Dès potron-minet nous sommes de retour sur le Thalé Noi dans l’espoir de voir le lac avec les nénuphars et lotus ouverts et notre espoir n’est pas déçu : le lac prend une couleur fuchsia magnifique au soleil levant. Cette année par contre nous n’avons pas vu de lotus.
La flore aquatique est spectaculaire : lotus, nénuphars, roseaux, fougères aquatiques forment un tapis de verdure à la surface du lac et à certains endroits les arbres qui poussent dans l’eau peuvent faire penser à une forêt mais nous sommes toujours sur l’eau.La profondeur du lac est assez faible puisque les buffles peuvent marcher sur le fond du lac en gardant la tête hors de l’eau.
Nous quittons Phattalung en direction du sud et traversons la province de Songkhla qui constitue une transition dans la population. Si le nord de la province est encore majoritairement thaïe et bouddhiste, à mesure qu’on se dirige vers le sud elle devient majoritairement malaise et musulmane. Les musulmans représentent 8% de la population totale du pays (équivalente à la France). Si l’extrême sud du pays, à la frontière malaise, a subi dans les années 1970-80 une insurrection armée communiste qui fut réprimée dans le sang et éteinte au début des années 1990, c’est aujourd’hui et depuis 2004, une insurrection musulmane violente contre le gouvernement de Bangkok qui mine la sécurité des 3 provinces musulmanes, Pattani, Narathiwat et Yala. Les insurgés qui visent non seulement les autorités mais aussi la population non musulmane réclament une autonomie et l’instauration de la charia islamique.
Carrefour commercial et maritime, le royaume de Patani bénéficie d’une position stratégique au sein de la péninsule malaise, entre le Moyen-Orient, la Perse, la Chine, l’Inde et le Japon. C’est donc sans surprise que les ambitions d’expansion thaïe, via le royaume d’Ayutthaya (1350-1767), s’étendent au sultanat malais, situé à la frontière entre les actuelles Thaïlande et Malaisie, et qui finit par accepter de devenir leur vassal. En 1909, il est officiellement aggloméré au royaume de Siam, qui supprime sa famille royale, par le traité anglo-siamois. Ainsi, le royaume semi-indépendant de Patani est partagé entre les Thaïs et les Britanniques. Optant pour une politique de « diviser pour mieux régner », le royaume de Siam fait de Patani, une région divisée en 3 provinces : Pattani (les Siamois ont changé l’orthographe malaise), Narathiwat et Yala. Cependant, cette incorporation administrative se heurte à une résistance de l’identité malaise : sa pensée nationaliste est intrinsèquement liée à la religion. Difficile alors pour le centralisme autoritaire de Bangkok de s’imposer dans ces provinces en misant sur une assimilation à l’identité thaïlandaise nationale, basée sur la culture des Thaïs du Centre, la langue (le siamois), la religion (le bouddhisme Theravada) et la dynastie Chakri.
L’économie de ces 3 provinces repose sur l’acier, l’agriculture, l’élevage et le caoutchouc mais elles n’ont pas bénéficié du développement fulgurant du Sud touristique ou du Centre du pays. En effet, les habitants du Sud vivent en dessous du seuil de pauvreté. Pour autant, les provinces méridionales ne sont pas les moins bien loties du pays – contrairement aux paysans de la région défavorisée du Nord-Est. Si les trois provinces à majorité musulmane ont un meilleur niveau de vie que d’autres provinces en Thaïlande, elles souffrent de la comparaison avec la Malaisie voisine, dont l’État du Kelantan, le plus pauvre du pays, bénéficie d’une meilleure économie, et surtout de la province de Songkhla, centre industriel et commercial en pleine prospérité du Sud, et dont bénéficient majoritairement les Thaïs bouddhistes. Surtout, les Malais musulmans du Sud se sentent discriminés, les emplois étant en priorité attribués à leurs voisins thaïs, y compris dans le système éducatif. Un accès à la fonction publique d’autant plus compliqué par la barrière de la langue, les jeunes générations ayant rejeté les enseignements thaïs au profit du jawa et du malais.
Cette précarité structurelle a favorisé les trafics de contrebande et de drogues de la Malaisie vers la Thaïlande, qui serviraient notamment à financer les groupes indépendantistes. Pour les autorités thaïlandaises, ces trafics illégaux, couplés aux difficultés économiques rencontrés par les musulmans, ont joué un rôle déterminant dans l’escalade des violences, et ont donc mis en place une série de projets pour développer des ressources dans la région. Mais si les séparatistes regrettent la gloire passée du sultanat de Patani, carrefour commercial entre le Moyen-Orient et l’Asie, leurs motivations sont essentiellement politiques. La crise politique que traverse la Thaïlande éclipse le conflit dans le grand Sud : mais si le nombre de victimes diminue, les groupes séparatistes entendent toujours par la force appeler Bangkok à répondre à leurs revendications. Leurs attaques, de plus en plus sophistiquées, ciblent également les provinces au nord de l’ancien royaume de Patani. Les groupes rebelles se radicalisent et ne traitent plus leurs ennemis de fascistes ou colonialistes mais de kafir, c’est-à-dire infidèles et ne veulent plus libérer la « République de Pattani » mais « l’Etat islamique de Pattani » . Pour recruter des jeunes, les séparatistes mêlent des arguments nationalistes, comme l’oppression historique de l’Etat thaïlandais, et religieux, en empruntant certains concepts du djihadisme. C’est efficace et cela rend cette radicalisation difficile à contrôler.
Du passé indépendant du royaume de Patani, il ne reste à peu près rien. A partie du Ve siècle plusieurs mini-états indianisés se sont développés dans cette région aux confins de la Malaisie et de la Thaïlande dont le plus important était Langka-Suka. C’était un important port de commerce, port en eau profonde naturel de la côte orientale de la péninsule. Il permettait de transborder les marchandises par voie terrestre à travers la péninsule étroite à ce niveau et ainsi d’éviter le passage par Malacca réputé pour ses pirates et à partir du XVIe siècle pour le racket des Portugais installés à Malacca. Il bénéficiait donc du commerce vers l’Extrême-Orient ou en sens inverse vers le Moyen-Orient et l’Inde. Ce petit état indianisé était vassal du royaume malais de Srivijaya. Le passage de Langka-Suka à Patani est très mal documenté et on ne sait que très peu de choses avant le début du XVIe siècle où les marchants musulmans jouaient le rôle principal. Les Hollandais, présents dans la région au XVIIe siècle, notent dans leurs rapports l’Importance des marchants chinois à Patani. Et en 1540 on recense 350 commerçants portugais. L’apogée de la richesse du sultanat ne dura qu’une centaine d’années et se situe fin XVIe-début XVIIe siècle sous les règnes de 5 sultanes dont celui de Raja Ijau qui dura plus de 30 ans. Les chinois échangeaient soieries et porcelaines contre du poivre récolté dans toute cette région et d’autres épices. Les indiens apportaient des cotonnades. Au XVIIe siècle le sultanat fut vassalisé par le royaume siamois d’Ayutthaya et ne retrouva que brièvement son indépendance lors des 15 ans de transition entre la chute d’Ayutthaya en 1767 et l’avènement de la dynastie Chakri et de Bangkok. En 1909 un traité anglo-thaï donne au Siam le royaume de Patani qui est intégré en temps que région.
Vous l’avez compris, je n’ai pas grand-chose à vous montrer de Pattani dont la ville actuelle remonte au XIXe siècle. On sent nettement le côté chinois de la ville dans le style des maisons qui font penser à celles de Pénang, ville malaise très chinoise, assez proche sur la côte d’Andaman.
La majorité musulmane est aussi évidente par la présence dominante des mosquées et l’absence ou presque des temples bouddhistes et l’habillement des femmes et hommes.
Quelques temples chinois taoïstes.
Un modeste petit musée dans un hôtel met l’accent sur l’artisanat local, essentiellement un joli travail de vannerie et des pièces d’orfèvrerie niellées
Une longue route sinueuse dans un paysage montagneux aux forêts luxuriantes nous mène au point le plus méridional du pays, la petite ville de Betong (qui signifie bambou en malais) à la frontière malaise.