L'ambitieux projet de rénovation de la rivière Cheonggyecheon qui traverse la ville de Séoul d'est en ouest a été un enjeu écologique, politique et social important entre 2003 et 2006 et a depuis servi d'exemple à de nombreux autres projets dans d'autres grandes villes du monde. Mais l'importance de cette rivière ne s'arrête pas là et elle a joué, depuis la naissance de la capitale en 1394, un rôle majeur dans son organisation et connu plusieurs destinées.
La capitale, qui s'appelait alors Han'yang, était située au nord du fleuve Han'gang mais était arrosée par le Cheonggyecheon, la « rivière aux eaux claires ». Quatorze ruisseaux, souvent asséchés, en dehors de la fonte des neiges et des pluies de saison, alimentaient le Cheonggyecheon, lui-même soumis à de fortes variations de débit. Le Cheonggyecheon était le centre de gravité de Séoul pendant la dynastie Joseon (1392-1910). La rivière, non navigable contrairement au fleuve Han, servait encore de lavoir dans les dernières années du 19ème siècle. Déjà, à l'époque, elle était aussi plus ou moins considérée comme un égout, comme en témoignent certains de ses noms, tel Takgyecheon (« rivière aux eaux sales »), révélateur de la pauvre qualité de son eau.
Au début du 20e siècle, Cheonggyecheon marquait traditionnellement la frontière entre les quartiers influents du nord de la capitale et les quartiers pauvres du sud de la ville. L'importance de Cheonggyecheon pour la vie de la capitale se reflète dans les efforts réguliers déployés par les autorités de Séoul pour nettoyer la rivière. Pas moins de 80 ponts de pierre et passerelles ont été jetés sur le cours de la rivière. Cheonggyecheon servait de terrain de jeu pour les enfants, de lavoir, mais aussi d'égout, ce qui donne une idée des conditions d'hygiène de l'époque. La période de colonisation japonaise (1910-1945) n'a pas amélioré la qualité de l'eau du Cheonggyecheon, alors que Séoul avait vu sa population multipliée par quatre.
Après la guerre de Corée, la rivière était particulièrement insalubre, un égout bordé de bidonvilles, sujet à des périodes de crues et à de nombreux problèmes de santé pendant la saison des pluies. Il fallut le couvrir et ouvrir une avenue au-dessus. Entre 1955 et 1966, la rivière fut progressivement recouverte et le réseau d'égouts amélioré jusqu'en 1984.
Le « miracle économique coréen » a permis une élévation du niveau de vie de la population coréenne et un accès massif aux transports modernes. L'augmentation du trafic automobile entraîna des difficultés de circulation et il fut décidé de doubler l'avenue par une autoroute au-dessus, construite entre 1967 et 1971.
Au début des années 1990, un rapport de la municipalité fait état d'une grave dégradation des infrastructures du Cheonggyecheon : le réseau d'égouts, dont les structures présentaient des traces de corrosion et l'extrême fragilité des piles de l'autoroute. Dans son ensemble, l'avenue devenait dangereuse. La zone entourant l'autoroute urbaine présentait plusieurs problèmes environnementaux et sociaux, notamment une mauvaise qualité de l'air, la pollution sonore et les îlots de chaleur urbains, ainsi que des problèmes de santé pour les résidents entourant l'autoroute. A mesure que la zone proche de la rue Cheonggye générait un sentiment d'insécurité, le nombre des entreprises locales diminuait et les résidents migraient vers d'autres quartiers.
Dans un premier temps, la municipalité interdit l'accès de l'autoroute aux gros véhicules, mais en 2000-2001, il était devenu indispensable d'effectuer des travaux de restauration importants et très coûteux avant que l'autoroute ne s'effondre. En 2003, un important projet de réhabilitation de la rivière urbaine, destiné à modifier complètement la configuration du quartier, sans toutefois détruire le bâti existant, ni perturber le réseau routier, est lancé. Cependant, cela ne s’est pas déroulé sans heurts avec des associations de quartier et les commerçants, souvent modestes, qui ont finalement été relocalisés dans le quartier de Dongdae-mun. Des marchés entiers ont ainsi été délocalisés.
A partir de juillet 2003, les infrastructures sont ouvertes et le réseau d'égouts détruit. Nous sommes en 2004 lorsque la construction commence. Certains ponts anciens, comme celui de Gwangtong-gyo, ont été entièrement restaurés, réhaussés ou déplacés, pour s'adapter à la nouvelle configuration des lieux, et notamment à la localisation actuelle des rues. Finalement, la rivière fut mise en eau le 1er juin 2005. En octobre, le Cheonggyecheon était parfaitement « opérationnel », et rencontra un grand succès auprès des habitants de Séoul.
Cependant une pollution importante a été constatée à certaines périodes dans les eaux prétendument «claires» du fleuve. Ces contaminations (principalement par Escherichia coli) apparaissent de manière récurrente, en raison de la structure du réseau hydrologique voisin et du système de collecte des eaux usées existant. Malgré les systèmes de prévention des blocages annoncés dans divers documents. , ces pollutions bactériennes apparaissent lorsque les égouts, gonflés par les pluies, débordent, certains d'entre eux déversant leurs eaux usées dans le Cheonggyecheon. Pourtant, des systèmes de délestage ont été prévus pour préserver la qualité de l'eau de la rivière mais qui se sont révélés insuffisants à l'usage, notamment lors des fortes pluies estivales. Les contaminations bactériennes ou autres ont causé de graves dommages environnementaux. De plus les rejets d'hydrocarbures sauvages et les dépôts clandestins d'ordures ménagères ont contribué aussi à la pollution de l'aval du fleuve, dans une section non restaurée avec la munificence des 6 kilomètres qui sont le symbole du nouveau Séoul, moderne et convivial. Les associations bénévoles qui collectent parfois des ordures sont impuissantes face à ces comportements indélicats, qui mettent non seulement en danger l'image de la rivière, mais aussi la santé de ses usagers.
Les projets de restauration des rivières à Séoul s'inscrivent dans la continuité du succès de Cheonggyecheon. Pas moins de dix-sept cours d'eau font actuellement l'objet de travaux de rénovation. restauration ou études dans le but de redonner à Séoul son réseau hydrographique d'origine. Certaines de ces rivières sont des affluents du Cheonggyecheon, tandis que d'autres se jettent directement dans le fleuve Han. Ces projets font partie du plan de rénovation de Séoul, dans lequel le fleuve Han joue un rôle important. Le très ambitieux projet Han River Revival vise à améliorer l'image de Séoul en Asie et dans le monde.
Cette réhabilitation des « espaces bleus » s'accompagne de l'aménagement d'espaces verts, notamment de la forêt de Séoul (Seoul sup'), un grand parc inauguré en 2005 face à l'embouchure du Cheonggyecheon, mais aussi du réaménagement majeur du quartier de Yongsan, de l'autre côté de la ville, sur la rive nord. En réalité, avec les collines préservées du centre-ville et le parc Bugaksan, au nord du palais royal de Gyeongbokgung, c'est une véritable ceinture verte qui se dessine au cœur du Grand Séoul et tend à développer des espaces d'écologie et de détente.
Ces « poumons » sont censés garantir des zones plus fraîches lors des fortes chaleurs de l’été coréen. Face à des étés caniculaires et humides (75 à 80 % d'humidité pour 35 à 38 degrés), la population apprécie la fraîcheur perceptible dans le « Parc Cheonggyecheon » et dans les rues avoisinantes, où l'on remarque une accélération de la force des vents. En moyenne, les températures relevées sur le trajet sont inférieures de 3 degrés à celles enregistrées ailleurs dans la ville. Le développement de nouveaux « poumons bleus » semble donc une avancée remarquable dans le réaménagement de Séoul.
Le succès fut populaire, mais les manifestations, illuminations et festivals variés qui se déroulent à Cheonggyecheon et ses environs cachent cependant une forme de tromperie, puisque la majeure partie de la rivière est artificielle. Il est clair que le caractère rectiligne du parc, contraint par l'espace des rues et des voies de circulation en surface, et enfoui dans une tranchée profonde de 4 à 5 mètres sous le niveau de la rue, ainsi que la rectitude du cours de la rivière, malgré des courbes très artificielles, forment plus un canal aménagé qu’une rivière naturelle à proprement parler.
Par ailleurs, 120 millions de tonnes d'eau sont pompées quotidiennement dans le fleuve Han, à la sortie des stations d'épuration, pour être ensuite réinjectées dans la cascade qui marque la « source » symbolique de la rivière.
Si un grand nombre d'améliorations de la qualité de vie (pollution, circulation, bruit, etc.) sont présentées comme des gains directement apportés par le projet Cheonggyecheon, il faut garder à l'esprit que le projet s'est accompagné d'importantes réformes des transports publics, ce qui a permis d’atteindre ces objectifs. Le coût total du projet, y compris ces réformes, s'élèverait à environ un milliard de dollars américains, mais serait entièrement compensé par les avantages pour la santé ainsi que par la valeur du terrain.
Sur le plan économique, le Cheonggyecheon a stimulé l'activité commerciale dans la zone environnante et, pour la première fois dans l'histoire moderne de Séoul, a relié efficacement le nord et le sud de Séoul tout en réduisant la pression du trafic sur le quartier central des affaires et en augmentant la capacité de transport des bus et des métros. Le projet démontre clairement qu'une conception urbaine coordonnée peut catalyser le développement économique, renforcer le lien avec l'environnement naturel et améliorer la qualité de l'état urbain pour les résidents et les visiteurs.
La rivière Cheonggyecheon a depuis très longtemps été le lieu de défilés, festivals et notamment le festival des lanternes marquant la fête de la naissance du Bouddha.
Le festival des lanternes en lotus, Le Yeondeunghoe, est une célébration qui a une longue histoire. Il faut remonter à la période de Silla (1e millénaire de notre ère) pour découvrir le début de l’histoire des lanternes. Durant le royaume de Goryeo (918-1392), le bouddhisme est devenu une religion d’Etat et l’événement une fête nationale.
Cependant, lors de la période de Joseon (1392-1910), le confucianisme prit une grande importance et le bouddhisme fut rejeté par l’Etat. Le Festival des Lanternes de Lotus a donc été supprimé, mais il a su perdurer grâce au peuple.
Le Yeondeunghoe que l’on connait aujourd’hui, a débuté en 1955. C’est en 1975 que le jour de la naissance du Bouddha, le 8e jour du 4e mois lunaire, est devenu officiellement férié. Depuis, le nombre de participants à cet événement n’a cessé d’augmenter.
Les habitants, munis de lanternes fabriquées à la main, se rassemblent dans les rues où sont suspendues des lanternes colorées en forme de lotus pour participer à un défilé. Chaque année, le début des festivités est marqué par un rituel consistant à verser de l’eau sur une représentation de Bouddha enfant pour célébrer sa naissance. Vient ensuite une procession publique d’individus munis de lanternes, après laquelle les participants se réunissent pour prendre part à des activités récréatives et des jeux collectifs. Les habitants peuvent participer à la fête en portant des lanternes qu’ils ont fabriquées pour exprimer leurs souhaits pour eux-mêmes et leur famille, mais aussi pour leurs quartiers et l’ensemble du pays. L’allumage des lanternes symbolise aussi l’éveil spirituel des individus, des communautés et de toute la société par la sagesse du Bouddha. Les connaissances et les savoir-faire liés à l’élément sont principalement transmis par l’intermédiaire des temples bouddhistes et la communauté. Par ailleurs, l’Association de sauvegarde du Yeondeunghoe joue un rôle remarquable en organisant des programmes éducatifs. Cette fête est un moment de joie pendant lequel les clivages sociaux sont temporairement effacés. Durant les périodes marquées par des difficultés sociales, elle contribue à l’intégration des citoyens et les aide à surmonter leurs problèmes quotidiens. En 2020, le Yeondeunghoe a été désigné par l’UNESCO comme patrimoine culturel immatériel.
Cette année, le festival s’est déroulé sous une pluie battante …ce qui, somme toute, est bon pour la rivière et n’a pas entamé l’enthousiasme des Séoulites.
Nous terminons la journée par une petite visite à une cloche célèbre de la ville : Bosin Gak
Bosingak est un grand pavillon abritant une cloche situé sur Jongno à Séoul. C'est de la cloche de Bosingak que Jongno, littéralement « rue de la Cloche », tire son nom. Le pavillon d'origine a été construit en 1396 mais a été détruit de nombreuses fois par le feu et les guerres. Le nom Bosingak lui a été attribué par l'empereur Gojong en 1895.
Sous la dynastie Joseon, cette cloche était le centre de la ville intra muros. On la sonnait pour annoncer l'ouverture et la fermeture des quatre portes de Séoul : trente-trois fois à quatre heures du matin et à dix heures du soir. Elle était aussi utilisée comme alarme pour avertir d'un incendie.
Aujourd'hui on ne sonne la cloche qu'à minuit le réveillon du jour de l'an. Les Séoulites s'y rassemblent nombreux pour venir fêter la nouvelle année.