Nous partons découvrir l'état le plus occidental de l'Inde, le Gujarat, frontalier du Pakistan et du Rajasthan et bordé par la mer d'Arabie.
Février 2020
9 jours
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Le Gujarat est l’état indien le plus occidental, frontalier du Pakistan au nord et du Rajasthan au nord-est, bordé par la mer d’Arabie à l’ouest. D’une superficie environ le tiers de la France, sa population est de 60 millions d’habitants. Sa capitale Gandhinagar fut créée dans les années 1960 à la gloire du père de cet état, le Mahatma Gandhi, mais la principale ville et ancienne capitale est Ahmedabad, près de 6,5 millions d’habitants, fondée au XVe siècle par le Shah Ahmed II qui avait hérité du sultanat du Gujarat.

La carte indique notre périple au départ d'Ahmedabad

Cette région est l’une des plus anciennement peuplée du monde puisque dès le 3e millénaire avant notre ère y fleurissait la civilisation du fleuve Indus, civilisation de l’âge du bronze, dont la capitale Harappa faisait commerce déjà avec l’occident et l’Afrique notamment pour des bijoux en coquillages et des textiles. Cette civilisation occupait une grande partie sud du Pakistan actuel et le Gujarat ainsi qu’une partie ouest du Rajasthan. C’est la civilisation antique la plus étendue. On connait aujourd’hui 1052 sites de cette civilisation majoritairement au Pakistan (17 sites au Gujarat). On sait peu de choses de la population, de sa langue et cette civilisation brillante disparut mystérieusement au cours du XIXe siècle avant notre ère : des modifications écologiques, en particulier l’assèchement d’une partie du fleuve et son changement de lit pourrait en être l’origine.

La région va connaître de nombreuses périodes d’invasions de peuples venus du nord : Grecs d’Alexandre le Grand, qui s’arrêteront à l’Indus, Kouchans, Huns blancs. Plusieurs dynasties indiennes l’administreront dans les derniers siècles avant notre ère et le premier millénaire de notre ère : Maurya, Solanki, Gupta, Maitraka, Gurjara-Pratihara, Chalukya, Vaguela qui donneront de nombreux temples hindouistes.

Le Gujarat fut ensuite conquis par les musulmans venus de Perse au XIIIe siècle. Le sultanat de Dehli du XIIIe au XVe siècle puis le sultanat Gujarat aux XVe-XVIe siècles. L'empire moghol dominera la région du XVIe au milieu du XVIIIe siècle. Ahmedabad garde de nombreux monuments de cette époque.

Au XVIe siècle les Portugais y prirent pied et la Compagnie britannique des Indes Orientales y établit son premier comptoir en 1614. Au XVIIIe siècle, le Gujarat passa sous l’influence de l’empire marathe, un empire hindouiste du centre du continent indien. La Compagnie britannique des Indes étendit son pouvoir et au début du XIXe siècle mena 2 guerres contre l’empire marathe qui s’effondra. Le Gujarat passe alors sous protectorat britannique en 1818.

Après l’indépendance en 1947, le Gujarat fut séparé en 1956 de l’état de Bombay. Les frontières de l’état furent fixées en 1960 selon une séparation linguistique. Depuis des violences récurrentes entre hindouistes et musulmans enflamment périodiquement l’état.

Le Gujarat est l'un des États les plus prospères, ayant un PNB par habitant au-dessus de la moyenne de l'Inde. Les Gujaratis ont la réputation d'être de talentueux commerçants et financiers. Les principales ressources de l'État sont le coton, les arachides, les dattes, la canne à sucre, le pétrole et le sel. Surat, une ville du golfe de Cambay, est un important centre de diamantaires. La plupart du commerce de diamants est contrôlé par une poignée de familles de religion jaïne. Dans le Golfe de Cambay, à 50 kilomètres au sud de Bhavnagar, se trouve le plus grand chantier naval du monde, Alang Ship Recycling Yard. Il s'agit aussi d'un des plus grands ports de démantèlement de bateaux au monde. Le Gujarat est aussi le premier producteur de lait en Inde. Près de la ville de Anand se trouve la laiterie de l'entreprise Amul, l'un des plus grands producteurs de lait au monde.

L'institution universitaire Indian Institute of Management, située à Ahmedabad, a été classée en 2000 comme la meilleure en Asie dans sa catégorie par le magazine Asiaweek.

Sa langue locale et officielle est le gujarâtî. Environ 89 % de la population du Gujarat est hindouiste ; les Musulmans représentent 9 % de la population, les Jaïns 1 %, les Sikhs 0,1 %, les Chrétiens 0,5 %. Parmi les Hindous, la divinité de Krishna est adorée dans tout le Gujarat. Le Gujarat, état fortement industrialisé, attire beaucoup d'Indiens, ce qui a favorisé une multiculturalité des grandes villes tant sur le plan linguistique que culturel. De nos jours, d'autres langues, tels le Bengali et le Tamoul commencent à former une communauté linguistique considérable dans les milieux urbains.

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Notre première journée nous emmène à la rencontre d'une des spécialités de cette région : les textiles. Le plus souvent en coton dont le Gujarat est l'un des premiers producteurs depuis le tout début de son histoire. Une maison patricienne, la maison Sarabhai, a été transformée par ses derniers propriétaires en une fondation privée pour y exposer les textiles de la région mais aussi d'autres régions d'Inde. Les Indiens sont connus de tout temps pour la beauté de leurs textiles et c'est une réputation qui n'est pas usurpée.

Ce musée est le plus grand musée des textiles d'Inde. Les collections magnifiques sont exposées dans cette maison traditionnelle de style haveli où les sculptures des boiseries servent d'écrin aux collections. En plus le parc entourant la maison ajoute à la magie des lieux. On retrouve l'art de vivre persan.

Outre les textiles on peut admirer une belle collection de statues hindouistes de bronze du sud de l'Inde de toute beauté.

L'après-midi fut l'occasion d'une plongée dans un lointain passé remontant au 3e millénaire avant notre ère. A 75 km au sud-ouest d'Ahmedabad, au fond du golfe de Khambhat qui donne dans la mer d'Arabie ou d'Oman, en 1954 fut découvert le site de Lothal, ville portuaire de première importance à l’époque reculée de la civilisation de l’Indus. Ce sont certainement les installations portuaires les plus vastes du monde qui existaient à cette époque, plus importantes que celles de la civilisation pharaonique égyptienne ou de la civilisation sumérienne.

On peut encore voir le bassin naval et les entrepôts, la ville haute ou acropole où vivait la classe dirigeante et la ville basse où vivaient les artisans, commerçants et basses classes de la société. La ville est remarquable par la modernité de ses infrastructures comme le réseau complexe d’égouts souterrain avec son système de filtration des effluents. La ville était quadrillée de rues orientées nord-sud pour les commerçants et est-ouest pour les résidents. Les installations portuaires étaient protégées des fortes marées par des écluses. Dans l’acropole chaque maison avait ses bains privés pavés avec un système de filtration des eaux usées par charbon et sable, ensuite reliés aux égouts. Et tout cela bien avant les Romains !


Cette ville était un centre industriel important de fabrication de perles de pierres semi-précieuses, d’or ou de cuivre exportées vers l’ouest et de poterie dite « poterie rouge » faite d’un mélange d’argile et de mica.

Et pour finir la journée ou plutôt pour passer une bonne nuit nous sommes accueillis dans l'ancien palais du maharaja de Bhavnagar transformé en hôtel. La classe, quoi ! Dommage que nous soyons partis au petit matin. Nous n'avons guère profité de ce palais.

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Bien que ne représentant qu’une très faible partie de la population, le jaïnisme est une religion importante avec de nombreux sites au Gujarat. Le jaïnisme, né à peu près en même temps que le bouddhisme, a plusieurs points communs avec lui et emprunte aussi des éléments à l’hindouisme. La grande différence avec eux, c’est l’ascétisme sévère et total auquel se soumettent les moines et nonnes ainsi que le principe intangible de non-violence absolue et de respect de toute vie. Les Jaïns ont toujours été présents au Gujarat et leur plus glorieux représentant était le Mahatma Gandhi. Leurs temples sont édifiés sur des collines, respectant le principe de s’élever, physiquement et mentalement, en montant vers l’enceinte sacrée. Comme dans l’hindouisme et le bouddhisme, l’homme est pris dans le cercle infernal des réincarnations sans fin et ne peut s’en libérer qu’en abandonnant la vie mondaine et en méditant pour se libérer de la peur de la souffrance et de la mort. Lorsqu’il parvient à cette libération, il atteint l’éveil, se voit délivré des réincarnations et peut atteindre le nirvana c’est-à-dire l’extinction finale. Les Jaïns reconnaissent 24 « êtres éveillés » appelés Tirthankaras qui leur ont enseignés les principes à respecter. Leurs temples sont dédiés à ces Tirthankaras.

Il y a plusieurs cités-temples au Gujarat, la plus imposante étant Palitana. C’est un ensemble de temples, palais et forteresses établis sur une colline et qui culmine à 2000 mètres. Des centaines de temples (863) couvrent la colline, pour la plupart situés dans des enceintes closes de remparts avec des palais (Il y a 9 enceintes). L’impression est prodigieuse, l’œil ne sachant où se poser. L’ascension se mérite : il faut gravir près de 4000 marches de pierre, deux heures et demie sont nécessaires. Mieux vaut commencer au petit matin.

Plusieurs temples sont particulièrement vénérés notamment celui dédié au premier des « éveillés », Adinath. Les temples fourmillent de décors sculptés. Ces temples ont été financés par de riches marchands jaïns et leur construction s’est échelonnée sur plus de 900 ans.

La journée s'est poursuivie par un peu plus de 6 heures de route pour faire 180 km ! Les routes sont dans un état catastrophique. Jamais vu ça même en Afrique où les pistes étaient en meilleur état. On est arrivés complètement cassés. Et demain lever encore aux aurores pour partir en safari. Souvenir, souvenir !

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Le parc national de Sasan Gir au Gujarat est le seul parc en dehors de l'Afrique où on peut voir des lions. L'habitat du lion d'Asie est une garrigue sèche et une forêt de feuillus ouverte. A la fin du XIXe siècle seuls 12 lions étaient encore vivants en Inde et c'était dans cette forêt, ayant été décimés par la chasse. Aujourd'hui en 2015 on comptait 523 lions et plus de 300 léopards. Malgré cela nous n'avons pas eu la chance d'en croiser un ! C'est la loi des safaris. On n'a pas toujours de la chance. On s'est contentés de paons, cerfs et daims, singes et beaux paysages.

Poursuivant notre route, nous sommes arrivés à la mi-journée à Junagadh, l'une des plus anciennes cités du Gujarat. Les nombreux monuments qui la jalonnent racontent une histoire très longue et complexe. La ville de Junagadh, ainsi que le mont Girnar qui la domine, apparaissent dans des histoires et des légendes d'il y a longtemps, en commençant par des associations avec Krishna pendant sa vie dans la province de Saurashtra. Il semblerait que le centre principal de la ville, le fort Uparkot, ait été construit par Chandragupta de l'empire Maurya vers 320 avant JC. Des preuves archéologiques le confirment, montrant que Uparkot a été habité en continu depuis le 3e siècle avant JC. D'où le nom de Junagadh, qui signifie «ancien fort». Sous les Maurya, Junagadh était une capitale régionale où le roi Ashoka avait placé là des édits de pierre, encore visibles aujourd'hui. Elle perd son rôle de capitale au Ve siècle et devient une cité secondaire jusqu ‘au XVIIIe siècle où elle redevient capitale d’un sultanat indépendant. En 1947 le choix d’intégrer l’Inde ou le Pakistan voisin fut controversé et donna lieu à des violences entre communautés. Finalement un plébiscite pour l’intégration à l’Inde remporta une écrasante majorité. Malheureusement cette ville est en très mauvais état, la préservation des monuments n'étant manifestement pas la priorité des autorités locales. On le voit bien au mausolée Mahabat Maqbara, mausolée d'un vizir de l'époque moghole, qui fait illusion de loin mais montre son état de délabrement quand on s'en approche.

Sur la route entre Junagadh et Gondal nous nous arrêtons à d'anciennes grottes bouddhiques, les grottes Khambalida. Parmi ces grottes celle centrale est appelée grotte Chaitya et contient un stupa usé. Deux sculptures de Boddhisattva flanquent l’entrée de la grotte. Les grottes sont censées avoir vu le jour à la période de la fin de l’empire kouchan (4e siècle). Là encore, malgré un panneau à l'entrée, le site ne semble pas entretenu correctement : l'auvent en béton fait pour protéger la façade de l'érosion est de très mauvais goût.

Partout on est frappé par la saleté de ce pays, villes et campagnes sont jonchées de détritus, sacs plastiques qui s'accrochent aux branches d'arbres sans que personne ne s'en émeuve. Les gens vivent à même le sol dans la poussière et les déchets. On n'a rencontré cela nulle part ailleurs. En Afrique les villages sont propres. On peut croiser une décharge mais on ne trouve pas des ordures disséminées partout. Seuls les champs cultivés sont bien entretenus. Alors voici deux photos pour positiver mon propos amer: à gauche un champ de blé et à droite un autre de coton.

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Le district de Kutch est la partie nord du Gujarat, frontalière du Pakistan. Kutch signifie quelque chose qui est parfois humide et parfois sec. Une grande partie de ce district est connu sous le nom de Rann du Kutch, zone humide peu profonde submergée pendant la saison de la mousson et devenant sèche le reste de l’année.

Le Rann est connu pour son écosystème avec ses marais salants et ses prairies importantes de Banni aux zones humides marécageuses saisonnières, qui forment la ceinture extérieure du Rann. Bhuj est la capitale de cette région. Elle dut sa richesse au commerce maritime avec le Golfe persique et l’Afrique de l’Est, en particulier grâce au trafic d’esclaves organisé par les musulmans à partir du XIe siècle et jusqu’au XIXe siècle.

Mais avant d’y arriver nous avons fait une courte halte à Rajkot. La ville est connue pour avoir été la ville où Gandhi fit ses études secondaires. C’est aussi là que se trouve une des écoles les plus sélectes du pays qui, à sa création, était exclusivement réservée au fils et filles des maharajas ( et il y avait plus de 200 maharajas rien qu’au Gujarat !). Aujourd’hui c’est toujours une école huppée réservée à la haute société par les écolages élevés pratiqués. La ville a la réputation d’être l’une des plus propres d’Inde et c’est vrai qu’on y voit moins d’ordures qu’ailleurs. Nous nous sommes arrêtés au musée Watson, créé en 1888 par un colonel anglais passionné d’archéologie. On peut y voir une belle collection de statues hindouistes.

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Une cinquantaine de kilomètres au nord de Bhuj, dans ces terres au bord des zones immergées à la saison des pluies vivent de nombreuses tribus qui ont des traditions textiles intéressantes. Pour y arriver nous traversons le tropique du Cancer.

Qu’il s’agisse de tissus teintés, peints, brodés de différentes techniques, qu’ils soient en coton ou mélangés soie et coton, ces pièces dont toutes richement colorées, peut-être pour contre-balancer le côté terne de la nature dans cette région. Les Indiens sont connus pour leur goût des couleurs « flashy ».

Le Kutch est habité par différentes tribus ethniques. On peut encore y trouver des nomades, semi-nomades et fixes. Les Ahirs constituent un des groupes principaux.

Nous sommes accueillis dans un village « modèle pour touristes » un peu trop propret aux maisons rondes décorées de motifs similaires à ceux qu’on retrouve sur les tissus. On peut y voir les femmes broder.

Une présentation des différentes techniques nous permet de mesurer le travail de ces femmes.

Dans un autre village on nous montre l’utilisation d’un rouet pour filer le coton et un métier à tisser, techniques universelles.

De retour à Bhuj nous allons faire une petite visite au musée du Kutch: honnêtement peu intéressant: très vieillot, pas d’électricité, et très sale ! Heureusement quelques belles pièces sauvent la mauvaise impression.

En fin de journée nous allons visiter le centre-ville avec les palais des maharajahs locaux, le Aina mahal (l’ancien palais) du XVe siècle et le Pragmahal du milieu du XVIIIe siècle. Tous deux, voisins, sont à l’entrée du bazar. Et là terrible déconvenue: un puissant tremblement de terre en 2001 a fortement endommagé ces bâtiments, qui n’ont pas été ni consolidés ni restaurés et qui tombent en ruines dans l’indifférence générale. C’est une tristesse absolue.

Le palais Aina mahal, qui fut certainement splendide 
Le Prag mahal de style renaissance italienne 

Une triste impression de cette cité qui fut importante mais actuellement sur le déclin.

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Deux jours vont nous ramener à Ahmedabad par une route éreintante au premier sens du terme. Les « bumps » ou gendarmes couchés indiens sont redoutables et il y en a des milliers !

Un premier arrêt au village d'Ajrakhpur nous permet de rencontrer une communauté musulmane ismaélienne qui pratique l’impression sur tissu par bloc pochoir en bois. L'impression par bloc d'Ajrakh est mondialement connue grâce à la communauté Khatri qui habite à Ajrakhpur et s'y serait installée venant de Sindh il y a 400 ans. Il s'agit d'un procédé d'impression du dessin couleur par couleur en lavant le tissu à chaque ajout de couleur jusqu'à ce que la couleur soit juste. Une centaine de familles sont impliquées dans ce long et laborieux processus de création de cette impression dite "Ajrakh", mot qui dérive du mot arabe pour désigner l'indigo. La teinture indigo provient de la macération de fleurs d'indigo dans du jus de datte. Cette plante était la plus cultivée dans cette région avant un autre gros tremblement de terre en 1956. La plupart des artisans d'Ajrakhpur viennent des villages voisins dévastés par le tremblement de terre de 2001 dans lequel ils avaient tout perdu. Ces artisans sont dirigés par la famille Sufiyan Ismail Khatri dont l'art remonte à plus de 400 ans.

Cette technique complexe nécessite 16 opérations sur un tissu pour obtenir une pièce terminée et n'utilise que des colorants naturels issus de pigments végétaux. Il faut 2 à 3 semaines, selon la complexité du motif et le nombre de ses couleurs, pour réaliser le travail complet. La pièce de tissu travaillée mesure environ 7 mètres et est tendue et fixée sur une table par des épingles. Dans un premier temps sur le tissu blanc on applique au pochoir un produit transparent (une gomme) qui empêchera l’indigo de se fixer à certains endroits. On fait sécher. Puis on réalise les motifs avec des pochoirs en bois qu’on imbibe de couleur et qu’on applique sur le tissu. On travaille chaque couleur du motif séparément. Quand l’ensemble du motif est réalisé, le tissu est détaché et mis à sécher au soleil. Ensuite il est lavé et mis à macérer dans la teinture indigo. Puis le tissu sera lavé plusieurs fois pour éliminer l’excès de teinture. Ainsi se révèle le produit fini. Un travail de romain !

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Modhera, petite bourgade proche de Patan, était une ville florissante sous la dynastie des Solanki qui régna 3 siècles sur le Gujarat, du Xe au XIIIe siècle et donna 11 rajas. Le royaume s'effondra sous la pression musulmane et le Gujarat devint partie intégrante du sultanat de Delhi . On sait peu de choses de son histoire. Mais de cette époque nous est parvenu un brillant témoignage architectural du raffinement des Solanki : le temple hindou dédié au dieu du soleil, le dieu Surya.

Le temple de Surya présente une architecture unique en son genre. Il se compose de trois éléments distincts alignés dans un même axe :

· Rama Kunda ou Surya Kunda (littéralement « bassin de Rama » ou « bassin de Surya ») : grand réservoir d'eau (baoli) rectangulaire, de 50 par 20 mètres de côté, il était utilisé par les dévots pour effectuer les ablutions rituelles avec les prières. 108 sanctuaires miniatures sont sculptés à l'extérieur et à l'intérieur du bassin, un nombre considéré de bon augure par les hindous. Un grand torana, dont il ne reste aujourd'hui que deux piliers monumentaux, ouvrait sur le Sabha Mandapa.

· Sabha Mandapa : grand hall utilisé pour les rassemblements religieux ou les conférences, conçu sur un plan octogonal et ouvert sur les quatre côtés, il est orné de 52 piliers délicatement sculptés. Les sculptures représentent des scènes du Ramayana, du Mahabharata et de la vie de Krishna. Il faut traverser ce bâtiment pour rejoindre le Guda Mandapa.

· Guda Mandapa : saint des saints construit sur une base en forme de lotus, il abritait la statue de Surya. Ce bâtiment a été édifié de façon que les premiers rayons du soleil, à l'équinoxe, illuminent le visage, orné de pierreries, de Surya. L'idole, aujourd'hui disparue, aurait été dérobée lors de la mise à sac de la région par les musulmans. Le sanctuaire est entouré d'un corridor de déambulation. Les murs sont creusés de douze niches dans lesquelles sont représentés les douze Adityas (fils de la déesse Aditi qui désigne le soleil personnifié en douze aspects radieux ou positions célestes) et décorés de sculptures mettant en scène la vie humaine, de la naissance à la mort.

Le temple a beaucoup souffert du pillage et des catastrophes naturelles (séisme), mais ce qui est aujourd'hui visible laisse deviner sa beauté passée. Toutes les façades et les piliers sont décorés de délicates sculptures, dieux et déesses, bêtes et fleurs ainsi que des sculptures érotiques traditionnelles.

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Poursuivant notre route, nous faisons étape à Patan, à une centaine de kilomètres au nord d’Ahmedabad. Patan fut capitale du Gujarat sous la domination des Solankis entre les Xe et XIIIe siècles sous le nom d’Anahilwada. C'est un centre de tissage très spécial et très apprécié de somptueux tissus destinés aux grandes occasions: les patolas ou double ikats.

L'ikat est une technique de tissage commune à plusieurs cultures. C'est probablement l'une des plus anciennes formes de décoration textile qui existent. C'est une méthode qui consiste à teindre les fils, de chaine seuls s'il s'agit de simple ikat ou fils de chaine et fils de trame s'il s'agit de double ikat, avec plusieurs couleurs, préfigurant le dessin qui se réalisera plus tard lors du tissage. Ainsi lorsque les fils de chaine sont tendus sur le métier, on peut déjà apercevoir le dessin qu'on obtiendra à la fin. En simple ikat le fil de trame est uni. En double ikat le fil de trame dessine lui aussi le dessin. La difficulté est double : bien programmer la teinture des fils selon un schéma précis et bien positionner le fil de trame lors du tissage. Les pays où cette technique est la plus utilisée sont l'Inde, l'Indonésie et le Japon. On réalise aussi des ikats simples en Amérique du Sud (Argentine, Bolivie, Equateur, Guatemala et Mexique). Le double ikat fait à Patan est le plus compliqué par les motifs dessinés. Il existe 23 motifs répertoriés. Le double ikat est populaire en Inde pas uniquement au Gujarat, mais aussi au Telangana, Andhra Pradesh et Orissa. Voici une vidéo qui montre les différentes étapes depuis la préparation des fils, le montage sur le métier et le tissage qui demande deux personnes. Le processus complet demande un mois de travail pour produire un sari qui mesure 1,2 mètre de large et 6 à 7 mètres de long.

Les patolas de Patan sont des tissus de soie tissés en double ikat dont les motifs sont toujours géométriques. La soie patola est destinée aux plus beaux saris, comme les saris de mariage qui se passent souvent de mère en fille. Cette perfection a un coût bien sûr : il faut compter de 50000 roupies pour les plus simples (environ 650 €) à 80000 (1030 €) pour les plus compliqués, ce qui est une petite fortune !

Une autre technique, moins prestigieuse mais intéressante aussi de tissage est pratiquée à Patan : le tissage mashru. Le mashru est un style de tissage unique, réalisé sur des métiers à tisser enfoncés dans le sol, et qui sont en soie d'un côté et en coton de l'autre.La soie scintillante se porte à l'extérieur du vêtement et le coton est à l'intérieur. Ce tissage est ancien et faisait l'objet d'un commerce avec les pays arabes. Mashru est un mot arabe qui signifie "permis". On pense que ce textile a trouvé son nom à l'époque où les hommes musulmans n'étaient pas autorisés à porter directement de la soie sur leur corps, celle-ci étant considérée comme sensuelle. Puisque le corps est en contact avec du coton et que la soie n'est qu'à l'extérieur, ils ont obtenu l'autorisation de porter ce tissu luxueux. Progressivement ce tissu devint l'élément de base des habits des nomades du Kutch. Le tissu Mashru est fabriqué à partir de fils de soie et de coton entrelacés en tissage satin. La soie est utilisée en fils de chaîne donc tendue sur le métier tandis que le coton est utilisé en fil de trame. Dans ce tissage, chaque fil de soie passe sous un fil de coton et au-dessus de cinq, huit ou plus de fils de coton, donnant l'apparence d'une surface brillante qui semble être composée uniquement de soie, tandis que le dessous du tissu est en coton. Puisque la structure du tissu permet d'avoir plus de fils dans une zone donnée, elle rend également le tissu plus résistant. Ce type de tissage est utilisé dans plusieurs régions d'Inde, du Deccan au Bengale, mais seulement à Patan au Gujarat. Dans quelques ateliers on a tendance à remplacer la soie par de la rayonne, moins chère.

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Patan est aussi une étape architecturale intéressante. Saccagée à deux reprises, elle perdit son statut de capitale au profit d’Ahmedabad, citadelle plus facilement défendable, au XVe siècle. C'était alors une cité ronde.

Le monument le plus représentatif de cette période dorée de l’histoire du Gujarat est le puits à degrés dit de la reine ou Rani-ki Vav, qui fut construit environ en 1060. C’est l’une des plus grandes et des plus somptueuses structures de ce type.

Ce puits est richement décoré de statues hindouistes. Il fut construit par la reine Udaymati en mémoire de son mari, le roi Bhima I. C’est le plus ancien et le plus profond des 120 puits à degrés du Gujarat. La plupart des sculptures sont consacrées à Vishnou, sous les formes de plusieurs de ses avatars, quelques-unes représentant Shiva ou des figures jaïnes. Des inondations catastrophiques avaient enfoui cette merveille pour environ un millénaire. Elle fut redécouverte et excavée dans les années 1980. Ce site est classé au patrimoine mondial de l’Unesco.

Sur la route entre Patan et Ahmedabad nous visitons un dernier puits à degrés ou baoli datant de la période Solanki, le puits d'Adalaj. Plus modeste que celui de Patan, il est néanmoins tout aussi intéressant sur le plan architectural. Comme le Rani-ki Vav, ce puits était destiné à permettre à tous d'accéder au niveau de la nappe phréatique. Celui-ci est de plan carré descendant en 5 degrés. Moins décoré que le précédent, il ne manque cependant pas d'élégance.

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Nous terminons notre voyage par l'ancienne capitale, Ahmedabad, ville de 6,5 millions d'habitants. Aujourd'hui la capitale administrative du Gujarat est Gandhinagar, ville jumelle d'Ahmedabad située à 30 km au nord. La vieille ville cernée de remparts fut construite en 1411 lorsqu'elle ravit le titre de capitale à Patan. Construite par Ahmad shah elle occupe une place d'environ 3 kilomètres carrés sur la rive est du fleuve Sabarmati. La vieille ville est un labyrinthe de ruelles bordées de hautes maisons de bois, des havelis. Elle se caractérise par ses pols. Un pol est un groupe d'habitations typique de la vieille ville. Il y a jusqu'à 356 pôles décrits dans les ouvrages historiques. La forme de grappe des logements a été établie pendant la domination moghole (1738-1753) en raison de la tension religieuse entre hindous et musulmans. Par la suite, lorsque les murs de la ville ont cessé de protéger des voleurs, les portes des pols sont devenues une protection nécessaire. Cela donne une impression voisine des traboules à Lyon. Des passages resserrés, fermés par des portes permettent de passer de pol en pol. Ce quartier ancien est classé au Patrimoine Mondial de l'Unesco, ce qui ne l'empêche malheureusement pas de tomber en ruines. Le circuit de visite commence au grand monastère hindouiste Swaminarayan, avec ses murs colorés de couleurs vives qui contrastent avec le reste du quartier.

Puis nous partons dans les ruelles à la découverte des pols, pour constater beaucoup trop souvent l'état de délabrement de ces maisons. On s'interroge sur le rôle et l'efficacité du classement de ce quartier au Patrimoine mondial de l'Unesco. Où passe l'argent qui y est investi ? Que fait l'Unesco pour veiller à la bonne utilisation des fonds ?

Les deux seules maisons bien restaurées que nous avons croisées l'ont été par des fonds privés indépendants de l'Unesco, en particulier l'une par l'ambassade de France.

La traversée de ce quartier permet aussi de croiser des petits métiers qui n'existent plus chez nous : une femme faisant sa lessive dans la rue, une repasseuse, un tailleur, un vendeur de canne à sucre et un autre de lait sucré. Nous avons aussi croisé un homme priant avec beaucoup de ferveur face au soleil.

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Ahmed Shah fut le fondateur et le grand homme de la ville. Il a son mausolée dans le vieux quartier historique, situé à côté de la grande mosquée du Vendredi.

La mosquée du Vendredi (Jami Masjid) montre une parenté évidente avec les mosquées iraniennes et des éléments de décorations très indiens.

Autre jolie mosquée mais en mauvais état, la mosquée Sidi Saiyyed, aux fenêtres délicatement décorées.

Avant une dernière visite consacrée à l'ashram de Gandhi, nous prenons un thé massala dans un singulier café. Il fut installé dans un ancien cimetière. Oui, oui ! Et comme il n'était pas question de troubler le repos éternel des gens qui étaient là, on a intégré les tombes au café. Et pour faire bonne mesure on a aussi intégré un arbre de ce cimetière qui traverse la salle et le toit du café. Sympa, non ?

Enfin on ne quitte pas Ahmedabad sans rendre hommage à Gandhi, la grande figure du Gujarat où il est né, a passé toute sa scolarité avant de partir faire des études de droit en Angleterre et y est revenu en 1917 après son expérience en Afrique du Sud pour fonder son ashram à Ahmedabad où il est devenu le Mahatma Gandhi. Il y reste jusqu'en 1930 lorsqu'il part pour la grande Marche du Sel et n'y reviendra plus. Il mourra sous les balles d'un fanatique hindou à Delhi en 1948. L'ashram d'Ahmedabad est une maison extrêmement simple et dépouillée où les ustensiles de cuisine étaient réduits à presque rien. Le plan maçonné qui servait de table comportait des creux qui servaient d'assiettes. On ne peut pas dire que ce lieu dégage beaucoup de spiritualité. On sent plus de la curiosité que de la vénération chez les indiens qui viennent le visiter.

Ainsi s'achève cet intéressant et dépaysant séjour au Gujarat qui nous aura fait découvrir d'autres facettes de cette "Inde incroyable".