries et on n'y pense même pas au Cap Vert !

(***) EDIT : correction de coquille suite à un message de Marie-Charlotte. Bravo et merci pour sa lecture méticuleuse !

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Essais à la mer

Dimanche 17 décembre

Après tous ces changements apportés au bateau et même simplement les démontages et remontages complets, il est capital de vérifier que tous les éléments du gréement courant sont opérationnels.

Le temps est parfait, 10 nœuds de vent d'est, faible houle, belle lumière sur la Ponta da São Lourenço. Nous essayons successivement tous les cas de figures pertinents, c'est à dire pas exactement toute la combinatoire de voiles, mais les configurations susceptibles de servir vraiment. Sauf que nous restons sous génois la plupart du temps pour avancer un peu dans le petit temps. Le code D nous offre une belle vitesse de 6 nœuds, dans des conditions idéales, reconnaissons-le.

Nous prenons et largons successivement les trois ris de la grand-voile, sortons et rentrons la trinquette, le génois et le code D ; et le pilote électrique en mode cap et en mode vent, puisque nous avons une nouvelle girouette. Nous constatons avec un immense plaisir que le changement des diamètres des bosses tient ses promesses de fluidité des manœuvres.

A chaque changement de voile, nous marquons soigneusement les positions de la drisse de GV et des bosses de ris avec des rubans adhésifs de différentes couleurs : blanc pour toute la voile haute (ris 0), vert pour le ris 1, bleu pour le ris 2 et rouge pour le ris 3, comme les pistes de ski. Pas de noire, parce qu'il faut pouvoir distinguer ces marques de nuit ! Ainsi on peut positionner immédiatement "en aveugle" les bosses, que ce soit à la prise de ris ou au relâchement. Cela ne dispense pas de faire quand même attention à ce qui se passe, parce qu'on a vite faire de déchirer une voile si on force comme une brute. C'est la première fois que nous prenons le ris 3 en mer. L'occasion de marquer à la bonne longueur son estrope de pied de mât dotée de son "os de chien" qui passe en un clin d'œil dans les anneaux de la GV et le pontet du mât. Le but étant de rester le minimum de temps à cet endroit le jour où il faudra vraiment prendre le ris n°3...

Pour chaque ris, nous vérifions aussi la position du point d'amure sur la bôme. Souvent ce point est négligé, mais il est important que l'angle de tire de la bosse permette d'étarquer la GV aussi bien dans le sens de la bordure que de la chute. Pour cela, le coulisseau dans lequel se fixe le bout de la bosse doit être empêché de coulisser au-delà de la position qui permet cet angle. J'ai donc prévu, lors de notre essai à quai antérieur, trois petites estropes de Dyneema de 3mm, une pour chaque coulisseau retenues à un pontet fixe. L'essai en mer permet de vérifier que l'angle de tire est parfait ; avec quelques marques de feutre indélébile, on pourra faire des épissures définitives.

L'estrope de l'amure du code D sur la delphinière aussi, en forme de patte d'oie en gros Dyneema permet de bien l'étarquer et il s'enroule facilement et proprement. Je suis allé voir au bout du ponton sur un class 40 comment c'était fait. Il y a toujours de bonnes idées à prendre sur les bateaux de course. Le frein de Prussik fonctionne parfaitement et ne pénalise pas le déroulement.

Trois ris à poste
Réglage du point de tire du Ris 2
Estrope du ris 3 ajustée
Essai du ris 3
Le Code D retrouve de l'air après un an de cave !
Liliane contente des résultats
Ris 3 dégréé, reste au pied du mât
Class 40, boîte à idées

Au retour au port, nous pouvons donc aller confirmer à la marina notre départ mardi, où la météo prévoit un sympathique nord-est de 15 nœuds. Je lorgnais depuis plusieurs jours sur ce créneau qui s'est maintenu.

Le bureau de la marina de Quinta do Lorde annonce la fin d'année proche

Il reste à faire quelques matelotages pour assurer les dernières manilles (à l'aide d'un collier d'électricien) et remplacer les marques au scotch soit par une gaine de protection, soit par une ligature de la même couleur (merci Amazon pour le fil suiffé bleu). La sortie d'essai a aussi permis de vérifier le réglage des petits Dyneema qui retiennent les anneaux des ris sur la bôme. Un petit matelotage à la longueur et hop, c'est prêt à servir ! (PHOTOS)

Nous n'oublions pas, en prévision de la prochaine traversée, de préparer le grab bag. D'ailleurs c'est aussi le moment de faire une sauvegarde de nos ordinateurs personnels, et de mettre le disque de sauvegarde dans le grab bag.

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Derniers préparatifs

Lundi 18 décembre 2023

Les préparations au départ en traversée ont aussi leur check-lists : les équipements qu'il faut penser à recharger (trente au total, c'est fou !), les pleins d'eau, un petit coup d'aspirateur (rechargeable, oui), un test de la connexion Iridium...

Iridium justement, dont le prix dissuasif inciterait à ne pas s'abonner pour les courtes traversées. Mais nous réfléchissons que les prochaines navigations pourraient être à cheval entre décembre et janvier. Donc deux mois d'abonnement. Autant l'activer tout de suite. De plus le distributeur (ROM-arrange) propose un prorata temporis pour le forfait illimité.

Ce système de communications par satellite est excellent (le système a été conçu et les satellites produits par Thales), mais le système d'abonnement opéré par Iridium et l'application mobile sont tellement mauvais qu'on tombe dans des cas tordus de disfonctionnement. Interrompre un abonnement revient à sacrifier une carte SIM (18€). Activer une nouvelle carte SIM est payant chez certains distributeurs. Les abonnements ne peuvent se prendre que du 1er au 30/31 du mois. Changer de carte SIM impose le changement du numéro de téléphone, ce qui implique ensuite de changer d'email. Changer d'email impose de désinstaller et réinstaller l'application mobile, parce qu'il n'a pas été prévu de changer l'adresse mail associée à l'application (plus exactement, c'est prévu, mais l'application mobile s'appuie sur KMail, et elle ne sais pas donner à KMail les instructions pour changer l'adresse du compte, on peut aller farfouiller dans les paramètres de KMail, je l'ai déjà fait pour modifier la signature de pied de mail, mais c'est aussi rapide de désinstaller l'appli).

Bref, une après-midi pour remettre en fonctionnement la liaison Iridium. On comprend que les navigateurs se précipitent sur le nouveau système Starlink qui offre un débit excellent (une constellation de 4000 satellites quand même, qui vont devenir 12000 et peut-être plus), une grande simplicité de mise en œuvre et un prix mensuel très compétitif. Pour avoir travaillé sur ce genre de constellations, nous savons que de grosses difficultés attendent Starlink avant d'atteindre la rentabilité. Notamment le fait que l'augmentation du nombre d'abonnés, synonyme de succès, va nécessiter l'augmentation incessante du nombre de satellites pour que le débit offert à chacun soit maintenu.

In extremis, je fixe la retenue des portes de la cabine de douches, pour éviter de renouveler leur fermeture intempestive sur des doigts. Ceux de Liliane, une fois, ça suffit.

Malgré ce chapitre très riche en réparations et améliorations, on imagine que la todo liste est encore bien garnie.

Demain, avant de larguer les amarres, il restera à plonger sous la coque pour nettoyer le petite aube du speedo, qui s'est encore figée et ne donne plus la vitesse. Nous nous en sommes aperçu lors de la sortie d'essais à la mer.

C'est bientôt Noël. Nos parents, nos enfants, nos amis sont en train de préparer leur réveillon et leurs cadeaux. Il est temps de clore cette très longue étape pour retrouver le souffle du vent dans nos voiles et de belles images de mer.

Mais Tusitala nous réserve quelques surprises au pied du sapin...

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Traversée de Madère aux Canaries

Après les nombreux travaux de rénovation et d'amélioration des mois précédents, notre Tusitala, tel le bateau de Thésée, n'est plus tout à fait identique à l'original, que nous avions déjà bien modifié avant notre départ de Roscoff en 2022. Liliane et moi le connaissons maintenant par cœur, de la quille à la tête de mât, au sens littéral.

Une petite plongée sous le bateau permet de dégager à la brosse les algues de l'aube du speedo qui ne donnait aucune information lors de notre sortie de test.

A chaque démarrage du moteur, l'alarme de tension basse batterie retentit au bout de cinq minutes de ralenti. Cela arrive souvent sur certains moteurs, c'est récent que ça arrive sur le nôtre. Mais en augmentant légèrement le régime moteur, l'alarme disparaît. Nous ne nous en inquiétons pas plus que ça et nous partons en milieu d'après-midi, pour espérer une arrivée de jour aux Canaries.

Le vent est comme prévu, dans les quinze nœuds. Une fois sortis de la protection de la Ponta de São Lourenço, la houle lève un peu, le vent monte et nous prenons assez vite notre premier ris. Nous sommes au près, en passant sous le vent des Ilhas Desertas, que nous finissons de croiser à la nuit tombée. La paysage est magnifique, avec Madère dont les feux brillent à l'arrière et les masses sombres des îles. Pas de danger, parce que les fonds tombent à pic aux pieds de ces falaises et nous sommes sous le vent. Parfois de fortes rafales par effet Venturi entre les îlots.

Ciao Madeira !

A la tombée du jour, la houle augmente et le vent forcit. On remplace le génois par la trinquette. Le pilote retrouve sa zénitude électrique. Néanmoins, les vagues passent souvent au-dessus du pont, ce qui d'habitude est sans conséquence. Hélas, cette fois-ci, c'est différent. De l'eau commence à perler, puis à couler du passavant bâbord et mouiller la table à carte. C'est bien de l'eau salée. A défaut de comprendre par où elle entre, nous prenons des mesures pour éponger et canaliser cet écoulement. Nous serons vigilants toute la nuit, à tour de rôle, pour garder la zone à peu près sèche.

20 décembre 2023

La journée est assez fatigante. La mer est chaotique, le vent monte en rafales à plus de trente nœuds. C'est juste un passage musclé de quelques heures, qui était clairement indiqué dans les prévisions. Avec deux ris et la trinquette, le pilote maintient Tusitala sur sa route sans sourciller. Pour les humains, il est difficile de se reposer quand on est de quart parce qu'il faut éponger régulièrement les coulures. Malgré une tentative de faire une protection du traceur, l'esprit n'est pas tranquille. Tout ça ne nous donne pas envie de préparer un plat chaud. Nous grignotons des barres de céréales, des pommes, des fruits secs, sans conviction.

Mais pas avec votre poncho !

21 décembre 2023

Nous arrivons en début de matinée en vue de La Graciosa. Pile l'heure visée, qui permet une arrivée de jour, avec de la marge en cas de problème. La mer commence à peine à se réduire par l'influence des îles au vent, Alegranza et Montaña Clara, majestueuses et solitaires. Le passage sous le vent de l'île calme la mer, mais l'anémomètre indique encore vingt nœuds. Il est plus facile de mouiller une ancre que de prendre un ponton. Cela se passe bien, d'autant plus que le fond de la baie de Playa Francesca est assez abrité et qu'il n'y a que trois autres voiliers à l'ancre.

Deux ris
Alegranza et Montaña Clara
La mer se calme sous le vent de La Graciosa
Entrée dans le chenal entre La Graciosa et Tenerife
Mouillage de Playa Francesca
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La Graciosa, elle a, elle a ....

... ce je ne sais quoi qui nous met dans un drôle d'état. C'est vrai ça, pourquoi s'obstiner à viser ce point d'atterrissage excentré à l'est des Îles Canaries, alors que l'objectif suivant serait plutôt de partir vers l'ouest ? Pour Liliane et moi, cette île nous rappelle le souvenir d'un précédent atterrissage avec un autre bateau, Mahina, et nous avions formulé le vœu d'y revenir avec le nôtre et d'y rester un peu.

22 décembre 2023

Nous apprécions ce paysage désertique austère. Nous sommes tout près du Maroc, l'aridité de l'air donne un paysage de collines rocheuses et brunes, semblable à l'Atlas marocain. D'ailleurs les nuits sont fraîches comme dans le désert et les journées assez chaudes pour un mois de décembre.

Le mouillage de Playa Francesca, le seul autorisé dans cette zone protégée, est fort calme. De l'autre côté du chenal, l'immense falaise de Lanzarote, sans aucune habitation. A peine quatre bateaux au total, ce qui change de notre précédent passage où la baie était pleine. Le vent continue de souffler à plus de vingt nœuds, ce qui ne donne pas envie de gonfler l'annexe pour aller à la plage. A la rigueur on pourrait quand même le faire, parce que la conformation du lieu fait que la houle n'entre pas et qu'en cas de problème le vent nous pousserait juste d'un côté de la baie. Mais les prévisions météo locales indiquent aussi de fortes pluies et des passages orageux. Et en plus nous voudrions quand même passer Noël dans la féérie d'une ville décorée et festive. Nous nous retrouvons donc encore une fois à courir après le temps. Finalement nous passerons la journée à remettre le bateau en ordre et à compléter diverses installations que nous avons rapportées de Nice, tels que le changement des disques Velcro qui tiennent les coussins en place ou les arrêtoirs en silicone sous la table du carré...

Dans la matinée, en cherchant à voir si les panneaux solaires chargent bien, je constate que le régulateur de l'hydrogénérateur ne donne plus signe de vie. Pas de charge. Je sors les factures, il est encore sous garantie. J'intervertis la sortie du panneau solaire fixe avec l'entrée prévue pour le panneau solaire nomade sur un autre régulateur 12V. Ça se remet à charger. Heureusement qu'il y a cette redondance. Je contacte par email le fabricant en France, qui accepte de nous envoyer un rechange en parallèle. Il convient que cette panne, la deuxième pour ce régulateur made in china, n'est pas "normale". L'équipement neuf, un autre modèle, part de Saint-Malo dès le soir même au courrier. En parallèle, je contacte nos amis du voilier Nana, qui ont eu la même mésaventure cette année. Yves m'envoie la documentation de cet autre modèle.

Disques Velcro
Arrêtoirs sous la table du carré

Par email, nous demandons une place à la marina de Arrecife, sur Lanzarote toute proche. La réponse est sans appel : aucune place disponible. Nous tentons Puerto Calero qui répond positivement. Alors ce sera notre prochaine escale.

Notre plus proche voisin au mouillage de Playa Francesca

23 décembre 2023

Une bonne journée de navigation. Nous partons au moteur en début de matinée, vers le nord-est face au vent et à la houle qui lève dans le chenal l'Estrecho del Rio, à cause de la remontée des fonds. On voit défiler la côte de La Graciosa et le petit bourg plein de charme que tout le monde nomme Caleta del Sebo. Son nom officiel est La Sociedad.

Lumière du matin sur Tenerife
Quitter doucement le joli mouillage
Bye bye La Graciosa
Les volcans de Lanzarote
Caleta del Sebo
Paysage désertiques et photogéniques
Être en mer, what else ?

A la sortie du chenal, la mer brise magnifiquement sur les rochers de la Punta Fariones, avec une belle lumière et un ciel lumineux. Nous l'arrondissons largement, bien que nous voyions les navettes entre Lanzarote et La Graciosa emprunter un chemin bien plus près des brisants. Après le passage de la pointe, nous pouvons mettre à la voile, d'abord au près bon plein vers le sud-est, puis sur un long bord de portant au fur et à mesure que la journée s'avance et que la côte de Lanzarote s'arrondit vers le sud. La mer est tamisée au sud de l'île et le vent aussi tombe, conformément aux prévisions.

Nous voyons défiler la côte aride, avec quelques rares villes Orzola, puis Arrecife.

Punta Fariones
Orzola
Arrecife
Voiles en ciseau, sous pilote

C'est en arrivant à Puerto Calero que nous remettons le moteur en marche. Alors, l'alarme batterie retentit et persiste. Je l'acquitte et nous entrons calmement dans la marina où une place nous est attribuée. De cette place, nous voyons le magnifique horizon des volcans à l'ouest, promesse de prochaines excursions.

Vite, tenter de trouver un cadeau pour demain... Dur, dur dans cette marina touristique. Toujours à l'arrache notre voyage !

Puerto Calero
Quai d'accueil des gros navires - Puerto Calero
Vue sur volcans
Allée des boutiques commerciales

24 décembre 2023

Nous faisons une rapide excursion à la superette de la marina. Nous ressortons quasiment bredouilles. Peu de nourriture fraîche à acheter. Le réveillon devra se faire avec les moyens du bord.

Rinçage et séchage des voiles
Courses de réveillon, au top !

N'ayant pas envie de nous atteler aux travaux du bateau en ce jour de réveillon, nous flânons le long du sentier côtier.

Au fond, l'île de Fuerteventura
Un nid d'Optimists

Nous nettoyons le pont et l'intérieur du bateau, pour préparer la soirée. Liliane a prévu depuis longtemps deux petites guirlandes à LED qui viennent égayer l'intérieur et la descente.

La touche festive made by Lili
Réveillon de Nöel en préparation
Joyeux Noël !

Champagne ! Français, s'il vous plaît...

25 décembre 2023

Noël dans la marina un peu festive, plutôt par les visiteurs que les habitants. Ici on offre plutôt les cadeaux pour les Rois, le 6 janvier, ce qui est plus cohérent avec la légende de la Nativité. Plusieurs bateaux sont occupés, dont un avec des enfants. Les touristes et les équipages flânent sous le soleil de solstice. Nous nous offrons un brunch au Mac Sorley's, un pub de style anglais comme son nom ne l'indique pas tout à fait.

Retour à la civilisation
Brunch au Mc Sorley's

L'après-midi, il fait assez chaud et en touristes désinvoltes, nous entamons la balade du sentier côtier vers Playa Quemada sans prendre d'eau. Au bout d'une bonne heure de marche dans un paysage désertique se profilent un bourg. Sans conviction, nous approchons, à la recherche d'un point d'eau. A part quelques aloé vera, il y a peu d'espoir. Mais en poursuivant sur le bord de la plage, nous trouvons un bar bienvenu, comme les deux zumos naranja que nous y commandons.

Trace de vie
Des aloé véra
Borne de point de référence géodésique
Zumo naranja
Je te dis que c'est par là...
De retour à Puerto Calero

26 décembre 2023

C'est pas tout ça. Il reste des problèmes techniques à résoudre. J'investigue le sujet de la batterie moteur. Après plusieurs mesures concordantes, il s'avère que le chargeur d'alternateur Sterling ne donne plus signe de vie, alors que le matin même de notre départ de La Graciosa il chargeait encore 37 Ampères (noté au journal de bord). Il ne charge donc plus aucune batterie à partir de l'alternateur. Or la batterie de démarrage moteur n'est chargée que par l'alternateur ou le chargeur de quai. Dans l'optique du voyage autonome, je cherche à rester le plus proche possible de la configuration navigation/mouillage, et je ne branche donc quasiment jamais le chargeur de quai. Il est donc normal qu'on ait eu des alarmes de tension basse au bout de plusieurs jours. Après avoir chargé les deux parcs de batteries à l'aide du chargeur de quai, je redémarre le moteur pour vérifier qu'il n'y a plus d'alarme. Effectivement ! Il reste à prendre contact avec le SAV du distributeur SVB. Il se trouve que le 26 décembre est un jour férié en Allemagne. Voilà comment on perd encore un jour. C'est fou...

Cet équipement, aussi appelé "booster d'alternateur" était une petite sophistication par rapport aux circuits de charge à simple répartition. Il a pour objectif d'améliorer considérablement la capacité de charge électrique lorsque le moteur tourne. En temps ordinaire, le régulateur de l'alternateur diminue sa puissance dès qu'il constate que la batterie moteur est chargée. Pour éviter cela, les circuits électroniques du "booster" leurrent l'alternateur en lui faisant croire qu'elle est déchargée et utilisent la puissance fournie pour charger le parc de batteries de servitude, sans oublier de conserver la batterie moteur à pleine charge. Tout cela est merveilleux d'intelligence, mais cette électronique additionnelle par rapport à un chargeur "bête" signifie moins de fiabilité globale.

27 - 30 décembre 2023

Ça va être compliqué. Il va falloir aller expédier l'équipement fautif en Allemagne en nous déplaçant à la ville d'à-côté en bus pour trouver un bureau de poste. Ensuite l'équipement sera expertisé par le fabricant.

Nous prenons le bus Intercity n°161 pour nous rendre à Puerto del Carmen et faire les courses de supermarché. Au passage, je poste le colis pour l'Allemagne, muni de mon bon de retour. Pas si simple ! les Correos des Canaries n'acceptent pas le bon de retour prépayé. C'est une région autonome, avec ses règles douanières particulières.

Et au final, le SAV de SVB ne veut pas livrer l'équipement réparé aux Canaries : trop de difficultés avec les douanes et les délais... Ça se complique, je vous dis.

Intercity bus stop

Nous en profitons pour faire les courses de supermarché et une balade dans cette station balnéaire très animée. De nombreux touristes arpentent les rues et le "paseo" au bord de mer, garni de restaurants adaptés à la clientèle.

Playa del Carmen, les volcans, le petit port, la ville blanche
Tenue "bolo"

S'ensuivent plusieurs nuits où je rumine les causes possibles de ces pannes à répétition. Fragilité des circuits de sortie, pour des raisons d'économies ? Je sais que les équipements aéronautiques ont des normes drastiques à respecter (pour survivre au foudroiement des avions) et que ça coûte fort cher en ingénierie et en composants de protection contre les surtensions. Donc on peut protéger les composants, mais je pense que les boîtiers grand public n'ont pas ces protections. Donc toute surtension les fait claquer. Comme les circuits de charge des batteries sont tous connectés aux même points, on peut imaginer que les perturbations de l'un provoque un défaut sur un autre. La leçon de tout ça est qu'il faut vraiment un bateau "KIDS" (Keep It Deadly Simple).

Dans l'attente, je matelote encore quelques protections Technora sur les bosses de ris. Ça me détend. La bosse de ris doit passer dans la gaine sur environ un mètre, à l'endroit où on veut la protéger. Aux extrêmités de la gaine Technora, celle-ci doit rentrer dans la gaine en polyester de la bosse et y disparaître. Il faut bien tendre la gaine avant de l'enfouir. Puis faire une petite couture pour qu'elle ne bouge plus.

Bosse de ris (jaune) dans la gaine Technora, qui à son tour est enfouie...
... gaine Technora enfouie dans la gaine de la bosse de ris

En parallèle, l'autre équipement tombé en panne, le régulateur de l'hydrogénérateur arrive pour nous à la Capitainerie par livraison DHL. C'est bien le même que celui reçu par nos amis du voilier Nana. Je relis attentivement la documentation fournie.

31 décembre 2023

J'installe le régulateur neuf de l'hydrogénérateur. Il réalise la même fonction que le précédent : convertir le courant triphasé alternatif reçu de l'hydrogénérateur en un courant 12V continu régulé ; accessoirement recevoir une seconde entrée émanant d'un panneau solaire. Ça nous arrange bien, puisqu'on a un panneau solaire "nomade" qu'on branche au mouillage sur cette entrée en complément du panneau fixe. L'installation me prend une bonne journée, parce que les fixations mécaniques sont différentes et je dois ajouter une plaque ce contre-plaqué contre le bordé. Evidemment les fils du montage précédent sont un peu trop courts. Il faut donc en retailler de nouveaux. Les bornes électriques sont aussi différentes : des cosses au lieu de vis pointeaux. Il faut donc sortir les outils de menuiserie, la pince à sertir. Le bateau redevient un atelier ambulant.

En fin de journée, le régulateur fonctionne. Il restera à tester l'hydrogénérateur lors de notre prochaine sortie en mer.

Atelier
Je sais, ce n'est pas beau. Je peindrai, promis !

Et c'est déjà l'heure de préparer notre réveillon en tête à tête, pour lequel la dernière bouteille de champagne est au frais et Liliane a préparé un gâteau québécois à base de crème fouettée et de biscuits Graham émiettés.

Ce programme est bouleversé par la rencontre entre Liliane et une autre française aux douches. En discutant sur le quai, Anne nous propose très spontanément de partager nos repas sur leur ketch Orion, un magnifique Maramu, avec son compagnon Hervé. Ainsi la vie de voyage, avec ses rencontres inattendues, comme le voyage des Princes de Serendip.

1er janvier 2024 à 00h08 heure locale
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Nous arrêtons là le récit de cette étape. La suite, avec son lot de réparations promet d'être encore une longue litanie technique, dont nous allons cependant nous efforcer d'écourter la durée. L'année 2023 se termine sur une note mitigée. Nous étions prêts à bondir dans les alizés, mais de nouveaux obstacles viennent se mettre en travers de notre route.

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01 janvier 2024

Bonne année à tous les lecteurs de notre blog.

Aucun lutin n'a résolu en ce début d'année les problèmes techniques que nous avions laissés en suspens en 2023. Nous sommes sur l'île de Lanzarote, à la marina Puerto Calero.

D'autres problèmes sont apparus : (1) il y avait de l'eau douce dans les fonds sous les réservoirs d'eau douce et lorsque Liliane a fouillé dans les fonds du carré pour faire l'inventaire des denrées alimentaires, de l'eau douce stagnait dans une alvéole qui n'est pas celle qui reçoit d'habitude l'eau du mât ; (2) le petit chauffage à bain d'huile qui nous permet de profiter du réseau électrique 220V pour améliorer notre confort au port est tombé en carafe. (3) le panneau coulissant de la descente se bloque par temps chaud et j'ai dû sortir par le panneau de la cabine avant. (4) la charnière en plastique de la lunette des WC a cassé, après dix ans de loyaux services.

Ça pourrait ressembler, toutes proportions gardées, à l'acharnement des Dieux de l'Olympe pour empêcher Ulysse de rentrer chez lui. Mais non, c'est juste la vie normale en bateau. Comme une maison qui tremperait en permanence dans l'eau salée, qu'on secouerait régulièrement et à laquelle on en jetterait aussi quelques seaux désordonnés par en haut et sur les côtés.

Réflexions sur la suite du voyage

Nous examinons la possibilité d'un arrêt sur une autre île des Canaries avant le saut vers le Cap Vert. Pour analyser les chemins, comme disait M. Ferrieu (aka "Fef"), notre professeur de maths, "il faut faire un dessin". Gran Canaria n'est qu'à cent milles nautiques. En chargeant bien les batteries sur l'électricité du quai et maintenant que nous avons un panneau solaire et un hydrogénérateur qui fonctionnent, on pourrait y aller même avec un alternateur défaillant. Nous y trouverions des boutiques spécialisées plus près de la marina qu'ici à Lanzarote. Et cette escale réduirait la traversée vers le Cap Vert de quatre-vingt-huit milles.

La Capitainerie de la marina de Puerto Calero
Rien ne vaut un croquis

Quant au chargeur d'alternateur, nous savons juste que le colis est en cours de traitement logistique vers l'Allemagne. Il n'est pas raisonnable de nous mettre en position d'attendre son retour. Il se pourrait que nous dussions faire la suite du voyage sans lui.

Je passe beaucoup de temps à visionner des tutoriaux Youtube, qui relatent les expériences des autres navigateurs sur l'installation et la recharge de batteries en technologies mixtes Plomb et Lithium. Etonnamment, ce sont les camping-caristes qui explorent le sujet et publient d'excellentes études comparatives. Je commencer à tisser un lien logique entre la panne du régulateur et celle de l'alternateur. Et à force de lire et écouter, je trouve le choix d'un chargeur d'alternateur très sujet à caution. Prendre la sortie de l'alternateur et le leurrer pour lui faire sortir un maximum de puissance, on comprend que c'est déjà délicat à manipuler quand tout fonctionne bien, parce que ça peut finir par faire surchauffer un alternateur, pour lequel une sonde de température est prévue.

Pour donner une image du traitement qu'on inflige à cet équipement, imaginez qu'on monte un cheval avec un électrocardiographe branché sur son cœur et qu'on le fasse galoper en le cravachant pendant de longues heures à la limite de l'arrêt cardiaque, et qu'on recommence le lendemain. C'est même encore pire pour l'alternateur, parce qu'on lui demande aussi de fournir son maximum à bas régime moteur, alors que les aubes qui pulsent l'air dans ses entrailles sont peu efficaces. Voudrait-on inventer un test de vieillissement accéléré qu'on ne ferait pas mieux.

Et quand on analyse les modes de défaillance, vieux réflexe professionnel, on voit vite deux cas :

(i) si le chargeur d'alternateur a un composant d'entrée qui grille dans l'état "ouvert", alors l'alternateur se trouve brutalement en circuit ouvert, sans charge. Le temps que son régulateur réagisse (300 millisecondes selon quelques infos que j'ai trouvées), la tension de sortie a le temps de s'envoyer en l'air jusqu'à 100 volt (source ?). Cela peut évidemment faire claquer par sur-tension le pont de diodes de l'alternateur. Celui-ci pourrait avoir des composants conçus pour ce cas, mais les concepteurs ont aussi la contrainte de produire l'alternateur à un prix grand public pour le secteur de l'automobile.

(ii) si le composant d'entrée grille dans l'état "fermé", mettant par exemple en court-circuit la sortie de l'alternateur, le résultat est le même, les diodes de l'alternateur vont fumer par sur-courant.

Ce scénario est possible, mais je n'ai aucun élément de preuve que c'est ce qui s'est passé. J'attends avec impatience le résultat de l'analyse du fabricant. Cela expliquerait en tout cas la concomitance des deux pannes. Cela n'explique par la troisième panne, celle du régulateur de l'hydrogénérateur, qui est raccordé aux batteries de service seulement.

2 janvier 2024

Dès que le chantier de la marina réouvre ses portes, je passe expliquer notre problème d'alternateur et mon souhait d'en avoir un du même type. Dès le lendemain, j'obtiens un devis. ENORME ! Je demande des explications, et le chantier me redirige vers l'électricien. Je ré-explique. Sa réponse est prête : "Señor, el precio del alternador en Internet es el de España. Aquí en Canarias tenemos que traerlo, y es mas caro." Un moment, je calcule si je n'aurais pas intérêt à prendre un billet d'avion aller-retour, juste pour aller chercher l'alternateur sur le continent. Mais non, le prix donné par l'électricien pour le modèle Mitsubishi 115A est assez bas pour qu'une équipée continentale ne vaille pas la dépense. Comme le prix de ses heures de travail est assez raisonnable, je lui confie finalement le travail. Bien m'en a pris, car le pauvre homme a passé deux heures plié dans la soute à souffler et jurer en Espagnol, ce qui me permet de perfectionner mon vocabulaire. Les vis de fixation ayant dix ans ont exigé de lui une certaine obstination. Le nouvel alternateur fonctionne magnifiquement bien. Trop même puisqu'il fait déclencher lui aussi l'alarme moteur, mais par une tension trop élevée cette fois-ci (15,5V). Nous y remédions en déconnectant le fil qui demande à l'alternateur de fournir plus de tension. La tension revient à un plus raisonnable 14,5V. Tout baigne. Je demande à l'électricien comment ça a pu fonctionner dix ans avec le précédent alternateur et le fil connecté. Il m'explique que certains modèles d'alternateur sont conçus pour pouvoir fournir une tension supérieure afin de compenser les pertes dans les câbles, ce qui n'est pas le cas de notre installation. J'insiste "Es lo mismo modelo de alternador que antes". Il répond qu'il suffit d'une lettre d'écart dans la référence pour que ce ne soit pas exactement le même. Admettons, je ne serai pas plus inquisiteur avec lui, mais je vérifierai les références à tête reposée (spoiler : il a raison, les références ne sont pas exactement les mêmes). Pour la petite histoire, ces nouveaux alternateurs intelligents sont nécessaires pour la norme européenne Euro VI, qui exige pour des raisons écologiques que les alternateurs soient adaptables à la puissance demandée par le véhicule, notamment en phase de freinage.

Alternador (Mitsubishi A003TR0091ZT)
¡ quemado !
Alternador nuevo (Mitsubishi A3TR0091AM)

Pendant ce temps, Liliane entreprend courageusement de faire disparaître les tâches d'humidité sur les gilets supplémentaires, que nous n'utilisons jamais et qui sont restés dans la soute arrière depuis plus d'un an. Travail de fourmi. Dorénavant, nous les stockerons dans un coffre, dans la mesure où ce sont des gilets destinés aux éventuels équipiers. Petit à petit, chaque objet prend sa place.

Assortiment de vêtements de travail

Nous voici donc arrivés à une situation où la batterie moteur sera bien chargée par l'alternateur neuf. Mais en absence du chargeur d'alternateur, celui-ci ne charge plus les batteries de service. Nous discutons beaucoup avec Liliane. Quelles options s'offrent à nous ?

(A) ne rien faire, laisser l'installation en l'état. L'alternateur chargera seulement la batterie moteur en direct. Les batteries de servitude seront chargées (i) au port par le chargeur de quai Chargemaster ; (ii) en navigation par le panneau solaire fixe et l'hydrogénérateur ; et (iii) au mouillage par le panneau solaire fixe et le panneau solaire nomade.

(B) récupérer le Sterling dépanné en France par l'intermédiaire d'un de nos anges gardiens métropolitain, amis ou famille, puis trouver un moyen de le faire expédier ou apporter au bateau par un visiteur.

(C) acheter aux Canaries un chargeur de batterie à batterie.

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5 janvier 2024

Une journée de visite au sud de l'île en bus #161. Traverser ces paysages enchanteurs sans avoir à se préoccuper de la circulation est un bonheur rare. Playa Blanca nous laisse le souvenir d'une station balnéaire très fréquentée, avec des restaurants aux cartes pléthoriques, des boutiques où la vendeuse oublie instantanément les visiteurs et des glaces italiennes sans goût.

La Marina Rubicón a laissé des souvenirs, disons "mitigés", chez les navigateurs qui nous ont raconté leur expérience. Nous y passons voir le magasin Accastillage Diffusion, munis de notre perpétuelle liste d'achats. Ce jour-ci, nous cherchons spécialement une lunette de rechange pour nos WC marins. Ils en ont une du bon modèle et nous leur demandons de nous la réserver, pour nous éviter de la traîner avec nous dans la balade du bord de mer, l'équivalent Lanzaroteño de la Croisette.

Attendre le bus dans un paysage somptueux
Playa Blanca
Fuerteventura au loin
Mouillage devant la Marina Rubicón
Au loin, Fuerteventura

6 janvier 2024

C'est l'Épiphanie, réplique chrétienne des Saturnales, jour où les esclaves étaient invités à partager un gâteau avec les Romains. Pas de gâteau pour nous, mais du travail au service du bateau, ça oui... Naviguer au long cours, ce n'est pas des vacances.

Aujourd'hui je démonte le chauffage à bain d'huile et j'investigue la panne. La logique des circuits est simple et câblée en composants discrets, ce qui facilite la compréhension. Je trouve rapidement que ça vient d'un composant thermostatique Zettler KSD301AAC 250V 16A 70°C. Il est en série avec le thermostat d'air ambiant il a pour fonction de couper le courant en cas de surchauffe du corps lui-même. De nombreux sites en ligne le proposent à l'unité pour 3,30€, soit un dixième du prix du chauffage complet. L'espace d'un instant, je me demande si en acheter cinq sur Amazon serait une solution pour dépanner un jour quelqu'un d'autre. Mais non, je ne vais pas transformer notre bateau en atelier de réparation. Et pas question de tenter la livraison en ligne à la marina. Il va falloir chercher un magasin de composants électroniques. Peu probable sur Lanzarote, mais sans doute à Gran Canaria, qui s'impose maintenant comme une escale quasi-obligatoire pour résoudre le problème du chargeur de batterie.

La nuit, il fait entre 13 et 15°C (valeurs certifiées par Liliane). Nous ne nous plaignons pas, nos familles ont plutôt des températures négatives. En absence du petit chauffage à bain d'huile, Liliane a ressorti un outil de technologie avancée : la bouillotte, qu'elle utilisait déjà lors de la descente du Portugal en novembre 2022.

Un seul Zettler vous manque et tout est ...
... simplifié

7-8 janvier 2024

C'est dimanche. On attaque juste après le petit déjeuner le démontage de la cadène de bas-hauban à bâbord, en vue de lui refaire une étanchéité de bon aloi. Rien de bien compliqué, il faut soigneusement repérer la position des ridoirs bâbord et tribord avant de détendre complètement les bas-haubans. J'utilise deux méthodes : un tour de scotch sur le pas de vis pour repérer la position initiale des ridoirs ; et je mesure au pied à coulisse l'écart entre les deux extrémités des têtes des vis. Ce jour-ci, le matériel manifeste plein de bonne volonté : les écrous se laissent desserrer, la cadène se laisse sortir à la main, le vieux joint dans les trous du pont se laisse facilement enlever et nettoyer. Le tout dans un air doux et ensoleillé.

Repérage tension bas-haubans
Nettoyage cadène inox
Nettoyage trous dans le pont
Cadène bâbord étanchéifiée

A la fin de l'après-midi, la cadène a retrouvé sa place, bourrée de Sika 591 neuf. Sur les conseils de Anne hier sur le ponton, je serre un peu les écrous, en laissant un peu de marge, juste quelques dixièmes de millimètre, pour pouvoir resserrer complètement demain après polymérisation du joint. Si on serre trop fort tout de suite, la pression chasse toute la matière et l'épaisseur du joint est dérisoire. Dans la solution adoptée, il reste un peu plus d'épaisseur de joint et ensuite on le comprime. Bon, c'est peut-être l'état de l'art évident pour les chantiers nautiques, mais moi j'apprends. ¡Vaya dominio del uso del Sika!

Le lendemain, je réinstalle les bas-haubans et je tends les ridoirs jusqu'à la position repérée par le scotch. En comptant le nombre de filets visibles et le nombre de tours de ridoirs, je me confirme la position correcte. En tant qu'amateur, ça me fait toujours peur de voir les énormes tensions qu'on met sur le mât. Les voiliers de ma jeunesse étaient beaucoup moins tendus. Moins performants aussi.

Il y a deux jours, samedi, en rentrant au ponton, deux pêcheurs venaient de rentrer de leur tournée de pêche. Nous les saluons comme à chaque fois d'un ¡Hola! passe-partout. Un des deux jeunes est en train de nettoyer ses poissons sur la plage arrière de leur bateau à moteur. Il nous interpelle dans un excellent Anglais et nous propose spontanément deux très gros morceaux de thon rouge. Je lui demande combien ça coûte. "- Rien. Pour la première fois, c'est offert" répond-il avec humour. Il nous explique qu'il va faire une soirée et qu'il en a pêché plus que nécessaire. Le thon se prend sur le trajet pour aller sur le lieu de pêche, avant que le tombant ne soit trop profond, explique-t-il.

Pescado del dia

Nous voilà ainsi munis de ces deux morceaux de thon, à vue d'œil plus de un kilo, que nous rangeons soigneusement dans notre frigo. Ce mardi, il est temps de les déguster. Il y en a évidemment trop pour une seule fois. C'est là que l'efficacité pratique de Liliane se met en route. Je vous raconte toute l'histoire.

Liliane qui déteste manipuler du poisson, me demande de découper les deux premiers filets pour que la moitié n'ait aucune arête (elle n'aime pas non plus manger en triant les arêtes). Puis le reste en morceaux (que Liliane conteste être des "médaillons"), également sans arêtes. Je m'applique avec l'Opinel n°10.

Ensuite Liliane prend le relais. D'abord dans une poêle faire cuire à l'eau avec leur peau la poignée de petites pommes de terre qui restaient. Puis, avec la même poêle, faire dorer avec un peu d'huile d'olive les premiers filets côté chair, puis laisser cuire côté peau jusqu'à ce que la chair soit à peine rosée (nous nous méfions du poisson frais, car nous n'avons pas de congélateur pour éradiquer de possibles parasites). Nous pouvons passer à table et nous nous régalons de ce plat de thon et de pommes de terre, simple comme je n'en ai jamais trouvé au restaurant.

Ce n'est pas fini. La même poêle reprend du service après un simple essuyage, qui évite de gaspiller l'eau (bien que nous n'en manquassions pas ici au ponton). Alors dans un peu d'huile, Liliane fait revenir des oignons, de l'ail, puis verse la totalité d'une vieille boîte de tomates. Cette boîte date de Roscoff et elle approche de sa date de péremption, exhumée des fonds par l'inventaire méticuleux que Liliane a fait il y a quelques jours. Normalement il en faudrait moins que ça, mais qu'importe, ça va réduire. Elle y ajoute deux citrons abandonnés suite à une panne de rhum, et une petite bouteille de vin blanc. Ce ragoût de thon mijote tout doucement et embaume très vite tout le carré d'effluves dignes d'un grand restaurant. En fin de soirée, nous laissons refroidir et le lendemain matin nous le réservons dans une boîte hermétique au réfrigérateur.

Voilà, avec une économie remarquable d'ustensiles de cuisine, Liliane nous a concocté deux repas complets. Sur un petit bateau, cette attitude résolument minimaliste (RM ! 😀) est importante.

Cela fait un excellent repas froid du midi suivant, qui avec le petit excès de tomate ressemble fort à un gaspacho.

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9 janvier 2024

Nous avons réservé un véhicule de location. Le loueur de la marina fait acte de présence quotidien mais n'a aucun véhicule disponible. La seule disponibilité était à l'aéroport, où nous nous rendons en bus 161 de bon matin.

Je dois vous parler du théorème de Liliane : "Chaque fois qu'on loue une voiture, le ciel se couvre". Faux ! Pendant deux jours, nous allons bourlinguer dans Lanzarote sous un ciel d'un bleu lumineux, grâce à l'anticyclone qui nous envoie de l'air froid et sec.

Liliane aussi : "Y'en a marre de tes explications techniques, il faut des photos de voyage pour égayer le blog".

Liliane a donc exhumé le guide du routard des Canaries, qui nous a été cédé l'an dernier par nos amis Maryvonne et Hervé, venus nous accompagner dans la visite de Tenerife.

La visite commence au nord de l'île, au Mirador del Rio, construit pas le génial César Manrique, complètement intégré au rocher. L'intérieur est superbement agencé et on peut apprécier le panorama du haut de ce promontoire aussi bien au travers des baies vitrées de la buvette que du dehors à un balcon surplombant les falaises. Nous revoyons avec plaisir la côte de La Graciosa et le mouillage où nous étions juste avant Noël. Tout à l'ouest, la côte est plus basse et truffée de cônes volcaniques.

L'intérieur du bâtiment impressionne par sa sobre beauté.

Mirador del Rio
Beauté et intelligence

Ensuite, la route se poursuit par la route des crêtes, où chaque arrêt nous donne une vue sur la mer et en particulier les îles au vent de La Graciosa.

Haría, dans la vallée de Las mil palmeras (mille palmiers)
Plage de Caleta de Famara

L'ancienne capitale de l'île, Teguise, devenue une paisible bourgade, nous donne plaisir à déambuler par les rues bordées de maisons basses toutes blanches, avec en toile de fond des sommets de petits volcans ou des étendues de laves solidifiées. Ces rues baignées de lumière blanche violente me rappellent intensément les vacances en Espagne en van aménagé avec mes copains de lycée (à part la fraîcheur de décembre quand même).

Ci-dessous : "Pintxos", variante basque ou galicienne des tapas espagnoles. Du verbe "pinchar", qui veut dire "piquer".

Teguise
Teguise
Pintxos
Teguise
Teguise
Teguise
Teguise
Teguise
Teguise

On poursuit par l'incontournable Fundación César Manrique à Tahíche. C'est une maison complètement intégrée dans des bulles de lave solidifiées, mettant à profit ces formes rugueuses pour créer un dédale de couloirs et d'alcôves. Un passage touristique évident, mais tellement bouleversant d'une architecture pleine d'imagination et d'intelligence.

Fundación César Manrique
Allons-y !

Nous finissons par la route des volcans, qui inclut une zone interdite aux véhicules particuliers. Cette zone est fermée à notre arrivée. Ce sera pour demain...

10 janvier 2024

La voiture de location nous permet d'explorer les magnifiques Montañas de Fuego dans le parc national de Timanfaya. L'organisation de la visite de la route des volcans est draconienne. On passe un premier péage pour entrer en voiture dans le parc national. Cela nous laisse parcourir deux kilomètres sur le ruban noir de route sans ligne blanche qui serpente entre les chaos volcaniques hérissés de pointes. On se croit déjà sur une autre planète. Le conducteur s'applique pour ne pas poser un pneu sur le tranchant des cailloux pointus. Nous échangeons nos impressions que la simple pensée d'y marcher à pied fait mal. On accède ainsi à un deuxième barrage destiné à réguler le nombre maximal de véhicules accédant au parking. Il faut alors garer sa voiture et embarquer dans un car collectif qui nous fait parcourir pendant une quarante-cinq minutes le circuit routier étroit, sombre et tortueux fort bien étudié, au milieu des cratères, des cônes volcaniques et des islotes. Interdiction d'y aller avec son propre véhicule ou même à pied. Une bande audio quadrilingue nous informe sur les éruptions du dix-huitième siècle qui ont façonné ces paysages fous, ensevelissant toute trace de vie, à part les islotes, qui constituent encore les seuls îlots de vie végétale ou animale. A la sortie du bus, et après les selfies d'usage, Liliane se déclare complètement "débousaoûlée" par tant d'arides rocailles.

Le diablotin dessiné par Manrique, issu des traditions et légendes en vigueur sur Lanzarote, apparaît partout, sur les vitrines, les façades, les objets de commerce touristiques. Dans ce paysage rocheux, il me rappelle les gravures rupestres cornéiformes que l'on trouve dans la Vallée des Merveilles.

Liliane synthétise bien l'impression générale : "Tout est beau, même les toilettes".

Mais Lanzarote en a encore sous le pied pour nous impressionner. En quittant le Parc National, un petit tour par les plages du nord-ouest avec la houle qui brise à grand fracas sur de larges fronts.

Après un passage rapide aux Salinas de Janubio (marais salants), nous profitons de la proximité de Playa Blanca pour retourner chercher la lunette de WC Jabsco que nous avions réservée lors de notre passage en bus il y a quatre jours. Je cherche aussi s'il n'auraient pas le chargeur Victron que j'ai identifié comme un bon remplaçant du chargeur d'alternateur. Ce produit est un peu trop pointu pour le niveau de fournitures généralistes de ce magasin. Nous nous contenterons que quelques produits ordinaires qui nous manquaient, de fil électrique diamètre 16mm² et les cosses qui vont avec, que je n'ai plus en stock dans le bateau. Il faudra aller à Arrecife ou attendre la prochaine escale pour trouver cet équipement.

Après ce court intermède technique, sans même un œil pour les bateaux de la marina, nous fuyons les odeurs de poulet-frites des restaurants de la riviera et partons en direction de El Golfo. Et nous ne sommes pas déçu par l'agencement des petits restaurants de bord de mer, avec les vagues qui brisent dans tout le paysage qu'on peut embrasser du regard, les maisons blanches et surtout les quelques unes toutes petites et très bien entretenues que certains habitants utilisent comme micro-résidence de vacances, juste face à la mer. Ces bords de mer peu construits sont un des effets, nous l'avons appris hier, de l'action militante de César Manrique, qui a utilisé sa notoriété pour que Lanzarote, son île natale, reste à l'abri du tourisme de masse. Avec succès, par exemple au travers de lois qui imposent qu'aucune construction n'excède deux étages au-dessus du sol.

Lago verde

Sur le retour, nous mettons à profit les dernières heures utiles du jour pour recharger le bateau en provisions de bouche. Les étals du supermarché sont souvent assez peu approvisionnés et il est difficile de dépenser son argent, comme je le dis souvent par provocation.

Liliane aime l'espace latéral réservé aux portières

Une deuxième journée bien remplie !

11 janvier 2024

"Rien", écrivait Louis le 14 juillet 1789.

12 janvier 2024

Nous remontons la pente :

✌︎ la cadène de bas-hauban est bien étanche ;

✌︎ l'abattant neuf des WC est en place ;

✌︎ le convertisseur du panneau solaire charge bravement les batteries de servitude ;

✌︎ la ligature de la gaine de la drisse de spi est finie.

Ce dernier point ainsi que l'absence de vent sont l'occasion de gréer complètement le Code D pour une vérification. Après étarquage, je vois avec plaisir s'aligner tous les points d'amélioration mis en place depuis le chantier Madère : la gaine Technora de la drisse tombe pile sur le réa de tête de mât pour la protéger au point de ragage ; l'émerillon du haut est légèrement décalé par rapport à celui de l'enrouleur de génois, ce qui évite les interférences ; l'estrope en Dyneema du point d'amure empêche bien l'émerillon de tourner lorsqu'on enroule ou déroule la voile ; la bosse d'emmagasineur tombe pile sur le taquet de l'arrière du cockpit, où elle coulisse bien, ce qui évite d'ajouter une poulie ; et j'ai ajouté le petit frein pour bloquer cette bosse en navigation, sous forme d'un nœud de Prussik, que je remplacerai peut-être par un Machard Français à l'usage. Après cet essai, le Code D lui-même reprend sa place dans le sac, que nous avons cette fois-ci soigneusement harnaché sur le roof, où il est moins exposé aux vagues que dans les filières à l'avant. Par suite de notre expérience malheureuse de perte du spi asymétrique l'an dernier, la voile elle-même est également frappée sur la main courante du roof. Ce n'est pas qu'un effet de notre imagination, lors de notre dernière traversée de Madère aux Canaries, les vagues balayaient régulièrement le pont jusqu'au roof et au moins une fois jusqu'au panneau de descente, après s'être faufilée dans les interstices de la capote. La mer n'était pourtant pas forte, mais il suffit de certaines combinaisons d'allure et de houle pour rencontrer de ponctuels déferlements. De plus, si le sac venait à être arraché et le spi emporté par-dessus bord, il "chaluterait" et on pourrait le récupérer, sans doute après quelques efforts. Voilà, c'est prêt.

Ligature de la gaine Technora sur drisse de spi
Ligature & manchon thermorétractable & nœud de Capucin
Estrope Dyneema au point d'amure du Code D
Danse des émerillons en tête de mât
Bosse d'emmagasineur du Code D
Sac Code D assuré
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13 et 14 janvier 2024

C'est le week-end. Nous recommençons à profiter de la vie de voyageur, avec moins de pression des travaux relatifs au bateau. Nous pouvons maintenant picorer dans la todolist résiduelle pour avancer un ou deux points par jour ; tranquillement.

Héron...
... héron, petit ponton

Encore un peu de matelotage.

Premièrement l'ajout un anneau lisse en bout de bôme. Il permettrait de faire passer l'écoute du Code D lorsqu'on est à une allure très portante. Je sais que cette voile n'est pas taillée pour ces allures contrairement à un véritable spi, même un asymétrique. Et c'est pour cela que j'avais emporté un véritable spi, avant de le perdre en mer l'an dernier. A défaut je prévois d'aider le Code D à se remplir d'air en ouvrant largement son écoute. C'est une vieille astuce qui figurait déjà dans le cours des Glénans des années 70. Et c'est aussi la discussion avec Valerie Platon à La Gomera qui m'a convaincu d'ajouter cet anneau. On verra à l'usage si ça fonctionne, mais s'il n'est pas installé on peut difficilement l'ajouter en mer.

Deuxièmement, je tente de perfectionner le trajet de la bosse du frein de bôme de la grand-voile. Pour cela, il faut que j'ajoute un anneau lisse en pied de mât. On expliquera tout ça si ça fonctionne en mer.

Troisièmement, je fourre les trois anneaux de bosses de ris avec de la garcette pour qu'ils ne s'accrochent plus dans les lazy jacks quand on hisse la grand-voile.

Anneau lisse en bout de bôme pour écoute du Code D
Renvoi de bosse de frein de bôme en pied de mât
Gainage anneau de ris #1
Gainage anneau de ris #3
Ciel couvert - panneau solaire nomade

18 janvier 2024

A la recherche de la fuite d'eau douce dans les fonds, après de multiples essais de remplissage sélectif de chaque réservoir, nous finissons par identifier le (principal) coupable. Je le démonte et nous le testons à l'extérieur, suspendu à ses anneaux. Cet essai nous permet de trouver deux micro-fissures qui perlent nettement au travers du revêtement. Depuis notre départ de Roscoff l'an dernier, cela a fini par faire quelques litres dans les fonds, qui avec les mouvements du bateau ont enjambé les cloisons des coffres et mouillé les autres alvéoles. La bonne nouvelle, ce serait qu'il n'y en ait qu'un seul qui fuie. L'investigation n'est sans doute pas terminée, mais nous commençons par "rustiner" ces fissures à l'aide de colle polyuréthane et de rondelles de PVC. Il y a un secret millénaire à connaître pour obtenir un très bon collage. Je vais vous le révéler : il faut lire le mode d'emploi. C'est un peu fastidieux mais facile de décaper, nettoyer à l'acétone, enduire les deux pièces une première fois, laisser sécher avec un minuteur, itérer l'encollage et finalement appliquer fermement les deux parties en écrasant la rustine à plat bien fort à l'aide d'une bouteille vide. Sauf que la dernière étape se termine le soir, que la température a déjà baissé et que le collage échoue. Je le terminerai le lendemain matin juste avant de partir en balade.

En partant de Roscoff en 2022, déjà très en retard dans la saison, nous avions décidé de conserver ces réservoirs souples qui ont dix ans de service. Et pendant les révisions décennales à Madère, ce sujet était passé au second plan, pas très prioritaire. La réalité nous rattrape, et je commence à me renseigner par Internet pour trouver en stock des réservoirs neufs. Evidement le modèle de cette taille exactement ne se fait plus.

Démontage du fond du coffre
Identification des fuites
Rustine est ton nom
Rustines et protection des points de raguage

19 janvier 2024

Nous avons reçu des nouvelles de notre ami Daniel, arrivé sur Lanzarote pour un stage de plongée. Il est déjà passé il y a quelques jours plonger avec son club à Puerto Calero.

Daniel et son club partent en plongée

Pour son dernier jour à Lanzarote, nous nous octroyons avec plaisir une journée de visite en sa compagnie, complétant ainsi notre connaissance de l'île. C'est un festival d'étonnements que Lanzarote nous offre. Nous commençons par un court passage à la Fondation César Manrique, que nous connaissons déjà. Puis nous visitons Los Jameos del Agua, une formidable installation d'art créée aussi par César Manrique à l'intérieur de relief naturel volcanique.

Tout est prévu
Avec Daniel

Après avoir fait le tour de la grotte et son lac naturel où vivent des crabes albinos aveugles, puis le dédale des escaliers et petites allées aux couleurs exclusivement blanches et noires de lave, garnies de petits bancs de pierre ou de bois, et l'espace ouvert autour d'une piscine, nous pouvons encore nous laisser surprendre par un gigantesque auditorium enfoui dans une autre grotte naturelle. Partout nous échangeons l'impression qu'il fait bon flâner, s'asseoir, contempler, rêver dans ce paysage paisible sorti de l'imagination précoce de cet architecte, peintre et sculpteur.

Un déjeuner léger à Arrieta est suivi d'une balade sur la magnifique plage de Famara. Le vent soutenu et la houle impressionnante animent le terrain de jeu des surfeurs, planchistes et kite-surfeurs, avec La Graciosa en toile de fond, tandis que des deltaplanes d'un club originaire de Annecy nous survolent.

Au fond, La Graciosa
2024. Si jeune et déjà tant de souvenirs !

20-22 janvier 2024

Ces quelques jours sont mis à profit pour faire avancer nos problèmes techniques ("- C'est trop technique, ce blog ! dit Liliane -OK mais je n'y peux rien, c'est l'actu.")

Les rustines du 18 janvier ont bien collé. Nous remontons les réservoirs. Pat & Lili, one point !

Ensuite le distributeur de matériel électrique local (et le seul) nous communique lundi une bonne nouvelle : il a reçu les convertisseurs attendus. Puis mardi, une mauvaise : ils ne sont pas du modèle (isolé) que j'avais commandé. Il tente bien de me faire changer ma commande (" ¿Y por qué quieres un modelo aislado? "), mais non, on ne va pas commencer à faire des concessions sur le choix du matériel. Dans la foulée de cette conversation un peu décevante, je commence à contacter par mail les distributeurs du même matériel à Las Palmas...

Du coup, plus rien ne nous retient à Lanzarote. Liliane et moi sentons ensemble l'envie d'aller voir du pays, l'impression aussi d'avoir fait un tour assez complet sinon exhaustif de Lanzarote. Et justement, il y a Gran Canaria à cent milles et quelques, la seule avec El Hierro, que nous n'avons jamais visitée. Il se peut qu'elle ait moins de charme que les autres, mais Las Palmas de Gran Canaria est la co-capitale de la communauté autonome des îles Canaries, une grande ville où on devrait pouvoir plus facilement trouver notre article électrique.

Depuis plusieurs jours déjà, nous avions identifié un créneau météo favorable ce mardi 23. Nous nous préparons donc, tout en sachant que nous n'aurons probablement pas de place dans la marina. En effet, le dialogue par email avec la Capitainerie de Las Palmas ne nous laisse aucun espoir : pas de place et pas de réservation possible. Il faut arriver, puis venir s'inscrire sur la liste d'attente. Ils savent à quel point les prévisions horaires des navigateurs sont plus frivoles que les embruns et ne prennent donc aucune réservation d'avance.

Un petit essai moteur, un essai du guindeau en prévision du mouillage et nous confirmons notre départ à la Capitainerie de Puerto Calero. Il accepte de nous faire la réduction -20% pour le mois, même si nous leur avons notifié notre présence par tranches d'une semaine. D'autres marinas du même groupe n'ont pas eu cette délicatesse commerciale.

Et ce sera bientôt une autre étape à vous raconter...

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Avertissement : nos lecteurs voudront bien excuser la faible qualité rédactionnelle de cette étape, réalisée "à l'arrache" en mars, juste avant notre départ en transat.

Traversée de Lanzarote à Gran Canaria

23 janvier 2024

Nous avons choisi de quitter Puerto Calero vers seize heures pour arriver de jour à Las Palmas. La simulation indique une arrivée vers 6 heures du matin, ce qui n'arrive jamais en réalité, puisqu'on ne fait jamais marcher le bateau aussi bien que dans la simulation. La météo prévoit un vent modéré, une quinzaine de nœuds, ce qui laisse une mer relativement lisse, mais assez fort tout de même pour nous propulser bien que nous soyons au vent arrière qui est une allure plutôt lente. Les houles résiduelles des jours précédents sont un peu calmées. L'arrivée est juste prévue un peu plus ventée dans les canaux entre les îles, comme de coutume.

Prévisions au départ
Prévisions en milieu de nuit
Prévisions pour l'arrivée à Gran Canaria

Une petite marche arrière, puis nous enquillons le chenal longitudinal du port où sont amarrés les immenses bateaux de luxe, et très vite nous voici en mer.

Je grée une retenue de bôme selon le nouveau circuit auquel j'ai réfléchi ces derniers jours, de façon à faciliter les manœuvres d'empannage. En effet dans la prévision de cette navigation, je ne compte pas rester exactement vent arrière, mais faire plusieurs bords de grand-largue qui sont finalement plus rapides que d'aller tout droit. Nous aurons plusieurs fois besoin d'empanner, ce qui peut devenir délicat si le vent augmente. Lorsque l'empannage est volontaire et maîtrisé, on amortit en général le mouvement pour éviter de casser quelque chose, mais si l'empannage était incontrôlé, il pourrait être violent et casser la bôme ou le chariot de grand-voile. La retenue de bôme a justement pour but de parer ce cas en maintenant fermement la bôme ouverte à sa position. Au départ je l'avais gréée en frein, c'est à dire qu'il faut l'étarquer des deux côtés. Cela nécessite un renvoi à l'avant du pont, deux retours au cockpit et deux coinceurs de roof, c'est compliqué à mettre en place et surtout à changer de côté lorsqu'on empanne (volontairement). De plus, cela barrait un peu le passage des deux côtés et il fallait enjamber pour aller à l'avant.

Je fais donc des schémas sur mon cahier pour trouver un trajet qui me simplifie à la fois l'installation initiale et le changement de bord. La nouvelle solution passe par un renvoi au pied de mât pour que la bosse file directement vers les coinceurs du roof, d'où je pourrai régler la tension et éventuellement la larguer doucement à partir du cockpit pour l'empannage et qui soit facile à transférer sur l'autre bord. Nous ne sommes pas en course et ce n'est pas le problème du temps passé, mais surtout le fait d'éviter de me déplacer sur le pont tout à l'avant en mer.

Frein de bôme - étude 2022
Frein de bôme - étude 2023
Retenue de bôme largable

Après un premier empannage à quelques milles à l'est de la Isla de los Lobos, au soleil couchant, nous passons entre Lanzarote et Fuerteventura. Des navettes reliant les deux îles nous croisent à grande vitesse. Puis nous entrons dans le grand vide du large. La Lune a pris soin de se lever consciencieusement un peu avant le coucher de soleil, et elle continue tranquillement son ascension. Même pas de pêcheurs ; mais d'où vient donc le poisson des restaurants ?

A un moment, je vois clignoter un feu à bâbord. Ça ressemble à un phare. Comme on l'apprend dans le cours des Glénans, je cherche à l'identifier sans regarder la carte : un éclat blanc, période environ huit secondes en comptant mentalement pas trop vite ‘A1, A2... A8‘. Bizarre ! qu'est-ce qu'il fait là en pleine mer ? Puis je regarde la carte. Bon sang, il n'est pas en pleine mer, c'est juste que la côte de l'île est complètement obscure. En premier lieu, de par sa couleur de lave noire, qui ne reflète pas les rayons de la Lune, et en second de par l'absence total de lumière artificielle. Elle est "éteinte", comme ont dû la voir, sous la même Lune il y a cinq mille ans les premiers habitants Guanches. Comme nous l'avions déjà constaté pour la côte nord de Lanzarote, il y a de grandes distances sans le moindre village, la moindre construction ni éclairage routier. Le désert majestueux, de jour comme de nuit. Malgré le GPS et sa précision décamétrique, il est toujours rassurant et plaisant de corroborer la position sur la carte par l'observation directe d'un phare.

24 janvier 2024

Tous nos quarts de cette fin de nuit ont été fort perturbés par les incessants appels à la VHF. On ne peut pas couper la radio parce que ça peut être utile. Donc la radio reste à l'écoute sur le canal 16, celui qui sert de base pour tous les appels de sécurité ou entre bateaux. D'ailleurs dans la nuit, le cargo Front Brage nous appelle pour lever un doute sur nos intentions, par suite de nos routes qui se croisaient d'un peu près. "-Good morning Tusitala, I can alter my course if needed. Over" Contrairement à certaines médisances qu'on entend sur les pontons à propos du comportement des cargos en mer, je trouve plutôt sympa ce capitaine d'un crude oil tanker de 156557 tonnes et 174 mètres de long qui nous propose de changer sa route. Je décline et je remercie "-Good morning Front Brage, Thank you. You don't need to alter your course, I will pass astern to you. Over - OK, have a nice watch. Out"

Il y a aussi des appels du MRCC (l'équivalent du CROSS français) qui rappelle régulièrement un avis urgent aux navigateurs. Cet appel commence toujours par une sonnerie stridente que nous ne pouvons pas désactiver ou diminuer (sur le canal numérique 70 pour les intimes). Il faut absolument appuyer sur le bouton "OK" pour faire taire cette fichue sonnerie. Et ensuite écouter (ou pas) son message sur le ch 16, qui propose de passer sur un autre canal, pour indiquer que la plate-forme à l'entrée de Santa Cruz de Tenerife, bla bla bla (on est loin, on s'en fiche).

Puis il y a plusieurs fois un Pan-Pan (appel d'urgence) pour signaler des bateaux pneumatiques on-ne-sait-pas-où et on-ne-sait-pas-avec-combien-de-personnes-à-bord, en provenance d'Afrique et en direction des Canaries. Et qu'il nous est demandé d'ouvrir l'œil et de signaler toute observation au MRCC.

D'autres appels sont relatifs au trafic intense à cet endroit précis des Canaries, où se trouve un dispositif de séparation de trafic entre Fuerteventura et Gran Canaria. Ce dispositif comme on en trouve généralement aux endroits de convergence du trafic marchand (e.g. au large de Ouessant ou de la Corogne) est constitué de deux rails fictifs (sur les cartes) que tout navire commercial doit impérativement emprunter pour transiter du nord au sud des îles Canaries ou vice-versa, exactement comme une route à deux voies séparées par un terre plein central. Pour gérer et surveiller ce trafic montant et descendant, il y a une Autorité maritime appelée "Traffic Control" (deux f en Anglais) qui utilise le canal radio 16 pour contacter chaque bateau qui entre.

Enfin, la convergence des navires vers les rails se traduit également par des alarmes fréquentes de notre récepteur AIS. En prévision de ce point de passage, j'avais connecté l'iPad à la petite enceinte Bose pour qu'elle répète l'alarme dans la cabine au cas où la personne de quart (on ne dit plus "homme de quart", ni "homme à la mer", bien sûr) se serait assoupie, ce que nous nous autorisons en haute mer pour vingt minutes au maximum. Précaution superflue. Dès que l'alarme AIS de l'iPad retentit, tout l'équipage, c'est à dire Liliane et moi, avons le cerveau immédiatement attentif. Dans la nuit, le croisement d'un énorme cargo fait PEUR. C'est irrationnel parce que notre sécurité est épaulée par le magnifique système AIS qui permet de visualiser sur notre carte les prévisions d'intersection des routes, avec l'affichage de la distance de passage minimale (CPA) et du temps restant avant ce passage (TCPA). Il est difficile d'imaginer que dans cette immensité, des routes aléatoires conduisent à se croiser parfois à quelques centaines de mètres. Notre alarme AIS est réglée pour retentir si le croisement doit se produire à moins de 2000 mètres et dans moins de vingt minutes. Au moment où nous croisons les rails de trafic, bien perpendiculairement pour ne pas traîner dans le secteur, il m'arrive de voir sur la carte au moins quatre bateaux simultanément autour de nous. Souvent bien avant de les distinguer visuellement. Autre chose surprenante : quand la situation montre qu'on va se croiser assez près, genre à six cent mètres alors qu'on est encore à huit milles nautiques l'un de l'autre, il semble assez difficile de faire changer cette situation avec certitude. J'essaie de changer notre route de dix degrés dans le sens qui devrait faire augmenter la marge. Mais l'effet du changement n'est pas évident, parce que changer la route d'un voilier, c'est aussi changer sa vitesse. Il se passe de longues minutes de doute avant que le croisement devienne plus distant. Quand j'arrive à obtenir une situation stable où on se croise à plus de un mille nautique, je me sens mieux. C'est bien plus que le nécessaire pour la sécurité, mais bon sang, de nuit, un porte-container à un mille nautique, ça fiche la trouille. Certains navires sont sombres à part leurs feux réglementaires, d'autres sont de véritables cathédrales de lumières qui masquent au contraire leurs feux de navigation. Parfois la carte électronique de l'iPad avec toutes les traces AIS de ces navires ressemble à un plat de spaghetti.

Bref ! celui qui est de quart passe son temps à appuyer sur le bouton OK et à vérifier que l'appel ne nous concerne pas ; et celui qui dort... est réveillé. Une nuit éprouvante de ce point de vue, alors que par ailleurs tous les éléments s'étaient donnés rendez-vous pour nous faire une belle traversée : un vent portant, une houle raisonnable, une presque-pleine Lune, un ciel étoilé et un air doux pour un mois de janvier.

Cathédrale de lumière
Tour d'horizon. Rien, c'est bien !

Au petit matin, le vent monte un peu et les vagues du vent avec. Le pilote commence à mouliner, mais reste vaillant. Je vois sa consommation électrique qui augmente. Je vais donc mettre l'hydrogénérateur. Cela prend quelques minutes et quand je redescends à la table à carte, je ne vois aucun effet de sa production. Je vérifie les connecteur extérieur étanche. Rien. Je vais dans la soute voir le contrôleur de charge et là je tombe sur un os. Il affiche une tension de 0V. La diode indique "Brake", c'est à dire frein. Pourtant la commande manuelle du frein est bien sur "Release". J'observe un moment, je photographie, je filme... Quelques courtes apparitions d'une tension 5V, puis 14V. Le bruit change momentanément et le courant de charge s'établit... puis disparaît. Flute, encore un problème électrique. Je ressors l'appareil de l'eau, je le remets, en espérant sous l'effet de la pensée magique que cela va changer le résultat. Au bout d'une dizaine de minutes, je renonce. Nous ne sommes plus qu'à quelques heures de Las Palmas et les batteries sont encore pleines à 75%.

Par précaution, on va juste soulager le pilote pour diminuer sa consommation. Ça tombe mal, le vent augmente encore. Au lieu des seize nœuds prévus, on reçoit vingt, puis vingt-quatre. Nous prenons un ris (facile ! depuis que nous avons fait les améliorations des drisses et bosses à Madère). Ça monte encore. Dans le canal entre Fuerteventura et Gran Canaria, la maille de calcul des prévisions météo ne permet pas de modéliser cette échelle et "on sait bien" que trente nœuds est le tarif habituel. Deux ris pour finir cette étape. L'esprit plombé par la fatigue de la nuit et un peu préoccupé par le problème de l'hydrogénérateur, nous approchons du port de Gran Canaria où d'immenses structures métalliques et de gros navires sont soit à l'ancre, soit en train de manœuvrer lentement. L'esprit tendu, nous avons hâte d'arriver quand nous entrons dans l'avant-port. Le guide nautique Imray indique qu'il faut appeler Port Control sur le canal 16. Je m'exécute. Mais évidement c'est Traffic Control qui utilise ce canal. D'une voix calme et très professionnelle, l'opératrice me demande de passer sur le canal 10 (il faut dégager le 16, toujours). J'explique ‘- I request the authorization to enter the harbour and proceed to the marina‘. Elle m'explique que la marina doit être appelée directement sur le canal 11. Soit. Le guide Imray n'est donc pas à jour, il est inutile d'appeler Port Control. Autant d'ailleurs que la marina, puisque nos derniers mails échangés nous ont indiqués que c'était plein et qu'il fallait nous mette au mouillage en attendant une place.

La zone de mouillage est située juste à côté du mole de la marina. Nous y faisons un petit tour de reconnaissance, essayant de trouver une place au fond, là où la houle résiduelle est théoriquement moindre. La zone est pleine de bateaux, malgré la basse saison qui est censée être moins fréquentée. Sans doute des retardataires de la transat, comme nous. Avec les rafales qui font friser l'eau, nous préférons éviter de nous coller trop près des autres. Nous retournons au bord de la zone, près du grand chenal de transit des navires commerciaux. C'est ouvert sur le chenal de sortie et il y a du clapot. Nous avons hâte de terminer la journée. Encore un effort et l'ancre descend dans dix mètres d'eau. Avec quarante mètres de chaîne pour bien dormir, on peut enfin se poser, après avoir vérifié que ça tient bien (un repère sur les immeubles ; un coup de marche arrière ; rien ne bouge ; parfait). Pas tout à fait, il faut encore ranger les voiles, les drisses, les écoutes, compléter le journal de bord et ajouter la main de fer au mouillage.

L'approche turbulente du grand brise-lames

Une courte collation et hop au lit pour une sieste de récupération.

La zone de mouillage est sillonnée de petites embarcations à voile ou à rames, animées par des clubs nautiques locaux qui font sortir toutes les classes d'âge sur l'eau.

Dans le soir qui tombe, nous voyons encore passer quelques grands navires, boutés ou tirés par des remorqueurs. Nous les voyons faire des demi-tours impressionnants sur place, lents comme une danse de paresseux, précis comme des horlogers. Les structures d'acier des grues et les châteaux des navires de commerce dessinent de beaux treillis dans le soleil couchant et dans la nuit des guirlandes de lumières.

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Au mouillage

24-26 janvier 2024

L'annexe reprend du service pour nous rendre en premier lieu à la Capitainerie réaliser les formalités et notre enregistrement sur la liste d'attente. Nous sommes troisième. Le contact avec le personnel est professionnel mais plus distant que dans les autres marinas, sans doute à cause du grand nombre de navigateurs qui passent ici. Les prestations sont réduites, surtout au mouillage. Le prix très modique de 2,09€ par jour inclut l'accès aux sanitaires et à l'eau potable et l'électricité du quai d'accueil pour venir ponctuellement remplir les réservoirs ou les batteries. N'ayant pas envie de déplacer le bateau pour ça, nous allons tenter de rester au maximum autonomes au mouillage, tant en électricité qu'en eau, en patientant qu'une place de ponton se libère.

Lorsque le vent synoptique tombe, la brise de nuit inverse la position du bateau par rapport à celle du jour. La nuit nous mettons donc une alarme de mouillage pour être réveillés au moment où le bateau tourne autour de son ancre, histoire d'aller jeter un coup d'œil aux bateaux voisins.

Aux moments où les divagations du bateau le mettent pile travers à la houle qui entre dans le port, il suffit d'une ondulation périodique de quelques centimètres pour que le bateau entre en résonnance et nous gratifie d'un roulis pendulaire assez désagréable. Mais nous sommes néanmoins plutôt bien à cet endroit.

Formalités faites
Déco sympa au Skipper's Bay
Ecoper l'eau dans le fond de l'annexe
Le charme troublant d'une annexe suspendue dans le soleil couchant
Trace de nos positions pendant une partie de la nuit au mouillage
Un courageux bateau-stoppeur arpente le plan d'eau en paddle

Tous les jours, nous voyons de petits groupes de jeunes parcourir le mouillage sur des embarcations hétéroclites. Paddle, canoë, pneumatique... Seuls, à deux, à trois, ce sont des bateaux-stoppeurs. Ils sont parvenus tant bien que mal aux Canaries par des chemins très différents et tentent maintenant de trouver un embarquement pour poursuivre leur périple. Nous sommes les témoins bienveillants de leurs rêves. Souvent c'est l'Amérique du Sud ou le Mexique qui les attire, mais tous sont prêts à suivre d'autres opportunités. Nous trouvons du charme dans la fraîcheur de leurs espérances et nous admirons leur persévérance quotidienne. Ils passent du temps à discuter, même si nous prenons soin de clarifier rapidement que nous comptons rester à deux pour notre propre voyage. Nous les encourageons de notre mieux. Les locaux collectifs sont remplis d'affichettes de leurs candidatures, tout autant que les réseaux sociaux. Nous finissons par connaître leurs prénoms, leurs objectifs et nous les croisons aussi parfois au Sailor's Bay. Un matin, l'un d'eux, Romain, nous apporte même deux tranches du cake à la banane qu'il a cuisiné à bord du bateau avec lequel il est venu et a vécu une expérience que l'on qualifie de "root". La nuit, leurs solutions d'hébergement sont assez variables : à bord de bateaux d'accueil, sur la plage, dans des maisons d'hôtes provisoires. Certains en profitent pour tenir quelques emplois ponctuels. Assez régulièrement, nous apprenons qu'un individu ou un couple a fini par trouver l'embarquement rêvé et les autres les félicitent chaleureusement. Certains sont plus constants et persévérants que d'autres dans leur démarche ; nous faisons ainsi la connaissance de Tom, bien sympathique et débrouillard, avec lequel nous avons plaisir à engager la conversation lorsqu'il passe.

Et aujourd'hui, nous sommes samedi. La sono du Real Club Náutico sur la plage anime notre espace sonore jusqu'à cinq heures du matin.

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L'électricité

L'autonomie électrique suppose de mettre en service le panneau solaire nomade prévu pour ce cas, en plus du panneau fixe, et de gérer leur orientation pour maximiser leur production. En effet, pour un flux solaire donné, le maximum de production se situe lorsque l'incidence des rayons est exactement perpendiculaire à la surface des panneaux solaires. Ensuite, la perte d'illumination est au moins proportionnelle au cosinus de l'angle d'écart. Ceux qui se souviennent de leur table des cosinus remarquables auront en tête que pour une déviation de 60°, le cosinus vaut 1/2, ce qui signifie tout simplement que la moitié de la puissance du rayonnement seulement atteint la surface du panneau. C'est une perte de production qu'on peut très facilement éviter en passant de temps en temps devant le support du panneau et en corrigeant son orientation. Une fois par heure suffit, si on considère que la Terre tourne de 15° par heure et que la perte est alors réduite à moins que cos15°=0,97, soit 3% de la puissance (formule un peu simplifiée qui n'est exacte qu'à l'Equateur). On n'y peut rien, ce n'est pas de la technique, c'est la têtue physique. Il est vrai toutefois que la descente vers le sud s'accompagne d'un élévation supérieure du soleil dans la journée et que deux panneaux solaires posés à plat évitent la préoccupation de les orienter et qu'en doublant leur nombre cela compense la déperdition due à l'orientation. J'avais pas mal gambergé sur ce sujet depuis bien longtemps et finalement préféré un seul panneau orientable, ce que je trouvais plus esthétique qu'un portique, choix tout à fait personnel.

On pourra observer que c'est le même problème que Starlink a résolu autrement en multipliant le nombre de satellites, ce qui permet à son antenne RV de fonctionner avec une seul axe d'orientation du faisceau de son antenne à balayage électronique et pas moins de 4000 satellites (bientôt étendus à 12000, puis 40000). Bon, le soleil, on n'en a qu'un et il faut donc orienter le panneau.

Avec cette routine, on relève le matin des batteries (dé)chargées à environ 60% et à la fin d'une journée ensoleillée, elles sont remontées aux alentours de 75%, qui est peu ou prou celle avec laquelle nous sommes arrivés au mouillage. Notre consommation électrique au mouillage est limitée au réfrigérateur, principal contributeur avec ses 45W intermittents, aux téléphones portables, liseuses, un peu d'éclairage à LED et le feu de mouillage toute la nuit (6W). Bien sûr, tous les instruments de navigation sont à l'arrêt. C'est assez spartiate mais indolore. Nous avions réfléchi avec Liliane à ces cas d'usages de l'électricité, et à l'aide d'un tableur, j'avais vérifié que ce serait acceptable à condition que le soleil ne fasse pas défaut pendant plusieurs jours d'affilée. Dans ce cas défavorable, on serait conduit à recourir à l'énergie fossile du bord (mais pas en ce moment, puisque précisément nous sommes en attente d'un chargeur DC-DC).

27 janvier 2024

Sortie de test en mer

J'ai appelé le fabricant de l'hydrogénérateur pour demander son avis sur le problème rencontré en mer. Il assure que ce n'est pas une panne, juste un réglage à peaufiner sur un paramètre de charge. Il me recommande de monter légèrement ce paramètre et de faire des essais. Aujourd'hui nous sortons donc au moteur dans l'avant-port pour essayer l'hygrogénérateur. C'est évidemment absurde de faire avancer un bateau au moteur et d'en récupérer un peu d'énergie hydraulique pour charger des batteries, mais c'est juste pour essayer.

Dans l'avant-port ce samedi matin, c'est la place de la Concorde. Des énormes bateaux qui entrent et sortent accompagnés de remorqueurs ou d'une pilotine, des dizaines de kayaks qui s'entraînent ou se coursent, des gamins en Optimist qui régatent entre deux bouées et le zodiac de sécurité, d'autres en 420, des voiliers comme nous qui embouquent le chenal pour sortir en mer. Et nous qui essayons de trouver une ligne droite tranquille sous pilote pour faire un essai rigoureux et aller dans la soute changer le fichu paramètre Charge_Off, en n'oubliant pas mes lunettes pour lire l'afficheur en police 8.

Le résultat confirme l'avis du fournisseur. A quatre nœuds, l'hydrogénérateur produit de l'électricité et charge. Puis à six nœuds, il se met en mode Brake (frein). Je rehausse un peu le paramètre, mais au deuxième coup, j'arrête. Le technicien que j'ai eu en ligne me disait qu'il avait fait sa transat en décidant que l'hygrogénérateur serait désactivé lorsque les batteries sont à 80% de charge. Les nôtres sont aux alentours de 65% ce matin, et on doit pouvoir encore monter un peu la valeur. On va bien réfléchir d'abord.

Après cette petite heure d'essais, nous retournons prestement au mouillage parce qu'on voit entrer deux voiliers dans notre sillage, qui doivent probablement chercher aussi une place. Nous retrouvons la même que nous avions.

Je recontacte le constructeur, qui me confirme qu'on devrait pouvoir monter le seuil à 14V. Ce sera pour une prochaine sortie...

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Un emm... par jour

Dimanche 28 janvier 2024

Le matin, nous décidons d'aller à la marina nous doucher et faire quelques courses. Au mouillage, cette affaire se prépare soigneusement. En annexe tout peut se mouiller. Des sacs étanches pour les affaires de douche, les téléphones, le porte-feuille, un second sac étanche pour les courses. Chaussures de bain, chapeau, lunettes, rien dans les poches. L'annexe est mise à l'eau, le moteur installé et vissé au tableau arrière. Je tire la manette de démarrage. Le moteur fait un bruit inhabituel, comme une mobylette sans pot d'échappement et il cale. Je recommence, idem. Je le regarde de plus près et là, tabarnak ! l'arbre est sectionné en son milieu. Je n'en crois pas mes yeux au début, je me dis que c'est juste déboîté. Mais non, le tube en fonderie d'aluminium est bel et bien fendu. L'embase est tenue seulement par l'axe intérieur et les tuyaux de refroidissement. Pas de douche aujourd'hui. Nous avons donc deux moteurs d'annexe en panne, le premier parce que le robinet d'essence est cassé depuis Madère et la réparation a été sans cesse reportée, et le second aujourd'hui. Nous sommes scotché au bateau au mouillage. On pourrait bien appeler des voisins pour nous transporter, mais notre autonomie est anéantie.

Yann et Marie avait bien raison en 2021 de nous suggérer d'avoir deux moteurs d'annexe alors qu'ils étaient sur la même route que nous. Bien assis dans notre canapé à Paris, ça nous avait paru un peu exagéré, mais ils basaient cette recommandation sur leur expérience concrète : "- Ton annexe, c'est comme ta voiture quand tu habites dans une maison et tu en as absolument besoin pour te déplacer", disaient-ils. Nous avions suivi leur avis et acheté d'occasion un second moteur deux temps de la même marque Mercury, afin de communaliser les pièces de rechange et d'avoir un carburant identique.

Avec nos deux moteurs en panne, il reste la douche Décathlon fixée sur le balcon arrière, chauffée au soleil. C'est vraiment pratique. Liliane la trouve néanmoins plutôt froide.


🛠 Réparation du premier moteur (2.5HP)

J'entreprends de réparer le premier moteur, le plus vieux, dans le cockpit. Heureusement, quand son petit robinet plastique avait cassé, j'avais acheté immédiatement un rechange en le faisant venir du Portugal. Il nous faut bien une demi-heure pour remettre la main dessus, dans la boîte des pièces moteurs tout à l'avant, après avoir vainement fouillé la boîte étiquetée "Bazar" et la boîte des travaux "En cours". Le cockpit devient mon atelier. Rien de difficile. Ouvrir les capots, mettre le robinet neuf, bien serrer les tubes, un peu de vaseline sur les vis, refermer sans forcer. J'en profite pour changer la bougie. Et comme j'avais vidé l'huile de l'embase à Madère, il faut nous atteler à la remplir. J'exhume la petite pompe à huile manuelle, tout fier d'avoir pensé à en acheter une. Je vérifie le vissage de l'embout dans les trous de l'embase. Et là, (re)tabarnak ! le diamètre de l'embout n'est pas celui de l'orifice. Pourtant sur l'emballage de la pompe est écrit : FÜR ALLE MARKEN UND MODELL. Bon, nous n'allons pas nous laisser arrêter par ça. Liliane sent arriver un moment huileux et poisseux. Le lecteur se rappelle peut-être le péril pour un couple de tout travail sur un moteur. Je suis donc extrêmement prudent. Je scotche la pompe sur la bouteille d'huile, je pose tout ça dans un seau, Liliane ajoute un sac poubelle, des chiffons sous le moteur. C'est un concerto à quatre mains : je presse l'embout collé contre l'orifice du bas de l'embase et je commence à pomper, pomper. Quelques secondes plus tard, l'huile déborde doucement par l'orifice du haut. Vite ! Liliane insère la vis et son joint. Et vite ! je libère l'orifice du bas que Liliane obture avant que ça coule. L'opération est réussie. Encore quelques minutes et le vieux moteur ronronne (façon de parler pour un deux-temps) à l'arrière de l'annexe. Trop tard pour la douche, mais un grand soulagement, nous pourrons continuer de nous déplacer.


Autonomie électrique atteinte au mouillage
Réparation du robinet d'essence du Mercury 2.5HP
Moteur Mercury 2.5HP
Bossoirs et mâtereau de panneau solaire faits à Morlaix
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La douche justement, il faut en parler. L'eau vraiment chaude, c'est terminé depuis Madère. Aux Canaries, elle est souvent produite par des chauffe-eaux solaires. Lorsqu'il y a peu de soleil ou qu'il est tard en soirée ou qu'un équipage complet est passé avant nous, il ne reste que de l'eau tiède. On n'a que la surprise entre tiède-tendance-chaude ou tiède-tendance-froide. A Las Palmas, c'est plus subtil : c'est une chaudière, mais les trois locaux de sanitaires sont répartis sur les huit cent mètres du port. Après quelques tâtonnements, nous apprenons vite quel local reçoit l'eau en premier de la chaudière. Bien agréable moment, suivi d'un jus d'orange, parfois d'un plat de pâtes au Sailor's Bay Bar.

Écopage - le rituel
Mouillage agité et vivant
Les sorties quotidiennes des flottes d'Optimists
De belles rues bordées de palmiers

La marina de Las Palmas se situe le long d'une grande avenue de deux fois trois voies. Nous ne cédons que lentement au charme de cette autoroute urbaine impossible à traverser. Les deux seuls passages piétons sont aux extrémités du tronçon de huit cent mètres. Google Map est notre ami pour trouver le supermarché le plus direct.

Le vieux moteur hors-bord réparé pousse vaillamment avec ses deux chevaux et demi notre annexe jusqu'au port et retour avec notre sac de courses et nos affaires de douche. Il est un peu poussif et demande qu'on lui maintienne un peu de starter pour ne pas caler. Cette humeur lunatique est le signe d'une carburation un peu malingre. Il faudra qu'on ajoute le nettoyage du circuit d'alimentation à la liste des travaux. Cela me rappelle la fois où mon ami René et moi avions démonté un carburateur sur la plage de Mayreau aux Grenadines, au-dessus d'une grande serviette, de peur d'en perdre un morceau. L'alizé faisait voler le sable clair dans la trousse à outils, les palmiers ondulaient au-dessus du moteur à cœur ouvert. Magnifique souvenir ! Ça s'était bien terminé et le moteur était reparti. Ça me fait aussi penser que je ne suis pas pressé de remplacer nos vieux moteurs à carburateur par des systèmes d'injection électronique, car j'imagine la difficulté à diagnostiquer et réparer ce type de circuits.

Les docks commerciaux illuminés

Un soir, surprise ! mon téléphone affiche une alerte de l'application Marine Traffic me signalant l'approche de Metis, un voilier ami que nous avons déjà croisé deux fois l'an dernier, à La Palma et aux Açores. Le nuit est tombée depuis longtemps lorsque nous les voyons prendre une place de mouillage juste à côté de nous. Incroyable et heureuse coïncidence.

Au petit matin, on voit leur annexe passer à proximité de notre bateau. Ils sont chargés de sacs à dos et partent déjà faire une randonnée camping. Impressionnants les jeunes !

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Au ponton

29 janvier 2024

La Capitainerie nous appelle et nous confirme qu'une place est disponible. Le temps de remettre le bateau en ordre de marche, d'installer les pare-battages, nous nous acheminons vers le ponton d'accueil pour signer le nouveau contrat. Puis, nous partons vers l'emplacement du ponton S qui nous est attribué après avoir bien vérifié qu'un marinero viendra nous aider à prendre les amarres. Nous sommes un peu tendus parce que c'est un amarrage sur pendille, qu'on trouve typiquement en Méditerranée, et que nous n'avons jamais pratiqué avec Tusitala. Les RM ne sont pas réputés pour leur manœuvrabilité en marche arrière, avec leurs saildrives et leurs deux quilles. Liliane ne tient pas à sauter sur le quai dans cette nouvelle configuration. Nous avons pris soin d'enlever l'hydrogénérateur et la pale du régulateur pour éviter de les fracasser contre le quai en cas d'erreur de manœuvre, et nous avons mis nos meilleurs bouées de protection sur le tableau arrière. Heureusement que la météo nous offre un plan d'eau super calme. Les voisins ont les sens en éveil à notre approche, et finalement la marche arrière se passe bien, le bateau s'insère lentement entre les deux bateaux voisins. Liliane envoie parfaitement les amarres et la bateau est vite stabilisé. Nous sommes fiers de notre première prise de pendille !

Capitania de la marina Las Palmas
Ponton d'accueil
Formalités terminés, allons-y !
Fin de la manœuvre

31 janvier - 1er février 2024

🛠Les réservoirs d'eau douce

Nous avons déjà raconté les diverses tentatives pour rendre complètement étanches les réservoirs d'eau douce. Il y en a un qui est un récidiviste de la fuite. Pas grand chose, quelques litres au fond, mais dans une perspective de passer vingt jours en autonomie, cela ne peut être laissé en l'état.

Nous achetons et installons un réservoir souple neuf, en remplacement du réservoir rustiné à Lanzarote. Les rustines ont bien tenu, mais les raccords à vis en plastique laissent perler encore de l'eau. Donc nous décidons d'adopter une solution plus radicale, profitant qu'on trouve finalement beaucoup de matériel dans les boutiques de cette marina (Rolnautic, Accastillage Diffusion, Volvo). Comme le remarquent nos bateaux-stoppeurs, "vous arrivez tous avec des pannes ici". Alors forcément le commerce de réparation fleurit sur les quais.

Il n'est pas cher le nouveau réservoir, mais ce n'est pas notre quête, nous cherchons surtout un réservoir fiable. Très vite, il perd cinquante litres d'eau dans les fonds. Les raccords fuitent. Rien dans le mode d'emploi, mais il faut sans doute ajouter du ruban Teflon, le joint torique n'est pas suffisamment comprimé. On recommence avec le ruban Teflon et on teste cette fois-ci les deux dans le cockpit, le neuf et l'ancien. Après cette amélioration, tout est bien étanche. Liliane et moi décidons de remettre l'ancien en place. Pendant tout ce temps, l'intérieur du bateau est en vrac, les coffres grands ouverts, les tuyaux déconnectés, les fonds inondés ou juste trempés Je sens Liliane au bord de la rébellion, il faut écourter les travaux...

Et voilà, déjà février !

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Tourisme sur Gran Canaria

Disons-le tout de suite : Gran Canaria est certainement moins séduisante que les autres îles des Canaries, mais elle réunit un peu de chacune. Certains guides la qualifient de continent miniature. Il est vrai que nous sommes loin d'avoir exploré toutes les attractions offertes.

Ces jours de visite sont entrecoupés des travaux techniques qu'il faut absolument faire progresser en parallèle pour que notre séjour à Las Palmas ne s'éternise pas. Pour la facilité de lecture du blog, les paragraphes en italique sont ceux qui expliquent ces travaux.

2-3 février 2024

Notre amie Sylvie arrive de Paris pour passer quelques jours avec nous. Elle apporte quelques gourmandises fromagères, ainsi que des commandes de fournitures électriques que j'avais passées par Internet et fait livrer à son domicile.

Avec Sylvie

🛠 Réparation du second moteur hors-bord 3.5HP

De mon côté, je cherche comment faire réparer le moteur cassé. En regardant de plus près, je vois que l'axe moteur lui-même paraît intact, ainsi que la tringlerie de commande d'embrayage et le tube d'eau de refroidissement qui passent dans le carter. C'est donc seulement le carter qui est cassé. Cela dépasse largement nos possibilités, je n'ai pas de compétence en soudure, a fortiori pour de l'aluminium, ni les outils appropriés. S'il fallait absolument s'en sortir seul sur Mars, je tenterais de manchonner l'axe avec des tissus de verre et de l'époxy. Ici éventuellement tenter d'acheter un moteur cassé pas cher pour récupérer le carter de l'axe.

Après que le vendeur de moteurs sur le quai m'a expliqué qu'ils ne font pas la marque Mercury (personnellement, je ne suis pas commerçant, mais si un client entrait dans ma boutique, j'essaierais de lui trouver une solution), je frappe à la porte de la boutique Rolnautic, qui dispose de son propre chantier jouxtant la boutique. On me dirige vers le vendeur spécialisé dans la mécanique, auquel je montre les photos de mon carter cassé. Il appelle le mécano du chantier, parle très vite en Espagnol, je ne comprends rien. Ensuite il m'explique qu'ils ne peuvent pas réparer le carter, parce que le moteur est très compliqué à démonter et que ça ne vaut pas le coup au niveau du prix. Exhumant d'un geste élégant un catalogue et l'ouvrant avec la facilité de l'habitude, j'apprends que j'ai intérêt à acheter un moteur neuf, celui-ci, à neuf cents et quelques, disons mille euros pour un 6 chevaux quatre temps. "- ¡ Gracias, hasta luego !"

Je recherche donc un soudeur pour le carter de l'arbre. Je lance un appel dans un fil de discussion de voileux sur Whatsapp pour trouver l'adresse d'un soudeur sur l'île. Et j'en obtiens rapidement trois.


J'entreprends de démonter le hors-bord. Je vais épargner aux lecteurs le récit détaillé. Etant à mon premier démontage de cette partie, je fais très attention, je photographie chaque étape, chaque vis, chaque pièce, que je nettoie ensuite et remise dans un sac pour être sûr de ne rien perdre. J'en profite pour comprendre comment ça fonctionne, parce que ce n'est jamais expliqué. On trouve des tutoriaux Youtube pour démonter, réviser, changer des pièces, mais rarement des explications fonctionnelles. Je prépare donc une vidéo pour expliquer les trois circuits hébergés par le carter : l'arbre moteur, l'embrayage et le refroidissement. En fin de journée, j'ai extrait les deux morceaux du carter que je vais donc pouvoir emporter facilement dans mon sac à dos. Comme nous prévoyons de visiter l'île en voiture, je passerai voir un ou plusieurs des trois soudeurs dont j'ai récolté l'adresse. Souder de la fonte d'aluminium, c'est une technique très spécialisée. Evidemment, il faudra en plus qu'il me le soude bord-à-bord, pour ne pas modifier la longueur du carter original. En attendant, deux pots de yaourt (propres) protégeront les bords de la fracture, qu'il s'agit de préserver net et propres.

(1) cassé
Deux morceaux du carter démonté
Joint de tête d'arbre moteur
Les cannelures d'adduction de l'eau de refroidissement


4 février 2024

Nous partons tous les trois en guagua municipal (bus municipal) visiter le centre ville historique... Flânons dans les rues, faisons un petit tour sur la terrasse-bar d'un hôtel et prenons une glace dans le soleil déclinant d'une belle place entourée d'architecture classique.

Ici aussi, il est passé avant nous ! 


05 février 2024

Nous allons louer un véhicule pour trois jours. Nous ne nous posons pas trop de question et sélectionnons Lencar, le plus proche de notre marina. Je souris intérieurement à l'idée d'un de mes anciens collègues dont le métier d'acheteur l'aurait sans doute conduit à une procédure de sélection beaucoup plus élaborée. Nous le rejoignons à pied au milieu d'une intense circulation de début de journée, et repartons avec un véhicule bien que nous n'ayons pas réservé.

Nous voilà repartis, Liliane, Sylvie et moi, sur le route du nord de Gran Canaria.

🛠Profitant de la voiture de location, nous passons voir dans la zone industrielle la première des trois adresses de soudeurs que j'ai récoltées. Dans un dédale d'entreprises typées automobile, matériaux et métallurgie, nous trouvons Tekkocan. Le bureau de l'accueil est désespérément vide. Au bout d'un moment à me dandiner d'un pied sur l'autre arrive le chef d'atelier. J'explique. C'est agréable d'avoir l'impression d'être parfaitement compris. Une seule question : "Est-ce que la soudure peut dépasser un peu à l'extérieur ?" Je réponds que oui. Il me répond que c'est mieux, ce sera plus solide. Il me fait signe de le suivre. Toujours intéressant de pénétrer un atelier métallo. J'aime bien l'odeur. Les métaux n'ont pas d'odeur, mais les ateliers sentent un mélange d'huile de coupe, de solvants, des gaz de soudage... Délicieux comme le souvenir de l'odeur du kérozène dans les hangars de mes premières années de travail. Chacun sa madeleine. J'entends le chef d'atelier discuter le bout de gras avec le soudeur. "Dos horas". Le chef n'a pas l'air d'accord et ils discutent très vite, je ne comprends rien. Il conclut que trois heures de travail sont nécessaires, soit soixante-dix euros. Au début, je comprends sesenta au lieu de setenta, et le chef me dit que les espagnols aussi se trompent parfois. Je m'empresse de "topper" avec le chef en me souvenant joyeusement du boutiquier qui voulait me vendre un moteur neuf pour mille euros. Bien sûr, je n'ai aucune garantie que la soudure tiendra longtemps.

06 février 2024

Pico de las Nieves, du haut duquel nous retrouvons dans l'ouest lointain une forme familière, le Teide, qui flotte suspendu au-dessus d'un horizon de nuages.

Le majestueux Teide de l'île Tenerife au loin
Le Teide de Tenerife, flottant au-dessus des nuages

La route traverse des haies de grands eucalyptus. Liliane regrette un instant de ne pas être enrhumée, avant de rétracter son vœu...

07 février 2024

Cette journée est dédiée à la partie sud de Gran Canaria. Elle nous mène successivement à la caldeira, puis au Barranco Guayadeque, une courte baignade à la Playa del Inglès et enfin aux très célèbres dunes de Maspalomas. Malgré notre réticence à visiter cet endroit très construit, nous sommes impressionnés pas l'immensité de ces dunes et le plaisir d'y attendre le coucher du soleil. On n'est pas venu jusqu'ici pour louper cette occasion d'une baignade dans l'endroit le plus connu de Gran Canaria.

Amandier en fleurs
Elle est vraiment bonne, tu sais ?
Dunes de Maspalomas


08 février 2024

🛠Nous devons restituer le véhicule avant onze heures ce matin. Dans les heures où je dispose encore du véhicule, je retourne chercher dans la zone industrielle le carter dont le chef d'atelier m'a prévenu qu'il était ressoudé. Il est magnifique. Le soudeur a respecté ma demande (lisse à l'intérieur du carter et renfort à l'extérieur). Il a même ajouté une solide bague d'aluminium autour de la zone ressoudée. Je m'extasie sur la qualité du travail et le félicite. Il rit en me confirmant : si ça casse, ce sera au-dessus ou au-dessous de la réparation. De plus, il a débarrassé toutes les tubulures du sel et du tartre. La pièce est impeccable.

Je profite encore de la dernière heure du véhicule pour rapporter deux packs d'eau minérale au bateau, signe que je commence à voir le bout du tunnel de nos réparations et envisage à nouveau un possible départ, météo permettant.

09 février 2024

Sylvie repart vers Paris après une visite à l'aquarium.

Départ de Sylvie

Les trajets en annexe sont éloquents : le fond prend l'eau. A chaque aller-retour, nous pataugions dans cinq centimètres d'eau salée. Ce n'est pas bien grave, la température est douce, mais hors des sacs étanches, nous pouvons difficilement transporter du matériel ou des vivres. J'écope donc systématiquement l'eau du fond... Ce défaut est apparu progressivement et sa correction fait aussi partie des travaux non prioritaires listés pour le chantier à Madère.

🛠L'étanchéité de l'annexe : profitant que l'annexe est restée sur le pont, nous lui appliquons toutes les réparations et améliorations prévues : collage des rustines sur le fond ; bande de renfort en PVC sur la jointure avec le tableau arrière ; marquage du nom du bateau en lettres autocollantes ("AXE TUSITALA") ; recollage des bandes réfléchissantes qui ont souffert du frottement contre le bateau au mouillage. On laisse sécher la colle.

Le beau marquage de l'annexe

10-11 février 2024

🛠 Je m'attelle au remontage du moteur d'annexe. J'en profite pour vérifier le rouet de la pompe à eau. Il est quasiment neuf et il n'y a pas besoin de le changer. Je graisse toutes les vis, ce qui facilitera un éventuel prochain démontage. Il y a également le joint papier neuf à mettre entre le carter et la tête moteur. Je n'avais pas prévu d'emporter cet article dans nos rechanges. La boutique Rolnautic n'en avait pas, ni celle qui fait tous les moteurs sauf le Mercury. Mais comme j'étais arrivé avec les références de l'article toutes prêtes, le vendeur Rolnautic avait appelé le concessionnaire Mercury, qui se trouve près de l'aéroport. "- ¿Tiennes un coche? - ¡Ay no!" Et il a rappelé aussitôt son confrère pour qu'on me le livre à la marina. Sauvés ! Mais c'est deux fois le prix d'un achat en ligne, quand même.

Joint de tête d'arbre
Joint de tête d'arbre
La réparation de Tekkocan
Remontage
Essai moteur

Je passe pas mal de temps à vérifier soigneusement l'embrayage et le tube coudé qui pousse l'eau de refroidissement dans le corps du moteur. Je redoute évidemment de faire une erreur qui endommagerait le moteur. Pour le moment, je ne mets pas de frein filet sur les vis, des fois qu'il faille tout re-démonter.

Pour essayer un moteur hors-bord au sec, le plus simple est d'utiliser un gros bidon. A bord, nous n'avons que la taille d'un seau à offrir à l'embase pour baigner dans l'eau de refroidissement. Il faut enlever l'hélice pour pouvoir essayer quand même l'embrayage dans ce si petit volume.

Après tout ce temps passé, nous avons la satisfaction de voir que le hors-bord fonctionne à nouveau correctement.

Liliane et moi discutons du rangement des deux moteurs hors-bord pour la suite. On va laisser l'un d'eux à l'extérieur, sur sa chaise accrochée au balcon arrière et enveloppé dans une housse, comme font beaucoup d'autres équipages. Cela va desserrer le contenu du coffre de cockpit et éviter qu'on casse encore quelque chose, bien qu'on ne sache pas vraiment comment se sont produites les casses.


12 février 2024

🛠 Nettoyage du circuit d'alimentation du hors-bord 2.5HP

Après que ce moteur nous a permis de faire les allers-retours entre le mouillage et la berge, avec cependant quelques lenteurs, nous profitons de notre amarrage au ponton pour le passer en révision. Je démonte le carburateur, avec le diagramme technique sous les yeux. Je photographie toutes les étapes et pose chaque pièce dans une petite boîte plastique. Surtout ne pas perdre un morceau ! Je suis surpris que le carburateur et tout le circuit d'alimentation soient impeccables, et je commence à douter d'avoir trouvé la vraie cause de son fonctionnement poussif.

Malgré ces précautions, je remonte mal le pointeau et son bras flotteur et le moteur ne démarre pas du tout au premier essai. Comme la bougie n'est même pas "mouillée" je comprends vite d'où vient le problème. Je démonte à nouveau le carburateur, replace le pointeau correctement. Le moteur démarre, mais le problème initial n'est pas vraiment résolu, il cale dès qu'on diminue le starter. De plus il fume blanc. Je gamberge. Peut-être faudra-t-il changer le joint de culasse. Mais nous n'en avons pas en stock et vu les prix pratiqués par les professionnels de cette marina, il est urgent de patienter. Pour le moment, je considère que c'est terminé ; malgré son manque de pêche qui reste à diagnostiquer, on pourra l'utiliser comme ça en secours du 3.5 chevaux.

Il y a beaucoup de mouvements dans le port, à la fois de bateaux avec lesquels nous avons sympathisé et d'autres, inconnus.

Chacun sa quête

Nos amis de Metis sont partis pour le Cap Vert. Nous les avons croisés plusieurs fois sur les pontons, mais nous n'avons pas trouvé de créneau pour un apéro. Tout le monde est bien trop occupé, les agendas sont pleins, quelle qu'en soit la teneur. Nous nous donnons par messagerie Whatsapp un rendez-vous informel au Cap Vert, chacun sachant bien que cela pourrait ne pas advenir, ou peut-être bien que oui.

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Le taud de pointe avant

Avec Liliane, nous patronnons un taud de pointe avant, c'est à dire qu'avec quelques bouts tendus entre les haubans et les étais, nous figurons la position que nous voudrions pour un taud de protection solaire de la pointe avant. En présence de soleil, le pont à cet endroit reçoit énormément de lumière et chauffe terriblement. Nous savons que le soleil des Caraïbes risque de rendre l'intérieur du bateau intenable.

Le lendemain, nous allons commander le taud sur mesure chez Alisios Sailing, pour un montant de main d'œuvre plutôt raisonnable par rapport aux prix français. Et quelques jours plus tard allons le chercher tout près. Après essai, il nous convient. Nous ajusterons ses fixations lorsque viendra le moment de l'installer.

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La charge des batteries par l'alternateur du moteur

13 février 2024

Le dernier problème prioritaire à traiter avant notre départ est la réparation du système permettant de charger les batteries de service à partir de l'alternateur du moteur. Par une coïncidence amusante, le chargeur d'alternateur Sterling sort de réparation en Allemagne. Evidemment, le fournisseur ne tient pas compte de mes précédents messages et l'expédie à l'adresse initiale de la commande en 2022, c'est à dire à Saint-Pol-de-Leon, près de Roscoff ! Je me débats pour tenter de changer l'adresse de livraison pendant son trajet. Mails, téléphone, chat en ligne, : impossible de re-router un colis UPS tant qu'il n'a pas été présenté à la (mauvaise) adresse. Et les Shadoks pompaient. En désespoir de cause, je téléphone au relais de Saint-Pol-de-Leon pour lui demander de refuser la livraison dès son arrivée. Outre ces déboires, on se rappelle que le SAV du distributeur nous avait prévenu qu'ils refusaient d'expédier des colis aux Canaries. Ma stratégie sera donc de le faire expédier à une adresse familiale en France pour tenter de le revendre d'occasion. Cela valide a posteriori le choix d'acheter sans attendre à Lanzarote un nouveau chargeur (moins cher).

Ce chargeur est un "Victron Orion-Tr Smart 12|12 - 30A isolated DC/DC Charger". Cela signifie que cet appareil prélève l'énergie dans une batterie (celle du moteur) et l'utilise pour charger le parc des batteries de servitude au Lithium. Ainsi la sortie de l'alternateur débite toujours dans la batterie moteur, qui n'est JAMAIS déconnectée. On se souvient que je soupçonnais le Sterling d'avoir fait griller l'alternateur. Avec le nouveau système de chargement DC/DC, cela ne peut pas se produire. Nous avons raté de quelques semaines la sortie du nouveau modèle 50A, dont le rendement est annoncé 98,5%. Nous ne pouvions pas attendre encore que ce nouveau modèle parvienne jusqu'aux Canaries. Le nôtre n'a un rendement que de 87%, ce qui signifie que la différence est dissipée en chaleur. Facile à calculer : 11,5% de 360W, c'est plus de 40W qui partent en chaleur pendant toute la période de charge. Justement il a la réputation de chauffer beaucoup cet appareil ("-No puedes poner la mano en el aparato cuando funciona"). Je prévois donc de l'installer sur une plaque d'aluminium pour l'aider à dissiper cette chaleur.

Je passe donc une bonne journée à concevoir et usiner la plaque d'adaptation, elle-même posée sur un carré de contre-plaqué qui sera vissée à la cloison du bateau. La perceuse ressort de sa boîte et pour la première fois, j'utilise la boîte de tarauds à main et l'huile de coupe ! Chacun jugera du plaisir que l'on peut éprouver à utiliser un des derniers outils emportés au départ. On pourra objecter qu'on aurait pu faire autrement si je ne les avais pas eus. Mais cette solution de vissage sur contre-plaque me permet de faire un système facile à démonter sans toucher aux trous dans les cloisons du bateau. Je récupère même un des anciens trous du Sterling, les autres bouchés au Sika pour éviter que l'humidité ne s'infiltre dans la cloison. J'ajoute une entretoise entre le contre-plaqué et l'aluminium pour favoriser la circulation d'air.

Plaque de dissipation en alu
Victron Orion-Tr DC|DC smart charger
Taraudage

Evidemment les gros fils en 35mm² que j'avais installés pour le Sterling (jusqu'à100A de charge) n'entrent pas dans les alvéoles à vis du Victron, qui accepte au maximum du 16mm², diamètre suffisant pour une charge maximale de 30A. Je l'avais un peu prévu et acheté ce câble à Lanzarote. Mais je n'avais pas réussi à trouver des broches carrées (nommée ferules) et pas eu envie d'acheter encore une pince à sertir les ferules sur Amazon. Par un heureux hasard, en fouinant dans la boutique Rolnautic je suis tombé sur des cosses à sertir avec embout carré. Je me suis empressé de les acheter et cela me réjouit d'avoir les bonnes cosses pour faire un travail propre.

Il faut une bonne journée pour préparer les nouveaux câbles à la bonne longueur avec leur cosses serties et leur marquage, les installer dans les fonds, mettre à jour le plan de câblage du bateau, puis interconnecter le tout aux points de raccordement des batteries et au nouvel appareil Victron. J'en profite pour ajouter deux fusibles côté batteries, parce que l'installation initiale du chargeur de quai, antérieur à notre achat et probablement d'origine de la production du RM, n'en comportait pas, ce que je considère comme un grave défaut, parce qu'avec une batterie de 100Ah qui se mettrait en court-circuit, on peut mettre le feu au bateau. Comme il y a de la place, j'installe un porte-fusible supplémentaire, qui pourra toujours servir plus tard.

Nouveau câble 16mm² et son marquage
Porte-fusibles
Le chargeur installé dans un coffre sous la table à cartes

Finalement, je branche les batteries et je démarre le moteur avec prudence. Ouf ! ça charge correctement. Soulagement de savoir que nous venons de rétablir toutes les fonctionnalités électriques du bateau. Je renseigne une fiche de tests sur mon cahier à spirale.

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Préparer le départ

14-16 février 2024

La météo, la météo. Le vent est correct pour tous les prochains jours. Mais une vilaine dépression, qui défoncera bientôt la côte Atlantique de la France nous enverra samedi et dimanche plus de trois mètres de houle. Pas un gros problème pour le bateau surtout qu'elle se présenterait de trois-quart arrière. Mais l'équipage goutte peu la perspective de ce shaker annoncé. Nous choisissons d'attendre.

Le vent promet d'être toujours portant et pile dans la direction du Cap Vert. Il faudra jouer finement autour du vent arrière et éviter l'empannage.

En prévision de notre navigation prochaine, j'achète et télécharge les cartes de détail du Cap Vert. Je suis assez contrit de noter que le système iOS refuse désormais les mises à jour sur mon iPad au motif qu'il n'est plus soutenu. La conséquence est que les mises à jour des applications ne veulent pas s'installer non plus et même le dernier pack de cartes Navionics que j'achète pour le Cap Vert n'est pas compatible de la version de l'application Navionics Boating de mon iPad. Seul mon téléphone récent peut disposer du pack "Afrique et Moyen Orient". Heureusement l'iPad peut recevoir les cartes Imray et UKHO. Mais je perds la capacité à disposer d'une double redondance pour tous les systèmes de cartographie.

Je lance quelques simulations de route, qui nous donnent une traversée en quatre jours et demi. Nous savons que ce sera plutôt six jours.

Je relance l'abonnement Iridium chez le fournisseur ROM Arrangé, dont j'apprécie la réactivité et la compréhension. Sur six jours, il est important de disposer d'une remise à jour des prévisions de vent.

Notre voisin de ponton Dominique, qui doit rentrer en France, nous charge de remettre un paquet cadeau à un de ses amis du Cap Vert, sur l'île de Santo Antão. Le paquet est petit et léger et nous avons prévu de visiter cette île incontournable. Nous le prenons donc volontiers et cela fait partie des services réciproques que se rendent les navigateurs.

🛠Je profite de moments libres pour réparer le petit chauffage à bain d'huile avec le petit thermostat 70°C de sécurité et un peu de pâte contact thermique apportée dans les bagages de Sylvie. Il ne devrait plus beaucoup nous servir, mais c'est une ligne de moins dans la todo list.

Thermostat

17 février 2024

Nous partons à pieds faire les provisions au supermarché et les faire livrer. Comme c'est carnaval et que le défilé doit passer dans la rue, la caissière nous annonce que ça risque de ne pas pouvoir se faire le jour même. What ? En insistant un peu, le livreur vient voir et s'empare de nos caisses alors que nous n'avons pas fini de les payer. Par prudence, nous avons ségrégué les nourritures de frais dans un caddy séparé et prévu de les emporter nous-mêmes. Nous payons et partons en croisant les doigts pour la livraison. Nous parcourons le petit kilomètre qui nous séparent de la marina et arrivés au ponton nous voyons une camionnette qui décharge nos caisses. Ils nous ont doublé ! La surprise passée nous sommes bien heureux de ce déroulement favorable. Nous avons fait une très large provision de boîtes "européennes", sachant (ou ne sachant pas très bien) ce que seront les difficultés d'approvisionnement au Cap Vert. Les navigateurs et les livres nous ont tous annoncé que "c'est déjà l'Afrique".

Laurier
Avitaillement

Le soir, nous allons voir le fameux défilé de carnaval : pas moins de cent-quinze voitures à thème se succèdent dans l'avenue, bondées, chacune dotée d'un DJ qui emplit une bulle de musique autour de son char. Nos nous mêlons volontiers au cortège de la foule suiveuse de jeunes et moins jeunes, abondamment déguisés de mille manières hétérogènes et joyeuses.

Dans la foule, nous rencontrons par hasard Anne et Hervé du voilier Orion, rencontrés à Lanzarote.

18 février 2024

Je complète le plein de carburant du réservoir en allant remplir un bidon de 20 litres à la station automobile à l'aide d'un petit diable pliant. La station de la marina était fermée le week-end et je me réjouis d'avoir emporté en 2022 cet outil, sans lequel j'aurais dû parcourir les rues de la ville avec un bidon de vingt litres à la main.

C'est dimanche, mais le bureau de la marina est ouvert. Je vais payer les dernières nuitées et faire les formalités de départ. La personne du bureau nous assure que le Cap Vert et l'Europe ont des accords qui évitent la nécessité d'un document formel de sortie. Je lui fais confiance, mais je n'aime pas ça. Si jamais nous devions nous dérouter vers le Maroc, nous serions dans l'embarras administratif.

Et comme le départ pour le Cap Vert est prévu demain, Liliane et moi nous offrons traditionnellement le restaurant du dernier soir. Cela nous simplifie la logistique et nous permet d'avoir une cuisine et un carré parfaitement rangés le matin du départ.

Petit diable bien pratique


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Avertissement : nos lecteurs voudront bien excuser la faible qualité rédactionnelle de cette étape et de la suivante, réalisées "à l'arrache" en mars, juste avant notre départ en transat.

Du sud-ouest dans notre route

Lundi 19 février 2024

Hier nous avons complété le carburant du réservoir principal. Ce matin nous avons rempli tous les réservoirs d'eau, y compris des jerricans et la douche de camping Decathlon, fixée dans le balcon arrière du cockpit. En effet, l'eau est une denrée assez précieuse au Cap Vert, produite par désalinisation de l'eau de mer et éventuellement traitée à l'eau de Javel. On préfère donc partir avec un maximum de réserves. Même chose pour les provisions alimentaires que nous avons faites la semaine dernière.

Le départ est prévu en milieu d'après-midi après les dernières préparations. Ces derniers jours, Liliane et moi retrouvons notre impression tenace d'être encore et toujours à la bourre. Nous avons évoqué l'hypothèse de faire une escale à El Hierro, pour visiter cette petite île réputée pleine de charme et qui manque à notre tour des Canaries. Mais un arrêt de visite, c'est presque toujours une semaine de délai, entre la journée de prise de repères, les formalités, la location automobile, la recharge des provisions fraîches, l'eau douce, le carburant et l'attente du créneau météo. Et justement la semaine prochaine promet un sérieux passage venté aux Canaries, qui risque de différer encore plus notre départ. Nous préférons éviter un départ dans le bafrougne, histoire d'habituer progressivement nos sens à la mer. D'où la décision de partir avec la météo favorable de ce lundi : localement du vent portant, puis le début des alizés, également portants. Ensuite nous savons que de la houle nous attend sur le trajet entre deux et trois mètres, mais par l'arrière, ainsi que le vent.

Le jour du départ, les voisins de pontons passent nous dire au revoir, nous aider au démarrage (littéralement "enlever les amarres"). C'est toujours émouvant. Dominique et Catherine, qui vont repartir en France en laissant un peu le bateau à Gran Canaria, et les Néerlandais avec leur toute petiote charmante, qui vont rentrer en bateau chez eux dans la Frise. Yann G. depuis son Dufour 29 au mouillage nous a envoyé un gentil message.

A un moment, nous sommes prêts. Sauf que... nous n'avons toujours pas reçu confirmation de l'activation de l'abonnement satellite Iridium. Pour limiter le coût, je demande l'activation seulement lorsque nous sommes sûrs de partir, avec un préavis de deux jours ouvrables. Mais cette fois-ci il y a eu une erreur chez le provider (l'opérateur Iridium). Je contacte donc le fournisseur de l'abonnement, qui s'efforce de résoudre le problème. Pour six jours de traversée, nous voulions vraiment avoir cette facilité, qui permet d'une part de charger les mises à jours météo et d'autre part d'envoyer un email quotidien à nos correspondants à terre. Nous patientons. In extremis, le mail d'activation nous parvient. Je remercie, je fais un rapide test avec le boîtier Iridium GO, nous mettons le moteur en marche et larguons les amarres.

Quelques bras agités (*) vers nos anciens voisins qui nous souhaitent bonne route et bon vent. Nous prenons le chenal de sortie avec ce sentiment mitigé, à la fois contents de quitter cette ville dont les atours sont distants de la marina et bien moindres que toutes les autres îles des Canaries et en même temps un pincement de laisser derrière nous une ambiance de ponton franchement amicale. Le regret aussi de n'avoir pas pris le temps de flâner davantage dans les rues.

(*) "agités" ce n'est pas trop joli comme expression. Les Anglais disent "to wave hands" pour ce geste d'au revoir. Je trouve ça joli et pertinent dans le contexte.

Les moments au moteur permettent de confirmer que le chargeur Victron fonctionne. Il a bien détecté le démarrage moteur et maintient les batteries à la tension d'absorption, parce que les batteries sont pleines, vu que nous les avions chargées à l'électricité du ponton. Un des avantages de ce produit est qu'il communique en Bluetooth des informations que je peux lire directement sur mon téléphone portable. Une satisfaction de voir fonctionner ce qui nous a demandé tant d'efforts.

Nous nous mettons assez vite sous voiles, dès que nous sommes sortis de la zone de mouillage des navires commerciaux.

Pare-battages rangés (pas tous...)
Bye bye Las Palmas de Gran Canaria
Navires commerciaux au mouillage

Un temps chaud et dégagé nous accompagne. Le vent est léger à proximité de l'île, influencé par la brise thermique de mer. L'orientation momentanée de ce vent ne nous aide pas trop dans la bonne direction. En nous éloignant de Gran Canaria, le vent adiabatique prend le dessus et nous faisons route au sud pour commencer. Avant la disparition des réseaux mobiles, je télécharge les derniers fichiers GRIB et je relance un routage qui confirme les précédents : 4 jours et 11 heures de traversée, auquel nous ne croyons absolument pas, pour des raisons déjà expliquées. Ces simulations considèrent que le bateau marche toujours à sa meilleure performance. Dans la réalité, nous sommes souvent sous-toilés, soit par fatigue, soit par paresse, soit parce qu'on attend le lever du jour pour changer de voile, soit tout simplement par peur que les rafales soient plus fortes que prévues par la météo (et spoiler : ce sera le cas).

Essai de la retenue de bôme
Vent arrière


Avant le coucher, nous dînons ensemble. Liliane a fait cuire des pommes de terre d'avance, ce qui simplifie l'organisation, le temps que nous nous amarinions un peu. Juste après le coucher du soleil, nous exécutons notre premier empannage pour nous mettre sur la route visée. Il est important d'expliquer que le vent est très exactement dans la direction du Cap Vert. On pourrait imaginer que c'est génial et qu'il suffit de se laisser pousser dans le dos. Mais non, un voilier ne fonctionne pas bien comme ça, il est instable, on risque un empannage "sauvage" qui peut être violent et casser du matériel. On préfère donc zigzaguer à une allure où on va recevoir le vent légèrement d'un côté ou de l'autre du vent arrière, à l'allure du grand largue. D'ailleurs, j'ai volontairement modifié les polaires du bateau dans la simulation pour que la vitesse soit très mauvaise aux alentours du vent arrière, de sorte que le routage ne me le propose pas. Et de fait la courbe obtenue est assez sympa et tient compte du fait que l'orientation du vent est légèrement différente la nuit et le jour. Le logiciel utilise cette caractéristique pour optimiser le trajet final. Dans les faits, je n'arrive jamais à suivre exactement les recommandations du logiciel parce qu'il provoque des empannages dans des conditions de vent que je préfère éviter. J'attendrai donc les accalmies pour procéder à ces manoeuvres délicates.


Dans la nuit nous reprenons le rythme des quarts de veille déjà expérimenté. Chacun fait de son mieux et réveille l'autre quand il est fatigué. C'est bien mieux que des quarts à horaires fixes lorsqu'on n'est que deux.


La radio VHF est toujours aussi bruyante et bavarde. Le MRCC annonce à intervalles réguliers que l'on a détecté des pneumatiques dans l'est des îles en provenance d'Afrique. Pourtant nous sommes en hiver, mais il paraît que c'est comme ça tous les jours de l'année. Je mets le son au minimum pour que la personne hors-quart puisse dormir. Vivement qu'on soit loin de cette agitation radioélectrique. On reçoit même un Mayday numérique (sonnerie forte et comminatoire !), sans indication de la position du navire supposément en difficulté, suivi d'un appel général du MRCC qui explique exactement ça et demande d'ouvrir l'œil...

L'approche des côtes du Maroc va empirer cette gêne sonore. Les pêcheurs utilisent la VHF pour discuter et ne prennent pas la peine de dégager le canal 16 pour utiliser l'un des quatre autres canaux VHF dédiés à la communication inter-navires (06, 08, 72 et 77). Cette raison, le risque de prendre dans les quilles un filet de pêcheur abandonné et l'intuition que les bateaux croisant dans ces eaux ne sont pas tous dotés d'un AIS me feront choisir dès que possible le bord de grand largue qui nous éloigne de ces côtes. Cela fait partie de la rumination intérieure du chef de bord, qui n'est pas faite que de paramètres rationnels et mesurables.

Les jours suivants sont assez semblables pour qu'on puisse se passer d'un récit chronologique. Parmi les évènements notables, on retient la traversée d'un banc de dauphins. J'aimerais parler d'un troupeau, puisque ce sont des mammifères, mais il semble qu'on dise banc, comme pour les poissons. Ces dauphins sont tout petits. Difficile de savoir si ce sont majoritairement des jeunes qui viennent nous encercler et pirouetter hors de l'eau. Ils nous suivent longtemps dans la houle qui fait déjà surfer la coque de Tusitala. On les voit jouer devant la vague d'étrave. Je n'ai pas le courage de me harnacher (h aspiré) pour aller filmer à l'étrave et risquer de me tremper. Un moment plus tard, ils semblent avoir disparus, j'imagine que nous sommes sortis de leur zone de chasse. Je vois approcher dans le soleil couchant un énorme groupe de plusieurs dizaines d'individus qui vient vers nous, sortant respirer tous en cadence comme au défilé. C'est magnifique. Ceux-là ne font que passer.

21 février 2024
21 février 2024 - Coucher du soleil
21 février 2024
22 février 2024 - Lever du soleil
23 février 2024
23 février 2024
23 février 2024
23 février 2024
23 février 2024

Nous faisons très attention à la consommation d'eau, comme en conditions de transat. Le compteur affiche 80 litres après six jours de navigation, hors eau minérale de boisson, dont nous nous efforçons de boire au moins une bouteille par jour à deux (en plus du lait, des jus, du café...).


🛠Quelques lignes de technique : Je sais, ce blog est très bavard au niveau technique, mais j'aime ça. Je chercherai à faire une cure de "décriture" si je trouve un tutorial.

L'un des points qui restait à valider est la production de l'hydrogénérateur avec le nouveau convertisseur installé à Las Palmas. Suite aux discussions téléphoniques avec le technicien à Saint-Malo, j'avais remonté le seuil de tension du CHARGE_OFF. Je suis déçu de constater que l'hydrogénérateur continue de ne charger que par de brèves intermittences de quelques secondes, parfois une minute. Le premier jour, je ne m'en inquiète pas et je mets ça sur le compte de la pleine charge des batteries. Hélas ! le lendemain, les batteries sont descendues à 25%, après une nuit de travail intense du pilote. Je réfléchis, je mesure les tensions réelles appliquées aux batteries, je filme même son afficheur pour pouvoir examiner la suite des valeurs. Ce seuil est destiné à protéger les batteries pour éviter de leur appliquer une trop forte tension. En fait, le constructeur veut surtout protéger son convertisseur, car les batteries savent s'autoprotéger en coupant d'autorité leur entrée. Je finis par comprendre que cet appareil fait juste ce qu'il dit : "convertisseur", il convertit. Du courant alternatif en courant continu. J'avais abusivement interprété que c'était un "régulateur", qui produisait une tension de sortie constante à partir d'une tension d'entrée variable (la tension alternative dépend tout simplement de la vitesse à laquelle le bateau fait tourner l'hélice de l'hydrogénérateur). Mais non, sa seule régulation est du type 'tout ou rien'. Alors évidemment dès que le bateau accélère, vers sept noeuds, le convertisseur coupe la charge. Et il attend à chaque fois 50 secondes avant de refaire une tentative. Ce paramètre de 50 secondes ne peut pas être diminué par l'utilisateur. Je vérifie plusieurs fois sur le petit contrôleur Victron les tensions appliquées aux batteries et je ne les vois jamais atteindre la valeur du seuil. Où le convertisseur mesure-t-il donc sa tension de sortie pour croire qu'elle atteint et dépasse le seuil ? Cette question attendra l'arrivée au Cap Vert. Ne souhaitant pas prendre de risque avec l'installation, je laisse en l'état, il charge par intermittences. Par manque de chance, le ciel est couvert pendant plusieurs jours et le panneau solaire charge aussi très peu.

Après discussion avec Liliane, nous décidons d'abord de remplacer le pilote électrique par le régulateur d'allure ce qui économisera du courant. Néanmoins, il faut aussi tenter de recharger les batteries pour pouvoir faire face si le régulateur d'allure, que nous avons finalement assez peu utilisé, ne tenait pas toutes ses promesses. Bon, essayons les deux en même temps, bien que j'eusse exclus ce cas de figure dans la conception initiale parce que je craignais une interférence entre l'hydrogénératur et la pale du régulateur. Essayons. Je tends le bout de Dyneema de l'hydrogénérateur pour l'empêcher de partir osciller du côté du régulateur. ça paraît fonctionner. Nous resterons ainsi sous régulateur pendant quasiment deux journées.

20 février 2024 -
21 février 2024 - sous régulateur d'allure

Soudain, j'entends un claquement et je vois que le bateau part au lof sans retenue. Sans comprendre ce qu'il se passe, je bondis et choppe la barre à la main, je redresse le cap et mets le pilote électrique. Je vais voir à l'arrière et je trouve la pale du régulateur flottant à la traîne au bout de sa retenue. Heureusement que le fabricant a prévu ce bout de retenue et que je l'avais bien fixé au balcon arrière ! Je la récupère et la mets en sûreté dans le cockpit.

Mais comment est-ce arrivé ? Je regarde l'hydrogénérateur et son bout de retenue en Dyneema n'est plus attaché. Le diable que cette histoire. L'hydrogénérateur continue de fonctionner, mais il n'est plus attaché. Je n'envisage pas une seconde de laisser perdurer cet état. Si on paume l'appareil, la situation se complique encore. Je cherche un vieux bout et j'attrape au lasso le bas de son bras immergé. Difficile de remonter en pleine nuit avec les vagues qui viennent lécher le tableau arrière. Je me trempe les manches, les bras, le visage évidemment. Finalement je parviens à le sortir et le fixer en position verticale avec sa clavette. Je vois vite le problème : le bout en Dyneema avait une épissure qui a glissé à force de subir des cycles de traction et relâchement. Une épissure simple n'est pas faite pour fonctionner comme ça. Elle tient bien si elle est sous tension. Pour qu'elle tienne dans cet usage cyclique, il faut la coudre ou la bloquer. Cela ne renforce pas sa tenue à la traction mais empêche qu'elle glisse justement quand elle n'est pas sous tension. Nous convenons finalement que nous laisserons l'hydrogénérateur en place jour et nuit, contrairement au concept d'emploi initial qui consistait à le sortir de l'eau la nuit. Ce choix aura pour effet de remonter la charge des batteries jusqu'à 40%, mais jamais davantage. Ce n'est pas très satisfaisant, ça ira jusqu'à l'arrivée en surveillant bien.

La météo du parcours est très proche des prévisions. Tous les jours je charge la mise à jour par Iridium. La houle augmente jusqu'à trois mètres. Le vent avec rafales à trente noeuds. Il paraît que dans cette zone, c'est le tarif habituel. La vie à bord devient plus désagréable. Chaque mouvement doit être calculé, le secret est de tout faire lentement. Malgré tout on se cogne partout les premiers jours. Au portant avec houle et vent dans le dos, c'est quand même moins pénible que quand il faut remonter face aux éléments et que le bateau tape. On ne se plaint pas, c'est un privilège de pouvoir choisir d'être ici plutôt que d'y être obligé pour survivre. J'imagine mal comment se comportent les pneumatiques des migrants dans cette mer.


Sur la fin du trajet, la précision de notre heure d'arrivée prévue devient de plus en plus crédible. On voudrait arriver de jour, alors il ne faut pas traîner. Cela nous amène à pousser un peu le bateau, avec la toile qu'a sans doute mise le petit bateau bleu de la simulation, qui est toujours devant nous. Soit GV à un ris et génois plein dans vingt-cinq noeuds réels, à 130 degrés du vent. Effectivement on avance vite, Tusitala surfe parfois à douze noeuds (brièvement !), la houle aidant. Liliane déclare : "J'ai l'impression d'être dans une lessiveuse." Le pilote électrique assume l'effort sans commentaires. Ensuite le vent monte encore et je préfère réduire sagement la toile à deux ris et trinquette. La raffut se calme un peu à l'intérieur et on avance quand même à six ou sept noeuds.

Les nuits sont éclairées par une belle Lune, quand elle n'est pas masquée par d'épais nuages. Les levers et les couchers de soleil sont parfois grandioses et parfois ternes, selon la couverture nuageuse.

La Lune, 24 février à 22h25

Quelques frustrations permettent tout de même de se plaindre un peu. D'abord, le téléphone Samsung S22 que j'ai acheté à Madère pour remplacer mon précédent qui chargeait mal, ne dispose plus d'une prise audio séparée (connecteur Jack de l'ancien temps). C'est maintenant le port USB-C qui fait tout. Tout mal. Parce que si on met des écouteurs USB-C dans la prise, on ne peut plus le recharger, à moins d'avoir un chargeur magnétique, ou un adaptateur qui permet de brancher à la fois les écouteurs et le chargeur. Evidemment je comprends que ça simplifie la fabrication de l'appareil chez Samsung, la bonne vieille recette qui permet de maintenir les prix en diminuant le service offert. J'ai même connu ça à Paris dans le domaine de l'habillement, une année que je voulais renouveler mon pardessus chez mon confectionneur habituel, celui-ci me sert un discours commercial parfait "C'est exactement le même modèle que nous suivons depuis des années, et remarquez bien que nous avons maintenu les prix". Dans mon esprit il était effectivement identique au précédent. C'est seulement aux premiers frimas de l'automne que je m'aperçois que le nouveau modèle avait deux poches repose-mains en moins, et n'était pas zippé sur le devant, tout ça pour le même prix que le précédent.

J'aime bien faire durer les objets, comme ma vieille 205. J'avais donc voulu conserver mes écouteurs à prise Jack dont j'ai plusieurs exemplaires. Et je ne voulais évidemment pas d'écouteurs sans fils, parce que ça fait un "truc" de plus à charger régulièrement, alors qu'on essaie de tout simplifier. Bref ! j'avais acheté un adaptateur audio filaire Jack vers USB-C sur Amazon. Pas cher, 7 euros le pack de deux. Mais ils n'ont jamais bien fonctionné. Faux contact aléatoires dans la prise et finalement ces jours-ci carrément impossible à utiliser de manière fiable. En effet, les écouteurs me servent d'une part à écouter des podcasts, activité non-essentielle, mais surtout à me faire réveiller par la minuterie sans réveiller Liliane. Et bien ça ne marche plus du tout parce que le connecteur USB-C made in China s'est ouvert en deux.

Ensuite le téléphone lui-même. J'avais l'habitude d'avoir deux boutons sur l'application minuterie : Supprimer et Démarrer. Aujourd'hui, l'application minuterie a fait apparaître un "smart-truc" intelligent. A la place de mes deux boutons, il y a maintenant une proposition de deux timers prédéfinis 10 minutes ou 30 minutes, sur la base de mes habitudes. Insupportable. De quoi je me mêle ? Quand Liliane m'a réveillé pour prendre mon quart, sans mes lunettes, j'ai appuyé à la place habituelle sur un bouton qui n'était plus Démarrer. Et au lieu de me réveiller au bout de trente minutes, j'ai dormi une heure, jusqu'à ce que Liliane s'aperçoive du problème. Je recherche donc un timer aussi simple qu'un minuteur de cuisine avec des boutons arrêt et marche, vibrant et avec une sortie audio Jack. Si quelqu'un a des accointances chez un fabricant d'appareils électronique "consumers" je suis son client. Evidement le business plan n'est pas très attirant ; on doit pouvoir compter une dizaine de clients comme moi sur Terre.

La plus grande frustration a été lorsque j'ai commencé à préparer des pâtes. Eau dans la cocotte, ail, paquet de torsades de bonne qualité, huile d'olive, parmesan râpé, ça s'annonçait bien. Liliane et moi nous réjouissions d'avance de ce festin annoncé. Nous préparons ce genre de pâtes plutôt à terre parce qu'elle sont faites de blé dur et nécessitent neuf minutes de cuisson. Les pâtes "3 minutes", que nous utilisons généralement en mer, sont quand même moins bonnes. Aujourd'hui nous avions voté pour des "9 minutes". Je mets le feu et nous attendons en discutant. Au bout de quelques minutes, patatras ! je vois le feu éteint. C'est la fin de la bouteille de Butagaz. Evidemment, ça tombe en pleine nuit et avec trois mètres de creux. Nous savons bien que nous n'allons pas aller chercher la bouteille de rechange dans le coffre de cockpit, sous les pare-battage et les amarres. On verra demain, la mer sera plus calme et il fera jour. J'en profite pour mettre un zéro pointé à l'aménageur du RM qui n'a pas pu ou retenu l'option de mettre un coffre à deux bouteilles, une en service et une de rechange, dans le coffre extérieur hermétique obligatoire. A moins qu'il y ait une norme qui l'interdise. Pas de bonnes pâtes ce soir-là, remplacées par un sandwich à la mortadelle espagnole.

Les milles restant tombent avec une régularité de métronome. A peine quelques ralentissements, un ris, deux ris, un petit coup de génois, retour à la trinquette. A vingt milles des côtes, Liliane voit apparaître un réseau sur son téléphone. Depuis plusieurs jours nous avions déjà coupé les data mobiles pour éviter des frais de roaming inattendus. Je vois que mon téléphone s'est calé sur une heure différente de celle du départ. Très bien, c'est la nouvelle heure locale.


Terre ! Il faut arriver à moins de cinq milles de l'Ilha do Sal pour l'apercevoir dans une lumière diffuse orangée. C'est l'Hamattan, le vent qui soulève la poussière du désert et enveloppe tout le paysage dans une brume de fine poussière.

25 février 2024 - Ilha do Sal
Approche de Porto Palmeira
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Mouillage à Porto Palmeira sur l'île de Sal au Cap Vert 

Nous passons derrière un gros catamaran sur lequel s'affairent deux personnes. L'un d'eux nous hèle en Français et nous suggère d'aller prendre une bouée tout près de la plage. Je commence par lui dire qu'on préfère être à l'ancre, il insiste gentiment "C'est tranquille, c'est sûr là-bas. Ici, il faut laisser la place pour les manœuvres des ferries." Pas convaincus, on va quand même voir en nous faufilant entre les barques et les bateaux. C'est vraiment étroit et très près de la plage. Dans ma tête, le vent pourrait se retourner et nous mettre sur le sec. En fait non, parce que le vent est quasi constant tout l'année, oscillant entre nord et nord-est à part de rares coups de vent du sud. Nous ressortons de la zone et partons nous mettre vers l'entrée du port, où l'on a vu des bateaux à l'ancre.

Nous sommes en train de faire quelques ronds pour appréhender la zone, mesurer les profondeurs et l'espace. Un coup de sifflet retentit. Un deuxième, insistant. Je tourne la tête et c'est notre capverdien, au-delà de la distance audible, qui dessine avec les bras le rond d'une bouée. Il y en a effectivement une, mais nous trouvons son insistance agaçante. On ira discuter demain avec l'annexe et le remercier de sa sollicitude. En attendant poursuivons notre manœuvre.

Après les interventions mécaniques salissantes, la manœuvre de mouillage est probablement la deuxième cause d'effervescences dans les relations des couples en navigation.

Perspective de l'équip·ier·ière à la barre : manœuvre lente pour amener l'étrave du bateau au point idéal de dépose de l'ancre, avec une distance égale avec les autres bateaux, le calcul mental de la distance à laquelle on va reculer une fois la chaîne sortie, la projection (rapide, s'il vous plaît) de l'évolution de notre bateau et des autres en cas de changement du vent, maintien du bateau bout au vent malgré la faible vitesse et les rafales qui cherchent à faire déraper l'avant, regard d'un oeil sur le sondeur, rappel en mémoire de ce qu'on a lu dans le guide à propos du fond à cet endroit, gommage des perturbations telles que la radio qui appelle, le pneumatique qui sort à fond et choisit de passer devant, réponse polie à l'équip·ier·ière qui n'a pas entendu la réponse précédente à cause du vent, ruminage intérieur sur le sabotage de notre manœuvre qui s'annonçait pourtant si belle.

Perspective de l'équip·ier·ière à la commande du guindeau : question polie pour la troisième fois sur le lieu prévu de mouillage de l'ancre, réflexion pour savoir si l'équip·ier·ière à la barre a vraiment compris qu'il y a un gros cordage qui pend sur le côté de la bouée du pêcheur, interrogation 'mais qu'est-ce qu'iel attend pour me dire de mouiller ? Et pourquoi il avance si lentement ?' (demander à Liliane d'écrire la suite...)

Ces questionnements sont récurrents et assez universellement partagés dans les équipages, malgré tout un tas de conventions préalables de communication verbale ou gestuelle entre les protagonistes. Nous voici donc avec Liliane à nous positionner au mieux dans l'endroit de notre choix, après le refus de nous mettre sur la bouée indiquée par le Monsieur inconnu. Je lance le message clé : "-Vas-y, mouille !". Je vois l'ancre qui commence à descendre, puis stoppe. (Mais qu'est-ce qu'elle fait ?). Liliane se retourne et me crie "-Ça ne descend plus ! -Alors remonte l'ancre, on refait un tour !". En effet, on donne l'indication de mouiller quand le bateau n'avance plus. Alors avec vingt nœuds de vent de face, on a quelques secondes pour que l'ancre descende avec les dix premiers mètres de chaîne et croche au fond. Après ces quelques précieuses secondes, le bateau dérape inexorablement de la position idéale et le barreur ne peut rien y faire puisque le bateau n'avance plus. Cela arrive assez souvent et ce n'est pas grave ; on fait un petit tour et on reprend la manœuvre de positionnement. Même histoire, je vois Liliane consternée avec l'ancre qui refuse de descendre. Demi-tour et j'éloigne le bateau de la zone des mouillages pour comprendre le problème. Dans l'avant-port, je remets le pilote automatique et je vais voir moi-même à l'avant. Effectivement, le bouton "Down" ne déclenche plus de mouvement, alors que le "Up" tire la chaîne. Déjà cela valide que ce n'est pas le disjoncteur. Ça ressemble à une vraie panne. Liliane, un peu agacée que je sois allé tester moi-même le bouton. "-Avant de te dire que ça ne marchait pas, bien sûr que j'ai essayé plusieurs fois d'appuyer !".

Nous voilà donc en panne de guindeau. Il faut prendre une décision. Soit sortir l'ancre à la main et la jeter à l'ancienne, soit prendre la bouée indiquée par le cap-verdien. Je choisis la bouée, parce que sortir trente mètres de chaîne sur le pont avec la fatigue actuelle, ça ne me tente pas vraiment et si l'ancre ne croche pas tout de suite, il va falloir remonter les trente mètres et l'ancre de vingt kilos avec les mains. Nous nous reconfigurons pour prendre la bouée. Aucune idée de comment elle est constituée. Dans le doute, nous sortons à la fois le crochet et la gaffe, pour attraper soit un anneau, soit un bout flottant. Nous refaisons la manoeuvre d'approche vers la grosse bouée rouge qui nous paraît destinée aux plaisanciers. Liliane tente d'attraper un bout autour de la bouée. Rien, me signale-t-elle. OK on tente l'autre qui paraît plus petite et ressemble plutôt à un casier de pêcheur. Cette fois-ci Liliane croche bien un filin. Je mets au point mort et je cours l'aider. Ça se présente bien. Poisseux, mais solide. Une grosse boucle épissée qui passe facilement autour du taquet. Ce n'est pas un casier, c'est bien un corps mort pour bateau. Il y a même un deuxième cordage identique qui permet de prendre l'autre taquet, en patte d'oie. "-Dis donc, c'est du sérieux !". Inattendu pour un port où le guide Imray disait qu'il n'y avait aucune infrastructure.

Nous pouvons enfin respirer. Ranger le bateau, et nous préparer un rapide repas avant de nous jeter dans la couchette enfin horizontale pour une bonne sieste de repos.

Dès cette fin d'après-midi, je vais à l'avant diagnostiquer la panne du guindeau et j'entreprends sa réparation, qui va s'étaler sur quelques jours (voir paragraphe plus loin).

Nous sommes enfin arrivés au Cap Vert sur l'île de Sal. J'ai moi-même du mal à croire que nous avons fait ça. Demain, ce sera la découverte du petit bourg de pêcheurs. Je mets le réveil pour huit heures.

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Au mouillage sur Ilha do Sal - Porto Palmeira

26 février 2024

Huit heures, debout. Il fait nuit. Quoi ? Bizarre.

Le petit déjeuner donne de l'énergie pour gonfler l'annexe. Le vent augmente dès le milieu de la matinée. Le plan d'eau est ridé. Nous embarquons dans l'annexe, notre vieux moteur poussif reprend du service et nous amène, en nous faufilant entre des bateaux dont beaucoup ressemblent à des épaves, jusqu'au petit quai des pêcheurs. Aucun ponton dédié aux annexes, luxe de marinas occidentales. Liliane refuse de monter sur le quai où les pêcheurs jettent à la volée les entrailles des poissons. On cale le bout de l'annexe entre deux barques de pêcheurs et je grimpe sur le quai et je tire l'annexe vers des marches que Liliane peut emprunter plus facilement. Immédiatement des mains enfantines tentent de prendre l'amarre pour m'aider. Je connais cette attitude qui permet ensuite de réclamer un dû. Je contourne donc gentiment ces enfants pour rester maître de l'amarre. Ils n'insistent pas trop, mais demandent quand même un peu "-Watch, watch ! -Não, obrigado." Il proposent de nous surveiller l'annexe. On sait que si on paie l'un d'eux, qu'il soit un adulte ou un enfant, il n'arrivera effectivement rien à l'annexe. C'est un principe. Mais notre principe aussi est de ne pas trop vite céder à cette pression commerciale, qui s'apparente quand même à de la mendicité infantile. On tente.

No stress !


La première priorité est d'exécuter les formalités d'entrée dans le Cap Vert. Etrangement il n'est pas facile de savoir comment faire. Le guide dit qu'il faut trouver d'abord la Capitainerie, puis la Police, puis la Douane. Nous cherchons tous ces bureaux et ne les trouvons pas. Personne ne sait. Finalement, dans un bâtiment anodin se trouve le poste de Police Maritime. Un premier bureau, un formulaire à remplir, des coups de tampon, et il conservent les documents du bateau. Un deuxième bureau, les passeports et des coups de tampon. Au début ça a l'air martial, mais ensuite le policier nous dit de bien laisser sécher la page avant de refermer. Effectivement nous allons garder à la main plus de quinze minutes nos passeports ouverts dans la rue et l'encre ne sera toujours pas sèche. Ce n'est d'ailleurs pas bien grave parce qu'il n'y a rien à lire dans le cartouche du tampon tellement il est usé. On voit juste le cadre et on devine "Cabo Verde".

Dallage en chutes de carrelage
No stress !
Clearance d'entrée au Cap Vert
No stress !


Nous flânons dans les petites rues animées et colorées. "-Ah ! ça ressemble enfin à des vacances, dit Liliane." Les boutiques ont très peu à proposer, mais on se laisse tranquillement baigner dans cette nouvelle ambiance "no stress", slogan qu'on retrouve partout sur les tee-shirts, les affiches... De temps en temps arrive un van chargé de touristes accompagné d'un guide. On entend de l'Allemand et du Français, beaucoup de Français. On découvrira plus tard que certains, y compris parmi les jeunes, apprennent notre langue en LV1, comme le faisaient autrefois les Portugais. Plusieurs fois dans les commerces, c'est la langue étrangère préférée pour entamer une conversation, à égalité avec l'Espagnol, mais loin derrière l'Anglais.

Garanti frais, le poisson !

A la gare maritime des ferries, je tente un retrait d'argent local, en Escudos do Cabo Verde (CVE). Le Cap Vert est une République, dotée d'une monnaie dont le change est aligné sur l'Euro. D'ailleurs leurs billets sont très beaux et rappellent les moyens anti-contrefaçons de la monnaie européenne. Le change officiel est de 110 CVE pour 1 euro. Dans tout le territoire, les commerçants et les taxis sont d'accord pour être payés directement en Euros et pratiquent le change arrondi de 100 CVE pour 1 Euro, un peu plus avantageux pour eux. C'est pratique, on peut tout convertir instantanément de tête. La transaction avec le DAB échoue dans la dernière étape, celle de la délivrance des billets. Je crains un moment d'avoir perdu les vingt euros que j'avais demandé à changer avec ma carte bancaire. Divulgâchage : je constaterai très vite que le montant m'a été recrédité par la banque. Ça fonctionne donc plutôt bien.

On passe reconnaître la fontanaria, c'est à dire le point d'eau public, qui pourrait nous être nécessaire pour remplir nos réservoirs. On se renseigne sur le prix. La personne en charge de la fontaine nous montre une pièce de 20 CVE et un gros bidon de 20 litres. Ça fait environ 1 centime d'euro le litre. Plus loin, on voit un autre point d'eau, privé, où des enfants viennent chercher de l'eau avec un bidon. L'eau courante est ici un petit luxe. Près du centre, on trouve les sentinas municipales, c'est à dire les douches publiques. Tarif : 70 ECV par douche.


Arrivée de l'oléoduc depuis les tankers au mouillage

Nous arrivons au restaurant vers midi quarante et demandons si on peut s'asseoir. Déjà bizarre qu'il ait fallu pousser le grillage de l'entrée pour passer. Pas très avenant. Les employés parlent assez peu Anglais ou Espagnol. La patronne sort de la cuisine et nous parle en Français. "-C'est fermé, revenez vers midi trente. - Mais, il est déjà midi quarante !" Elle regarde ma montre, un peu étonnée. Alors je percute. Ma montre n'est PAS à l'heure locale. Au lieu de UTC-1, elle est sur UTC+1. Liliane avait bien trouvé étrange que l'heure avance alors qu'on était plus à l'ouest. Mais il arrive que des îles soient calées sur un méridien qui n'est pas le leur (ex. Madère). Il me faudra plusieurs heures de réflexion pour comprendre. Pendant la descente au Cap Vert, nous avons frôlé le Maroc. Et à ce moment, je n'avais pas encore coupé les data mobiles de mon portable. Mon téléphone s'est donc accroché sur un réseau marocain (UTC+1). Ensuite j'ai coupé les data, ce qui lui a interdit de se recaler à l'heure du Cap Vert. Et nous avons donc mis le réveil à six heures du matin, heure locale. Et ensuite j'ai calé ma montre Swatch sur l'heure de mon téléphone. "Et voilà Monsieur pourquoi votre fille est muette".

Besoin vital : des data !

L'incident nous rappelle que nous n'avons plus aucune connexion avec les réseaux, à part la parcimonieuse connexion Iridium. Nous nous renseignons pour l'achat d'une carte pré-payée. Très prudemment, je questionne la vendeuse. Elle a vraiment l'air de savoir de quoi elle parle en nous présentant toutes les possibilités, mi en Portugais, mi en Français, mi en Anglais (je sais, ça fait trois moitiés !). Finalement nous choisissons un pack 7GO de data pour 1000CVE (~10€). Reste à voir comment ça marche. En ouvrant le petit tiroir à carte SIM de nos téléphones, Liliane et moi prenons conscience que nos téléphones à DEUX cartes ne disposent en fait que d'UN slot physique pour carte SIM et que la deuxième doit être une eSIM dématérialisée. Nous devons donc renoncer à conserver le lien avec notre opérateur français.

☞ Pour les candidats au voyage, pensez bien à faire transformer votre carte SIM physique en eSIM avant de partir pour laisser le slot physique accessible à la carte SIM physique de l'opérateur local. Liliane et moi ne sommes pas tentés par l'expérience de cette mutation à partir de là où nous sommes. En cas d'échec de l'opération, ce serait bien embêtant de se retrouver avec un téléphone qui ne fonctionne plus.

L'opératrice prend en charge nos téléphones avec dextérité. A toute vitesse elle se promène dans les menus de configuration (en Français) et en quelques minutes nous avons une connexion. Whatsapp, Gmail, etc. tout fonctionne. Affaire conclue, mais on verra plus tard que nous avons oublié quelque chose...

Les faubourgs sont moins colorés et les maisons rarement terminées, probablement pour raisons fiscales, dans la mesure où plusieurs pays ont une loi selon laquelle on ne commence à payer les impôts fonciers que lorsque la maison est terminée.

Les chiens ont confiance dans les automobilistes
Préparation de la douche de princesse
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Jay, auto entrepreneur multiservice

En fin d'après-midi, nous voyons approcher avec son canot le cap verdien qui a insisté pour qu'on utilise la bouée. Il se présente, parle bien Français : il se prénomme Jay (en fait c'est Jair en Portugais). Sa sœur tient le restaurant Capricornio, près des douches publiques. Jay nous explique qu'il peut nous obtenir tout ce qu'on veut : de l'eau, du carburant, du matériel. Il promène les touristes plusieurs fois par jour sur son grand catamaran. C'est lui qui a disposé les bouées, car aucune autorité ne s'est saisie d'un quelconque accueil des plaisanciers. Il nous annonce le prix de 7 euros par journée (bizarrement il ne compte pas par nuitée !). Je lui demande s'il sait combien peut tenir le corps-mort. Il a l'air sûr de lui : plus de sept tonnes. Bon, marché conclu. On convient de s'appeler à la VHF, canal 06 à la fin de son travail à 17 heures. Il a l'air très impliqué et très actif. Bravo, franchement.

Jay est connu de partout et même dans les site web qui décrivent l'île.


Réparation de la télécommande du guindeau

🛠On est sur bouée, mais pour la prochaine étape à Mindelo on peut avoir besoin du guindeau, bien que nos amis du voilier Nana, qui sont arrivés entre-temps à Mindelo, nous assurent qu'il y a plein de place aux pontons. Je démonte la télécommande. Elle est toute oxydée et des composants ont perdu leur pattes. Je teste au multimètre et l'interrupteur "bas" ne se ferme plus. Ouf, ça semble être une panne "gentille". Je relève soigneusement le schéma de câblage du petit circuit imprimé. Les petits composants qui brinquebalaient dans le boîtier sont des résistances et condensateurs destinés à filtrer les rebonds des lames des interrupteurs. Dans un premier temps, on devrait pouvoir s'en passer avec un interrupteur neuf.

 Télécommande filaire du guindeau

Les jours suivants sont occupés, entre autres, à bricoler une boîte de raccordement de chez Leroy Merlin que j'avais en réserve et un interrupteur monostable à deux positions contact (DPST). Incroyablement, quand j'ai fait mon marché sur Internet pour que Sylvie nous apporte quelques matériels à Las Palmas, j'avais ajouté deux de ces interrupteurs sans savoir pourquoi je pourrais en avoir besoin. Intuition heureuse ! Par chance aussi, le fer à souder électrique a une puissance inférieure à ce que peut fournir mon petit convertisseur 12V/220V portatif, ce qui m'évitera de sortir celui à gaz. Je coupe donc sans hésiter les fils de l'ancienne télécommande et les soude à l'interrupteur, que je monte sur le capot de la boîte. Je vais tester le guideau avec Liliane. Il fonctionne. Dans les deux sens ! Il faudra sans doute commander un boîtier officiel quand on sera à nouveau en territoire européen, mais pour l'instant ça ira bien. J'enduis généreusement tout le boîtier de Sikaflex pour lui donner un semblant d'étanchéité. A l'occasion je pourrais carrément remplir la boîte, mais je ne vais pas consommer tout mon Sika de réserve. Comme la boîte carrée n'a pas un sens de prise en main, je pyrograve les caratères "U-P" sur le capot afin que l'utilisateur puisse sentir où se trouve le haut même dans le noir.

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Balade en Aluguer

Nous prenons le temps de visiter les alentours de Porto Palmeira. L'île est assez plate, quasiment sans végétation. C'est seulement grâce aux carburants livrés par bateaux que la population dispose d'eau dessalinisée. Nous choisissons de visiter les Salinas de Pedra de Lume, ancien lieu de récolte de sel, du temps où cette île pouvait en produire pour moins cher que d'autres, époque révolue. Nous avons repéré l'arrêt de bus, mais aucun horaire, ni numéro de ligne n'est affiché. Ce sont des considérations qui n'ont pas cours ici. Justement un aluguer (littéralement un "à louer") passe à portée. Il y a une communication non verbale instantanée entre un touriste et un aluguer. Il SAIT que nous cherchons un véhicule. On négocie mollement pour la course. Dans d'autres régions d'Afrique, il faut systématiquement diviser par deux le prix demandé. Pas trop ici. Même entre eux, on ne voit pas de marchandage intense. Tant mieux. Même si c'est un sport marrant, ça fait perdre du temps à tout le monde.

Une petite marche nous conduit le long du chemin de transport historique du sel. Il est même possible de se baigner dans l'eau très salée, où l'on flotte facilement, comme dans la Mer Morte.

Prix libellé en Euro !

Au retour, l'aluguer nous dépose à Espargos, la "capitale" de l'île pour une balade dans la ville. Notre chauffeur profite de la course pour passer prendre sa jeune enfant à la sortie de l'école. Nous ne nous en offusquons pas. A pieds, nous baladons dans les rues tranquilles, achetons quelques fruits, une bonne glace. Pas grand chose à faire. Nous hélons un taxi et rentrons à la marina de Porto Palmeira.

No stress !
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28 février 2024

Le vent souffle continuellement et fort. Au mouillage, nous sommes plutôt tranquilles. Les allers-retours quotidiens avec le vieux moteur hors-bord sont pénibles. Il cale souvent. Aujourd'hui, il refuse de redémarrer. Nous rentrons au bateau à la rame, et j'intervertis les deux moteurs hors-bords, histoire de profiter de celui qui fonctionne le mieux. Effectivement, ça change la vie.


Assez vite nous avons conscience d'avoir envie de poursuivre notre route. La météo est favorable sur le trajet pour São Vicente. Nous savons que le passage entre les îles va être musclé à cause de l'effet Venturi. Nous décidons de partir le 29 février. Nous préparons notre départ. Auparavant, il faut retourner au poste de Police Maritime pour récupérer les papiers du bateau. Le policier de garde nous voit arriver de loin et nous fait de grands signes. Sans doute peu de touristes passent dans sa rue et puis au bout de quatre jours, tout le monde soit savoir qu'un couple de Français est dans la ville. On a presque l'impression qu'il est content de nous voir. Il nous restitue nos papiers et un document officiel d'entrée au Cap Vert. L'Administration ne plaisante pas avec les trois points officiels où on peut faire une clearance d'entrée.


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Nos honorables lecteurs voudront bien excuser la piètre qualité rédactionnelle de cette étape et des deux précédentes. Nous réalisé ces pages de blog "à l'arrache" comme on dit, juste avant notre départ en transat.

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Traversée de Porto Palmeira (Sal) à Mindelo (São Vincente)

29 février 2024

Hier soir, nous avons raté un créneau de communication VHF avec Jay et nous n'aurons pas de ravitaillement en eau. Mais nous en avons encore amplement dans les réservoirs. Comme il est de sortie, je dois aller payer la bouée chez sa sœur. Un rapide aller-retour au restaurant Capricornio, puis rangement de l'annexe et préparation du bateau au départ.

Au restaurant Capricormio

Quitter le mouillage est vraiment facile. On largue à l'avant et nous voilà en route. Dès la sortir, nous hissons la grand-voile à un ris et le génois.

La nuit se passe bien, à plus de sept nœuds au portant dans le vent et la houle. Le seul bateau vu en mer, l'Atlantis, qui relie précisément Palmeira à Mindelo nous double lentement au petit matin. J'ai définitivement réglé le paramètre de seuil du Brake de l'hydrogénérateur à une valeur où il charge en permanence.

Quatre bouée délimitent la zone de pompage des tankers
Confort pour le quart
Atlantis
São Vicente

01 mars 2024

L'arrivée à Mindelo en milieu de matinée est encore plus tonique qu'imaginée. Dès l'approche le vent se renforce, mais il passe carrément la surmultipliée dans le canal entre São Vicente et Santo Antão. Traditionnellement on trouve entre trente et trente-cinq nœuds à cet endroit, quand il y en a vingt en pleine mer. En vitesse je prends un deuxième ris, ce qui limite les auloffées, puis je rentre la trinquette. Et c'est sous GV seule que nous entrons dans l'avant-port, où nous saluons au passage un BPC Français, que je ne saurais pas nommer exactement, et sa frégate de protection. C'est une fierté que notre Marine Nationale soit présente dans un port étranger.

Après contact à la VHF 72 et préparation de nos pare-battages, la Capitainerie nous propose d'aller directement aux pontons. Le vent est inquiétant pour une manœuvre. Par chance, le marinheiro nous appelle vers une place sous le vent du ponton, plus facile à saisir qu'au vent, et il y a de la place tout autour, nous n'aurons pas besoin de nous "faxer" entre deux bateaux. Tout se passe bien, en marche arrière. Le concepteur de cette marina a intelligemment mis les pontons perpendiculaires au vent dominant. On arrive donc en marche arrière cul au vent et le bateau est assez stable même dans les rafales. Ensuite on donne les amarres arrière à nouer au ponton et ensuite on attrape la pendille pour aller la tendre sur le taquet avant. Nos amis Joëlle et Yves du voilier Nana sont sur le ponton pour aider. Nous sommes contents de les retrouver après plusieurs mois à nous entrecroiser aux Açores et aux Canaries.

Le vent est omniprésent au Cap Vert. La petite marina de Mindelo, fort bien protégée de la houle est néanmoins dure pour les amarres des bateaux. Nous ajoutons les amortisseurs pour les ménager. Pendant tout notre séjour, jours et nuits, le bateau est remué, les amarres étirées avec parfois des craquements, les rafales éloignent le bateau du ponton et le font valdinguer un peu de droite et de gauche, ce qui nécessite une bonne concentration avant d'enjamber l'espace mouvant, exercice spirituel de présence à la réalité.

Le soir, nous allons avec plaisir prendre un pot au Casa Café Mindelo avec nos amis. On entend beaucoup parler Français ici aussi.

Nous faisons les formalités d'arrivée à Mindelo. Capitainerie, Police. Ici, l'eau courante et l'électricité arrivent aux pontons, luxe inouï. Néanmoins tout se paie à la consommation. Etrange contraste de modernité, nous avons une carte magnétique qui débloque et décompte l'eau des pontons, celle des douches, ouvre les portes d'accès aux pontons, et celles des sanitaires.

Pétrole, la source de l'eau douce

2 mars 2024

Il règne une vie intense dans les rues de Mindelo, où en plus des deux marchés officiels s'installent beaucoup de revendeurs de rue. La population est en moyenne très jeune (par rapport à nos contrées européennes) et tout le monde travaille ou cherche une activité. Dès notre sortie de la marina nous sommes sollicités pour diverses offres de services, tels Umberto qui propose de plonger sous le bateau pour nettoyer la coque, ou n'importe quel tour de l'île . Il se trouve que le bateau est (enfin) revenu à l'état de fonctionnement complet. Beaucoup d'autres équipages ont des réparations à faire, comme c'était notre cas auparavant.

Marché africain
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Santa Antão, le grenier du Cap Vert

Très vite, nous organisons un séjour sur l'île voisine de Santa Antão qui recueille l'unanimité des avis favorables. En laissant le bateau sous l'aimable surveillance de Joëlle en notre absence, nous prendrons le ferry et logerons sur place.

Jour 1 - 4 mars 2024

Lever à 5h30. Ferry aller à Porto Novo

Une des épaves de la baie
Vers Santa Antão

Remise du colis de la part de Dominique à une intermédiaire.

Ruta de la Corda en aluguer. Quinze millions de pavés.

Non-vue sur la caldeira
Ribeira Grande

Balade à Fontainhas : aluguer et retour à pieds jusqu'à Ponta do Sol où nous retrouvons un aluguer pour Ribeira Grande.

Porcherie en activité
Aérodrome désafecté

Nuit en réservation Booking à La Menor.

De retour dans notre chambre, je commets une erreur de débutant. Mon téléphone me relance pour me signaler l'existence d'une nouvelle version Android et me vante tous les bénéfices de sécurité et d'évolutions fonctionnelles qu'il offrira. Je l'ignore superbement depuis plusieurs jours, mais là, dans la chambre dotée d'un Wifi qui fonctionne et l'esprit un peu enfumé de fatigue, je clique sans hésiter sur "Télécharger", puis "Installer". Et il le fait bien. Sauf qu'ensuite il redémarre et me demande le code PIN de la carte SIM, qui est celle de l'opérateur local Alō achetée sur l'île de Sal. Aïe ! Je ne connais pas ce code et il ne figure même pas sur le petit carton qui accompagnait la carte SIM. Quand on a installé la carte SIM, c'est la vendeuse qui a configuré nos téléphones. Je n'ai donc même pas entre-aperçu ce code. Le téléphone reste fermement verrouillé sur l'écran du code PIN. Je tente "0000". Raté. "1234". Raté. Le numéro habituel de ma carte SIM France. Raté. Il me demande maintenant le code PUK. Piégé comme un bleu. Je ne connais même pas mon propre numéro de téléphone, qui se trouve... dans le téléphone. Heureusement j'ai passé un appel de test à Liliane et elle l'a conservé.

Pendant tout le reste de la soirée, je ferai carême de data mobiles, de réseaux sociaux et même de réveille-matin.

Nous prenons notre dîner dans la salle de restaurant du La Menor. Après le dîner, nous avons droit à un mini-concert privé chants capverdiens par le patron-cuisinier des lieux. Il chante incroyablement bien. Des chants de Cesaria Evoria évidemment. Deux ouvriers que nous avons vus remuer des pierres construction dans l'après-midi buvaient une bière au bar et viennent se joindre à lui dans une sorte se slam, probablement en crioulo local.

Jour 2 - 5 mars 2024

Lever tôt, petit déjeuner. Je fonce à la boutique de l'opérateur local. L'opératrice ne frémit même pas. En quinze secondes elle me tend un post-it avec le code PIN et le code PUK. Je crois rêver, ça fonctionne.

Balade en aluguer à la Vale Paul. Nous comprenons alors comment cette île fait pour nourrir tout l'archipel (ainsi que Fogo, plus petite). Chaque parcelle horizontale est cultivée, du fond des ravines jusqu'à la limite des parois rocheuses verticales ; littéralement chaque mètre carré de terre est mis à profit, entouré de cailloux soigneusement ordonnés par les générations de cultivateurs. Avec Liliane, nous jouons à retrouver les cultures des fruits et légumes déjà rencontrés au marché de Mindelo. Bananeraies innombrables, canne à sucre, papayes, cultures maraîchères, tout y est.

Balade à pieds. Café chez un Français installé ici.

Sur le retour, l'aluguer qui est normalement réservé pour nous se transforme en collectivo, avec notre accord. Cela permet de voir vivre les gens de cette vallée, tout en rendant service.

Nous déposons nos sacs à Casa Minga. Petit aller-retour à pieds jusqu'à Ribeira Grande.

Montée à Casa Mingua
No stress !
No stress !

Retour en aluguer et montée dans la Vale de La Tore jusqu'à Xôxô (\ʃo.ʃo\.). Balade à pieds au milieu des cultures.

Vers Casa Minga

Nuit en réservation Booking à Casa Minga entourée de bananiers. Dîner en terrasse.

Dîner en terrasse


Jour 3 - 6 mars 2024

Rendez-vous avec notre aluguer d'hier, bien sympathique et très ponctuel. Contrairement à des affirmations entendues, la population du Cap Vert n'est pas si nonchalante que ça. En tout cas pas dans le contexte de leur boulot.

Ruta de la Corda retour. Le temps est plus clair qu'à l'aller. On voit enfin la caldeira, dont le fond est entièrement cultivé.

Le fond de la caldeira, entièrement cultivé aussi

La descente sur le versant sous le vent nous refait sentir le contraste entre la partie humide et cultivée et la partie sèche et inhospitalière.

En attendant le ferry, balade à Porto Novo.

La horde des alugers attendant le débarquement des touristes


Ferry retour à Mindelo.

Pendant ces trois jours, Joëlle nous a donné des nouvelles régulières de notre bateau. C'est rassurant. J'ai plaisir à le retrouver. Vu l'investissement, qui n'est pas que financier, j'ai toujours du mal à le laisser "seul".


Moments à Mindelo


Recharge de Butagaz à la station Shell. Nous partirons ainsi avec nos trois bouteilles pleines.

Achat d'écouteurs (en double) pour remplacer ceux qui ne fonctionnent pas et me permettre d'écouter des podcasts et d'entendre l'alarme sans réveiller Liliane.

J'ai vainement cherché à remplacer un gros fusible en verre de 20A. Aucune boutique ne fait ça et même pas le marché africain. C'est dire ! Je passe au petit shipchandler tenter d'acheter une batterie neuve pour la VHF portable iCom, qui ne tient plus la charge. Ils ne font évidemment pas la vente de batteries iCom. J'achète donc une VHF portable neuve, pour un prix raisonnable (141€). Avantage : ses batteries sont des AAA rechargeables qu'on trouve partout.

J'ai également une liste d'améliorations (un mot bien plus doux que "réparations"). Installer une deuxième baille de descente, avancer le point d'amure du ris #2 de cinq centimètres... La liste est encore longue et elle sera reportée pour la prochaine étape. Nous nous concentrons sur l'essentiel.

9 mars 2024

Parfois les fortes rafales font tourner le panneau solaire qui du coup devient mal orienté. Ce n'est pas un gros problème , mais cette imperfection est un peu agaçante. Mon idole Steve Jobs n'aurait pas accepté ça. En 2022, j'avais pensé avec le métallier de Morlaix qui nous a fait le support, que ce serait une bonne idée d'avoir une fixation légèrement excentrée. Selon la position, on pouvait abaisser ou rehausser le panneau juste en le tournant. Cela provoque un léger balourd autour de l'axe qui est normalement tenu par des colliers à frottement gras. Hélas, au-delà d'un certain vent, la pression a raison de ce frottement et font tomber le panneau, à moins que je ne serre les vis comme une brute auquel cas je ne pourrai plus le bouger à la main. J'entreprends donc de recentrer les supports. Il faut tout dévisser, percer quatre trous dans l'aluminium en position centrée et remonter le panneau. Apparemment facile, mais évidemment une des vis ne veut plus se dévisser. Le tournevis commence à faire de la limaille dans la tête. Je vais emprunter un très gros tournevis sur le bateau Nana, et malgré ce bel outil, la tête finit par être toute limée. Pas d'autre solution, il faut l'extraire à la perceuse. Bon, ça fonctionne, mais tout ça prend plus de temps que prévu. Ensuite nettoyer toutes ces pièces corrodées à l'acide et remonter le tout. C'est au moment où je suis debout sur le ponton avec mes équerres et mon panneau qu'arrive une rafale énorme. Je faux tomber vraiment dans le port. Je m'accroupis prestement. Je n'avais jamais vu ça. Les amarres du bateau ont un peu couiné, mais tout va bien. Effectivement, à l'apéro du soir nous apprendrons que deux bateaux au mouillage se sont couchés et que le ponton principal s'est cassé. On parle de cinquante nœuds.

C'est au tour du pavillon national de subir une rénovation. Le précédent était très dégradé et fixé à la va-vite sur la balancine. Avec le vent permanent ici, nous l'avions enlevé. En prévision du départ, il paraît réjouissant (et photogénique) de sortir le neuf que nous avions prévu, plus grand. Un peu de matelotage et le nouveau prend sa place sur le pataras. Ce n'est pas tout à fait orthodoxe, mais à cause des bossoirs, nous avons du mal à trouver une place à la position "normale", sur un mâtereau ou une hampe de poupe. Au moins il flottera fièrement. En attendant, pour ne pas l'user, je le roule et le fixe avec une pince à linge.


Comment avoir une démarche de mannequin

Préparation de la transat

C'est sérieux, là ! On a déjà beaucoup pensé à ce moment. Mais nous voilà dans les starting blocks. De toutes façons, nous savions que la descente des Canaries au Cap vert a quelque chose d'irréversible, un peu comme une diode, à cause du vent qui pousse. Cette étape était un saut en avant dans l'engagement et Liliane et moi en avions bien discuté. Une fois au Cap Vert, soit tu traverses vers le Brésil, soit vers les Caraïbes, soit tu tentes une remontée aux Açores, météo permettant. Mais un retour aux Canaries au près face à la houle serait un défi qui dépasse nos forces. Un bateau voisin cependant l'envisage. Chacun sa route, bonne chance à lui.

La veille du départ s'imposent les formalités de départ du Cap Vert, dans l'ordre inverse de l'arrivée : Police Maritime, Immigration et Capitainerie. Si j'ai appris quelques chose en voyageant un peu, c'est qu'il faut respecter scrupuleusement ces formalités, parce que ces gens ont des capacités à nous créer des ennuis dépassant toute imagination. Les officiers de l'Administration sont méticuleux et remplissent certains les documents à la main. Finalement, ça fonctionne plutôt bien tout ça.

Recharge de toutes les batteries, les grosses (2 * 100Ah sous les planchers) et les petites AA et AAA (une dizaine de chaque), les packs de batteries portables (3 de 4000mAh environ, dont un avec petit panneau solaire qu'on met dans le Grab-bag) et les multiples torches, lampes frontales, Iridium GO, appareils photos, ordinateurs, tablettes, liseuses et téléphones. Autant partir avec un maximum de Coulomb à bord.

Un maximum de nourriture fraîche aussi. Nous faisons provision abondante des excellents fruits et légumes du Cap Vert, que nous baignons ensuite dans un bac de permanganate de potassium pour éviter d'embarquer des larves de cafards ou autres, et rinçons à l'eau douce puis faisons sécher dans le cockpit.

Surprise : un voyageur s'arrête sur le ponton derrière Tusitala. "Moi aussi, je suis Malouin", dit-il. Nous le reconnaissons, c'est Hervé propriétaire d'un RM1050 que nous avons cotoyé en 2021 au ponton de Saint-Malo quand nous venions de nous doter du nôtre. Il arrive en avion pour aider à convoyer un bateau retour en France. Le monde est petit.

Le lessivage du pont rempli de la fine poussière orange attendra le dernier moment, juste avant de partir. La poussière apportée depuis plusieurs semaines à tout envahi et le rinçage est laborieux.

Le récit du dernier jour fera l'objet d'une prochaine étape et d'un autre carnet de voyage. Nous closons ici ce carnet "Les Îles de l'Atlantique".

Nous publions également cette étape avec le sentiment de rédaction d'inachevée, mais l'heure tourne, le bateau est prêt et nous voudrions partir sans tarder.

A bientôt, enfants, parents et amis.

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Ce carnet de voyage est TERMINÉ

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Transat et Petites Antilles.

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Métriques

- Durée couverte par ce carnet du 18 janvier 2023 au 11 mars 2024 : 418 jours, soit 1 an, 1 mois et 24 jours

- Parcours nautique : 4099 MN (GPS)

- 770 heures de navigation réelles (hors temps passés au port ou au mouillage)

- Nuits au mouillage : 15

- La trace GPS imagée ci-dessous est consultable en cliquant sur ce lien : VisuGPX.