Tour de chauffe au pays des purs.

Deux semaines au Pakistan, de Karachi à Islamabad.
Du 7 au 21 avril 2019
15 jours
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Le centre de crise et de soutien du Ministère de l'Europe et des Affaires Etrangères a marqué au fer rouge la majeure partie du territoire pakistanais. Des régions entières, chargées d'un passé fabuleux et de paysages qui ne le sont pas moins, sont ainsi "formellement déconseillées" au voyageur : depuis le Baluchistan et ses trésors archéologiques, jusqu'à la passe de Khyber qui perce dans les contreforts de l’Himalaya une voie mythique entre Peshawar et Kaboul. Une voie empruntée dès l’Antiquité par les armées d’Alexandre le Grand, parti en découdre avec les 60 000 hommes et les 200 éléphants de Pôros, le râja indien du royaume de Paurava. La criminalité ordinaire et les actions terroristes sont malheureusement encore récurrentes et peuvent en effet donner à un étranger le sentiment d'être en terre inhospitalière. Même si les Pakistanais sont les premiers à en payer le prix, et qu’une part très infime d'une population de 210 millions d'âmes a pris la voie du crime crapuleux ou de la radicalisation, cette dimension du pays ne doit jamais être sous-estimée par celui qui a décidé d'y voyager.

Quelques jours à Lahore et à Islamabad l'an dernier m'avaient permis de vérifier un principe maintes fois éprouvé à l'occasion de voyages en terres réputées hostiles : plus l'image d'un pays est écornée sur la scène internationale, plus ses habitants débordent d'ingéniosité pour que vous le quittiez avec une furieuse envie d'y revenir. Que de bonnes raisons donc pour retourner cette année au "Pays des purs", pour donner cette fois-ci des formations linguistiques aux professeurs des Alliances françaises de Karachi et d'Islamabad.

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Sur la route de l'Alliance française. 

Deux jours, c'est trop court, malgré l'accueil très chaleureux et amical de Gilles, le directeur de l'Alliance française de Karachi. Assez quand même pour pouvoir écrire que Karachi donne le sentiment d'être au Pakistan ce que Marseille est à la France, ou Naples à l'Italie. Anarchique, bruyante, folle, et sûre d'elle-même. Aussi bien par des interprétations très personnelles de la conduite en ville qui donnent rapidement le sentiment qu'il y a ici autant de codes de la route que d'habitants, que par un souci permanent de vous rappeler, à la moindre occasion, que Karachi la turbulente noctambule n'a rien à voir avec Islamabad, la ville endormie où rien ne se passe après 21h.


Karachi versus Islamabad, donc. Bruyamment, la première semble ne pas avoir digéré que la seconde lui vole l'honneur d'être la capitale du jeune Etat pakistanais. Sous la pression des Pendjabis, majoritaires dans le pays, Karachi dut céder sa place à Islamabad en 1967, une place qu'elle occupait depuis vingt ans, depuis la partition de l'Inde en 1947. Karachi n'en demeure pas moins depuis la capitale économique du Pakistan, la ville des vols directs depuis l'Europe, la ville principale du Sind, cette région du Sud qui a continué d'approvisionner le Pakistan en personnalités politiques charismatiques, au premier des rangs desquelles Benazir BHUTTO, la "huitième reine" pour reprendre le titre du roman - traduit en français - de l'écrivaine Bina SHAH. Ce n'est pas le moindre des paradoxes d'un pays où tant reste à faire sur le chemin de l'émancipation des femmes que d'avoir, par deux fois en 1988 et 1993, propulsé aux plus hautes fonctions une ambassadrice du "Deuxième sexe". Une femme au destin particulier, issue d'une famille qui avait rendez-vous avec l'Histoire de son pays.

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L'Alliance française de Karachi. 

Ces deux jours ont été l'occasion de donner une formation TV5MONDE à l'Alliance française de Karachi. Même si, pour être plus juste, je devrais dire que donner des formations à Karachi et à Islamabad a été l'occasion de poser de nouveau mes sacs au Pakistan. La chaîne, très connue des francophones du monde entier, a en effet conçu deux sites Internet entièrement dédiés à l'apprentissage du français, un pour les apprenants, l'autre pour les enseignants. Les partager avec mes collègues pakistanais a été, une fois plus, l'occasion de tisser de nouveaux liens avec des amoureux inconditionnels de la langue française.

Première formation TV5MONDE à l'Alliance française de Karachi. 
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Marché aux épices du Raja Bazaar

"Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d'autres plus récents ; peut-être parce que de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s'était désagrégé ; les formes - et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel, sous son plissage sévère et dévot - s'étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d'expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience." C'est avec ces mots qui ont fait de lui le plus célèbre des écrivains français que Marcel Proust nous décrit une expérience vécue par chacun d'entre nous : la mémoire olfactive a cela de fascinant qu'elle est la seule à nous permettre de remonter le temps. Instantanément.

Fermer les yeux et respirer au Raja Bazaar de Rawalpindi, c'est se retrouver en ce qui me concerne vingt ans en arrière sur le marché aux épices de vieille ville de Sana'a, sous la lumière tamisée des longues toiles de jutes accrochées aux murs des maisons en pisée pour se protéger des rayons du soleil. Ou alors, il y a quinze ans, sous les ventilateurs en bois du marché indien de Rangoun. Ou, il y a dix ans, dans les ruelles étroites du marché de Surabaya, à l'extrême Est de Java. Ces mêmes odeurs que l'on retrouve aussi dans le quartier musulman de Xi'an, à peine corrompues par un zeste de poivre du Sishuan ou par les galettes de charbon qui se consument au coeur de l'hiver chinois.

La quête des épices a ouvert l'Extrême-Orient à l'Europe. Elle en ramène aujourd'hui des cargos entiers de camelote électronique, de smartphones abrutissants, de gadgets inutiles qui font perdre le goût des choses. Bartolomeu Dias, Christophe Colomb, Ferdinand de Magellan et consorts, doivent se retourner dans leurs tombes.

Tea time au Raja Bazaar
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En 2007, Benazir Bhutto déclarait à un journaliste du Boston Globe : “Je représente ce que Al-Qaïda craint le plus : la modération, la démocratie, les droits des femmes, l'information, et la technologie.” Quelques semaines plus tard, le 27 septembre, un kamikaze se fait exploser au passage de son véhicule alors qu'elle vient de terminer une réunion du Parti du peuple pakistanais. Elle décèdera au Rawalpindi General Hospital.

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Quand on sait que les Pachtounes - peuple fondateur de l'Afghanistan - sont plus nombreux encore au Pakistan, on ne s'étonnera pas de trouver à Islamabad des Kabul Restaurant qui proposent au chaland des brochettes à n'en plus finir. L'odeur de viande grillée qui s'élève à la nuit tombée, qui imprègne au moins autant les chairs que les vêtements, laisse entrevoir ce que doit être le crépuscule dans la province de Khyber Pakhtunkhwa ou dans la ville de Peshawar, terres d'élection des Pachtounes du Pakistan. Des zones encore un peu difficiles d'accès. Qui nécessitent en tout cas un peu plus de préparation. Ce sera, peut-être, l'occasion d'une future balade dans la région. Avec toute la tribu cette fois.

Avec Waseem, champion pakistanais de natation et infatigable dévoreur de brochettes... 
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Islamabad n'a pas été une étape de tout repos : une nouvelle formation TV5MONDE et un stage d'habilitation d'examinateurs/correcteurs du Delf et du Dalf. En dix jours. Un marathon pédagogique dense, porté par des enseignants passionnés par leur métier et par la langue française.

Avec Ismat, la responsable pédagogique de d'AF et Ali, le directeur.