A la frontière malaise sir les rives du golfe de Thaïlande se trouvent 3 petites provinces typiques et turbulentes, à majorité musulmane.
Mars 2022
4 jours
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Partis au petit jour de Bangkok en avion, nous parcourons à tire d’aile les 850 km qui nous séparent de la province de Phattalung. Nous allons explorer les provinces les plus méridionales de la Thaïlande situées dans la péninsule malaise.

Phattalung est une petite province située au bord du golfe de Thaïlande au nord de la province de Songkhla et qui comporte deux grands lacs, l’un d’eau douce au nord, le Thalé Noi, et l’autre, bien plus grand au sud du premier et d’eau saumâtre, le Thalé Luang ou Lac de Phattalung. La capitale de cette province est la ville de Phattalung, située entre une chaîne montagneuse et le lac qui porte son nom.

Phattalung est une petite ville (39000 habitants) qui, bien qu’elle existe depuis de nombreux siècles, fut déplacée plusieurs fois. La ville actuelle date du début du XIXe siècle, au moment de la création de la capitale à Bangkok. La province vit de la culture des hévéas donc du latex, de la pèche et produit du riz (seule dans l’extrême sud). En arrivant à Phattalung par l’ouest on traverse une chaine de collines et on remarque un pic karstique qui domine la ville de ses 250 mètres, percé d’un curieux trou. C’est le Khao Ok Talu, symbole de la province, qui figure sur le sceau officiel de celle-ci.

A l’entrée de la ville on rencontre deux belles maisons traditionnelles, toutes deux anciennes résidences de gouverneurs de la région. La première, qui date, comme la ville, du début du XIXe siècle, est une demeure bourgeoise classique en bois sur pilotis dont le plan est toujours le même : un escalier permet d’accéder à une terrasse sur laquelle s’ouvrent deux bâtiments face à face, comportant une véranda où se tiennent les habitants dans la journée et une ou deux pièces fermées derrière, réservées à l’intimité de la famille. Ces pièces n’ont pas de spécialité et peuvent être chambre à coucher la nuit et cabinet de travail la journée. Elles ne comportent pas de plafond pour permettre la circulation de l’air. Il n’y a pas de cuisine, les domestiques cuisinant sur des réchauds mobiles sous la terrasse. Il n’y a pas non plus de salles de bains.

A l’arrière de cette maison se trouve la deuxième résidence de gouverneur, datant du début du XXe siècle. Cette maison reprend le même plan traditionnel mais est construite cette fois en briques, plus en vogue à cette période-là que le bois.

Proche de ces résidences se situe le plus ancien temple bouddhiste de la ville, encore du début du XIXe siècle, le Wat Wang : de style classique du début de l’ère Bangkok, il comporte un joli cloître et des petits chédis élégants dans sa cour. Les peintures murales intérieures décrivent classiquement des scènes de la vie du Bouddha mais avec de petites particularités locales.

Le lac Thalé Noi, que nous avions visité il y a dix-huit mois lors d’un précédent séjour, est un petit lac de 5 km sur 6 d’eau douce et c’est la plus grande réserve ornithologique du pays. Ell abrite quelques 180 espèces d’oiseaux répertoriés. Certains sont sédentaires, d’autres migrateurs. Parmi ces derniers, des cigognes, venues de Sibérie et de Chine et allant vers l’Australie, font étape au Thalé Noi et se regroupent au même endroit : je n’avais jamais vu des centaines de cigognes nichant ainsi dans les arbres.

Le lac est traversé par un pont routier de 6 km de long qui permet d’observer la vie animale sur le lac, notamment les buffles d’eau.

Nous reviendrons demain matin au lever du soleil pour voir les nénuphars et lotus qui ne s’ouvrent que la nuit et se ferment la journée.

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Dès potron-minet nous sommes de retour sur le Thalé Noi dans l’espoir de voir le lac avec les nénuphars et lotus ouverts et notre espoir n’est pas déçu : le lac prend une couleur fuchsia magnifique au soleil levant. Cette année par contre nous n’avons pas vu de lotus.

La flore aquatique est spectaculaire : lotus, nénuphars, roseaux, fougères aquatiques forment un tapis de verdure à la surface du lac et à certains endroits les arbres qui poussent dans l’eau peuvent faire penser à une forêt mais nous sommes toujours sur l’eau.La profondeur du lac est assez faible puisque les buffles peuvent marcher sur le fond du lac en gardant la tête hors de l’eau.

Nous quittons Phattalung en direction du sud et traversons la province de Songkhla qui constitue une transition dans la population. Si le nord de la province est encore majoritairement thaïe et bouddhiste, à mesure qu’on se dirige vers le sud elle devient majoritairement malaise et musulmane. Les musulmans représentent 8% de la population totale du pays (équivalente à la France). Si l’extrême sud du pays, à la frontière malaise, a subi dans les années 1970-80 une insurrection armée communiste qui fut réprimée dans le sang et éteinte au début des années 1990, c’est aujourd’hui et depuis 2004, une insurrection musulmane violente contre le gouvernement de Bangkok qui mine la sécurité des 3 provinces musulmanes, Pattani, Narathiwat et Yala. Les insurgés qui visent non seulement les autorités mais aussi la population non musulmane réclament une autonomie et l’instauration de la charia islamique.

Carrefour commercial et maritime, le royaume de Patani bénéficie d’une position stratégique au sein de la péninsule malaise, entre le Moyen-Orient, la Perse, la Chine, l’Inde et le Japon. C’est donc sans surprise que les ambitions d’expansion thaïe, via le royaume d’Ayutthaya (1350-1767), s’étendent au sultanat malais, situé à la frontière entre les actuelles Thaïlande et Malaisie, et qui finit par accepter de devenir leur vassal. En 1909, il est officiellement aggloméré au royaume de Siam, qui supprime sa famille royale, par le traité anglo-siamois. Ainsi, le royaume semi-indépendant de Patani est partagé entre les Thaïs et les Britanniques. Optant pour une politique de « diviser pour mieux régner », le royaume de Siam fait de Patani, une région divisée en 3 provinces : Pattani (les Siamois ont changé l’orthographe malaise), Narathiwat et Yala. Cependant, cette incorporation administrative se heurte à une résistance de l’identité malaise : sa pensée nationaliste est intrinsèquement liée à la religion. Difficile alors pour le centralisme autoritaire de Bangkok de s’imposer dans ces provinces en misant sur une assimilation à l’identité thaïlandaise nationale, basée sur la culture des Thaïs du Centre, la langue (le siamois), la religion (le bouddhisme Theravada) et la dynastie Chakri.

L’économie de ces 3 provinces repose sur l’acier, l’agriculture, l’élevage et le caoutchouc mais elles n’ont pas bénéficié du développement fulgurant du Sud touristique ou du Centre du pays. En effet, les habitants du Sud vivent en dessous du seuil de pauvreté. Pour autant, les provinces méridionales ne sont pas les moins bien loties du pays – contrairement aux paysans de la région défavorisée du Nord-Est. Si les trois provinces à majorité musulmane ont un meilleur niveau de vie que d’autres provinces en Thaïlande, elles souffrent de la comparaison avec la Malaisie voisine, dont l’État du Kelantan, le plus pauvre du pays, bénéficie d’une meilleure économie, et surtout de la province de Songkhla, centre industriel et commercial en pleine prospérité du Sud, et dont bénéficient majoritairement les Thaïs bouddhistes. Surtout, les Malais musulmans du Sud se sentent discriminés, les emplois étant en priorité attribués à leurs voisins thaïs, y compris dans le système éducatif. Un accès à la fonction publique d’autant plus compliqué par la barrière de la langue, les jeunes générations ayant rejeté les enseignements thaïs au profit du jawa et du malais.

Cette précarité structurelle a favorisé les trafics de contrebande et de drogues de la Malaisie vers la Thaïlande, qui serviraient notamment à financer les groupes indépendantistes. Pour les autorités thaïlandaises, ces trafics illégaux, couplés aux difficultés économiques rencontrés par les musulmans, ont joué un rôle déterminant dans l’escalade des violences, et ont donc mis en place une série de projets pour développer des ressources dans la région. Mais si les séparatistes regrettent la gloire passée du sultanat de Patani, carrefour commercial entre le Moyen-Orient et l’Asie, leurs motivations sont essentiellement politiques. La crise politique que traverse la Thaïlande éclipse le conflit dans le grand Sud : mais si le nombre de victimes diminue, les groupes séparatistes entendent toujours par la force appeler Bangkok à répondre à leurs revendications. Leurs attaques, de plus en plus sophistiquées, ciblent également les provinces au nord de l’ancien royaume de Patani. Les groupes rebelles se radicalisent et ne traitent plus leurs ennemis de fascistes ou colonialistes mais de kafir, c’est-à-dire infidèles et ne veulent plus libérer la « République de Pattani » mais « l’Etat islamique de Pattani » . Pour recruter des jeunes, les séparatistes mêlent des arguments nationalistes, comme l’oppression historique de l’Etat thaïlandais, et religieux, en empruntant certains concepts du djihadisme. C’est efficace et cela rend cette radicalisation difficile à contrôler.

Du passé indépendant du royaume de Patani, il ne reste à peu près rien. A partie du Ve siècle plusieurs mini-états indianisés se sont développés dans cette région aux confins de la Malaisie et de la Thaïlande dont le plus important était Langka-Suka. C’était un important port de commerce, port en eau profonde naturel de la côte orientale de la péninsule. Il permettait de transborder les marchandises par voie terrestre à travers la péninsule étroite à ce niveau et ainsi d’éviter le passage par Malacca réputé pour ses pirates et à partir du XVIe siècle pour le racket des Portugais installés à Malacca. Il bénéficiait donc du commerce vers l’Extrême-Orient ou en sens inverse vers le Moyen-Orient et l’Inde. Ce petit état indianisé était vassal du royaume malais de Srivijaya. Le passage de Langka-Suka à Patani est très mal documenté et on ne sait que très peu de choses avant le début du XVIe siècle où les marchants musulmans jouaient le rôle principal. Les Hollandais, présents dans la région au XVIIe siècle, notent dans leurs rapports l’Importance des marchants chinois à Patani. Et en 1540 on recense 350 commerçants portugais. L’apogée de la richesse du sultanat ne dura qu’une centaine d’années et se situe fin XVIe-début XVIIe siècle sous les règnes de 5 sultanes dont celui de Raja Ijau qui dura plus de 30 ans. Les chinois échangeaient soieries et porcelaines contre du poivre récolté dans toute cette région et d’autres épices. Les indiens apportaient des cotonnades. Au XVIIe siècle le sultanat fut vassalisé par le royaume siamois d’Ayutthaya et ne retrouva que brièvement son indépendance lors des 15 ans de transition entre la chute d’Ayutthaya en 1767 et l’avènement de la dynastie Chakri et de Bangkok. En 1909 un traité anglo-thaï donne au Siam le royaume de Patani qui est intégré en temps que région.

Vous l’avez compris, je n’ai pas grand-chose à vous montrer de Pattani dont la ville actuelle remonte au XIXe siècle. On sent nettement le côté chinois de la ville dans le style des maisons qui font penser à celles de Pénang, ville malaise très chinoise, assez proche sur la côte d’Andaman.

La majorité musulmane est aussi évidente par la présence dominante des mosquées et l’absence ou presque des temples bouddhistes et l’habillement des femmes et hommes.

Quelques temples chinois taoïstes.

Un modeste petit musée dans un hôtel met l’accent sur l’artisanat local, essentiellement un joli travail de vannerie et des pièces d’orfèvrerie niellées

Une longue route sinueuse dans un paysage montagneux aux forêts luxuriantes nous mène au point le plus méridional du pays, la petite ville de Betong (qui signifie bambou en malais) à la frontière malaise.

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Ce matin ou plutôt cette nuit (départ 5h du mat) nous partons admirer l’aube et le lever de soleil sur la jungle depuis un point de vue à une petite heure de voiture au nord de Betong. C’est une attraction touristique et nous ne sommes pas les seuls mais aucun autre européen que ceux de notre groupe. La sécurité est assurée par une présence importante de l’armée et de nombreux checkpoints sur la route. Nous sommes à la frontière malaise d’où s’organisent des attentats et trafics divers. On voit sur la carte notre position au centre de la péninsule, à une encablure de Penang.

Une grande structure métallique avec plancher de verre vous donne le sentiment de flotter au-dessus des nuages qui s’accrochent à la canopée. Magique comme tous les levers ou couchers de soleil.

Betong (qui signifie bambou en malais) est une paisible - enfin pas si paisible que ça comme vous allez le voir – bourgade de 25000 âmes à l’extrême sud du pays et à 5 km de la frontière malaise. Créée comme centre administratif en 1939, elle n’a que peu de choses à montrer. L’influence chinoise est très nette dans le style des maisons, en bois ou en maçonnerie. La mode du street art est parvenue jusqu’ici et montre quelques peintures intéressantes. La mosquée principale date d’une dizaine d’années, la précédente en bois ayant brûlé.

La reine Sirikit (épouse du feu roi Rama IX) a sponsorisé la construction d’un temple bouddhiste dans les années 1990. Le chedi est particulier, de style Srivijaya mais organisé en sanctuaire pour une empreinte de pied du Bouddha.

Un beau temple chinois, bouddhiste mahayana mais aussi taoïste (la cohabitation des deux rites est fréquente dans les temples chinois où on accueille tout influence positive) se trouve au centre-ville, dédié à la déesse Guanyin.

Un petit détour de quelques kilomètres nous amène à la frontière malaise.

Entre la seconde guerre mondiale et le début des années 1990 sévissait dans cette région une guérilla communiste qui militait pour l’indépendance de la République de Pattani. La proximité de la frontière était propice au développement de trafics, notamment de drogue et d’armes. Si l’ennemi a d’abord été l’occupant japonais, après la 2e guerre mondiale, ce fut l’empire anglais puis après l’indépendance malaise, le gouvernement centralisateur thaï. Cette période troublée trouva une solution négociée dans les années 1990 mais pour autant la région ne connait toujours pas de calme puisque depuis 2004 ce sont des rebelles islamistes qui ont pris le relai. De la période communiste on a conservé quelques-unes des caches des insurgés dans la montagne dans un but touristique. Exactement comme au Sud-Vietnam les Vietcongs avaient creusé des tunbels dans lesquels ils vivaient cachés des Américains (tunnels de Cú Chi), les rebelles thaïs ont creusés 10 mètres sous terre des réseaux de galeries leur permettant d’échapper à l’armée ou la police, galeries bien organisées pour pouvoir y vivre longtemps. On visite une partie de ces galeries. Cette région est une région de forêt tropicale humide où il pleut 9 mois sur 12 et, croyez-moi, ce sont de vraies pluies tropicales diluviennes et qui durent…. Bref on est ressortis de cette visite trempés jusqu’aux os malgré les cirés, parapluies and so on !! Ça m’a rappelé la douche qu’on avait pris en visitant les chutes Victoria au Zimbabwé il y a quelques années.

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Notre dernière étape de ce week-end concerne Yala, capitale éponyme de la province, située à 125 km au nord de Betong et 30 km au sud de Pattani. Ville moderne de 75000 habitants au bord de la rivière Pattani, c’est un centre commercial important notamment dans le commerce du latex. Elle est réputée être la ville la plus propre du pays avec un tracé géométrique des rues. Elle est sur le trajet de la ligne de chemin de fer Bangkok-Singapour. Elle existait du temps de l’ancien royaume de Patani. La province de Yala est très montagneuse et couverte de jungle avec un climat tropical humide et des précipitations 9 mois sur 12.

Majoritairement musulmane, elle abrite des grottes bouddhiques aux peintures murales et un grand Bouddha couché de style Srivijaya de 25 mètres de long. datant certainement des VIIIe-IXe siècles, un des 3 plus importants sites bouddhiques du sud du pays.

Il es temps de refermer cet album du grand sud et de repartir vers Bangkok par l’aéroport international de Hat Yai dans la province de Songhkla au nord de Yala.