Jayavarman VII a une quarantaine d’années lorsqu’il prend le pouvoir en 1181 et va régner 39 ans. Il doit reconstruire le pays ravagé par près d’un siècle de campagnes militaires. La reconstruction de la capitale Yasodharapura est menée tambour battant et donne lieu à d’importantes transformations. Les faubourgs font place à une enceinte fortifiée et à des douves : Angkor Thom, la « Grande Capitale », est née.
L’enceinte fortifiée est carrée, alignée sur les points cardinaux. Construite en latérite, elle comporte 5 portes. Celles-ci se trouvent au milieu de chaque côté du carré, plus la cinquième, appelée Porte de la Victoire, qui sort à l’Est, à gauche de la porte centrale: réservée au roi, elle est reliée au palais royal par une route. Chaque porte est décorée d’une tour à visages regardant dans les 4 directions. Ces tours, caractéristiques du règne de Jayavarman VII, sont l’objet de nombreuses interrogations. Que représentent ces visages au sourire serein ? Bouddha, le boddhisattva Lokeshvara, très vénéré par le roi, le roi lui-même ? Toutes les têtes sont différentes mais le sourire est le même. De chaque côté de la porte on voit un éléphant tricéphale, Erawan, monture du dieu suprême hindouiste, Indra.
L’enceinte est entourée de larges douves qu’on franchit par un pont devant chaque porte. Celui-ci comporte une balustrade faite, à gauche, de 54 divinités bienveillantes (devas) retenant dans leurs bras un immense serpent dont la tête est au début du pont, tandis qu’à droite, ce sont 54 divinités malveillantes (asuras) qui retiennent eux aussi le serpent : on retrouve le nombre magique de 108 divinités. La signification de cette mise en scène fait débat : les géants seraient des gardiens protecteurs de la ville qui empêcheraient ainsi l’accès de la cité royale aux esprits maléfiques. La porte sud, qui fut restaurée, est celle qui est dans le meilleur état.
De ce que fut Angkor Thom, on n’a presque aucun témoignage. L’architecture civile était faite en matériaux périssables (bois, bambou), y compris pour le palais royal. Il ne nous est donc rien parvenu et nous n’avons pas non plus ni d’écrits ni de représentations qui puissent nous donner une idée de ce qu’était la capitale. Quand l’ambassadeur de Chine, Zhou Daguan, visite Angkor à la fin du XIIIe siècle, il parle d’une ville sillonnée de canaux. On estime alors la population à 150 000 habitants.
Le palais royal fut probablement remanié à plusieurs reprises. Il ne nous reste que le portail d’accès à l’Est, qui donne sur les terrasses royales d’où le roi assistait à des cérémonies publiques. L’autre vestige est le bassin royal, situé au nord de l’emplacement du palais, probablement creusé sous le règne du roi Jayavarman VII. La forêt a repris possession du terrain.
Il faut imaginer une ville grouillante d’activités, occupée par de nombreux bâtiments et pavillons en bois précieux, le palais étant la plus somptueuse demeure. Seul le témoignage de Zhou Daguan peut redonner vie à la cité royale d’Angkor : « …le palais royal ainsi que les bâtiments officiels et demeures nobles font tous face à l’est (…) ; sur les bâtiments du palais ce sont toutes des tuiles d’argile jaunes. Linteaux et colonnes sont énormes : sur tous, des Bouddhas sont sculptés et peints. Les rois sont imposants. Les longues vérandas, les corridors couverts s’élancent et s’enchevêtrent, non sans quelque harmonie.» Le domaine du palais royal, délimité par une enceinte en latérite, mesure 600m de long pour 250m de large et comporte aussi des douves. Au centre de ce domaine se trouve un sanctuaire royal, le Phimeanakas.
Ce temple, qui signifie Temple céleste, est attribué par certains au roi Suryavarman I qui régna au début du XIe siècle mais il semble qu’il soit antérieur, au Xe siècle, remanié plus tard par Suryavarman I. Il s’agit d’une pyramide à degrés. Il est décoré de lions aux points cardinaux sur les escaliers et des éléphants aux angles. En haut des escaliers, une galerie, peut-être la première construite à Angkor. Le sanctuaire en grés, au sommet de la pyramide, est probablement un remodelage pour remplacer une structure plus ancienne.
Au sud du palais royal se trouve le temple du Baphuon, construit un siècle plus tôt. A l'est du palais royal, en sortant par le portail royal, on accède aux Terrasses royales d'où le souverain assistait à des cérémonies publiques et qui s'ouvrent sur la grande place royale. Deux grandes terrasses forment un élégant ensemble, la Terrasse des éléphants et la Terrasse du "Roi lépreux", sur 400 m de long.
La Terrasse des Eléphants est une longue terrasse surélevée dont le mur de soutènement est décoré d'éléphants ainsi que de lions et de Garudas. Ces sculptures, exposées aux éléments, sont très érodées.
Le perron nord de la Terrasse des Eléphants a été modifié et on a reconstruit un deuxième mur de soutènement devant le premier. Pourquoi ? On peut encore voir les décors du premier mur dans l'espace étroit qui sépare les deux murs: la signification de ces scènes sculptées demeure un mystère. On retrouve l'éléphant tricéphale, monture du dieu Indra tenant au bout de ses trompes une brassée de fleurs de lotus, le symbole du Bouddha.
La Terrasse du "Roi lépreux", qui fait suite au nord à la précédente, a probablement été construite en même temps. Elle présente aussi un double mur de soutènement avec des murs sculptés à l'intérieur comme à l'extérieur. On pense que les scènes intérieures représentent un royaume des enfers. Sur les murs extérieurs ce sont des scènes de mythologie hindouiste, beaucoup plus érodées que les sculptures des murs intérieurs, mieux protégées. Sur la terrasse trône au centre une statue du "Roi lépreux". Des taches, dues à une maladie de la pierre, seraient à l'origine de la croyance selon laquelle la statue représenterait le "Roi lépreux" (légende khmère du VIIIe siècle). Mais l'identité de la statue n'est pas certaine. Une inscription tardive (XIVe siècle) sur sa base indiquerait qu'il s'agit de Yama, dieu des morts. La terrasse était peut-être alors le lieu des crémations royales.
Jayavarman VII, comme ses prédécesseurs, a besoin de son temple d’Etat, le Bayon, qu’il fait construire au centre de la cité d’Angkor Thom, juste au sud du Baphuon. Le Bayon renouvelle le genre des temples montagnes. Le nom de Bayon dérive du sanskrit Vaijayant désignant le palais céleste du dieu Indra dont, selon une légende khmère, le Bayon est le reflet terrestre.
Jayavarman VII est bouddhiste et il dédie son temple d’Etat au Bouddha et au Boddhisattva de la Compassion, Lokeshvara. C’est peut-être le visage de celui-ci qui est représenté sur les tours dans les 4 directions cardinales, étendant ainsi sa compassion, ainsi que celle du roi, à l’ensemble du royaume. Cependant des stèles permettent de savoir que ce temple abritait un panthéon de dieux, représentatif de toutes les divinités vénérées dans le royaume. Le Bayon est le dernier des grands temples construits par un roi khmer. On attribue cet arrêt à l’introduction dans le pays du bouddhisme Theravada (bouddhisme dit des anciens) depuis le Siam voisin, dans lequel les temples dédiés au Bouddha sont beaucoup plus modestes. Le plan complexe du temple souleva beaucoup de questions. Les experts pensent que les remparts et les douves de la cité royale constituent l’enceinte du Bayon situé au centre de la ville. L’extrême complexité du Bayon (la plate-forme du 3e étage occupe tout l’espace des galeries du 2e étage, ce qui rend la circulation malaisée entre les deux) rend difficile la compréhension du bâtiment. Au total 54 tours à visages de tailles différentes composaient ce temple, il en demeure 37 aujourd’hui : l’effet est spectaculaire. La réaction anti-bouddhique, qui eut lieu après la mort de Jayavarman VII, entraina la disparition de toutes les statues de Bouddha (notamment un grand Bouddha assis en méditation retrouvé brisé en plusieurs morceaux dans un puits du temple) et l’effacement de tout visage du Bouddha sur les bas-reliefs. On ne sait pas vraiment quand, comment et pourquoi eut lieu cette flambée de violence anti-bouddhique. On retrouve, comme à Angkor Vat des apsaras dansant décorant les piliers et de jolies devatas. Le temple subit depuis 2020 d’importants travaux de restauration, entrainant la fermeture de l’accès au 3e étage.
Les galeries extérieures du 2e étage comportent des bas-reliefs aussi célèbres que ceux d’Angkor Vat. Alors que les galeries extérieures décrivent des évènements guerriers antérieurs à Jayavarman VII, les bas-reliefs des galeries intérieures, beaucoup plus sombres, sont consacrés à des scènes religieuses hindouistes.
Certains experts pensent que les bas-reliefs des galeries extérieures illustreraient la reconquête du royaume, alors envahi par les Chams, par le futur Jayavarman VII (notamment la bataille navale entre les Khmers et les Chams sur le lac Tonlé Sap).
On peut aussi voir de nombreuses scènes de vie quotidienne, mettant en scène, par exemple, des marchands chinois.
Le règne de Jayavarman VII se caractérise aussi par une mode, qui se dessine dans le dernier quart du XIIe siècle, et qui consiste à représenter un personnage sous l’aspect d’un dieu. Nombre de notables se sont fait représenter en boddhisattva Lokeshvara, très vénéré sous ce roi. Les femmes se faisaient représenter en Prajnaparamita, la mère mystique des Bouddhas. Jayavarman VII se fit représenter assis en méditation, avec un sourire bienveillant ressemblant à celui des visages des tours, le fameux sourire dit « du Bayon ».