Marché aux épices du Raja Bazaar"Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d'autres plus récents ; peut-être parce que de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s'était désagrégé ; les formes - et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel, sous son plissage sévère et dévot - s'étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d'expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience." C'est avec ces mots qui ont fait de lui le plus célèbre des écrivains français que Marcel Proust nous décrit une expérience vécue par chacun d'entre nous : la mémoire olfactive a cela de fascinant qu'elle est la seule à nous permettre de remonter le temps. Instantanément.
Fermer les yeux et respirer au Raja Bazaar de Rawalpindi, c'est se retrouver en ce qui me concerne vingt ans en arrière sur le marché aux épices de vieille ville de Sana'a, sous la lumière tamisée des longues toiles de jutes accrochées aux murs des maisons en pisée pour se protéger des rayons du soleil. Ou alors, il y a quinze ans, sous les ventilateurs en bois du marché indien de Rangoun. Ou, il y a dix ans, dans les ruelles étroites du marché de Surabaya, à l'extrême Est de Java. Ces mêmes odeurs que l'on retrouve aussi dans le quartier musulman de Xi'an, à peine corrompues par un zeste de poivre du Sishuan ou par les galettes de charbon qui se consument au coeur de l'hiver chinois.
La quête des épices a ouvert l'Extrême-Orient à l'Europe. Elle en ramène aujourd'hui des cargos entiers de camelote électronique, de smartphones abrutissants, de gadgets inutiles qui font perdre le goût des choses. Bartolomeu Dias, Christophe Colomb, Ferdinand de Magellan et consorts, doivent se retourner dans leurs tombes.
Tea time au Raja BazaarEn 2007, Benazir Bhutto déclarait à un journaliste du Boston Globe : “Je représente ce que Al-Qaïda craint le plus : la modération, la démocratie, les droits des femmes, l'information, et la technologie.” Quelques semaines plus tard, le 27 septembre, un kamikaze se fait exploser au passage de son véhicule alors qu'elle vient de terminer une réunion du Parti du peuple pakistanais. Elle décèdera au Rawalpindi General Hospital.