Rencontre avec les ethnies minoritaires peuplant cette région montagneuse bordant le Laos.
Octobre 2024
3 jours
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Nos pas nous ramènent dans cette région nord de la Thaïlande que nous affectionnons, et plus précisément dans la province de Nan, frontalière avec le Laos. Constituée en petit royaume par une famille laotienne à la fin du XIIIe siècle. Comme toutes les vallées du nord, leur relative inaccessibilité leur garantit, un temps, l’indépendance mais dès le XIVe siècle, le royaume de Nan fut convoité par le royaume de Sukhothaï au sud puis fut envahi au XVe par le roi du Lan Na voisin. Il devint alors tributaire du Lan Na. Au XVIe siècle ce sont les Birmans qui envahirent tout le Lan Na et le royaume de Nan, les soumettant à une occupation très dure pour 2 siècles. Après la chute d’Ayutthaya en 1768, le Siam parvint à se libérer du joug birman mais les combats au Lan Na furent acharnés et très longs laissant le royaume exsangue. Nan fut totalement détruite, et même abandonnée pour une vingtaine d’années, avant d’être reconstruite au début du XIXe siècle. Elle fut intégrée au Siam avec le Lan Na et devint une des 77 provinces de la Thaïlande moderne.

Cette petite province montagnarde, couverte de forêts, est traversée du nord au sud par la rivière Nan qui donne son nom à la capitale, et qui se jette au sud dans la rivière Ping, affluent du Chao Phraya. La rivière Nan irrigue la plaine centrale où est cultivé… le riz.

Après quelques heures de route depuis Nan, nous atteignons Bo Kluea, la « montagne de sel », un petit village situé dans une vallée à 650 m d’altitude à une quinzaine de km de la frontière laotienne. On y accède par une route escarpée et en lacets qui monte dans les montagnes couvertes de forêts touffues. La particularité de ce village est de receler une nappe phréatique salée. On y pratique, depuis des temps anciens, l’extraction du sel de manière artisanale : quelques maisons de bois groupées autour d’un puits, d'où est puisée l'eau salée, qu’on fait bouillir dans des grands chaudrons pour qu’elle s’évapore. Quand le sel apparaît, on le récupère avec une écumoire pour le mettre dans un panier placé au-dessus du chaudron. Les chaudrons contiennent 50 litres d’eau et permettent de récupérer 14 kg de sel en 6 heures. Ce sel fit l’heur et le malheur des habitants car il leur apportait une grande richesse mais en même temps a suscité la convoitise des voisins qui les ont attaqués à plusieurs reprises.

Nous redescendons dans la vallée de Nan en fin de journée en traversant le Doi Phu Kha National Park, parc montagneux qui culmine à 1980m et d’où la vue porte jusqu’au Laos voisin.

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La population de cette province est d’environ 475.000 personnes réparties en plusieurs groupes ethniques, dont 5 principaux. La grande majorité est composée de Taï Yuan, socle de la population des provinces du nord, anciennement royaume du Lan Na, et aussi du Laos. La deuxième ethnie en nombre est les Taï Lue, venus en majorité du Sipsongpannna, au sud du Yunnan. Certains sont venus poussés par les guerres, fréquentes dans la région, mais le plus souvent ils se sont établis dans la région à la fin du XIIIe siècle. Ils sont établis près des cours d’eau dans le district de Pua. Ils parlent deux dialectes. La troisième ethnie, les Taï Phuan ou Lao Phuan, vivent dans deux distrits à la frontière du Laos. La quatrième ethnie, les Tai Khuen viennent aussi du sud du Yunnan. Ils vivent avec les Tai Lue. La dernière ethnie d’importance sont les Tai Yai ou Ngiauw, venus du plateau Shan. Parallèlement à ces 5 ethnies principales, de nombreux autres petits groupes ethniques ont trouvé refuge dans ces collines : Hmong, Mien, Lua, Khamu et Mabri.

Après un petit déjeuner dans le cadre enchanteur des rizières au petit matin,

nous reprenons la route vers le parc du Doi Phu Kha plus au nord qu’hier, en direction du village de Baan Maneephruek, où une communauté Hmong et Lua a développé la culture de plants de café dans les années 1980, après la pacification de la région où une guérilla communiste, venue du Laos et soutenue par la Chine, a semé le trouble par de nombreux attentats ciblant des infrastructures de la région dans les années 1960-70. Le roi Rama IX fit intervenir l’armée et, une fois le problème réglé, il mit en place un projet d’aide au développement pour ces populations isolées. Ce projet visait deux buts : lutter contre la déforestation massive et aider les populations à diversifier leurs revenus. C’est dans ce cadre, ayant constaté la qualité des sols, l’altitude favorable (le village est à 1400m), qu’il fut décidé d’introduire la culture du café. C’est ainsi que les anciens guérilleros communistes se sont transformés en pacifiques planteurs de café, fiers de nous expliquer que leur production est « organique ».

A notre arrivée dans le village, nous sommes accueillis par un monsieur d’âge moyen qui nous explique être le leader de la communauté. Son père était capitaine dans l’armée de libération communiste, donc les guérilleros. Lui n’a jamais combattu mais le prestige de son père dans la communauté a rejailli sur lui. Il a été le premier planteur torréfacteur de la région et nous fait une démonstration de la torréfaction artisanale à ses débuts dans les années 1980.

Puis nous gagnons la boutique officielle de l’entreprise qui s’appelle « Coffee de Hmong » où nous attend une dégustation des différentes variétés de café fabriquées sur place. Ce café n’est pas donné : 800 baths (22€) les 100 grammes ! L’entreprise a obtenu de nombreux prix pour la qualité de ses cafés, les mieux côtés de Thaïlande.

Nous redescendons dans la vallée de Nan après un déjeuner au milieu des plantations.

Notre après-midi est consacré à deux temples assez anciens, typiques de la communauté Tai Lue.

Le premier, Wat Rong Ngae, est un temple représentatif de l’art Tai Lue, situé à 70 km au nord de Nan. Il fut construit en 1767 par un gouverneur du Sipsongpanna (sud du Yunnan) réfugié dans ce district de Pua, et a reçu un prix pour la qualité de son architecture et son état de conservation. Son toit en deux parties est séparé par un espace ouvert qui permet une bonne ventilation de l’intérieur du temple. Le soubassement est en briques recouvert de stuc et il comporte, comme tous les temples du nord, un péristyle décoré avant l’entrée du temple. L’intérieur présente deux rangées de piliers de teck, décorés à la base de plusieurs couleurs et de motifs sylvestres dorés. La statue principale de Bouddha trahit une influence birmane, peu surprenante et très présente dans toute la région nord. L’intérieur est aussi décoré de bannières de tissus brodés qui représentent les villages autour. Les murs sont décorés de peintures naïves qui représentent les vies antérieures du Bouddha.

Le deuxième temple est à 40 km au nord de Nan et s’appelle Wat Nong Bua. Construit à la fin du XIXe siècle, c’est aussi un beau temple de style Lue. Le péristyle à l’entrée est moins haut que le temple lui-même. Richement décoré de motifs sylvestres dorés sur fond rouge, l’escalier est flanqué de deux lions de style birman. L’intérieur est décoré de peintures murales attribuées au même peintre que celles du Wat Phumin de Nan où nous irons demain. Elles mettent en scène les vies antérieures du Bouddha et aussi des scènes de sa dernière vie. La statue principale de Bouddha est de style lao et Lan-Na.

Derrière le temple on peut visiter une maison Lue traditionnelle. Faite de tecks, sur pilotis, elle comporte les éléments classiques des maisons du nord : on accède à une terrasse par un escalier. La maison se répartit en deux corps de bâtiments, l’un d’habitation de la famille avec une pièce de vie ouverte sur la terrasse et qui comporte un petit autel avec une statue du Bouddha. Une pièce fermée donne sur celle-ci, réservée à l’intimité familiale où les membres de la famille dorment sur des nattes au sol. Les pièces ne comportent pas de plafond, les tuiles de bois restant visibles de l’intérieur. Ceci permet une ventilation naturelle des pièces. Le deuxième corps de bâtiment se trouve en face de l’autre côté de la terrasse et il s’agit d’une vaste pièce servant de cuisine et de garde-manger.

Au rez-de-chaussée, sous les pièces sur pilotis, on range le matériel de travail : métier à tisser, rouet, matériel agricole voire emplacement pour le bétail.

Demain nous serons dans la capitale de la province, Nan.

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Nos visites du jour se concentrent sur la capitale de la province, Nan : petite bourgade d’environ 20 000 habitants, elle est encore très agricole même si les infrastructures touristiques s’y développent rapidement, comme dans tout le Lan-Na, depuis 10 ans. On trouve aujourd’hui de bons hôtels et resorts ainsi que des maisons d’hôtes.

Notre première visite est pour le plus célèbre temple de Nan, Wat Phumin. Fondé en 1596, le wat fut détruit avec le reste de la ville par les Birmans en 1704. En a1857/58 le roi Chao Ananta Vora Ritthi Det monta sur le trône du royaume de Nan : un de ses premiers actes officiels fut de décider de reconstruire à nouveau les temples de Nan, parmi lesquels le Wat Phumin, restauré entre 1867 et 1875. Il est célèbre pour sa forme de croix grecque. C’est aussi le seul temple construit comme s’il se trouvait sur les dos de deux immenses serpents (ou Nâgas) : leurs queues sont visibles à l’entrée ouest et leurs têtes côté est. Chacune des quatre entrées est précédée par un petit couloir surmonté par une structure en pointe étagée et finement décoré (soulignant l'origine royale du temple), et dotée de portes sculptées avec finesse, de gardes-démons chinois à l’Est, de fleurs au Nord et de motifs de la vie forestière de style Lanna à l’Ouest et au Sud.

L'intérieur est impressionnant. C'est aussi un bon exemple de l'architecture Thai Lüe.

La structure du toit est soutenue par douze piliers de teck décorés de motifs floraux et d’éléphants sur de la laque noire et rouge. Le plafond est également finement décoré.

L’autel fleuri, reposant au centre, soutient quatre Bouddhas de style Sukhothaï, dans la posture de l’appel de la Terre à témoin. Cette disposition quadripartite rappelle celle que l’on rencontre dans les temples des royaumes Môn en Birmanie ou même dans les premiers temples thaïs. Ces statues sont de style Lan-Na avec une influence lao (oreilles).

Sur les parois du temple se trouvent des peintures murales de la fin du xixe siècle réalisées par Thit Buaphan, aussi appelé Noi Buaphan- également l’auteur des peintures du Wat Nong Bua - venu du Laos central, à la demande du gouverneur de l’époque. Ces peintures s’organisent en deux parties, séparées par une ligne en vague bleue. Le registre supérieur décrit les vies antérieures du Bouddha tandis que le registre inférieur concerne plus des scènes de vie quotidienne où apparaissent aussi des européens. Le style est particulier, s’éloignant de la tradition classique. Ces scènes de vie montrent avec réalisme, humour, charme et poésie de nombreux détails savoureux : jolies femmes et galants ; habits, parures et bijoux ; sarong, drapé, broderies, plis et ourlets ; coiffes, chignons et mantilles ; tatouages des hommes et cigarettes etc. On peut aussi distinguer des étrangers qui arrivent en bateau à vapeur.

Le deuxième temple que nous visitons est en face du précédent, Wat Phra That Chang Kham, c’est un temple royal de style Lanna. Fondé au début du XVe siècle, il fut restauré à plusieurs reprises. Le style architectural est celui du Lanna avec une influence Sukhothai. Le grand chedi est de style cinghalais avec une base sur laquelle sont sculptés des avant-corps d’éléphants.

La statue principale de Bouddha est une grande statue de stuc doré de style Lanna avec influence Sukhothai.

Quelques peintures abîmées, ne permettant pas d’identifier les scènes, couvrent les murs.

Un deuxième bâtiment beaucoup plus récent (XXe siècle) abrite dans un prasat une belle statue en bronze du XVe siècle, de style Sukhothai et une représentation dans de petites vitrines de tous les styles de chedi qu’on rencontre dans le pays.

Tout prés de ces deux temples se trouve l’ancienne résidence royale des souverains de Nan: belle bâtisse typique du XIXe siècle.

Elle abrite aujourd’hui un musée très intéressant sur les spécificités de l’art bouddhique dans cette province. Outre l’influence laotienne évidente, on découvre la créativité des artisans de la région.

Un excellent déjeuner dans le jardin d’une belle maison ancienne transformée en petit musée nous attend en musique !

Cette maison, Hong Chao Fong Kham, a toutes les caractéristiques des maisons nobles du nord : construite en teck sur pilotis, on accède aux pièces d’habitation par un escalier qui débouche dur une terrasse. Deux bâtiments se font face, l’un la résidence de la famille avec une pièce ouverte sur la terrasse où sont accueillis les invités. Cette pièce comporte un petit autel avec une statue de Bouddha. La ou les pièce(s), suivant la fortune de la famille, où vit la famille est (sont) fermée(s) et strictement privée(s). Elle est (sont) protégée(s) par une sculpture de bois au pouvoir protecteur insérée au-dessus de la porte d’entrée. Dans cette maison, qui appartenait à une famille noble, la partie privée comporte un salon et trois chambres à coucher. De l’autre côté de la terrasse un deuxième bâtiment est réservé au service : destiné au personnel, il comporte un garde-manger, ici transformé en salle d’exposition, et la cuisine. Aucune pièce ne comporte de plafond, les tuiles de bois sont visibles de l’intérieur : ceci permet de favoriser l’évacuation de l’air chaud par le toit.

Au rez-de-chaussée, sous la maison sont rangés les objets utilitaires dont le métier à tisser de la famille. Dans cette maison une petite boutique vendant des articles tissés sur place occupe une partie du rez-de-chaussée.

Une dernière visite est réservée au Wat Phra That Chae Haeng. C’est le temple le plus sacré de la province de Nan. Il est situé sur une colline, sur la rive orientale de la rivière Nan, à un kilomètre environ de l’agglomération. C’est un temple emblématique du pays. Ce quartier fut le premier centre-ville de Nan quand la capitale s’y établit après avoir quitté Pua, au nord de la province. Ce temple fut fondé en 1355 pour enchâsser 7 reliques du Bouddha. Les structures de ce temple sont complexes avec différentes influences stylistiques, Lanna, Tai Lue et birmane. Le grand chedi, en position centrale, est en briques couvert de stuc, de cuivre et de feuilles d’or. Le bâtiment principal, le viharn, est de style Lanna avec deux lions de style birman à l’entrée et une décoration unique au-dessus de la porte d’entrée montrant deux nâgas entrelacés.

L’authenticité de la culture de cette région séduit. On est loin des pompes de la royauté de Bangkok. Les paysages de montagne sont un écrin magnifique et on peut y trouver un peu de fraîcheur bienvenue.