Nous allons à la découverte de la civilisation khmère qui domina l'Indochine entre les VIIIe et XIVe siècles. Oubliée au XVe siècle, Angkor fut redécouverte au XIXe siècle par les Français.
Mai 2022
7 jours
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En ces temps de presque post-covid, après avoir reporté plusieurs fois ce séjour, nous partons à la découverte d'Angkor. Le site archéologique célèbre est connu pour être envahi toute l'année par les touristes, particulièrement chinois. Or depuis deux ans le pays était fermé pour raison de covid et ne vient de rouvrir ses portes qu'il y a un mois, et encore pas complètement puisque l'aéroport de Siem Reap qui dessert le site est toujours fermé. On peut se rendre à Phnom Penh et de là en voiture (315 km, 5 heures de route) jusqu'à Siem Reap où se trouve le site d'Angkor. Nous avons donc préféré venir en voiture depuis Bangkok (7 heures de route). Les voitures ne pouvant traverser la frontière, nous nous sommes faits déposer à Poipet, avons passé la frontière à pied avec nos valises (je n'avais jamais fait ça !) et pris une seconde voiture côté cambodgien pour rejoindre Siem Reap.

Petit pays d’Asie du Sud-Est, le Cambodge (Kampuchéa en khmer) compte 17 millions d’habitants. Il occupe la basse vallée du Mékong avec une superficie de 181000 km2. Il est situé dans la zone intertropicale. De forme à peu près carrée, il est bordé à l’ouest par la Thaïlande, à l’est par le Vietnam, au nord par le Laos et au sud par 440 km de côte sur le golfe de Thaïlande. La plaine centrale qui s’étend de Phnom Penh, la capitale, à Siem Reap, au nord-ouest, est d’une platitude monotone quelques mètres seulement au-dessus du niveau de la mer, agrémentée de quelques petites collines, appelées des phnoms. Au nord-ouest une chaine de moyennes montagnes, les monts Dangrek, la sépare du Laos.

Le centre de la plaine est occupé par un vaste lac, le Tonlé Sap qui communique avec le Mékong pour créer un écosystème unique. Le lac est le plus grand lac d'eau douce d'Asie du Sud-Est et un site de première importance du point de vue écologique, reconnu en tant que réserve de biosphère par l'Unesco en 1976. Le lac a une orientation nord-ouest sud-est. Le site historique d'Angkor se trouve tout près de son bord nord. L'émissaire du même nom et de même orientation relie le lac au Mékong, le confluent étant à Phnom Penh. Le lac occupe une dépression créée par la contrainte géologique causée par la collision du sous-continent indien et de l'Asie.

Le régime d'écoulement alternatif de la rivière Tonlé Sap est celui d'un cours d'eau sans source hydrographique, cas très rare dans le monde : selon la saison, elle coule du lac vers le Mékong (en saison sèche de novembre à mai) ou du Mékong, alors en crue, vers le lac (saison de fonte des neiges himalayennes et des pluies de mousson de mai à novembre), le lac servant ainsi de déversoir au trop-plein des eaux en période de mousson et de réservoir en période sèche. Ce lac est donc une protection naturelle, agissant comme une vanne de sûreté contre les inondations du Mékong. On appelle « retournements des eaux » les périodes où le cours de la rivière Tonlé Sap s'inverse. La Fête des Eaux (Bon Om Touk en khmer) en novembre, se situe au moment où les eaux sont les plus hautes, la rivière va ensuite de nouveau couler vers le Mékong.

La superficie du lac pendant la saison sèche (février à mai), est d'environ 2 700 km2 pour une profondeur d'environ 1 mètre, elle se voit quasiment multipliée par six quand arrive la saison des pluies de mousson concomitante à son début avec la fonte des neiges. On estime que la surface du lac peut alors atteindre 16 000 km2 et sa profondeur 9 mètres, noyant rizières et forêts. En volume, cela représente une multiplication par un facteur 70. L'écosystème du Tonlé Sap est donc reconnu comme un écosystème de forêt alluviale. L'inondation saisonnière crée un milieu idéal pour la reproduction des poissons, si bien que quelque 200 espèces y sont répertoriées. Le Tonlé Sap est une des zones de pêche d'eau douce les plus productives du monde, fournissant plus de 75 % du volume annuel de pêche en eau douce du pays. Une véritable providence pour les trois millions de Cambodgiens vivant dans la région. Le lac et ses poissons permettant aussi le refuge d'une quinzaine d'espèces de grands oiseaux en voie d'extinction.

Selon certains experts, le Tonlé Sap, qui rythme la vie des Cambodgiens depuis un millénaire, est au bord de l'effondrement. La raison première de cet affaiblissement est la construction de barrages hydroélectriques sur les rivières alimentant le lac, notamment sur le Mékong en Chine. Ceci est couplé au dérèglement climatique. Le troisième facteur est le phénomène de surpêche que connaît le Tonlé Sap.

Le site historique d’Angkor se trouve à Siem Reap, au nord-ouest du Tonlé Sap. Ce n’est pas un hasard car la prospérité de la ville d’Angkor et du royaume khmer tient beaucoup de la proximité du lac.

Demain nous partons à la découverte du royaume khmer d’Angkor.

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L’histoire du Cambodge commence au début de notre ère avec l’établissement d’un premier « royaume », le Funan, dans la basse vallée du Mékong, dont on n’a de traces qu’à travers les rapports des ambassadeurs chinois, envoyés régulièrement dans les pays voisins que la Chine avait tous vassalisé, pour s’assurer de l’acquittement du tribut de ces pays. Le Funan existe dans ces rapports du début de notre ère jusqu’au 6e siècle puis fait place à un deuxième royaume, tributaire aussi de la Chine, le Chenla. Le royaume khmer succède au royaume de Chenla, et sa fondation est datée conventionnellement en 802, lorsque le roi Jayavarman II se déclare Chakravartin, "Roi des rois".

Jayavarman II, au 9e siècle, introduit le culte du dieu-roi (devaraja) dans le brahmanisme. Désormais, le roi est la représentation de Shiva, le dieu de la trinité brahmanique (Brahmā, Vishnou, Shiva) et en conséquence une manifestation de celle-ci. Le souverain doit être adoré comme une divinité, avec des rites formels. Shiva et le dieu-roi partagent d’ailleurs le même symbole religieux, le lingam (représentation aniconique phallique de la trinité brahmanique). Jayavarman II aurait été un ancien prince qui vécut à la cour de Sailendra à Java et en aurait rapporté l’art et la culture hindouisés à son retour au Chenla. Jayavarman II gagne rapidement de l’influence par la conquête de plusieurs états voisins et, vers 790, prend la tête d’un royaume que les Khmers appelaient « Kambuja ». Dans les années qui suivent, il étend encore son territoire et établit une capitale, Hariharalaya, près de l’actuel site d’Angkor. Il libère son royaume de la tutelle de Java, acquérant ainsi son indépendance.

Les successeurs de Jayavarman II poursuivent le développement du royaume de Kambuja. Indravarman Ier (qui règne de 877 à 889) arrive à étendre le pays sans guerre et commence une politique de construction massive pour remercier les dieux d’avoir apporté à l’empire la prospérité du commerce et de l’agriculture. On lui doit notamment d’importants travaux d’irrigation et la construction des temples de Preah Ko et du Bakong.

Temple de Preah Ko : il fut édifié en 879 par le roi Indravarman I pour honorer ses ancêtres. Dédié au dieu Shiva, il comporte 6 sanctuaires posés sur une plate-forme peu élevée, 3, au premier plan, dédiés à ses ancêtres rois, et 3, plus petits en arrière-plan, dédiés à leurs épouses. La forme typique du prang, c’est-à-dire cette tour sanctuaire, n’est pas encore aboutie. Par ailleurs dans l’enceinte de ce temple apparaît pour la première fois une bibliothèque près de l’entrée. L’entrée de ce temple est, comme presque tous, orientée à l’est. Devant chacun des sanctuaires se trouvent 3 taureaux couchés, symboles du dieu Shiva.

Les temples khmers présentent des décorations typiques dont le style évolue avec le temps. En particulier les portes sont surmontées de linteaux sculptés. Dès le début des temples d'Angkor, alors qu'on n'utilise encore que la latérite (pierre volcanique) et la brique pour la construction des temples, les linteaux sont en grès, abondant dans la région, qui est une pierre calcaire facile à sculpter. La décoration des linteaux est toujours symétrique par rapport à un axe central vertical, composée d'une guirlande qui ondule du centre vers la périphérie, agrémentée de décors floraux, d'animaux ou de personnages. Le centre de la décoration montre le plus souvent un dieu hindou souvent posé sur un démon appelé Kala représenté avec une grande mâchoire.

L'autre décoration qu'on retrouve toujours sont des divinités ou des nymphes célestes (apsaras) sculptées dans des niches sur les murs extérieurs des sanctuaires. Là encore le style évolue avec le temps.

Temple du Bakong : consacré en 881, il est dédié à Shiva. C’était le temple d’Etat d’Indravarman I, c’est-à-dire le cœur du pouvoir d’où il exerçait son autorité. Tous les rois auront leur temple Etat, indépendamment du palais royal. Le Bakong est le premier temple pyramidal de la période pré-angkorienne. Le sanctuaire central fut reconstruit au 12e siècle et présente ainsi une forme de prang accompli alors que les sanctuaires périphériques, qui sont du 9e siècle, sont encore incomplets. Il se compose d’une pyramide à degrés, au sommet de laquelle se trouve le sanctuaire principal. Autour de la pyramide s’organisent 8 sanctuaires secondaires et 6 bibliothèques. Le temple est protégé par des douves et la chaussée d’accès, orientée est-ouest est décorée de grands serpents nagas qui reposent au sol. Les coins de la pyramide sont décorés d’éléphants et aux 4 entrées dans la pyramide se trouvent 4 taureaux couchés tournés vers le temple : ils sont le symbole du dieu Shiva.

Un temple bouddhique moderne se trouve près de l’enceinte du Bakong et ajoute une touche de vie au site.

Le fils d’Indravarman I, Yasovarman Ier, lui succède de 889 à 910 et fonde une nouvelle capitale à Yaśodharapura, la première cité d’Angkor.

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Le fils d’Indravarman I, Yasovarman Ier, lui succède de 889 à 910 et fonde une nouvelle capitale à Yasodharapura, la première cité d’Angkor à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest d’Hariharalaya, près de la colline de Phnom Bakheng sur laquelle il fait ériger son temple d’Etat. Ce fut une tâche énorme qui nécessita d’abord d’araser le sommet de la colline pour pouvoir y construire le premier vrai temple-montagne, typique de l’architecture khmère. Dans la cosmologie hindoue les dieux habitent au sommet d’une montagne mythique située dans l’Himalaya, le Mont Mérou composé de 5 pics. Les temples khmers comporteront tous une pyramide à plusieurs étages (en général 3) avec sur la terrasse supérieure 5 sanctuaires, le principal et plus grand au centre, les quatre autres en quinconce autour pour symboliser le Mont Mérou. Pour le Phnom Bakheng on n’a encore qu’une pyramide à degrés avec une multitude de petits sanctuaires à chaque degré et des plus grands, tout autour de la base de la pyramide. Au total 108 sanctuaires entourent le central, nombre hautement symbolique de la cosmologie hindoue. Le temple a été très abîmé par le temps, ayant même servi de base d’artillerie aux Khmers rouges dans les années 1970. Un programme de restauration est en cours.

On doit aussi à Yasovarman I le Baray oriental, un immense réservoir d’eau de 7,5 sur 1,8 km, prouesse technique et ingénieux système d’irrigation. Il y eut de nombreux barays qui permirent au royaume d’acquérir une autosuffisance alimentaire (ils arrivaient à faire 3 ou 4 récoltes de riz par an) pour une population estimée à plus d’un million d’habitants au temps de l’apogée du royaume, au 12e siècle. Il fit aussi construire un joli petit temple à la mémoire de ses parents, le Lolei, au milieu d’un petit baray. Ce temple ne comporte pas de terrasse, seulement 4 sanctuaires en carré dédiés au dieu Shiva.

Le début du 10e siècle est une période troublée où la capitale est déplacée à Koh Ker, à 120 km au nord-est d’Angkor. De cette période cependant date un joli temple pyramide simple avec un seul sanctuaire au sommet, le Baksei Chamkrong, un temple unique. Il est dédié au dieu Shiva. La pyramide est très escarpée (l’escalier aux marches étroites a une pente de 60°) et atteint 12 mètres de hauteur. Ce temple servira de modèle au Ta Keo construit près d’un siècle plus tard.

Autre beau temple du début du 10e siècle, le Prasat Kravan : il fut érigé non par un roi mais par un haut dignitaire vishnouite et donc dédié au dieu Vishnou et à sa consort Lakshmi. Composé d’une terrasse sur laquelle s’élèvent 5 sanctuaires, le central étant le plus grand et les autres de taille dégressive de chaque côté. Le sanctuaire central et celui de droite comporte à l’intérieur de beaux bas-reliefs représentant Vishnou dans le premier et Lakshmi dans le deuxième.

Yasodharapura retrouve son statut de capitale au milieu du 10e siècle et cette période est marquée par l’apparition de grands temples-montagnes.

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Le Cambodge, en khmer Kâmpŭchéa, est peuplé d’environ 17 millions d'habitants. Le Cambodge est une monarchie constitutionnelle, héritière de l’ancien empire khmer hindouiste et bouddhiste qui régna entre les 9e et 15e siècles. La majorité des Cambodgiens (96%) sont de religion bouddhiste theravāda, religion d'État.

Au cours du vingtième siècle, dans un contexte de guerre froide et de guerre au Vietnam, le Cambodge a connu :

- la guerre civile cambodgienne (1967-1975) qui a tué entre 275 000 à 310 000 Cambodgiens, dont 50 000 à 150 000 par des bombardements aériens américains massifs ordonnés par Richard Nixon

- le massacre de la population des villes entre 1975 et 1978 par le Kampuchéa démocratique ou Khmers rouges dont le totalitarisme extrémiste (retour forcé à la terre et rééducation) a coûté la vie à près de 2 millions de Cambodgiens.

- une guérilla rassemblant des mouvements divers allant des Khmers rouges (soutenus par la Chine communiste) aux mouvements royalistes appuyés par la Thaïlande (soutenus par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne) qui fait alors rage dans le pays semant la destruction dans toutes les provinces. Des millions de mines sont disséminées, par les deux camps, à travers tout le territoire et nombre d'entre elles perdurent jusqu’aujourd'hui. Durant toute la décennie des années 1980, le pays est ruiné et divisé au gré des combats: la malnutrition fait des ravages et les épidémies entraînent des milliers de morts.

Après le départ des forces vietnamiennes en 1989 et l'envoi de forces de l'ONU au début des années 1990, le régime retrouve peu à peu un semblant d'autonomie tout en restant régulièrement dénoncé pour ses atteintes aux droits de l'Homme. Le roi actuel est Norodom Sihamoni, 69 ans, roi du Cambodge depuis le 14 octobre 2004, lorsqu'il a succédé à son père, Norodom Sihanouk, qui avait abdiqué. Le Premier ministre actuel Hun Sen, placé au pouvoir par le Vietnam, dirige le pays depuis le début des années 1990, et s'est maintenu au sommet grâce à trois élections douteuses successives dans un climat patent de violence politique. Le Cambodge est aujourd'hui confronté à une série de choix douloureux. Son économie, qui dépend encore très largement de l'aide internationale, souffre d'une corruption très importante. D'autres problèmes hérités du désastre khmer rouge obèrent aussi le développement du pays comme la question des terres (le cadastrage, supprimé par les Khmers rouges, est encore loin d'être finalisé) ou l'éducation, le système éducatif ayant été complètement détruit par les Khmers rouges (enseignants assassinés, etc.). Actuellement, le secteur touristique et le textile (présence de grandes chaînes internationales de prêt-à-porter) sont les principaux pourvoyeurs de devises du pays. Le Cambodge est membre de l'ASEAN (Association of Southeast Asian Nations) depuis 1999. Au cours de la décennie des années 2000, l'économie cambodgienne fut de loin la plus dynamique de l'Asie du Sud-Est avec un taux de croissance annuel moyen du PIB de 8 % entre 2000 et 2007. La crise financière de 2008 plongea l'économie cambodgienne dans une période de morosité dont le royaume eut du mal à sortir. Malgré les bons résultats économiques, le pays demeure dépendant de l'aide internationale.

Au niveau du secteur primaire, le Cambodge se spécialise principalement dans l'agriculture, la pêche, l'exploitation forestière et l'exploitation minière. L'agriculture est principalement basée sur la culture du riz, du maïs et du tabac ainsi que sur la production de viandes, y compris de poissons, de produits laitiers, de sucre, de farine et de café. Les ressources naturelles du Cambodge sont le bois, le caoutchouc, les pierres précieuses, le minerai de fer, le manganèse et le phosphate, le potentiel hydroélectrique du Mékong, des quantités inconnues de pétrole, le gaz, et de la bauxite.

Pour le secteur secondaire, le Cambodge se concentre surtout sur les activités visant une modification plus ou moins raffinée des matières premières, par exemple l'industrie manufacturière et la construction. L'industrie du textile est de loin la plus importante activité manufacturière du pays. La fabrication de chaussures, de cigarettes, de ciment et de papier ainsi que la transformation et le conditionnement du bois pour l'export constituent les autres principales activités industrielles du royaume.

Quant au secteur tertiaire, il regroupe les services, ce qui comprend les assurances, les banques, la santé, l'éducation, les services publics et le tourisme. Le tourisme était, avant la crise du Covid, l'activité économique en plus forte croissance du Cambodge.

Le système scolaire cambodgien (primaire et secondaire), géré par le ministère de l’Éducation, de la Jeunesse et des Sports, est largement calqué sur le modèle français. Si dans le cadre de l’enseignement primaire, les taux de scolarisation témoignent de progrès évidents, si la parité filles/garçons est globalement atteinte, en revanche, les performances de l’enseignement pré-primaire ainsi que celles de l’enseignement secondaire supérieur en termes d’effectifs scolarisés demeurent faibles ; de même, le nombre d’élèves par enseignant reste élevé en primaire alors que, dans le même temps, les dépenses consacrées à l’éducation se maintiennent toujours à un niveau très en dessous des moyennes mondiales.

Les voies de communication, réputées en mauvais état, ont profité de la fermeture du pays liée au Covid. Le gouvernement a mené de grands travaux de rénovation des routes qui en font maintenant un pays avec de bonnes infrastructures, même s’il n’y a pas d’autoroutes.

Quand on circule dans le pays, on voit des campagnes propres et bien entretenues. L'eau est omniprésente.

L'habitat rural reste très simple avec encore beaucoup de maisons en bois ou en bambous tressés sur pilotis mais les maisons maçonnées sont plus fréquentes maintenant.

Nous avions rencontré à Bangkok, il y a quelques mois, des responsables sympathiques d’une petite ONG française "Enfant du Mékong" qui s'occupe d'éducation d'enfants déshérités. Cette ONG travaille dans 6 pays d'Asie du Sud-Est : Thaïlande, Laos, Vietnam, Cambodge, Myanmar et Philippines. Nous sommes allés les retrouver dans leur Centre et Direction pour le Cambodge à Sisophon , à 2 heures au nord-est de Siem Reap sur la route qui mène en Thaïlande.

Leur action comporte deux axes : le soutien scolaire d'enfants scolarisés dans le système scolaire public et, la part la plus importante, le parrainage d'enfants de familles pauvres pour permettre de financer leurs études. Un petit bonheur de rencontrer des écoliers de tous âges dans ce centre qui les accueille principalement en externat mais aussi pour quelques-uns en internat. En 2022, ce sont plus de 23 000 enfants parrainés et 60 000 enfants soutenus qui peuvent ainsi accéder à l’éducation, se construire et s’insérer professionnellement. L’association soutient la construction d’une centaine de projets de développement par an (écoles, puits…) et gère 10 centres et 78 foyers.

Martin, le Directeur, en activité au Cambodge depuis 26 ans, Louis-Marie, son adjoint, et leurs équipes, nous ont fait découvrir comment ils exerçaient leurs missions et surtout le sens qu’ils y donnaient. Nous avons apprécié leur volonté de proximité avec des familles nécessiteuses, toujours en collaboration avec les autorités à tout niveau. Leurs travailleurs sociaux bénévoles sillonnent les villages et, en collaboration avec les autorités locales, repèrent les familles à aider, pour un parrainage ou pour un soutien scolaire. La collaboration fonctionne aussi avec le ministère de l'Education puisque les professeurs du système public sont payés par l'ONG pour assurer un soutien scolaire aux enfants en dehors des heures de l'école publique. Les enfants peuvent aussi travailler, se détendre dans diverses activités au sein des foyers.

Le but premier de l'association est donc d'agir en complément du système public sans se substituer à son rôle. Le deuxième but est de rester concentré sur l’enfant dans sa famille et son milieu: l'association ne cherche pas à se substituer à la famille en offrant des conditions de vie beaucoup plus luxueuses aux enfants. Enfin le troisième but est d'Identifier les potentiels mais viser un développement localement: un examen de fin d'études secondaires est organisé par l'association pour évaluer le potentiel des élèves et sélectionner ceux qu'on peut envoyer en université. Mais dans la majeure partie des cas il s'agit d'orienter les élèves vers une formation locale qui leur permette de ne pas se couper de leur milieu d'origine.

Un bel exemple ainsi donné par cette ONG à travers l’action méritoire des cadres et volontaires expatriés , des collaborateurs locaux, certains ayant bâti leur éducation avec "Enfant du Mékong". Nous y reviendrons !

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Yaśodharapura retrouve son statut de capitale sous Rajendravarman II, roi de 944 à 968. Celui-ci perpétue sur le site la tradition des grands travaux de ses ancêtres et on lui doit notamment le Mebon oriental, situé sur une île au milieu du Baray oriental,le grand réservoir construit par son prédécesseur, le Pre Rup et de nombreux autres temples et monastères.

Le Mebon oriental

Ce temple fut érigé en 948-953, pour honorer la mémoire des parents du roi. Il est de culte hindouiste, shivaïte. Il manque à sa pyramide les quelques niveaux qui en aurait fait un temple-montagne à part entière. Peut-être est-ce pour ne pas alourdir la structure qui repose sur un sol meuble. Il se compose donc de trois niveaux avec deux plate-formes peu élevées. Au 1e niveau on trouve des salles de méditation le long du mur d'enceinte. Sur la 1e plate-forme (2e niveau) huit petits sanctuaires groupés par paires, dédiés à Shiva et 5 "bibliothèques". Sur la 2e plate-forme (3e niveau) se trouvent 5 sanctuaires, un central principal et le plus grand, dédié à Shiva, entouré en quinconce par 4 plus petits sanctuaires dédiés aux parents du roi et aux deux autres dieux de la trinité hindouiste, Vishnu et Brahma.

Les linteaux de porte des 5 sanctuaires principaux sont parmi les plus beaux du site d'Angkor, représentant toujours des scènes de la mythologie hindouiste.

Le Pre Rup

Construit quelques années plus tard par le même roi, le Pre Rup est le temple d'état du roi Rajendravarman II. Situé à quelques centaines de mètres du Mebon oriental, à l'extérieur du Baray, il était entouré de douves. Il est de même plan et mêmes dimensions que le Mebon. Cependant il se distingue du précédent par une pyramide beaucoup plus élevée qui en fait un vrai temple-montagne, représentation symbolique du Mont Merou, la montagne sacrée des hindouistes. Deux des 5 sanctuaires centraux sont dédiés à Shiva, un est dédié à Vishnu et les deux derniers aux compagnes de ces dieux, Uma et Lakshmi. Au premier niveau le nombre de salles de méditation atteint un sommet. Par la suite ces salles seront remplacées par des galeries concentriques.

Ce temple est en moins bon état de conservation que le Mebon, notamment pour ses linteaux de porte. Cependant on peut admirer sur les sanctuaires principaux de belles devatas (divinités féminines).

Dans ce contexte éclate à l’est, en 950, la première guerre avec le royaume du Champā (royaume hindouisé du centre du Vietnam), qui se conclut par une victoire khmère. Sous ce règne, certains dignitaires accroissent leur influence. Cet ascendant se caractérise par une multiplication de constructions de monuments grandioses dont le joyau est le Banteay Srei, fondé en 967 par le brahmane Yajnavaraha.

Ce petit temple, dédié à Shiva, est un exemple unique de décoration d'une richesse et d'un raffinement jamais égalés auparavant. Construit en grès rose, peu abondant dans la région, il prend des couleurs somptueuses au lever et au coucher du soleil. Il a été totalement restauré dans les années 1930. Pour la première fois un temple est précédé d'une longue allée encadrée de bornes et de galeries ouvertes et les frontons des portes d'entrée sont triangulaires. Première réalisation aussi d'un mandapa (longue chambre) prédédant le sanctuaire central.

Le Banteay Srei est surnommé le temple des dames car il y a une profusion de jolies devatas sur les sanctuaires.

En 968, Jayavarman V succède à son père. Après avoir établi sa suzeraineté sur d’autres princes, son règne est une longue période de paix, marquée par la prospérité et un essor culturel. Il établit une nouvelle capitale, Jayendranagari, près de Yasodharapura et s’entoure de philosophes, de lettrés et d’artistes. Sa mort en 1001 ouvre une nouvelle période de troubles avec plusieurs règnes courts, jusqu'à l'arrivée en 1010 de Suryavarman I qui mène une période de conquêtes militaires qui lui permettent d’étendre son royaume, à l'ouest jusqu’à l’actuelle ville de Lopburi dans la plaine centrale du Chao Phraya en Thaïlande, et au sud jusqu'à l’isthme de Kra. Durant son règne, qui s’achève en 1050, il initie la construction du Baray occidental, le second réservoir d’eau encore plus grand que le premier (8 km par 2,1). Peu de temples sont construits durant ce règne. Cependant de cette époque date la décoration magique de plusieurs petites rivières venant des montagnes proches du Phnom Kulen, à une trentaine de kilomètres au nord de Siem Reap, et qui alimentent la rivière de Siem Reap date de cette période, comme le site de Kbal Spean: le lit de la rivière est sculpté de milliers de petits lingas (symbole de Shiva) et de scènes représentant Vishnu ou Brahma. L'eau, passant sur ces sculptures, est ainsi sanctifiée avant d'aller irriguer les cultures plus bas dans la vallée.

La fin du XIe siècle est une nouvelle période de conflits et de luttes de pouvoir sanglantes qui ne s’achèvent qu'à l'avènement de Suryavarman II en 1113.

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Si le XIe siècle est une période troublée par de nombreux conflits internes et externes, il nous en reste deux grands temples qui furent des temples d'Etat des rois de l'époque.

Le Baphuon, appelé la montagne d'or, fut construit au début du XIe siècle. Il était dédié à Shiva. Ce projet se révéla être trop ambitieux pour l'époque et des faiblesses structurelles y furent décelées dès sa construction. Ses tours étaient recouvertes de bronze et il repose sur une colline artificielle. Il se situe au sud du Palais Royal dans la ville. Le temple, lors de sa découverte fin XIXe, était en très mauvais état, envahi par la végétation. Il subit plusieurs campagnes de restauration, dont la dernière menée par la France coûta 10 millions d'euros et dura 16 ans jusqu'à sa réouverture au public en 2011.

Le Baphuon est une pyramide à trois terrasses bordées de galeries, de 145 mètres sur 150. L'entrée monumentale à la première terrasse se fait par trois gopura et sur une chaussée surélevée, de 200 m de long. La pyramide centrale s'élève sur cinq gradins. C'est le premier grand monument khmer construit entièrement en grès et le premier monument sur lequel on généralise l'utilisation de la galerie, en remplacement des salles de méditation. C'est aussi le premier grand monument sur lequel sont généralisés, sur les faces externes, les bas-reliefs narratifs : des petites scènes qui sont des illustrations des grands poèmes indiens, le Ramayana et le Mahabharata. Le 3e niveau avec les 5 sanctuaires centraux est malheureusement totalement ruiné.

Au XIIe siècle il subit une transformation qui le fragilisa : il fut transformé en temple bouddhique et on modifia la face ouest de la 1e terrasse pour inclure une immense statue de Bouddha couché sur toute la longueur. On distingue encore la tête du Bouddha.

Le deuxième temple d'Etat, construit au XIe siècle, fut le Ta Keo. Construit quelques années avant le précédent, il est aussi dédié à Shiva. Une légende raconte que la construction fut stoppée après que la foudre ait frappé le chantier, mauvais présage. Mais c'est plus vraisemblablement la mort de son commanditaire, le roi Jayavarman V, qui est à l'origine de la non finition de ce temple. Sinon il aurait été un des plus beaux temples d'Angkor, presque à l'égal d'Angkor Vat. Toujours sur le même plan, il est constitué de trois terrasses concentriques avec au sommet les 5 sanctuaires principaux. Seul le niveau inférieur comporte quelques sculptures inachevées.

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Suryavarman II domina l’empire khmer dans la première moitié du XIIe siècle. Sa prise de pouvoir est violente, comme c’est souvent le cas dans la région et notamment au Siam plus tard : il se révolte contre le roi en place dont il est un petit-neveu et le tue pour prendre le pouvoir en 1113. Son règne marque l'apogée de la puissance khmère et la période de la plus grande expansion de l'empire. Dès sa prise de pouvoir il envoie une mission diplomatique en Chine avec un tribut pour la cour impériale. Il mène ensuite jusqu’en 1136 une série de campagnes infructueuses contre le Daï-Viet (le nord du Vietnam actuel au Tonkin), royaume qui s’était libéré de la tutelle chinoise deux siècles plus tôt. Il oblige alors les Chams du royaume du Champa (en Annam, Vietnam centre) à l’aider dans ces conquêtes qui pourtant restent infructueuses. En 1136 le roi cham fait la paix avec les Viets et refuse d’aider Suryavarman II. En représailles celui-ci attaque le Champa et dépose le roi qu’il considère comme un traitre. Ayant annexé le Champa, il installe un de ses beaux-frères comme roi vassal. Mais en 1147 le fils du roi cham déposé se révolte, tue le roi vassal et reconquiert son royaume.

Il n’a pas plus de succès à l’ouest dans ses campagnes contre les Môns de la haute vallée du Chao Phraya (Thaïlande).

Il meurt en 1150 lors d’une nouvelle campagne contre le Champa. C’est un de ses cousins, père du futur Jayavarman VII, bouddhiste convaincu, qui prend le pouvoir pour 10 ans. A sa mort son fils, et prince héritier présumé, guerroie au Champa donc le trône passe à un autre cousin qui ne dirige que 5 ans avant d’être assassiné par un mandarin qui prend le pouvoir. En 1177 une flotte cham, dirigée par le roi du Champa, remonte en grand secret le Mékong jusqu’au lac Tonlé Sap. Une grande bataille navale contre les Khmers se termine par une défaite de ceux-ci. Débarquant près d’Angkor, l’armée cham s’empare de la ville, la saccage et tue le roi khmer. L’occupation du royaume d’Angkor par les Chams dure jusqu’en 1181. Le prince héritier, rentré du Champa, réussit à chasser les Chams, avant d'annexer leur pays. Dans le même temps, il étend son territoire à l’ouest, englobant la majeure partie de ce qui constitue de nos jours la Thaïlande centrale, jusqu’à la Birmanie, et, au nord, s’implante jusqu’à la région de l’actuelle Vientiane au Laos. Il monte sur le trône en 1181, sous le nom de Jayavarman VII.

Si Suryavarman II ne fut pas un très bon stratège, il est néanmoins un grand bâtisseur et on lui doit plusieurs temples importants, en premier lieu son temple d’Etat, Angkor Vat.

Angkor Vat ou Angkor Wat (qui signifie « la ville qui est un temple ») est le plus grand monument religieux du monde. C'est le plus prestigieux des monuments royaux du site et le chef-d'œuvre de la période classique khmère. Temple d’Etat du roi Suryavarman II, c’est le mieux préservé d'Angkor, il est le seul à être resté un important centre religieux depuis sa fondation, initialement dédié au dieu Vishnu, rompant avec la tradition shivaïte des rois précédents. Il a progressivement été transformé en temple bouddhique vers la fin du XIIe siècle et est toujours en activité aujourd’hui. Il est situé au sud de la capitale qui deviendra Angkor Thom plus tard. Commencée dès le début du règne de Suryavarman II (1113), la construction sera stoppée inachevée (bas-reliefs de la galerie externe) à la mort du roi en 1150.

C’est un temple-montagne classique qui représente le Mont Meru, montagne sacrée des hindous dans un symbolisme très achevé avec la douve entourant le temple qui représente l’océan cosmique de la mythologie hindoue. Sa perfection tient aussi aux splendides bas-reliefs de la galerie externe.

Etant dédié à Vishnu (protecteur des Territoires de l’Ouest), son entrée principale n’est pas tournée vers le levant comme c’est le cas habituel, mais vers le couchant. L’accès au temple se fait par un pont gardé par des nagas et des lions, censés repousser les esprits maléfiques. L’imposant pavillon d’entrée ouest cache le temple en partie à la vue avant de l’avoir franchi. Le temple, de plan classique, comporte trois terrasses concentriques. On pense que le peuple n’avait accès qu’au 1e niveau où se trouvent les galeries de bas-reliefs. Le 2e niveau devait être réservé aux personnalités importantes, le 3e seulement au roi et aux brahmanes.

Le portail ouest, qui mesure 230m de long, se compose de 3 pavillons reliés entre eux par une galerie. On y voit déjà de belles décorations, linteaux, devatas gracieuses, médaillons de décors végétaux. Plusieurs statues de Vishnu sont placées dans les pavillons dont une monumentale. Ces statues sont toujours vénérées aujourd’hui.

Le temple apparaît majestueux au milieu d’un grand parc, qui autrefois était occupé par des habitations qui ont été déplacées.

Le premier niveau du temple est occupé par une galerie, qui borde cette terrasse qui mesure 208m x 175m.

La galerie est célèbre pour ses bas-reliefs : dans la galerie Ouest, ce sont des scènes des grandes épopées indiennes, Ramayana et Mahabarata : bataille de Lanka et bataille de Kurukshetra.

Dans la galerie Sud on assiste à une procession royale emmenée par Suryavarman II dans la partie gauche de la galerie.

Dans la partie droite de la galerie Sud c’est une scène de jugement dernier avec les enfers dans le registre inférieur et le paradis dans le registre supérieur et au milieu Yama, dieu des morts, décide du sort des pêcheurs avec deux assistants.

Enfin dans la galerie Est il s’agit encore d’une scène mythologique célèbre : le Barattage de l’Océan de lait dans lequel Vishnu joue un rôle essentiel.

La galerie Nord comporte des bas-reliefs décrivant les combats de Vishnu sous divers avatars contre le Mal. Ces bas-reliefs sont plus tardifs (XVIe siècle) et moins bien exécutés. Certaines scènes ne sont qu’ébauchées.

Entre 1e et 2e niveau du temple on traverse les galeries cruciformes qui délimitent quatre petites cours. Les piliers sont décorés d’apsaras (nymphes célestes) dansant. Et beaucoup de devatas aux costumes et coiffures très sophistiquées ornent les murs. On peut voir encore des traces de laque rouge qui recouvrait autrefois murs et piliers. Cette partie du temple est aussi appelée galerie aux mille Bouddhas, car les moines y avaient accumulé des centaines de statues de Bouddhas. Le temple a toujours été en activité au prix d’une conversion au bouddhisme, même si le culte vishnuiste y est encore pratiqué.

Le 2e niveau est une cour rectangulaire (120m x 98m) centrée par le sanctuaire principal auquel on accède par un escalier très raide : il était important d’arriver face au dieu dans une posture courbée et de redescendre de la même façon. Cette terrasse est aussi bordée de pavillons d’angle et de milieu de côté, reliés par une galerie. Beaucoup de devatas encore et de frontons et linteaux finement décorés ornent cet étage, qui était réservé aux notables.

Le 3e niveau, le saint des saints est une plate-forme carrée de 52m de côté, centrée par le sanctuaire principal qui accueillait autrefois une grande statue de Vishnu, regardant vers le couchant. Autour, en quinconce 4 tours plus petites reliées par un vestibule où on trouve des statues de Bouddha. C’est sur le sanctuaire central qu’on peut admirer les plus belles devatas (il y en a 62).








Du règne de Suryavarman II, citons encore deux temples Chau Say Tevoda et Thommanon, qui sont situés à peu de distance de la Porte de la Victoire à l’extérieur d’Angkor Thom : ils forment une paire, de même plan, érigés symétriquement sur l’axe reliant le Palais royal au Baray oriental. Ils datent tous deux de la première moitié du XIIe siècle. Les linteaux et frontons de Thommanon sont d’inspiration hindouiste, alors qu’à Chau Say Tevoda il y a davantage de scènes bouddhiques qui furent effacées par la suite. Chau Say Tevoda , qui aurait été construit après Thommanon, est une version plus élaborée de celui-ci, possédant 4 portails d’entrée aux points cardinaux, 2 bibliothèques et une chaussée surélevée sur des piliers vers l’est menant à une vaste terrasse cruciforme.

De la seconde moitié du XIIe siècle nous est parvenu un temple, de style Angkor Vat, peut-être datant du règne du père de Jayavarman VII, le Banteay Samre. Ce roi était un bouddhiste fervent et ce temple est bouddhique même si son iconographie est essentiellement hindouiste : on peut y voir de nombreuses scènes du Ramayana. C’est avec Angkor Vat le temple le plus intéressant pour son iconographie. La profusion de scènes et la beauté classique de l’ensemble sont les atouts majeurs de ce temple. Les nombreuses images du Bouddha ont toutes été effacées. Il fut entièrement restauré entre 1936 et 1944.

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Jayavarman VII a une quarantaine d’années lorsqu’il prend le pouvoir en 1181 et va régner 39 ans. Il doit reconstruire le pays ravagé par près d’un siècle de campagnes militaires. La reconstruction de la capitale Yasodharapura est menée tambour battant et donne lieu à d’importantes transformations. Les faubourgs font place à une enceinte fortifiée et à des douves : Angkor Thom, la « Grande Capitale », est née.

L’enceinte fortifiée est carrée, alignée sur les points cardinaux. Construite en latérite, elle comporte 5 portes. Celles-ci se trouvent au milieu de chaque côté du carré, plus la cinquième, appelée Porte de la Victoire, qui sort à l’Est, à gauche de la porte centrale: réservée au roi, elle est reliée au palais royal par une route. Chaque porte est décorée d’une tour à visages regardant dans les 4 directions. Ces tours, caractéristiques du règne de Jayavarman VII, sont l’objet de nombreuses interrogations. Que représentent ces visages au sourire serein ? Bouddha, le boddhisattva Lokeshvara, très vénéré par le roi, le roi lui-même ? Toutes les têtes sont différentes mais le sourire est le même. De chaque côté de la porte on voit un éléphant tricéphale, Erawan, monture du dieu suprême hindouiste, Indra.

L’enceinte est entourée de larges douves qu’on franchit par un pont devant chaque porte. Celui-ci comporte une balustrade faite, à gauche, de 54 divinités bienveillantes (devas) retenant dans leurs bras un immense serpent dont la tête est au début du pont, tandis qu’à droite, ce sont 54 divinités malveillantes (asuras) qui retiennent eux aussi le serpent : on retrouve le nombre magique de 108 divinités. La signification de cette mise en scène fait débat : les géants seraient des gardiens protecteurs de la ville qui empêcheraient ainsi l’accès de la cité royale aux esprits maléfiques. La porte sud, qui fut restaurée, est celle qui est dans le meilleur état.

De ce que fut Angkor Thom, on n’a presque aucun témoignage. L’architecture civile était faite en matériaux périssables (bois, bambou), y compris pour le palais royal. Il ne nous est donc rien parvenu et nous n’avons pas non plus ni d’écrits ni de représentations qui puissent nous donner une idée de ce qu’était la capitale. Quand l’ambassadeur de Chine, Zhou Daguan, visite Angkor à la fin du XIIIe siècle, il parle d’une ville sillonnée de canaux. On estime alors la population à 150 000 habitants.

Le palais royal fut probablement remanié à plusieurs reprises. Il ne nous reste que le portail d’accès à l’Est, qui donne sur les terrasses royales d’où le roi assistait à des cérémonies publiques. L’autre vestige est le bassin royal, situé au nord de l’emplacement du palais, probablement creusé sous le règne du roi Jayavarman VII. La forêt a repris possession du terrain.

Il faut imaginer une ville grouillante d’activités, occupée par de nombreux bâtiments et pavillons en bois précieux, le palais étant la plus somptueuse demeure. Seul le témoignage de Zhou Daguan peut redonner vie à la cité royale d’Angkor : « …le palais royal ainsi que les bâtiments officiels et demeures nobles font tous face à l’est (…) ; sur les bâtiments du palais ce sont toutes des tuiles d’argile jaunes. Linteaux et colonnes sont énormes : sur tous, des Bouddhas sont sculptés et peints. Les rois sont imposants. Les longues vérandas, les corridors couverts s’élancent et s’enchevêtrent, non sans quelque harmonie.» Le domaine du palais royal, délimité par une enceinte en latérite, mesure 600m de long pour 250m de large et comporte aussi des douves. Au centre de ce domaine se trouve un sanctuaire royal, le Phimeanakas.

Ce temple, qui signifie Temple céleste, est attribué par certains au roi Suryavarman I qui régna au début du XIe siècle mais il semble qu’il soit antérieur, au Xe siècle, remanié plus tard par Suryavarman I. Il s’agit d’une pyramide à degrés. Il est décoré de lions aux points cardinaux sur les escaliers et des éléphants aux angles. En haut des escaliers, une galerie, peut-être la première construite à Angkor. Le sanctuaire en grés, au sommet de la pyramide, est probablement un remodelage pour remplacer une structure plus ancienne.

Au sud du palais royal se trouve le temple du Baphuon, construit un siècle plus tôt. A l'est du palais royal, en sortant par le portail royal, on accède aux Terrasses royales d'où le souverain assistait à des cérémonies publiques et qui s'ouvrent sur la grande place royale. Deux grandes terrasses forment un élégant ensemble, la Terrasse des éléphants et la Terrasse du "Roi lépreux", sur 400 m de long.

La Terrasse des Eléphants est une longue terrasse surélevée dont le mur de soutènement est décoré d'éléphants ainsi que de lions et de Garudas. Ces sculptures, exposées aux éléments, sont très érodées.

Le perron nord de la Terrasse des Eléphants a été modifié et on a reconstruit un deuxième mur de soutènement devant le premier. Pourquoi ? On peut encore voir les décors du premier mur dans l'espace étroit qui sépare les deux murs: la signification de ces scènes sculptées demeure un mystère. On retrouve l'éléphant tricéphale, monture du dieu Indra tenant au bout de ses trompes une brassée de fleurs de lotus, le symbole du Bouddha.

La Terrasse du "Roi lépreux", qui fait suite au nord à la précédente, a probablement été construite en même temps. Elle présente aussi un double mur de soutènement avec des murs sculptés à l'intérieur comme à l'extérieur. On pense que les scènes intérieures représentent un royaume des enfers. Sur les murs extérieurs ce sont des scènes de mythologie hindouiste, beaucoup plus érodées que les sculptures des murs intérieurs, mieux protégées. Sur la terrasse trône au centre une statue du "Roi lépreux". Des taches, dues à une maladie de la pierre, seraient à l'origine de la croyance selon laquelle la statue représenterait le "Roi lépreux" (légende khmère du VIIIe siècle). Mais l'identité de la statue n'est pas certaine. Une inscription tardive (XIVe siècle) sur sa base indiquerait qu'il s'agit de Yama, dieu des morts. La terrasse était peut-être alors le lieu des crémations royales.

Jayavarman VII, comme ses prédécesseurs, a besoin de son temple d’Etat, le Bayon, qu’il fait construire au centre de la cité d’Angkor Thom, juste au sud du Baphuon. Le Bayon renouvelle le genre des temples montagnes. Le nom de Bayon dérive du sanskrit Vaijayant désignant le palais céleste du dieu Indra dont, selon une légende khmère, le Bayon est le reflet terrestre.

Jayavarman VII est bouddhiste et il dédie son temple d’Etat au Bouddha et au Boddhisattva de la Compassion, Lokeshvara. C’est peut-être le visage de celui-ci qui est représenté sur les tours dans les 4 directions cardinales, étendant ainsi sa compassion, ainsi que celle du roi, à l’ensemble du royaume. Cependant des stèles permettent de savoir que ce temple abritait un panthéon de dieux, représentatif de toutes les divinités vénérées dans le royaume. Le Bayon est le dernier des grands temples construits par un roi khmer. On attribue cet arrêt à l’introduction dans le pays du bouddhisme Theravada (bouddhisme dit des anciens) depuis le Siam voisin, dans lequel les temples dédiés au Bouddha sont beaucoup plus modestes. Le plan complexe du temple souleva beaucoup de questions. Les experts pensent que les remparts et les douves de la cité royale constituent l’enceinte du Bayon situé au centre de la ville. L’extrême complexité du Bayon (la plate-forme du 3e étage occupe tout l’espace des galeries du 2e étage, ce qui rend la circulation malaisée entre les deux) rend difficile la compréhension du bâtiment. Au total 54 tours à visages de tailles différentes composaient ce temple, il en demeure 37 aujourd’hui : l’effet est spectaculaire. La réaction anti-bouddhique, qui eut lieu après la mort de Jayavarman VII, entraina la disparition de toutes les statues de Bouddha (notamment un grand Bouddha assis en méditation retrouvé brisé en plusieurs morceaux dans un puits du temple) et l’effacement de tout visage du Bouddha sur les bas-reliefs. On ne sait pas vraiment quand, comment et pourquoi eut lieu cette flambée de violence anti-bouddhique. On retrouve, comme à Angkor Vat des apsaras dansant décorant les piliers et de jolies devatas. Le temple subit depuis 2020 d’importants travaux de restauration, entrainant la fermeture de l’accès au 3e étage.

Les galeries extérieures du 2e étage comportent des bas-reliefs aussi célèbres que ceux d’Angkor Vat. Alors que les galeries extérieures décrivent des évènements guerriers antérieurs à Jayavarman VII, les bas-reliefs des galeries intérieures, beaucoup plus sombres, sont consacrés à des scènes religieuses hindouistes.

Certains experts pensent que les bas-reliefs des galeries extérieures illustreraient la reconquête du royaume, alors envahi par les Chams, par le futur Jayavarman VII (notamment la bataille navale entre les Khmers et les Chams sur le lac Tonlé Sap).

On peut aussi voir de nombreuses scènes de vie quotidienne, mettant en scène, par exemple, des marchands chinois.

Le règne de Jayavarman VII se caractérise aussi par une mode, qui se dessine dans le dernier quart du XIIe siècle, et qui consiste à représenter un personnage sous l’aspect d’un dieu. Nombre de notables se sont fait représenter en boddhisattva Lokeshvara, très vénéré sous ce roi. Les femmes se faisaient représenter en Prajnaparamita, la mère mystique des Bouddhas. Jayavarman VII se fit représenter assis en méditation, avec un sourire bienveillant ressemblant à celui des visages des tours, le fameux sourire dit « du Bayon ».

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Jayavarman VII, grand bâtisseur, fait également ériger deux temples à ses ancêtres, Ta Prohm et le Preah Khan.

Ta Prohm, est dédié à la mémoire de sa mère, vénérée sous les traits de Prajnaparamita, la mère de tous les Bouddhas. C'est bien sûr un temple bouddhique. Laissé volontairement à peu près dans l'état de ruine qui était le sien lors de sa découverte, Ta Prohm est un des sites les plus romantiques d'Angkor. La fréquentation assidue des touristes a rendu cependant nécessaire une restauration, en cours depuis plusieurs années. Le temple, presque carré, était entouré d'une double ceinture de douves, entre lesquelles se trouvaient les cellules des moines puisque Ta Prohm était un monastère. L'entrée sur le site se fait par une salle dite des danseuses car décorée d'apsaras dansant. Le pavillon d'entrée comporte de nombreuses décorations bouddhiques (linteaux, panneaux). Ce temple est célèbre pour les gigantesques racines d'arbres (spung, figuier étrangleur)) qui enserrent les bâtiments et en menacent l'intégrité. Il fallut d'ailleurs en couper quelques-uns. En raison de la restauration, une grande partie du monastère ne se visite pas.

Le Preah Khan est le temple que Jayavarman VII dédia à son père. De culte bouddhique, son père y est représenté en boddhisattva Lokeshvara. Il est de plan similaire au Ta Prohm et ici aussi les arbres font un travail de sape impressionnant. Il comporte probablement parmi les plus belles devatas et de beaux frontons sculptés. On pense que ce vaste temple-cité a servi de capitale pendant les travaux de reconstruction et de fortification d'Angkor Thom qui se situe juste au sud de ce temple.

Près de Preah Khan un autre petit temple construit au début du XIIIe siècle mérite l’attention pour la richesse de son décor. C’est le Ta Som.

Construit dans le style du Bayon, il comprend deux enceintes entourant le temple lui-même :

L'enceinte extérieure, simple mur en latérite, est dotée uniquement de deux portes, est et ouest, surmontées de tours à quatre visages. Le temple lui-même possède une enceinte de 20 m par 30 m entourant la tour-sanctuaire centrale, un prasat de plan cruciforme à faux étages, et deux petites « bibliothèques » à l'est.

Un dernier temple de l’époque Jayavarman VII est le Banteay Kdei. C’est une version identique mais réduite de Ta Prohm ou Preah Khan. Les décors sont typiques de cette période (apsaras dansant, devatas..) et, comme dans tous les autres temples bouddhiques, les représentations du Bouddha ont été effacées. Lors de fouilles récentes, on a retrouvé de nombreuses statues de Bouddha brisées enterrées. Ce temple a conservé une terrasse cruciforme d’entrée en meilleur état avec ses nagas et ses lions que dans les deux autres temples.

Mais ces travaux ne se limitent pas à la seule capitale et les voies de communication sont réhabilitées à travers l’ensemble du pays, parsemées de ponts de pierre et de gîtes d’étape dans lesquels trône un buste du monarque afin de mieux représenter l’omniprésence du maître de l’empire et la centralisation des institutions. Il fait aussi construire pas moins de 102 hôpitaux dans la capitale et dans tout le pays. Le Ta Prom Kel est l’un d’entre eux. Chaque hôpital comportait plusieurs bâtiments en bois pour les soins aux patients et toujours un petit sanctuaire construit en pierre et dédié au boddhisattva de la Compassion, Lokeshvara. Ce sont ces petits sanctuaires qui nous sont parvenus.

Mais le décès de Jayavarman VII en 1220 va marquer un brutal coup d’arrêt à cette politique de prestige. Les travaux en cours seront interrompus et ceux qui reprendront après quelques années le seront avec des moyens réduits. Les nouvelles constructions de monuments ne seront plus que de pâles copies des existants sans réel esprit d’innovation. On ne sait pas exactement à quoi ou à qui attribuer la réaction anti-bouddhiste, qui se manifeste par la destruction presque systématique de toute représentation du Bouddha dans les temples de la période Jayavarman VII. Plus aucun grand temple ne sera construit dans les deux siècles et demi qu’il reste à la capitale Angkor à vivre.

Le fils de Jayavarman VII tente de conserver les territoires conquis par son père. Mais à l’est les Chams, alliés alors avec le Daï Viet, reconquièrent leurs territoires tandis qu’à l’ouest les Siamois commencent à prendre leur indépendance, à Chiang Rai avec le roi Mengraï et à Sukhothaï avec le roi Ramkhamheng. Son successeur, Jayavarman VIII revient au culte shivaïte (est-ce sous son règne qu'eut lieu la purge antibouddhiste ?) et doit faire face à la menace mongole, ceux-ci ayant pris le pouvoir en Chine sous le nom de dynastie Yuan. Son fils revient au bouddhisme mais au bouddhisme Theravada, celui pratiqué au Sri Lanka, en Birmanie et au Siam. Au début du XIVe siècle un nouveau pouvoir s’affirme dans le sud de la plaine du Chao Phraya, le royaume d’Ayutthaya, qui va devenir le royaume du Siam en absorbant très vite le petit royaume de Sukhothaï et qui mène des campagnes contre le royaume d’Angkor. Finalement Angkor perd définitivement son statut de capitale en 1431-1432 après une dernière défaite face aux Siamois qui occupent quelques années le site d’Angkor puis s’en désintéressent au profit d’Ayutthaya. La capitale khmère est déplacée au sud sur le site de Phnom Penh. Angkor Thom sombre alors dans l’oubli, absorbée par la végétation luxuriante. Quelques temples cependant conservent une activité, comme Angkor Vat qui comporte encore aujourd’hui une communauté monastique, installée dans de nouveaux bâtiments mais sur le site d’Angkor Vat. La ville ne sera redécouverte que dans les années 1860 par des explorateurs français qui remontaient le cours du Mékong.

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Pour terminer je voudrais vous donner quelques informations pratiques. Vous l’avez compris, nous avons été très chanceux de découvrir Angkor dans cette période post-covid où les frontières ne sont pas encore totalement rouvertes et les touristes peu nombreux.

Nous pouvons recommander chaudement notre hôtel, le Pavillon Indochine, petit hôtel de 20 chambres dans une maison traditionnelle à peu de distance de la plupart des sites à visiter. Simple, très propre, très calme avec une jolie piscine pour vous délasser avec avoir crapahuté dans les temples. Le personnel est charmant.

Pour vos déplacements sur le site, privilégiez les tuk-tuk, d’autant que, depuis le covid, le gouvernement a fait des travaux et déplacé loin des sites les parkings, une très bonne initiative. Enfin, le premier jour, vous devrez prendre votre forfait visite au seul bureau qui se situe au centre de Siem Reap : nous vous conseillons un minimum de 3 jours sur place, 5 c’est mieux. Les forfaits s’entendent visites tous les jours. Nous avons choisi un forfait de 7 jours de visite utilisable pendant un mois, ce qui nous a permis de faire autre chose durant une journée et ce n’est pas plus cher. Dernier conseil : même si vous avez avec vous l’excellent guide de Michel Petrotchenko «le Guide des temples d’Angkor», une bible, ne négligez pas de prendre un guide en chair et en os qui vous montrera ce qu’il faut voir car, même avec le livre en main, si bien fait soit-il, il n’est pas toujours facile de trouver les détails soulignés.