Nous réservons notre dernière matinée à Shanghaï à la visite du Musée des Réfugiés Juifs de Shanghaï, recommandé par notre guide, Clarisse. Fondé en 2007, il est situé dans l’enceinte de l’ancienne synagogue Ohel Moishe, au cœur du quartier historique de Tilanqiao dans l’ancienne concession internationale. Son but est de faire connaître cette page d’histoire bien souvent méconnue. Je savais que Shanghaï avait été ville ouverte pour les Juifs pendant le 2e conflit mondial mais je n’en savais pas plus. Ce musée, très bien fait comme tous les musées en Chine, raconte l’histoire tragique de ces populations persécutées.
La présence des Juifs en Chine est très ancienne car, dès la dynastie Tang (618-907), des marchands juifs moyen-orientaux venus par les routes de la soie se sont installés dans différentes villes chinoises, notamment Kaifeng. Leur présence a toujours été accueillie avec bienveillance par les Chinois, avec lesquels ils partagent certaines valeurs fondamentales : le respect des anciens et des traditions, l’importance de la réussite sociale et de l’enrichissement, la transmission des affaires aux descendants. Cependant ils n’ont jamais été reconnus en tant que minorité nationale.
A Shanghaï une première vague de migration des Juifs avait commencé à la fin du 19e siècle avec l’arrivée de juifs Baghdadi fuyant les problèmes dans l’empire ottoman. Ces populations ont, pour la plupart, fait escale en Inde dans un premier temps avant de venir s’installer en Chine, après les 2 guerres de l’opium, quand le commerce de plusieurs ports fut ouvert aux étrangers. Hong Kong fut une première destination importante et Shanghaï dans un deuxième temps. Parmi ces premiers arrivants, on compte des noms célèbres à Shanghaï comme la famille Sassoon (Victor Sassoon fut un très riche entrepreneur qui a contribué au développement architectural de Shanghaï), la famille Kadoorie (un homme d'affaires et philanthrope qui avait de grands intérêts commerciaux en Extrême-Orient et fut le fondateur de l’école du quartier juif), ou Silas Hardoon (Vendeur d’opium, bâtisseur, alchimiste, philanthrope, Juif converti au bouddhisme, qui créera l’architecture du Shanghaï du XXème siècle, aujourd’hui disparue). Ces personnages vont jouer un rôle actif dans l’accueil de leurs coreligionnaires fuyant les persécutions en Europe au 20e siècle.
Au début du 20e siècle des réfugiés venus de la Russie Tzariste arrivèrent, surtout par la Sibérie et dans les villes du nord de la Chine, empruntant le Transsibérien puis le train de Chine orientale le long de la côte Est de la Chine. Mais l’afflux principal commença dès 1938 de la part de populations d’Europe centrale fuyant les premières persécutions nazies. Pourquoi Shanghaï ? Plusieurs diplomates en poste en Europe ont œuvré au sauvetage de ces gens menacés en leur accordant des milliers de visas pour venir en Extrême-Orient : trois d’entre eux ont été reconnus Justes parmi les justes par l’état d’Israël après la guerre : le consul néerlandais, Jan Zwartendijk en poste en Lituanie , le vice-consul japonais, Sugihara Chiune en poste aux Pays-Bas, et surtout le consul général de la République de Chine à Vienne , le Dr Ho Feng-shan.
Les réfugiés passèrent par voie maritime selon 2 routes : soit au départ d’Hambourg ou Amsterdam par l’Atlantique, le cap de Bonne-Espérance, l’Océan Indien pour faire escale à Colombo puis le détroit de Malacca et la mer de Chine, soit par la Méditerranée au départ de ports italiens en passant par le Canal de Suez puis l’Océan Indien et la même route que les précédents. 2 à 3 mois de voyage dans des conditions précaires, ces populations ayant quitté l’Europe sans rien. A l’arrivée à Shanghaï les premiers furent logés dans des maisons louées par les riches juifs de Shanghaï mais très vite cela fut insuffisant et il fallut recourir à des entrepôts ou des écoles désaffectés où les conditions de vie n’étaient pas faciles puis on construisit des camps pour les réfugiés : Le camp de Seward road (1942, 1000 réfugiés) ; le camp de Choufoong road (1939, 800 personnes) ; le camp de Pingliang (1939, 650 personnes).
Une soupe populaire, à l’initiative du Comité Juif de Distribution américain et de sa représentante sur place Laura Margolis, permit de nourrir d’un repas par jour ces populations démunies : en mai 1941 les réfugiés sont environ 20000 à Shanghaï dont 8000 dépendent directement de cette aide alimentaire.
Mais dès 1940 la route maritime par l’Italie est coupée par l’entrée en guerre de celle-ci, la route par l’Atlantique également depuis 1939. Reste celle par la Sibérie qui est à son tour fermée lors de l’invasion allemande en URSS en juin 1941. Et à partir de l’attaque de Pearl Harbour par les Japonais le 7 décembre 1941, plus aucun réfugié juif ne parvint à Shanghaï .
Les réfugiés arrivés après 1938 étaient misérables. Il leur était difficile de trouver un emploi formel en raison de la guerre et de la récession économique à Shanghaï. Ils devaient lutter pour s’en sortir en faisant de petits boulots (transporter du charbon, faire du pain, réparer des appareils électriques, vendre des journaux).Certains tenaient une épicerie, une pharmacie, travaillait comme plombier ou serrurier, barbier ou tailleur, cordonnier ou modiste. Plus tard ils ont le plus souvent non seulement trouvé un emploi dans une entreprise mais ont aussi créé leur propre entreprise. La vie s’est peu à peu organisée et la rue Zhoushan dans la concession internationale prit le nom dans la communauté de Petite Vienne.
Les réfugiés se souciaient beaucoup de vie familiale. Le mariage est particulièrement important dans la communauté juive comme lien puissant de la communauté. Celle-ci n’étant pas très grande, on se mariait entre membres d’une même famille ou entre voisins. L’endogamie est restée la règle même si quelques exceptions sont à noter comme Silas Hardoon qui épousa une chinoise bouddhiste.
Silas Kadoorie avec son frère et ses fils, organisa une école dans le ghetto ainsi qu’une association sportive juive pour aider les jeunes à se développer et prendre en main leur vie.
Une radio, affiliée à la chaine américaine NBC se mit dès 1939 à diffuser de la musique, de la littérature, de l’art, des informations, des publicités et des reportages. Un journal de la communauté juive, le Shanghaï Jewish Chronicle, écrit en allemand, fut imprimé dès 1940. La vie sociale s’organisait autour du Shanghaï Jewish Club, institution fondée en 1932 par des réfugiés russes : il organisait diverses activités comme des concerts, des représentations théâtrales. Des réfugiés polonais arrivés en 1940 rejoignirent le Club et jouèrent des pièces de théâtre yiddish. Le Club comptait 423 membres en 1943.
Cependant en 1943 une proclamation des autorités d’occupation japonaises jeta un froid dans la communauté : la restriction de résidence et des affaires des réfugiés apatrides fut signée par le commandant en chef de l’armée impériale japonaise, ordonnant à tous les réfugiés apatrides arrivés à Shanghaï depuis 1937 de déménager dans une « zone désignée » avant le 18 mai. Si la référence à la condition juive n’est pas mentionnée, c’est bien cette communauté qui est visée. Les habitants de ce ghetto doivent porter un badge bien visible avec un permis de circuler, marqué d’une bande jaune, qui signifie leur confession, et au dos figurant le trajet que peut emprunter le détenteur pour se rendre à son travail, avec interdiction d’en changer et les horaires auxquels il peut circuler. Les Japonais mettent en place une milice juive, comme il en existait une dans le ghetto de Varsovie, pour contrôler ces permis.
En juillet 1942, le colonel Josef Albert Meisinger, chef de la Gestapo en Asie de l’Est, arrive à Shanghaï. Selon le rabbin Marvin Tokayer, le colonel Meisinger a proposé la solution finale à Shanghaï, connue sous le nom de plan Meisinger. Il décrit le plan ainsi :
Il y avait deux étapes. La première consistait à arrêter tous les Juifs de Shanghaï lors d’une attaque surprise alors qu’ils passaient le Nouvel An juif en famille. La deuxième étape consistait à « traiter » le problème de façon décisive. Il suggérait trois manières des traiter ces Juifs :
1- Ils pourraient être placés sur de vieux navires en envoyés à la dérive pour finir par mourir de faim.
2- Ils pourraient être contraints de travailler jusqu’à épuisement total dans les mines de sel abandonnées situées sur le cours supérieur du fleuve Huangpu.
3 – Les Japonais pourraient établir des camps de concentration sur l’île de Chongming où on soumettrait les prisonniers à des expériences médicales.
Heureusement ce plan n’a pas été réalisé.
Dès mai 1945, la rumeur de la mort d’Hitler circule dans la communauté qui reprend espoir. Le 15 août 1945 le Japon capitule et la guerre mondiale prend fin. C’est la liesse dans les rues de Shanghaï , tempérée par l’annonce des horreurs des camps de concentration nazis.
Dès la fin de la guerre les réfugiés ont commencé à planifier leur avenir. Ils étaient reconnaissants envers Shanghaï qui leur avait offert un refuge, mais les différences culturelles, de langue et de vie leur faisait envisager Shanghaï comme une étape temporaire dans leur avenir. Ils se mirent donc en route très vite pour trouver une nouvelle patrie. Ils étaient aussi impatients de retrouver leurs proches laissés derrière eux. Beaucoup de militants sionistes optèrent pour le tout jeune état d’Israël. En dehors d’Israël, beaucoup sont partis aux USA ou en Amérique du Sud (Argentine, Brésil), en Australie et en Nouvelle-Zélande ou encore en Afrique du Sud. Seul un petit nombre est retourné en Europe. Si la grande majorité des réfugiés est partie, quelques-uns ont fait le choix de rester à Shanghaï. Certains sont devenus de riches entrepreneurs, d’autres en tant que médecins ont travaillé dans les hôpitaux ou ont suivi l’armée de libération communiste juste après la guerre.
Sur le site du musée fut installé en 1994 un mur commémoratif portant le nom de tous les réfugiés juifs de Shanghaï.
Après cette page d’histoire notre dernière promenade sera sur la place du Peuple au centre de la ville de Puxi (partie historique de Shanghaï), nous permettant de profiter d’une douceur printanière qui s’installe avec ll floraison des magnolias, fleur symbole de la ville. Au centre de la place se trouve la Mairie de Shanghaï et lui faisant face le musée, bientôt ancien musée, celui qui est en cours de déménagement. La bâtiment devrait garder une vie en tant que centre d’expositions temporaires.
Cette semaine à Shanghaï nous a vraiment séduit et nous y reviendrons très certainement. La gastronomie de Shanghaï est aussi intéressante, et n’a pas grand-chose à voir avec ce qu’on appelle communément la « cuisine chinoise » en Europe.