Ce voyage au cœur de la Chine profonde fut passionnant. Et nous sommes ravis d’avoir commencé notre découverte de la Chine par des provinces reculées, réputées peu touristiques plutôt que par les grandes villes, Pékin ou Shanghai. On a certainement touché plus la « vraie » Chine. Et on peut constater que, pour les Chinois, les étrangers restent une notion très abstraite car personne n’a cherché à savoir d’où on venait, seuls les selfies avec nous les intéressaient. Ils sont loin de tous sortir de Chine, ce n’est même encore qu’une minorité même si on les trouve déjà trop nombreux quand ils viennent chez nous. Hier à l’aéroport de Yinchuan (dont la partie vols domestiques occupe 75% de la superficie du terminal) nous avons vu un groupe de Chinois, qui partaient par le même vol que nous et dont c’était manifestement le premier voyage en avion, se précipiter à la police sans enregistrer leurs bagages. Les policiers ont du leur expliquer la marche à suivre. Et d’un autre côté c’est un pays très développé et en ce qui concerne les nouvelles technologies bien plus que nous. Internet est de bonne qualité absolument partout même dans les montagnes (on était à 2500 km de Pékin), la grande majorité des paiements, même dans les petites échoppes de rues, se font par le biais d’un smartphone dont ils sont tous équipés. Ils vous regardent comme des bêtes curieuses lorsque vous sortez des billets. J’ai même demandé au supermarché à Yinchuan si je pouvais payer en liquide. Par contre ils n’utilisent pas de cartes bancaires et il y a très peu de distributeurs de billets. Donc pour venir en Chine il est prudent de se munir d’argent (en dollars et en yuans).
Même si ces deux provinces que nous avons traversées sont connues pour leur pauvreté et leur retard sur le reste du pays, le développement des infrastructures routières et ferroviaires nous a surpris, les villes sont modernes, un peu trop peut-être toutes sur le même modèle, très bien organisées, propres avec un souci d’aménagement d’un cadre de vie agréable (beaucoup d’espaces verts, de jardins d’enfants, de parcours santé avec des machines d’entraînement, des vélos de location partout). Nos guides nous ont confirmé que le plan de développement et de désenclavement de la région datait d’une quinzaine d’années. Partout nous avons trouvé un souci d’éducation de la population à son histoire et c’est assez récent car sous le maoïsme c’était au contraire un gommage systématique de toute individualité historique ou ethnique : les musées modernes sont très bien organisés et nous y avons croisé nombre de groupes scolaires avec leur prof.
Les deux provinces sont différentes par leur nature (beaucoup plus belle et diversifiée au Ningxia qu’en Mongolie), par leur population (les Hui musulmans sont majoritaires dans le sud du Ningxia), et par leur étendue (le Ningxia est la plus petite province de Chine, environ 2 fois la Belgique, alors que la Mongolie-Intérieure est beaucoup plus étendue, environ 2 fois la France). Les deux constituaient une des parties les plus orientales de l’ancienne Route de la Soie et c’est pourquoi le bouddhisme est encore si influent dans les mentalités. On voit les gens revenir à la pratique religieuse qui est restée interdite jusqu’au début des années 80 et même des jeunes pratiquent. La révolution culturelle n’a pas détruit totalement le sentiment religieux et depuis une vingtaine d’années le gouvernement lui-même aide les communautés à rétablir leurs cultes. Il n’y a jamais eu dans le passé de volonté des Hans de faire disparaître d’autres cultes que le taoïsme ou le confucianisme. L’intégration des minorités s’est faite aussi grâce au respect des traditions de chacun. Seuls les maoïstes ont tenté d’effacer toute individualité ethnique. Cependant aujourd’hui encore il existe un contrôle du pouvoir central communiste sur les communautés religieuses : ainsi les imams ne sont nommés qu’avec l’approbation du parti communiste. Et dans tous les lieux de culte, qui doivent être enregistrés auprès des autorités, on trouve un drapeau communiste flottant dans la cour. En Chine, les politiques pratiquées à l'égard des nationalités ont des objectifs louables de protection, mais elles cachent toujours une stratégie de contrôle destinée à les intégrer de force dans la Grande Nation chinoise. Dans cette perspective, les autorités chinoises favorisent une approche de la religion, qui se conforme le plus possible au dogme communiste. Dans le Ningxia comme dans toute autre province, les enfants âgés de moins de 18 ans n'ont pas le droit de recevoir une instruction religieuse dans les écoles publiques. Cependant, il est possible de fonder des écoles confessionnelles privées. Ces écoles ne sont pas gratuites, mais certaines d'entre elles reçoivent des subventions importantes de la part des pays arabes. Cet enseignement confessionnel représente une solution à une certaine crise de l’enseignement public en Chine. Depuis la décentralisation administrative, l'éducation est devenue onéreuse pour les familles pauvres, surtout dans les zones rurales. Les jeunes abandonnent de plus en plus tôt leurs études, souvent même avant d'arriver au secondaire. Or, ces écoles confessionnelles servent, entre autres, à récupérer ces jeunes et à offrir gratuitement des études et un hébergement aux plus pauvres. Ces écoles privées ont acquis une importance considérable et certaines d'entre elles sont réputées pour la diversité de leur formation (garçons et filles) et la possibilité qu’elles offrent de poursuivre des études universitaires en Chine ou à l’étranger. Non seulement ces établissements d'enseignement privés sont tolérés par les autorités chinoises, mais ils sont même encouragés. Cela étant, les autorités chinoises se sont dotées de moyens de contrôle pour vérifier le contenu des matières enseignées dans les écoles confessionnelles.
Comme dans toute la Chine, la presse n'est pas davantage libre au Ningxia. Comme dans toutes les provinces chinoises et les autres régions autonomes, les stations de télévision et de radios demeurent d'importants outils de propagande pour les autorités chinoises. Ainsi, les discours des principaux dirigeants chinois sont régulièrement retransmis, généralement en chinois, afin de contrer les « activités contre-révolutionnaires » au nom de la « nécessaire dictature du prolétariat ». Les journalistes de la radio et de la télévision sont dans l'obligation d'appliquer la « politique de sinisation » tant culturelle que linguistique. La Région autonome hui du Ningxia n'a jamais été contrôlée par les Hui, mais par les autorités centrales de Pékin. Malgré les déclarations officielles, la Région autonome hui du Ningxia n'est jamais présentée comme musulmane, mais comme un territoire avec une minorité ethnique, les Hui.
La Mongolie-Intérieure nous a permis de découvrir le bouddhisme tantrique, pratiqué au Tibet et dans cette province, et dont le chef est le Dalaï-lama. Ce bouddhisme ordonne les enseignements des grandes écoles indiennes du bouddhisme « du grand véhicule » avec celui d’écoles hindouistes ou des pratiques chamaniques locales. Il en résulte un ensemble de rituels ésotériques foisonnants, souvent déconcertants, qui semblent étrangers au message bouddhiste du « petit véhicule » présent dans notre Asie du Sud-Est. C’est une religion très complexe qui ne pouvait pas convenir aux communistes puisque le religieux et le séculaire y sont intimement mêlés. C’est pourquoi on comprend que, même maintenant où la liberté de culte est rétablie, il est hors de question de laisser revenir au Tibet le Dalaï-lama pour les autorités chinoises. Elles contrôlent la pratique religieuse en promouvant un « Panchen-lama officiel », c’est-à-dire un numéro 2 dans la hiérarchie bouddhique lamaïste, désigné par le parti communiste chinois. Mais il est dépourvu de toute autorité politique. (NB : la 11eme réincarnation du Panchen-lama a été enlevée le 17 mai 1995 par les autorités communistes, 3 jours après sa nomination par le Dalaï-Lama, et personne ne l’a jamais revu depuis.)
Au Ningxia c’est le bouddhisme primitif, qui atteint en premier la Chine par les commerçants de la Route de la Soie dès les premiers siècles de notre ère, que nous avons rencontré. C’est toujours le « bouddhisme du grand véhicule », mais moins déroutant dans sa pratique et ses représentations, pour nous, familiers avec le « petit véhicule » pratiqué en Asie du Sud-Est. Les grottes des monts Xumi en sont le plus bel exemple. C’est pour nous une des plus belles découvertes de ce voyage alliant un décor naturel grandiose avec ses falaises de grès rouge et des statues gigantesques de Bouddha. L’approche des communautés musulmanes, très bien intégrées et qu’il est difficile de distinguer des autres, était aussi un élément intéressant au Ningxia et la mosquée de Tongxin est certainement un des plus beaux exemples de cette intégration.
Nous n’avons pas vu de pauvreté extrême nulle part, pas plus dans les villes que dans les campagnes. Aucun mendiant dans les villes (où sont-ils ?). La propreté des villes et de la campagne est respectée par tous : pas de détritus traînant dans les rues ou sur le bord des routes, des poubelles de tri partout. Ils ont manifestement un souci de protection de l’environnement plus important que ce qu’on croit chez nous. Oui il y a beaucoup de pollution surtout liée à l’industrie minière dans cette région mais partout en rase campagne il y a des éoliennes et des champs immenses de panneaux solaires. Dans les campagnes toutes les maisons sont équipées d’un petit panneau solaire sur le toit. Je ne prétends pas que tout soit parfait mais je les crois beaucoup plus conscients du problème que ce qu’on imagine chez nous, même s’ils n’adhèrent aux traités internationaux qu'avec parcimonie. Ont-ils tort ?
Vous l’avez compris, ce pays nous a séduit et nous y retournerons car il y a matière à découverte. N’hésitez pas à venir vous y aventurer : la population est très accueillante, les infrastructures hôtelières de bonne qualité (nous avions partout des hôtels classés 3 étoiles, aux normes tout à fait internationales sauf peut-être pour les petits-déjeuners tous chinois 100%). Une supérette n’étant jamais loin, nous achetions des yaourts et des petits pains (ils font de la bonne boulangerie) et prenions les pti dej dans notre chambre. Le seul point noir à déplorer c’est les toilettes publiques : uniquement à la turque (sauf celles pour handicapés, normales, que je privilégiais quand il y en avait) elles sont rarement propres. C’est mieux dans les centres commerciaux. Vous n’aurez pas besoin d’adaptateur électrique, leurs prises femelles (intelligentes) acceptant tout type de prise mâle. Le parc automobile nous a aussi surpris : pas une seule vieille voiture, des voitures en général de moyenne gamme neuves : chinoises, japonaises, coréennes, européennes (Peugeot, Citroën, peu de Renault, Mercedes, BMW, Porsche (oui, oui !), Land Rover, Maserati) des américaines (Ford, Bentley !!!). Et on est dans des provinces pauvres ! Une classe moyenne se développe depuis les années 80 et a probablement changé en profondeur la Chine. Je vais relire le livre d’Alain Peyrefitte car je crois que non seulement la Chine s’est bel et bien éveillée mais qu’elle est en train de prendre le pas sur nous. Ils n’ont rien à nous envier et nous ne comptons guère pour eux. A notre tour de nous réveiller !